Histoire de la Nouvelle-France: (Version 1617)
Partement de la Rochelle: Rencontre divers de navires & Forbans: Mer tempestueuse à l'endroit des Essores, & pourquoy: Vent d'Ouest pourquoy frequent en la mer du Ponant: D'où viennent les vents: Marsoin prognostiques de tempétes: Façons de les prendre: Tempétes: Effets d'icelles: Calmes: Grains de vent que c'est: comme il se forme: ses effects: Asseurance de Matelots: Reverence comme se rend au navire Royal: Supputation de voyage: Mer chaude, puis froide: Raison de ce: & des Bancs de glaces en la Terre-neuve.
CHAP. XI
E Samedi veille de Pentecôte
treziéme de May nous levames
les ancres & fimes voiles en
pleine mer tant que peu à peu
nous perdimes de veue les grosses
tours & la ville de la Rochelle, puis les iles
de Rez & d'Oleron, disans Adieu à la France.
C'étoit une chose apprehensive à ceux qui n'avoient
accoustumé une telle danse, de se voir portez
sur un elements si peu solide, & étre à tout
moment (comme on dit) à deux doitz de la mort.
Nous n'eumes fait long voyage que plusieurs
firent le devoir de rendre le tribut à Neptune.
Ce-pendant nous allions toujours avant, & n'étoit
plus question de reculer en arriere depuis que
la planche fut levée. Le seziéme jour de May
nous eumes en rencontre treze navires Flamendes
allans en Hespagne, qui s'enquirent de nôtre
voyage, & passerent outre. Depuis ce temps
nous fumes un mois entier sans voir autre chose
que ciel & eau hors nôtre ville flotante,
sinon un navire environ l'endroit des Essores
(ou Açores) bien garni de gens mélez de Flamens &
Anglois. Ilz nous vindrent couper chemin, &
joindre d'assez prés. Et selon la coutume
nous leur demandames d'où étoit le navire.
Ilz nous dirent qu'ils étoient Terre-neuviers,
c'est à dire qu'ils alloient à la pecherie des
Morues aux Terres-neuves, & demanderent si
nous voulions qu'ilz vinssent avec nous de
Compagnie: dequoy nous les remerciames.
Là dessus ilz beurent à nous & nous à eux, &
prindrent une autre route. Mais aprés avoir
consideré leur vaisseau, qui étoit tout
chargé de mousse verte par le ventre & les côtez:
nous jugeames que c'étoient des Forbans, &
qu'il y avoit long temps qu'ilz battoient la mer
en esperance de faire quelque prise. Ce fut
lors plus que devant que nous commencames à
voir sauter les moutons de Neptune (ainsi
appelle-on les flots blanchissans quand la mer
se veut emouvoir) & ressentir les rudes estocades
de son Trident. Car ordinairement la mer est
tempetueuse en l'endroit que j'ay dit. Que
si on m'en demande la cause, je diray
que j'estime cela provenir de certain conflit des
vents Orientaux & occidentaux qui se rencontrent
en cette partie de la mer, & principalement
en Eté quand ceux d'Oest s'elevent, &
d'une grande force penetrent un grand
espace de mer jusques à ce qu'ilz trouvent les vents
de deçà qui leur font resistance: & à ces
rencontres il fait mauvais se trouver. Or cette
raison me semble d'autant plus probable, que
jusques environ les Essores nous avions eu vent
assés à propos, & depuis préque toujours vent debout,
ou Suroest, ou Noroest, peu de Nort & du Su,
qui ne nous étoient que bons pour aller à la
bouline. De vent d'Est rien du tout, sinon une ou
deux fois, lequel ne nous dura pour en faire cas.
Il es bien certain que les vents d'Oest regnent
fort au long & au large de cette mer, soit par
une certaine repercussion du vent Oriental qui
est rapide souz la ligne æquinoctiale, duquel
nous avons parlé ci-dessus; ou par ce que
cette terre Occidentale étant grande, le vent
aussi qui en sort abonde davantage.
Ce qui arrive principalement en été quant le
soleil a la force d'attirer les vapeurs de la terre.
Car les vents en viennent & volontiers sortent
des baumes & cavernes d'icelle. Et pource les
Poëtes feignent qu'Æole les tient en des prisons
d'où il les tire, & les fait marcher en
campagne quand il lui plait. Mais l'esprit de
Dieu nous le confirme encore mieux, quant il dit
par la bouche du Prophete, que Dieu tout puissant
entre autres merveilles tire les vents
de ses thresors, qui sont ces cavernes dont je
parle. Car le mot de thresor signifie en Hebrieu
lieu secret & caché.
Des recoins de la terre, où ses limites sont,
Les pesantes vapeurs il souleve en amont,
Il change les eclairs en pluvieux ravages,
Tirant de ses thresors les vents & les orages.
Et sur cette consideration Christophe Colomb Genois premier navigateur en ces derniers siecles aux iles de l'Amerique, jugea qu'il y avoit quelque que grande terre en l'Occident, s'estant pris garde en allant sur mer qu'il y en venoit des vents continuels.
Poursuivans donc nôtre route nous eumes quelques autres tempétes & difficultés causées par les vents que nous avions préque toujours contraires pour estre partis trop tard: Mais ceux qui partent en Mars ont ordinairement bon temps, pour ce qu'alors sont en vogue les vents d'Est, & Nordest, & Nort, propres à ces voyages. Or ces tempétes bien souvent nous étoient présagées par les Marsoins qui environnoient nôtre vaisseau par milliers se jouans d'une façon fort plaisante. Il y en eut quelques uns à qui mal print de s'étre trop approchés. Car il y avoit des gens au guet souz le Beau-pré (à la proue du navire) avec des harpons en main qui les dardoient quelquefois, & les faisoient venir à bord à l'aide des autres matelots, léquels avec des gaffes les tiroient en haut. Nous en avons pris plusieurs de cette façon allant & venant, qui ne nous ont point fait de mal. Cet animal a deux doits de lart sur le dos tout au plus. Quand il étoit fendu nous lavions noz mais en son sang tout chaud, ce qu'on disoit étre bon à conforter les nerfs. Il a merveilleuse quantité de dents le long du museau, & pense qu'il tient bien ce qu'il attrape une fois.
[Note du transcripteur: La page 520 du document de reference, qui devrait se trouver ici a été remplacée par un duplicata de la page 500. La page suivante est la page 521 du document original.]
vaisseau pour soutenir les vagues. Quelquefois aussi nous avions des calmes bien importuns durant léquels on se baignoit en la mer, on dansoit sur le tillac on grimpoit à la hune, nous chantions en Musique. Puis quand on voyoit sortir de dessouz l'orizon un petit nuage, c'étoit lors qu'il falloit quitte ces exercices, & se prendre garde d'un grain de vent enveloppé là dedans, lequel se desserrant, grondant, ronflant, sifflant, bruiant, tempetant, bourdonnant, étoit capable de renverser nôtre vaisseau c'en dessus dessous, s'il n'y eût eu des gens préts à executer ce que le maitre du navire (qui étoit le Capitaine Foulques homme fort vigilant) leur commandoit. Or ces grains de vents léquels autrement on appelle orages, il n'y a danger de dire comme ilz se forment, & d'où ilz prennent origine. Pline en parle en son Histoire naturele, & dit en somme que ce sont exhalations & vapeurs légeres elevées dela terre jusques à la froide region de l'air: & ne pouvans passer outre, ains plutot contraintes de retourner en arriere elles rencontrent quelquefois des exhalations sulfurées & ignées, qui les environnent & resserrent de si prés, qu'il en furvient un grand combat, émotion & agitation entre le chaud sulfureux & l'aëreux humide, lequel forcé par son plus fort ennemi, de fuir; il s'élargit, se fait faire jour, & siffle, bruit, tempéte, bref se fait vent, lequel est grand, ou petit, selon que l'exhalaison sulfurée qui l'enveloppe se romp & lui fait ouverture, tantot tout à coup, ainsi que nous avons posé le fait ci dessus, tantot avec plus de temps, selon la quantité de la matiere de laquelle est composée, & selon que plus ou moins elle est agitée par contraires qualitez.
Mais je ne puis laisser en arriere l'asseurance merveilleuse qu'ont les bons matelots en ces conflicts de vents, orages & tempétes, lors qu'un navire étant porté sur des montagnes d'eaux, & de la glisse comme aux profonds abymes du monde, ilz grimpent parmi les cordages non seulement à la hune, & au bout du grand mast, mais aussi sans degrez, eu sommet d'un autre mast qui est enté sur le premier, soutenus seulement de la force de leurs bras & piés entortillés à-l'entour des plus hauts cordages. Voire je diray plus, qu'en ce grand branlement s'il arrive que la grand voile (qu'ils appellent Phaphil, ou Papefust) soit denoué par les extremitez d'enhaut, le premier à qui il sera commandé se mettra à chevalon sur la Vergue (c'est l'arbre qui traverse le grand mast) & avec un marteau à sa ceinture & demi douzaine de clous à la bouche ira r'attacher au peril de mille vies ce qui étoit decousu. J'ay autrefois ouï faire grand cas de la hardiesse d'un Suisse, qui (apres le siege de Laon, & la ville rendue à l'obeissance du Roy) grimpa, & se mie à chevalon sur le travers de la Croix du clocher de l'Eglise nôtre Dame dudit lieu, & y fit l'arbre fourchu, les piés en haut: qui fut une action bien hardie: On en dit autant d'un qui une fois l'an fait le méme sur la pointe du clocher de Strasbourg, qui est encore plus haut que celuy de Laon: mais cela ne me semble rien au pris de ceci, étant ledit Suisse & l'autre, sur un corps solide & sans mouvement; & cetui-ci (au contraire), pendant sur une mer agitée de vents impetueux, comme nous avons quelquefois veu.
Depuis que nous eumes quitté ces Froans, déquels nous avons parlé ci-dessus, nous fumes jusques au six huitiéme de Juin agitez de vents divers & préque tous contraires sans rien découvrir qu'un navire fort éloigné, lequel nous n'abordames, & neantmoins cela nous consoloit. Et ledit jour nous rencontrames un navire de Honfleur ou commandoit le Capitaine la Roche allant aux Terres-neuves, lequel n'avoit eu sur mer meilleure fortune que nous. C'est la coutume en mer que quand quelque navire particulier rencontre un navire Royal (comme étoit le nôtre) de se mettre au dessouz du vent, & se presenter non point côte à côte, mais en biaisant: méme d'abattre son enseigne: ainsi que fit ce Capitaine la Roche, hors-mis l'enseigne qu'il n'avoit point non plus que nous: n'en étant besoin en si grand voyage sinon quand on approche la terre, ou quand il se faut battre. Noz mariniers firent alors leur estime sur la route que nous avions faite. Car en tout navire les Maitre Pilotes, & Contremaitre, font registre chaque jour des routes, & airs de vents qu'ils ont suivi, par combien d'heures, & l'estimation des lieuës. Ledit la Roche donc estimoit étre par les quarante-cinq degrés & à cent lieuës du Banc: Nôtre Pilote nommé Maitre Olivier Fleuriot de Saint-Malo, par sa supputation disoit que nous n'en étions qu'à soixante lieuës: & le Capitaine Foulques à six vints & je croy qu'il jugeoit le mieux. Nous eumes beaucoup de contentement de ce rencontre, & primmes bon courage puis que nous commencions à rencontrer des vaisseaux, nous étant avis que nous entrions en lieu de conoissance.
