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Histoire de la Nouvelle-France: (Version 1617)

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Relation du premier voyage fait par le Capitaine Jacques Quartier en la Terre-neuve du Nort jusques à l'embouchure de la grande riviere de Canada. Et premierement l'état de son equipage, avec les découvertes du mois de May.

CHAP. II

PRES que Messire Charles de Moüy, sieur de la Milleraye, & Vic'admiral de France eut fait jurer les Capitaines, Maitres & Compagnons des navires, de bien & fidelement se comporter au Service du Roy Tres-Chrétien, souz la charge du Capitaine Jacques Quartier; Nous partimes le vintiéme d'Avril en l'an mille cinq cens trente-quatre du port de saint Malo avec deux navires de charge chacun d'environ soixante tonneaux, & armé de soixante & un hommes: Et navigames avec tel heur que le dixiéme de May nous arrivames à la Terre-neuve, en laquelle nous entrames par le Cap de Bonne-veuë, lequel est au quarante-huitiéme degré & demi de latitude. Mais pour la grande quantité de glaces qui étoit le long de cette terre, il nous fut besoin d'entrer en un port que nous nommames de Saincte Catherine, distant cinq lieuës du port susdit vers le Su-Suest, là nous arretames dix jours attendans le commodité du temps, & ce-pendant nous equippames & appareillames noz barques.

Le vint-uniéme de May fimes voile ayant vend d'Ouest, & tirames vers le Nort depuis le Cap de Bonne-veuë jusques à l'ile des oyseaux, laquelle étoit entierement environée de glace, qui toutefois étoit rompuë & divisée en pieces, mais nonobstant cette glace noz barques ne laisserent d'y aller pour avoir des oyseaux, déquels y a si grand nombre que c'est chose incroyable à qui ne le void, par-ce que combien que cette ile (laquelle peut avoir une lieuë de circuit) en soit si pleine qu'il semble qu'ils y soient expressement apportés & préque comme semez: Neantmoins il y en a cent fois plus à l'entour d'icelle, & en l'air que dedans, déquels les uns sont grands comme Pies, noirs & blancs, ayans le bec de Corbeau: ilz sont toujours en mer, & ne peuvent voler haut, d'autant que leurs ailes sont petites, point plus grandes que la moitié de la main, avec léquelles toutefois ilz volent de telle vitesse à fleur d'eau, que les autres oyseaux en l'air. Ilz sont excessivement grans, & étoient appellez par ceux du païs Appenath, déquelz noz deux barques se chargerent en moins de demie heure, comme l'on auroit peu faire de cailloux, de sorte qu'en chaque navire nous en fimes saler quatre ou cinq tonneaux, sans ceux que nous mangeames frais.

En outre il y a une autre espece d'oyseau qui volent haut en l'air, & à fleur d'eau, léquels sont plus petits que les autres, & sont appellez Godets. Ilz s'assemblent ordinairement en cette Ile, & se cachent souz les ailes des grans. Il y en a aussi d'une autre sorte (mais plus grans & blancs) separez des autres en un canton de l'Ile, & sont tres-difficiles à prendre, par-ce qu'ilz mordent comme chiens, & les appelloient Margaux: Et bien que cette Ile soit distante de quatorze lieuës De la grande terre, neantmoins les Ours y viennent à nage, pour y manger ces oyseaux, & les nôtres y en trouverent un grand comme une vache, blanc comme un cigne, lequel sauta en mer devant eux, & le lendemain de Pâques qui étoit en May, voyageans vers la terre, nous le trouvames à moitié chemin nageant vers icelle aussi vite que nous qui allions à la voile; mais l'ayans apperceu luy donnames la chasse par le moyen de noz barques, & le primmes par force. Sa chair étoit aussi bonne & delicate à manger que celle d'un bouveau. Le Mercredy ensuivant qui étoit le vint-septiéme dudit mois de May, nous arrivames à la bouche du Golfe des Chateaux, mais pour la contrarieté du temps, & à cause de la grande quantité de glaces, il nous fallut entrer en un port qui étoit aux environs de cette emboucheure, nommé Carpunt, auquel nous demeurames sans pouvoir sortir, jusques au neufiéme de Juin, que nous partimes de là pour passer outre ce lieu de Carpunt, lequel est au cinquante uniéme degré de latitude.

La terre de puis le Cap Razé jusques à celui de Degrad fait la pointe de l'entrée de ce Golfe qui regarde de cap à cap vers l'Est, Nort, & Su. Toutefois cette partie de terre est faite d'Iles situées l'une aupres de l'autre, si qu'entre icelles n'y a que comme de petits fleuves, par léquels l'on peut aller & passer avec petits bateaux, & là y a beaucoup de bons ports, entre léquels sont ceux de Carpunt & Degrad, en l'une de ces iles la plus haute de toutes, l'on peut étant debout clairement voir les deux iles basses pres le Cap Razé, duquel lieu l'on conte vint-cinq lieuës jusques au port de Carpunt, & là y a deux entrées, l'une du côté d'Est, l'autre du Su, mais il faut prendre garde du côté d'Est, parce qu'on n'y void que bancs & eaux basses, & faut aller à l'entour de l'Ile vers Ouest, la longueur d'un demi cable ou peu moins qui veut, puis tirer vers le Su, pour aller au susdit Carpunt, & aussi l'on se doit garder de trois bancs qui sont sous l'eau, & dans le canal, & vers l'Ile du côté d'Est y a fond au canal de trois ou quatre brasses, l'autre entrée regarde l'Est, & vers l'Ouest l'on peut mettre pied à terre.

Quittant la pointe de Degrad, à l'entrée du Golfe susdit, à la volte d'Ouest, l'on doute de deux Iles qui restent au côté droit, déquelle l'une est distante trois lieuës de la pointe susdite, & l'autre sept, ou plus ou moins, de la premiere, laquelle soit de la grande terre. J'appellay cette ile du nom de saincte Catherine, en laquelle vers Est, y a un païs sec & mauvais terroir environ un quart de lieuë, pource est-il besoin de faire un peu de circuit. En cette ile est le Port des Châteaux qui regarde vers le Nord-Nordest & le Su-Suroest, & y a distance de l'un à l'autre environ quinze lieuës. Du susdit port des Chasteaux, jusques au Port des Gouttes, qui est la terre du Nort du Golfe susdit qui regarde l'Est-Nordest & l'Ouest-Surouest, y a distance douze lieues & demie, & est à deux lieuës du Port des Balances, & se trouve qu'en la tierce partie du travers de ce Golfe y a trente brasses de fond à plomb. Et de ce Port des Balances jusques au Blanc-sablon l'on void par trois lieues un banc qui paroit dessus l'eau ressemblant à un bateau.

Blanc-sablon est un lieu où n'y a aucun abry du Su, ni du Suest, mais vers le Su-Surouest de ce lieu y a deux iles, l'une déquelles est appellée l'ile de Brest, & l'autre l'Ile des Oyseaux, en laquelle y a grande quantité de Godets & Corbeaux qui ont le bec & les piés rouges, & font leurs nids en des trous sous terre comme connils. Passé un Cap de terre distant une lieue de Blanc-sablon, l'on trouve un port & passage appellé les Ilettes, qui est le meilleur lieu de Blanc-sablon, & où la pécherie est fort grande. De ce lieu des Ilettes jusques au Port de Brest y a dix-huit lieuës de circuit: & ce Port est au cinquante-uniéme degré cinquante-cinq minutes de latitude. Depuis les Ilettes jusques à ce lieu y a plusieurs iles, & le Port de Brest est méme entre les iles, léquelles l'environnent de plus de trois lieuës, & les iles sont basses, tellement que l'on Peut voir pardessus icelles les terres susdites.




La navigation & découverte du mois de Juin.

CHAP. III

E dixiéme du susdit mois de Juin, entrames dans le Port de Brest pour avoir de l'eau & du bois, & pour nous apréter de passer outre ce Golfe: Le jour de sainct Barnabé aprés avoir ouï la Messe, nous tirames outre ce port vers Ouest, pour découvrir les ports qui y pouvoient étre: Nous passames par le milieu des iles, léquelles sont en si grand nombre qu'il n'est possible de les compter, par-ce qu'elles continuent dix lieues outre ce port: Nous demeurames en l'une d'icelle pour y passer la nuit, & y trouvames grande quantité d'oeufs de Canes, & d'autres Oyseaux qui y font leurs nids, & les appellames toutes en general, les iles.

Le lendemain nous passames outre ces Iles, & au bout d'icelles trouvames un bon port, que nous appellames de saint Antoine, & une ou deux lieues plus outre découvrimes un petit fleuve fort profond vers le Surouest, lequel est entre deux autres terres, & y a là un bon port. Nous y plantames une croix, & l'appellames le Port saint Servain: & du côté du Surouest de ce port & fleuve se trouve à environ une lieuë une petite ile ronde comme un fourneau, environnée de beaucoup d'autres petites, léquelles donnent la conoissance de ces ports. Plus outre à deux lieuës, y a un autre bon fleuve plus grand auquel nos péchames beaucoup de Saumons, & l'appellames le fleuve de saint Jacques. Etans en ce fleuve nous avisames une grande nave qui étoit de la Rochelle, laquelle avoit la nuit precedente passé outre le port de Brest, où ils pensoient aller pour pécher, mais les mariniers ne sçavoient où était le lieu. Nous nous accostames d'eux, & nos mimes ensemble en un autre port, qui est plus vers Ouest, environ une lieuë plus outre que le susdit fleuve de saint Jacques, lequel j'estime estre un des meilleurs ports du monde, & fut appellé le Port de Jacques Quartier. Si la terre correspondoit à la bonté des ports, ce seroit un grand bien, mais on ne la doit point appeller terre, ains plustot cailloux & rochers sauvages, & lieux propres aux bétes farouches, d'autant qu'en toute la terre devers le Nort, je n'y vis pas tant de terre, qu'il en pourroit en un benneau: & là toutefois je descendi en plusieurs lieux: & en l'ile de Blanc-sablon n'y a autre chose que mousse, & petites épines & buissons ça & là sechez & demi-morts. Et en somme je pense que cette terre est celle que Dieu donna à Cain. Là on y void des hommes de belle taille & grandeur, mais indomtés & sauvages. Ilz portent les cheveux liés au sommet de la téte, & étreints comme une poignée de foin, y mettans au travers un petit bois, ou autre chose au lieu de clou: & y tient ensemble quelques plumes d'oyseaux. Ilz vont vétus de peaux d'animaux, aussi bien les hommes que les femmes, léquelles sont toutes fois percluses & renfermées en leurs habits, & ceintes par le milieu du corps, ce que ne font pas les hommes: ilz se peindent avec certaines couleurs rouges. Ils ont leurs Barques faites d'écorce d'arbre de Boul, qui est un arbre ainsi appellé au païs, semblable à noz chénes, avec léquelles ilz péchent grande quantité de Loups-marins: Et depuis mon retour, j'ay entendu qu'ilz ne faisoient pas là leur demeure, mais qu'ilz y viennent des païs plus chauds par terre, pour prendre de ces Loups, & autres choses pour vivre.

Le treiziéme jour dudit mois, nous retournames à nos navires, pour faire voile, pource que le temps étoit beau, & le Dimanche fimes dire la Messe: Le Lundy suivant qui étoit le quinziéme, partimes outre le port de Brest, & primmes nôtre chemin vers le Su, pour avoir conoissance des terres que nous avions apperceuës, qui sembloient faire deux Iles. Mais quand nous fumes environ le milieu du Golfe, conumes que d'étoit terre ferme, où étoit un gros cap double l'un dessus l'autre, & à cette occasion l'appellames Cap double. Au commencement du Golfe nous sondames aussi le font, & le trouvames de cent brasses de tous côtez. De Brest au Cap-double y a distance d'environ vint lieuës, & à cinq lieues de là, nous sondames aussi le fonds & le trouvames de quarante brasses. Cette terre regarde le Nord-est-Surouest. Le jour ensuivant qui étoit le seiziéme de ce mois, nous navigames le long de la côte par surouest & quart du Su, environ trente cinq lieues loin de Cap-double, & trouvames des montagnes tres-hautes & sauvages, entre léquelles l'on voyoit je ne sçay quelles petites cabannes, & pour-ce les appellames Les montagnes des Cabannes: les autres terres & montagnes sont taillées, rompues, & entre-coupées, & entre icelles & la mer, y en a d'autres basses. Le jour precedent pour la grand brouillas & obscurité du temps, nous ne peumes avoir conoissance d'aucune terre, mais le soir il nous apparut une ouverture de terre ressemblante à une emboucheure de riviere, qui étoit entre ces monts des Cabannes. Et y avoit là un Cap vers Surouest éloigné de nous environ trois lieues, & ce Cap en son sommet estans pointe tout à l'entour, & en bas vers la mer il finit en pointe, & pour ce il fut appellé le Cap pointu. Du côté du Nort de ce Cap, y a une ile plate. Et d'autant que nous desirions avoir conoissance de cette embouchure pour voir s'il y avoit quelque bon port; nous mimes la voile bas pour y passer la nuit. Le jour suivant qui étoit le dix-septiéme dudit mois, nous courumes fortune à cause du vent de Nordest, & fumes contraints mettre la cauque souris & la cappe, & cheminames vers Surouest jusques au Jeudy matin, &fimes environ trente lieuës & nous nous trouvames au travers de plusieurs Iles rondes comme Colombiers, & pource leur donnames le nom de Colombaires.

Le Golfe saint Julien est distant sept lieuës d'un Cap nommé Royal, qui reste vers le Su & un quart de Surouest. Et vers l'Ouest-Surouest de ce Cap, y en a un autre, lequel au dessous est tout entre-rompu, & est rond dessus. Du côté du Nort y a une ile basse à environ demi-lieuë: en ce Cap y a de certaines terres basses, sur lesquelles y en a encores d'autres, qui demontre bien qu'il y doit avoir des fleuves. A deux lieuës du Cap Royal, l'on y trouve fonds de vint brasses, & y a la plus grande pécherie de grosses Moruës qu'il est possible de voir, déquelles nous en primes plus de cent en moins d'une heure, en attendant la compagnie.

Le lendemain qui étoit le dix-huictiéme du mois, le vent devint contraire & fort impetueux en sorte qu'il nous fallut retourner vers le Cap Royal, pensans y trouver port: & avec noz barques allames découvrir ce qui étoit entre le Cap Royal, & le Cap de Lait: & trouvames que sur les terres basses y a un grand Golfe tres-profond, dans lequel y a quelques iles, & ce Golfe est clos & fermé du côté du Su. Ces terres basses font un des côté de l'entrée, & le Cap Royal est de l'autre côtez, & s'avancent lédites terres basses plus de demie lieuë dans la mer. Le païs est plat, & consiste ne mauvaise terre: & par le milieu de l'entrée y a une ile: & en ce jour ne trouvames point de port: & pour-cela la nuit nous retirames en mer, aprés avoir tourné le Cap à l'Ouest.

Depuis ledit jour jusques au vint-quatriéme du mois qui étoit la féte de saint Jean, fumes battus de la tempéte & du vent contraire: & survint telle obscurité que nous ne peumes avoir conoissance d'aucune terre jusques audit jour saint Jean, que nous découvrimes un Cap qui restoit vers Surouest, distant du Cap Royal environ trente cinq lieuës: mais en ce jour le brouillas fut si épais, & le temps si mauvais, que nous ne peumes approcher de terre. Et d'autant qu'en ce jour l'on celebroit la féte de saint Jean Baptiste, nous le nommames Cap de sainct Jean.

Le lendemain qui étoit le vint-cinquiéme le temps fut encores facheux, obscur, & venteux, & navigames une partie du jour vers Ouest, & Nort-Ouest, & le soir nous rimes le travers jusques au second quart que nous partimes de là, & pour lors nous conumes par le moyen de nôtre quadran que nous étions vers Nort-ouest, & un quart d'Ouest, éloignez de sept lieuës & demie du Cap sainct Jean, & comme nous voulumes faire voile, le vent commença à souffler du Nort-Ouest, & pour-ce tirames vers Suest quinze lieuës, & approchames de trois iles, déquelles y en avoit deux petites droites comme un mur, en sorte qu'il étoit impossible d'y monter dessus, & entre icelles y a un petit écueil. Ces iles étoient plus remplies d'oiseaux que ne seroit un pré d'herbes, léquels faisoient là leurs nids, & en la plus grande de ces iles y en avoit un monde de ceux que nous appellons Margaux qui sont blancs & plus grands qu'Oysons, & étoient separez en un canton, & en l'autre part y avoit des Godets, mais sur le rivage y avoit de ces Godets & grands Apponat semblables à ceux de cette ile dont nous avons fait mention. Nous descendimes au plus bas de la plus petite, & tuames plus de mille Godets & Apponats, & en mimes tant que volumes en noz barques, & en eussions peu en moins d'une heure remplir trente semblables barques. Ces iles furent appellées du nom de Margaux. A cinq lieuës de ces iles y avoit une autre ile du côté d'Ouest qui a environ deux lieuës de longueur & autant de largeur, là nous passames la nuit pour avoir de l'eau & du bois. Cette ile est environnée de sablon, & autour d'icelle y a une bonne source de six ou sept brasses de fond. Ces iles sont de meilleure terre que nous eussions oncques veuës, en sorte qu'un champ d'icelles vaut plus que toute la Terre-neuve. Nous la trouvames pleine de grands arbres, de prairies, de campagnes pleines de froment sauvage, & de pois qui étoient floris aussi épais & beaux comme l'on eût peu voir en Bretagne, qui sembloient avoir été semez par des laboureurs. L'on y voyoit aussi grande quantité de raisin ayans la fleur blanche dessus des fraises, roses incarnates, persil, & d'autres herbes de bonne & forte odeur. A l'entour de cette ile y a plusieurs grandes bestes comme grand boeufs, qui ont deux dents en la bouche comme d'un Elephant, & vivent mémé en la mer. Nous en vimes une qui dormoit sur le rivage & allames vers elle avec noz barques pensans la prendre, mais aussi-tôt qu'elle nous ouït elle se jetta en mer. Nous y vimes semblablement des Ours & des Loups. Cette ile fut appellée l'ile de Brion. En son contour y a de grands marais vers Suest & Norouest. Je croy par ce que j'ay peu comprendre, qu'il y ait quelque passage entre le Terrre-neuve & la terre de Brion. S'il étoit ainsi ce seroit pour racourcir le temps & le chemin pourveu que l'on peût trouver quelque perfection en ce voyage: A quatre lieuës de cette ile est la terre ferme vers Ouest-Surouest, laquelle semble étre comme une ile environnée d'ilettes de sable noir. Là y a un beau Cap que nous appellames le Cap Dauphin, pource que là est le commencement des bonnes terres.

