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Faiseurs de peines et faiseurs de joies

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FAISEURS DE PEINES
ET
FAISEURS DE JOIES

CHAPITRE PREMIER
FAISEURS DE PEINES

Temer si dee di sole quelle cose,
C’hanno potenza di far altrui male.

Dante.

La souffrance est la grande éducatrice. Sans elle, l’âme humaine resterait un champ brûlé, sec et stérile. Le malheur est semblable à la pluie qui, pénétrant dans les profondeurs de la terre, fait germer les semences. Le bonheur est comme le soleil, il éclaire, réchauffe, et, sous son influence, les arbres et les plantes fleurissent. L’homme a donc besoin de l’un et de l’autre. Si la félicité constante retarde son évolution, la continuité de la douleur a pour effet certain de le déprimer jusqu’à le rendre incomplet, incapable de produire des fleurs odorantes et des fruits savoureux : à lui aussi, il faut des saisons de joie pour s’épanouir et rayonner.

Mais comment arriver à ce juste équilibre, comment dispenser en parts égales les sourires et les larmes, distribuer à chacun la dose qui lui convient des deux éléments ? Cette répartition, quels que puissent être dans l’avenir les progrès de la science et les perfectionnements sociaux, est et restera impossible. Le grand distributeur des biens et des maux en fera toujours à sa guise. L’homme, cependant, pourrait éviter partiellement la souffrance, d’abord en apprenant à se bien aimer[1], ce qui écarterait de sa vie les chagrins inutiles, et, ensuite, en s’imposant le devoir d’être aussi peu que possible, pour autrui, un faiseur de peines.

[1] Voir le chapitre : « Le faux amour de soi », dans Ames dormantes.

Aujourd’hui, lorsque nous souffrons de l’injustice, de la mauvaise foi, de l’intolérance, de la jalousie, de la méchanceté de notre prochain, nous ne pouvons plus accepter ses coups d’estoc et de taille comme des épreuves venant directement de Dieu, pour nous punir de nos manquements et de nos erreurs. Cette conception moyenageuse a cessé de correspondre à la mentalité moderne ; nous savons que les blessures par lesquelles notre sang coule sont simplement le résultat des intentions venimeuses du cœur d’autrui. Or, est-il nécessaire que ce cœur soit rempli de sentiments hostiles, d’envies de nuire et de désirs injustes ? Si l’homme se rendait compte du mal qu’il cause, peut-être apprendrait-il à se contrôler davantage et à réfléchir aux responsabilités qu’il assume en cédant à ses impulsions malfaisantes.

Mais devenir conscient du résultat de ses actes indique déjà la possession d’une conscience relativement active. Or, il y a une foule de personnes qui ont étouffé la leur — si elle a jamais fonctionné — et pour lesquelles savoir qu’elles donnent du chagrin équivaut à les pousser à en donner davantage. Elles sont, en tous cas, absolument indifférentes aux peines qu’elles causent. Faire souffrir leur semble une preuve de puissance. Dans leurs yeux — ce sont même souvent de beaux yeux — passent des lueurs malignes, et l’on voit la pointe de leurs doigts s’enfoncer dans la paume de leur main comme dans le cou d’une victime qu’on étrangle.

Le raisonnement ni la pitié ne peuvent rien sur ces cœurs. Pour les attendrir, il faudrait de bien autres bouleversements, et la réflexion ne les amènera jamais à une vue nette de leurs responsabilités. Ce n’est pas pour eux que j’écris ces pages, mais pour ceux qui, tout en faisant souffrir, parfois jusqu’à la cruauté, ont cependant dans leurs âmes de vagues aspirations de bonté, de justice, de droiture…


« Tous nos chagrins nous viennent des autres. » Cette affirmation pessimiste d’un homme auquel la vie n’avait plus rien à apprendre, renferme une part de vérité, mais, pour la rendre complète, il faudrait ajouter : « et toutes nos joies en dérivent ». En effet, les esprits capables de sentir la beauté et le charme de la solitude sont rares. Les mots : Beata solitudo, sola beatitudo sont compris de peu d’âmes, et même celles qui ont le plus besoin de silence, qui ne sauraient vivre sans des heures de méditation, ne peuvent supporter un trop long isolement. « Rien de grand ne se fait sans la solitude », disait Lacordaire ; mais les heures où l’on essaye de faire grand sont rares et courtes, et il y a des cœurs qui n’y aspirent jamais.