Mais il faut remarquer une chose en passant que j'ay trouvée admirable, & où il y a à philosopher. Car environ cedit jour dix-huitiéme de Juin nous trouvames l'eau de la mer l'espace de trois jours fort tiede, & en étoit nôtre vin de méme au fond du navire, sans que l'air fut plus échauffé qu'auparavant. Et le vint-uniéme dudit mois tout au rebours nous fumes deux ou trois jours tant environnez de brouillas & froidures, que nous pensions étre au mois de Janvier: & étoit l'eau de la mer extremement froide. Ce qui nous dura jusques à ce que nous vimmes sur le Banc, pour le regard desdits brouillas qui nous causoient cette froidure au dehors. Quand je recherche la cause de cette antiperistase, je l'attribue aux glaces du Nort qui se dechargent sur la côte & la mer voisine de la Terre-neuve, & de Labrador, léquelles nous avons dit ailleurs étre là portées par le mouvement naturel de la mer, lequel se fait plus grand là qu'ailleurs, à cause du grand espace qu'elle a à courir comme dans un golfe au profond de l'Amerique, où la nature & lit de la terre universele la Porte aisément. Or ces glaces (qui quelquefois se voient en bancs longs de huit, ou dix lieuës, & hautes comme monts & côtaus, & trois fois autant profondes dans les eaux) tenans comme un empire en cette mer, chassent loin d'elles ce qui est contraire à leur froideur, & consequemment font reserrer pardeça ce peu que l'esté peut apporter de doux temperament en la partie où elles se viennent camper. Sans toutefois que je vueille nier que cette region là en méme parallele ne soit quelque peu plus froide que celles de nôtre Europe, pour les raisons que nous dirons ci-aprés, quand nous parlerons de la tardiveté des saisons. Telle est mon opinion: n'empechant qu'un autre ne dise la sienne. Et de cette chose memoratif, j'y voulu prendre garde au retour de la Nouvelle-France, & trouvay là méme tiedeur d'eau (ou peu s'en falloit) quoy qu'au mois de Septembre, à cinq ou six journées au deça dudit Banc duquel nous allons parler.
Du grand Banc des Morues: Arrivée audit Banc. Description d'icelui: Pécheries de Morues & d'oiseaux: Gourmandise des Happe-foyes: Perils divers: Faveurs de Dieu: Causes des frequentes & longues brumes en la mer Occidentale: Avertissement de la terre: Venuë d'icelle: Odeurs merveilleuses: Abord de deux chaloupes: Descente au port du Mouton: Arrivée au Port Royal: De deux François y demeurez seuls parmi les Sauvages.
CHAP. XII
EVANT que parvenir au Banc duquel
nous avons parlé ci-dessus, qui est
le grand Banc où se fait la pescherie des
Morues vertes (ainsi les appelle-on, quand
elles ne sont seches: car pour les
secher il faut aller à terre) les Mariniers, outre la
supputation qu'ilz font de leurs routes, ont des
avertissemens qu'ils en approchent, par les oiseaux,
tout ainsi qu'on fait en revenant en France, quand
on en est à quelques cent ou six vintz lieuës prés.
De ces oiseaux les plus frequens vers ledit
Banc sont des Godes, Fouquets, & autres qu'on
appelle Happe-foyes, pur la raison que nous
dirons tantot. Quand donc on eut reconu de
ces oiseaux qui n'étoient pas semblables à
ceux que nous avions veu au milieu de la
pleine mer, on jugea que nous n'étions pas
loin d'icelui Banc. Ce qui occasionna de jetter la
sonde par un Jeudi vint-deuxiéme de Juin, & lors
ne fut trouvé fond. Mais le méme jour sur le
soir on la jetta derechef avec meilleur succés.
Car on trouva font à trente six brasses. Je ne
sçaurois exprimer la joye que nous eumes de nous
voir là où nous avions tant desiré d'étre parvenus.
Il n'y avoit plus de malades, chacun sautoit
de liesse, & nous sembloit étre en nôtre païs,
quoy que ne fussions qu'à moitié de nôtre
voyage, du moins pour le temps que nous y
employames devant qu'arriver au Port Royal, où
nous tendions.
Ici devant que passer outre je veux éclaircir ce mot de Banc: qui paraventure tient quelqu'un en peine de sçavoir que c'est. On appelle Bancs quelquefois un font areneux où n'y a gueres d'eau, ou qui asseche de basse mer. Et tels endroits sont funestes aux navires qui les rencontrent. Mais le Banc duquel nous parlons ce sont montagnes assises sur le profond des abymes s'élevent jusques à trente, trente-six, & quarante brasses prés de le surface de la mer. Ce banc on le tient de deux cens lieuës de long, & dix-huit, vint, & vint quatre de large: passé lequel on ne trouve plus de font non plus que pardeça, jusques à ce qu'on aborde la terre. Là dessus les navires étans arrivés, on plie les voiles, & fait-on la pécherie de la Morue verte, comme j'ay dit, de laquelle nous parlerons au dernier livre. Pour le contentement de mon lecteur je l'ay figuré en ma Charte geographique de la Terre-neuve avec des points, qui est tout ce qu'on peut faire pour le representer. Au milieu du lac de Neuf-chastel en Suisse se rencontre chose semblable. Car les pécheurs y pechent à six brasses de profond, & hors de là ne trouvent point de fond. Plus loin que le grand banc des morues s'en trouve d'autres, ainsi que j'ay remarqué en ladite charte, sur léquels on ne laisse de faire bonne pécherie: & plusieurs y vont qui sçavent les endroits. Lors que nous partimes de la Rochelle il y avoit comme une foret de navires à Chef-de-bois (d'où aussi ce lieu a pris son nom) que s'en allerent en ce païs là tout d'une volte, nous ayans devancé de deux jours.
Aprés avoir reconu le Banc nous nous remimes à la voile & fimes porter toute la nuit, suivans toujours nôtre route à l'Oest. Mais le point du jour venu qui étoit la veille saint Baptiste, à bon jour bonne oeuvre, ayans mis les voiles bas, nous passames la journée à la pécherie des Morues avec mille rejouissances & contentemens, à cause des viandes freches que nous eumes tant qu'il nous pleut, aprés les avoir long temps desirées. Parmi la pecherie nous eumes aussi le plaisir de voir prendre de ces oiseaux que les mariniers appellent Happe-foyes, à cause de leur aviduité à recuillir les foyes des Morues que l'on jette en mer, aprés qu'on leur a ouvert le ventre, déquels ilz sont si frians, que quoy qu'ils voient une grande perche ou gaffe dessus leur téte préte à les assommer ilz se hazardent d'approcher du vaisseau pour en attraper à quelque pris que ce soit. Et à cela passoient leur temps ceux qui n'étoient occupés à ladite pecherie: & firent tant par leur industrie & diligence, que nous en eumes environ une trentaine. Mais en cette action un de noz charpentiers de navire se laissa tomber dans la mer: & bien vint que le navire ne derivoit gueres. Ce qui lui donna moyen de se sauver & gaigner le gouvernail, par où on le tira en haut, & au bout fut chatié de sa faute par le Capitaine Foulques.
En cette pecherie nous prenions aussi quelquefois des chiens de mer; les peaux déquelz noz Menuisiers gardoient soigneusement pour addoucir leurs bois de menuiserie: item des Merlus qui sont meilleurs que les Morues: & quelquefois des Bars: laquelle diversité augmentoit nôtre contentement. Ceux qui ne tendoient ni aux morues ni aux oiseaux, passoient le temps à recuillir les coeurs, tripes, & parties interieures plus delicates dédites Morues qu'ilz mettoient en hachis avec du lart, des epices & de la chair d'icelles Moruës, dont ilz faisoient d'aussi bons cervelats qu'on sçauroit dans Paris. Et en mangeames de fort bon appetit.
Sur le soir nous appareillames pour nôtre route poursuivre, aprés avoir fait bourdonner noz canons tant à-cause de la féte de saint Jean, que pour l'amour du Sieur de Poutrincourt qui porte le nom de ce sainct. Le lendemain quelques uns des nôtres nous dirent qu'ils avoient veu un banc de glaces. Et là dessus nous fut recité que l'an precedent un navire Olonois s'étoit perdu pour en étre approché trop prés, & que deux hommes s'étans sauvez sur les glaces avoient en ce bon heur qu'un autre navire passant les avoit recuillis.
Faut remarquer que depuis le dix-huitiéme de Juin jusques à nôtre arrivée au Port Royal nous avons trouvé temps tout divers de celui que nous avions eu auparavant. Car (comme nous avons dit ci-dessus) nous eumes des froidures & brouillas (ou brumes) devant qu'arriver au Banc (où nous fumes de beau soleil) mais le lendemain nous retournames aux brumes, léquelles nous voyions venir de loin nous envelopper & tenir prisonniers ordinairement trois jours durant pour deux jours de beau temps qu'elles nous permettoient. Ce qui étoit toujours accompagné de froidures par l'absence du soleil. Voire méme en diverses saisons nous nous sommes veus huit jours continuels en brumes épesses par deux fois sans apparence du soleil que bien peu, comme nous reciterons ci-aprés. Et de tels effects j'ameneray une raison qui me semble probable. Comme nous voyons que le feu attire l'humidité d'un linge mouillé qui lui est opposé, ainsi le soleil attire des humiditez & vapeurs de la terre & de la mer. Mais pour la resolution d'icelles il a ici une vertu, & par de la une autre, selon les accidens & circonstances qui se presentent. Es païs de deça il nous enleve seulement les vapeurs de la terre & de noz rivieres, léquelles étans pesantes & grossieres, & tenans moins de l'element humide, nous causent un air chaud: & la terre dépouillée de ces vapeurs en est plus chaude & plus roties. De là vient que cesdites vapeurs ayans la terre d'une part & le soleil de l'autre qui les échauffent, elles se resoudent aisément, & ne demeurent guere en l'air, si ce n'est en hiver, quand la terre est refroidie, & le soleil au-dela de la ligne equinoctiale éloignée de nous. De cette raison vient aussi la cause pourquoy en la mer de France les brumes ne sont si frequentes ne si longues qu'en la Terre-neuve, par-ce que le soleil passant de son Orient par dessus les terres, cette mer à la venue d'icelui ne reçoit quasi que des vapeurs terrestres, & par un long espace il ne conserve cette vertu de bien-tôt resoudre les exhalations qu'il a attirées à soy, Mais quand il vient au milieu de la mer Oceane, & à ladite Terre-neuve, ayant elevé & attiré à soy en un si long voyage une grande abondance de vapeurs de toutes cette plaine humide, il ne les resout pas aisément, tant pource que ces vapeurs sont froides d'elles-mémes & de leur nature, que pource que le dessouz sympathize avec elle & les conserve, & ne sont point les rayons du soleil secondés à la resolution d'icelles, comme ilz sont sur la terre. Ce qui se reconoit méme en la terre de ce païs-là: laquelle encores qu'elle ne soit gueres échauffée, à-cause de l'abondance des bois, toutefois elle aide à dissiper les brumes & brouillas qui y sont ordinairement au matin durant l'été, mais non pas comme à la mer, car étans élevées apres la minuit sur les huit heures elles commencent à s'évanouir, & lui servent de rousée.
