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Éloge de la paresse

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VÉRITABLE INTENTION DE DIEU

Ajax, dit Ghirlandaio, a certainement raison, puisqu’il est du même avis que Dieu.

— Attention ! dit Mme Reine, tandis que Savonarole sautait de joie.

— Ayez confiance, intervint Minerve.

Et Ghirlandaio :

— Dieu n’a pas imaginé, comme l’on dit quelquefois, et tous nous sommes tombés dans cette erreur, que le travail fût un châtiment dans tous les cas. Mais il eut lui-même une idée de l’oisiveté féconde, ou du loisir, qui rend notre Ajax tout à fait orthodoxe. J’en administre la preuve.

Il reposa une étrange et belle pipe qu’il fumait, qui est taillée dans une calebasse. Charlemagne en est jaloux et Fabrice la nomme Virginie, pour son aspect colonial.

— Adam et Ève n’ont pas encore désobéi. Que dis-je ? Il ne semble pas qu’Ève soit déjà née. Adam vit seul et dans l’innocence entre les quatre fleuves. Je n’ai point parlé par redondance. Les quatre fleuves étaient bien quatre. C’étaient quatre canaux, issus de la même fontaine : Phison, dans le pays de l’or, du bdellion et de l’onyx ; Géhon, qui coule en Éthiopie ; le Tigre et l’Euphrate, que nous connaissons mieux. Adam vient d’être formé du limon de la terre. Dieu vient de répandre sur son visage un souffle de vie. Il vient d’introduire sa créature dans le délicieux jardin qu’il avait planté dès le commencement… Je cite : « Le Seigneur Dieu prit donc l’homme et le mit dans le paradis de délices, afin qu’il le cultivât et le gardât. » Travail ingénu, gratuit, rose sans épine. Adam est capable de goûter la saveur d’un fruit, ses yeux jouissent de la beauté d’un arbre. Il ignore l’affreux aiguillon du besoin. Avant de devenir si misérable, il était pareil à un patricien romain ou à un berger de pastorale : amabat otia.

Après leur crime, ce crime énigmatique qu’aucune glose ne finira jamais d’expliquer, Adam et Ève reconnaissent qu’ils sont nus et se cachent. Les approches du destin ont quelquefois un air de familiarité. Nous voyons le Seigneur Dieu « se promener dans le paradis », en appelant les hommes, ces deux-là. Et c’est Adam qui répond, qui paraît. Il avoue qu’il a eu peur. Nous le voyons faiblir, nous l’entendons élever, pour la première fois, une plainte qui sera reprise d’âge en âge : « La femme que vous m’avez donnée… » Les misères qui seront les misères du genre humain fondent à ce moment sur le premier couple. En punissant, Dieu trace le plan d’une vie nouvelle, où perce la condition du rachat. Le sort des hommes gardera une clarté et une harmonie qui seront les reflets du jardin. Le reste, tout ce qui semblera absurde ou trop cruel, est la marque du châtiment, ineffaçable avant le dernier jour. Au serpent : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme… » C’est l’épouvante des mères et des fils devant les monstres. Virgile s’en souvient encore lorsqu’il parle, dans les Géorgiques, des noirs serpents de Jupiter. A la femme : « Je vous affligerai de plusieurs maux, vous enfanterez dans la douleur, vous serez sous la puissance de votre mari et il vous dominera… » A Adam ! « La terre sera maudite à cause de ce que vous avez fait, et vous n’en tirerez de quoi vous nourrir qu’avec beaucoup de travail, elle vous produira des épines et des ronces, vous vous nourrirez de l’herbe de la terre… »

La punition a été de muer le passe-temps du jardin de délices en travail contraint sous peine de mort ; le plaisir et le jeu, en nécessité.

Inversement, l’effort pénible tenant à l’imperfection de notre intelligence et à la faiblesse de notre être physique, il doit être exclu des actes divins. Et les jeux, les plaisirs de l’oisiveté ne peuvent donc être criminels, s’ils distinguent la création divine. Dans la Bible, la genèse du monde est radieusement aisée. De telle sorte que le repos du septième jour paraît une grâce conçue à notre intention.


Au seuil des divins vergers, lorsqu’ils partirent, Ève n’avait pas encore un nom. Elle était le double, elle était l’ombre de l’homme. Ce fut Adam qui la nomma Ève, parce qu’il l’aimait, sans doute ; Ève, la Vie, parce que d’elle allaient naître tous les vivants. Cela n’a plus aucun rapport avec ce que nous cherchions, mais la pensée s’y arrête volontiers.

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