Du reste, quelles que soient les tendances intérieures de l’esprit, la plus grande partie de l’existence des individus normaux s’écoule en contact avec les autres hommes. Nous avons besoin les uns des autres, et sommes, par conséquent, les uns pour les autres, des sources constantes de peines ou de joies.

Les êtres absolument indépendants, qui n’appartiennent à aucune communauté, qui ont secoué le joug de la famille, se trouvent, eux aussi, sauf quelques cas de misanthropie accentuée, dans les mêmes conditions. Il faut être arrivé à un haut degré d’évolution et se trouver en communion intime et permanente avec Dieu et les amis invisibles, pour ne plus souffrir des variations d’humeur des autres hommes, pour supporter avec sérénité et indulgence leurs torts et leurs défauts. Mais ce sont là des situations mentales fort rares et la plupart des êtres se replient douloureusement aux contacts désagréables et s’épanouissent aux contacts affectueux, encourageants et doux… Aussi, en réfléchissant à ce que l’on peut pour ou contre le bonheur d’autrui, on se sent écrasé et l’âme se met à trembler.

Si nous pouvions procéder à un minutieux examen rétrospectif de toutes les phases de notre existence passée, de nos douleurs et de nos joies, des pas en avant et des pas en arrière qui ont avancé ou retardé notre marche, et des tendances imprévues qui, pendant une courte durée, ont semblé s’éveiller en nous ; si nous nous rappelions les arrêts et les progrès subits de notre développement intellectuel et moral, les jours de courage et les jours de découragement qui se sont succédé sans cause apparente et ont, tour à tour, élevé ou abaissé la température de notre vie intérieure, nous nous rendrions compte de l’influence que les pensées et les paroles de notre prochain ont eue sur les oscillations de notre être.

Les hommes subissent l’impulsion de forces diverses d’action et de réaction : celles des puissances invisibles, celles de leur propre ego, celles des existences antécédentes qu’ils ont peut-être vécues, celles de l’atavisme et celles enfin de leur prochain. Ces dernières sont les plus facilement réalisables et analysables.

Parents, instituteurs, amis, indifférents, tous ont une part dans nos plaisirs et nos tristesses. Les premiers dirigent nos vies ; les seconds, nos pensées, par les livres qu’ils nous font lire ; les troisièmes notre sentimentalité ; les derniers représentent l’opinion publique qui exerce également une action considérable sur notre orientation morale. Du jour de sa naissance au jour de sa mort, l’homme est donc la proie des autres. Si le cercle des influences qu’il subit est restreint, elles n’en sont que plus profondes et actives. S’il est plus étendu, elles sont indirectes, complexes et moins reconnaissables, mais tout aussi réelles.

Dans la formation de notre esprit et les vicissitudes de notre vie, la part des autres est immense, sans que nous nous en rendions nettement compte. Ceux qui échappent à la domination de leur entourage subissent l’influence du prochain par les courants de la pensée générale, auxquels nul ne peut se soustraire complètement. Les plus farouches défenseurs de leur indépendance dépendent, eux aussi, d’autrui, pour certains de leurs plaisirs et de leurs chagrins, à moins qu’ils n’aient réussi à supprimer dans leur être toute sentimentalité et toute sensualité.

L’affirmation de ce que les autres peuvent pour ou contre nous est indéniable, et pourtant la proposition contraire est vraie également : le bonheur et le malheur de l’homme résident surtout en lui-même. Et cela, non seulement en raison des satisfactions que lui donnent la richesse ou la pauvreté de sa vie intérieure et ses communications avec le divin, mais parce qu’il peut apprendre, par la culture d’une certaine philosophie, à jouir des rayons de chaleur qu’irradie la sympathie humaine et à opposer aux vents glacés de l’hostilité une cuirasse d’indulgence, de patience et de froideur. Au contraire, s’il se laisse aller au pessimisme et à la violence de ses impressions, il contribue à augmenter, jusqu’à l’invraisemblable, la somme de souffrances que lui cause autrui.