J'espere que ces petites digressions ne seront desagreables au Lecteur, puis qu'elles viennent à nôtre propos. Le vint-huitiéme de Juin nous nous trouvames sur un Banquereau (autre que le grand Banc duquel nous avons parlé) à quarante brasses: & le lendemain un de noz matelots tomba de nuit en la mer, & étoit fait de lui s'il n'eut rencontré un cordage pendant en l'eau. De là en avant nus commençames à avoir des avertissemens de la terre (c'étoit la Terre-neuve) par des herbes, mousses, fleurs, & bois que nous rencontrions toujours plus abondamment plus nous en approchions. Le quatriéme de Juillet noz matelots qui étoient du dernier quart apperceurent dés le grand matin les iles saint Pierre, chacun étant encore au lit. Et le Vendredi septiéme dudit mois nous découvrimes à estribort une côte de terre relevée longue à perte de veuë, qui nous remplit de rejouissance plus qu'auparavant. En quoy nous eumes une grande faveur de Dieu d'avoir fait cette découverte de beau temps. Et étans encore loin les plus hardis montoient à la hune pour mieux voir tant nous étions tous desireux de cette terre vraye habitation de l'homme. Le sieur de Poutrincourt y monta & moy aussi, ce que n'avions onques fait. Nos chiens mettoient le museau hors le bord pour mieux flairer l'air terrestre, & ne se pouvoient tenir de témoigner par leurs gestes l'aise qu'ils avoient. Nous en approchames à une lieuë prés & (voiles bas) fimes pecherie de morues celle qu'avions faite au banc commençant à faillir. Ceux qui pararavant nous avoient fait des voyages pardela jugerent que nous étions au Cap Breton. La nuit venant nous dressames le Cap à la mer: Et le lendemain huitiéme dudit mois, comme nous approchions de la Baye de Campseau vindrent les brumes sur le vépre, qui durerent huit jours entiers, pendant léquelz nous nous soutimme en mer louvians toujours, sans avancer, contrariés des vents d'Oest & Surouest. Pendant ces huit jours, qui furent d'un Samedi à un autre Dieu (qui a toujours conduit ces voyages, auquels ne s'est perdu un seul homme par mer) nous fit paroitre une speciale faveur, de nous avoir envoyé parmi les brumes épesses un eclaircissement de soleil, qui ne dura que demi heure: & lors nous eumes la veuë de la terre ferme, & coutume que nous nous allions perdre sur les brisans si nous n'eussions vitement tourné le cap en mer. C'est ainsi qu'on recherche la terre comme une bien-aimée, laquelle quelquefois rebute bien rudement son amant. En fi le Samedi quinziéme de Juillet, sur les deux heures apres midi le ciel commença de nous saluer à coups de canonades, pleurant comme faché de nous avoir si long temps tenu en peine. Si bien que le beau temps revenu, voici droit à nous (qui estions à quatre lieuës de terre) deux chaloupes à voile deployée parmi une mer encore emeuë. Cela nous donna beaucoup de contentement. Mais tandis que nous nous poursuivions nôtre route, voici de la terre des odeurs en suavité nompareilles apportées d'un vent chaut si abondamment, que tout l'Orient n'en sçauroit produire davantage. Nous tendions noz mains, comme pour les prendre, tant elles étoient palpables: ainsi qu'il avint à l'abord de la Floride à ceux qui y furent avec Laudonniere. A tant s'approchent les deux chaloupes, l'une chargée de Sauvages, qui avoient un Ellan peint à leur voile, l'autre de François Maloins, qui faisoient leur pecherie au port de Campseau. Mais les Sauvages furent plus diligens, car ils arriverent les premiers. N'en ayant jamais veu j'admiray du premier coup leur belle corpulence & forme de visage. Il y en eut un que s'excusa de n'avoir apporté sa belle robbe de Castors, par-ce que le temps avoit été difficile. Il n'avoit qu'une piece de frize rouge sur son dos: & des Matachiaz au col, aux poignets & au dessus du coude, & à la ceinture. On les fit manger & boire, & ce faisant Ilz nous dirent tout ce qui s'étoit passé depuis un an au Port Royal, où nous allions. Cependant les Maloins arriverent, & nous en dirent tout Autant que les Sauvages: Adjoutans que le Mercredi auquel nous evitames les brisans, ilz nous avoient veu, & vouloient venir à nous avec lédits Sauvages, mais que nous étans retournez en mer ilz s'en étoient desistez: & davantege, qu'à terre il avoit toujours fait beau temps: ce que nous admirames fort: mais la cause en a été renduë ci-dessus. De cette incommodité se peut tirer à l'advenir un bien, que ces brumes serviront de rempar au païs, & sçaura-on toujours en diligence ce qui se passera en mer. Ilz nous dirent aussi qu'ils avoient eu avis quelques jours auparavant, par d'autres Sauvages, qu'on avoit veu un navire au Cap Breton. Ces François de saint Malo étoient gens qui faisoient pour les associez du sieur de Monts, & se plaignirent que les Basques contre les defenses du Roy, avoient enlevé & troqué avec les Sauvages plus de six mille Castors. Ilz nous donnerent de leurs poissons, comme Bars, Merlus, & grans Fletans. Quant aux Sauvages, avant partir ilz nous demanderent du pain pour porter à leurs femmes: Ce qu'on leur accorda. Et le meritoient bien, d'estre venus de si bon courage pour nous dire en quelle part nous étions. Car depuis nous allames toujours asseurément.
A l'Adieu quelque nombre de ceux de nôtre compagnie s'en allerent à terre au Port de Campseau, tant pour nous faire venir du bois & de l'eau douce, que pour de là suivre la côte jusques au Port Royal dans une chaloupe: car nous avions crainte que le Capitaine du Pont n'en fust dé-ja parti lors que nous arriverions. Les Sauvages s'offirent d'aller vers lui à travers les bois, avec promesse qu'ils y seroient dans six jours, pour l'avertir de nôtre venuë afin de l'arréter, d'autant qu'il avoit le mot de partir si dans le seziéme du mois il n'avoit secours: à quoy il ne faillit point: toutefois noz gens desireux de voir la terre de prés, empécherent cela, & nous promirent nous apporter le lendemain l'eau & le bois susdit si nous nous trouvions prés ladite terre. Ce que nous ne fimes point, & poursuivimes nôtre route.
Le Mardi dix-septiéme de Juillet nous fumes à l'accoutumée pris de brumes & de vent contraire. Mais le Jeudi nous eumes du calme, si bien que nous n'avancions rien ni de brumes, ni de beau temps. Durant ce calme fut le soir un charpentier de navire se baignant en la mer apres avoir trop beu d'eau de vie, se trouva surpris, le froid de la marine combattant contre l'échauffement de cet esprit de vin. Quelques matelots voyans leur compagnon en peril, se jetterent dans l'eau pour le secourir, mais ayant l'esprit troublé, il se mocquoit d'eux, & n'en pouvoit-on jouir. Ce qui occasionna encore d'autres matelots d'aller au secours & s'empecherent tellement l'un l'autre que tous se virent en peril. En fin il y en eut un qui parmi cette confusion ouït la voix du sieur de Poutrincourt qui lui disoit, Jean Hay (c'étoit son nom) regardez-moy, & print le cordage qu'on lui presentoit. On le tira en haut, & le reste quant & quant fut sauvé. Mais l'autheur de la noise tomba en une maladie dont il pensa mourir.
Apres ce calme nous retournames pour deux jours au païs de brumes. Et le Dimanche vint-troisiéme dudit mois eumes conoissance du Port du Rossignol, & le méme jour apres midi de beau soleil nous mouillames l'ancre en mer à l'entrée du Port au Mouton, & pensames toucher, étans venus jusques à deux brasses & demie de profond. Nous allames en nombre de dix-sept à terre pour querir de l'eau & du bois qui nous defailloient. Là nous trouvames encore entieres les cabannes & logemens du Sieur de Monts qui y avoit séjourné l'espace d'un mois deux ans auparavant, comme nous avons dit en son lieu. Nous y remarquames parmi une terre sablonneuse force chénes porte-glans, cyprés, sapins, lauriers, roses muscades grozelles, pourpier, framboises, fougeres, lysimachia, espece de scammonée, Calamus odoratus, Angelique, & autres Simples en deux heures que nous y fumes: Et reportames en nôtre navire quantité de pois sauvages que nous trouvames bons. Ilz croissent sur les rives de la mer, qui les couvre deux fois le jour. Nous n'eumes le loisir d'aller à la chasse des lapins qui sont en grand nombre non loin dudit Port: ains nous en retournams sitôt que nôtre charge d'eau & de bois fut faite: & nous mimes à la voile.
Le Mardi vint-cinquiéme étions à l'endroit du Cap de Sable de beau-temps, & fimes bonne journée, car sur le soir nous eumes en veuë l'ile longue & la baye sainte Marie, mais à cause de la nuit nous reculames à la mer. Et le lendemain vimmes mouiller l'ancre à l'entrée du Port Royal, où ne peumes entrer pource qu'il étoit ebe. Mais deux coups de canons furent tirez de nôtre navire pour saluer ledit Port & avertir les François qui y étoient.
Le Jeudi vint-septiéme de Juillet nous entrames dedans avec le flot, qui ne fut sans beaucoup de difficultez, pource que nous avions le vent opposite, & des revolins entre les montagnes, qui nous penserent porter sur les rochers. Et en ces affaires nôtre navire alloit à rebours la poupe-devant, & quelquefois tournoit, sans qu'on y peust faire autre chose. En fin étans dedans le port, ce nous étoit chose emerveillable de voir la belle étendue d'icelui, & les montagnes & côtaux qui l'environnent; & m'étonnois comme un si beau lieu demeuroit desert & tout rempli de bois, veu que tant de gens languissent au monde qui pourroient faire proufit de cette terre s'ils avoient seulement un chef pour les y conduire. Peu à peu nous approchames de l'ile qui est vis-à-vis du Fort où nous avons depuis demeuré: ile di-je, la plus agreable qui se puisse voir, desirans en nous-mémes y voir portez de ces beaux batimens qui sont inutiles pardeça, & ne servent que de retraite aux hibous & cercerelles. Nous ne sçavions encore si le sieur du Pont étoit parti, & partant nous nous attendions qu'il nous deust envoyer quelques gens au devant. Mais en vain: car il n'y étoit plus dés y avoit douze jours. Et cependant que nos voguions par le milieu du port, voici que Membertou le plus grand Sagamos des Souriquois (ainsi s'appellent les peuples chez léquels nous étions) vient au Fort François vers ceux qui étoient demeurez en nombre de deux tant seulement, crier comme un homme insensé, disant en Son langage. Quoy? vous vous amusés ici à diner (il étoit environ midi) & ne voyez point un grand navire qui vient ici, & ne sçavons quels gens ce sont? Soudain ces deux hommes courent sur le boulevert, & appretent les canons en diligence, léquels ilz garnissent de boulets & d'amorces. Membertou sans dilayer vient dans son canot fait d'écorces, avec une sienne fille, nous reconoitre: & n'ayant trouvé qu'amitié, & nous reconoissant François, il ne fit point d'alarme. Neantmoins l'un de ces deux hommes là demeurez, dit La Taille, vint sur la rive du port la meche sur le serpentin pour sçavoir qui nous étions (quoy qu'il le sçeust bien, car nous avions la banniere blanche deployée à la pointe du mast) & si tôt voila quatre volées de canons qui font de Echoz inumerables: & de nôtre part le Fort fut salué de trois canonades, & plusieurs mousquetades: en quoy ne manquoit nôtre Trompete a son devoir. A tant nous descendons à terre, visitons la maison & passons la journée à rendre graces à Dieu, voir les cabanes des Sauvages, & nous aller pourmener par les prairies. Mais je ne puis que je ne loue beaucoup le gentil courage de ces deux hommes, déquels j'ay nommé l'un, l'autre s'appelle Miquelet: & meritent bien d'étre ici enchassés, pour avoir exposé si librement leurs vies à la conservation du bien de la Nouvelle-France. Car le sieur du Pont n'ayant qu'une barque & une patache, pour venir cher vers la Terre-neuve des navires de France, ne pouvoit se charger de tant de meubles, blez, farine, & marchandises qui étoient par-dela léquels il eût fallu jetter dans la mer (ce qui eût été à nôtre grand prejudice, & en avions bien peur) si ces deux homme n'eussent pris le hazard de demeurer là pour la conservation de ces choses. Ce qu'ilz firent volontairement, & de gayeté de coeur.