Le vint-septiéme de Juin nous circuimes ces ilettes qui regardent vers Ouest-Surouest, & paroissent de loin comme collines ou montagnes de sablon, bien que ce soient terres basses & de peu de fond. Nous n'y peumes aller, & moins y descendre, d'autant que le vent nous étoit contraire, & ce jour nous fimes quinze lieuës.

Le lendemain allames le long dédites terres environ dix lieues jusques à un Cap de terre rouge qui est roide & coupé comme un ric, dans lequel on void un entre-deux qui est vers le Nort, & est un païs fort bas, & y a aussi comme une petite plaine entre la mer & un étang, & de ce cap de terre & étang, jusques à un autre cap qui paroissoit, y a environ quatorze lieues, & la terre est fait en façon d'un demi cercle tout environné de sablon comme une fosse sur laquelle l'on void des marais & étangs aussi loin que se peut étendre l'oeil. Et avant qu'arriver au premier cap l'on trouve deux petites iles assez pres de terre. A cinq lieuës du second cap y a une ile vers Surouest, qui est tres-haute & pointue, laquelle fut nommée Alezay, le premier Cap fur appellé de sainct Pierre, par ce que nous y arrivames au jour & téte dudit Saint.

Depuis l'ile de Brion jusques en ce lieu y a bon fond de sablon, & ayans sondé egalement vers Surouest jusques à en approcher de cinq lieuës de terre nous trouvames vint-cinq brasses; & une lieuë prés douze brasses, & prés du bord sur plus que moins, & bon fond. Mais par ce que nous voulions avoir plus grande conoissance de ces fonds pierreux pleins de roches, mimes les voiles bas & de travers. Et le lendemain penultiéme du mois le vent vint du Su & quart de Sur-ouest, allames vers Ouest jusques au Mardy matin dernier jour du mois, sans conoitre, du moins découvrir aucune terre, excepté que vers le soir, nous apperceumes une terre qui sembloit faire deux iles qui demeuroit derriere nous vers Ouest & Sur-ouest à environ neuf ou dix lieuës. Et ce jour allames vers Ouest jusques au lendemain lever du Soleil quelques quarante lieuës. Et faisant ce chemin conumes que cette terre qui nous étoit apparue comme deux iles étoit terre ferme située au Sur-ouest & Nort-Nort-ouest jusques à un tres-beau Cap de terre nommé le Cap d'Orleans. Toute cette terre est basse & plate, & la plus belle qu'il est possible de voir pleine de beaux arbres & prairies, il est vray qu'elle est entierement pleine de bancs & sables. Nous descendimes en plusieurs lieux avec noz barques, & entr'autres nous entrames dans un beau fleuve de peu de fond, & pource fut appellé le Fleuve des Barques: d'autant que nous vimes quelques barques d'hommes Sauvages qui traversoient le fleuve, & n'eumes autre conoissance de ces Sauvages, parce que le vent venoit de mer & chargeoit la côte, si bien qu'il nous fallut retirer vers noz navires. Nous allames vers Nord-est jusques au lever du Soleil du lendemain premier de Juillet, auquel temps s'éleva un brouillas & tempéte, à-cause dequoy nous abbaissames les voiles jusques à environ deux heures avant midi, que le temps se fit clair, & que nous apperceumes le Cap d'Orleans, avec un autre qui en étoit éloigné de sept lieuës vers le Nort un quart de Nordest, qui fut appellé Cap des Sauvages: du côté du Nordest de ce Cap à environ demi-lieuë, y a un banc de pierre tres-perilleux. Pendant que nous étions prés de ce cap, nous apperceumes un homme qui couroit derriere noz barques qui alloit le long de la côte, & nous faisoit plusieurs signes que devions retourner vers ce Cap. Nous voyant sels signes commençames à tirer vers lui, mais nous voyant venir se mit à fuir. Etans descendus en terre mimes devant lui un couteau, & une ceinture de laine sur un baton, ce fait nous retournames à noz navires. Ce jour nous allames tournoyans cette terre, neuf ou dix lieues cuidans trouver quelque bon port, ce qui ne fut possible, d'autant que comme j'ay dé-ja dit toute cette terre est basse & est un païs environné de bancs & sablons. Neantmoins nous descendimes ce jour en quatre lieux pour voir les arbres qui y étoient tres-beaux, & de grande odeur, & trouvames que c'étoient Cedres, Yfs, Pins, Ormeaux, Frenes, Saulx, & plusieurs autres à nous inconus, tous neantmoins sans fruit. Les terres où n'y a point de bois sont tres-belles & toutes pleines de pois, de raisin blanc & rouge ayant la fleur blanche dessus, de frezes, meures, froment sauvage comme segle qui semble y avoir été semé, & labouré, & cette terre est de meilleure temperature qu'aucune qui se puisse voir & de grande chaleur, l'on y voit une infinité de Grives, Ramiers, & autres oiseaux, en somme il n'y a faute d'autre chose que de bons ports.




La navigation & découverte du mois de Juillet.

CHAP. IV

E lendemain second de Juillet nous découvrimes & apperceumes la terre du côté du Nort à notre opposite, laquelle se joignoit avec celle ci devant dite. Aprés que nous l'eumes circuit tout autour, trouvames qu'elle contenoit en rondeur de profond & & autant de diametre. Nous l'appellames Le Golfe sainct Lunaire, & allames au Cap avec noz barques vers le Nort, & trouvames le païs si bas, que par l'espace d'une lieue il n'y avoit qu'une brasse d'eau. Du côté vers Nordest du cap susdit environ sept ou huit lieues y avoit un autre cap de terre, au milieu déquels est un Golfe en forme de triangle qui a tres-grand fond de tant que pouvions étendre la veuë d'icelui: il estoit vers Nordest. Ce Golfe est environné de sablons & lieux bas par dix lieuës, & n'y a plus de deux brasses de fond. Depuis ce cap jusques à la rive de l'autre cap de terre y a quinze lieuës. Etans au travers de ces caps, découvrimes une autre terre & cap qui restoit au Nort un quart de Nordest pour tant que nous pouvions voir. Toute la nuit le temps fut fort mauvais, & venteux, si bien qu'il nous fut besoin mettre la Cappe de la voile jusques au lendemain matin troisiéme de Juillet que le vent vint d'Ouest, & fumes portez vers le Nort pour conoitre cette terre qui nous restoit du côté du Nort & Nordest sur les terres basses, entre léquelles basses & hautes terres étoit un golfe & ouverture de cinquante-cinq brasses de font en quelques lieux, & large environ quinze lieuës. Pour la grande profondité & largeur & changement des terres eumes esperance de pouvoir trouver passage comme le passage des Chateaux. Ce golfe regarde vers l'Est-Nordest, Ouest, Surouest. Le terroir qui est du côté du Su de ce golfe est aussi bon & beau à cultiver & plein de belles campagnes & prairies que nous ayons veu, tout plat comme seroit un lac, & celuy qui est vers Nort est un païs haut avec montagnes hautes pleines de forests, & de bois tres-hauts & gros de diverses sortes. Entre autres y a de tres-beaux Cedres, & Sapins autant qu'il est possible de voir, & bons à faire mats de navires de plus de trois cens tonneaux, & ne vimes aucun lieu qui ne fût plein de ces bois, excepté en deux places que le païs étoit bas, plein de prairies, avec deux tres-beaux lacs. Le mitan de ce golfe est au quarante-huitiéme degré & demi de latitude.

Le Cap de cette terre du Su fut appellée Cap d'Esperance, pour l'esperance que nous avions d'y trouver passage. Le quatriéme jour de Juillet allames le long de cette terre du côté du Nort pour trouver port, & entrames en un petit port & lieu tout ouvert vers le Su, où n'y a aucun abry pour ce vent, & trouvames bon d'apppeller le lieu Sainct Martin, & demeurames là depuis le quatriéme de Juillet jusques au douziéme. Et pendant le temps que nous étions en ce lieu, allames le Lundi sixiéme de ce mois apres avoir ouy la Messe avec une de noz barques pour découvrir un cap & pointe de terre, qui en est éloigné sept ou huit lieues du côté d'ouest, pour voir de quel côté se tournoit cette terre, & étans à demi-lieue de la pointe apperceumes deux bandes de barques d'hommes Sauvages qui passoient d'une terre à l'autre, & étoient plus de quarante ou cinquante barques, déquelles une partie approcha de cette pointe, & sauta en terre un grand nombre de ces gens faisans grand bruit, & nous faisoient signe qu'allassions à terre, montrans des peaux sur quelques bois, mais d'autant que n'avions qu'une seule barque nous n'y voulumes aller, & navigames vers l'autre bande qui étoit en mer. Eux nous voyans fuir, ordonnerent deux de leurs barques les plus grandes pour nous suivre, avec léquelles se joignirent ensemble cinq autres de celles qui venoient du côté de mer, & tous s'approcherent de nôtre barque sautans & faisans signes d'allegresse & de vouloir amitié, disans en leur langue, Napeu ton damen assur tah, & autres paroles que nous n'entendions. Mais parce que, comme nous avons dit, nous n'avions qu'une seule barque, nous ne voulumes nous fier en leurs signes, & leur donnames à entendre qu'ilz se retirassent, ce qu'ilz ne voulurent faire, ains venoient avec si grande furie vers nous, qu'aussitot ils environnent nôtre barque avec les sept qu'ils avoient. Et parce que pour signes que nous fissions ils ne se vouloient retirer, lachames deux passe-volans sur eux, dont espouvantez retournerent vers la susdite pointe faisans tres-grand bruit, & demeurez là quelque peu, commencerent derechef à venir vers nous comme devant, en sorte qu'étans approchez de la barque, decochames deux de nos darts au milieu d'eux, ce qui les épouvanta tellement, qu'ilz commencerent à fuir en grand-hate, & n'y voulurent onc plus revenir.

Le lendemain partie de ces Sauvages vindrent avec neuf de leurs barques à la pointe & entrée du lieu d'où noz navires étoient partis. Et étans avertis de leur venuë, allames avec noz barques à la pointe où ils étoient, mais si tôt qu'ils nous virent ilz se mirent en fuite, faisans signe qu'ils étoient venuz pour trafiquer avec nous, montrans des peaux de peu de valeur, dont ils se vétent. Semblablement nous leur faisons signe que ne leur voulions point de mal; & en signe de ce, deux des nôtres descendirent en terre pour aller vers eux, & leur porter couteaux & autres ferremens avec un chappeau rouge pour donner à leur Capitaine. Quoy voyans descendirent aussi à terre portans de ces peaux, & commencerent à traffiquer avec nous, montrans une grande & merveilleuse allegresse d'avoir de ces ferremens & autres choses, dansans tousjours & faisans plusieurs ceremonies, & entre autres ilz se jettoient de l'eau de mer sur leur téte avec les mains: Si bien qu'ilz nous donnerent tout ce qu'ils avoient, ne retenans rien; de sorte qu'il leur fallut s'en retourner tout nuds, & nous firent signe qu'ilz retourneroient le lendemain & qu'ils apporteroient d'autres peaux.

Le Jeudi huictiéme du mois par ce que le vent n'étoit bon pour sortir hors avec noz navires, appareillames noz barques pour aller découvrir ce golfe, & courumes en ce jour vint-cinq lieuës dans icelui. Le lendemain ayans bon temps navigames jusques à midy, auquel temps nous eumes conoissance d'une grande partie de ce golfe, & comme sur les terres basses il y avoit d'autres terres avec hautes montagnes. Mais voyans qu'il n'y avoit point de passage commençames à retourner faisans notre chemin le long de cette côte, & navigans vimes des Sauvages qui étoient sur le bord d'un lac qui est sur les terres basses, léquelz Sauvages faisoient plusieurs feuz. Nous allames là & trouvames qu'il y avoit un canal de mer qui entroit en ce lac, & mimes noz barques en l'un des bords de ce canal. Les Sauvages s'approcherent de nous avec une de leurs barques & nous apporterent des pieces de Loups-marins cuites, léquelles ilz mirent sur des boisés, & puis se retirerent nous donnans à entendre qu'ilz nous les donnoient. Nous envoyames des hommes en terre avec des mitaines, couteaux, chapelets, & autres marchandises, déquelles choses ilz se rejouirent infiniment, & aussi tôt vindrent tout à coup au rivage où nous étions avec leurs barques aportans peaux & autres choses qu'ils avoient pour avoir noz marchandises, & étoient plus de trois cens tant hommes que femmes & enfans. Et voions une partie des femmes qui ne passerent, léquelles étoient jusques aux genoux dans la mer, sautans & chantans. Les autres qui avoient passé là où nous étions venoient privément à nous frottans leurs bras avec leurs mains & apres les haussoient vers le ciel sautans & rendans plusieurs signes de rejouissance, & tellement s'asseurerent avec nous qu'en fin ilz trafiquoient de main à main de tout ce qu'ils avoient, en sorte qu'il ne leur resta autre chose que le corps tout nud, par ce qu'ilz donnerent tout ce qu'ils avoient qui étoit chose de peu de valeur. Nous conumes que cette gent se pourroit aisément convertir à notre Foy. Ilz vont de lieu en autre, vivans de la péche. Luer païs est plus chaud que n'est l'Hespagne, & le plus beau qu'il est possible de voir, tout égal & uni, & n'y a lieu si petit où n'y ait des arbres, combien que ce soient sablons, & où il n'y ait du froment sauvage, qui a l'epic comme le segle, & le grain comme de l'avoine, & des pois aussi épais comme s'ils y avoient eté semez & cultivez, du raisin blanc & rouge avec la fleur blanche dessus, des fraises meures, roses rouges & blanches, & autres fleurs de plaisante, douce & aggreable odeur. Aussi il y a là beaucoup de belles prairies, & bonnes herbes & lacs où il y a grande abondance de Saumons. Ils appellent une mitaine en leur langue Cochi, & un couteau Bacon. Nous appellames ce Golfe, Golfe de la chaleur.