En résumé, l’homme est en grande partie l’artisan de sa propre destinée, mais cependant l’influence du prochain sur son bonheur, son malheur et l’orientation morale de sa vie est immense et décisive. Il croit y échapper en s’enfermant avec ses livres et ses souvenirs. Mais que sont les livres ? Les pensées des autres. Que sont les souvenirs ? Le rappel des jours passés avec les autres, des peines et des satisfactions qu’ils nous ont données. L’homme ne pourra donc assurer ses joies possibles et échapper aux douleurs inutiles qu’en modifiant ses rapports avec ses semblables.


Quelles que soient les améliorations qu’il est possible d’espérer dans les relations des hommes entre eux, il y a évidemment des séries de douleurs auxquelles l’être humain ne pourra jamais échapper : la pauvreté, la maladie, la mort ! Souvent les uns et les autres sont provoqués ou précipités par les efforts d’autrui. Il est certain, cependant, qu’indépendamment des mauvaises volontés humaines, l’homme est destiné à souffrir et à voir souffrir, à mourir et à voir mourir, ce qui suffit à rendre sa destinée tragique. Le stoïcisme ou la résignation peuvent lui apprendre à souffrir avec fermeté, sans se plaindre ; mais voir souffrir ceux qu’il aime, rien ne pourra lui enseigner à le supporter sans un intolérable déchirement d’âme. Il est presque plus facile de voir mourir.

Sans arriver à accueillir la mort des siens avec des manifestations de joie, comme le faisaient, paraît-il, les anciens Égyptiens, les cœurs très pieux trouvent dans la conviction profonde du revoir certain et de l’entrée des disparus dans la vie bienheureuse, une consolation à la séparation momentanée. Pour eux les morts ne sont pas des absents, ils sont des invisibles.

Aucune espérance ne vient par contre adoucir l’angoisse causée par la souffrance des vivants que nous aimons ; elle broie le cœur, et le plus ferme esprit ne parvient pas à l’étouffer. Tant qu’il s’agit de lutter, de disputer à la pauvreté, à l’insuccès, à la maladie, des êtres chers, avec l’espoir de réussir, une force soutient ; mais devant l’irrémédiable, la liqueur amère se boit jusqu’à la lie et une intolérable sensation d’impuissance torture l’âme.

Les cœurs vaillants parviennent à opposer le stoïcisme à leurs souffrances personnelles, mais ils ne les sentent que davantage peut-être, car la douleur qui ne s’extériorise pas, creuse en profondeur. Tous d’ailleurs ne sont pas des cœurs vaillants ; ceux-ci même sont très rares. La seule idée de la maladie terrorise certaines âmes, et elles ne voient dans la mort que « la reine des épouvantements ». Ces âmes tremblantes n’hésitent pourtant pas à causer à des êtres destinés, eux aussi, à la souffrance, à la maladie, à la disparition, un surcroît de chagrins déprimants, rongeants, inutiles… Il y a quelque chose à la fois de tragique et de puéril dans les peines que nous nous infligeons les uns aux autres, sachant que nous sommes tous des condamnés à mort qui ne peuvent être sûrs du lendemain.

Vivre pour soi, ne pas compter sur les autres, se renfermer dans les satisfactions égoïstes, représente pour beaucoup d’esprits la suprême sagesse. Ils se croient indépendants, et ils sont d’autant plus esclaves ; car, même pour les plus personnels et matériels plaisirs, le concours d’autrui est indispensable, sous quelque forme que ce soit. Les joies de l’ambition satisfaite dépendent de l’admiration des autres ; celles de l’amour, de la tendresse ou de la complaisance des autres ; celles du confort, de l’intelligente organisation du travail des autres, et ainsi de suite, indéfiniment. Nous ne pouvons échapper à ces contacts et à cette dépendance.

Ceci établi et constaté, les éducateurs intelligents devraient se préoccuper de diminuer les souffrances humaines, en éveillant les consciences sur ce point spécial, en forçant l’homme à reconnaître l’énorme responsabilité qui lui incombe dans les peines qui attristent le monde. Le jour doit arriver où tout être sincère et non méchant apportera le même soin à ne pas être un faiseur de peines qu’à ne pas commettre une action reconnue malhonnête ou violemment cruelle.