Heureuse rencontre du sieur du Pont: Son retour au Port-Royal: Rejouyssance: Description des environs dudit Port: Conjecture sur l'origine de la grande riviere de Canada: Semailles des blez: Retour du sieur du Pont en France: Voyage du sieur de Poutrincourt au païs des Armouchiquois: Beau segle provenu sans culture: Exercices & façon de vivre au Port-Royal: Cause des prairies de la riviere de l'Equille.
CHAP. XIII
E Vendredi lendemain de nôtre
arrivée le sieur de Poutrincourt
affectionné à cette entreprise comme
pour soy-méme, mit une partie de
ses gens en besongne au labourage &
culture de la terre, tandis que les
autre s'occupoient à nettoyer les chambres &
chacun appareiller ce qui étoit de son métier.
Le desir que j'avois de sçavoir ce qui se pouvoit
esperer de cette terre me rendit avide audit
labourage plus que les autres. Cependant
ceux des nôtre qui nous avoient quittez à
Campseau pour venir le long de la côte,
rencontrerent comme miraculeusement le sieur du Pont
parmi des iles, qui sont frequentes en ces parties
là.
De dire combien fut grande la joye d'une part & d'autre, c'est chose que ne se peut exprimer. Ledit sieur du Pont à cette heureuse rencontre retourna en arriere pour nous venir voir au Port-Royal, & se mettre dans le Jonas pour repasser en France. Si ce hazard lui fut utile, il nous le fut aussi par le moyen de ses vaisseaux qu'il nous laissa. Et sans cela nous étions en une telle peine, que nous n'eussions sceu aller ni venir par eau apres que nôtre navire eust été de retour en France. Il arriva le Lundi dernier jour de Juillet, & demeura encore au Port-Royal jusques au vint-huitiéme d'Aoust. Et pendant ce mois grande rejouissance. Le sieur de Poutrincourt fit mettre sur cul un mui de vin l'un de ceux qu'on lui avoit baillé pour sa bouche, & permission de boire à tous venans tant qu'il dura: si bien qu'il y en eut qui se firent beaux enfans.
Dés le commencement nous fumes desireux de voir le païs à-mont la riviere, où nous trouvames des prairies préque continuellement jusques à plus de douze lieuës, parmi léquelles decoulent des ruisseaux sans nombre qui viennent des collines & montagnes voisines. Les bois y sont fort épais sur les rives des eaux, & tant que quelquefois on ne les peut traverser. Je ne voudroy toutefois les faire tels que Joseph Acosta recite étre ceux du Perou, quand il dit:
Un de noz freres homme digne de foy nous contoit qu'étant egaré & perdu dans les montagnes sans sçavoir quelle part, ni par où il devoit aller, il se trouva dans des buissons si épais: qu'il fut contraint de cheminer sur iceux sans mettre les pieds en terre par l'espace de quinze jours entiers.
Je laisse à chacun d'en croire ce qu'il voudra, mais cette croyance ne peut venir jusques à moi.
Or en la terre de laquelle nous parlons les bois sont plus clairs loin des rives, & des lieux humides: & en est la felicité d'autant plus grande à esperer, qu'elle est semblable à la terre que Dieu promettoit à son peuple par la bouche de Moyse, disant: Le Seigneur ton Dieu te va faire entrer en un bon païs de torrens d'eaux, de fonteines, & abymes, qui sourdent par campagnes, &c. Païs où tu ne manges point le pain en disette, auquel rien ne te defaudra, païs duquelles pierres sont fer, & des montagnes duquel tu tailleras l'airain. Et plus outre confirmant les promesses de la bonté & situation de la terre qu'il lui devoit donner. Le païs (dit-il) auquel vous allez passer pour le posseder n'est pas comme le païs d'Egypte, duquel vous estes sortis, là où tu semois ta semence, & l'arrousois avec le travail de ton pied, comme un jardin à herbes. Mais le païs auquel vous allez passer pour le possseder est un païs de montagnes & campagnes, & est abbreuvé d'eaux selon qu'il pleut des cieux. Or selon la description que nous avons fait ci-devant du Port Royal & de ses environs, en décrivant le premier voyage du sieur de Monts, & comme nous le disons ici, les ruisseaux y abondent à souhait par toute cette terre, dont rendent témoignage les frequentes & grandes rivieres qui l'arrousent. En consideration dequoy elle ne doit étre estimée moins heureuse que les Gaulles (qui ont une felicité particuliere en ce regard) si jamais elle vient à étre habitée d'hommes industrieux, & qui la sachent faire valoir. Quant aux pierres que nôtre Dieu promet devoir étre fer, & le montagnes d'airain, cela ne signifie autre chose que les mines de cuivre & de fer, & d'acier déquelles nous avons des-ja parlé ci-dessus, & parlerons encores ci-aprés. Et au regard des campagnes (dont nous n'avons encore parlé) il y en a préques tout à l'environ du Port Royal. Et au dessus des montagnes y a de belles campagnes où j'au veu des lacs & des ruisseaux ne plus ne moins qu'aux vallées. Mémes au passage pour sortir d'icelui Port & se mettre en mer, il y a un qui tombe des hauts rochers en bas, & en tombant s'éparpille en pluie menue, qui est chose delectable en Eté, par ce qu'au bas du roc il y a des grottes où l'on est couvert tandis que cette pluie tombe si agreablement: & se fait comme un arc en ciel dedans la grotte où tombe la pluie du ruisseau, lors que le soleil luit: ce qui m'a causé beaucoup d'admiration. Une fois nous allames depuis nôtre Fort jusques à la mer à travers les bois, l'espace de trois lieuës, mais au retour nous fumes plaisamment trompés. Car au bout de nôtre carriere pensans étre en plat païs nous nous trouvames au sommet d'une haute montagne, & nous fallut descendre avec assez de peine à-cause des neges. Mais les montagnes en une contrée ne sont point perpetuelles. A dix lieuës de nôtre demeure, le païs où passe la riviere de l'Equille est tout plat. J'ay veu par dela plusieurs contrées où le païs est tout uni, & le plus beau du monde. Mais la perfection est qu'il est bien arrousé. E pour témoignage de ce, non seulement au Port Royal, mais aussi en toute la Nouvelle-France, la grande riviere de Canada en fait foy, laquelle au bout de quatre cens lieuës est aussi large quel les plus grandes rivieres du monde, remplies d'iles & de rochers innumerables: prenant son origine de l'un des lacs qui se rencontrent au fil de son cours (& je le pense ainsi) si bien qu'elle a deux cours, l'un en l'Orient vers la France: l'autre en Occident vers la mer du Su. Ce qui est admirable, mais non sans exemple qui se trouve en nôtre Europe. Car j'apprens que la riviere qui descend à Trente & à Verone procede d'un lac qui produit une autre riviere dont le cours tend oppositement à la riviere du lins, lequel se décharge au Danube. Ainsi noz Geographes nous font croire que le Nil procéde d'un lac qui produit d'autres rivieres, léquelles se déchargent au grand Ocean.
Revenons à nôtre labourage: car c'est là où il nous faut tendre, c'est la premiere mine qu'il nous faut chercher, laquelle vaut mieux que les thresors d'Atabalippa: & qui aura du blé, du min, du bestial, des toiles, du drap, du cuir, du fer, & au bout des Morues, il n'aura que faire d'autres thresors, quant à la necessité de la vie. Or tout celà est, ou peut étre, en la terre que nous décrivons: sur laquelle ayant le sieur de Poutrincourt fait faire à la quinzaine un second labourage: & moy de méme, nous les ensemençames de nôtre blé François tant froment que segle: & à la huitaine suivant vit son travail n'avoir eté vain, ains une belle esperance par la production que la terre avoit des-ja fait des semences qu'elle avoit receu. Ce qu'ayant été montré au sieur du Pont ce lui fut un sujet de faire son rapport en France de chose toute nouvelle en ce lieu là.
Il étoit des-ja le vintiéme d'Aoust quand ces belles montres se firent, & admonestoit le temps ceux qui étoient du voyage, de trousser bagage: à quoy on commença de donner ordre, tellement que le vint-cinquiéme dudit mois, apres maintes canonades, l'ancre fut levée pour venir à l'emboucheure de Port, qui est ordinairement la premiere journée.
Le sieur de monts ayant desiré de s'élever au Su tant qu'il pourroit y chercher un lieu bien habitable pardelà Malebarre, avoit prié le sieur de Poutrincourt de passer plus loin qu'il n'avoit été, & chercher un Port convenable en bonne temperature d'air, ne faisant plus de cas du Port Royal que de sainte Croix, pour ce qui regarde la Santé. A quoy voulant obtemperer ledit sieur de Poutrincourt, il ne voulut attendre le printemps, sachant qu'il auroit d'autre exercices à s'occuper. Mais voyant ses semailles faites, & la verdure sur son champ, il resolut de faire ce voyage & découverte avant l'hiver. Ainsi il disposa toutes choses à cette fin, & avec sa barque vint mouiller l'ancre prés du Jonas, afin de sortir sa compagnie. Tandis qu'ilz furent là attendans le vent propre l'espace de trois jour il y avoit une moyenne balaine (que les Sauvages appellent Maria) laquelle venoit tous les jours au matin dans le Port avec le flot, nouant là dedans tout à son aise, & s'en retournoit d'ebe. Et lors prenant un peu de loisir, je fis en rhime Françoise un Adieu audit sieur du Pont & sa troupe, lequel est ci-aprés couché parmi LES MUSES DE LA NOUVELLE-FRANCE.
Le vint-huitiéme dudit mois chacun print sa route qui deçà, qui delà, diversement à la garde de Dieu. Quant au sieur du Pont il deliberoit en passant d'attaquer un marchant de Rouën nommé Boyer (lequel contre les deffenses du Roy étoit allé pardela troquer avec les Sauvages apres avoir eté delivré des prisons de la Rochelle par le consentement du sieur de Poutrincourt, & souz promesse qu'il n'iroit point) mais il étoit ja parti. Et quant audit sieur de Poutrincourt il print la volte de l'ile sainte Croix premiere demeure des François, ayant Champ-doré pour maitre & conducteur de sa barque, mais contrarié du vent, & pource que sa barque faisoit eau, il fut contraint de relacher par deux fois. En fin il franchit la Baye Françoise, & visita ladite ile, là où trouva d blé meur de celui que deux ans auparavant le sieur de Monts avoit semé, lequel étoit beau, gros, pesant, & bien nourri. Il nous en envoya au Port Royal, où j'étois demeuré, ayant eté de ce prié pour avoir l'oeil à la maison, & maintenir ce qui y restoit de gens en concorde. A quoy j'avoy condescendu (encore que cela eust eté laissé à ma volonté) pour l'asseurance que nous nous donnions que l'an suivant l'habitation se feroit en païs plus chaut pardela Malebarre, & que nous irions tous de compagnie avec ceux qu'on nous envoyeroit de France. Pendant ce temps je me mis à preparer de la terre, & faire des clotures & compartimens de jardins pour y semer des legumes, & herbes de menage. Nous fimes aussi faire un fossé tout à l'entour du Fort, lequel étoit bien necessaire pour recevoir les eaux & humidités qui paravant decouloient par dessouz les logemens parmi les racines des arbres qu'on y avoit defrichez: ce qui paraventure rendoit le lieu mal sain.