Etans certains qu'il n'y avoit aucun passage par ce golfe, fimes voile, & partimes de ce lieu de saint Martin le Dimanche douziéme de Juillet pour découvrir outre ce golfe, & allames vers Est le long de cette côte environ dix-huit lieuës jusques au Cap de Pré où nous trouvames le flot tres-grand & fort peu de fond, la mer courroucée & tempétueuse, & pour ce il nous fallut retirer à terre entre le Cap susdit & une ile vers Est à environ une lieuë de ce Cap, & là nous mouillames l'ancre pour icelle nuit. Le lendemain matin fimes voile en intention de circuit cette côte, laquelle est située vers le Nord & Nord-est, mais un vent survint si contraire & impetueux qu'il nous fut necessaire retourner au lieu d'où nous étions partis, & là demeurames tout ce jour jusques au lendemain que nous fimes voile, & vimmes au milieu d'un fleuve éloigné cinq ou six lieuës du Cap du Pré, & étans au travers du fleuve eumes de rechef le vent contraire avec un grand brouillas & obscurité, tellement qu'il nous fallut entrer en ce fleuve le Mardy quatorziesme du mois, & nous y entrames à l'entrée jusques au seiziéme attendans le bon temps pour pouvoir sortir. Mais en ce seiziéme jour qui étoit le Jeudy, le vent creut en telle sorte qu'un de noz navires perdit une ancre, & pouce fut besoin passer plus outre en ce fleuve quelques sept ou huit lieuës pour gaigner un bon port où il y eût bon fond, lequel nous avions eté découvrir avec noz barques, & pour le mauvais temps, tempéte & obscurité qu'il fit demeurames en ce port jusques au vint-cinquiéme sans pouvoir sortir. Ce-pendant nous vimes une grande multitude d'hommes Sauvages qui péchoient des tombes, déquels il y a grande quantité, ils étoient environ quelques quarante barques, & tant en hommes, femmes, qu'enfans, plus de deux cens, léquels aprés qu'ils eurent quelque peu conversé en terre avec nous, venoient privément au bord de noz navires avec leurs barques. Nous leur donnions des couteaux, chappelets de verre, peignes, & autres choses de peu de valeur dont ilz se rejouissoient infiniment levant les mains au ciel, chantans & dansans dans leurs barques. Ceux-ci peuvent étre vrayement appellez Sauvages; d'autant qu'il ne se peut trouver gens plus pauvres au monde, & croy que tous ensemble n'eussent peu avoir la valeur de cinq sols excepté leurs barques et rets. Ilz n'ont qu'une petite peau pour tout vétement, avec laquelle ilz couvrent les Parties honteuses du corps, avec quelques autres vieille peaux dont ils se vétent à la mode des Ægyptiens. Ilz n'ont ni la nature, ni le langage des premiers que nous avions trouvez. Ils portent la téte entierement raze hors-mis un floquet de cheveux au plus haut de la téte, lequel ilz laissent croitre long comme une queuë de cheval qu'ilz lient sur la téte avec des éguillettes de cuir. Ils n'ont autre demeure que dessouz ces barques, léquelles ilz renversent, & s'étendent sous icelles sur la terre sans aucune couverture. Ils mangent la chair préque creuë & la chauffent seulement de moins du monde sur les charbons, le méme est du poisson. Nous allames le jour de la Magedlaine avec noz barques au lieu où ils étoient sur le bord du fleuve, & descendimes librement au milieu d'eux, dont ilz se rejouirent beaucoup, & tous les hommes se mirent à chanter & danser en deux ou trois bandes & faisans grans signes de joye pour nôtre venuë. Ilz avoient fait fuir les jeunes femmes dans les bois hors-mis deux ou trois qui étoient restées avec eux, à chacune déquelles donnames un peigne, & clochette d'estain, dont elles se rejouirent beaucoup, remercians le Capitaine & lui frottans les bras & la poictrine avec leurs propres mains. Les hommes voyans que nous Avions fait quelques presens à celles qui étoient restées, firent venir celles qui s'étoient refugiés au bois, afin qu'elles eussent quelque chose comme les autres; elles étoient environ vint femmes léquelles toute en monceau se mirent sur ce Capitaine, le touchans & frottans avec les mains selon leur coutume de caresser, & donna à chacune d'icelles une clochette d'étain de peu de valeur, & incontinent commencerent à danser ensemble disans plusieurs chansons. Nous trouvames là grande quantité de Tombes qu'ils avoient prises sur le rivage avec certains rets faits exprez pour pécher, d'un fil de chanve qui croit en ce païs où ils font leur demeure ordinaire, pour ce qu'ils ne se mettent en mer qu'au temps qui est bon pour pécher, comme j'ay entendu. Semblablement croit aussi en ce païs du mil gros comme pois, pareil à celui qui croit au Bresil dont ilz mangent au lieu de pain, & en avoient abondance, & l'appellent en leur langue Kapaige; Ils ont aussi des prunes qu'ilz sechent comme nous faisons pour l'hiver, & les appellent Honésta, méme ont des figues, noix, pommes, & autres fruits, & des féves qu'ilz nomment Sahu, Les nois, Cahéhya, Les figues, *, Les pommes, *, si on leur montroit quelque chose qu'ilz n'ont point & ne pouvoient sçavoir que c'étoit, branlans la téte, ilz disoient Nohda qui est à dire qu'ilz n'en ont point & ne sçavent que c'est. Ilz nous montroient par signes le moyen d'accoutrer les choses qu'ils ont, & comme elles ont coutume de croitre. Ils ne mangent aucune chose qui soit salée, & sont grands larrons, & dérobent tout ce qu'ilz peuvent.




S'ensuivent les navigations & découvertes du mois d'Aoust, & le retour en France.

CHAP. V

E premier jour d'Aoust nous fimes faire une croix haute de trente piés, & fut faite en la presence de plusieurs d'iceux sur la pointe de l'entrée de ce port, au milieu de laquelle mimes un ecusson relevé avec trois fleurs-de-Lis, & dessus étoit écrit en grosses lettres entaillées en du bois, VIVE LE ROY DE FRANCE. En apres la plantames en leur presence sur ladite pointe, & la regardoient fort, tant lors qu'on la faisoit que quand on la plantoit. Et l'ayans levée en haut, nous nous agenouillions tous ayans les mains jointes, l'adorans à leur veuë, & leur faisions signe, regardans & montrans le ciel, que d'icelle dependoit nôtre redemption: de laquelle chose ilz s'émerveillerent beaucoup se tournans entr'eux, puis regardans cette croix. Mais étans retournez en noz navires, leur Capitaine vint avec une barque à nous, vétu d'une vieille peau d'Ours noir, avec ses trois fils & un sien frere, léquels ne s'approcherent si prés du bord comme ils avoient accoutumé, & y fit une longue harangue montrans cette croix, & faisans le signe d'icelle avec ceux doits. Puis il montroit toute la terre des environs, comme s'il eût voulu dire qu'elle étoit toute à lui, & que n'y devions planter cette croix sans son congé. Sa harangue finie nous lui montrames une mitaine feignans de lui vouloir donner en échange de sa peau, à quoy il prit garde, & ainsi peu à peu s'accosta du bord de noz navires: mais un de noz compagnons qui étoit dans le bateau mit la main sur sa barque & à l'instant sauta dedans avec deux ou trois, & le contraignirent aussi-tôt d'entrer en nos navires, dont ilz furent tout étonnez. Mais le Capitaine les asseura qu'ils n'auroient aucun mal, leur montrant grand signe d'amitié, les faisant boire & manger avec accueil. En aprés leur donna on à entendre par signes, que cette croix étoit là plantée, pour donner quelque marque & conoissance pour pouvoir entrer en ce port, & que nous y voulions retourner en bref, & qu'apporterions des ferremens & autres choses, & que desirions mener avec nous deux de ses fils & qu'en apres nous retournerions en ce port. Et ainsi nous fimes vétir à ses fils à chacun une chemise, un sayon de couleur, & une toque rouge, leur mettant aussi à chacun une chaine de laiton au col dont ils se contenterent fort, & donnerent Leurs vieux habits à ceux qui s'en retournoient. Puis fimes present d'une mitaine à chacun des trois que nous renvoyames & de quelques couteaux; ce qui leur apporta grande joye: Iceux étans retournez à terre, & ayans raconté les nouvelles aux autres environ sur le midi vindrent à noz navires six de leurs Barques ayans à chacune cinq ou six hommes qui venoient dire Adieu à ceux que nous avions retenus, & leur apporterent du poisson & leur tenoit plusieurs paroles que nous n'entendions point, faisans signe qu'ilz n'oteroient point cette croix.

Le lendemain se leva un bon vent & nous mimes hors du port. Etans hors du fleuve susdit tirames vers Est-Nordest, d'autant que pres de l'emboucheure de ce fleuve, la terre fait un circuit, & fait un Golfe en forme d'un demi-cercle, en sorte que de noz navires nous voyons toute la côte, derriere laquelle nous cheminames, & nous mimes à chercher la terre située vers Ouest & Norouest, & y avoit un autre pareil golfe distant vint lieuës dudit fleuve.

Nous allames donc le long de cette terre qui est comme nous avons dit, située au Suest & Norouest, & deux jours apres nous vimes un autre Cap où la terre commence à se tourner vers l'Est, & allames le long d'icelle quelque seize lieuës, & de là cette terre commence à tourner vers le Nort, & à trois lieuës de ce cap y a fond de vint-quatre brasses de plomb. Ces terres sont plates & les plus découvertes de bois que nus ayons encores peu voir. Il y a de belles prairies, & campagnes tres-vertes. Ce Cap fut nommé de sainct Louis, pour ce qu'en ce jour l'on celebroit sa féte, & est au quarante-neufiéme degré & demi de latitude & de longitude. Ce jour au matin, nous étions vers l'Est de ce cap & allames vers Norouest pour approcher de cette terre, étant préque nuit & trouvames qu'elle regardoit le Nort & le Su. Depuis ce Cap de saint Louys jusques à un autre nommé le Cap de Montmorenci y a quelques quinze lieuës, la terre commence à tourner vers Norouest. Nous voulumes sonder le font à trois lieuës prés de ce cap: mais nous ne le pumes trouver avec cent cinquante brasses, & pour ce allames le long de cette terre environ dix lieuës jusques à la latitude de cinquante degrez.

Le Samedy ensuivant au lever du Soleil conumes & vimes d'autres terres qui nous restoient du côté du Nort & Nordest, léquelles étoient tres-hautes & coupées, & sembloient estre montagnes, entre léquelles y avoit d'autres terres basses ayans bois & rivieres. Nous passames autour de ces terres tant d'un côté que d'autre tirans vers Noroest, pour voir s'il y avoit quelque golfe ou bien quelque passage. D'une terre à l'autre il y a environ quinze lieuës, & le mitan est au cinquante & un tiers degré de latitude, & nous fut tres-difficile de pouvoir faire plus de cinq lieuës à cause de la marée qui nous étoit contraire & des grands vens qui y sont ordinairement. Nous ne passames outre les cinq lieuës d'où l'on voyoit aisément la terre de part en part, laquelle commence là à s'elargir. Mais d'autant que nous ne faisions autre chose qu'aller & venir selon le vent, nous tirames pour cette raison vers la terre pour tâcher de gaigner un Cap vers le Su, qui étoit le plus loin & le plus avancé en mer que nous peussions découvrir, & étoit distant de nous environ quinze lieuës: Mais étans proches de là trouvames que c'étoient rochers, pierres & écueils, ce que nous n'avions encores point trouvé aux lieux où nous avions été auparavant vers le Su depuis le Cap sainct Jean, & pour lors étoit la marée qui nous portoit contre le vent vers l'Ouest. De maniere que navigans le long de cette côte une de noz barques heurta contre un écueil, 7 ne laissa passer outre, mais il nous fallut tous sortir hors pour la mettre à la marée.

Ayans navigé le long de cette côte environ Deux heures, la marée survint avec telle impetuosité qu'il nous ne nous fut jamais possible de passer avec treize avirons outre la longueur d'un jet de pierre. Si bien qu'il nous fallut quitter les Barques & y laisser partie de noz gens pour la garde, & marcher par terre quelque dix ou douze hommes jusques à ce Cap, où nous trouvames que cette terre commence là à s'abbaisser vers Surouest. Ce qu'ayans veu & étans retournés à nos barques, revimmes à nos navires qui étoient ja à la voile qui pensoient toujours pouvoir passer outre: mais ils étoient avallez à-cause du vent de plus de quatre lieuës du lieu où nous les avions laissez, où étans arrivez fimes assembler tous les Capitaines, mariniers, maitres & compagnons pour avoir l'avis & conseil de ce qui étoit le plus expedient à faire. Mais apres qu'un chacun eut parlé, l'on considera que les grands vents d'Est commençoient à regner & devenir violens, & que le flot étoit si grand que nous ne faisions plus que ravaller, & qu'il n'étoit possible pour lors de gaigner aucune chose: mémes que les tempétes commençoient à s'élever en cette saison en la Terre-neuve, que nous étions de lointain païs, & ne sçavions les hazars & dangers du retour, & pource qu'il étoit temps de se retirer, ou bien s'arréter là pour tout le reste de l'année. Outre cela nous discourions en cette sorte, que si un changement de vent de Nort nous surprenoit il ne seroit possible de partir. Léquels avis ouïs & bien considerez nous firent entrer en deliberation certaine de nous en retourner. Et pource que le jour de la féte de sainct Pierre nous entrames en ce détroit, nous l'appellames à cette occasion Détroit de sainct Pierre où ayans jetté la sonde en plusieurs lieux, trouvames en aucuns cent cinquante brasses, autres cent, & pres de terre soixante avec bon fond. Depuis ce jour jusques au Mercredy nous eumes vent à souhait & circuimes ladite terre du côté du Nort, Est-Suest, Ouest, & Norouest: car telle est son assiete, horsmis la longueur d'un cap de terres basses qui est plus tourné vers Suest, eloigné à environ vint-cinq lieuës dudit détroit. En ce lieu nous vimes de la fumée qui étoit faite par les gens de ce païs au dessus de ce Cap, mais pource que le vent ne cingloit vers la côte nous ne les accostames point, & eux voyans que nous n'approchions d'eux, douze de leurs hommes vindrent à nous avec deux barques, léquels s'accosterent aussi librement de nous comme si ce fussent eté François, & nous donnerent à entendre qu'ilz venoient du grand Golfe, & que leur Capitaine étoit un nommé Tiennot, lequel étoit sur ce Cap, faisant signe qu'ilz se retiroient en leur païs, d'où nous étions partis, & étoient chargez de poisson. Nous appelames ce Cap Cap de Tiennot. Passé ce Cap toute la terre est posée vers l'Est-Suest, Ouest, Norouest, & toutes ces terres sont basses, belles & environnées de sablons, prés de mer, & y a plusieurs marais & bancs par l'espace de vint lieuës, & aprés la terre commence à se tourner d'Ouest à l'Est, & Nordest, & est entierement environnée d'iles eloignées de terre deux ou trois lieuës. Et ainsi comme il nous semble y a plusieurs bancs perilleux plus de quatre ou cinq lieuës loin de la terre.

Depuis le Mercredi susdit jusques au Samedi nous eumes un grand vent de Surouest qui nous fit tirer vers l'Est-Nordest, & arrivames ce jour là à la terre d'Est en la Terre-neuve entre les Cabannes & le Cap-double. Ici commença le vent d'Est avec tempéte & grande impetuosité; & pource nous tournames le Cap au Noroest & au Nort, pour aller voir le côté du Nort, qui est comme nous avons dit, entierement environné d'Iles, & étans prés d'icelles le vent se changea & vint du Su, lequel nous conduit dans le golfe, si bien que par la grace de Dieu nous entrames le lendemain qui étoit le neufiéme d'Aoust dans Blanc-sablon, & voila tout ce que nous avons découvert.

En apres le quinziéme Aoust jour de l'Assumption de nôtre Dame nous partimes de Blanc-sablon apres avoir ouï la Messe, & vimmes heureusement jusques au mitan de la mer qui est entre la Terre-neuve & la Bretaigne, auquel lieu nous courumes grande fortune pour les vens d'est, laquelle nous supportames par l'aide de Dieu, & du depuis eumes fort bon temps, en sorte que le cinquiéme jour de Septembre de l'année susdite nous arrivames au port de sainct Malo d'où nous étions partis.




Que la conoissance des voyages du Capitaine Jacques Quartier est necessaire principalement aux Terre-neuviers qui vont à la pécherie: Quelle route il a pris en cette seconde navigation: Voyage de Champlein jusques è l'entrée de la grande riviere de Canada: Epitre presentée au Roy par ledit Jacques Quartier sur la relation de son deuxiéme voyage.

CHAP. VI

LUSIEURS sedentaires, & autres gens qui ont leur vie arretée és villes, trouveront paravanture cette curiosité superflue de mettre ici tant d'iles, passages, ports, bancs & autres particularitez, comme si en la côte d'une terre git Est-Nordest, & Ouest-Surouest, ou autrement. Ce que j'avois promis d'abbreger au commencement du premier livre de cette histoire. Mais ayant depuis consideré que ce seroit frustrer les mariniers & Terre-neuviers de ce qui leurs plus necessaire, le voyage des Terres-neuves étant en la relation precedente & en celle-ci si bien décrit & par un grand Pilote, qu'ilz ne sçauroient faillir de se bien conduire souz cette guide: j'ay pensé qu'il valoit mieux en cet endroit changer d'avis' & renouveler entierement la memoire de ce personnage, duquel aussi j'ay voulu mettre l'Epitre liminaire qu'il addresse au Roy en téte de sadite Relation, laquelle je croy n'avoit point encore eté mise au jour, puis qu'elle est écrite à la main au livre d'où je l'ay prise, comme aussi tout le discours de cette seconde navigation, lequel a eté extrait par le sieur de Belleforet, mais non entierement, ni avec la grace & naïveté que je trouve au propre écrit de l'autheur: & s'est quelque fois equivoqué en voulant apporter son jugement sur des choses particulieres ici recitées, léquelles nous remarquerons comme il viendra à propos. Et d'autant que le voyage de Samuel Champlein fait depuis six ans est une méme chose avec cetui-ci, je les conjoindray ensemble tant qu'il me sera possible, pour ne remplir inutilement le papier des vaines repetitions. Et neantmoins le lecteur sera averti qu'au temps du Capitaine Jacques Quartier les Terres-neuves n'étans pas si bien découvertes comme elles sont aujourd'hui, il print sa route plus au Nort que ne font à present les Terre-neuviers, pour entrer au golfe de Canada, qui est comme l'entree de la grande riviere, ne sçachant pas au vray qu'il y eût passage par le Cap-Breton, comme nous avons veu au troisiéme chapitre de ce livre, là où il dit que s'il y avoit passage entre la Terre-neuve & celle de Brion ce seroit pour racourcir & le temps & le chemin. Ainsi en ce second voyage il prit sa route droit au passage qui est entre la Terre-neuve & la terre ferme du Nort par les cinquante un degrez. Vray est qu'au retour je trouve qu'il passa entre dédites Terres-neuves & Brion, qui est aujourd'hui le passage plus ordinaire de noz mariniers, d'autant que prenant cette route en l'elevation de quarante-quatre, quarante-cinq & quarante-six degrez, ilz ne rencontrent point tant de grands bancs de glaces (où quelquefois les navires s'ahurtent à leur ruine) comme font ceux qui tirent plus au Nort. C'est pourquoy ledit Champlein en la description de son voyage, dit qu'apres une tourmente de dix-sept jours, durant laquelle ils eurent plus de dechet que d'avancement, ilz rencontrerent des bancs de glaces de huit lieuës de long, & autres moindres, haut élevez, ce qui les fit aller plus au Su chercher passage hors ces glaces par les quarante-quatre degrez, & en fin découvrirent le Cap saincte Marie en la Terre-neuve, puis trois jours apres eurent conoissance des Iles sainct Pierre: & derechef apres autres trois jours vindrent au Cap de Raye (où il y avoit encor des bancs de glace de six ou huit lieuës de long) & de là aux iles saint Paul & Cap saint Laurent, lequel il dit étre en la terre ferme du Su, & toutefois tout le trait de terre jusques à la bay de Campseau est une ile, d'autant qu'au fonds de ladite baye il y a un passage (que Jacques Quartier n'a point conu, ni beaucoup d'autres apres lui) par où l'on va audit golfe de Canada. Deux jours apres ilz découvrirent une ile de vint-cinq à trente lieuës de longueur, qui est l'entrée de la grande riviere. Cette ile est appellée par les Sauvages du païs Anticosti, qui est celle que Jacques Quartier a nommée l'ile de l'Assumption, parce qu'il y arriva le quinziéme d'Aoust jour de l'Assumption de nôtre Dame, comme nous verrons quand il nous aura conduit jusques là, ce qui est à peu prés la borne du premier voyage representé ci-dessus.

