Des postes en général, et particulièrement en France
TROISIÈME PARTIE.
DES POSTES CHEZ TOUS LES PEUPLES.
Nous avons vu de quelle manière les postes, après avoir été établies en Orient, se sont répandues chez quelques nations de l’Occident, et plus particulièrement en France. Nous désirerions compléter notre travail en suivant leur histoire chez tous les peuples du monde. Mais, si elle se réduit pour le plus grand nombre à quelques notions générales, du moins est-elle susceptible d’offrir plus d’intérêt en Europe, où les Français ont été les premiers à introduire ce moyen rapide de correspondre avec régularité. A la gloire d’avoir été les créateurs de cette institution chez les modernes, se joint, pour eux, celle de l’avoir portée à un point de perfection auquel leurs imitateurs ont vainement cherché à arriver jusqu’à ce jour.
ALLEMAGNE.
Ce ne fut qu’un demi-siècle après l’introduction des postes en France, que l’Allemagne suivit, la première, cette heureuse impulsion, qui devait se communiquer insensiblement à toute l’Europe.
Le comte François de Taxis les établit vers la fin du règne de Maximilien I.er, et en eut la direction générale, après avoir été autorisé à faire les avances qu’exigeait une institution de cette importance. L’empereur, qui avait toujours de grands intérêts à ménager avec son petit-fils l’archiduc Charles, souverain des Pays-Bas, voulut que les premières postes fussent mises en activité, de Bruxelles à Vienne, avec l’agrément des états dont cette route traversait le territoire.
Cet établissement reçut de grandes améliorations sous le règne de Charles-Quint, par les soins de Jean-Baptiste de Taxis ; et Philippe II prolongea un embranchement de sa poste d’Italie, pour joindre celle des Pays-Bas à Augsbourg.
L’empereur Mathias, en récompense des services importans que ne cessaient de lui rendre les princes de la maison de Taxis, dans la conduite de cette entreprise déjà si répandue, érigea la surintendance générale des postes d’Allemagne en fief de l’empire, en faveur de Lamoral, baron de Taxis et de ses descendans. Et, comme les successeurs de Charles-Quint possédaient l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et une partie de l’Italie, le titre de grand-maître des postes de tous ces états y fut attaché. Elles portèrent même pendant long-tems la dénomination de postes espagnoles.
Les changemens survenus dans l’empire d’Autriche ont restreint les priviléges accordés aux princes de la maison de Taxis. Ils n’ont conservé que la direction des postes féodales d’Autriche, de Hanovre et de quelques autres parties de l’empire[131]. C’est là aussi qu’on remarque la régularité et la célérité qui contribuent à donner à ce service une supériorité que les princes de Taxis tiennent sans doute à honneur de transmettre à leurs successeurs, comme ils l’ont reçue de leurs ancêtres, auxquels les empires du nord doivent cette institution.
[131] M. Randel a porté le nombre des officiers et commis employés autrefois dans leurs postes, à 20,000, et le produit net auquel elles s’élevaient à un million de rixdalers ; selon d’autres, à un million de florins.
M. le comte de Nadardy, président de la Chambre aulique, est directeur-général des postes et des messageries impériales et royales.
L’administration des postes de chaque province est confiée à un directeur principal, dont dépendent des directeurs particuliers. Le directeur des postes à Vienne, par exemple, est administrateur des bureaux de toute la province de la Basse-Autriche.
M. le baron de Lilsen, conseiller aulique, chambellan de l’empereur, intendant-général des postes étrangères, est chargé, conjointement avec M. le prince de Metternich, de tout ce qui est relatif aux offices étrangers.
Le transport des dépêches se fait, généralement, dans les provinces, par des charrettes[132] ou carrioles légères, découvertes, à quatre roues, attelées d’un cheval ; et, lorsque la correspondance l’exige, et qu’on est forcé d’expédier deux grandes valises, placées sur le devant, on ajoute un autre cheval que conduit, de la voiture, le postillon assis dans le fond.
[132] Dans la partie sous la dépendance des princes de Taxis, ces voitures offrent plus de commodité et de perfection.
Les postillons, distingués autrefois par une petite trompe brodée sur leur habit de drap jaune, en portaient une autre en argent qui servait à annoncer leur départ, leur arrivée, ou à faire ouvrir les portes des villes pendant la nuit. Ils avaient aussi un petit écusson sur lequel était gravé le nom du lieu d’où ils étaient expédiés. Ces postillons conservent encore ces divers attributs.
De semblables distinctions varient suivant les états. En France, par exemple, les postillons se servent, comme dans l’antiquité, seulement d’un fouet, dont le bruit, habilement modifié, suffit pour faire connaître l’instant de leur départ, celui de leur arrivée, ou leur passage sur la voie publique, afin de prévenir tout retard, ou d’éviter tout accident.
Les distances entre les relais n’ont aucune uniformité. Il arrive souvent de faire sept milles avant de trouver un relais ; ce qui a lieu entre Wismar et Rostock.
Quant aux routes[133], il y a peu d’années encore qu’on se plaignait de leur état d’abandon. On trouvait aussi que les postillons[134] s’occupaient plus de soigner leurs chevaux[135] que de contenter les voyageurs. Il existait un impôt sous le nom de shimrr[136], qui consistait à graisser les roues des voitures, qu’on démontait, à cet effet, à chaque poste. On courait le risque de manquer de chevaux en cherchant à se soustraire à ce tribut onéreux.
[133] M. de Meiners assure que les chemins du midi l’emportent sur ceux du nord. On s’occupe à établir des routes en fer en Bohême. Celle entre Budweer et Mauthausen est entreprise. Les travaux préparatoires pour celle entre Prague et Scilsen, ont déjà eu lieu.
[134] Ils portent le nom de phwager, c’est-à-dire beau-frère, dénomination dont on ignore l’origine.
[135] Les chevaux d’Allemagne sont forts et bons pour le trait ; mais ils le cèdent en légèreté et en vitesse à ceux d’Angleterre. La Bavière, la Franconie, la Poméranie et le Mecklembourg, sont les provinces où l’on nourrit les meilleurs chevaux.
[136] Graisse.
S’il en est ainsi, c’est à juste titre qu’on a prétendu que la police, à l’égard des maîtres de poste, n’était pas très-sévère en Allemagne[137]. On sait qu’en France il en est autrement.
[137] Dans le pays de Brunswick on trouve affiché, à chaque bureau de poste, les noms des commissaires désignés par le prince pour terminer les différends entre les voyageurs et les maîtres de poste.
Ou y trouverait aussi très-gênante l’obligation de ne se servir que de la poste une fois qu’on a commencé à prendre cette voie, ou de ne pouvoir, dans le cas contraire, employer les chevaux de louage qu’avec l’autorisation des maîtres de poste, qui, sans doute, ne l’accordent que difficilement.
Dans l’Empire (nom qu’on donne aux provinces méridionales) le prix des postes est d’un florin trente kreutzers par cheval et par mille[138]. Mais ce prix varie considérablement suivant les lieux, soit à cause de la diversité des états, soit aussi en raison de la cherté des fourrages. A Lubeck, on ne trouve point de chevaux de poste.
[138] En Hesse, 10 gros par mille ; en Saxe, 10 ; 12 dans le pays de Brunswick et le Hanovre, et 8 dans le duché de Mecklembourg. En 1789, il en coûtait un florin par poste simple, excepté dans les états héréditaires où ce prix était réduit à trois quarts de florin.
Si l’on est exposé à perdre beaucoup de tems par le péage des barrières établies sur les routes d’Allemagne et du Tyrol, on peut facilement aussi éviter ces retards en payant d’avance aux postillons tous les droits auxquels on est assujetti, et qu’ils se chargent d’acquitter.
Le service de la poste aux lettres se fait avec assez de régularité en Allemagne. On y a apporté dernièrement quelques changemens, soit dans le travail des lettres, soit dans la marche des courriers qui parcourent actuellement une poste en une heure et demie.
Le port des lettres est réglé par des tarifs[139] établis sur des bases moins fortes que celles adoptées par les autres nations de l’Europe, et calculé sur la population, les relations commerciales de l’intérieur et de l’extérieur, et sur le cours de l’argent.
[139] En Bavière, dans le duché de Bade et les postes féodales, la lettre cesse d’être simple dès qu’elle pèse 7 grammes et demi.
A Vienne, l’établissement de la petite-poste a commencé en 1772. Il est dû à M. Schotten, qui suivit l’exemple donné en France, douze ans auparavant, par M. Chamousset. Le port de la lettre est d’un kreutzer, et de 3, 5, 17 kreutzers et plus, au-delà des lignes, en proportion de la distance à parcourir. Cette superbe capitale compte plus de 3,000 carrosses de personnes de marque, 500 fiacres et au moins 80 chaises à porteurs. Le nombre des voitures publiques y est très-considérable. Il y a même des points sur lesquels il en est expédié 15 ou 20 par jour.
On trouve à Hambourg des bureaux de poste pour divers états ; tels que l’Empire, le Hanovre, le duché de Brunswick, la Suède, le Dannemarck, le Mecklembourg-Schwerin, la Hollande, l’Angleterre, les Etats-Unis, etc. La petite-poste a son bureau particulier et ses messagers qui parcourent les rues six fois par jour, en annonçant leur présence par une sonnette.
L’usage des télégraphes, dont les premières expériences remontent à 1799, est peu répandu. Ces machines sont loin d’être aussi perfectionnées qu’en France : elles ne sont employées que pour des avis maritimes, sur quelques points seulement.
Les grands fleuves qui arrosent l’Allemagne, facilitent beaucoup les voyages par eau. Il y a sur plusieurs de ces fleuves un marktscheff ou coche d’eau, qui va à tems réglé d’un lieu à un autre. L’introduction des bateaux à vapeur rendra cette navigation et plus régulière et plus commode. Le premier a été lancé en Bavière[140], près de Frédéricshafen, sur le lac de Constance. Il y en a eu trois de construits dans les duchés de Bade et Wurtemberg[141].
[140] Le Max-Joseph.
[141] Le Guillaume entr’autres. Les rouages de ces bâtimens, destinés à un service continuel, ont été confectionnés à Liverpool.
On voyage sans danger sur les routes généralement étroites, qui coupent ces divers duchés, par l’adresse des cochers allemands. On ne peut aussi éprouver d’incertitude sur les lieux où l’on se rend, puisqu’à tous les carrefours des routes un poteau indique, non seulement le nom du canton ou du district, mais encore la direction des chemins et la distance de chaque point aux villes de quelque importance. Cet usage a lieu dans plusieurs autres parties de l’Allemagne, où l’on a établi des colonnes milliaires qui marquent, avec la même précision, les distances entre chaque endroit.
L’art de dresser toute espèce d’animaux n’offre plus rien de surprenant depuis qu’on voit, à Munich, deux énormes loups traîner une calèche. Ils appartiennent à un ancien négociant russe qui les a trouvés très-petits dans un bois près de Wilna, et qui a si bien réussi à les apprivoiser, que loin d’avoir conservé quelque chose de leur instinct féroce, ils ont toute la docilité du cheval le mieux dompté. La police exige seulement qu’il soient muselés, afin de prévenir tout accident ; car, quoique cette calèche traverse la ville habituellement trois fois par jour, la foule n’en montre pas moins d’empressement à considérer ce singulier spectacle.
Par arrangement conclu dès 1819, entre le roi de Wurtemberg et le prince de la Tour et Taxis, les postes de ce royaume ont été conférées de nouveau, à ce dernier, comme fief héréditaire et masculin de la couronne. Ce prince, en sa qualité de grand-maître des postes de l’empire, s’est fait représenter dans leur direction pas M. le baron Wrintz Barberick, conseiller privé, directeur-général des postes.
Si cet exemple avait des imitateurs parmi les divers princes de l’Allemagne, il est à croire que les postes de l’empire, sous les descendans de celui qui les a instituées dans le nord de l’Europe, parviendraient à un plus haut point de prospérité.
La Hongrie manque non-seulement de routes bien entretenues, mais aussi de canaux pour multiplier les communications par le moyen des rivières. Les chariots de poste dont on se sert sont très-mauvais, découverts, sans ressorts et construits de la manière la plus grossière. Quant aux chevaux, ils sont très-estimés, surtout ceux élevés par les Arméniens.
Les postes, dont plusieurs appartiennent au prince Estherhazy, font partie des revenus de ce royaume ; et, quoiqu’elles soient assez bien entretenues, les voyageurs, munis d’un ordre du gouvernement, ne peuvent manquer ni de chevaux, ni d’aucun moyen de transport, que tout paysan est tenu de leur procurer.
Les loups qui habitent les forêts qui couvrent une partie de la Hongrie, rendent les voyages quelquefois dangereux. Il n’est pas sans exemple que des courriers, dont plusieurs font le service à cheval, aient été dévorés par ces animaux. Ils y sont tellement multipliés, qu’en 1803 ils détruisirent plus de 1500 têtes de bétail dans une seule province[142].
[142] Les mêmes ravages ont eu lieu en Livonie, en 1823. D’après le rapport de la régence, 1841 chevaux, 1243 poulains, 1807 bêtes à cornes, 733 veaux, 15182 moutons, 726 agneaux, 3545 chèvres, 183 chevreaux, 4190 cochons, 701 chiens, etc., ont été dévorés. — Le gouvernement prend des mesures efficaces pour mettre fin à ces ravages.
On serait porté à croire que dans les divers états dépendans de l’empire, les maîtres de poste sont tous d’anciens militaires auxquels ces places offrent d’honorables retraites. Leur costume paraîtrait confirmer cette assertion : il consiste en un dolman bleu clair, bordé de fourrures et orné de boutons et de galons de soie ; un pantalon bleu galonné de la même manière, et des demi-bottes. Ils portent tous de longues moustaches.