Je ne veux m'arreter à décrire ici ce que nos autres ouvriers faisoient chacun en particulier. Il suffit que nous avions nombre de menuisiers, charpentiers, massons, tailleurs de pierres, serruriers, tailandiers, couturiers, scieurs d'ais, matelots, &c, qui faisoient leur exercices, en quoy ils étoient fort humainement traitez. Car on les quittoit pour trois heures de travail par jour. Le surplus du temps ilz l'emploioient à recuillir des Moules qui sont de basse mer en grande quantité devant le Fort, ou des Houmars (especes de Langoustes) ou des Crappes, qui sont abondamment sous les roches au Port-Royal, ou des Cocques qui sont souz la vaze de toutes parts és rives dudit port. Tout cela se prent sans filets & sans batteaux. Il y en avoit qui prenoient quelquefois du gibier, mais 'étant dressez à cela ilz gatoient la chasse. Et pour nôtre regard, nous avions à nôtre table un des gens du sieur de Monts, qui nous pourvoyoit en sorte que n'en manquions point, nous apportant quelquefois demi douzaine d'Outardes, quelquefois autant de canars, ou oyes sauvages grises & blanches, bien souvent deux & trois douzaines d'alouettes, & autres sortes d'oiseaux. De pain nul n'en manquoit: & avoit chacun trois chopines de vin pur & bon. Ce qui a duré tant que nous avons été par dela, sinon que quand ceux qui nous vindrent querir, au lieu de nous apporter des commodités nous eurent aidé à en faire vuidange (comme nous le pourrons repeter ci-aprés) il fallut reduire la portion à une pinte. Et neantmoins bien souvent il y a eu de l'extraordinaire. Ce voyage en ce regard a eté le meilleur de tous dont nous en devons beaucoup de louange audit sieur de Monts & à ses associez les sieurs Macquin & Georges Rochelois, qui nous en pourveurent tant honnétement. Car certes je trouve que cette liqueur Septembrale est entre autres choses un souverain preservatif contre la maladie du Scorbut: & les epiceries, pour corriger le vice qui pourroit étre en l'air de cette region, lequel neantmoins j'ay toujours reconu bien pur & subtil, nonobstant les raisons que j'en pourrois avoir touchées parlant ci-dessus d'icelle maladie. Pour la pitance nous avions pois, féves, ris, pruneaux, raisins, morues seches & chairs salées, sans comprendre les huiles & le beurre. Mais toutes & quantes fois que les Sauvages habituez pres de nous avoient pris quelque quantité d'Eturgeons, Castors, Ellans, Caribous, ou autres animaux mentionnez en mon Adieu en la Nouvelle-France, ils nous en apportoient la moitié: & ce qui restoit ilz l'exposoient quelquefois en vente en place publique, & ceux qui en vouloient troquoient du pain alencontre. Voila en partie nôtre façon de vivre par dela. Mais jaçoit que chacun de nosdits ouvriers eût son métier particulier, neantmoins il falloit s'employer à tous usages, comme plusieurs faisoient. Quelques massons & tailleurs de pierre se mirent à la boulengerie, Léquels nous faisoient d'aussi bon pain que celui de Paris. Ainsi un de noz scieurs d'ais nous fit plusieurs fois du charbon en grande quantité.
En quoy est à noter une chose dont ici je me souvien. C'est que comme il fut necessaire de lever des gazons pour couvrir la pile de bois assemblée pour faire ledit charbon, il se trouva dans les prez plus de deux pieds de terre, non terre, mais herbes melées de limon qui se sont entassées les unes sur les autres annuellement depuis le commencement du mande, sans avoir été fauchées. Neantmoins la verdure en est belle servant de pasture aux Ellans, léquels nous avons plusieurs fois veu en noz prairies de delà en troupe de trois ou quatre, grands & petits se laissans aucunement approcher, puis gaignans les bois. Mais je puis dire davantage avoir veu en traversant deux lieuës de nosdites prairies, icelles toutes foullées de vestiges d'Ellans, car je n'y sçay point d'autres animaux à pié fourchu. Et en fut tué un non loin de nôtre Fort, en un endroit là où le sieur de Monts ayant fait faucher l'herbe deux ans devant, elle estoit revenue la plus belle du monde. Quelqu'un pourra s'étonner comment se font ces prairies, veu que toute la terre en ces lieux-là est couverte de bois. Pour à quoy satisfaire, le curieux sçaura qu'és hautes marées, principalement en celles de Mars & de Septembre, le flot couvre ces rives là: ce qui empeche les arbres d'y prendre racine. Mais par tout où l'eau ne surnage point, s'il y a de la terre il y a des bois.
Partement de l'ile Sainte-Croix: Baye de Marchin: Chouakoet: Vignes & raisins: & largesse de Sauvages: Terre & peuple Armouchiquois: Cure d'un armouchiquois blessé: Simplicité & ignorance de peuple: Vice des Armouchiquois: Soupçon: Peuple ne se souciant de vétement: Blé semé & vignes plantées en la terre des Armouchiquois: Quantité de raisins: Abondance de peuple: Mer perilleuse.
CHAP. XIV
EVENONS au sieur de Poutrincourt,
lequel nous avons laissé en l'ile Sainte-Croix.
Apres avoir là fait une reveuë, & caressé
les Sauvages qui y
étoient, il s'en alla en quatre jours
à Pemptegoet, qui est ce lieu tant renommé
souz le nom de Norembega. Et ne falloit
un si long temps pour y parvenir, mais il
s'arreta sur la route à faire racoutrer sa barque
car à cette fin il avoit mené un serrurier & un
charpentier, & quantité d'ais. Il traversa les iles
qui sont à l'embouchure de la riviere, & vint à
Kinibeki, là où sa barque fut en peril à-cause des
grans courans d'eaux que la nature du lieu y fait.
C'est pourquoy il ne s'y arreta point, ains
passa outre à la Baye de Marchin, qui est le nom
d'un Capitaine Sauvage, lequel à l'arrivée dudit
sieur commença à cirer hautement Hé hé, à quoy on
lui répondit de méme. Il repliqua demandant en son
langage: Qui étes-vous? On lui dit que c'étoient
amis. Et là dessus à l'approcher le sieur de
Poutrincourt traita amitié avec lui, & lui fit
presens de couteaux, haches, & Matachiaz, c'est
à dire écharpes, carquans, & brasselets fait
de patenôtres, ou de tuyaux de verre blanc
& bleu, dont il fut fort aise, méme de la
consideration que ledit sieur de Poutrincourt
faisoit avec lui, reconoissant bien que cela lui
seroit beaucoup de support. Il distribua à quelques
uns d'un grand nombre de peuple qu'il avoit
autour de soy, les presens dudit sieur de
Poutrincourt, auquel il apporta force chairs
d'Orignac, ou Ellan (car les Basques appellent un
Cerf, ou Ellan, Orignac) pour refraichir de vivres
la compagnie. Cela fait on tendit les voiles
vers Chouakoet, où est la riviere du Capitaine
Olmechin, & où se fit l'année suivante la guerre
des Souriquois & Etechemins souz la conduite
du Sagamos Membertou, laquelle j'ay décrite
en vers rapportez és Muses de la Nouvelle-France.
A l'entrée de la Baye dudit lieu de Chouakoet
est uni ile grande comme de demie lieuë de tour,
en laquelle noz gens découvrirent premierement
la vigne (car encores qu'il y en ait
aux terres plus voisines du Port-Royal comme le
long de la riviere saint Jean, toutefois on n'en
avoit encore eu conoissance) laquelle ilz trouverent
en grande quantité, ayant le tronc haut de
trois à quatre piez, & par bas gros comme le poin,
les raisins beaux, & gros, les uns comme prunes,
les autres moindres: au reste si noirs qu'ilz
laissoient la teinture où se repandoit leur liqueur:
Ils étoient couchez sur les buissons & ronces qui
sont parmi cette ile, en laquelle les arbres ne
sont si pressez qu'ailleurs, ains éloignez comme
de six à six toises. Ce qui fait que le raisin
meurit plus aisément; ayant d'ailleurs une terre
fort propre à cela sabloneuse & graveleuse. Ilz
n'y furent que deux heures; mais fut remarqué
que du côté du Nort n'y avoit point
de vignes, ainsi qu'en l'ile Sainte-Croix n'y
a de Cedres que du côté d'Oest.
De cette ile ils allerent à la riviere d'Olmechin port de Chouakoet, là où Marchin & ledit Olmechin amenerent un prisonnier Souriquois (& partant leur ennemi) au sieur de Poutrincourt, lequel ilz lui donnerent liberalement. Deux heures aprés arrivent deux Sauvages l'un Etechemin nommé Chkoudun, Capitaine de la riviere Saint Jean dite par les Sauvages Oigoudi: l'autre Souriquois nommé Messamoet Capitaine ou Sagamos en la riviere du Port de la Heve, sur lequel on avoit pris ce prisonnier. Ils avoient force marchandises troquées avec les François, léquelles ilz venoient là debiter, sçavoir chaudieres grandes, moyennes, & petites, haches, couteaux, robbes, capots, camisoles rouges, pois, féves, biscuit, & autres choses. Sur ce voici arriver douze ou quinze batteaux pleins de Sauvages de la sujetion d'Olmechin, iceux en bon ordre, tous peinturés à la face, selon leur coutume, quand ilz veulent étre beaux, ayant l'arc, & la fleche en main, & le carquois auprés d'eux, léquels ilz mirent bas à bord. A l'heure Messamoet commence à haranguer devant les Sauvages leur remontrant comme par le passé ils avoient eu souvent de l'amitié ensemble: & qu'ilz pourroient facilement domter leurs ennemis s'ils se vouloient entendre, & se servir de l'amitié des François, lequels ilz voyoient là presens pour reconoitre leur païs, à fin de leur porter des commodités à l'avenir, & les secourir de leurs forces, léquelles il sçavoit, & les leur representoit d'autant mieux, que lui qui parloit étoit autrefois venu en France, & y avoit demeuré en la maison du sieur de Grandmont Gouverneur de Bayonne. Somme, il fut prés d'une heure à parler avec beaucoup de vehemence & d'affection, & avec un contournement de corps & de bras tes qu'il est requis en un bon Orateur. Et à la fin jetta toutes ses marchandises (qui valoient plus de trois cens escus renduës en ce païs-là) dans le bateau d'Olmechin comme lui faisant present de cela en asseurance de l'amitié qu'il lui vouloit témoigner. Cela fait la nuit s'approchoit, & chacun se retira. Mais Messamoet n'étoit pas content de ce qu'Olmechin ne lui avoit fait pareille harangue, ni retaliation de son present: car les Sauvages ont cela de noble qu'ilz donnent liberalement jettans aux piez de celui qu'ilz veulent honorer le present qu'ilz lui font; mais c'est en esperant de recevoir quelque honnéteté reciproque, qui est une façon de contract que nous appellons sans nom, Je te donne à fin que tu me donnes. Et cela se fait par tout le monde. Partant Messamoet dés ce jour là songea de faire la guerre à Olmechin. Neantmoins le lendemain matin lui & ses gens retournerent avec un bateau chargé de ce qu'ils avoient, sçavoir blé, petun, féves, & courges, qu'ilz distribuerent deça & dela. Ces deux Capitaines Olmechin & Marchin ont depuis été tués à la guerre. A la place déquels avoit été éleu par les Sauvages un nommé Bessabés: lequel depuis nôtre retour a été tué par les Anglois: & au lieu d'icelui ont fait venir un Capitaine de dedans les terres nommé Asticou, homme grave, vaillant, & redouté, lequel d'un clin d'oeil amassera mille Sauvages, ce que faisoient aussi Olmechin & Marchin. Car noz barques y étans, incontinent la mer se voyoit toute couverte de leurs bateaux chargez d'hommes dispos, se tenant droits là dedans: ce que ne sçaurions faire sans peril, n'étant iceux bateaux que des arbres creusez à la façon que nous dirons au dernier livre. De là donc le sieur de Poutrincourt poursuivant sa route, trouva un certain port bien agreable, lequel n'avoit été veu par le sieur de Monts: & durant le voyage ils virent force fumées, & gens à la rive, qui les invitoient à s'approcher d'eux: & voyans qu'on n'en tenoit conte, ilz suivoient la barque le long de la gréve sablonneuse, voire la devançoient le plus souvent, tant ilz sont agiles, ayans l'arc en main, & le carquois sur le dos, dansans toujours & chantans, sans se soucier dequoy ils vivront par les chemins. Peuple heureux, voire mille fois plus que ceux qui se font adorer pardeça, s'il avoit la conoissance de Dieu & de son salut.