Voici donc l'inscription du recit qu'il presenta au Roy de sa seconde navigation & découverte en la Terre-neuve & grande riviere de Canada, autrement par lui dite Hochelaga du nom du païs qui est au Nort vers le saut de la dite riviere.

Seconde navigation faite par le commandement & vouloir du tres-Chrétien Roy François premier de ce nom au parachevement de la découverture des terres Occidentales estantes souz le climat & paralleles des terres & Royaume dudit Seigneur, & par lui precedentement ja commencées à faire découvrir: icelle navigation par Jacques Quartier natif de sainct Malo de l'ile en Bretagne, pilote dudit seigneur en l'an mil cinq cens trente cinq.

AU ROY TRES-CHRETIEN.

Considerant, ô mon tres-redouté Prince, les grands biens & dons de grace qu'il a pleu à Dieu le Createur faire à ses creatures, & entre les autres de mettre & asseoir le Soleil, qui est la vie & conoissance de toutes icelles, & sans lequel nul ne peut fructifier ni generer en lieu & place là où il a son mouvement & declinaison contraire & non semblable aux autres planetes, par léquels mouvement & declinaison toutes creatures étantes sur la terre en quelque lieu & place qu'elles puissent étre en ont ou en peuvent avoir en l'an dudit Soleil, qui est trois cens soixante-cinq jours & six heures autant de veuë oculaire, les uns que les autres par ses rais & reverberations, ni la division des jours & nuits en pareille egalité, mais suffit qu'il est de telle sorte & tant temperamment, que toute la terre est, ou peut estre habitée ne quelque zone, climat ou parallele que ce soit; & icelle avec les eauës, arbres, herbes & toutes autres creatures de quelque genre ou espece qu'elles soient, par l'influence d'icelui Soleil donner fruits & generations selon leurs natures pour la vie & nourriture des creatures humaines. Et si aucuns vouloient dire le contraire de ce que dessus en allegant le dit des sages Philosophes du temps passé, qui ont écrit & fait division de la terre par cinq zones, dont ils ont dit & affermé trois inhabitable; c'est à sçavoir la zone Torride, qui est entre les deux Tropiques, ou solstices, pour la grande chaleur & reverberation du Soleil, qui passe par le zenit de ladite zone; & les deux zones Arctique & Antarctique, pour la grande froideur qui est en icelles, à-cause du peu d'elevation qu'elles ont dudit Soleil, & autres raisons, je confesse qu'ils ont écrit à la maniere, & croy fermement qu'ilz pensoient ainsi, & qu'ilz le trouvoient par aucunes raisons naturelles là où ilz prenoient leur fondement, & d'icelles se contentoient seulement, sans aventurer, ni mettre leurs personnes aux dangers équels ils eussent peu enchoir à chercher l'experience de leur dire. Mais je diray pour ma replique que le Prince d'iceux Philosophes a laissé parmi ses écritures un bref mot de grande consequence, qui dit que Experientia est rereum magistra: par l'enseignement duquel j'ay osé entreprendre d'addresser à la veuë de vôtre Majesté Royale cetui propos, & maniere de prologue de ce mine petit labeur. Car suivant vôtre Royal commandement les simples mariniers de present non ayans eu tant de crainte d'eux mettre en l'aventure d'iceux perils & dangers qu'ils ont eu, & ont de vous faire tres-humble service à l'augmentation de la tres-saincte Foy Chrétienne, ont conu le contraire de cette opinion dédits Philosophes par vray experience. J'ay allegué ce que devant, pource que je regarde que le Soleil qui chacun jour se leve à l'Orient & se reconse à l'Occident faisant le tour & circuit de la terre, donnant lumiere & chaleur à tout le monde en vint-quatre heures, qui est un jour naturel. A l'exemple dequoy je pense en mon simple entendement, & sans aucune raison y alleguer, qu'il pleut à Dieu par sa divine bonté que toutes humaines creatures étantes & habitantes sur le globe de la terre, ainsi qu'elles ont veuë & conoissance d'icelui Soleil, ayent eu, & ayent pour le temps avenir conoissance & creance de nôtre sainte Foy. Car premierement icelle nôtre tres-sainte Foy a été semée & plantée en la Terre-saincte qui est en l'Asie & l'Orient de nôtre Europe: & depuis par succession de temps apportée & divulguée jusques à nous. Et finalement en l'Occident de nôtre dite Europe à l'exemple dudit Soleil portant sa clarté & chaleur d'Orien en Occident, comme dit est. Et maintenant le temps semble se preparer, auquel nous la verrons portée de nôtre France Orientale en l'Occidentale d'outre-mer. A l'effect dequoy a été faite la presente navigation par vôtre Royal commandement és terres non auparavant à nous conuës, par le recit de laquelle pourrez voir & sçavoir la bonté & fertilité d'icelle, l'innumerable quantité des peuples y habitans, la bonté & paisibleté d'iceux & pareillement la fecondité du grand fleuve qui decourt & arrouse le parmi d'icelles voz terres, qui est le plus grand sans comparaison, qu'on sçache jamais avoir veu. Quelles choses donnent à ceux qui les ont veuës certaine esperance de l'augmentation future de nôtre tres-saincte Foy, de voz Seigneuries & nom tres-Chrétien, ainsi qu'il vous plaira voir par ce present petit livre, auquel sont amplement contenuës toutes les choses dignes de memoire qu'avons veuës, & qui nous sont avenuës tant en faisant ladite navigation, qu'étans & faisans sejour en vosdits païs & terres, les routes, dangers, & gisemens d'icelles terres. Dieu vueille par sa grace vous inspirer, Sire, à embrasser serieusement cette sainte entreprise, &c.




Preparation du Capitaine Jacques Quartier & des siens au voyage de la Terre-neuve: Embarquement: Ile aux oyseaux: Découverte d'icelui jusque au commencement de la grande riviere de Canada, par lui dite Hochelaga: Largeur & profondeur nompareille d'icelle: Son commencement inconnu.

CHAP. VII

E Dimanche jour & féte de Pentecôte seziéme de May audit an Mille cinq cens trente-cinq, du commandement du Capitaine & bon vouloir de tous, chacun se confessa, & receumes tous ensemblement nôtre Createur en l'Eglise cathedrale dudit sainct Malo: apres lequel avoir receu, fumes nous presenter au choeur de ladite Eglise devant reverend Pere en Dieu Monsieur de sainct Malo, lequel en son état Episcopal nous donna sa benediction.

Et le Mercredy ensuivant dix-neufiéme jour de May, le vent vint bon & convenable, & appareillames avec lédits trois navires, sçavoir, La grande Hermine du port d'environ à cent ou six-vints tonneaux, où étoit ledit Capitaine general, & pour Maitre Thomas Froment, Claude du Pont-Briant filz du sieur de Mon-real, & Eschanson de Monseigneur le Dauphin, Charles de la Pommeraye, & autres Gentils-hommes. Au second navire nommé La petite Hermine du port d'environ soixante tonneaux étoit Capitaine sous ledit Quartier Macé Jalobert, & maitre Guillaume le Marié. Et au tiers navire & plus petit nommé l'Emerillon du port d'environ quarante tonneaux, en étoit Capitaine Guillaume le Breton, & maitre Jacques Mingard. Et navigames avec bon temps jusques au vint-sixiéme dudit mois de May que le temps se trouva en ire & tourmente, qui nous a duré en vens contraires & serraisons autant que jamais navires qui passassent ladite mer eussent sans aucun amendement. Tellement que le vint-cinquiéme jour de Juin par ledit mauvais temps & serraison, nous entre-perdimes tous trois, sans que nous ayons eu nouvelles les uns des autres jusques à la Terre-neuve, là où nous avions limité nous trouver ensemble.

Et depuis nous étre entre-perdus avons été avec la nef generale par la mer de tous vents contraires jusques au septiéme jour de Juillet que nous arrivames à ladite Terre-neuve, & primmes terre à l'Ile des Oyseaux, laquelle est à quatorze lieuës de la grande terre: & si trespleine d'oiseaux, que tous les navires de France y pourroient facilement charger sans qu'on s'apperceut qu'on en eut tiré; & là en primmes deux barquées pour parties de noz victuailles. Icelle ile est en l'elevation du pole en quarante-neuf degrez quarante minutes.

Et le huitiéme jour dudit mois nous appareillames de ladite Ile, & avec bon temps vimmes au hable (l'Autheur écrit ainsi ce que nous disons havre) de Blanc-sablon étant en la bay des Chateaux, le quinziéme jour dudit mois, qui est le lieu où nous devions rendre: auquel lieu fumes attendans nos compagnons jusques au vint-sixiéme jour dudit mois qu'ils arriverent tous deux ensemble: & là nous accoutrames & primmes eaux, bois, & autres choses necessaires & appareillames & fimes voiles pour passer outre le 26 jour dudit mois à l'aube du jour & fimes porter le long de la côte du Nort gisant Est-Nordest, & Ouest-Surouest jusques environ les huit heures du soir que mimes les voiles bas le travers de deux iles que nous nommames les iles sainct Guillaume, léquelles sont environ vint lieuës outre le hable de Brest. Le tout de ladite côte depuis les Chateaux jusques ici git Est-Nordest, & Ouest-Surouest, rangée de plusieurs iles & terres toutes hachées & pierreuses, sans aucunes terres, ni bois, fors en aucunes vallées.

Le lendemain, penultiéme jour dudit mois nous fimes courir à Ouest pour avoir conoissance d'autres iles qui nous demouroient environ douze lieuës & demie: entre léquelles iles se faict une couche vers le Nort, toutes iles & grandes bayes apparoissantes y avoir plusieurs bons hables. Nous les nommames les Iles saincte Marte, hors léquelles environ une lieuë & demie à la mer y a une basse bien dangereuse, où il y a quatre ou cinq téte qui demeurent le travers dédites bayes en la route d'Est & Ouest dédites Iles sainct Guillaume, & autres iles qui demeurent à Ouest-Surouest des iles saincte Marte environ sept lieuës: léquelles iles nous vimmes querir ledit jour environ une heure apres midi. Et depuis ledit jour jusques à l'orloge virante fimes courir environ quinze lieuës jusques le travers du Cap d'iles basses que nous nommames Les iles sainct Germain: Au Suest duquel Cap environ trois lieuës y a une autre basse fort dangereuse: & pareillement entre lédits Cap sainct Germain & saincte Marte y a un banc hors dédites iles environ deux lieuës, sur lequel n'y a que quatre brasses: & pour le danger de ladite côte mimmes les voiles bas, & ne fimes porter ladite nuit.

Le lendemain dernier jour de Juillet fimes courir le long de ladite côte, qui git Est & Ouest quart de Suest, laquelle est toute rangée d'iles & basses, & côte fort dangereuse: laquelle contient d'empuis ledit Cap des iles sainct Germain jusques à la fin des iles environ dix-sept lieuës & demie: & à la fin dédites iles y a une moult belle terre basse pleine de grands arbres & hauts: & est icelle côte toute rangée de sablons sans y avoir aucune apparoissance de hable jusques au Cap de Tiennot, qui se rabbat au Nor-Ouest, qui est à environ sept lieuës dédites iles: lequel Cap conoissions du voyage precedent: pource fimes porter toute la nuit à Ouest-Norouest jusques au jour que le vent vint contraire, & allames chercher un havre où mimes nos navires, qui est un bon petit havre outre ledit Cap Tiennot environ sept lieuës & demie, & est entre quatre iles sortantes à la mer, nous le nommames Le havre sainct Nicolas, & sur la plus prochaine ile plantames une grande Croix de bois pour merche (il veut dire, marque) il faut amener ladite Croix au Nordest, puis l'aller querir & la laisser de tribort (mot de marine signifiant, à droite) & trouverez de profond six brasses, posez dedans ledit hable à quatre brasses: & se faut donner de garde de quatre basses qui demeurent des deux côtez à demie lieue hors. Toute cette-dite côte est fort dangereuse, & pleine de basses. Nonobstant qu'il semble y avoir plusieurs hables, n'y a que basses & plateis. Nous fumes audit hable d'empuis ledit jour jusques au Dimanche huictiéme d'Aoust, auquel nous appareillames, & vimmes querir la terre de Su vers le Cap de Rabast, qui est distant dudit hable environ vint lieues, gisant Nort-nordest, & su-Surouest. Et le lendemain le vent vint contraire: & pource que ne trouvames nuls hables à la dite terre du Su, fimes porter vers le Nort outre le precedent hable d'environ dix lieuës, où trouvames une fort belle & grande baye pleine d'iles & bonnes entrées & posage de tous les temps qu'il pourroit faire, & pour conoissance d'icelle bay y a une grande ile comme un cap de terre, qui s'avance dehors plus que les autres, & sur la terre environ deux lieues y a une montagne faite comme un tas de blé. Nous nommames ladite bay La baye saint Laurent.

Le quatroziéme dudit mois nous partimes de ladite bay saint Laurent, & fimes porter à Ouest, & vimmes querir un cap de terre devers le Su qui gist environ l'Ouest un quart de Surouest dudit hable saint Laurent environ vint-cinq lieues. Et par les deux Sauvages qu'avions prins le premier voyage, nous fut dit que c'étoit de la terre devers le Su, & que c'étoit une ile, & que parle Su d'icelle étoit le chemin à aller de Hongnedo où nous les avions prins le premier voyage, à Canada: & qu'à deux journées de là dudit Cap & ile commençoit le Saguenay à la terre de vers le Nort allant vers ledit Canada. Le travers dudit Cap environ trois lieuës y a de profond cent brasses & plus, & n'est memoire de jamais avoir veu tant de Baillames que nous vimes celle journée le travers dudit Cap.

Le lendemain jour nôtre Dame d'Aoust quinziéme dudit mois nous passames le détroit: la nuit devant, & le lendemain eumes conoissance des terres qui nous demeuroient vers le Su, qui est une terre à hautes montagnes à merveilles, dont le cap susdit de ladite ile que nous avons nommée l'Ile de l'Assumption, & un cap dédites hautes terres, gisent Est-nordEst, & Ouest Surouest, & y a entre eux vint-cinq lieuës, & voit-on les terres du Nort encore plus hautes que celle du Su à plus de trente lieuës. Nous rangeames lédites terres du Su d'empuis ledit jour jusques au Mardi midi que le vent vint Ouest, & mimes le cap au Nort pour aller querir lédites hautes terres que voyions: & nous étans là trouvames lédites terres unies & basses vers la mer & les montagnes de devers le Nort par-sus lédites basses terres, gisantes icelles Est & Ouest un quart de Surouest: & par les Sauvages qu'avions, nous a eté dit que c'étoit le commencement du Saguenay, & terre habitée, & que de là Venoit le cuivre rouge, qu'ilz appellent Caquetdazé. Il y a entre les terres du Su & celles du Nort environ trente lieues, & plus de deux cens brasses de parfond. Et nous ont lédits Sauvages certifié étre le chemin & commencement du grand fleuve de Hochelaga & chemin de Canada, lequel alloit toujours en étroicissant jusques à Canada: & puis, que l'on trouve l'eau douce audit fleuve, qui va si long que jamais hommes n'avoit été au bout, qu'ils eussent ouï, & qu'autre passage n'y avoit que par bateaux. Et voyans leur dire, & qu'ils affermoient n'y avoir autre passage, ne voulut ledit Capitaine passer outre jusques à avoir veule reste & côte de vers le Nort, qu'il avoit obmis à voir depuis la baye saint Laurent pour aller voir la terre du Su, pour voir s'il y avoit aucun passage.




Retour du Capitaine Jacques Quartier vers la Bay sainct Laurent: Hippopotames: Continuation du voyage dans la grande riviere de Canada, jusques à la riviere de Saguenay, qui sont cent lieuës.

CHAP. VIII

E Mercredy dix-huictiéme jour d'Aoust ledit Capitaine fit retourner les navires en arriere, & mettre le cap à l'autre bord, & rangeames ladite côte du Nort, qui gist Nordest & Surouest, faisant un demi arc, qui est une terre fort haute, non tant comme celle du Su, & arrivames le Jeudy en sept iles moult hautes, que nommames Les iles rondes, qui sont environ quarante lieuës des terres du Su, & s'avancent hors en la mer trois ou quatre lieuës: le travers déquelles y a un commencement de basses terres pleines de beaux arbres, léquelles terres nous rangeames le Vendredy avec noz barques, le travers déquelles y a plusieurs bancs de sablon plus de deux lieues à la mer fort dangereux, léquels demeurent de basse mer: & au bout d'icelle basses terres (qui contiennent environ dix lieues) y a une riviere d'eau douce sortante à la mer, tellement qu'à plus d'une lieue de terre elle est aussi douce que eau de fontaine. Nous entrames en ladite riviere avec noz barques, & ne trouvames à l'entrée que brasse & demie. Il y a dedans ladite riviere plusieurs poissons qui ont forme de chevaux léquels vont à la terre de nuit, 7 de jour à la mer ainsi qu'il nous fut dit par noz deux Sauvages: & de cesdits poissons vimmes grand nombre dedans ladite riviere.

