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Des soirs, des gens, des choses... (1909-1911)

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The Project Gutenberg eBook of Des soirs, des gens, des choses... (1909-1911)

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Title: Des soirs, des gens, des choses... (1909-1911)

Author: Ernest La Jeunesse

Release date: June 7, 2020 [eBook #62337]
Most recently updated: October 18, 2024

Language: French

Credits: Produced by Clarity, Hans Pieterse and the Online
Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This
file was produced from images generously made available
by The Internet Archive/Canadian Libraries)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DES SOIRS, DES GENS, DES CHOSES... (1909-1911) ***

Au lecteur

Table des matières

Table alphabétique

Des soirs,
des gens,
des choses...

DU MÊME AUTEUR


  • Les Nuits, les Ennuis et les Ames de nos plus notoires contemporains, 1896.
  • L’Imitation de notre maître Napoléon, 1897.
  • L’Holocauste, roman, 1898.
  • L’Inimitable, roman, 1899.
  • Demi-Volupté, roman, 1900.
  • Sérénissime, roman, 1900.
  • Cinq ans chez les sauvages, 1901.
  • L’Huis clos malgré lui, 1901.
  • Le Boulevard, roman, 1906.
  • Le Forçat honoraire, roman, 1907.

Pour paraître prochainement

  • L’Épée au fourreau, roman.
  • Les Ruines, pièces en quatre actes.
  • La Dynastie, pièces en quatre actes.
  • Un peu d’immortalité.
  • Les Franges du Crime.
  • Poireau.
  • Le Chien jaune et la Cheminée.
  • Le Fossé de Bethléem.

A HENRI LETELLIER
au directeur, à l’ami

ERNEST LA JEUNESSE

PRÉFACE

Ah! ce fut un bien beau jour, mes enfants, que le jeudi 18 février de l’an de grâce 1909!

Il y a des printemps qui boudent et d’autres qui se recueillent, mais ce printemps-là éclatait dans un soleil d’or pâle et déjà chaud, dans une magnificence caressante et tutélaire, s’installant en plein hiver, comme chez lui, faisant des risettes à la Seine et mordant à cru la Coupole. J’avais déjà entendu le tonnerre en janvier, mais c’était à l’époque où l’Exposition universelle de 1900 emmagasinait toutes les étrangetés et j’avais, moi-même, assez de chagrins d’amour et autres pour appeler la foudre sur mes orages personnels. Ce jeudi, donc, après des prodiges affreux qui avaient emporté Coquelin aîné, Catulle Mendès et Coquelin cadet, il n’y avait guère qu’un miracle: la réception à l’Académie française de Jean Richepin par Maurice Barrès. J’avais assisté, en toute indignité, à cette apothéose encore touranienne. Siégeant, par mégarde, aux côtés de Mme et de M. Raymond Poincaré, qui étaient encore dans le civil et qui acceptaient avec la plus exquise bonté les félicitations les moins prématurées sur leurs élévations si proches, j’avais été quérir un refuge très haut, dans un coin, auprès de deux dames qui me parurent de tout repos et qui se trouvèrent être, modestement, Blanche Pierson et Julia Bartet. J’eus la joie de reconnaître le talent de Bartet à plier le manteau de Pierson dont elle fit un petit rien entre les pieds de Descartes, je crois. Ce fut une cérémonie intime: le Palais-Mazarin était plein à craquer, d’enthousiasme, et Sarah Bernhardt se tint debout, sur un pied, avec un héroïsme riant. Il n’y avait que du théâtre. Était-ce un présage?

Tant y a que, le soir, j’apportais triomphalement, à l’accoutumée, mon pâle récit de la fête au secrétaire de la rédaction du Journal, mon infatigable et excellent ami Alexis Lauze. Les historiens de l’avenir feront sa place à ce philosophe taciturne et débonnaire, à ce démiurge timide qui n’a qu’un confident (ou une confidente): sa pipe, et qui a la sagesse de savoir que les mots sont faits non pour être prononcés, mais pour être imprimés de temps en temps. Cet humoriste n’eut pas un regard pour ma copie. Il me dit, le plus négligemment du monde:

Voici des places pour le Gymnase.

Que joue-t-on?

—L’Ane de Buridan.

Quand?

Ce soir, je pense.

Et il ajouta, sans y mettre de cruauté:

Vous ferez le compte rendu.

J’étais précipité dans la critique dramatique!