Le sieur de Poutrincourt ayant pris terre à ce port, voici parmi une multitude de Sauvages des fiffres en bon nombre, qui jouoyent de certains flageollets longs, faits comme des cannes de roseaux, peinturés par dessus, mais non avec telle harmonie que pourroient faire nos bergers: & pour montrer l'excellence de leur arc, ilz siffloient avec le nez en gambadant selon leur coutume.
Et comme ces peuples accouroient precipitamment pour venir à la barque, il y eut un Sauvage qui se blessa griévement au talon contre le trenchant d'une roche, dont il fut contraint de demeurer sur la place. Le Chirurgien du sieur de Poutrincourt à l'instant voulut apporter à ce mal ce qui étoit de son art, mais ilz ne le voulurent permettre que premierement ilz n'eussent fait à l'entour de l'homme blessé leurs chimagrées. Ils le coucherent donc par terre, l'un d'eux lui tenant la téte en son giron, & firent plusieurs criaillemens, danses & chansons, à quoy le malade ne répondoit sinon Ho, d'une voix plaintive. Ce qu'ayant faiz ilz le permirent à la cure dudit Chirurgien, & s'en allerent, comme aussi le patient aprés qu'il fut pensé, mais deux heures passées il retourna le plus gaillart du monde ayant mis à l'entour de sa téte le bandeau dont étoit enveloppé son talon, pour étre plus beau fils.
Le lendemain les nôtres entrerent plus avant dans le port, là où étans allé voir les cabannes des Sauvages, une vieille de cent ou six-vints ans vint jetter aux piez du sieur de Poutrincourt un pain de blé qu'on appelle Mahis, & pardeça blé de Turquie, ou Sarrazin, puis de la chanve fort belle & haute, item des féves, & raisins frais cuillis, pour ce qu'ils en avoient veu manger aux François à Chouakoet. Ce que voyans les autres Sauvages qui n'en sçavoient rien, ils en apportoient plus qu'on ne vouloit à l'envi l'un de l'autre, & en recompense on leur attachoit au front une bende de papier mouillée de crachat, dont ils étoient fort glorieux. On leur montra en pressant le raisin dans le verre, que de cela nous faisions le vin que nous beuvions. On les voulut faire manger du raisin, mais l'ayans en la bouche ilz le crachoient, & pensoient (ainsi qu'Ammian Marcellin recite de noz vieux Gaullois) que ce fût poison, tant ce peuple est ignorans de la meilleure chose que Dieu ait donnée à l'homme, apres le pain. Neantmoins si ne manquent-ilz point d'esprit, & feroient quelque chose de bon s'ils étoient civilisés, & avoient l'usage des métiers. Mais ilz sont cauteleux, larrons & traitres, & quoy qu'ilz soyent nuds on ne se peut garder de leurs mains: car si on detourne tant soit peu l'oeil, & voyent l'occasion de derober quelque couteau, hache, ou autre chose, ilz n'y manqueront point, & mettront le larecin entre leurs fesses, ou le cacheront souz le sable avec le pied si dextrement qu'on ne s'en appercevra point. J'ay leu en quelque voyage de la Floride, que ceux de cette province sont de méme naturel, & ont la méme industrie de derober. De vérité je ne m'étonne pas si un peuple pauvre & nud est larron, mais quant il y a de la malice au coeur, cela n'est plus excusable. Ce peuple est tel qu'il faut traiter avec terreur: car par amitié si on leur donne trop d'accés ils machineront quelque surprise, comme s'est reconnu en plusieurs occasions, ainsi que nous avons veu ci-dessus & verrons encor ci-aprés. Et sans aller plus loin, le deuxiéme jour aprés étre là arrivez, comme ils voyoient noz gens occupez sur la rive du ruisseau qui est là, à faire la lescive, ilz vindrent quelques cinquante à la file, avec arcs, fleches, & carquois, en intention de faire quelque mauvais tour, comme on en a eu conjecture sur la maniere de proceder. Mais on le s prevint, & alla-on au devant d'eux avec mousquets & la méche sur le serpentin. Ce qui fit les uns fuir, & les autres étans enveloppés aprés avoir mis les armes bas, vindrent à une peninsule où étoient nos gens, et faisans beau semblant, demanderent à troquer du petun qu'ils avoient, contre noz marchandises.
Le lendemain le Capitaine dudit lieu & port vint voir le sieur de Poutrincourt en sa barque. On fut étonné de le voir accompagné d'Olmechin, veu que la traite étoit merveilleusement longue de venir là par terre, & beaucoup plus brieve par la mer. Cela donnoit sujet de mauvais soupçon, encores qu'il eût promis amitié avec François. Neantmoins ilz furent humainement receuz, & bailla le sieur de Poutrincourt un habit complet audit Olmechin, duquel étant vétu, il se regardoit en un miroir, & rioit de se voir ainsi. Mais peu aprés sentant que cela l'empechoit, quoy qu'au mois d'Octobre, quand il fut retourné aux cabannes il le distribua à plusieurs de ses gens, afin qu'un seul n'en fût trop empeché. Ceci devroit servir de leçon à tant de mignons & migones de deça, à qui il faut faire des habits & corselets durs comme bois, où le corps est si miserablement gehenné, qu'ilz sont dans leurs vétemens inhabiles à touts bonnes choses: Et s'il fait trop chaut ilz souffrent dans leurs groz culs à mile replis, des chaleurs insupportables, qui surpassent les douleurs que l'on fait quelquefois sentir aux criminels.
Or durant le temps que ledit sieur de Poutrincourt fut là, étant en doute si le sieur de Monts viendroit point faire une habitation en cette côte, comme il en avoit desir, il y fit cultiver un parc de terre pour y semer du blé, & planter la vigne, comme il fit à l'aide de nôtre Apoticaire M. Louis Hebert, homme qui outre l'experience qu'il a en son art, prent grand plaisir au labourage de la terre. Et peut-on ici comparer ledit sieur de Poutrincourt au bon pere Noé, lequel aprés avoir fait la culture la plus necessaire regarde la semaille des blez, se mit à planter à la vigne, de laquelle il ressentit les effects par aprés.
Sur le point qu'on deliberoit de passer outre, Olmechin vint à la barque pour voir le sieur de Poutrincourt, là où aprés s'étre arreté par quelques heures soit à deviser, soit à manger, il dit que le lendemain devoient arriver cent bateaux contenans chacun six hommes: mais la venuë de telles gens n'étant qu'une reuse, le sieur de Poutrincourt ne les voulut attendre: ains s'en alla le jour méme à Malebarre, non sans beaucoup de difficultés a cause des grans courans & du peu de font qu'il y a. De maniere que la barque ayant touché à trois piez d'eau seulement on pensoit étre perdu, & commença-on à la décharger & mettre les vivres dans la chaloupe qui étoit derriere, pour se sauver en terre: mais la mer n'étant en son plein, la barque fut relevée au bout d'une heure. Toute cette mer est une terre usurpée comme celle du Mont saint Michel, terre sablonneuse, en laquelle ce qui reste est tout plat païs jusques aux montagnes que l'on voit à quinze lieuës de là. Et ay opinion que jusques à la Virginie c'est tout de méme. Au surplus ici grande quantité de raisins comme devant, & païs fort peuplé. Le sieur de Monts étant venu à Malebarre en autre saison recuillit seulement du raisin vert, lequel il fit confire, & en apporta au Roy. Mais ç'a eté un heur d'y étre venu en Octobre pour en voir la parfaite maturité. J'ay dit ci-devant la difficulté qu'il y a d'entrer au port de Malebarre, C'est pourquoy le sieur de Poutrincourt n'y entra point avec sa barque, ains y alla seulement avec une chaloupe, laquelle trente ou quarante Sauvages aiderent à mettre dedans, & comme la marée fut haute (or ici la mer ne hausse que de deux brasses, ce qui est rare à voir) il en sortit & se retira en ladite barque, pour dés le lendemain, si töt qu'il ajourneroit, passer outre.
Perils: Langage inconu: Structure d'une forge, & d'un four: Croix plantée: Abondance: Conspiration: Desobeissance Assassinat: Fuite de trois cent contre dix: Agilité des Armouchiquois: Propheties de nôtre temps. Barbin. Marquis d'Ancre: Accident d'un mousquet crevé: Insolence, timidité, impieté, & fuite des Sauvages: Port fortuné: Mer mauvaise, Vengeance: Conseil & resolution sur le retour: Nouveaux perils: Faveurs de Dieu: Arrivée du sieur de Poutrincourt au Port Royal: & la reception à lui faite.
CHAP. XV
A nuit commençant à plier bagage
pour faire place à l'aurore on mit
la voile au vent, mais ce fut avec
une navigation fort perilleuse. Car avec
ce petit vaisseau, qui n'étoit que de dix-huit
tonneaux, il étoit force de
côtoyer la terre, où noz gens ne trouvoient
point de fond: reculans à la mer c'étoit encore
pis: de maniere qu'ilz toucherent deux ou trois
fois, étans relevez seulement par les vagues;
& sur le gouvernail rompu, qui étoit chose effroyable.
En cette extremité furent contraints de mouiller
l'ancre en mer à deux brasses d'eau & à trois
lieuës loin de la terre. Ce que fait, le sieur
de Poutrincourt envoye Daniel Hay (homme qui se
plait de montrer sa vertu aux perils de la mer)
vers la côte, pour la reconoitre, & voir s'il y avoit
point de port. Et comme il fut prés de terre il
vit un Sauvage qui dansoit chantant yo, yo, yo, le
fit approcher, & par signes lui demanda s'il y avoit
point de lieu propre à retirer navires, & où il y
eût de l'eau douce. Le Sauvage ayant fait signe
qu'ouï, il le receut en sa chaloupe, & le mena
à la barque, dans laquelle étoit Chkoudun, Capitaine
de la riviere Oigoudi, autrement Saint Jean,
lequel confronté à ce Sauvage, il ne l'entendoit
non plus que les nôtres. Vray est que par signes
il comprenoit mieux qu'eux ce qu'il vouloit dire.
Ce Sauvage montra les endroits où il y avoit
des basses, & où il n'y en avoit point. Et fit
si bien en serpentant, toujours la sonde à la main
qu'en fin on parvint au port qu'il avoit dit, auquel
y a peu de profond là où étant la barque arrivée,
on fit diligence de faire une forge pour la racoutrer
avec son gouvernail; & un four pour cuire
du pain, parce que le biscuit étoit failli.