Parmi les édifices destinés aux postes, dans les états dépendans de l’empire d’Allemagne, celui de Prague est très-remarquable.
On est forcé d’affranchir les lettres pour tous ces états, le duché de Bade excepté.
PRUSSE.
Le service des postes se fait régulièrement en Prusse. Il ne diffère pas sensiblement de celui employé dans les autres états du nord. Le directeur-général actuel est M. le baron de Nagler.
Le tarif n’est pas dans la proportion de celui de France : la lettre est considérée comme simple au-dessous de quinze grammes ou un loth.
Le directeur-général des postes a fixé la taxe des ports de lettres pour les papiers d’état ayant cours, de manière que, d’après le 37.e article du réglement du 18 décembre 1824, on paie, suivant le cours du jour en Prusse, pour les papiers monnaie de l’étranger et de tous les papiers d’état ayant cours, non un quart, mais un sixième du port fixé pour l’argent par le 32.e article dudit réglement. Quant aux papiers ayant cours, ils pourront être envoyés par la poste à cheval, en lettres recommandées, moyennant le port fixé par les articles 7 et 20 du réglement, sous la condition que le contenu des lettres sera déclaré exactement ; mais sans que la poste le garantisse en aucune manière.
Berlin est la seule capitale de l’Allemagne où il soit question de poste royale ou double.
Quant aux routes de ce royaume, elles sont moins bien entretenues que dans les autres parties du continent. Il faut croire que la nature humide du sol contribue seule à leur donner si peu de consistance, ou que le gouvernement n’a pas encore porté son attention sur cette branche administrative qui devient l’objet des soins de presque tous les potentats de l’Europe. Les relais ne sont établis ni à des distances rapprochées, ni même à des espaces égaux. Il n’est pas étonnant aussi que, vu l’état des routes et les haltes fréquentes des postillons pour reposer leurs chevaux et leur donner de l’eau, on ne voyage pas avec célérité. Il y a tel relais, par exemple de Berlin à Rhemsberg[143], pour lequel 24 heures suffisent à peine. Dans les chemins ordinaires le postillon ne devrait mettre tout au plus qu’une heure et quart par mille. On paie par cheval et par mille 10 gros.
[143] Dix milles.
Les malles des voyageurs qui arrivent aux frontières de la Prusse, par la poste ou avec leurs chevaux, doivent être plombées par les commis de la douane, à moins qu’on ne veuille souffrir qu’elles soient ouvertes et visitées ; ce qui est constaté par un certificat.
Les voitures construites en Prusse se sont répandues par toute l’Europe. On sait que celles appelées berlines ont été inventées par un architecte de ce royaume.
L’Affranchissement des lettres est forcé pour la Prusse.
RUSSIE.
Anciennement en Russie, au lieu de se servir de chevaux pour les voitures, on y attelait des cerfs. L’usage des traîneaux était plus répandu pour courir la poste. Ces animaux les tiraient avec une telle rapidité, qu’ils faisaient plus de quatre milles par heure.
On a regardé pendant long-tems dans ce pays, comme un crime capital[144], de prendre la voie des voitures publiques, sans en avoir obtenu l’autorisation.
[144] En France, on punissait de mort celui qui se servait des chevaux de poste sans un ordre du grand-maître des postes.
Dans la Finlande et dans la Laponie on employait les cerfs avec beaucoup de succès. Un seigneur allemand, du tems de Charles-Quint, en avait dressé un qui surpassait les chevaux les plus légers en vîtesse. Il le montait lui-même, et en fit l’expérience dans plusieurs courses publiques.
Au reste, ces exemples nous paraîtront d’autant moins étonnans, que nous avons eu beaucoup d’occasions de remarquer en France l’instinct, l’adresse, l’agilité et la docilité de cet animal. Mais il est très-douteux que dans les lieux mêmes où les cerfs sont les plus communs, on les assujettisse à un service régulier comme celui des postes.
Les rennes et les chiens sont également dressés, dans ces contrées glaciales, à tirer les traîneaux destinés aux voyageurs et au transport des dépêches. Il serait difficile de donner une juste idée de la rapidité avec laquelle ils les conduisent.
La poste aux lettres est administrée par un directeur-général ou grand-maître[145]. Le prince Alexandre Galitzin, ministre des cultes étrangers et de l’instruction publique, est le directeur-général actuel des postes de l’empire Russe.
[145] En Livonie, les postes sont sous la direction du corps de la noblesse, et on trouve à chaque relais un commis des postes qui a sous lui un autre employé.
Il y a beaucoup d’exactitude dans le service de la correspondance ; mais le port des lettres est très-élevé, quoique la lettre, d’après le tarif, ne soit considérée comme simple que jusqu’à 15 grammes ou un loth. Ce prix a même augmenté, depuis quelques années, pour subvenir aux frais de la construction d’un nouvel hôtel des postes et d’un autre destiné au grand-maître. Ces édifices, très-remarquables, sont terminés, et la taxe n’a pas encore éprouvé de diminution. Il est à remarquer néanmoins que les postes ne produisent de profit que dans quelques provinces où leur entretien ne coûte rien à la couronne.
Nous pensons que l’obligation de jeter les lettres à la boîte au moins seize heures avant le départ du courrier, est toute au désavantage du public. Ce délai annoncerait que le travail des lettres ne serait pas aussi perfectionné qu’en France, où l’administration se réserve à peine une heure pour le même objet.
La poste se charge des assignations de la banque, et en répond moyennant demi pour cent.
A Saint Pétersbourg, le nombre des voitures de tout genre est plus considérable qu’il ne l’est dans les autres capitales de l’Europe. On distingue surtout le droschky si élégant par son vernis et ses moulures. Il n’est cependant formé que d’une planche sur quatre roues, ce qui lui donne quelque ressemblance aux chars-à-banc de la Suisse.
Parmi les voitures de voyage on remarque le kibitka, espèce de charrette qui a rapport, pour la forme, à un berceau. Elle est ronde en dedans et a cinq pieds de large : on n’emploie pas un morceau de fer dans sa construction.
Le traînage ajoute encore à la facilité de voyager : on fait placer et attacher sa chaise de poste sur les flasques du traîneau ; et, comme les fleuves sont gelés et les routes très-larges, ou avance sans obstacle avec une vîtesse extrême. Ainsi, il n’est pas rare que, sans être arrêté par les distances, on aille dîner à 5 ou 6 milles (10 ou 12 lieues) de chez soi, pour revenir le soir à son habitation.
On compte les distances par werstes. Des bornes élevées, placées d’un côté des routes et peintes de noir et de blanc, font connaître au voyageur la route qu’il parcourt : de l’autre, sont des poteaux plus petits, ordinairement établis deux à deux, sur lesquels se trouve écrit le nom des terres chargées de l’entretien des chemins et des bornes de chaque district. On ne paie nulle part de droits de route. Si l’on ne veut pas attendre aux postes, il faut, dit-on, se faire accompagner d’un bas officier, qui trouve toujours dans sa canne les moyens de stimuler les postillons : il est fort aisé de les obtenir des chefs de corps.
Les chevaux se paient deux copecs par werste, et il n’est rien dû au postillon[146], auquel cependant on donne quelque rétribution. Une voiture ou un traîneau qui contient deux ou trois places, n’est attelé que de trois chevaux. On n’en paie jamais plus qu’on n’en a ; et, même, si l’on est peu chargé, on n’en paie que deux. Cela dépend du podaroschna ou permis que l’on prend en partant, et sur lequel est désigné le nombre de chevaux qu’on emploiera. Il arrive souvent que, malgré les ordres du grand-maître des postes, les maîtres des relais vous rançonnent, surtout aux environs de Saint-Pétersbourg.
[146] Ils ne conduisent pas à cheval, mais ils ne sont pas difficiles sur les moyens de se faire un siége.
Mais, en général, on voyage très-rapidement en Russie, soit en hiver, soit en été ; surtout en Finlande, qui passe pour la partie de l’empire où l’on est le mieux servi par les postes[147]. La vîtesse des chevaux russes est incroyable. Ces animaux sont communément courts ; leur poitrail est large, leur cou, long et maigre, et leur tête est ordinairement moutonnée ; ils supportent bien la fatigue. Les petits chevaux de Livonie sont fameux par leur durée et leur légèreté à la course. Parmi ces différentes espèces de coursiers, il en est une très-renommée dont la vîtesse est passée en proverbe chez les Mongols.
[147] Il y a 4 ou 5 ans que les établissemens de poste ont été construits à neuf dans certaines parties de l’empire. On trouve dans chaque maison trois chambres : une pour les voyageurs, une pour les maîtres de postes et l’autre pour les postillons. Une cour très-propre et entourée de haies, est placée devant chaque maison. Il y a dans chaque station 10 chevaux (autrefois 15 ou 20), et 5 ou 6 postillons russes ou tartares, suivant les lieux.
Les chemins entre les principales villes sont très-beaux, et il n’est pas extraordinaire de courir 250 werstes[148] en 24 heures. On a introduit en Russie, sur certaines routes, entr’autres sur celle de Kamenoi à Ostrow, des ornières (fahrbahoun) en bois, dans lesquelles les voitures roulent doucement et sans bruit. L’entreprise se fait aux frais de l’empereur ; mais les propriétaires seront chargés à l’avenir des réparations, surtout dans les rues des villes.
[148] 36 milles d’Allemagne.
Si l’on voyage à bon compte en Russie par la voie des postes, c’est que le gouvernement supporte, en grande partie, les frais qu’elles occasionnent ; mais la nécessité dans laquelle on se trouve de porter ses provisions et ses équipages, diminue beaucoup cet avantage, parce que les aubergistes ne fournissent que le logement.
Quelques voyageurs préfèrent se servir, au lieu de la poste, des jamtschtschikis ou voiturins russes, qui marchent avec la même diligence, en changeant quelquefois de chevaux de slobode en slobode, chez les voituriers de leur connaissance.
La première classe des paysans serfs, ou paie l’obrok à l’empereur, ou est employée à divers travaux, dans lesquels le service de la poste est compris.
Tout voyageur qui veut obtenir son passeport doit préalablement annoncer son départ, au moins trois fois, dans la gazette du pays. Cet usage, établi en Russie, est commun à plusieurs contrées, et particulièrement aux colonies.
Quant à la facilité de se faire précéder par un courrier pour avoir des chevaux, elle n’a plus lieu.
Les tentatives employées pour multiplier les moyens de correspondre par le télégraphe, se sont bornées à quelques essais infructueux. Il n’en est pas ainsi des établissemens destinés à faciliter les transports de toute espèce entre Moscou et Saint-Pétersbourg. Outre la poste ordinaire, on vient d’en organiser une accélérée entre ces deux villes. Un pont suspendu à des chaînes de fer a été construit sur le canal de la Moïka[149]. La Russie participe, connue le reste de l’Europe, à l’avantage que procure la navigation par les bateaux à vapeur. Il y en a même en pleine activité jusqu’en Sibérie.
[149] Il sera construit sur les dessins du général Dufour, de Genève.
Chez les Ostyacks, nombreuse peuplade répandue sur les bords de l’Oby, les chiens sont établis par relais comme les chevaux dans les postes.
Les chevaux sont peu communs au Kamtchatka. Ils ne servent que l’été, pour le transport des marchandises et effets de la couronne, ainsi que pour la commodité des voyageurs. Les chiens, en revanche, y abondent, et suffisent à tous ces travaux. L’été est le tems de leur inaction. Ces chiens sont attelés deux à deux à un traîneau ; un seul est à la tête et sert de guide. Leur nombre est proportionné à la charge du traîneau ; il est ordinairement de cinq pour une personne, et se trouve porté quelquefois jusqu’à 45 par suite du luxe de certains voyageurs. Ces traîneaux prennent divers noms, selon qu’ils servent aux voyageurs ou aux marchandises. Ils ont la forme d’une corbeille de trois pieds de long sur un pied de large. On étend une peau d’ours sur le siége. La légèreté de ces voitures est telle, qu’elles pèsent à peine six livres.
On emploie aussi les rennes qu’on attèle deux à deux. Ces animaux sont dressés à courir nuit et jour pendant trois heures consécutives, puis on les détèle, pendant une heure, pour les faire reposer et les laisser paître. Au bout de ce tems elles repartent avec la même ardeur, et achèvent ainsi leur route avec une extrême diligence.
Près de la Léna, les postes se comptent par stations. Celles-ci sont de 30, 40, 50 et même de 80 werstes. Les frais de poste n’en sont pas pour cela plus considérables ; un homme se paie comme un cheval. Qu’on juge de la peine des malheureux condamnés à faire le service de la poste, c’est-à-dire, à traîner les bateaux d’une station à l’autre, dans l’espace de 1200 werstes. Cette terrible corvée fait la punition des exilés et des malfaiteurs ; ils partagent ce travail avec des chevaux. Le seul soulagement que cet affreux métier vaille à ces forçats, se réduit à quelques mesures de farine que le gouvernement leur accorde.
Les Russes qui voyageaient par ordre de la cour, sur les frontières de la Sibérie, où les maîtres de poste le plus souvent ne savent pas lire, étaient munis, autrefois, d’un passeport tout particulier. Il consistait en cordes passées au travers d’un sceau, auxquelles on faisait des nœuds, de sorte que les maîtres de poste, pour connaître le nombre de chevaux qu’ils devaient fournir, n’avaient qu’à compter les cordes et les nœuds.
La poste ne sert en Pologne que pour les lettres et paquets. Elle fut établie par ordre de la république, sous le règne de Ladislas IV. Avant ce tems, les ordres du roi étaient portés par les gentilshommes de la cour, qui se faisaient donner des voitures par les Starostes.