Le lendemain vint-uniéme jour dudit mois au matin à l'aube du jour fimes voile, & porter le long de ladite côte tant que nous eumes conoissance de la reste d'icelle côte du Nort que n'avions veu, & de l'ile de l'Assumption que nous avions eté querir au partir de ladite terre: & lors que nous fumes certains que ladite côte étoit rangée, & qu'il n'y avoit nul passage, retournames à nos navires qui étoient édites sept iles, où il y a bonnes rades à dix-huit & vint brasses, & sablon: auquel lieu avons eté sans pouvoir sortir, ni faire voiles pour la cause des bruines & vens contraires, jusques au vint-quatriéme dudit mois, que nous appareillames, & avons eté par la mer chemin faisans jusques au vint-neufiéme dudit mois, que sommes arrivés à un hable de la côte du Su, qui est environ quatre-vint lieuës dédites sept Iles, lequel est le travers de trois iles petites, qui sont par le parmi du fleuve, & environ le mi-chemin dédites iles, & ledit hable devers le Nort, y a une fort grande riviere, qui est entre les hautes & basses terres, laquelle fait plusieurs bancs à la mer à plus de trois lieuës, qui est un païs fort dangereux, & sonne de deux brasses & moins, & à la choiste d'iceux bancs trouverez vint-cinq & trente brasses bort à bort. Toute cette côte du Nort git Nor-nordest, & Su-Surouest.

Le hable devant-dit où posames, qui est à la terre du Su est hable de marée, & de peu de valeur. Nous le nommames Les ileaux saint Jean, parce que nous y entrames le jour de la Decollation dudit saint. Et auparavant qu'arriver audit hable y a une ile à l'Est d'icelui, environ cinq lieuës, où il n'y a point de passage entre terre & elle que par bateaux. Ledit hable des ileaux saint Jean asseche toutes les marées, & y marine l'eau de deux brasses. Le meilleur lieu à mettre navires est vers le Su d'un petit ilot qui est au parmi dudit hable bord audit ilot.

Nous appareillames dudit hable le premier jour de Septembre pour aller vers Canada. Et environ quinze lieuës dudit hable à l'Ouest-Surouest y a trois iles au parmi dudit fleuve, le travers déquelles y a une riviere fort profonde & courante, qui est le riviere & chemin du Royaume & terre de Saguenay, ainsi que nous a eté dit par nos hommes du païs de Canada: & est icelle riviere entre hautes montagnes de pierre nuë, & sans y avoir que peu de terre, & nonobstant y croit grande quantité d'arbres, & de plusieurs sortes, qui croissent sur ladite pierre nuë, comme sur bonne terre. De sorte que nous y avons veu tel arbre suffisant à master navire de trente tonneaux aussi vert qu'il est possible, lequel étoit sus un roc, sans y avoir aucune saveur de terre.

A l'entrée d'icelle riviere, trouvames quatre barques de Canada, qui étoient là venuës pour faire pécheries de Loups-marins, & autres poissons. Et nous étans posez dedans ladite riviere, vindrent deux dédites barques vers noz navires, léquelles venoient en une peur & crainte, de sorte qu'il en ressortit une, & l'autre approcha si prés, qu'ilz peurent entendre l'un de noz Sauvages, qui se nomma & fit sa conoissance, & les fit venir seurement à bord.

Or maintenant laissons le Capitaine Jacques Quartier deviser avec ses sauvages au port de la riviere de Saguenay, qui est Tadoussac, & allons au devant de Champlein, lequel nous avons cy-dessus laissé à Anticosti (qui est l'ile de l'Assumption) car il nous décrira Tadoussac, & Saguenay, selon le rapport des hommes du païs, au pardessus de ce qu'il a veu: voire encore nous dira-il la reception que leur auront fait les Sauvages à leur arrivée. En quoy si, rapportant les mots de l'Autheur, on trouve quelquefois un langage moins orné & poli, le Lecteur se souviendra que je n'y ay rien voulu changer: bien ay-je retrenché quelque chose de moins necessaire. Voici donc comme il continue le discours que nous avons laissé au chapitre sixiéme.




Voyage de Champlein depuis Anticosti, jusques à Tadoussac: Description de Gachepé, riviere de Mantane, port de Tadoussac, bayes des Moruës, Ile percée, Bay de Chaleur: Remarques des lieux, iles ports, bayes, sables, rocher, & rivieres qui sont à la bende du Nort en allant à la riviere de Saguenay Description du port de Tadoussac, & de ladite riviere de Saguenay. Contradiction de Champlein.

CHAP. IX

PRES avoir découvert Anticosti, le lendemain nous eumes conoissance de Gachepé, terre fort haute. C'est une baye du coté du Su, laquelle contient quelque sept ou huit lieuës de long & à son entrée quatre lieuës de large. Là y a une riviere qui va quelques trente lieues dans les terres. Ici est le commencement de la grande riviere de Canada, sur laquelle à la bande du Su y a la riviere Mantanne, laquelle va quelques dix-huit lieues dans les terres. Elle est petite & à soixante lieuës dudit Gachepé. Mais les Sauvages étans au bout d'icelle portent leurs canots (qui sont petits bateaux d'écorce) environ une lieuë par terre, & se viennent rendre en la Baye de Chaleur: par où ilz font des grans voyages. De ladite riviere de Mantanne on vient vers le Pic où il y a vint-lieuës: & delà en traversant la riviere on vient à Tadoussac, d'où il y a quinze lieuës. C'est le chemin que nous suivimes en allant. Mais comme nous eumes là sejourné quelque temps, & aprés que nous fumes allé au saut de ladite grande riviere de Canada, nous retournames quelque nombre de Tadoussac à Gachepé, & de là nous allames à la Baye des Moruës, laquelle peut tenir quelque trois lieuës de long, & autant de large à son entree: Puis vimmes à l'ile percée, qui est comme un rocher fort haut élevé des deux côtez, où il y a un trou par où les chaloupes & bateaux peuvent passer de haute mer, & de basse mer on peut aller de la grande terre à à ladite ile, qui n'en est qu'à quatre ou cinq cent pas. Et à l'environ d'icelle y a une autre ile dite l'ile de Bonaventure, & peut tenir de long demie lieuë: En tous léquels lieux se fait gran'pécherie de poisson sec & verd. Et passé ladite ile percée on vient à ladite Baye de Chaleur, qui va comme à l'Ouest-Sur-ouest quelques quatre-vint lieuës dans les terres, contenant au large en son entrée quelque quinze lieuës. Et disent les Sauvages qu'en icelle baye il y a une riviere qui va quelque vint lieuës dans les terres, au bout dequoy est un lac qui peut tenir quelques vint lieuës, auquel il y a fort peu d'eau, & qu'en Eté il asseche: auquel ilz trouvent (environ un pié dans la terre) une maniere de metal, qui ressemble à l'argent, & qu'en un autre lieu proche dudit lac il y a une autre mine de cuivre. Ayans trouvé ceux que nous cherchions à l'ile percée, nous retournames derechef à Tadoussac. Mais comme nous fumes à quelques trois lieuës du cap l'Evesque nous fumes contrairez d'une tourmente laquelle dura deux jours, qui nous fit relacher dedans une grande ance en attendant le beau temps. Le lendemain nous en partimes & fumes encores contrariez d'une autre tourmente: Ne voulans relacher, & pensans gaigner chemin nous fumes à la côte Nort le vint-huitiéme jour de Juillet mouiller l'ancre à une ance qui est fort mauvaise, &-cause des bancs de rochers qu'il y a. Cette ance est par les cinquante-uniéme degrés & quelques minutes. Le lendemain nous vimmes mouiller l'ancre proche d'une riviere qui s'appelle Saincte Marguerite, où il y a de pleine mer quelques trois brasses d'eau, & brasse & demie de basse mer; elle va assez avant. A ce que j'ay veu, dans terre du côté de l'Est il y a un saut d'eau qui entre dans ladite riviere, & vient de quelques cinquante ou soixante brasses de haut, d'où procede la plus grande part de l'eau qui descend dedans: A son entrée il y a un banc de sable, où il peut avoir de basse eau demie brasse. Toute la côte du côté de l'Est est sable mouvant, où il y a une pointe à quelque demie lieuë de ladite riviere, qui avance une demie lieuë en la mer: & du côté de l'Ouest il y a une petite ile: cedit lieu est par les cinquante degrez. Toutes ces terres sont tres-mauvaises remplies de sapins: la terre est quelque peu haute, mais non tant que celle du Su. A quelques trois lieuës de là nous passames proche d'une autre riviere laquelle sembloit estre fort grande, barrée neantmoins la pluspart de rochers. A quelques huit lieuës de là il y a une pointe qui avance une lieuë & demie à la mer, où il n'y a que brasse & demie d'eau. Passé cette pointe il s'en trouve une autre à quelque quatre lieues où il y a assez d'eau: Toute cette côte terre basse & sablonneuse. A quelques quatre lieues de là il y a une ance où entre une riviere, il y peut aller beaucoup de vaisseaux du côté de l'Ouest, c'est une pointe basse qui avance environ une lieuë en la mer. Il faut ranger la terre de l'Est comme de trois cens pas, pour pouvoir entrer dedans: Voila le meilleur port qui est en toute la côte du Nort, mais il fait fort dangereux y aller pour les basses, & bancs de sable qu'il y a en la pluspart De la côte pres de deux lieuës à la mer. On trouve à quelque six lieuës de là une bay, où il y a une ile de sable. Toute la dite bay est fort baturiere dans ladite baye & quelque quatre lieuës de là, il y a une belle ance où entre une riviere: Toute cette côte est basse & sabloneuse, il y descend un saut d'eau qui est grand. A quelques cinq lieuës de là il y a une pointe qui avance environ demie lieuë en la mer où il y a une ance, & d'une pointe à l'autre y a trois lieuës; mais ce n'est que batures où il y a peu d'eau. A quelque deux lieues il y a une plage où il y a un bon port, & une petite riviere, où il y a trois iles, & où des vaisseaux se pourroient mettre à l'abry. A quelques trois lieues de là il y a une pointe de sable qui avance environ une lieue, où au bout il y a un petit ilet. Puis allant à Lesquemin vous rencontrez deux petites iles basses, & un petit rocher à terre. Cesdites iles sont environ à demi lieuë de Lesquemin qui est un fort mauvais port, entourné de rochers, & asseché de basse mer, & faut variser pour entrer dedans au derriere d'une petite pointe de rocher, où il n'y peut qu'un vaisseau. Un peu plus haut, il y a une riviere qui va quelque peu dans les terres: c'est le lieu où les Basques font la péche des baleines. Pour dire verité le port ne vaut du tout rien. Nous vimmes de là audit port de Tadoussac. Toutes cédites terres ci-dessus sont basses à la côte, & dans les terres fort hautes. Elle ne sont si plaisantes ni fertiles que celles du Su, bien qu'elles soient plus basses.

Ayans mouillé l'ancre devant le port de Tadoussac à notre premiere arrivée, nous entrames dedans ledit port le vint-sixiéme jour de May. Il est fait comme une ance, gisant à l'entrée de la riviere de Saguenay, en laquelle il y a un courant d'eau & marée fort étrange, pour sa vitesse & profondité, où quelque fois il vient des vents impetueux léquels amenent avec eux de grandes froidures. L'on tient que ladite riviere a quelque quarante-cinq ou cinquante lieuës jusques au premier saut, & vient du côté de Nor-norouest. Ledit port de Tadoussac est petit, où il ne pourroit que dix ou douze vaisseaux: mais il y a de l'eau assez à Est à l'abry de ladite riviere de Saguenay le long d'une petite montagne, qui est préque coupée de la mer: le reste ce sont montagnes hautes élevées, où il y a peu de terre, sinon rochers & sables remplis de bois, de pins, ciprez, sapins, boulles, & quelques manieres d'arbres de peu: il y a un petit étang proche dudit port renfermé de montagnes couvertes de bois. A l'entrée dudit port il y a deux pointes, l'une du côté d'Ouest contenant une lieue en mer, qui s'appelle la poincte de sainct Matthieu; & l'autres du côté de Suest, contenant un quart de lieue, qui s'appelle la pointe de tous les diables, les vens du Su & Su-suest, & Su-surouest, frappent dedans ledit port. Mais de la pointe de sainct Matthieu jusques à ladite pointe de tous les diables, il y a prés d'une lieue: l'une & l'autre pointe asseche de basse mer.

Quant à la riviere de Saguenay elle est tres-belle, & a une profondeur incroyable. Elle procede selon que j'ay entendu, d'un lieu fort haut, d'où descent un torrent d'eau d'une grande impetuosité; mais l'eau qui en vient, n'est point capable de faire un tel fleuve comme cetui-là, & faut qu'il y ait d'autres rivieres qui s'y dechargent: & y a depuis le premier saut, jusques au port de Tadoussac (qui est l'entrée de la dite riviere de Saguenay) quelques 40 ou 50 lieues, & une bonne lieue & demie de large au plus & un quart au plus étroit, qui fait qu'il y a grand courant d'eau. Toute la terre que j'ay veu ne sont que montagnes de rochers la pluspart, couvertes de bois de sapins, cyprez, & boulles, terre fort mal plaisante, où je n'ay point trouvé une lieuë de terre pleine, tant d'un côté que d'autre. Il y a quelques montagnes de sable & iles en ladite riviere, qui sont hautes élevées. En fin ce sont de vrays desert habitables tant seulement aux animaux & oyseaux; car je vous asseure qu'allant chasser par les lieux que me sembloient les plus plaisans, je ne trouvay rien qui soit, sinon de petits oyseaux qui sont comme rossignols & hirondelles, léquels y viennent en Eté; car autrement je croy qu'il n'y en a point, à cause de l'excessif froid qu'il y fait, cette riviere venant de devers le Nor-ouest. Les Sauvages me firent rapport, qu'ayant passé le premier saut d'où vient ce torrent d'eau, ilz passent huit autres sauts, & puis vont une journée sans en trouver aucun, puis passent autres six sauts, & viennent dedans un lac, où ilz peuvent faire à leur aise quelques douze à quinze lieuës. Audit bout du lac il y a des peuples qui sont cabannez: puis on entre dans trois autres rivieres, quelques trois ou quatre journées dans chacune, où au bout dédites riviere, il y a deux ou trois manieres de lacs, d'où prend sa source le Saguenay, de laquelle source jusques audit port de Tadoussac, il y a dix journées de leurs Canots. Au bord dédites rivieres, il y a quantité de cabanes, où il vient d'autres nations du côté du Nort troquer avec les Montagnais qui vont là, des peaux de castor & martre, avec autres marchandises que donnent les vaisseaux François audits Montagnés. Lédits Sauvages du Nort disent, qu'ilz voient une mer qui est salée.

Voila ce qu'a écrit Champlein dés l'an six cens cinq, de la riviere de Saguenay. Mais depuis il dit en sa derniere relation que le port de Tadoussac, jusques à lamer que les Sauvages de Saguenay decouvrent au Nort, il y a de quarante à cinquante journées; ce qui est bien éloigné des dix que maintenant il a dit. Or s'ilz font de douze à quinze lieuës par jour, voila plus de six cens lieuës tirant au nort: D'où je collige qu'il a eu tort de nous bailler une charte geographique de la Nouvelle-France, en laquelle ayant voulu suivre celle que les Anglois ont publiée de leur derniere découverte de l'an mille six cens onze, il s'est tout contrarié à ce qu'il écrit. Car depuis Tadoussac jusques à cette mer (qui n'est point au Nort, mais à l'ouest du Saguenay) il n'y a pas deux cens lieuës. Et si on y veut aller par la riviere dite Les trois rivieres en sa charte, il ne s'en trouve que six-vints. Et toutefois je ne voudrois aisement croire lédits Anglois, disans qu'il se trouve une mer dans les terres au cinquantiéme. Car il y a long temps qu'elle seroit découverte étant si voisine de Tadoussac, & en méme élevation.




Bonne reception faite aux François par le grand Sagamo des Sauvages de Canada: Leurs festins & danses: La guerre qu'ils ont avec les Iroquois.