Quinze jours se passerent à ceci, pendant léquels le sieur de Poutrincourt selon la louable coutume des Chrétiens, fit charpenter & planter une Croix sur un tertre, ainsi qu'avoit fait deux ans auparavant le sieur de Monts à Kinibeki, & Malebarre. Or parmi ces laborieux exercices on ne laissoit de faire bonne chere de ce que la mer & la terre peut en cette part fournir. Car en ce port il y a quantité de gibier, à la chasse duquel plusieurs de noz gens s'employoient: principalement les Alouettes de mer y sont en si grandes troupes que d'un coup d'arquebuze le sieur de Poutrincourt en tua vint-huit. Pour le regard des poissons il y a des marsoins & souffleurs en telle abondance, que la mer en semble toute couverte. Main on n'avoit les choses necessaires à faire cette pécherie, ains on s'arrétoit seulement aux coquillages, comme huitres, palourdes, ciguenaux, & autres dequoy il y avoit moyen de se contenter. Les Sauvages d'autre par apportoient du poisson & des raisins pleins des paniers de jonc, pour avoir en échange quelque chose de noz denrées. Ledit sieur de Poutrincourt voyant là les raisins beaux à merveilles avoit commandé à son homme de chambre de serrer dans la barque un fais des vignes où ils avoient eté pris. Maitre Loys Hebert nôtre Apoticaire desireux d'habiter ce païs-là, en avoit arraché une bonne quantité, afin de les planter au Port-Royal, où il n'y en a point, quoy que la terre y soit fort propre au vignoble. Ce qui toutefois (par une stupide oubliance) ne fut fait, au grand déplaisir dudit sieur & de nous tous.
Aprés quelques jours, voyant la grande assemblée de Sauvages, en nombre de cinq à six cens, icelui sieur descendit à terre, & pour leur donner quelque terreur, fit marcher devant lui un de ses gens jouant de deux épées, & faisant avec icelles maints moulinets. Dequoy ils étoient étonnez. Mais bien encore plus quand ilz virent que noz mousquets perçoient des pieces de bois épesses, où leurs fleches n'eussent sçeu tant seulement mordre. Et pour ce ne s'attaquerent-ilz jamais à noz gens tant qu'ilz se tindrent en garde. Et eût eté bon de faire sonner la trompette au bout de chacune heure, comme faisoit le Capitaine Jacques Quartier. Car comme dit bien souvent ledit sieur de Poutrincourt: Il ne faut jamais tendre aux larrons, c'est qu'il ne faut donner sujet à un ennemi de penser qu'il puisse avoir prise sur vous: ains toujours montrer qu'on se deffie de lui, & qu'on ne dort point: & principalement quand on a affaire à des Sauvages, léquels n'attaqueront jamais celui qui les attendra de pié ferme. Ce qui ne fut fait en ce lieu par ceux qui porterent la folle enchere de leur negligence, comme nous allons dire.
Au bout de quinze jours ledit sieur de Poutrincourt voyant sa barque racoutrée, & ne rester plus qu'une fournée de pain à achever, il s'en alla environ trois lieuës dans les terres pour voir s'il découvriroit quelque singularité. Mais au retour lui & ses gens apperceurent les Sauvages fuyans par les bois en diverses troupes de vint, trente, & plus, les uns se baissans comme gens qui ne veulent étre veuz: d'autres bloutissans dans les herbes pour n'étre aperceuz: d'autres transportans leurs bagages, & canots pleins de blé, comme pour deguerpir: Les femmes d'ailleurs transportans leurs enfans, & ce qu'elles pouvoient de bagage avec elles. Ces façons de faire donnerent opinion au sieur de Poutrincourt que ses gens ici machinoient quelque chose de mauvais: Partant quand il fut arrivé il commanda à ses gens qui faisoient le pain de se retirer en la barque. Mais comme jeunes gens sont bien souvent oublieux de leur devoir, ceux-ci ayans quelque gateau ou tarte à faire aimerent mieux suivre leur appetit que ce qui leur étoit commandé, & laisserent venir la nuit sans se retirer. Sur la minuit le sieur de Poutrincourt ruminant sur ce qui s'étoit passé la journée precedente, demanda s'ils étoient dedans la barque. Et ayant entendu que non, il leur envoya la chaloupe pour les prendre & amener à bord à quoy ils ne voulurent entendre, fors son homme de chambre, qui craignoit d'étre battu, ils étoient cinq armez de mousquets & épées léquels on avoit averty d'étre toujours sur leurs gardes, & neantmoins ne faisoient aucun guet; tant ils étoient amateurs de leurs volontés. Il étoit bruit qu'auparavant ils avoient tiré deus coups de mousquets sur les Sauvages pource que quelqu'un d'eux avoit derobé une hache. Somme iceux Sauvages ou indignés de cela, ou par un mauvais naturel; sur le point du jour vindrent sans bruit (ce qui leur est aisé à faire, n'ayans ni chevaux, ni charettes, ni sabots) jusques sur le lieu où ilz dormoient: & voyans l'occasion belle à faire un mauvais coup, ilz donnent dessus à traits de fléches & coups de masses, & en tuent deux, le reste demeurant blessé commencerent à crier fuians vers la rive de la mer. Lors celui qui faisoit la sentinelle dans la barque, s'écrie tout effrayé, Aux armes, on tue noz gens, on tue noz gens. A cette voix chacun se leve, & hativement sans prendre le loisir de s'habiller, ni d'allumer sa méche, se mirent dix dans la chaloupe, des noms déquels je ne me souvient, sinon de Champlein, Robert Gravé fils du sieur du Pont, Daniel Hay, les Chirurgien & Apothicaires, & le Trompette tous léquels suivans ledit sieur de Poutrincourt, qui avoit son fils avec lui descendirent à terre en pur corps.
Mais les Sauvages s'enfuirent belle erre, encores qu'ils fussent plus de trois cens, sans ceux qui pouvoient étre tapis dans des herbes (selon leur coutume) qui ne se montroient point. En quoy se reconoit comme Dieu imprime je ne sçay quelle terreur en la face des fideles à l'encontre des mécreans, suivant la parole, quand il dit à son peuple eleu: Nul ne pour substituer devant vous, Le Seigneur vôtre Dieu mettra une frayeur & terreur de vous sur toute la terre sur lesquelles vous marcherés. Ainsi nous voyons que cent trente-cinq milles combatans Madianites s'enfuirent & s'entretuerent eux-mémes au-devant de Gedeon qui n'avoit que trois cens hommes. Or de penser poursuivre ceux-ci c'eût peine perdue, car ils sont trop legers à la couse: Mais qui auroit des chevaux il les gateroit bien: car ils ont force petits sentiers pour aller d'un lieu à autre (ce qui n'est au Port Royal) & ne sont leurs bois épais, & outre ce encor on force terre découverte, où sont leurs maisons, ou cabannes au milieu de leur labourage.
Pendant que le sieur de Poutrincourt venoit à terre, on tira la barque quelques coups de petites pieces de fonte sur certains Sauvages qui étoient sur un tertre, & en vit-on quelques-uns tomber, mais ilz sont si habiles à sauver leurs morts qu'on ne sait qu'en penser. Ledit sieur voyant qu'il ne profiteroit rien de les poursuivre, fit faire des fosses pour enterrer ceux qui étoient decedez, léquels j'ay dit étre deux, mais il y en eut un qui mourut sur le bord de l'eau pensant se sauver, & un quatriéme qui fut si fort navré de fleches qu'il mourut étant rendu au Port Royal. Le cinquiéme avoit une fleche dans la poitrine, mais il échappa pour cette fois là: & vaudroit mieux qu'il y fût mort: car on nous a frechement rapporté qu'il s'est fait pendre en l'habitation que le sieur de Monts entretient à Kebec sur la grande riviere de Canada, ayant été autheur d'une conspiration faite contre Champlein. Et quant à ce desastre il a été causé par la folie & desobeissance d'un que je ne veux nommer, puis qu'il est mort, lequel faisoit le coq entre des jeunes gens à lui trop credules, qui autrement étoient d'assez bonne nature; & pource qu'on ne le vouloit enivrer, avoit juré (selon sa coutume) qu'il ne retourneroit point dans la barque, ce qui avint aussi. Car il fut trouvé mort la face en terre ayant un petit chien sur son doz, tous-deux cousus ensemble & transpercez d'une méme fleche.
Sur l'occurence de cette prophetie il me plait d'en rapporter deux de méme étoffe & tres-veritables avenues à la conservation de la France, la veille Saint-Marc en cette année mille six cens dix-sept, léquelles n'ont point eté remarquées par tous ceux qui ont fait des libelles sur la mort du Marquis d'Ancre. La premiere est de Barbin, qui fut fait Conterolleur general des finances en la place de Monsieur le President Jeannin, lequel n'étoit aggreable, par-ce qu'il étoit trop bon François. Cet homme voyant trois ou quatre Princes & quelques Seigneurs seuls & foibles, s'opposer à la tyrannie que ledit Marquis avoit occupée souz le nom du Roy, disoit ordinairement que ces affaires ne dureroient point jusques à la fin de May, & que dans ce temps ces Princes & Seigneurs (qui se sacrifioient pour leur patrie) seroient réduits à la necessité de se rendre. Ce qui en apparence étoit veritable. Mais Dieu juste juge y pourveut, ayant contre l'esperance commune fortifié l'esprit & le courage de ce jeune Prince Roy, en sorte qu'en moins d'un tourbillon cette haute puissance qui vouloit éprouver jusques où à quel point & degré la Fortune pouvoit elever un homme, fut tout à plat abbattue, & entierement ruinée par la mort de cet ambitieux trop enivré des faveurs qu'il ne méritoit point.
L'autre Prophete que je eux dire a eté cetui-ci méme, lequel en son dernier voyage fait à Paris, passant par Ecouï à sept lieuës de Roüen eut plainte d'une servante de l'epée Royale, où il étoit logé, que la guerre leur coutoit beaucoup, & ne leur venoit plus d'hostes: Surquoy il repartit, disant: Ma fille je m'en vay à Paris; Si je retourne nous aurons la guerre; Sinon, nous aurons la paix. Ce qui est arrivé, mais en un autre sens qu'il ne l'entendoit. Car certes il s'attendoit pas de mourir si tôt; & sa mort tant desirée & necessaire nous a en un moment ramené la paix, a garenti ces bons & genereux Princes d'une entiere ruine, & a sauvé le Roy & la maison Royale, de qui l'Etat & la vie ne pendoit qu'à un filet que pretendoit bien-tôt couper ce mal-heureux Pisandre.
Ainsi plusieurs prophetizent quelquefois contre leur sens & entente, dont l'exemple nous est assez notoire en l'histoire sainte par la prophetie de Balaam. Main revenons à nos Armouchiquois.
En cette mauvaise occurence le fils du sieur du Pont susnommé eut trois doits de la main emportez de l'éclat d'un mousquets qui se creva pour étre trop chargé. Ce qui trouble fort la compagnie laquelle étoit assez affligée d'ailleurs. Neantmoins on ne laissa de rendre le dernier devoir aux morts, léquels on enterra au pié de la Croix qu'on avoit là plantée, comme a été dit. Mais l'insolence de ce peuple barbare fut grande aprés les meurtres par eux commis, en ce que comme noz gens chantoient sur nos morts les oraisons & prieres funebres accoutumées en l'Eglise, ces maraux; id-je, dansoyent & hurloyent loin de là se rejouissans de leur trahison: & pourtant, quoy qu'ilz fussent grand nombre, ne se hazardoyent pas de venir attaquer les nôtres, léquels ayans à leur loisir fait ce que dessus, pource que la mer baissait fore, se retirerent en la barque, dans laquelle étoit demeuré Champ-doré pour la garde d'icelle. Mais comme la mer fut basse, & n'y avoit moyen de venir à terre, cette méchante gent vint derechef au lieu où ils avoient fait le meurtre; arracherent la Croix, deterrerent l'un des morts, prindrent sa chemise, & la vétirent, montrans leurs depouilles qu'ils avoient emportées: & parmi ceci encore tournans le dos à la barque jettoient du sable à deux mains par entre les fesses en derision, hurlans comme des loups: ce qui facha merveilleusement les nôtres, léquels ne manquoient de tirer sur eux leurs pieces de fonte, mais la distance étoit fort grande, & avoient des-ja cette ruse de se jetter par terre quand ils voyoient mettre le feu, de sorte qu'on ne sçavoit s'ils avoient été blessés ou autrement: & fallut par necessité boire ce calice, attendant la marée, laquelle venue & suffisante pour porter à terre, comme ilz virent nos gens s'embarquer en la chaloupe, ilz s'enfuirent comme levriers, se fians en leur agilité. Il y avoit avec les nôtres un Sagamos nommé Chkoudun, duquel nous avons parlé ci devant, lequel avoit grand déplaisir de tout ceci: & vouloit seul aller combattre cette multitude, mais on ne le voulut permettre. Et à tant on releva la Croix avec reverence, & enterra-on de rechef le corps qu'ils avoient déterrés. Et fut ce port appellé le Port Fortuné.