Il faut porter tout avec soi, quand on voyage dans ce pays, soit en chaises ou en chariots. C’est dans ces derniers que les grands seigneurs font placer leurs effets. La construction de routes ferrées y est achevée sur un espace de plus de 66 milles d’Allemagne. Celle des routes de Varsovie aux frontières de la Prusse le sera incessamment, et offrira sur cette ligne, qui traverse toute la largeur du royaume depuis Kalish jusqu’à Brzesc, 60 milles d’une communication non interrompue, ce qui rendra les relations plus faciles et moins coûteuses, puisque les relais de poste et de roulage emploient déjà moitié moins de chevaux qu’auparavant. Il y a eu des constructions semblables dans les palatinats de Cracovie, de Lublin, de Ploclk et d’Augustow ; on remarque encore celle de 523 ponts, parmi lesquels celui de Z’lotorya, réunissant sur la Narew les limites de l’empire et du royaume, a été fait aux frais communs des deux gouvernemens.
Les lettres pour la Russie et les provinces qui en dépendent, expédiées de France, peuvent être affranchies, mais non pas jusqu’à destination, tandis que celles de l’intérieur de l’empire ne peuvent y circuler sans être soumises à l’affranchissement.
TURQUIE D’EUROPE ET AUTRES PROVINCES MÉRIDIONALES.
Dans la Turquie d’Europe, en Valachie et en Moldavie, les voitures le plus en usage parmi les personnes riches, sont les calèches allemandes, qu’on fait venir à grands frais de Vienne.
La manière de voyager dans ces contrées est tellement expéditive, que celle d’aucune autre nation ne peut lui être comparée. L’organisation des postes y est assez bonne : ceci ne doit s’entendre que des chevaux, car, pour le reste, il n’y a rien de pire. Au lieu de chaises on ne trouve que des chariots incommodes auxquels on attèle avec des cordes quatre chevaux guidés par un postillon, lesquels partent au grand galop, et ne s’arrêtent ni ne ralentissent le pas qu’à la poste suivante ; quelque tems avant d’y arriver, le postillon s’annonce par les claquemens de son fouet, et aussitôt un nouveau chariot, conduit par d’autres chevaux, se trouve prêt et ne cause aucun retard aux voyageurs.
Les préposés pour l’entretien des routes se nomment sermiens : celle de Vienne à Constantinople est bien ferrée.
Les maîtres de poste fournissent les chevaux et les hommes assujettis à cette corvée qui leur tient lieu d’impôt. On trouve souvent un pandour à la tête des relais. Lorsque le maître de poste ne peut fournir les chevaux nécessaires à la course, les habitans sont tenus d’y suppléer à leurs frais, car on a, dans la Moldavie, la barbare coutume de s’emparer, pour le service public, de tout ce qui se rencontre, bœufs, chariots, chevaux, etc., sans rien payer. On les enlève aux paysans dans les villages, aux voyageurs sur les grands chemins, aux étrangers même qui se trouvent sur la route, et on ne les leur rend que lorsqu’on n’en a plus besoin, en supposant que les voitures ne soient pas brisées et les chevaux crevés de fatigue.
Sous la dénomination commune de tartares, sans distinction d’origine, on comprend les courriers de ces contrées, où le service de la poste aux lettres se fait assez régulièrement. Celui de la poste aux chevaux cesse à Andrinople. On ne peut continuer sa route jusqu’à Constantinople, qu’au moyen de marchés particuliers avec les propriétaires de chevaux ; ce qui devient arbitraire et coûteux. Les courriers sont ordinairement accompagnés de janissaires. Les postes ne se comptent plus aussi par milles, mais par la distance de chemin qu’un chameau peut parcourir en une heure.
A Constantinople, on loue un bateau comme ailleurs on louerait une voiture. Ces embarcations élégantes, ornées de sculpture et de dorures, sont conduites avec une adresse remarquable par les matelots turcs.
L’affranchissement est de rigueur pour tous ces lieux.
PAYS-BAS.
L’organisation des postes y a varié souvent depuis l’époque où ces provinces ont cessé d’être régies par les princes de la maison de Taxis. En 1807, la Hollande était divisée en cinq arrondissemens. Les cinq directeurs particuliers qu’on y avait placés, dépendaient d’un directeur-général des postes, auquel étaient adjoints trois conseillers et un secrétaire-général. Le tarif de France, qu’on avait adopté pour la taxe des lettres, y est encore en usage.
Les bâtimens destinés au transport des dépêches, des marchandises et des voyageurs, se nomment treckschuyten de Beurtschipen : ils font quatre milles à l’heure. Les Hollandais calculent la route de leurs embarcations, non par le nombre de milles parcourus, mais par celui d’heures écoulées. Des chevaux les tirent le long des canaux, et sont conduits par des jeunes gens appelés chasseurs (hitjagertje), qui portent, au lieu d’un cornet de poste, une corne de bœuf pendue à l’épaule, dont ils se servent, soit pour donner le signal du départ, soit pour faire lever les ponts qui se trouvent sur les canaux, soit, enfin, pour avertir les bateaux qui pourraient se trouver sur leur passage de se tenir sur le côté opposé du canal. Ce moyen rend les communications de l’intérieur très-faciles. Le gouvernement, aux frais duquel ces bâtimens sont entretenus, exige qu’ils marchent avec une ponctualité extraordinaire.
S’il en coûte peu pour voyager de cette manière, il n’en est pas ainsi des chaises de poste[150].
[150] On paie ordinairement 36 florins pour sept chevaux, depuis Breda jusqu’à Gorcum, et trois florins et demi par cheval, de Gorcum à Utreck.
Cette sorte de voiture a la forme d’une calèche couverte et très-courte, ayant, au lieu de timon, une pièce de bois semblable à une corne ou à un arc, placée entre les roues de devant, et sur laquelle le conducteur s’appuie les pieds pour donner à la voiture, par cette pression, la direction nécessaire dans les chemins plats. Les chevaux ne sont attelés qu’avec des cordes, et l’on en met souvent trois de front. Si l’on descend un pont dont la pente est rapide, le voiturier place les pieds sur la croupe de l’un des chevaux, et retient ainsi la voiture tout le tems convenable.
Les voitures, dont on fait usage à Amsterdam, sont, ou des carrosses de louage à 4 roues, ou des cabriolets à deux roues et à deux chevaux, ou, enfin, des schleen, c’est-à-dire des caisses de voitures posées sur un traîneau et tirées par un cheval.
Le service des postes, qui se fait en grande partie par eau[151], ne peut que devenir plus régulier par l’établissement des bateaux à vapeur[152].
[151] Beaucoup de maisons de campagne ont une petite boîte en bois, placée près des canaux, où l’on jette en passant les lettres et paquets adressés à ceux qui y résident.
[152] C’est en 1824 que la société des bateaux à vapeur a été installée à Rotterdam. Peu de tems après, le bateau destiné à la correspondance, entre Amsterdam et Utreck, a commencé son service. La distance de l’une de ces villes à l’autre est de huit lieues, et le trajet se fait, dit-on, en trois heures et demie. Plusieurs bateaux ont été employés successivement depuis aux communications intérieures, et à naviguer entre la Hollande et Hambourg. Celui établi sur le Rhin, s’appelle le Colonais. Il est en fer ; sa force est égale à celle de cent chevaux, sa capacité a celle de 60 à 80 lastes, et sa profondeur dans l’eau est de trois pieds et demi. Il met 4 ou 5 jours pour se rendre à Cologne. Le Zeew, autre bateau à vapeur, est destiné pour les relations entre Anvers et Cologne.
Peu de tems après, cette même société tint une assemblée générale d’actionnaires, et nomma l’administration qui doit régir cette nouvelle association. Elle a déjà donné beaucoup d’extension à son entreprise, et augmenté son capital d’un million de florins.
Si les canaux facilitent si utilement les moyens de correspondre, les routes de la Hollande n’y contribuent pas moins. Elles sont superbes, plantées de plusieurs rangées d’ormeaux et couvertes de voitures de toute espèce. Le produit des taxes prélevées aux barrières, qui y sont établies, sert à les entretenir. La surface plane de la Hollande contribue beaucoup à leur solidité et à leur propreté. Il n’en est pas ainsi des chemins vicinaux, à peine praticables dans la plus belle saison.
On raconte, comme un trait de la simplicité des mœurs des habitans de la Haye, que, lorsque Louise de Coligny vint épouser le prince Guillaume, les magistrats de la ville lui envoyèrent un chariot de poste ouvert, dans lequel elle fit son entrée, croyant sans doute remplacer, par l’accent du cœur, les vaines solennités d’une froide étiquette.
Ou emploie fréquemment les chiens à traîner des charrettes chargées de provisions et de marchandises. Les chèvres, attelées à de petites voitures, transportent aussi de très-lourds fardeaux. On est étonné du poids que ces animaux font mouvoir, et de la docilité qu’ils montrent dans un exercice qui semble si peu approprié à leur force et à leur conformation.
L’affranchissement pour ce royaume est volontaire.
DE LA SUÈDE, DE LA NORWÈGE, DU DANNEMARCK ET DE QUELQUES AUTRES PARTIES DU NORD.
Dans le Holstein on a un soin extrême des chevaux. Les voituriers et les cochers sont toujours pourvus de deux couvertures dont ils s’enveloppent eux-mêmes pendant la route, et dont ils couvrent leurs chevaux lorsqu’on s’arrête, quoique ce soit la partie de l’Allemagne où on les charge le moins.
Le péage du Sund est une des branches du revenu du Dannemarck. Il y a des fanaux établis pour les endroits dangereux ; d’autres feux brillent en divers lieux de la côte pour guider les voyageurs dans les nuits obscures et orageuses.
Le passage du Belt est d’un demi-mille ; on le fait en très-peu de tems. Il y a dans le grand Belt deux postes télégraphiques, et il est permis aux voyageurs de s’en servir, pour accélérer leur marche, en faisant préparer les relais d’avance. Dans ce cas, ils paient 24 schellings lubs pour chacun des deux inspecteurs. C’est à ce seul usage que s’est réduit l’emploi de ce genre de télégraphe, qui n’a pu être étendu à cause de son imperfection.
En Dannemarck, comme en Prusse, les routes sont assez mauvaises ; il n’y a d’autre différence que celle du droit de barrière qui n’y est pas introduit. Mais les paysans ont à leur charge la réparation des chemins, des ponts, et doivent fournir des chevaux et des voitures au roi, à ses ministres ou à ses grands officiers lorsqu’ils voyagent.
Il est accordé, par le réglement, une heure au maître de poste pour apprêter ses chevaux : on n’attend jamais au-delà. Les postillons sont très-actifs. Ils ont une feuille qu’ils doivent présenter aux maîtres de poste, lorsque ceux-ci l’exigent, où l’heure du départ est indiquée ainsi que les plaintes qu’on a pu porter contr’eux.
Le prix des chevaux[153] varie quelquefois. Il est communément de 16 schellings par mille et par cheval.
[153] Ceux de Seeland sont très-renommés. Dans l’île de Fionie, en été, on ne paie que 10 shellings par cheval ; mais, en hiver, on donne quelques schellings de plus. Il y a en outre les droits de barrières de 2 schellings par mille.
Le revenu des postes qui, depuis le roi Frédéric VI, entre dans la caisse du roi, monte à 200,000 rixdalers et même au-delà.
La poste, en Norwège, est une institution qui ne remonte pas plus haut que 1783. Les bureaux de poste étaient communément chez les pasteurs, qui ouvraient les paquets et prenaient les lettres appartenant à leurs districts : ils en tenaient note sur des registres destinés à cet usage.
Les cabriolets, dans cette partie, sont dans le genre italien et très-jolis : les femmes les conduisent elles-mêmes avec beaucoup de grâce et de facilité sur les routes généralement très-belles.
En Suède, tout paysan est postillon ; il n’est pas même un enfant qui ne soit en état de mener une voiture. La nécessité lui en fait une loi, puisqu’il n’existe pas de relais, et que, obligé de fournir les chevaux pour le transport des dépêches et des voyageurs, il est contraint, par la même raison, de les conduire.
Quand un voyageur arrive à une station de poste, on prévient le paysan dont le tour est venu de marcher. Celui-ci le conduit à un mille ou deux milles (3 ou 6 lieues), d’après la distance où il se trouve lui-même de son habitation. Un autre le remplace ; c’est ainsi qu’il parvient à sa destination. Pour éviter les retards qu’entraînerait naturellement cette manière de voyager, il est d’usage de se faire précéder 5 ou 6 heures d’avance par un messager. En prenant cette précaution, on peut parcourir de grandes distances sur les routes de la Suède, comparables à celles de l’Angleterre par leur solidité et leur agrément.
Il est peu de pays où l’on voyage à meilleur marché qu’en Suède. Mais, pour prévenir les inconvéniens causés par les cordes qui servent à attacher les chevaux, et qui ont besoin d’être renouvelées souvent, il faut se précautionner de harnois. On n’a pas d’ailleurs le choix des moyens de transport, puisque le royaume est encore privé de la ressource des voitures publiques.
Le gouvernement est instruit très-exactement de tout ce qui concerne les voyageurs, qui sont tenus d’inscrire sur le dagbok, qu’on leur présente à chaque station, leurs noms, leurs professions, le lieu d’où ils viennent, celui où ils se rendent, le nombre de chevaux qu’ils prennent, et les plaintes qu’ils ont à faire du postillon. Ce livre est remis tous les mois aux gouverneurs de chaque province.
Tous les passages des rivières sont servis, en été, par des bateaux courriers ; en hiver, par des traîneaux et des chevaux. Il y a des espèces de télégraphes établis pour ces divers services.
