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En Pénitence chez les Jésuites: Correspondance d'un lycéen

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AUJOURD’HUI

Mars 1903.

Le lendemain de cette distribution, je suis parti avec Jean pour subir mes examens : nous avons été reçus le même jour, avec la même mention honorable. Ensuite j’ai passé chez lui une semaine charmante : on m’a traité comme si j’avais été de la famille.

J’y ai vu Marguerite, qui avait quinze ans et ressemblait à son frère comme une goutte d’eau limpide ressemble à une autre goutte d’eau limpide. Elle était trop enfant pour garder mon souvenir : moi, je ne l’ai plus oubliée. Six ans après, quand je fus docteur en droit, je la revis et, sur le bon témoignage que me rendit Jean, ses parents voulurent bien me la donner. Elle est la crème des épouses et des mères, une seconde Jeanne.

Le jour où Marguerite est devenue ma femme, Jeanne devenait celle de Louis, qui est aujourd’hui le premier avoué de X… Elles s’aiment comme deux sœurs ; Louis et moi sommes restés frères.

Dieu a béni ces deux unions en nous envoyant de charmants enfants, qui font notre joie et celle de leurs trop bons grands-parents. Il a prélevé la dîme sur les miens, en m’enlevant mon premier né, retourné au ciel à deux ans ; mais ce cher ange protège de là-haut ses frères et sœurs. J’avais mis les deux suivants dans mon collège, dont le P. Jean, leur oncle, dirigeait les études comme Préfet. L’an dernier, la loi scélérate ayant jeté les Pères à la porte de leurs maisons, mon aîné, qui venait de gagner ses deux diplômes, m’annonça que Dieu l’appelait à les suivre en exil au noviciat. J’en suis fier.

Il me reste trois garçons. Le plus âgé va avoir quinze ans : il continue provisoirement ses études au collège, sous de nouveaux maîtres qui s’attachent à conserver les anciennes traditions de la Compagnie de Jésus. Si l’iniquité triomphe tout à fait et si on leur retire, à eux aussi, le droit d’enseigner, mon fils ira chercher à l’étranger, au bout du monde s’il le faut, auprès des religieux expulsés, l’éducation chrétienne, proscrite en France, et plus tard ses jeunes frères le rejoindront. Aucun d’eux, à aucun prix — je l’ai juré devant Dieu — ne mettra les pieds dans un lycée. Pourquoi ? Ceux qui ont lu ces Lettres le savent : c’est parce que j’y ai passé. L’âme de mes enfants m’est plus chère que tout le reste, plus chère que leur vie et que leur avenir terrestre : je ne la livrerai point, et personne ne me l’arrachera.

Ma situation indépendante me permet de pratiquer ma foi publiquement, à la barbe des sectaires d’en bas et d’en haut. Je suis conseiller général et je serai député. Le gouvernement actuel, qui ne m’inspire pas plus de crainte que d’estime, peut être assuré d’avance que je combattrai de tous mes moyens d’honnête homme sa politique odieuse, qui, sous des prétextes plus hypocrites les uns que les autres, ne sait que tyranniser nos consciences, rançonner nos bourses et humilier notre patriotisme. J’espère ne pas être seul dans cette lutte pro aris et focis.

Quant à l’Université officielle, que ma naïve jeunesse rêvait de convertir, le temps et les événements ont bien changé mes idées. Depuis qu’elle s’est faite la plate complice des projets maçonniques et que, pour assurer son triomphe, elle accepte sans honte l’étranglement de la libre concurrence, la machine n’est plus seulement avariée : elle est malfaisante. Dès que les honnêtes gens seront redevenus les maîtres, ils feront bien de la mettre au rancart et de la remplacer par un système plus conforme aux droits sacrés du citoyen et du père de famille. Je ne demande pas que le monopole passe de la gauche à la droite : je ne veux aucun monopole, ni officiel, ni déguisé. Mais j’entends que la loi m’assure la liberté de faire instruire mes enfants selon mes convictions, par les maîtres de mon choix et sans préjudice pour leur carrière. Hors de là, il n’y aura ni justice ni sécurité.

Récemment, un de ces libéraux de comédie, qui votent toutes les oppressions, clamait à la Chambre : « La liberté est en marche ! » Nous relevons ce mot pour la vraie liberté, la liberté de tous. Oui, malgré toutes les apparences contraires, elle est en marche, et si l’Université prétend lui barrer le chemin, cette liberté-là passera sur le corps de l’Université, qui n’aura que son dû.

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