CHAP. X

E vint-septiéme d'Avril nous fumes trouver les Sauvages à la pointe de sainct Matthieu, qui est à une lieue de Tadoussac, avec les deux Sauvages que mena le sieur du Pont de Honfleur, pour faire le rapport de ce qu'ils avoient veu en France, & de la bonne reception que leur avoit fait le Roy. Ayans mis pied à terre nous fumes à la cabanne de leur grand Sagamo, qui s'appelle Anadabijou, où nous le trouvames avec quelques quatre-vints ou cent de ses compagnons qui faisoient Tabagie (qui veut dire festin) lequel nous receut fort bien selon la coutume du païs, & nous fit assoir aprés lui, & tous les Sauvages arangez les uns auprés des autres des deux côtez de la dite cabane. L'un des Sauvages que nous avions amené commença à faire sa harangue, de la bonne reception que leur avoit fait le Roy, & le bon traitement qu'ils avoient receu en France, & qu'ils s'asseurassent que sadite Majesté leur vouloit du bien, & desiroit peupler leur terre, & faire paix avec leurs ennemis (qui sont les Iroquois) ou leur envoyer des forces pour les veincre: en leur contant aussi les beaux chateaux, palais, maisons, & peuples qu'ils avoient veu, & nôtre façon de vivre. Il fut entendu avec un silence si grand, qu'il ne se peut dire de plus. Or aprés qu'il eut achevé sa harangue, ledit grand Sagamo Anadabijou l'ayant attentivement ouï, il commença à prendre du petun, & en donner audit sieur du Pont, & à moy, & à quelques autres Sagamos qui étoient auprés de lui. Ayant bien petuné, il commença à faire sa harangue à tous, parlant posément, s'arrétant quelquefois un peu, & puis reprenant sa parole, en leur disant: Que veritablement ilz devoient estre fort contens d'avoir sadite Majesté pour grand ami. Ilz répondirent, tous d'une voix, ho, ho, ho, qui est à dire, oui, oui. Lui continuant toujours sadite harangue, dit: Qu'il estoit fort aise que sadite Majesté peuplat leur terre, & fit la guerre à leurs ennemis, qu'il n'y avoit nation au monde à qui ilz voulussent plus de bien qu'aux François. En fin il leur fit entendre à tous le bien & utilité qu'ilz pourroient recevoir de sadite Majesté. Aprés qu'il eut achevé sa harangue, nous sortimes de sa cabanne, & eux commencerent à faire leur Tabagie qu'ilz font avec des chairs d'Orignac (qui est comme Boeuf) d'Ours, de Loups-marins, & Castors, qui sont les viandes les plus ordinaires qu'ils ont & du gibier en quantité. Ils avoient huit ou dix chaudieres pleines de viandes au milieu de ladite cabanne, & étoient éloignez les uns des autres six pas & chacune a son feu. Ilz sont assis des deux côtez (comme j'ay dit cy-dessus) avec chacun son écuelle d'écorce d'arbre: & lors que la viande est cuite, il y en a un qui fait les partages à chacun dans lédites écuelles, où ilz mangent fort salement: car quand ils ont les mains grasses, ils les frottent à leurs cheveux faute de serviettes, ou bien au pois de leurs chiens dont ils ont quantité pour la chasse. Premier que leur viande fût cuite, il y en eut un qui se leva, & print un chien, & s'en alla sauter autour dédites chaudieres d'un bout de la cabanne à l'autre: Etant devant le grand Sagamo, il jetta son chien à terre de force, & puis tous d'une voix s'écrierent ho, ho, ho: ce qu'ayant fait s'en alla asseoir à sa place. En méme instant un autre se leva, & fit le semblable, continuant toujours jusques à ce que la viande fût cuite. Or aprés avoir achevé leur Tabagie, ilz commencerent à danser, en prenant les tétes de leurs ennemis, qui leur pendoient par derriere. En signe de rejouissance il y en a un ou deux qui chantent en accordant leurs voix par la mesure de leurs mains qu'ilz frappent sur leurs genoux, puis ilz s'arrétent quelquefois en s'écrians, ho, ho, ho, & recommencent à danser en soufflant, comme un homme qui est hors d'haleine. Ilz faisoient cette rejouissance pour la victoire par eux obtenuë sur les Iroquois, dont ilz en avoient tué quelques cent, auquels ilz coupperent les tétes, qu'ils avoient avec eux pour leur ceremonie. Ils estoient trois nations quand ilz furent à la guerre, les Etechemins, Algoumequins, & Montagnais au nombre de mille, qui allerent faire la guerre audits Iroquois qu'ilz rencontrerent à l'entrée de la riviere dédits Iroquois, & en assomerent une centaine. La guerre qu'ilz font n'est que par surprise, car autrement ils auraient peur, & craignent trop lédits Iroquois, qui sont en plus grand nombre que lédits Montagnais, Etechemins, & Algoumequins. Le vint-huitiéme jour dudit mois ilz se vindrent cabanner audit port de Tadoussac où étoit nôtre vaisseau. A la pointe du jour leurdit grand Sagamo sortit de sa cabanne, allant autour de toutes les autres cabannes, en criant à haute voix, qu'ils eussent à déloger pour aller à Tadoussac, où étoient leurs bons amis. Tout aussi-tôt un chacun d'eux deffit sa cabanne en moins d'un rien, & ledit grand Capitaine le premier commença à prendre son canot, & le porter à la mer où il embarqua sa femme & ses enfans, & quantité de fourrures, & se mirent ainsi prés de deux cens canots, qui vont étrangement, car encore que nôtre chalouppe fût bien armée, si alloient-ilz plus vite que nous. Ils étoient au nombre de mille personnes tant d'hommes que femmes & enfans.




La rejouissance que font les Sauvages aprés qu'ils ont eü victoire sur leurs ennemis; Leurs humeurs: Sont malicieux; Leur croyances & faulse opinions. Que leurs devins parlent visiblement aux Diables.

CHAP. XI

E neufiéme jour de Juin les Sauvages commencerent à se réjouir tous ensemble & faire leur Tagagie, comme j'ay dit ci-dessus' & danser, pour ladite victoire qu'ils avoient obtenue contre leurs ennemis. Or apres avoir fait bonne chere, les Algoumequins, une des trois nations, sortirent de leurs Cabannes, & se retirerent à part dans une place publicque, firent arrenger toutes leurs femmes & filles les unes prés des autres, & eux se mirent derriere chantans tous d'une voix comme j'ay dit ci-devant. Aussi-tôt toutes les femmes & filles commencerent à quitter leurs robbes & peaux, & se mirent toutes nues montrans leur nature, neantmoins parées de Matachia qui sont patenôtres & cordons entre-lassez faits de poil de Por-épic, qu'ils teindent de diverses couleurs. Aprés avoir achevé leurs chants, ilz dirent tous d'une vois, ho, ho, ho. A méme instant toutes les femmes & filles se couvrirent de leurs robbes (car elles les jettent à leurs piés) & s'arréterent quelque peu: & puis aussi tôt recommençans à chanter elles laisserent aller leurs robbes comme auparavant.

Or en faisant cette danse, le Sagamo des Algoumequins qui s'appelle Besouat, étoit assis devant lédites femmes & filles, au milieu de deux batons où étoient les tétes de leurs ennemis pendues: quelquefois il se levoit & s'en alloit haranguant & disant aux Montagnés & Etechemins, voyez comme nous nous rejouissons de la victoire que nous avons obtenue de nos ennemis, il faut que vous en faciés autant, afin que nous soyons contens: puis tous ensemble disoient ho, ho, ho. Retourné qu'il fut en sa place, le grand Sagamo avec tous ses compagnons dépouillerent leurs robbes estans tout nuds (hors-mis leur nature qui est couverte d'une petite peau) & prindrent chacun ce que bon leur sembla, comme Matachia, haches, épées, chauderons, graisses, chair d'Orignac, Loup-main: bref chacun avoit un present qu'ils allerent donner aux Algoumequins. Aprés toutes ces ceremonies la danse cessa, & lédits Algoumequins hommes & femmes emporterent leurs presens & leurs cabannes. Ilz firent encore mettre deux hommes de chacune nation des plus dispos qu'ilz firent courir & celui qui fut le plus vite à la course eut un present.

Tous ces peuples sont tous d'une humeur assez joyeux, ilz rient le plus souvent, toutefois ilz sont quelque peu Saturniens; Ilz parlent fort posément, comme se voulans bien faire entendre, & s'arrétent aussi-tôt en songeant une grande espace de temps, puis reprennent leur parole. Ils usent bien souvent de cette façon de faire parmi leurs harangues au conseil, où il n'y a que les plus principaux, qui sont les anciens; Les femmes & enfans n'y assistent point.

Ce sont la pluspart gens qui n'ont point de loy, selon que j'ay peu voir & m'informer audit grand Sagamo, lequel me dit: Qu'ilz croyent veritablement qu'il y a un Dieu qui a creé toutes choses. Et lors je lui dis, Puis qu'ilz croyent à un seul Dieu: Comment est-ce qu'il les avoit mis au monde, & d'où ils étoient venus? Il me répondit. Apres que Dieu eut fait toutes choses, il print quantité de fleches, & les mit en terre, d'où sortit hommes & femmes; qui ont multiplié au monde jusques à present, & sont venus de cette façon. Je lui répondis que ce qu'il disoit étoit faux: mais que veritablement il y avoit un seul Dieu, qui avoit creé toutes choses en la terre & aux cieux. Voyant toutes ces choses si parfaites, sans qu'il y eût personne qui gouvernât en ce monde, il print du limon de la terre, & en crea Adam nôtre premier Pere, & comme il sommeilloit, Dieu print une de ses côtes, & en forma Eve, qu'il lui donna pour compagne, & que c'étoit la verité qu'eux & nous étions venus de cette façon, & non de fleches comme ilz croyoient. Il ne me dit rien, sinon: Qu'il avouoit plutôt ce que je lui disois, que ce qu'il me disoit. Je luy demanday aussi s'il ne croyoit point qu'il y eût un autre qu'un seul Dieu. Il me dit que leur croyance étoit: Qu'il y avoit un seul Dieu, un Fils, une Mere & le Soleil, qui étoient quatre. Neantmoins que Dieu étoit pardessus tous; mais que le Fils étoit bon. Je luy remontray son erreur selon nôtre Foy, enquoy il adjouta quelque peu de creance. Je lui demanday s'ilz n'avoient point veu, ni ouï dire à leurs ancestres que Dieu fût venu au monde: Il me dit, Qu'il ne l'avoit point veu: mais qu'anciennement il y eut cinq hommes qui s'en allerent vers le Soleil couchant, léquels rencontrerent Dieu, qui leur demanda, Où allez-vous? Ils disent, Nous allons chercher nôtre vie: Dieu leur répondit, Vous la trouverés ici. Ilz passerent plus outre, sans faire état de ce que Dieu leur avoit dit, lequel print une pierre & en toucha deux, & furent transmués en pierre, & dit derechef aux trois autres, Où allez-vous; & ilz respondirent comme à la premiere fois: & Dieu leur dit derechef, Ne passez plus outre, vous la trouveréz ici: Et voyans qu'il ne leur venoit rien, ilz passerent outre; & Dieu print deux batons & il en toucha les deux premiers, qui furent transmués en batons, & le cinquiéme s'arréta, ne voulant passer plus outre. Et Dieu lui demanda derechef, Où vas tu? Je vois chercher ma vie: Demeure, & tu la trouveras: Il demeura sans passer plus outre, & Dieu lui donna de la viande, & en mangea: Aprés avoir fait bonne chere, il retourna avec les autres Sauvages, & leur raconta tout ce que dessus. Il me dit aussi, Qu'une autre fois il y avoit un homme qui avoit quantité de Tabac (qui est une herbe dequoy ilz prennent la fumée) & Dieu vint à cet homme, & lui demanda où étoit son petunoir: l'homme print son petunoir, & le donna à Dieu, qui petuna beaucoup. Aprés avoir bien petuné, Dieu rompit ledit petunoir en plusieurs pieces & l'homme lui demanda, Pourquoy as-tu rompu mon petunoir, & tu vois bien que je n'en ay point d'autre; & Dieu en print un qu'il avoit & le lui donne, lui disant: en voila un que je te donne, porte-le à ton grand Sagamo, qu'il le garde & s'il le garde bien, il ne manquera point de chose quelconque, ni tous ses compagnons: ledit homme print le petunoir, qu'il donna à son grand Sagamo, lequel tandis qu'il l'eut, les Sauvages ne manquerent de rien de monde: Mais que du depuis ledit Sagamo avoit perdu ce petunoir, qui est l'occasion de la grande famine qu'ils ont quelquefois parmi eux. Je lui demanday s'il croyoit tout cela. Il me dit qu'ouï, & que c'étoit verité. Or je croy que voila pourquoy ilz disent que Dieu n'est pas trop bon. Mais je luy repliquay & lui dis, Que Dieu étoit tout bon, & que sans doute c'étoit le diable qui s'étoit montré à ces hommes là, & que s'ils croyoient comme nous en Dieu, ilz ne manqueroient de ce qu'ils auroient besoin. Que le Soleil qu'ilz voyent, la Lune & les Etoiles avoient eté creés de ce grand Dieu, qui a fait le ciel & la terre, & n'ont nulle puissance que celle que Dieu leur a donnée: Que nous croyons en ce grand Dieu, qui par sa bonté nous voit envoyé son cher Fils, lequel conceu du sainct Esprit, print chair humaine dans le ventre virginal de la Vierge Marie, ayant été trente-trois ans en terre, faisans une infinité de miracles, ressuscitant les morts, guerissant les malades, chassant les diable, illuminant les aveugles enseignat aux hommes la volonté de Dieu son Pere, pour le servir, honorer, & adorer, a épandu son sang, & souffert mort & passion pour nous & pour noz pechez, & racheté le genre humain, étant enseveli & ressuscité, descendu aux enfers, & monté au ciel, où il est assis à la dextre de Dieu son Pere, Que c'étoit la croyance de tous les Chrétiens, qui croyoient au Pere, au Fils, & au sainct Esprit, qui ne sont pourtant trois Dieux, mais un méme, & un seul Dieu en une Trinité en laquelle il n'y a point de plutôt, ou d'aprés, rien de plus grand ne de plus petit. Que la Vierge Marie mere du Fils de Dieu, & tous les hommes & femmes qui ont vécu en ce monde, faisans les commandemens de Dieu, & ont enduré martyre pour son nom, & qui par la permission de Dieu ont fait des miracles, & sont saints au ciel en son Paradis, prient tous pour nous cette grande Majesté divine, de nous pardonner noz fautes & noz pechez que nous faisons contre sa loy & ses commandemens, & par noz prieres que nous saisons à la divine Majesté, il nous donne ce que nous avons besoin, & le diable n'a nulle puissance sur nous: & ne nous peut faire de mal. Que s'ils avoient cette croyance, ilz seroient comme nous, que le diable ne leur pourroit plus faire de mal, & ne manqueroient de ce qu'ils auroient besoin. Alors ledit Sagamo me dit, qu'il vouloit ce que je disois. Je lui demanday de quelle ceremonie ils usoient à prier leur Dieu: Il me dit, Qu'ilz n'usoient point autrement de ceremonies, sinon qu'un chacun prioit en son coeur comme il vouloit: Voila pourquoy je croy qu'il n'y a aucune loy parmi eux, & vivent la pluspart comme bétes brutes, & croy que promptement ilz seroient reduits bons Chrétiens si l'on habitoit leurs terres, ce qu'ilz désiroient la pluspart. Ils ont parmi eux quelques Sauvages qu'ils appellent Pilotoua, qui parlent au Diable visiblement, & leur dit ce qu'il faut qu'ilz facent, tant pour la guerre que pour autres choses, & que s'il leur commandoit qu'ils allassent mettre en execution quelque entreprise, ou tuer un François, ou un autre de leur nation, ils obeiroient aussi-tôt à son commandement. Aussi ilz croyent que tous les songes qu'ilz sont veritable; & de fait, il y en a beaucoup qui disent avoir veu & songé choses qui aviennent ou aviendront: Mais pour en parler avec verité, ce sont visions du diable, qui les trompe & seduit.




Comme le Capitaine Jacques Quartier par de la riviere de Saguenay pour chercher un port, & s'arrete à Sainte-Croix: Poissons inconnus: Grandes Tortues: Ile aux Coudres: Ile d'Orleans: Rapport de la terre du païs: Accueil des François par les Sauvages: Harangue des Capitaines Sauvages.

CHAP. XII

AISSONS maintenant Champlein faire la Tabagie, & discourir avec les Sagamos Anadabijou & Bezouat, & allons reprendre le Capitaine Jacques Quartier, lequel nous veut mener à mont la riviere de Canada jusques à Sainte-Croix lieu de sa retraite, où nous verrons quelle chere on lui fit, & ce qui lui avint parmi ces peuples nouveaux (j'entens nouveaux, parce qu'avant lui jamais aucun n'étoit entré seulement en cette riviere). Voici donc comme il poursuit.

Le deuxiéme jour de Septembre nous sortimes hors de ladite riviere pour faire le chemin vers Canada, & trouvames la marée fort courante & dangereuse, pour ce que devers le su de ladite riviere y a deux iles à l'entour déquelles à plus de trois lieuës n'y a que deux ou trois brasses semées de groz perrons comme tonneaux & pippes, & les marées decevantes par entre lédites iles: de sorte que cuidames y perdre nôtre gallion, sinon le secours de noz barques, & à la choiste dédits plateis (c'est à dire, à la cheute dédits rochers) y a de profond trente brasses & plus. Passé ladite riviere de Saguenay, & lédites iles environ cinq lieuës vers le Sur-ouest y a une autre ile vers le Nort, aux côtez de laquelle y a de moult hautes terres, le travers déquelles cuidames poser l'ancre pour étaller l'Ebe, & n'y peumes trouver le fond à six-vints brasses & un trait d'arc de terre, de sorte que fumes contraints de retourner vers ladite ile, où passames trente-cinq brasses & beau fond.

Le lendemain au matin fimes voiles, & appareillames pour passer outre, & eumes conoissance d'une sorte de poissons, déquels il n'est memoire d'homme avoir veu, ni ouï Lédits poissons sont aussi gros comme Moroux, sans avoir aucun estoc, & sont assez faits par corps, & téte de la façon d'un levrier, aussi blancs comme neige, sans aucune tache, & y en a moult grand nombre dedans ledit fleuve, qui vivent entre la mer & l'eau douce. Les gens du païs les nomment Adhothuis, & nous ont dit qu'ilz sont fort bons à manger, & si nous ont affermé n'y en avoir en tout ledit fleuve ni païs qu'en cet endroit.