Le service de la poste se fait aussi en Suède par deux bateaux à vapeur, l’un établi entre Christiana et Christiansand, et l’autre entre Fredericsvaern et l’île de Suland.
En 1796, on augmenta le prix des chevaux. Ils coûtaient 4 schellings : ce prix fut doublé. Du reste, il varie suivant les lieux[154]. Les chevaux suédois, quoique petits et maigres, courent avec vîtesse et font un mille à l’heure.
[154] On paie 16 schellings à Stockholm, et 12 sch. dans quelques autres villes.
On compte déjà plusieurs bateaux à vapeur[155] dans ce royaume, où de grands travaux[156], entrepris dernièrement, ont contribué à multiplier les relations intérieures.
[155] M. Owen vient d’inviter le public à un voyage de plaisir dans son bateau qui doit se rendre à Saint-Pétersbourg. Il abordera à Penlenhost et y restera 6 jours pour jouir des fêtes qui s’y célèbrent tous les ans pour l’impératrice mère. Ce voyage durera trois semaines. Chaque passager paiera cent écus de banque de Suède ; il pourra demeurer tout le tems du voyage dans le bateau.
[156] Le total des journées pour ces divers ouvrages d’utilité publique, dont les six septièmes ont été faits par l’armée, s’est élevé à 7,758,899 journées.
Les chemins établis à travers les Fjalls (montagnes qui séparent la Suède de la Norwège), les routes, l’une par le Jutland, l’autre par la province de Daulwand, et la troisième par celle de Wermland, qui facilitent de nouvelles communications, ont été achevées en 1823 ; et un grand pont de bateaux a été jeté sur un bras de mer nommé le Semsund, situé sur les frontières de la Norwège et de la Suède.
On évalue à peu près à 418,000 francs le revenu que les postes rendent au roi.
Ce service recevra une grande amélioration, si le projet proposé par M. Kemner, négociant à Stockholm, et adopté par le gouvernement, d’établir une petite-poste à l’exemple des principales capitales de l’Europe, se réalise.
L’affranchissement pour ces états est libre.
ANGLETERRE.
Les postes en Angleterre, en Irlande et en Ecosse, dépendent du roi. Un acte du parlement, par une exception unique, en avait attribué les produits au duc d’York, qui, depuis, occupa le trône sous le nom de Jacques II.
Au commencement du siècle dernier elles étaient régies par un administrateur sous le titre de député. Il résidait à Londres, et avait sous lui près de quatre-vingts officiers, dont les fonctions étaient, ou de participer au travail des lettres, ou d’en avoir la surveillance. Il n’existait alors que cent vingt-deux bureaux de poste. Le bureau principal de l’Irlande était à Dublin. A la fin du même siècle, la même administration entretenait 170 malles-postes, 4500 chevaux, et comptait 3000 employés chargés de la distribution des lettres dans l’intérieur, outre celles qui étaient transportées par de nombreux paquebots expédiés pour les principaux points du continent.
Comme le service extérieur ne pouvait avoir lieu que par mer, ce député, ou grand-maître des postes, entretenait six bâtimens appelés paquebots, pour les relations établies, deux fois la semaine, avec la France, la Hollande et l’Irlande.
Les améliorations survenues dans l’état des postes de ce royaume, s’expliquent par l’activité du peuple le plus industrieux et le plus commerçant de l’Europe, et surtout par le bon état des routes dont cette île est parfaitement coupée en tous sens, quoique aucune ne soit pavée[157].
[157] Les rues des grandes villes sont seules pavées ; mais les routes sont bien ferrées et particulièrement bien entretenues.
Il paraîtrait, d’après l’ouvrage de M. J.-L.-M. Adam[158], qu’il se serait introduit quelques abus dans cette partie.
[158] Publié en France, en 1824, sous le titre de Remarques sur le Systême des Chemins.
Une des causes du mauvais état des routes, dit-il, vient du défaut de surveillance d’où résulte le mauvais emploi et le gaspillage des fonds destinés à les entretenir, la nécessité d’augmenter la taxe des péages, ce qui n’empêche pas que les commis aux barrières (turn-pikes) ne soient chargés de l’énorme dette de sept millions de livres sterlings[159], quoique le compte rendu annuellement au parlement présente, pour les péages, une somme de recette qui excède le revenu de l’administration des postes.
[159] 170 millions environ.
Dès 1811, le même auteur avait présenté des considérations sur l’état de quelques routes abandonnées par les malles-postes. L’ancienne méthode, dit-il encore, fut reconnue vicieuse par les savans, les ingénieurs, les hommes les plus intéressés aux succès de leurs recherches, tels que les entrepreneurs de roulage, de malles-postes, consultés sur cette matière délicate et importante.
Ces vérités, clairement démontrées, ont fixé l’attention du gouvernement anglais, toujours prêt à seconder efficacement les mesures qui offrent quelque utilité[160]. Le systême de M. Adam (déjà connu en France et appliqué à quelques routes du Languedoc et du Simplon) a été adopté, et les routes[161], devenues plus solides, conservent une surface toujours unie, sur laquelle les diligences roulent sans obstacles et font quatre lieues à l’heure, même dans les montagnes de l’Ecosse et du pays de Galles.
[160] M. de Chambert vient d’obtenir un brevet d’invention pour une nouvelle méthode propre à donner au pavé des rues et des grandes routes une solidité, une propreté à laquelle on n’avait pu atteindre.
[161] Depuis le bill provoqué par M. Frenuk, celles de l’Irlande sont dans un état très-florissant. On croit qu’il a été dépensé en constructions et en réparations, en conséquence de ce bill, la somme énorme de plus d’un million sterling. La taxe des routes n’y est que la moitié de celle d’Angleterre.
C’est sous le règne de la reine Elisabeth que l’usage des voitures a commencé en Angleterre, et que celui des courses de chevaux y a été introduit. Ce goût s’y est tellement répandu depuis, qu’en 1767 le nombre des chevaux, qui était de 500 mille (Londres seulement y entrait pour un cinquième), peut être évalué au triple aujourd’hui[162].
[162] On compte 148,788 personnes entretenant un cheval de luxe ; 23,493 en entretenant deux ; 15,000 de 3 à 8 et 1168 qui en entretiennent plus de huit.
En Irlande, dit Arthur Young, on porte le nombre des chevaux jusqu’à la folie.
Il n’est pas de contrée où les voitures publiques soient plus commodes, plus propres et plus multipliées qu’en Angleterre. Elles ne sont destinées que pour les voyageurs ; les marchandises et les effets étant transportés à part. On sait qu’en France on suit un autre usage. Aussi, nos diligences, dont le poids est énorme, quoique plus perfectionnées dans ces derniers tems, sont exposées à verser plus facilement, eu raison de la surcharge qui détruit l’équilibre qu’on tenterait vainement de maintenir dès que le plus léger obstacle se rencontre.
A toute heure du jour il part de Londres, dans toutes les directions, pour les extrémités du royaume, deux cents voitures publiques, sans compter celles qui ne dépassent pas la distance de quinze ou vingt milles. Un même nombre y arrive dans le même espace de tems. On a été jusqu’à calculer que 1100 voitures de toute espèce passaient journellement par le bourg de Southwark, qu’on peut regarder comme un des faubourgs de Londres. La Tamise est couverte de bateaux de louage qui servent à communiquer plus facilement sur tous les points de cette capitale. On en fait monter le nombre à plus de mille. Celui des fiacres est aussi considérable[163], et l’on compte plus de quatre cents chaises à porteurs.
[163] En 1765, le nombre des voitures à 4 roues était de 12,904. En ce moment, il est de 26,799, indépendamment de celles à deux roues, qui sont de 45,856. A la première de ces époques les carrossiers de Londres étaient au nombre de 36 et employaient 4000 ouvriers ; aujourd’hui, 135 emploient 14,000 ouvriers. On compte 1000 fiacres à Londres.
Les Anglais, toujours habiles à profiter des inventions des Français et à se les approprier même, parce qu’ils les ont perfectionnées, prétendent qu’on leur doit l’usage des fiacres et des chaises à porteurs ; et que ces dernières ont été apportées en France par un nommé Montbrun, bâtard du duc de Bellegarde.
Le transport des dépêches se fait par des voitures publiques ou malles-postes qu’on peut regarder comme la première entreprise en ce genre. Elles sont formées d’une caisse commode à quatre places. Une caisse suspendue, qui fait le prolongement de la première, sert de siége au cocher et contient sur le devant une partie des lettres et paquets destinés pour les points intermédiaires de la route ; le reste est déposé dans une troisième caisse, prolongée sur le derrière et sur laquelle est assis un gardien-armé. Le courrier et le gardien peuvent placer, chacun, deux personnes à leur côté. Huit personnes montent sur l’impériale, ce qui, donnant un total de dix-huit voyageurs, ne nuit en rien à la vîtesse de cette voiture qui fait trois lieues par heure. Elle est attelée de quatre chevaux très-beaux et très-vigoureux. Le service a lieu avec tant de régularité, qu’on peut calculer, presque à la minute, l’arrivée de la malle-poste[164]. A la disposition de l’impériale près, nos malles-postes ont beaucoup de rapport avec ces voitures.
[164] La malle-poste de Londres à Edimbourg fait ce trajet en 36 heures, c’est-à-dire, plus de 10 milles à l’heure. En 1712, il fallait 13 jours pour faire ce voyage.
L’organisation actuelle du service est due à M. Palmer. Avant lui, le transport des dépêches et des fonds, qui avait lieu, par le moyen de carrioles en osier, n’offrait ni la sécurité ni la régularité et ni l’activité qu’on y trouve généralement aujourd’hui.
Les changemens qu’il proposa en 1782, et qui furent adoptés par le célèbre Pitt, remédièrent à tous les inconvéniens[165] et n’ont point subi de modifications notables depuis. Il en résulta autant d’avantages pour le gouvernement anglais que pour M. Palmer, qui obtint en outre la place importante de secrétaire-général de l’administration à laquelle il avait donné une si heureuse impulsion.
[165] Il est bon d’observer, pour ne pas accuser les correspondans de négligence, qu’à cette époque la poste était beaucoup plus tardive qu’elle ne l’est depuis l’ingénieuse invention de M. Palmer. Quant à l’honnête Dinmont, comme il recevait à peine une lettre tous les trois mois, à moins qu’il n’eût quelques procès (car alors il envoyait régulièrement une fois par semaine à la poste), les paquets à son adresse demeuraient un mois ou deux sur la fenêtre du directeur de la poste, au milieu des pamphlets, des chansons, et des morceaux de pain d’épice, suivant l’état qu’il exerçait. D’ailleurs, on avait alors l’usage, et il n’est pas encore entièrement perdu, de faire voyager les lettres d’un bureau à l’autre, quelquefois à la distance de 30 ou 40 milles, avant de les délivrer, ce qui avait l’avantage de mettre les lettres sous les yeux des curieux, d’augmenter la recette des directeurs, et de mettre la patience des correspondans à l’épreuve. Il n’est donc pas surprenant que Brown attendit, et inutilement pendant plusieurs jours, une réponse ; et, malgré son économie, sa bourse était vide, lorsque le jeune pêcheur lui rendit la lettre qui suit.
(Guy Mannering, Walter-Scott.)
Lord Chichester est directeur-général des postes anglaises, et sir Francis Ycelin secrétaire-général. L’hôtel où cette administration est établie à Londres, est un bâtiment remarquable. La petite-poste, ou peny post, fait parvenir avec célérité, dans l’étendue de la banlieue, tout paquet n’excédant pas le poids d’une livre, et jusqu’à la valeur de dix livres sterlings en argent, pour lesquels l’envoyeur payait un pence[166]. C’est de là que venait le nom de peny post, ou poste d’un sou. Le bureau général répond de la perte des paquets. Ce service se fait huit fois par jour par six bureaux principaux, et plus de quatre cents petits qui leur sont subordonnés.
[166] Aujourd’hui deux pences.
La nation est redevable de cette invention à un négociant nommé Docwra, qui, en 1680, l’exécuta à ses frais. Mais, lorsqu’il espérait retirer le fruit de son industrie, le duc d’York, à qui Charles II, comme nous l’avons observé, avait attribué le produit des postes, lui fit un procès pour avoir usurpé ses droits, et lui ôta le peny post. C’est aujourd’hui un revenu de l’état qui peut être porté à 40 mille livres sterlings environ.
Une lettre est simple lorsqu’elle est composée d’une feuille de papier, quel qu’en soit le poids ou la dimension ; mais le port en est doublé par la plus légère addition[167]. On ne suit plus, comme en France, de progression calculée, en raison du poids et de la distance, avec un grand esprit de justice.
[167] Une lettre sous enveloppe, au lieu d’un schelling, en paie deux, ne contînt-elle qu’un quart de feuille. C’est sans doute le taux élevé du port des lettres qui a valu à la pairie la prérogative remarquable d’exempter de la taxe toute lettre revêtue sur sa suscription de la signature d’un pair anglais.
Un paquebot, venu dernièrement des mers du Levant en Angleterre, apporta quelques numéros de la gazette grecque de Missolunghi. Le paquet ayant été taxé aux bureaux des postes comme lettre, le port de ces gazettes[168] s’est élevé à soixante-dix-sept livres sterlings[169]. On juge, d’après cela, le revenu que le gouvernement anglais retire des postes. Il est d’autant plus considérable, que les dépenses qu’elles occasionnent sont couvertes par les recettes des voyageurs. Ce produit a reçu des améliorations importantes dans l’intervalle d’un siècle. En 1644[170], elles rapportèrent 3,000 livres sterlings ; et, en 1764, le parlement les afferma 432,048 livres sterlings. Depuis ce tems, elles ont monté successivement à 700,000 livres sterlings. On prétend qu’elles s’élèveront à 1,500,000 livres sterlings en 1825.