La préoccupation de ne pas aggraver les malheurs d’autrui se borne forcément à l’entourage direct ; l’homme ne peut envisager beaucoup au delà la répercussion de ses actions. Cependant, le moindre mouvement accompli ayant une influence indirecte et indéterminée sur le mouvement général, le bien qu’on fait à quelqu’un peut avoir pour résultat le malheur d’un inconnu. C’est pourquoi Renan raconte, dans ses Souvenirs, qu’il était arrivé à la détermination de ne jamais recommander personne, de crainte de commettre une injustice. Mais en poussant cette théorie à l’extrême, on arrive au plus effroyable égoïsme, sans rétablir le règne de l’équité.

L’homme est, aujourd’hui encore, un être extrêmement limité, et peut-être le restera-t-il toujours ; la sphère où il agit directement est fort restreinte. Sa pensée seule peut dépasser les bornes de l’horizon que ses yeux perçoivent, et se répandre au loin. Mais, pratiquement, il n’a guère pour prochains que ceux dont la vie se mélange à la sienne par la famille, par l’amitié, par les intérêts communs. S’il se donnait comme devoir, — sans se désintéresser des grandes préoccupations humaines, — de ne pas rendre malheureuses, par sa faute, les existences qui dépendent de lui, un pas immense serait fait, et une bonne partie des peines sous lesquelles succombent les habitants de la terre, s’allégerait merveilleusement.

Mais comment amener les hommes à cette résolution, ceux surtout dont l’éducation n’est plus à refaire et qui ont vécu jusqu’ici parfaitement insouciants des conséquences de leur caractère et de leurs façons d’agir ? La plupart même n’ont jamais pensé aux dommages qu’ils ont causés. Quelques rares âmes délicates et sensibles sentent seules le scrupule d’avoir affligé, découragé, froissé… Les autres foulent d’un pied paisible les petites fleurs qui croissent sur le sentier où elles marchent ; leurs mains brutales écornent et brisent ce qui passe à leur portée, et elles écartent avec une dédaigneuse indifférence les obstacles qui les gênent. Les violents, les maussades, les injustes, les jaloux torturent la vie des autres, sans presque en avoir conscience, tellement il est admis que l’on peut avoir un détestable caractère sans risquer la mésestime.

Or, c’est là le point sur lequel la mentalité humaine doit se transformer. Les défauts de caractère méritent d’être considérés comme des tares morales, et jugés comme tels. L’opinion publique est seule capable de produire ce mouvement de pensée ; l’essentiel est d’établir un courant, pour faible qu’il soit ; il s’élargira ensuite et dominera les esprits. Lorsqu’il sera admis que tourmenter son prochain équivaut à le dépouiller de sa bourse, les gens ne lâcheront plus aussi facilement la bride à leurs tendances irritables, impérieuses, intolérantes et injustes. Certains êtres s’arrogent le monopole de cette licence et en tirent même une sorte d’orgueil étrange qu’ils décorent du nom de courage ou de franchise, et peut-être sont-ils de bonne foi ! Mais cette bonne foi est basée sur une telle erreur de jugement, qu’on ne peut en tenir compte.

La formation d’une opinion publique sur cette matière est donc le seul remède aux maux variés que les hommes se causent entre eux. Il est nécessaire d’établir des courants de pensée en ce sens, et tous doivent s’y essayer. L’analyse des sentiments et des mobiles qui poussent les gens à se tourmenter les uns les autres est le premier pas à faire dans cette voie ; le second est de leur ouvrir les yeux sur les conséquences, souvent désastreuses, de leurs actes et de leurs paroles. Il faut, en somme, que l’être humain devienne conscient, l’inconscience étant le grand obstacle à son évolution.