Le sixiéme jour dudit mois avec bon vent fimes courir à-mont ledit fleuve environ quinze lieuës, & vimmes poser à une ile qui est bort à la terre du Nort, laquelle fait une petite baye & couche de terre, à laquelle y a un nombre inestimable de grandes tortuës, qui sont les environs d'icelle ile. Pareillement par ceux du païs se fait és environs d'icelle ile grande pécherie de Adhothuis ci-devant écrits. Il y a aussi grand courant és environs de ladite ile, comme devant Bourdeaux, de flot & ebe. Icelle ile contient environ trois lieuës de long,& deux de large, & est une fort bonne terre & grasse, pleine de beaux & grands arbres de plusieurs sortes; & entre autres y a plusieurs Coudres franches que touvames fort chargez de noizilles aussi grosses & de meilleur saveur que les nôtres, mais un peu plus dures. Et par-ce la nommames l'ile és Coudres.

Le septiéme jour dudit mois jour de nôtre Dame, apres avoir oui la Messe, nous partimes de ladite ile pour aller à-mont ledit fleuve, & vimmes à quatre iles qui étoient distantes de ladite ile és Coudres de sept à huit lieues, qui est le commencement de la terre & province de Canada: déquelles y en a une grande environ dix lieues de long, & cinq de large, où il y a gens demourans qui font grande pécherie de tous les poissons qui sont dans ledit fleuve selon les saisons, dequoy sera fait ci-apres mention. Nous étans posez à l'ancre entre icelle grande ile & la terre du Nort, fumes à terre & portames les deux hommes que nous avions prins le precedent voyage & trouvames plusieurs gens du païs, léquels commencerent à fuir, & ne voulurent approcher jusques à ce que dédits deux hommes commencerent à parler & leur dire qu'ils étoient Taiguragni, & Domagaya, & lors qu'ils eurent conoissance d'eux commencerent à faire grand'chere dansans & faisans plusieurs ceremonies, & vindrent partie des principaux à noz bateaux, léquels nous apporterent force anguilles, & autres poissons, avec deux ou trois charges de gros mil, qui est le pain duquel ilz vivent en ladite terre, & plusieurs gros melons. Et icelle journée vindrent à noz navires plusieurs barques dudit païs chargées de gens tant hommes que femmes pour faire chere à noz deux hommes, léquels furent tous bien receuz par ledit Capitaine qui les fétoya de ce qu'il peut. Et pour faire sa conoissance leur donna aucuns petits presens de peu de valeur, déquels se contenterent fort.

Le lendemain le Seigneur de Canada nommé Donnacona en nom, & l'appellant pour Seigneur Agouhanna, vint avec deux barques accompagné de plusieurs gens devant noz navires, puis en fit retirer en arriere dix, & vint seulement avec deux à bord dédits navires accompagné de seize hommes & commença ledit Agouhanna le travers du plus petit de noz navires à faire une predication & prechement à leur mode en demenant son corps & membres d'une merveilleuse sorte, qui est une ceremonie de joye & asseurance. Et lors qu'il fut arrivé à la nef generale où étoient lédits Taiguragni, & Domagaya, parla ledit seigneur à eux, & eux à lui, & lui commencerent à conter ce qu'ils avoient veu en France, &le bon traitement qui leur avoit eté fait, dequoy fut ledit seigneur fort joyeux, & pria le Capitaine de lui bailler ses bras pour les baisers & accoller, qui est leur mode de faire chere en ladite terre. Et lors le Capitaine entra dedans la barque dudit Agouhanna, & commanda qu'on apportât pain & vin pour faire boire & manger ledit Seigneur & sa bende. Ce qui fut fait. Dequoy furent fort contens: & pour lors ne fut autre present fait audit Seigneur, attendant lieu & temps. Aprés léquelles choses faites se departirent les uns des autres, & prindrent congé, & se retira ledit Agouhanna à ses barques, pour soy retirer & aller en son lieu. Et pareillement ledit Capitaine fit apporter noz barques pour passer outre, & aller à-mont ledit fleuve avec le flot pour chercher hable & lieu de sauveté, pour mettre les navires, & fumes outre ledit fleuve environ dix lieuës côtoyant ladite ile, & au bout d'icelle trouvames un affourc d'eau fort beau & plaisant, auquel lieu y a une petite riviere, & hable de basse marinant de deux à trois brasses, que trouvames lieu à nous propice pour mettre nosdites navires à sauveté. Nous nommames ledit lieu SAINTE-CROIX, par ce que ledit jour y arrivames. Auprés d'icelui lieu y a un peuple dont est Seigneur ledit Donnacona & y est sa demeure, laquelle se nomme Stadaconé, qui est aussi bonne terre qu'il soit possible de voir & bien fructiferante, pleine de moult beaux arbres de la nature & sorte de France, comme Chénes, Ormes, Fraines, Noyers, Pruniers, Ifs, Cedres, Vignes, Aubépines, qui portent fruit aussi gros que prunes de Damas, & autres arbres, souz léquels croit aussi bon Chanve que celui de France, lequel vient sans semence ni labeur. Aprés avoir visité ledit lieu, & trouvé étre convenable, se retira ledit Capitaine & les autres dedans les barques pour retourner aux navires. Et ainsi que sortimes hors ladite riviere, trouvames au devant de nous l'un des Seigneurs dudit peuple de Stadaconé accompagné de plusieurs gens tant hommes que femmes, lequel Seigneur commença à faire un prechement à la façon & mode du païs, qui est joye & asseurance, &les femmes dansoient & chantoient sans cesse étans en l'eau jusques aux genoux. Le capitaine voyant leur mon amour & bon vouloir, fit approcher la barque où il étoit & leur donna des couteaux & petites patenotres de verre, dequoy menerent une merveilleuse joye: de sorte que nous étans départis d'avec eux distans d'une lieuë ou environ, les oyions chanter, danser, & mener féte de nôtre venuë.




Retour du Capitaine Jacques Quartier à l'ile d'Orleans, par lui nommée l'ile de Bacchus, & ce qu'il y trouva: Balises fichées au port Sainte Croix. Forme d'alliance: Navire mis à sec pour hiverner: Sauvages ne trouvent bon que le Capitaine aille en Hochelaga: Etonnement d'iceux au bourdonnement des Canons.

CHAP. XIII

A saison s'avançoit des-ja fort & pressoit le Capitaine Jacques Quartier de chercher une retraite pour l'hiver, ce qui le faisoit hâter, se trouvant en païs inconnu, où jamais aucun Chrétien n'avoit été: puis il vouloit voir une fin à la découverte de cette grande riviere de Canada, dans laquelle jamais nos mariniers n'étoient entrez, cuidans (à cause de son incroyable largeur) que ce fust un golfe & pour ce ledit Capitaine Quartier ne s'arréta gueres ni en la riviere de Saguenay, ni és iles aux Coudres & d'Orleans (ainsi s'appelle aujourd'hui celle où il mit en terre les deux sauvages qu'il avoit r'amené de France) il passa donc chemin sans perdre temps, & ayant rencontré un lieu assez commode pour loger ses navires (ainsi que nous avons n'agueres veu) il delibere de s'y arréter. Et pour-ce retourna querir les navires qu'il avoit laissés en ladite ile d'Orleans, comme nous verrons par la suite de son histoire, laquelle il continuë ainsi:

Aprés que nous fumes arrivez avec les barques ausditz navires, & retournez de la riviere Sainte-Croix, le Capitaine commanda appréter lédites barques pour aller à terre à ladite ile voir les arbres (qui sembloient à voir fort beaux & la nature de la terre d'icelle), ce qui fut fait. Et etans à la dite ile, la trouvames pleine de fort beaux arbres, comme Chénes, Ormes, Pins, Cedres, & autres bois de la sorte des nôtres, & pareillement y trouvames force vignes, ce que n'avions veu par ci-devant en toute la terre. Et pour ce la nommames l'ile de Bacchus: Icelle ile tient de longueur environ douze lieuës, & est moult belle terre & unie, pleine de bois, sans y avoir aucun labourage, sors qu'y a petites maisons, où ilz font pécherie, comme par ci-devant est fait mention.

Le lendemain partimes avec nosditz navires pour les mener audit lieu de Sainte-Croix, & y arrivames le lendemain quatorziéme dudit mois, & vindrent au-devant de nous léditz Donnacona, Taiguragni, & Domagaya, avec vint-cinq barques chargées de gens, & alloient audit Stadaconé où est leur demeurance: & vindrent tous à noz navires faisans plusieurs signes de joye, fors les deux homme qu'avions apporté, sçavoir Taiguragni & Domagaya, léquels étoient tout changez de propos & de courage, & ne voulurent entrer dans nodits navires, nonobstant qu'ils en fussent plusieurs fois priez: dequoy eumes aucune deffiance. Le Capitaine leur demanda s'ilz vouloient aller (comme ilz lui avoient promis) avec lui à Hochelaga: & ilz répondirent qu'ouy, & qu'ils étoient deliberez d'y aller: & alors chacun se retira.

Et le lendemain quinziéme dudit mois le Capitaine accompagné de plusieurs de ses gens fut à terre pour faire planter balises & merches, pour plus seurement mettre les navires à seureté. Auquel lieu trouvames & se rendirent audevant de nous grand nombre de gens du païs: & entre autres lédits Donnacona, noz deux hommes & leur bende, léquels se tindrent à part sous une pointe de terre, qui est sur le bord dudit fleuve, sans qu'aucun d'eux vint environs nous, comme les autres qui n'étoient de leur bende faisoient. Et apres que ledit Capitaine fut averti qu'ils y étoient, commanda à partie de ses gens aller avec lui, & furent vers eux souz ladite pointe, & trouverent Lédits Donnacona, Taiguragni, Domagaya, & autres. Et apres s'étre entresaluez, s'avança ledit Taiguragni de parler, & dit au Capitaine que ledit seigneur Donnacona etoit marri dont ledit Capitaine & ses gens, portoient tant de battons de guerre, parce que de leur part n'en portoient nuls. Aquoy répondit le Capitaine que pour sa marrison ne laisseroit à les porter, & que c'étoit la coutume de France, & qu'il le sçavoit bien. Mais pour toutes ces paroles ne laisserent lédits Capitaine & Donnacona de faire grand'chere ensemble. Et lors apperceumes que tout ce que disoit ledit Taiguragni ne venoit que de lui & son compagnon. Car avant que partir dudit lieu firent une asseurance ledit Capitaine & Seigneur de sorte merveilleuse. Car tout le peuple dudit Donnacona ensemblement jetterent & firent trois cris à pleine voix, que c'étoit chose horrible à ouir. Et à tant prindrent congé les uns des autres.

Le lendemain seziéme dudit mois nous mimes noz deux plus grandes navires dedans ledit hable & riviere, où il y de pleine mer trois brasses, 7 de basse eau demie-brasse, & fut laissé le gallion dedans la rade pour mener à Hochelaga. Et tout incontinent que lédits navires furent audit hable à sec se trouverent devant lédits navires lédits Donnacona, Taiguragni & Domagaya, avec plus de cinq cens personnes tant hommes, femmes, qu'enfans. Et entra ledit Seigneur avec dix ou douze autres des plus grands personnages, léquels furent par ledit Capitaine & autres, fétoyez & receuz selon leur état, & leur furent donnez aucuns petits presens: & fut par Taiguragni dit audit Capitaine que ledit seigneur étoit marri dont il alloit à Hochelaga, & que ledit seigneur ne vouloit point que lui qui parloit allant avec lui, comme il avoit promis, parceque la riviere ne valoit rien (c'est une façon de parler des Sauvages, pour dire qu'elle est dangereuse, comme de verité elle est, passé le lieu de Sainte-Croix.) Aquoy fit réponse ledit Capitaine, que pour tout ce ne laisseroit d'y aller s'il luy estoit possible, parce qu'il avoit commandement du Roy son maitre d'aller au plus avant qu'il lui seroit possible: mais si ledit Taiguragni y vouloit aller, comme il avoit promis, qu'on lui feroit present dequoy il seroit content, & grand'chere, & & qu'ilz ne feroit seulement qu'aller voir Hochelaga, puis retourner. A quoy répondit ledit Taiguragni qu'il n'iroit point. Lors se retirerent en leurs maisons.

Le lendemain dix-septiéme dudit mois ledit Donnacona & les autres revindrent comme devant, & apporterent force anguilles & autres poissons, duquel se fait grande pécherie audit fleuve, comme sera ci-apres dit. Et lors qu'ilz furent arrivez devant nodits navires, ilz commencerent à danser & chanter comme ils avoient de coutume, & aprés qu'ils eurent ce fait, fit ledit Donnacona mettre tous ses gens d'un côté, & fit un cerne sur le sablon, & y fit mettre ledit Capitaine, & ses gens, puis commença une grande harangue tenant une fille d'environ de l'aage de dix ans en l'une de ses mains, puis la vint presenter, audit Capitaine, & lors tous les gens dudit seigneur se prindrent à faire trois cris en signe de joye & alliance, puis derechef presenta deux petits garçons de moindre aage l'un aprés l'autre, déquels firent telz cris & ceremonies que devant. Duquel present fut ledit Seigneur par ledit Capitaine remercié. Et lors Taiguragni dit audit Capitaine que la fille étoit la propre fille de la soeur dudit Seigneur, & l'un des garçons frere de lui qui parloit: & qu'on les lui donnoit sur l'intention qu'il n'allat point à Hochelaga. Lequel Capitaine répondit que si on les lui avoit donné sur cette intention, qu'on les reprint, & que pour rien il ne laisseroit à aller audit Hochelaga, par-ce qu'il avoit commandement de ce faire. Sur léquelles paroles Domagaya compagnon dudit Taiguragni dit audit Capitaine que ledit sieur luy avoit donné lédits enfans pour bon amour, & en signe d'asseurance, & qu'il étoit content d'aller avec ledit Capitaine à Hochelaga: dequoy eurent grosses paroles dédits Taiguragni, & Domagaya. Dont apperceumes que ledit Taiguragni ne valoit rien, & qu'il ne songeoit que trahison, tant par ce, qu'autres mauvais tours que lui avions veu faire. Et fit ce ledit Capitaine fit mettre lédits enfans dedans les navires, & apporter deux épées, un grand bassin d'airain, plain, & un ouvré à laver les mains, & en fit present audit Donnacona, qui fort s'en contenta, & remercia ledit Capitaine, & commanda à tous ses gens chanter & danser: & pria le Capitaine faire tirer une piece d'artillerie, par ce que Taiguragni & Domagaya lui en avoient fait féte, & aussi que jamais n'en avoient veu ni ouï. Lequel Capitaine répondit qu'il en étoit content, & commanda tirer une douzaine de barges avec leurs boulets le travers du bois qui croit joignant lédits navires & hommes Sauvages; dequoy furent tous si étonnez qu'ils pensoient que le ciel fût cheu sur eux, & se prindrent à hurler & hucher si tresfort, qu'il sembloit qu'enfer y fût vuidé. Et auparavant qu'ilz se retirassent ledit Taiguragni fit dire par interposées personnea que les compagnons du gallion léquels étoient en la rade, avoient tué deux de leurs gens de coups d'artillerie, dont se retirerent tous si à grand hâte qu'il sembloit que les voulussions tuer. Ce qui ni se trouva verité: car durant ledit jour ne fut dudit gallion tirée artillerie.




Ruse inepte des Sauvages pour détourner le Capitaine Jacques Quartier du voyage en Hochelaga: Comme ilz figurent le diable: Depart de Champlein de Tadoussac pour aller à Sainte-Croix: Nature & rapport du païs: Ile d'Orleans. Kebec: Diamans audit Kebec: Riviere de Batiscan.

CHAP. XIV

E ne trouve en tout ce discours le sujet pourquoy les Sauvages de Canada habituez prés saincte Croix ne vouloient que le Capitaine Quartier allât en Hochelaga qui est vers le saut de la grande riviere. Neantmoins je pense que c'étoient leurs ennemis, & pour ce n'avoient point ce voyage agreable: ou bien ilz craignoient que ledit Capitaine ne les abandonnât, & allât demeurer en Hochelaga. Et pour ce voyans que pour leurs beaux ïeux icelui Capitaine ne vouloit differer son entreprise, ilz s'aviserent d'une ruse grossiere (de verité) envers nous, qui sommes armez de bouclier de la foy, mais qui n'est impertinente entre eux & leurs semblables. Voici donc ce que l'Autheur en dit:

Le dix-huitiéme jour dudit mois de Septembre pour nous cuider toujours empecher d'aller à Hochelaga, songerent un grande finesse, qui fut telle: ilz firent habiller trois hommes en la façon de trois diables, léquelz étoient vétus de peaux de chiens noirs & blancs, & avoient cornes aussi longues que le bras, & étoient peints par le visage de noir comme charbon: & les firent mettre dans une de leurs barques à nôtre non sceu. Puis vindrent avec leur bende comme avoient de coutume, auprés de noz navires, & se tindrent dedans le bois sans apparoitre environ deux heures attendans que l'heure & marée fût venue pour l'arrivée de ladite barque: à laquelle heure sortirent tous, & se presenterent ainsi qu'ilz vouloient faire. Et commença Taiguragni à saluer le Capitaine, lequel luy demanda s'il vouloit avoir le bateau. A quoy lui répondit ledit Taiguragni que non pour l'heure, mais que tantôt il entreroit dedans lédits navires. Et incontinent arriva ladite barque, où étoient léditz trois hommes apparoissans étre trois diables, ayans de grande cornes sur leurs tétes, & faisoit celui du milieu, en venant, un merveilleux sermon, & passérent le long de noz navires avec leurdite barque, sans aucunement tourner leur veuë vers nous, & allerent assener & donner en terre avec leurdite barque, & tout incontinent ledit Donnacona & ses gens prindrent ladite barque & lédits hommes léquelz s'étoient laissé choir au fond d'icelle, comme gens morts, & porterent le tout ensemble dans le bois, qui estoit distant dédites navires d'un jet de pierre, & ne demeura une seule personne que tous ne se retirassent dedans ledit bois. Et eux étans retirez commencerent une predication & prechement que nous oyions de noz navires, qui dura environ demie heure. Aprés laquelle sortirent lédits Taiguragni & Domagaya dudit bois marchans vers nous ayans les mains jointes & leurs chappeaux souz leurs coudes, faisans une grande admiration. Et commença le dit Taiguragni à dire, Jesus Maria, Jacques Quartier regardant le ciel comme l'autre. Et le Capitaine voyant leurs mines & ceremonies leur commença à demander qu'il y avoit, & que c'étoit qui étoit survenu de nouveau, léquelz répondirent qu'il y avoit de piteuses nouvelles, en disant, Nenni est-il bon (c'est à dire qu'elles ne sont pas bonnes). Et le Capitaine leur demanda derechef que c'étoit. Et ilz lui dirent que leur dieu nommé Cudouagni avoit parlé à Hochelaga, & que les trois hommes devant dits étoient venus de par lui leur annoncer les nouvelles, & qu'il y avoit tant de glaces, & neges qu'ilz mourroient tous. Déquelles paroles nous primmes tous à rire, & leur dire que Cudouagni n'étoit qu'un sot, & qu'il ne sçavoit ce qu'il disoit, & qu'ilz le dissent à ses messagers, & que le sus les garderoit bien de froid s'ils lui vouloient croire. Et lors ledit Taiguragni & son compagnon demanderent audit Capitaine s'il avoit parlé à Jesus. Et il répondit que ses Pretres y avoient parlé, & qu'il feroit beau temps. Dequoy remercierent fort ledit Capitaine, & s'en retournerent dedans le bois dire les nouvelles aux autres, léquels à l'instant sortirent dudit bois feignans étre joyeux dédites paroles. Et pour montrer qu'ils en étoient joyeux, tout incontinent qu'ilz furent devant les navires commencerent d'une commune voix à faire trois cris & hurlemens, qui est leur signe de joye, & se prindrent à danser & chanter comme avoient de coutume. Mais par resolution lédits Taiguragni & Domagaya dirent au Capitaine que ledit Donnacona ne vouloit point que nul d'eux allât à Hochelaga avec lui s'il ne s'il ne bailloit plege qui demeurât à terre avec ledit Donnacona. A quoy leur répondit le Capitaine que s'ilz n'étoient deliberez y aller de bon courage, qu'ilz demeurassent, & que pour eux ne lairroient mettre peine à y aller.