[168] Un compte rendu à la chambre des communes de 1815, apprend qu’il se distribue chaque jour à Londres 20,000 exemplaires de journaux du matin ; 15 à 20 mille de ceux du soir ; 22 mille autres de deux jours l’un ; et 70,000 le dimanche.
[169] 1912 francs 50 centimes environ.
- 1644, 3,000 livres sterlings.
- 1654, 10,000
- 1664, 21,500
- 1674, 43,000
- 1685, 65,000
- 1688, 76,318
- 1697, 90,505
- 1710, 111,461
- 1715, 145,227
- 1744, 295,432
- 1764, 432,048
La poste aux chevaux n’est pas établie, comme en France, à des distances marquées, et les relais ne sont pas tenus par des maîtres de poste spécialement chargés de ce service. Tout aubergiste qui a une grande maison est maître de poste, moyennant un droit de licence annuel calculé sur le nombre de chevaux et de voitures qui lui appartiennent. Il loge et transporte à la fois les voyageurs. Les postillons sont ordinairement des jeunes-gens de 16 à 18 ans ; leur costume est élégant, et leur équipage est leste et d’une propreté remarquable. Ils sont, dit-on, généralement polis : cette qualité les distingue encore de leurs semblables chez lesquels on la rencontre rarement ailleurs.
Des bornes milliaires sont établies sur les routes pour en marquer exactement la division. Les frais de poste se paient selon la quantité de milles parcourus[171], dont trois font à peu près une lieue de France.
[171] En 1755 on payait 9 sous d’Angleterre, par chaque mille, pour une chaise de poste et deux chevaux ; et l’on donnait 6 sous d’Angleterre au palefrenier qui attelait les chevaux à la chaise, et un schelling au postillon. Ces voitures sont légères, à 2 places, et suspendues sur ressorts avec des portières à glaces. Aujourd’hui, le prix le plus modique, pour cette manière de voyager, est d’un schelling par mille, par couple de chevaux, et même de 15 à 18 pences. Qu’on ait une voiture, ou qu’on en prenne une à la poste, cela n’influe en rien sur le prix. On paie communément, d’une poste à l’autre, plus de milles anglais que n’en porte le livre de poste. Cette différence provient de la colonne milliaire qui n’est pas toujours placée au relais.
Quelles ressources l’Angleterre n’a-t-elle pas retirées des machines à vapeur perfectionnées par James Watt, qui en fit la première expérience en 1790. Elles représentent aujourd’hui une puissance de 320,000 chevaux, égale à celle de 1,834,000 hommes, d’où il suit que, si l’on n’employait pas en Angleterre ce moteur, et que l’on voulût produire une quantité d’objets manufacturés égale à celle qu’on obtient, il faudrait non-seulement augmenter la population de 2 millions d’hommes environ, mais il faudrait encore dépenser en fabrication, outre les dépenses actuelles, une somme effrayante de plus de 6 milliards. Ce procédé a été appliqué à la navigation, et les bâtimens qui transportent les dépêches sont des bateaux à vapeur. Le trajet de Douvres à Calais[172] se fait ordinairement en trois heures. Les paquebots à vapeur sont de jolis bâtimens, du port de 60 à 80 tonneaux, qui abordent en France, à Calais, à Boulogne et à Dieppe ; en Allemagne, à Emden et Cuxhaven ; et, en Hollande, à Ostende[173] et à Hellevoetsluys.
[172] 25,633 pas géométriques.
[173] Ce trajet se fait en 16 heures. Celui de Londres à Cuxhaven a été fait, par le bateau à vapeur le Hylton Joliffe, en 82 heures. La distance est de 160 lieues.
M. Harisson Wilkinson est auteur d’un projet qui, s’il réussit, promet des avantages incalculables pour la grande navigation, en employant la machine à vapeur perfectionnée par Perkins, qui n’exige qu’une très-petite quantité de charbon. Il pense qu’on pourrait communiquer facilement avec les Indes Orientales par le Cap-Bonne-Espérance, où l’on établirait un dépôt de combustibles. Mais son principal but est d’y arriver en trente et un jour par la Méditerranée, et de donner à ses paquebots la régularité du courrier. Voici le chemin qu’il trace et les calculs qu’il forme sur la durée du trajet :
| De Falmouth à Gibraltar, | 1200 |
milles, | 5 |
jours. |
| De Gibraltar à Rosette, | 2170 |
id., | 9 |
id. |
| De Rosette à Bulac ou au Caire, | 110 |
id., | 1 |
id. |
| Du Caire à Suez par terre, | 70 |
id., | 2 |
id. |
| De Suez à Bombay par la mer rouge, | 3300 |
id., | 14 |
id. |
6850 |
id., | 31 |
id. |
Cette idée a pris de nouveaux développemens, et l’on pense sérieusement à la réaliser[174] pour établir, par un moyen si commode et si rapide, une communication entre l’Angleterre et ses colonies de l’Inde.
[174] Une compagnie s’est formée à Londres dans cette vue, et fait déjà un fonds de 300 mille livres sterlings dans lequel les négocians de Calcutta participent pour 10 mille livres sterlings. Ces derniers sont d’autant plus intéressés à la réussite de cette entreprise, que leurs essais dans ce genre ont eu d’heureux résultats.
Presqu’en même tems une autre compagnie, à Londres, s’occupait de correspondre ainsi avec les Etats-Unis. On présume que le trajet pourrait avoir lieu en moins de quinze jours. Enfin, le service des paquebots, entre Buenos-Ayres et l’Angleterre, est en activité. Il a été autorise par un décret rendu sur la proposition du consul-général de sa majesté britannique.
La voiture mécanique dont nous avons parlé dans le cours de cet essai, comme étant mise en mouvement sans le secours des chevaux, cessera d’être une merveille à nos yeux lorsqu’on y aura adopté le feu comme moteur. Ce n’est encore, comme nous l’avons vu, que l’imitation d’un procédé tenté en France en 1763. La machine à vapeur appliquée, par M. Gough, aux voitures, produira l’effet de ces vaisseaux qui parcourent les mers comme par enchantement. Cette voiture fera, par ce moyen, deux lieues à l’heure[175], et recevra plus de vîtesse quand on se sera assuré de la solidité du mécanisme. Un enfant suffira pour lui donner toutes les directions possibles.
[175] Il se forme à Londres une compagnie pour la distribution du gaz locomotif, dont l’expérience, faite sur la diligence d’Yorck, a eu pour but de diminuer le poids des voitures occasionné par le charbon, et de donner plus d’accélération à ces voitures. M. Brown, l’inventeur, se regarde comme sûr de la faire rouler, tant en montant qu’en descendant, sur le pied de dix milles par heure, 3 lieues et demie. Cette méthode présente une économie de moitié sur les moyens employés actuellement. Il doit donc en résulter une diminution égale sur les places. On prétend même que chaque voyageur ne paiera qu’un pence [2 sous] par mille.
Dans ce siècle, si fécond en inventions de tous genres, on vient encore de proposer, en Angleterre, de remplacer l’usage des routes ordinaires par celui des chemins à ornières en fer, et d’employer la machine à vapeur au lieu de ces immenses attelages qui servent à transporter les hommes et les marchandises[176]. A peine une idée nouvelle est-elle mise au jour, qu’elle ne tarde pas à subir des développemens considérables ; et l’on voit que cette invention, bornée d’abord à de simples voitures va s’étendre à celles destinées à toute espèce de transports[177]. La distance de Londres, aux principales villes de l’Angleterre, serait réduite d’un quart et même d’un tiers, par des chemins en fer dans une ligne directe, et dégagée des nombreuses sinuosités qu’il faut suivre. La poste de la capitale à Manchester, Liverpool et Leeds, arriverait en 12 heures, et il ne lui faudrait pas 24 heures pour atteindre Glascow et Edimbourg. Combien n’abrégerait-on pas encore ces voyages par les ponts suspendus à des chaînes en fer, tel que celui de la vallée de Tewd.
[176] On peut juger de la supériorité de ces routes sur les autres, par le tableau des efforts que doivent faire les chevaux, suivant la nature de chacune d’elles. On suppose une voiture à 4 roues, chargée de 8000 livres pesant, sur une route bien entretenue, que 3 chevaux traîneraient lorsqu’il en faudrait 25 sur une route dégradée.
Route en fonte coulée, 1/4 de cheval.
Id. en pavés de dalles très-unies, 2 chevaux et 1/2.
Id. en pavé de grès, 3 chevaux.
Id. en blocaille raboteuse, 6 chevaux.
Id. En terrain naturel crayeux, 15 chevaux.
Id. en terrain argileux, 25 chevaux.
[177] Tous les journaux [oct. 1825] s’accordent à dire que l’ouverture de la route en fer de Darlington à Stockton [comté de Durham] vient d’avoir lieu un grande pompe. Une grande quantité de chariots chargés, les uns de houille, les autres de farine, d’autres enfin d’ouvriers et de curieux, sont arrivés, traînés par des chevaux, au bas du plan incliné que forme la première portion de la route. Là, les chevaux ont été dételés. Au haut du plan incliné, dont la longueur est d’une demi-lieue, on a établi, à poste fixe, deux machines à vapeur, chacune de la force de 30 chevaux, destinées à faire monter les chariots. 12 chariots, chargés chacun de deux tonneaux [quatre milliers] de houille, et un treizième portant une grande quantité de sacs de farine, et tous les 13, en outre, couverts d’autant d’hommes qu’on avait pu en placer, atteignirent le sommet de la route en 8 minutes. Arrivés là, ils furent attachés, à la queue les uns des autres, à la machine à vapeur locomotive, qui devait les tirer dans la descente. D’autres chariots, montés de la même manière, furent attachés à la suite de ceux-ci ; et, dans le milieu de la file, on plaça la voiture du comité de l’entreprise, nommée l’Expérience, destinée par la suite à transporter des voyageurs ; elle est de l’espèce de celle qu’on appelle longcoach, où les voyageurs sont assis face à face sur les deux côtés. Elle en peut contenir 18. Le nombre total des voitures que devait tirer la machine à vapeur locomotive, était de 34, sur l’une desquelles était un corps de musiciens. Toutes étaient couvertes d’hommes et décorées de drapeaux portant diverses devises, et principalement celle de la compagnie : periculum privatum utilitas publica. A un signal donné, cette file de voitures se mit en mouvement aux acclamations de la multitude assemblée pour être témoin de ce spectacle aussi nouveau qu’étonnant, et parcourut d’abord la route jusqu’à Darlington, où l’on remit de la houille dans les fourneaux et de l’eau dans les bouilloires, et ensuite jusqu’à Stockton, avec une vîtesse moyenne de 10 à 12 milles [de 2 lieues et demie à 3 lieues] à l’heure.
Des cavaliers, montés sur d’excellens chevaux de chasse, et courant par dessus haies, et fossés des deux côtés de la route, ne purent suivre le convoi. La charge des chariots traînés par la machine locomotive était d’environ 80 tonneaux [160 milliers], et l’on pense qu’il y avait au moins 700 personnes sur ces voitures quand elles arrivèrent à Stockton. Au plus fort de la descente, la vîtesse alla jusqu’à 15 ou 16 milles [plus de 5 lieues] à l’heure. La fête se termina par un grand banquet.
Puisse cette nouvelle conquête de l’esprit humain dans l’emploi d’un moteur devenu si puissant par l’action du feu contenue dans de justes bornes, ne pas s’étendre indéfiniment à toutes les branches de l’industrie, et ne pas nuire à la population de certains états qui s’accroît dans une proportion si forte.
Une nouvelle preuve de l’instinct des pigeons[178] viendrait, s’il en était besoin, à l’appui des exemples que nous avons cités dans plusieurs passages de cet essai.
[178] L’introduction clandestine des bijoux fabriqués en France, auxquels les Anglais accordent une préférence marquée, tant à cause de leur perfection que de leur prix modéré, éveillait inutilement la surveillance de la douane. L’usage s’en répandait de plus en plus, malgré une sévère prohibition. On reconnut enfin, dit-on, et non sans peine, que ces fraudeurs si long-tems à l’abri de toute recherche étaient des pigeons. On les lançait des côtes de France vers celles d’Angleterre ; en leur attachant au cou les objets destinés à être recueillis par les personnes instruites de leur message. Cette ruse en fit naître une nouvelle. Les commis, désespérés de pouvoir atteindre dans l’air ces oiseaux maraudeurs, s’avisèrent de dresser des faucons à les poursuivre et à s’en emparer. Une fauconnerie fut bientôt autorisée pour mettre fin à cette introduction nuisible à l’industrie anglaise, ou pour en diminuer considérablement les inconvéniens.
On prétend qu’un bon fauconnier doit dresser un oiseau dans un mois. On y parvient en faisant veiller et jeûner le faucon, en lui couvrant les yeux, et en ne lui rendant le jour que lorsqu’on lui montre l’appât, en lui vidant l’estomac pour augmenter sa faim, en lui plongeant la tête dans l’eau lorsqu’il est trop revêche.
En France, comme en Angleterre et dans tous les pays, il est des époques de l’année où les recettes des postes subissent des modifications. Cela tient à des considérations locales. En Angleterre, par exemple, à la fête de Saint-Valentin, qui répond à notre premier de l’an, on prétend que l’administration des postes, à Londres, est forcée d’augmenter le nombre de ses facteurs. On en attribue la cause à la multitude de lettres qui parviennent par la petite-poste, dont les produits sont immenses à cette époque.
