Histoire de la Nouvelle-France: (Version 1617)
LA TABAGIE MARINE
OMPAGNONS, où est le temps
Qu'avions nôtre passe-temps
A descendre au plus habile
Sur le pié ferme d'une ile,
Fourrageans de toutes pars
Deça & delà épars
Parmi l'epés des feuillages
Et des orgueilleux herbages
L'honneur des jeunes oiseaux
Qu'enlevions, à grans troupeaux,
Le gros Tangueu, la Marmette,
Et la Mauve & la Roquette,
Ou l'Oye, ou le Cormorant,
Ou l'outarde au corps plus grand.
Ça (ce disoi-je à la troupe)
Emplissons nôtre chaloupe
De ces oiseaux tendrelets,
Ilz valent bien des poulets.
Dieu! quelle plaisante chasse.
Amasse, garson, amasse,
Portes-en chargé ton dos,
Tu es alaigre & dispos,
Et reviens tout à cette heure
Prendre pareille mesure,
Ne cessant jusques à ce
Que nous en ayons assé:
Car nous pourrions de cette ile
Fournir une bonne ville.
Je voudroy m'avoir couté
Un Karolus bien conté
Et estre en cet equipage
Acecque tout ce pillage
Au beau milieu de Paris
O que j'y auroy d'amis,
Qui pour avoir pance grasse
Me suivroient de place en place.
Qu'on ne parle maintenant
Que des iles du Ponant.
Car les iles Fortunées
Sont certes infortunées
Au pris de celles ici,
Qui nous fournissent ainsi
Pour neant ce que l'on achete
Au quartier de la Huchette,
Ou ailleurs bien cherement.
Je ne sçay certainement
Comme le monde est si béte
Que païs il rejette,
Veu la grand' felicité
Qui s'y voit de tout côté,
Soit qu'on suive cette chasse,
Soit que l'Ellan on pourchasse,
Ou qu'on vueille de poisson
Faire en eté la moisson.
Car quant est des paturages
Il n'y manque pont d'herbages
Pour nourrir vaches & veaux,
Ce ne sont rien que ruisseaux,
Lacs, fonteines, & rivieres
(De tous biens les pepinieres)
En ce païs forétier.
Il y a mines d'acier,
De fer, d'argent, & de cuivre,
Asseurez moyens de vivre,
Quand en train elles seront,
Et par le monde courront.
La terre y est plantureuse
Pour rendre la gent heureuse
Qui la voudra cultiver.
Il ne reste que trouver
Bon nombre de jeunes filles
A porter enfans habiles
Pour bien-tot nous rendre forts
En ces mers, rives, & ports,
Et passer melancholie
Chacun avecque s'amie
Pres les murmurantes eaux,
Qui gazouïllent par les vaux,
Ou à l'ombre des fueillages
Des endormans verd-bocages.
Par mon ame je voudroy
Que dés ore il pleût au Roy
Me bailler des bonnes rentes
En ma bourse bien venantes
Tous les ans dix mille escus,
Voire trente mille, & plus,
Pour employer à l'usage
D'un honéte mariage,
A la charge de venir
En ce païs me tenir,
Et y planter une race,
Digne de sa bonne grace,
Qui service luy feroit
Tant qu'au monde elle seroit,
Quittant du barreau la lice,
Et du monde la malice,
Et les injustes faveurs
Des hommes de qui le coeurs
S'enclinent à l'apparence
Pour opprimer l'innocence
De tels & autres propos
J'entretenoy mes dispos
Tandis que chacun sa proye
Diligent à bort envoye.
Devinez si au repas
Grand' chere ne faisions pas.
Car avec cette viande
D'elle-méme assez friande
Nous avions abondamment
De poisson pris frechement.
Quand ores en ma memoire
Se ramentoit cette histoire,
Je regrette ce temps là
Qui nous fournissoit cela.
Car dés long temps la pature
de salé nous est si dure,
Que nos estomachz forcés
En demeurent offensés.
Pourtant je ne veux pa dire
Que les maitres du navire
Messieurs les associés
Ne se soient point souciés
D'envoyer honétement
Nôtre rafraichissement.
Mais certaines gourmandailles
Ont mangé noz victuailles,
Noz poules & nos moutons,
Et grapillez nos citrons,
Nôtre sucre, noz grenades,
Nos epices & muscades,
Ris, & raisins & pruneaux,
Et autres fruits bons & beaux
Utiles en la marine
Pour conforter la poitrine.
Vous sçavés si je di vray,
Capitaine Papegay.
Si jamais je suis grand Prince
En cette tout autre province
Onqu' enfant ne regira
Ce que ma nef portera.
Main ne laissons je vous prie
de mener joyeuse vie,
Ça, garson, de ce bon vin
Du cru de Monsieur Macquin,
Et buvons à pleine gorge
Tant à luy qu'à Monsieur George.
Ce sont des hommes d'honneur
Et d'une agreable humeur,
Car ilz nous ont l'autre année
Fourni de bonne vinée,
Dont le parfum nompareil
A garenti du cercueil
Plusieurs qui fussent grand' erre
Allé dormir souz la terre.
Et ne trouve quant à moy
Drogue de meilleur aloy
En nôtre France-Nouvelle
Pour braver la mort cruelle,
Que vivre joyeusement
Avec le fruit du sarment.
Est-ce pas donc bon ménage
D'avoir un si bon bruvage
Jusques ores conservé?
Car ici n'avons trouvé
Que bien petite vendange,
Ce qui nous est bien étrange.
Car le cidre Maloin
Ne vaut pas du petit vin.
Mais ayons la patience
Que soyons rendus en France.
Approche de moy, garson,
Et m'apporte ce jambon,
Que j'en prenne une aiguillette,
Car ce lard point ne me haite.
J'aimeroy mieux voir noz plats
Garnis de bons cervelats,
De patés & de saucisses
Confits en bonnes epices,
Que cette venaison
Dont je n'ay nulle achoison,
Non plus que de ces moruës
Qui sont toutes vermoluës
Certes le maitre valet
Meriteroit un soufflet
De nous bailler tout du pire
Qui soit dedans ce navire.
Car nous devrions par honneur
En tout avoir du meilleur.
Otez nous tant de viandes,
Et apportez des amandes,
Pruneaux, figues & raisins,
Et buvons à nos voisins.
C'a toute la pleine tasse,
C'est à vôtre bonne grace,
Capitaine Chevalier.
Si dedans vôtre cellier
Avez quelque friandise,
Faites que de vous l'on dise
Que vous estes liberal,
Honéte, & d'un coeur Royal.
Maitre tenez vous en garde,
C'est à vous que je regarde
Ayant les armes en main.
Plegez moy le verre plein.
Cette derniere nuitée
Vous a un peu mal traitée.
Il y vint un coup de mer
Qui pensa nous abymer.
Mais vous fites diligence
De parer à la defense.
Dieu garde le bon JONAS
De tout violent trépas,
Car s'il tomboit en naufrage
Nous y aurions du dommage,
Et m'étonne infiniment
Que cet humide element
De ses eaux ne nous accable,
Veu que le nom venerable
De Dieu y est blasphemé
D'un langage accoutumé,
Sans crainte de ses menaces.
Neantmoins rendons lui graces,
Et avec contrition
Demandons remission
De noz fautes: & sans cesse
Soit loüée sa hautesse. Amen.
Cherchant dessus Neptune un repos sans repos
J'ay façonné ces vers au branle de ses flots.