Or devant que nôtre Capitaine Jacques Quartier s'embarque pour faire son voyage, allons querir Champlein, lequel nous avons laissé à Tadoussac entretenant les Sauvages de discours Theologiques, & le conduisons jusques à Sainte-Croix, où l'ayans laissé, nous reprendrons ledit Capitaine pour nous conduire à Hochelaga & au haut de la grande riviere: en quoy faisans nous remarquerons paraventure avec ledit Champlein quelques particularitez que n'avons veuës. Car je n'estime pas qu'il y ait peu fait d'avoir remarqué, & comme pontillé jusques aux petites roches & battures qui sont dans icelle riviere pour la seureté des navigans, & à fin qu'en moins de temps ilz puissent penetrer par tout, marchans souz cette conduite comme sur un chemin tout frayé. Il dit donc:

Le Mercredy dix-huictieme jour de Juin nous partimes de Tadoussac pour aller au Saut. Nous passames prés d'une ile qui s'appelle l'ile du Liévre qui peut étre à deux lieuës de la terre & bende du Nort, à quelque sept lieuës dudit Tadoussac, & à cinq lieuës de la terre du Su. De l'ile au Liévre nous rengeames la côte du Nort environ demie lieuë, jusques à une pointe qui avance à la mer, où il faut prendre plus au large. Ladite pointe est à une lieuë d'une ile qui s'appelle l'ile aux Coudre qui peut tenir environ deux lieuës de large, & de ladite ile à la terre du Nort, il y a une lieuë. Cette ile est quelque peu unie, venant en amoindrissant par les deux bouts. Au bout de l'Ouest il y a des prairies & pointes de rochers qui avancent quelque peu dans la riviere. Elle est quelque peu agreable pour les bois qui l'environnent. Il y a force ardoise, & y est la terre quelque peu graveleuse; au bout de laquelle il y a un rocher qui avance à la mer environ demi lieuë. Nous passames au Nort de ladite ile, distante de l'ile au Liévre de douze lieuës.

Le Jeudy ensuivant nous en partimes & vimmes mouiller l'ancre à une ance dangereuse du côté du Nort, où il y a quelques prairies, & une petite riviere, où les Sauvages cabannent quelquefois. Cedit jour rengeans toujours ladite côte du Nort, jusques à un lieu où nous relachames pour les vens qui nous étoient contraires, où il y avoit force rochers & lieux fort dangereux, nous fumes trois jours en attendant le beau temps. Toute cette côte n'est que montagnes tant du côté du Su, que du côté du Nort, la pluspart ressemblant à celle du Saguenay.

Le Dimanche vint-deuxiéme jour dudit mois nous en partimes pour aller à l'ile d'Orleans, où il y a quantité d'iles à la bende du su, léquelles sont basses, & couvertes d'arbres, semblans estre fort agreables, contenans (selon que j'ay peu juger) les unes deux lieuës, & une lieuë, & autres demie: Autour de ces iles ce ne sont que rochers & basses, fort dangereux à passer, & sont éloignez quelques deux lieuës, & une lieuë de la grand'terre du Su. Et delà vimmes renger à l'ile d'Orleans du côté du su. Elle est à une lieuë de la terre du Nort, fort plaisante & unie, contenant de long huit lieuës. Le côté de la terre du Su est basse, quelques deux lieues avant en terre; lédites terres commencent à étre basse à l'endroit de ladite ile, qui peut étre à deux lieues de la terre du Su. A passer du côté du Nort, il y fait fort dangereux pour les bancs de sable & rochers, qui sont entre ladite ile & la grand'terre, & asseche préque toute de basse mer. Au bout de ladite ile je vis un torrent d'eau qui débordoit de dessus une grande montagne de ladite riviere de Canada, & dessus ladite montagne est terre unie & plaisante à voir, bien que dedans lédites terres l'on voit de hautes montagnes qui peuvent estre à quelques vint ou vint-cinq lieues dans les terres, qui sont proches du premier Saut de Saguenay. Nous vimmes mouiller l'ancre à Kebec qui est un détroit de ladite riviere de Canada, qui a quelque trois cens pas de large. Il y a à ce détroit de côté du Nort une montagne assez hautes qui va en abbaissant des deux côtez. Tout le reste est païs uni & beau, où il y a de bonnes terres pleines d'arbres comme chénes, cyprez, boulles, sapins, & trembles, & autres arbres fruitiers sauvages, & vignes: qui fait qu'à mon opinion si elles étoient cultivées elles seroient bonnes comme les nôtres. Il y a le long de la côte dudit Kebec des diamans dans des rochers d'ardoise, qui sont meilleurs que ceux d'Alençon. Dudit Kebec jusques à l'ile au Couder il y a vint-neuf lieuës.

Le Lundi vint-troisiéme dudit mois nous partimes de Kebec où la riviere commence à s'élargir quelquefois d'une lieuë, puis de lieuë & demie, ou deux lieuës au plus. Le païs va de plus en plus en embellissant. Ce sont toutes terres basses, sans rochers, que fort peu. Le côté du Nort est rempli de rochers & bancs de sable, il faut prendre celui du Su, comme d'une demie lieuë loin de terre. Il y a quelques petites rivieres qui ne sont point navigables, si ce n'est pour les canots des Sauvages, auquelles y a grande quantité de sauts. Nous vimmes mouiller l'ancre jusques à Sainte-Croix, distante de Kebec de quinze lieuës. C'est une pointe basse qui va en haussant des deux côtez: Le païs est beau & uni, & les terres meilleures qu'en lieu que j'eusse veu, avec quantité de bois: mais fort peu de sapins & cyprés. Il s'y trouve en quantité de vignes, poires, noisettes, cerises, grozelles rouges & vertes, & de certaines petites racines de la grosseur d'une petite noix, ressemblant au goust comme truffes, qui sont tres-bonnes roties & bouillies; Toute cette terre est noire, sans aucuns rochers, sinon qu'il y a grande quantité d'ardoise: elle est fort tendre, & si elle étoit bien cultivée, elle seroit de bon rapport. Du côté du Nort il y a une autre riviere qui s'appelle Batiscan, qui va fort avant en terre, par où quelquefois les Algoumequins viennent: & une autre du méme côté à trois lieuës de Sainte-Croix sur le chemin de Kebec, qui est celle où fut Jacques Quartier au commencement de la découverture qu'il en fit, & ne passa point plus outre.




Voyage du Capitaine Jacques Quartier à Hochelaga: Nature & fruits du païs: Reception des François par les Sauvages: Abondance de vignes & raisins: Grand lac: Rats musquez: Arrivée en Hochelaga: Merveilleuse rejouissance dédits Sauvages.

CHAP. XV

N Poëte Latin parlant des langues & dictions qui perissent bien souvent, & se remettent sus selon les humeurs & usages des temps, dit fort bien:

Multa renascentur quæ jam cecidere, cadentque. Ainsi est-il des faits de plusieurs personnages, déquels la memoire se pert bien souvent avec les hommes & sont frustrez de la louange qui leur appartient. Et pour n'aller chercher des exemples externes, le voyage de nôtre Capitaine Jacques Quartier depuis Sainte-Croix jusques au saut de la grande riviere, étoit inconu en ce temps ici, les ans & les hommes (car Belleforet n'en parle point) lui en avoient ravi la louange, si bien que Champlein pensoit étre le premier qui en avoit gaigné le pris. Mais il faut rendre à chacun ce qui lui appartient, & suivant ce, dire que ledit Champlein a ignoré l'histoire du voyage dudit Quartier: Et neantmoins ne laisse d'estre louable en ce qu'il a fait. Mais je m'étonne que le sieur du Port Gravé Capitaine hantant dés long temps les Terres-neuves, & conducteur de la navigation dudit Champlein pour le sieur de Monts, ait ignoré cela. Or pour ne nous amuser, voila la description du voyage d'icelui Quartier au dessus du port de Sainte-Croix.

Le dix-neufiéme jour de Septembre nous appareillames & fimes voile avec le gallion & les deux barques pour aller avec la marée amont ledit fleuve, où trouvames à voir des deux côtez d'icelui les plus belles & meilleures terres qu'il soit possible de voir, aussi unies que l'eau, pleines des plus beaux arbres du monde, & tant de vignes chargées de raisins le long du fleuve, qu'il semble mieux qu'elles y ayent été plantées de main d'homme, qu'autrement. Mais pource qu'elles ne sont cultivées, ni taillées, ne sont lédits rasions si doux, ne si gros comme les nôtres. Pareillement nous trouvames grand nombre de maisons sur la rive dudit fleuve, léquelles sont habitées de gens qui font grande pécherie de tous bons poissons selon les saisons, & venoient en noz navires en aussi grand amour & privauté que si eussions été du païs, nous apportans force poisson & de ce qu'ils avoient, pour avoir de notre marchandise, tendans les mains au ciel, faisans plusieurs ceremonies & signes de joye. Et nous étans posés environ à vint-cinq lieues de Canada en un lieu nommé Achelaci, qui est un détroit dudit fleuve fort courant & dangereux tant de pierres, que d'autres choses, là vindrent plusieurs barques à bord, & entre autres vint un grand seigneur du païs, lequel fit un grand sermon en venant & arrivant à bord, montrant par signes evidens avec les mains & autres ceremonies, que ledit fleuve étoit un peu plus à-mont fort dangereux, nous avertissant de nous en donner garde. Et presenta celui Seigneur au Capitaine deux de ses enfans à don, lequel print une fille de l'aage d'environ huit à neuf ans, & refusa un petit garçon de deux ou trois ans, parce qu'il étoit trop petit. Ledit Capitaine festiva ledit Seigneur & sa bende de ce qu'il peut, & lui donna aucun petit present, duquel remercia ledit Seigneur le Capitaine, puis s'en allerent à terre. Dempuis sont venus celui Seigneur & sa femme voir leur fille jusques à Canada, & apporter aucun petit present au Capitaine.

Dempuis ledit jour dix-neufiéme jusques au vint-huitiéme dudit mois nous avons été navigans à-mont ledit fleuve sans perdre heure ni jour, durant lequel temps avons veu & trouvé aussi beaucoup de païs & terres aussi unies que l'on sçauroit desirer, pleines de plus beaux arbres du monde, sçavoir chénes, ormes, noyer, pins, cedres, pruches, fraines, boulles, sauls, oziers, & force vignes (qui est le meilleur) léquelles avoient si grande abondance de raisins, que les compagnons (c'est à dire les matelots) en venoient tout chargés à bord. Il y a pareillement force gruës, cygnes, outardes, oyes, cannes, alouettes, faisans, perdris, merles, mauvis, tourtres, chardonnerets, serins, linottes, rossignols, & autres oyseaux, comme en France, & en grande abondance.

Ledit vint-huitiéme de Septembre nous arrivames à un grand lac & plaine dudit fleuve large d'environ cinq ou six lieuës, & douze de long. Et navigames ce jour à-mont ledit lac sans trouver par tout icelui que deux brasses de parfond également sans hausser ni baisser. Et nous arrivans à l'un des bouts dudit lac ne nous apparoissoit aucun passage, ni sortie, ains nous sembloit icelui étre tout clos, sans aucune riviere, & ne trouvames audit bout que brasse & demie, dont nous convint poser & mettre l'ancre hors, & aller chercher passage avec noz barques, & trouvames qu'il y a quatre ou cinq rivieres toutes sortantes dudit fleuve en icelui lac, & venantes dudit Hochelaga. Mais en icelles ainsi sortantes y a basses & traverses faites par le cours de l'eau où il n'y avoit pour lors qu'une brasse de parfond, & lédites basses passées y a quatre ou cinq brasses, qui étoit le temps des plus petites eaux de l'année, ainsi que vimes par les flots dédites eaux qu'elle croissent de plus de deux brasses de pic.

Toutes icelles rivieres circuissent & environnent cinq ou six belles iles qui sont le bout d'icelui lac, pour se rassemblent environ quinze lieues à-mont toutes en une. Celui jour nous fumes à l'une d'icelles ou trouvames cinq hommes qui prenoient des bétes sauvages, léquelz vindrent aussi privément à noz barques que s'ilz nous eussent veuz toute leur vie, sans avoir peur ni crainte. Et nodites barques arrivées à terre, l'un d'iceux hommes print ledit Capitaine entre ses bras, & le porta à terre ainsi qu'il eust fait un enfant de six ans, tant estoit icelui homme fort & grand. Nous leur trouvames un grand monceau de Rats sauvages qui vont en l'eau, & sont gros comme Connils, & bons à merveilles à manger, déquelz firent present audit Capitaine, qui leur donna des couteaux & patenotres pour recompense. Nous leur demandames par signes si c'étoit le chemin de Hochelaga; & ilz nous répondirent qu'oui: & qu'il y avoit encore trois journées à y aller.

Le lendemain vint-neufiéme de Septembre le Capitaine voyant qu'il n'étoit possible de pouvoir pour lors passer ledit gallion, fit avictuailler & accoutrer les barques, & mettre victuailles pour le plus de temps qu'il fût possible, & que lédites barques en peurent accuillir, & se partant avec icelles accompagné de partie des Gentils-hommes, sçavoir de Claude du Pont-briant Echanson de monseigneur le Dauphin, Charles de la Pommeraye, Jean Govion & vint-huit mariniers y compris Mace Jalouber, & Guillaume le Breton, ayant la charge souz ledit Quartier des deux autres navires, pour aller à-mont ledit fleuve au plus loin qu'il nous seroit possible. Et navigames de temps à gré jusques au deuxiéme jour d'Octobre, que nous arrivames à Hochelaga, qui est distant du lieu où étoit demeuré le gallion d'environ quarante-cinq lieuës.

Durant lequel temps & chemin faisans, trouvames plusieurs gens du païs qui nous apporterent du poisson & autres victuailles, dansans & menans grand'joye de notre venue. Et pour les attraire & tenir en amitié avec nous leur donnoit ledit Capitaine pour recompense des couteaux, patenotres, & autres menues hardes, dequoy se contentoient fort. Et nous arrivez audit Hochelaga, se rendirent audevant de nous plus de mille personnes tant hommes, femmes, qu'enfans, léquelz nous firent aussi bon recueil que jamais pere fit à enfant, menans une joye merveilleuse. Car les hommes en une bende dansoient, & les femmes de leur part, & leurs enfans d'autre, léquels nous apportoient force poisson & de leur pain fait de gros mil, lequel ilz jettoient dedans nodites barques, en sorte qu'il sembloit qu'il tombât de l'air. Voyant ce le Capitaine descendit à terre accompagné de plusieurs de ses gens, & si tôt qu'il fut descendu, s'assemblerent tous sur lui, & sur les autres, en faisans une chere inestimable: & apportoient les femmes leurs enfans à brassées pour les faire toucher audit Capitaine, & és autres qui étoient en sa compagnie, en faisant une féte qui dura plus de demie heure. Et voyant ledit Capitaine leur largesse, & bon vouloir, fit asseoir & ranger toutes les femmes, & leur donna certaines patenotres d'étain, & autres menues besongnes; & à partie des hommes des couteaux. Puis se retira à bord dédites barques pour soupper & passer la nuit: durant laquelle demeura Icelui peuple sur le bord dudit fleuve, au plus prés dédites barques, faisans toute la nuit plusieurs feuz & danses, en disant à toutes heures Aguiazé qui est leur dire du salut & joye.

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