Les Anglais se servent, pour leurs avis maritimes, d’une machine à signaux très-perfectionnée. C’est à Jacques II qu’ils doivent les améliorations les plus importantes qui y ont été apportées. Ce prince, par suite d’une longue expérience, rendit l’utilité de cette espèce de télégraphe incontestable. Mais cette machine ne peut entrer en aucune comparaison avec celle qu’on emploie en France.
L’Ecosse, qui conserve toujours les traces de ses mœurs et de ses coutumes antiques, nous offre une nouvelle occasion de parler des signaux par le feu. On les emploie avec beaucoup d’efficacité dans ces montagnes si propres à favoriser cette manière de s’entendre et de communiquer au loin, en peu d’instans, les avis de la plus haute importance.
Quand un chef voulait convoquer son clan ou tribu dans un pressant danger, il tuait une chèvre, et, taillant une croix de bois, en brûlait les extrémités pour les éteindre dans le sang de l’animal. C’était ce qu’on appelait la croix du feu, et aussi crean tarigh, ou croix de la honte, parce qu’on ne pouvait refuser de se rendre à l’invitation qu’exprimait ce symbole, sans être voué à l’infamie. La croix était confiée à un messager fidèle et agile à la course, qui la portait sans s’arrêter jusqu’au village voisin, où un autre courrier le remplaçait aussitôt : par ce moyen, elle circulait dans la contrée avec une célérité incroyable.
A la vue de la croix du feu[179], hommes, enfans, vieillards, depuis l’âge de 15 ans jusqu’à celui de 60 ans, étaient obligés de se trouver, à l’instant, armés au lieu du rendez-vous : celui qui y manquait souffrait le double supplice du fer et du feu ; sa désobéissance était marquée par les signes emblématiques de la croix.
[179] La croix du feu est un usage commun aux montagnards et aux anciens Scandinaves.
Pendant les guerres civiles de 1745 et 1746, la croix du feu parcourait fréquemment l’Ecosse, et elle traversa un jour, en trois heures, tout le district de Breadalbane, c’est-à-dire une étendue de pays de 32 milles.
Feu Alexandre Stuart, écuyer, m’a raconté, dit Walter-Scott, qu’il envoya lui-même la croix du feu à cette époque. La côte était menacée par des frégates anglaises, et l’élite de notre jeunesse était en Angleterre avec le prince Charles Edouard. Cependant, cette convocation fut si efficace, qu’au bout de quelques heures on vit sous les armes une troupe très-nombreuse et pleine d’enthousiasme. Dès ce moment, le projet de faire diversion dans la contrée fut abandonné par les Anglais comme une entreprise désespérée.
Les carrosses et chaises de poste fabriqués à Edimbourg sont renommés ; on en exporte beaucoup pour Saint-Pétersbourg.
Les lettres pour les trois royaumes et les colonies qui en dépendent, doivent être affranchies.
ESPAGNE.
L’organisation des postes espagnoles changea lorsqu’un petit-fils de Louis-le-Grand, Philippe V, fut appelé à la couronne, et le titre de grand-maître, dont jouissaient les princes de Taxis, fut transmis par la réunion de cette charge au domaine royal, au comte d’Ognate, qui la posséda à titre d’office. Mais les postes, mises à ferme à-peu-près à la même époque qu’en France, passèrent sous la direction du marquis de Monte-Sacro.
Elles étaient entretenues alors avec plus de soin de Madrid à Bayonne, et sur tous les points qui communiquent avec la France, que dans tout le reste du royaume. On leur a donné depuis une forme plus régulière, et le service actuel se fait avec assez d’activité entre la capitale et les provinces les plus reculées.
C’est dom Narcisse de Heredia[180], comte d’Ofalia, qui est surintendant-général des courriers et postes d’Espagne et des Indes, et M. Melgar directeur-général.
[180] Regines de los Reos, chevalier grand-croix de l’ordre américain d’Isabelle la catholique, numéraire de l’ordre royal et distingué de Charles III, grand’croix de l’ordre royal de la légion-d’honneur de France, conseiller-d’état et premier secrétaire-d’état.
Chaque province a un directeur ou un administrateur particulier pour tout ce qui concerne le service des postes. Cet agent supérieur dépend du surintendant-général.
La surintendance-générale[181], direction et tribunal des courriers, postes, chemins, auberges, et canaux, s’occupe des causes relatives à ces différentes parties. La real y suprema junta de apelaciones de los juzgado de correos y postas[182], a l’attribution des mêmes objets en cas d’appel.
[181] Elle est composée d’un surintendant-général, de quatre directeurs-généraux, de deux contadors-généraux, d’un assesseur et d’un fiscal. Il n’y a que les deux derniers qui soient en robe rouge.
[182] Se compose d’un président, de neuf membres, d’un secrétaire, d’un contador-général et de deux fiscaux.
Les postes sont comprises dans les recettes générales, et leur produit entre dans des caisses particulières : elles doivent rapporter beaucoup, si l’on en juge par le port des lettres qui est très-élevé en Espagne.
La Casa de Correos, ou Hôtel des Postes à Madrid, est construite depuis très-peu de tems, à la Puerta del sol. C’est un grand édifice carré, absolument isolé, d’une très-belle composition, et d’un ensemble assez majestueux : la cour qui en dépend est entourée d’un portique soutenu par des colonnes. Ce bâtiment est très-élevé au-dessus du sol, ce qui cause une irrégularité, commandée sans doute par le terrain, mais d’un effet désagréable. Cet édifice est néanmoins le plus bel ornement de la place.
Madrid n’a pas de fiacres : ils sont remplacés par des carrosses de remise, et par des caléches ou brouettes traînées par des hommes. On y trouve cependant des cabriolets attelés de mules ; ils contiennent deux personnes, que le cocher mène assis sur l’un des brancards.
Le transport des dépêches se fait en carrioles tirées par quatre mules ; les paquets sont renfermés dans une valise : on en ajoute une seconde quand la correspondance l’exige.
C’est au comte d’Aranda qu’on doit l’amélioration des routes et des chaussées, caminos reales. Les chemins sont superbes, bien percés, soutenus dans les ravins par des murs et traversés par des ponts très-beaux et très-solides : il y en a même qu’on peut comparer aux routes d’Angleterre. Sur quelques-uns, par exemple, en Catalogne, on voit des colonnes milliaires.
On se sert, pour voyager en Catalogne, comme dans le reste de l’Espagne, de carrosses traînés par six mules, qu’on appelle coches de calleras ; de caléches, espèces de cabriolets traînés par deux mules, et de volantes, autre espèce de cabriolets un peu plus petits, auxquels on n’attèle qu’une mule : ces voitures font à-peu-près huit lieues par jour. On court la poste à cheval en Catalogne ; mais on n’y trouve pas de chevaux pour les voitures. Les chevaux espagnols sont très-estimés, surtout les Andalous ; ils sont plus convenables à la selle qu’au carrosse : aussi ne voyage-t-on le plus communément qu’avec des attelages de mules. Celles de la Catalogne sont très-belles, et dirigées avec une rare intelligence. Les voituriers de cette province l’emportent sur ceux des autres parties de l’Espagne, par l’adresse et l’art avec lesquels ils guident quatre ou cinq mules, placées à la file l’une de l’autre. Le royaume de Valence est aussi très-renommé pour la beauté et la bonté de ces animaux. Les carrosses, les calèches et tous les moyens de transports y sont très-multipliés.
Il n’y a de poste pour les voitures que de Madrid à Cadix, et de Madrid aux différentes maisons royales, elles ont été établies par le comte Florida Blanca qui se proposait de faire participer les principales routes de ce royaume à ce précieux avantage[183]. Il en est de même des diligences qu’il avait également établies de Bayonne à Madrid, dans lesquelles on payait douze piastres. Cette entreprise ayant entraîné des dépenses onéreuses pour le trésor royal, on s’en tint à cet essai. Mais, depuis la guerre de la délivrance, des compagnies ont formé des entreprises de ce genre sur plusieurs points. S. M. C. a fait l’acquisition d’une partie des malles-postes françaises employées pour faire le service des postes militaires. Ces voitures serviront sans doute de modèles à celles qu’on se propose de construire, pour rendre non-seulement la communication intérieure de l’Espagne plus facile, mais pour multiplier les relations entre les deux royaumes unis plus que jamais par les nœuds de l’amitié, plus forts encore, s’il est possible, que ceux de l’intérêt.
[183] Toutes les cartes d’Espagne, entr’autres celles de M. Lapie, indiquent les routes de poste montées avec voitures, celles montées avec chevaux, et celles non montées.
Quant aux postes, elles sont passablement servies par des mules. Les voitures établies sur les routes de poste sont à deux et à quatre roues ; il y en a à une place qu’on appelle solitaires, ou cabriolets. Parmi ces voitures, il en est de plus propres sous la dénomination de distinguées, dont le prix, par conséquent, est plus élevé.
Les postes ne sont point établies à des distances égales sur les routes, aussi, ne paie-t-on qu’en raison du nombre de leguas parcourues ; elles sont plus grandes que celles de France. Il faut une permission des directeurs ou administrateurs des postes pour avoir des chevaux, sans quoi les maîtres de poste, qui sont ordinairement des venteros, n’en fourniraient pas. Cette autorisation coûte 37 réaux et demi par personne. Les postes de deux leguas doivent être parcourues en trois heures ; les frais, selon le tarif, pour deux chevaux, compris le voyageur et le postillon[184], vont à 4 réaux par poste.
[184] L’uniforme des postillons est bleu avec collet rouge.
En voiture[185], la poste est obligée de mener deux personnes dont le bagage n’excède pas deux cents livres, avec deux chevaux : le prix est le même que pour un seul cheval. On paie 4 réaux pour une chaise de poste. La taxe des postillons est de 2 réaux. La legua revient à 12 réaux, mais on ne va pas très-vîte, et on fait, par exemple, les cent milles de Madrid à Cadix dans 4 jours et 4 nuits.
[185] Chaque voyageur qui mène avec lui sa propre voiture, doit, à son entrée dans le royaume, en déposer au bureau des douanes, d’après une estimation d’experts, le 10.e et même les trois quarts de la valeur. Il reçoit un certificat, et la somme qu’il a comptée lui est remise à la sortie, lorsqu’il quitte l’Espagne avec la même voiture. Cette loi est très-ancienne.
Si la facilité de voyager en voiture par la poste est restreinte à quelques routes, elle a lieu à cheval sur toutes sans exception. Ou prend souvent de préférence des chemins de traverse, quand on court à franc étrier. La première poste se paie double en sortant de Madrid ou des résidences royales. Le prix des chevaux varie. Il est de 3 réaux 4 quartillos par lieue, pour chaque cheval, en Castille ; mais, dans la Navarre, la Catalogne et le royaume de Valence, il en coûte 5 réaux et demi.
L’âne ou borico sert pour les courses de peu d’étendue : c’est une monture incommode.
Les voitures généralement en usage sont les volantes ou calechinas, espèces de cabriolets à deux roues, et menées par un cheval ou une mule ; les calechas conduites par deux mules, dans lesquelles on est plus à l’aise, quoiqu’elles soient mal suspendues, et les coches de calleras ou carrosses à 4 places, plus solides qu’élégans. L’allure de ces voitures, disent les voyageurs, est singulière, amusante, effrayante quelquefois, mais toujours sans danger par l’habileté des conducteurs. Les mules qui en forment l’attelage ne sont retenues que par des traits extrêmement longs, qui leur laissent la facilité de s’éloigner, de se rapprocher, et de parcourir la route sans ordre, au point de faire craindre à chaque instant que la voiture ne se brise dans les descentes ou les endroits escarpés, ou qu’elle ne verse dans les précipices. La voix seule du mayoral suffit pour prévenir les accidens, et ces animaux, dociles au commandement du guide qui les dirige, reprennent de suite et avec ordre le sentier dont ils s’étaient écartés.
L’affranchissement pour ce royaume et ses colonies est forcé.
PORTUGAL.
Philippe II abandonna la propriété des postes de Portugal à la maison Gomez de Mata, dont les descendans possédèrent la charge de grand-maître avec tous les priviléges qui y étaient attachés. L’organisation de ce service était la même qu’en Espagne. Le transport des lettres s’y fait encore avec la même régularité, et c’est par l’intermédiaire de ce royaume que le Portugal reçoit les dépêches du continent. On trouve à Lisbonne des paquebots qui partent à époques fixes pour la Hollande, l’Angleterre, le Brésil, les îles des Açores, de Madère, et les colonies dépendantes du Portugal où les postes sont établies sur les bases adoptées dans la métropole.
On voyage en Portugal dans des chaises de postes assez incommodes et toujours mal entretenues. Ce sont des calèches attelées de deux mulets, à 2 roues et à 2 places. On se sert à Lisbonne de ce genre de voitures ; mais on y remarque plus communément des équipages à quatre places et à quatre mulets. Il est encore une autre voie qu’on peut prendre, celle des messagers qui conduisent à dos de mulets, monture la plus ordinaire, les dépêches ou les marchandises.
Il faut affranchir toutes les lettres destinées pour le Portugal et ses colonies.
ITALIE.
Les postes des états de Sa Sainteté sont régies par un directeur-général, et le transport des lettres se fait à cheval et en voiture[186]. On a introduit depuis peu de tems de nouvelles améliorations dans ce service, surtout dans la forme des voitures, qui ont été construites en Allemagne, avec un soin tout particulier.
[186] Le tarif des postes italiennes pour le port des lettres est de 7 gram. 1/2 en 7 gram. 1/2. Où il n’y pas de bureau de poste on en trouve un d’estafette.