Mais, dira-t-on, il est parfois utile de faire souffrir pour former les caractères. En évitant toujours de causer de la peine à autrui, on risque de perdre toute influence moralisatrice, de provoquer un amollissement général des facultés, et surtout des facultés de réaction si nécessaires à la santé physique, intellectuelle et morale des individus. La souffrance est bonne…

Pour ce qui est du dernier argument on peut se tranquilliser, la souffrance ne manquera jamais, la Providence ou la destinée se chargeant toujours de nous la faire connaître. Mais la première partie de l’objection est juste : il faut savoir, dans l’éducation, toucher et blesser certains sentiments, les faire saigner même, et viriliser les caractères en leur imposant l’effort, le renoncement, le travail, toutes choses qui, au moment même, ressemblent étrangement à des peines. Les enfants ont à ce sujet des perceptions étonnamment justes. Ils préfèrent presque toujours les parents sévères à ceux qui ne le sont pas, pourvu qu’ils découvrent, sous leur rigueur apparente, un esprit de justice et de bonté. Évidemment un père, une mère qui, pour éviter une contrariété à leurs enfants, leur permettent de se lever tard, de négliger leurs études et de consacrer leurs forces au plaisir, sont leurs pires ennemis. Par une indulgence puérile et une faiblesse inintelligente, ils risquent d’endommager l’avenir de leurs fils et de leurs filles de façon irrémédiable ; ils méritent donc d’être placés parmi les pires faiseurs de peines.

Mais tout raisonnement suppose une intelligence capable de le comprendre. La vérité la plus évidente, sottement appliquée, peut avoir des résultats pires que le mensonge. Ainsi la nourriture est indispensable à la vie, l’air, au fonctionnement des poumons ; mais gaver un enfant d’aliments, ou l’exposer à un vent du nord glacé, pendant des heures entières, est atteindre un but contraire à celui que l’on se propose. Il en est ainsi de la trop grande complaisance. Vouloir écarter de ceux qu’on aime les difficultés à vaincre et les occasions d’effort, est le plus mauvais service à leur rendre, surtout s’il s’agit d’enfants et de jeunes gens. Il faut, au contraire, inventer les obstacles, si les conditions de la vie n’en fournissent pas. Telle parole incisive, tel blâme sévère sont comme le sel qu’on mêle aux aliments ; ils servent de stimulant. Ne pas savoir, à l’occasion, causer volontairement un moment de peine, serait mal aimer ou montrer une déplorable absence de compréhension.

Mais entre une critique méritée, destinée à produire un effet salutaire, et des paroles malignes, reflet de sentiments injustes, jaloux, ou pis encore, aucune comparaison ne peut s’établir. La première est semblable au remède qui guérit, même si le goût en est âcre ; les secondes sont des liqueurs qui empoisonnent.

On objectera encore que telles personnes, capables de formuler les plus dures vérités, ont été des sonneurs de cloches efficaces. Que d’âmes réveillées par ces langues acerbes ! Jamais un doux berger n’aurait eu cette influence. C’est qu’il y avait en ces hommes, aux paroles brusques et sévères, l’étoffe d’un apôtre, et qu’ils s’exprimaient en mots cinglants, emportés par leurs convictions et non par un esprit de méchanceté, d’intolérance ou d’injustice. Il est certain, du reste, que leur influence dépendait de la valeur et de la force de leur caractère et non des formes brusques et dures dont ils enveloppaient leurs enseignements et leurs blâmes. Avec plus de douceur et d’indulgence, le même effet aurait été produit, peut-être même un effet meilleur.

En quelques cas, en certaines circonstances, avec les natures molles et léthargiques, il est possible que la violence soit nécessaire pour éveiller les consciences. Elles ont besoin de l’effet physique produit par la voix irritée, les paroles rudes et les manières brutales. Le fait se vérifie surtout avec les enfants. Plus tard, l’esprit critique s’étant développé chez l’individu, la boursouflure dans les reproches en détruit l’efficacité.

De toutes façons, une démarcation nette doit être établie, dès le début, entre les faiseurs de peine par altruisme et conscience et les faiseurs de peine par égoïsme et inconscience. Les premiers savent ce qu’ils font, même s’ils se trompent dans la forme qu’ils emploient ; les seconds sont semblables à des aveugles, qui mettent le feu partout où ils passent, sans discerner les désastres dont ils sont cause. Ces criminels sans le savoir sont les plus à plaindre des hommes, car ils risquent de se trouver devant l’irréparable, le jour où ils ouvriront les yeux à la vue nette des responsabilités qu’ils ont encourues.

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