Mes enfants, mes enfants, ne vous excitez pas, ne vous révoltez pas, ne criez pas au guet-apens! J’étais prévenu, très vaguement. D’impavides alliés: Jacques Dhur, représentant des couches profondes et de la Nouvelle-Calédonie, Arnold Fordyce, délégué du ciel, Sem, alors ambassadeur du bois de Boulogne et d’autres que je n’oublie point avaient soutenu ma candidature à la succession fugitive du pauvre et grand Catulle avec une chaleur qu’excuse seule la tendresse de la température d’alors. J’avais déjà vu des salles de spectacles, j’avais déjà été joué, notamment par André Antoine, je n’étais plus un enfant (si j’ai jamais cessé de l’être), je trottais l’amble vers mes trente-cinq ans et j’avais été critique dramatique, une fois ou deux, à la Revue blanche, après Lucien Muhlfeld, Léon Blum, Romain Coolus et Alfred Athis, ce qui me crée une ancienneté illustre et légendaire. Le soir de mon entrée en fonctions qui devait être obscure et secrète, j’eus l’unique consolation de parler art militaire avec le commandant Targe. Car—ce n’est pas pour la rime—je n’en menais pas large du tout. Arriver, presque en retard, dans une loge dédaigneuse, la barbe longue, le veston fripé, être zyeuté par une multitude d’élégantes effarouchées, par des tas de fracs sous lesquels bouillonnent des ambitions et des appétits, sentir une sorte d’écume qui froufroute et qui glougloute: «Lui! Lui! Ça! Ça! Pourquoi ça?», être toisé, discuté, exécuté, ça compte pour la retraite, mes enfants, et pour l’instant aussi. Si l’on me fit un peu grâce, c’est que ça ne pouvait pas durer et que j’étais mal habillé. Quelle joie! Je puis confesser ici—c’est si loin—que je n’avais pas eu le temps de mettre mon habit et que le seul vêtement qui m’aille, c’est l’habit noir: j’ai failli naître sous le prince président, un peu avant M. Paul Bourget. Mais le pli était pris: je suis très entêté à faire ce que je ne veux pas faire et ce que je ne devrais pas faire—et ç’a a été si profitable et si facile pour les revuistes et autres garçons de caricature que je n’ai plus aucun remords. J’en suis quitte pour admirer de plus près ma collection de costumes, avec une affection plus jalouse et une science plus secrète—et c’est quelque chose!...

Mais nous parlions d’art dramatique, je crois, et de magistère. Pendant plus de trente mois—je fonderais les trente mois de critique pour faire concurrence à l’anticubiste Adrien Bernheim si je n’avais pas aujourd’hui cinquante-quatre mois de bâtiment et ce n’est pas la classe!—Pendant plus de trente mois, dis-je, je fus sur la brèche et comme l’oiseau sur la branche. Paré du beau nom d’Intérim, d’abord, orgueilleusement anonyme ensuite, je tins gravement dans sa gaine grise un sceptre de critique plus secoué qu’un trône portugais. Je me rendrai cette justice que je fis mon devoir jusqu’au bout—et je continue—avec l’héroïsme le plus simple, sans parler du sourire. Le jour de l’enterrement de mon père, j’assistais à la générale du Bois sacré et, entre deux évanouissements, j’écrivais un compte rendu que Jeanne Granier voulut bien trouver «magnifique», et qui, en tous cas, ne recèle rien de ma lassitude et de ma douleur. D’autres soirs, j’étais absolument mort, en personne, et, si la pièce ne m’a pas ressuscité, je n’en ai rien laissé sentir.

C’est donc un peu pour moi que je publie ces pages lointaines et auxquelles Maurice de Brunoff, prince-né des éditeurs volontaires, donne une somptueuse et spontanée hospitalité. Il ne me déplaît pas de revivre des heures diverses et des batailles contraires où flotta mon vain fanion d’arbitre (car c’est le public seul qui décide), de revivre de grandes et rares victoires et de me rappeler que j’en fus et que mon témoignage ne fit pas tort à l’événement. J’éprouve une douceur aussi à reconnaître mes enfants, à mettre mon nom au fronton d’une œuvre au jour le jour où j’ai laissé, malgré tout, quelque chose de moi-même, et des années et du sang et de la fièvre.

Ajouterai-je que, à une époque où un chacun réunit en recueil ses appréciations de ceci ou de ça, je ne pouvais pas, pour mes camarades de province, encourir le reproche d’avoir sommeillé mon saoul tant de soirs et de nuits où j’eus dure veillée? Et il m’est si agréable de nouer, en bouquet, les trop légitimes fleurs, fanées et éternelles, que je décernai, dans des épithètes à renversement, à des auteurs, à des artistes interchangeables et immuables!

La parade a assez duré, le boniment aussi. Vous trouverez, mes enfants, dans un autre tome prochain, plus direct et plus intime, mes idées sur le théâtre. Ici, je conte, je conte. C’est de l’histoire et de la vie!

Ernest La Jeunesse.
28 août 1913.

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