Mais les voituriers sont généralement préférés dans toute l’Italie, malgré les établissemens de messageries dont les Français avaient donné l’exemple pendant leur domination, et ceux de malles qui contenaient deux places, une pour le courrier et l’autre pour un voyageur.
Rome, comme quelques autres capitales de l’Europe, n’a pas de fiacres ; ils sont remplacés par les carrosses de remise. Mais un usage, commun à toutes les principales villes de l’Italie, c’est de payer la poste de sortie, qui est considérée comme poste et demie.
Le nombre des voyageurs qui parcourent l’Europe, contribue partout aux changemens heureux introduits, soit dans la forme des voitures, soit dans l’accélération de leur marche, soit enfin dans tout ce qui se rapporte à la facilité et à la commodité des moyens de transport. Parmi les travaux importans que Sa Sainteté fait exécuter en ce moment, pour y parvenir, on remarque la route de Rome à Naples par Valmontone, Formone, Ceprano et Capone. Cette route est de 25 milles plus courte que celle de Poste, qui traverse les marais Pontins.
A Gênes, en Toscane et dans les états de l’Eglise, le prix pour deux chevaux de chaise de poste est de neuf livres de Gênes, et pour un cheval en courrier de trois livres.
Les postillons sont généralement très-alertes en Italie ; leur service se rapproche beaucoup de celui des guides français et anglais.
L’affranchissement est libre pour cette partie de l’Italie.
Tout le pays dépendant de l’empire autrichien est soumis au mode de régie de l’Allemagne. Le service pour le transport des lettres a lieu comme en France, par des courriers en voiture ou à cheval. Les voitures dont on se sert, ressemblent à celles d’Allemagne ; elles n’ont que deux roues et se nomment sedia.
Il y a deux manières de courir la poste en Italie, l’une est la poste ordinaire, plus coûteuse dans le Milanais, les états de Venise, le Piémont, la Lombardie, que dans la Toscane et l’Etat pontifical ; l’autre, la cambiatura[187], plus économique, mais moins expéditive, parce qu’on ne peut voyager que pendant le jour, et qu’il est défendu de faire galoper les chevaux. On n’éprouvait jamais de grandes difficultés de la part des maîtres de poste, lorsqu’on voulait prendre cette voie.
[187] Cambiatura, voiture à deux personnes et à prix fixe.
Dans les états de Venise, si l’on courait la cambiatura, on ne payait que cinq livres et demie par cheval d’attelage ou de selle. Dans le Milanais, deux chevaux de chaise payaient un demi-sequin par poste, et un cheval en courrier quatre livres.
On compte, à Venise, 9000 gondoles en activité : elles ont ordinairement 25 pieds de long sur 4 de large, et sont toutes peintes et garnies de drap de même couleur ; celles des personnes riches, se distinguent par une plus grande dimension et des ornemens plus recherchés ; mais, toutes se ressemblent par la forme de leur couverture, qui est une espèce de toit.
L’Italie offre en général plus d’agrément et de facilité pour voyager que l’Allemagne. Les routes sont excellentes, mais les postillons importuns.
L’affranchissement est forcé pour le pays Lombard-Venitien.
SARDAIGNE.
Les postes sont régies en Sardaigne, en Savoie et en Piémont, à peu près comme en France, avec laquelle ces états correspondent trois fois par semaine. Le service a lieu par entreprise, et le systême décimal y a été adopté pour la comptabilité. C’est par la Savoie[188] que parviennent presque toutes les dépêches de l’Italie, destinées pour la France.
[188] Le roi de Sardaigne comptait, en 1789, en Piémont, 30 grandes routes.
Autrefois on courait la cambiatura en Piémont, mais cette coutume est abolie, et le prix de la poste est fixé ainsi qu’il suit : une voiture à quatre roues, attelée de trois chevaux, paie six livres ; lorsqu’il y a quatre chevaux, huit livres ; deux chevaux de voiture, paient 4 livres 10, et le prix pour un cheval de selle est de deux livres.
Turin n’a pas de fiacres, mais des voitures de louage dans lesquelles même on voyage. Les conducteurs s’appellent voiturins ou veturini. La carretino est une espèce de voiture à une seule place, ou plutôt un fauteuil : elle est attelée d’un seul cheval. Sa forme est celle d’un vase, dont le pied tient à un essieu de bois. Il est rare qu’on puisse courir la poste partout ce pays : on se sert quelquefois d’une voiture à deux roues, bien légère. Il faut dans ce cas, consulter les maîtres de Poste. Avant la route du mont Cenis, les voitures étaient démontées et transportées à dos de mulets, et les voyageurs étaient portés dans des chaises ou ramassés en traîneaux. Aujourd’hui on trouve, au pied du mont, un grand nombre de petites voitures, dans lesquelles on fait ce trajet, sans les inconvéniens d’autrefois.
Pour correspondre avec la Sardaigne, on emploie des goëlettes armées. C’est une précaution très-sage pour résister aux attaques des pirates. Il serait à désirer qu’une semblable mesure fût adoptée par toutes les nations, dont le transport des dépêches a lieu par mer, et surtout par la Méditerranée.
L’affranchissement pour ces pays est libre.
SUISSE.
Le service des postes, en Suisse, soit en régie ou à forfait, est pour le compte de chaque canton et sous la dénomination générale d’office des Postes, ou sous celle de régie et de direction, selon les localités. Les cantons qui n’exploitent pas leurs services, et cela arrive quelquefois, en confient l’administration aux cantons voisins. Les voitures employées au transport des dépêches servent également aux voyageurs et aux marchandises. Le service ne s’en fait pas moins avec une grande régularité, et ne laisse rien à désirer sous le rapport de la sûreté. Le prix des postes françaises est maintenu jusqu’à Gênes, et sur divers autres points.
La manière dont la duchesse de Némours voyageait chaque fois qu’elle partait de Paris pour se rendre en Suisse, dans sa principauté de Neuchatel, a eu, sans doute, beaucoup d’approbateurs, sans trouver un grand nombre d’imitateurs, par les frais que ce moyen entraînait. Elle se faisait porter en chaise par des porteurs qui, au nombre de quarante, la suivaient en chariots, et se relayaient alternativement. Avec cette précaution, elle faisait tous les jours douze à quinze lieues, sans fatigue, et plus agréablement que dans la voiture la plus douce et la plus commode. Cet usage, si répandu dans l’Inde, où l’on établit les hommes par relais, comme nous le pratiquons pour les chevaux, ne pourrait être aisément introduit en Europe, tant à cause de nos mœurs que des moyens de transports actuels, si économiques et si rapides. Les signaux par les feux se sont toujours conservés en Suisse. Il est peu de contrées plus propres à ce genre de correspondance.
L’affranchissement est forcé pour cet état.
NAPLES.
Le royaume de Naples, tout le reste de l’Italie et les îles du Levant, ont à peu près le même mode de transport.
Les postes napolitaines sont servies par les chevaux que les seigneurs voisins des routes fournissent de leurs haras, et dont ils retirent le profit. Ces chevaux, élevés avec soin, sont très-estimés et très-convenables pour ce service.
Les bateaux à vapeur vont donner une nouvelle activité à la correspondance de toutes les îles de la Méditerranée. Ils sont employés avec succès à Venise ; et bientôt, tous les retards qu’on éprouvait dans les relations maritimes disparaîtront.
On voyage dans le royaume de Naples, en chaises qui, avec deux chevaux, paient onze carolins par poste. Un cheval, à franc étrier, coûte cinq carolins et demi. La calèche napolitaine n’est qu’une espèce de coquille à une place, sur un piédestal, supportée par des brancards très-légers et très-élastiques, et traînée par un seul cheval. Son poids est de dix à quinze livres. Elle roule avec une vitesse extrême. Le voyageur dirige le cheval ; et, le conducteur placé derrière, tient le fouet. Il y a d’autres calèches, ou curriculi, qu’on loue 10 ou 12 fr. par jour. La nouvelle route[189] qui a été construite pour traverser le mont Pausilippe, est superbe, et on peut la parcourir très-commodément en voiture.
[189] Elle a coûté 30,000 ducats, et les troupes autrichiennes y ont travaillé sous la direction de M. Mulhlwerth, capitaine du génie autrichien.
Nous avons remarqué que la partie de l’Italie dépendante de l’Autriche était seule soumise à l’affranchissement forcé.
AFRIQUE.
Ce n’est pas dans cette partie du monde où nous devons chercher quelque régularité dans l’organisation des divers moyens substitués aux postes. Il y a cependant, dans les états de Tunis et d’Alger, des relations établies ; et ce sont les Maures de la campagne habitués à supporter les plus rudes fatigues, qui servent de messagers ; mais ils sont d’une stupidité sans exemple[190].
[190] M. de Chénier rapporte que l’un d’eux, qui attendait ses dépêches dans un appartement où il y avait une glace, crut, en voyant son image réfléchie que c’était un autre courrier qui attendait, comme lui, d’autres dépêches dans une chambre voisine. Il demanda où allait ce courrier, et on lui répondit, en plaisantant, qu’il se rendait à Mogadore. Et bien, dit-il, nous irons ensemble ; et il en fit aussitôt la proposition au camarade qui gesticulait, comme lui, dans le miroir, et ne répondait pas. Il était près de se fâcher, lorsqu’il vit, dans la même glace, une personne qui entrait dans l’appartement. Etonné de son erreur, il eut bien de la peine à se persuader, malgré ses yeux et ses doigts, qu’il pût se voir, disait-il, à travers une pierre.
On pourrait citer des traits d’une pareille stupidité, au sein même des nations les plus civilisées, et le recueil des anas pourrait être facilement grossi d’exemples de ce genre.
M. Le Vaillant a remarqué que les Hottentots avaient un sûr moyen de s’entendre, par la manière dont ils disposaient des feux sur certains lieux élevés. Les feux de nuit, dit-il, sont un langage particulier que connaissent et pratiquent la plupart des nations sauvages, mais aucun n’a porté cet art si loin que les Houzouanas, parce qu’aucun n’a autant besoin de l’étendre et de le perfectionner. Faut-il annoncer une victoire ou une défaite, une arrivée ou un départ, une maraude heureuse ou un besoin de secours, en un mot une nouvelle quelconque, ils savent, en un instant, notifier tout cela, soit par le nombre de leurs feux, soit par la manière dont ils les disposent. Ils ont même l’industrie de varier leurs feux de tems en tems, de peur que les nations ennemies venant à les reconnaître, elles ne les emploient par surprise et par trahison. J’ignore en quoi consiste cette langue si habilement inventée, tout ce que je puis dire, c’est que les feux allumés à vingt pas l’un de l’autre, de manière à former un triangle équilatéral, annoncent un ralliement.
Nous retrouvons chez ces peuplades, les mêmes procédés que nous avons observés en parlant des premiers essais tentés avant l’institution des postes. En se reproduisant encore, ils seront une nouvelle preuve, que parmi les tribus qui n’ont fait aucun pas vers la civilisation, les mêmes besoins, les mêmes causes, font naître les mêmes pratiques. Si, chez les Hottentots, on remarque ce procédé porté à un plus grand degré de perfection, cela tient à l’organe de la vue, qui rend ces insulaires capables de découvrir, à des distances incroyables, des objets imperceptibles pour des yeux moins exercés que les leurs[191]. De là cet avantage qui les distingue dans les dispositions multipliées de leurs feux.
[191] Bernardin de Saint-Pierre parle d’un homme qui prétendait avoir trouvé le secret d’annoncer l’arrivée des vaisseaux, lorsqu’ils étaient à 60 ou 80 lieues des ports et même plus loin. Il en avait fait, ajoutait-il encore, l’expérience plusieurs fois à l’Ile de France, devant divers témoins, qui avaient signé le mémoire qu’il présenta au ministre de la marine, en France. En effet, l’expérience eut lieu à Brest, devant des commissaires, et elle ne réussit pas.
J’ai pensé, dit l’auteur des Etudes de la Nature, que cet observateur avait pu, dans quelque circonstance favorable et commune dans le ciel des tropiques, avoir la vue des vaisseaux par la réflexion des nuages. Ce qui me confirme dans cette idée, c’est un phénomène très-singulier qui m’a été raconté par notre célèbre peintre Vernet, mon ami. Etant dans sa jeunesse en Italie, il se livrait particulièrement à l’étude du ciel, plus intéressante, sans doute, que celle de l’antique, puisque c’est des sources de la lumière que partent les couleurs et les perspectives aériennes qui font le charme des tableaux ainsi que de la nature. Vernet, pour en fixer les variations, avait imaginé de peindre sur les feuillets d’un livre toutes les nuances de chaque couleur principale, et de les marquer de différens numéros. Lorsqu’il dessinait un ciel, après avoir esquissé les plans et les formes des nuages, il en notait rapidement les teintes fugitives sur son tableau, avec des chiffres correspondant à ceux de son livre, et il les coloriait ensuite à loisir. Un jour, il fut bien surpris d’apercevoir dans les cieux la forme d’une ville renversée ; il en distinguait parfaitement les clochers, les tours, les maisons. Il se hâta de dessiner ce phénomène, et, résolu d’en connaître la cause, il s’achemine, suivant le rumb de vent, dans les montagnes. Mais quelle fut sa surprise de trouver, à 7 lieues de là, la ville dont il avait vu le spectre dans les cieux, et dont il avait le dessin dans son portefeuille.
Au Congo, les missionnaires rapportent qu’on voyage dans des hamacs portés par des nègres. Quand on veut faire diligence, on les établit par relais, et ils avancent avec la rapidité des meilleurs chevaux. C’est aussi la manière de voyager dans d’autres contrées de l’Afrique, entr’autres dans le royaume d’Ardra, où les chemins sont très-commodes ; et, quoiqu’il y ait beaucoup de chevaux, les nègres, de ces contrées, ne montent que des bœufs pour parcourir les plus grandes distances et se trouvent très-bien de cette façon d’aller.
Moore assure avoir vu un Africain qui montait une autruche, et se rendait ainsi, avec rapidité, d’un lieu à un autre très-éloigné. J’ai vu des autruches apprivoisées, dit M. de la Caille, que des nègres employaient en place de chevaux. Elles n’avaient pas plutôt senti le poids du cavalier, qu’elles se mettaient à courir de toutes leurs forces, et leur faisaient faire le tour de l’habitation, sans qu’il fût possible de les arrêter, autrement qu’en leur barrant le chemin. La charge de deux hommes n’est pas disproportionnée à leur force, et lorsqu’on les excite, elles étendent leurs aîles, comme pour prendre le vent, et s’abandonnent à une telle vitesse, qu’elles semblent perdre terre. Je suis persuadé qu’elles laisseraient bien loin derrière elles les plus forts chevaux anglais. Elles ne fournissent pas une course aussi longue ; mais, à-coup-sûr, elles la feraient plus promptement. On voit, par-là, de quelle utilité serait cet animal, si l’on trouvait moyen de le maîtriser et de l’instruire, comme on dresse les chevaux.
Nous avons dit, au commencement de cet essai, que l’Egypte avait donné l’exemple de la poste aux pigeons, et qu’on les y employait à cet usage, depuis un tems immémorial. On nous pardonnera d’ajouter encore quelques détails à ceux que nous avons donnés, à propos d’un pays si fécond en cette sorte d’oiseaux.
De Rosette au Grand-Caire, Norden dit qu’on distingue partout des colombiers de forme pyramidale, où se rassemblent d’innombrables pigeons. On prétend même qu’aujourd’hui les mariniers d’Egypte, de Chypre et de Candie, nourrissent sur leurs navires de ces sortes de pigeons. C’est, dit Belon, pour les lâcher quand ils s’approchent de terre, afin de faire annoncer chez eux leur arrivée. Le consul d’Alexandrie s’en sert pour envoyer promptement de ses nouvelles à Alep, et pour donner avis des bâtimens qui entrent dans le port. Ce trajet, qui est de trente lieues, est parcouru par les pigeons en moins de trois heures.
Toutes les caravanes qui voyagent en Arabie, font savoir, par le même moyen, leur marche aux souverains arabes avec qui elles sont alliées. Au reste, il paraît que cet usage est très-répandu en Orient, où l’on dresse les pigeons à porter et à rapporter les lettres dans les occasions qui exigent une extrême diligence[192].
[192] On remarque les mêmes habitudes chez certains oiseaux. Ceux du tropique annoncent, dit-on, l’arrivée des vaisseaux d’Europe, on les devançant de fort loin, et en venant aborder avant eux.
O combien de marins, s’écrie l’auteur des Harmonies de la Nature, ont péri sur des écueils inconnus, qui auraient pu revoir leurs compagnons, s’ils avaient pensé à les instruire de leur sort par les oiseaux ! Vous leur devriez peut-être la vie, vous et vos compagnons, ô infortuné la Peyrouse !
Mahomed-Ali, pacha d’Egypte, a fait établir, par M. Abro, de Smyrne, qui a habité Paris pendant long-tems, une ligne télégraphique d’Alexandrie au Caire, sur le modèle des machines en usage en France. Elle a dix-sept stations ; et les signaux, faits avec précision, transmettent les avis en 40 minutes de l’une à l’autre de ces villes. Cette mesure doit être commune à toute l’Egypte. Il y a, en outre, des relais à chacune des stations télégraphiques, pour correspondre d’Alexandrie au Caire.
La présence des Romains se fait remarquer encore dans ces contrées par des restes d’antiquités, des chemins, des chaussées, des ponts et des bornes militaires.
Les colonies françaises, en Afrique, ne pouvaient être privées de l’avantage des bateaux à vapeur. Deux de ces bateaux, d’une force de 32 chevaux, naviguent sur le Sénégal et remontent le fleuve jusqu’à 350 lieues de son embouchure. Ainsi, on pourra pénétrer dans des lieux où il eût été impossible de s’ouvrir des communications par terre, tant à cause des obstacles naturels, que des dangers auxquels on se trouve exposé en traversant le territoire de certaines castes africaines livrées aux habitudes les plus féroces et les plus sanguinaires. Peut-être qu’un jour l’intérieur de cette partie du monde, qui a échappé à toutes les investigations, sera explorée avec succès par le moyen de ces bâtimens qu’un moteur si puissant rend si propres aux navigations des grands fleuves.
ASIE.
Les messages se font en Turquie par le moyen des coureurs. C’est une coutume commune à tous les peuples dont les relations habituelles sont moins multipliées qu’en Europe. Si on voulait ajouter foi à certains récits, les individus que le Grand-Seigneur emploie à ce service ne devraient leur agilité qu’à l’extirpation de la rate qu’ils seraient forcés de subir. C’est sans doute de cette croyance populaire qu’est venue la façon de parler : courir comme un ératé. Mais, sans nous arrêter à cette absurde supposition, nous ajouterons que ces courriers du Grand-Seigneur, appelés valachi, vont avec une diligence incroyable. Pour éprouver moins de fatigue, ils se serrent, dit Montaigne, à travers le corps, bien estroitement, d’une bande large, comme font assez d’aultres. Ils ont le singulier privilége de démonter le premier cavalier qu’ils rencontrent, et de n’éprouver aucun refus dans cet acte arbitraire. Ils se servent de ce cheval jusqu’à ce qu’il se présente une nouvelle occasion d’en changer. Ils achèvent ainsi leur course, sans dépense pour le Sultan, sans charges pour le peuple, et sans fatigue pour eux-mêmes. Quelques individus, de tems à autre, sont victimes de cette mesure despotique ; car il est rare que ces messagers ne profitent pas de leurs droits ou manquent d’occasion d’en user. Mais l’empire absolu du Sultan sur ses sujets les rend peu sensibles à ces contre-tems.
Les lettres qu’on expédie de Londres pour l’Inde, se rendent à Vienne par Hambourg en 10 jours ; la distance est de 806 milles ; de Vienne à Constantinople, dont le trajet est du 800 milles, quelquefois en 16 jours. Cette différence est causée par la fonte des neiges et l’état des routes ; enfin, de Constantinople à Bassora, qui en est éloignée de 1800 milles (600 lieues), par l’Arménie et le Diarberk. Les Tartares, qui font le service de courriers en Turquie, et qui jouissent du singulier privilége de démonter les cavaliers qu’ils rencontrent, font ordinairement à présent ce long voyage sur des chevaux entretenus par le gouvernement. Ils s’embarquent sur le Tigre pour faire les 400 milles qui restent de Bagdad à Bassora : ce trajet, qu’ils effectuent en 4 jours, en prend seize lorsqu’ils reviennent et remontent l’Euphrate, moins rapide que le Tigre.
Le service des dépêches a lieu aussi d’Alep à Bassora par les Tartares, qui mettent seize jours à faire ce trajet sur leurs dromadaires[193].
[193] Chaque journée est de 16 à 18 lieues.
On voyage dans le désert de l’Inde à cheval ou en mohaffa, espèce de petites voitures placées comme des paniers sur le dos d’un chameau, et couvertes de rideaux supportés par un piquet établi comme un mât sur la selle.
En Tartarie, ce sont les chevaux entretenus aux dépens du grand cham qui font le service de la poste. Parmi ces chevaux aussi vigoureux qu’endurcis à la fatigue, on choisit les mieux exercés à la course pour les courriers du prince. Les clochettes que l’on place en France au cou des chevaux, sont attachées à la ceinture des courriers tartares. Le bruit qu’elles produisent d’assez loin, suffit pour donner le tems à celui qui doit continuer la course de se tenir prêt à recevoir les dépêches pour les transporter à son tour à la station suivante.
Lorsque la distance à parcourir n’est pas très-considérable, on emploie des coureurs à ce service : cette coutume était usitée chez les Romains, où des messagers à pied transmettaient les lettres de certaines villes de l’empire.
Une autre manière de voyager se remarque parmi les Tartares anguris : ils ne montent que des buffles[194].
[194] Il en est ainsi du roi de Baly et des seigneurs de sa cour.
Pendant que le capitaine Sarris était à Moka, il reçut la visite du Roi de Rahaïta, sur la côte l’Abyssinie, qui montait une vache.
Aux Indes de deçà, dit Montaigne, c’estoit anciennement le principal et royal honneur de chevaucher un éléphant ; le second, d’aller en coche traîné à quatre chevaux ; le tiers, de monter un chameau ; le dernier et plus vil degré, d’être porté par un cheval seul. Quelqu’un de nostre temps escrit avoir veu, en ce climat là, des pays où on chevauche les bœufs avecques bastines, estriers et brides, et s’estre bien trouvé de leur posture.
Mais la manière la plus usitée de voyager, c’est de se faire porter en palanquin, espèce de pavillon sur un brancard plus ou moins élégant, selon la condition des particuliers. Sa forme ordinaire est celle d’un coffre, de 6 pieds de haut, sur trois et demi de large : il est entouré de persiennes. On peut s’y coucher facilement en reposant sa tête sur une planche en pente ; mais il faut se tenir dans le milieu pour être bien porté.
Le palanquin est soutenu par un bambou qui avance de trois ou quatre pieds de chaque bout et qui est fixé très-solidement dans le milieu ; c’est là que les boës ou porteurs y placent leurs épaules de manière à se croiser : ils sont toujours au nombre de six, trois sur le devant et autant sur le derrière. Ces boës n’ont pas d’autre métier. Ils font ordinairement deux lieues par heure, courent plus qu’ils ne marchent, et se relayent sans qu’on s’en aperçoive. S’ils trouvent un étang, ils s’y mouillent les pieds et le visage, pour reprendre des forces. La journée d’un boës est de douze ou quatorze lieues. On en prend toujours une douzaine, et on les établit par relais : c’est la poste du pays. Le prix d’un palanquin à Madras est de deux roupies et demie par jour.
Les grands et les femmes de qualité, lorsqu’ils voyagent, choisissent de préférence des éléphans, sur le des desquels on dispose de larges pavillons richement ornés. On les emploie aussi à traîner les voitures[195]. La charge d’un éléphant est de trois ou quatre mille livres. Ces animaux, lorsqu’on les monte, ne bronchent jamais ; mais, en revanche, leurs mouvemens ne sont pas très-doux. Ils font au pas ordinaire autant de chemin qu’un cheval au petit trot, et autant que les chevaux au galop, lorsqu’ils accélèrent leur marche. La journée d’un éléphant est de 20 lieues ; quand on le presse, il peut en faire 30 et même 40[196].
[195] La voiture de cérémonie de l’empereur des Birmans, prise par les troupes anglaises au commencement de la campagne [1825], est arrivée en Angleterre. Tout est extraordinaire dans cette voiture dont l’or forme la base, et qui est couverte de milliers de diamans et des pierres les plus précieuses. Elle a 25 à 30 pieds de hauteur ; elle est traînée par des éléphans. C’est un chef-d’œuvre qu’il eût été difficile de surpasser en Europe.
[196] Chardin prétend que l’éléphant en marchant ne fait pas plus de bruit qu’une souris, qu’il va fort vîte, et que, s’il vient derrière vous, il est sur vos talons avant que vous vous en aperceviez. (Bernardin de Saint-Pierre.)
Les routes dans l’Inde sont assez belles et formées d’une espèce de brique. Elles sont très-fréquentées par les habitans qui visitent sans cesse les pagodes qu’on y trouve en très-grand nombre, soit à pied, à cheval, ou en gadi, espèce de voiture attelée de bœufs. Les grandes routes, anciennement tracées, étaient divisées par stades de dix en dix, pour guider les voyageurs et marquer les distances. On avait construit des lieux de repos pour les caravanes, auprès desquels on creusait des étangs et des puits, afin de remédier, autant que possible, à la disette d’eau. Un passeport, toujours écrit en malabare, en persan, et en talinga, est indispensable pour parcourir ces contrées : les pions l’exigent strictement des voyageurs.
A Madras, la plupart des routes sont spacieuses, bien entretenues et bordées, de distance en distance de rangées d’arbres, soit de bamboues, de cocotiers, de palmiers ou autres plantes élevées. La route qui conduit au fort Grammont, éloigné de 4 lieues de la ville, est surtout très-remarquable. On est étonné de la quantité de voitures, cabriolets, de palanquins qui circulent au déclin du jour ; de la beauté et de la parure des chevaux arabes que montent les Anglais ; et de l’attelage de certaines voitures indiennes conduites par des bœufs superbes, richement caparaçonnés et dont les cornes sont peintes et souvent dorées.
L’industrie et le commerce si actif de l’Inde exigeaient des moyens faciles de correspondre. Les Anglais qui en sentaient la nécessité, les établirent ou les perfectionnèrent. Les présidences de Calcutta, de Madras et de Bombay firent, à cet effet, des réglemens de poste, en 1793, sous la surintendance générale de Charles Elphinstone. Des relais de tapals furent établis à 7 ou 8 milles de distance l’un de l’autre, et leur diligence surpassa toute attente.
Cette organisation régulière a servi au Nabab d’Arcate pour entretenir des relations avec les provinces méridionales : ses lettres ont généralement parcouru cent milles en vingt-quatre heures[197]. Les coureurs employés à ce service, toujours au nombre de deux, portent chacun un sac de cuir placé sur le dos comme le havresac d’un soldat. Ils ont aussi une torche allumée pendant la nuit, et le jour un bassin en cuivre, sur lequel ils frappent continuellement pour effrayer les animaux féroces, très-redoutables dans ces climats.