Le lendemain on mit la voile au vent pour passer outre & découvrir nouvelles terres: mais on fut contraint par le vent contraire de relacher & r'entrer dans ledit Port. L'autre lendemain on tenta derechef d'aller plus loin, mais ce fut en vain, & fallut encores relacher jusques à ce que le vent fût propre. Durant cette attente les Sauvages (pensans, je croy que ce ne fût que jeu ce qui s'étoit passé) voulurent se r'apprivoiser, & demanderent à troquer, faisant semblant que ce n'étoient pas eux qui avoient fait le mal mais d'autres, qu'ilz montroient s'en étre allez. Mais ilz n'avoient pas l'avisement de ce qui est en une fable, que la Cigogne ayant été prise parmi les Grues qui furent trouvées en dommage, fut punie comme les autres, nonobstant qu'elle dist que tant s'en fallût qu'elle fit mal qu'elle purgeoit la terre des serpens qu'elle mangeoit. Le sieur de Poutrincourt donc les laissa approcher, & fit semblant de vouloir prendre leurs denrées, qui étoient du petun, quelques chaines, colliers, & brasselets faits de coquilles de Vignaux (appelés Esurgni, au discours du second voyage de Jacques Quartier) fort estimés entre eux: item de leurs blé, féves, arcs, fleches, carquois, & autres menues bagatelles. Et comme la societé fut renouée, ledit sieur commanda à neuf ou dix qu'il avoit avec lui de mettre les meches de leurs mousquets en façon de laqs, & qu'au signal qu'il feroit chacun jettât son cordeau sur la téte de celui des Sauvages qu'ils auroient accosté, & s'en saisist, comme le maitre des hautes oeuvres fait de sa proye: & pour l'effect de ce, que la moitié s'en allassent à terre, tandis qu'on les amuserait à troquer dans la chaloupe. Ce qui fut fait: mais l'execution ne fut pas du tout selon son desir. Car il pretendoit se servir de ceux que l'on prendroit comme de forçats au moulin à bras & à couper dus bois. A quoy par trop grande precipitation on manqua. Neantmoins il y en eut six ou sept charpentés & taillés en pieces léquels ne peurent point si bien courir dans l'eau comme en la campagne, & furent attendus au passage par ceux des nôtres qui étoient demeurés à terre. Le Sauvage Chkoudun mentionné ci-devant, rapportoit une des tétes de ceux-là, mais par fortune elle tomba dans la mer, dont il eut tant de regret, qu'il en pleuroit à chaudes larmes.
Cela fait, le lendemain on s'efforça d'aller plus avant, nonobstant que le vent ne fût à propos, mais on avança peu, & vit-on tant seulement une ile à six ou sept lieuës loing, à laquelle il n'y eut moyen de parvenir, & fut appellée l'ile Douteuse. Ce que consideré, & que d'une part on craignoit manquer de vivres, & d'autres que l'hiver n'empechât la course; & d'ailleurs encores, qu'il y avoit deux malades, auquels on n'esperoit point de salut: Conseil pris, fut resolu de retourner au Port-Royal, étant, outre ce que dessus, encore le sieur de Poutrincourt en souci pour ceux qu'il avoit laissé. Ainsi on vint pour la troisiéme fois au Port Fortuné, là où ne fut veu aucun Sauvage.
Au premier vent propre ledit sieur fit lever l'ancre pour le retour, & memoratif des dangers passez, fit cingler en pleine mer: ce qui abbregea sa route. Mais non sans un grand desastre du gouvernail qui fut derechef rompu de maniere qu'étant à l'abandon des vagues, ils arriverent en fin au mieux qu'ilz peurent aux iles de Norembega, où ilz la racoutrerent. Et au sortir d'icelles vindrent à Menane ile d'environ six lieuës de long entre Sainte-Croix, & le Port-Royal, où ils attendirent le vent, lequel étant venu aucunement à souhait, au partir de là nouveaux desastres. Car la chaloupe qui étoit attachée à la barque fut poussée d'un coup de mer rudement, rudement, que de sa pointe elle rompit tout le derriere d'icelle, où étoit ledit sieur de Poutrincourt, & autres. Et d'ailleurs n'ayans peu gaigner le passage dudit Port-Royal, la marée (qui vole en cet endroit) les porta vers le fond de la Baye Françoise, d'où ilz ne sortirent point à leur aise, & se trouverent en aussi grand danger qu'ils eussent été oncques auparavant: d'autant que voulans retourner d'où ils étoient venus ilz se virent portez de la marée & du vent vers la côte, qui est de hauts rochers & precipices: là où s'ilz n'eussent doublé une pointe qui les menaçoit de ruine, c'eût été fait d'eux. Mais en des hautes entreprises Dieu veut éprouver la confiance de ceus qui combattent pour son nom, & de voir s'ilz ne branleront point: il les meine jusques à la porte de l'enfer, c'est à dire du sepulchre, & neantmoins les tient par la main, afin qu'ilz ne tombent dans la fosse, ainsi qu'il est écrit: Ce suis-je, ce suis-je moy, & n'y a point de Dieu avec moy. Je fay mourir, & fay vivre: je navre, & je gueri: & n'y a personne qui puisse delivrer aucun de ma main. Ainsi avons-nous dit quelquefois ci-devant, & veu par effet, que combien qu'en ces navigations se soient presentez mille dangers, toutefois il ne s'est jamais perdu un seul homme par mer, jaçoit que de ceux qui vont tant seulement Pour les Morues, & le traffic des pelleteries, il y en demeure assez souvent: témoins quatre pécheurs Maloins qui furent engloutis des eaux étans allés à la pécherie; lors que nous étions sur le retour en France: Dieu voulant que nous reconoissions tenir ce benefice de lui, & manifester sa gloire de cette façon, afin que sensiblement on voye que c'est lui qui est autheur de ces saintes entreprises, léquelles ne se font par avarice, ni par l'injuste effusion du sang, mais par un zele d'établir son nom, & sa grandeur parmi les peuples qui ne le conoissent point. Or aprés tant de faveurs du ciel, c'est à faire à ceux qui les ont receues à dire comme le Psalmiste-Roy bien aimé de Dieu:
Tu m'as tenu la dextre, & ton sage vouloir
M'a seurement guidé, jusqu'à me faire voir
Mainte honorable grace
En cette terre basse.
Aprés beaucoup de perils (que je ne veux comparer à ceux d'Ulisse, ni d'Ænée, pour ne souiller noz voyages saints parmi l'impureté) le sieur de Poutrincourt arriva au Port-Royal le quatorziéme de Novembre, où nous le receumes joyeusement & avec une solennité toute nouvelle pardela. Car sur le point que nous attendions son retour avec grand desir, (& ce d'autant plus, que si mal lui fût arrivé nous eussions été en danger d'avoir de la confusion) je m'avisay de representer quelque gaillardise en allant au-devant de lui, comme nous fimes. Et d'autant que cela fut en rhimes Françoises faites à la hâte, je l'ay mis avec Les Muses de la Nouvelle-France souz le tiltre de THEATRE DE NEPTUNE, où je renvoye mon Lecteur. Au surplus pour honorer davantage le retour de nôtre action, nous avions mis au dessus de la porte de nôtre Fort les armes de France, environnées de couronnes de lauriers (dont il y a là grande quantité au long des rives des bois) avec la devise du Roy, DVO PROTEGIT VNVS. Et au dessous celles du sieur de Monts avec cette inscription, DABIT DEVS HIS QVOQVE FINEM: et celle du sieur de Poutrincourt avec cette autre inscription, INVIA VIRTVTI NVLLA EST VIA, toutes deux aussi ceintes de chapeaux de lauriers.
Etat de semailles: Institution de l'ordre de Bon-temps: Comportement des Sauvages parmi les François: Etat de l'hiver: Pourquoy en ce temps pluies & brumes rares: Pourquoy pluies frequentes entre les tropiques: Neges utiles la terre: Etat de Janvier: Conformité de temps en l'antique & Nouvelle-France: Pourquoy Printemps tardif: Culture de jardins: Rapport d'iceux: Moulin à eau: Manne de harens: Preparation pour le retour: Invention du sieur de Poutrincourt: Admiration des Sauvages: Nouvelles de France.
CHAP. XVI
PRES la rejouissance publique cessée,
le sieur de Poutrincourt eut soin
de voir ses blés, dont il avoit semé
la plus grande partie à deux
lieuës loin de nôtre Fort en
amont de la riviere de l'Equille, dite du Dauphin:
& l'autre à-l'entour de nôtredit Fort: & trouva
les premiers semez bien avancés, & non les
derniers qui avoient eté semez les sixiéme &
dixiéme de Novembre, léquels toutefois ne laisserent
de croitre souz la nege durant l'hiver,
comme je l'ay remarqué Ce seroit chose longue
de vouloir minuter tout ce qui se faisoit durand
l'hiver entre nous: comme de dire que ledit
sieur fit faire plusieurs fois du charbon, celui
de forge étant failli: qu'il fit ouvrir des chemins
parmi les bois: que nous allions à travers les forets
souz la guide du Kadran, & autres choses selon les
occurrences. Mais je diray que pour nous tenir
joyeusement & nettement, quant aux vivres, fut établi
un Ordre en la Table dudit sieur de Poutrincourt, qui
fut nommé L'ORDRE DE BON-TEMPS, mis premierement en
avant par Champlein, suivant lequel ceux d'icelle
table étoient Maitres-d'hotel chacun à son tour,
qui étoit en quinze jours une fois. Or avoit-il
le soin de faire que nous fussions bien &
honorablement traités. Ce qui fut si bien observé,
que (quoy que les gourmans de deça nous disent
souvent que là nous n'avions point la rue aux
Ours de Paris) nous y avons fait ordinairement aussi
bonne chere que nous sçaurions fair en cette
rue aux Ours, & à moins de frais. Car il n'y
avoit celui qui deux jours devant que son tour vint
ne fût soigneus d'aller à la chasse, ou la pecherie,
& n'apportat quelque chose de rare, outre
ce qui étoit de nôtre ordinaire. Si bien que
jamais au déjeuner nous n'avons manqué de
saupiquets de chair ou de poissons: & au
repas du midi & du soir encor moins: car c'étoit le
grand festin, là où l'Architriclin, ou
Maitre-d'hotel (que les Sauvages appellent
Atoctegie) ayant fait preparer toutes choses au
cuisinier, marchoit la serviete sur l'épaule, le baton
d'office en main, le collier de l'Ordre au col, & tous
ceux d'icelui Ordre aprés lui portans chacun son
plat. Le méme étoit au dessert, non toutefois avec
tant de suite. Et au soir avant rendre graces
à Dieu, il resignoit le collier de l'Ordre avec
un verre de vin à son successeur en la charge,
& buvoient l'un à l'autre. J'ay dit ci-devant
que nous avions du gibier abondamment, Canars,
Outardes, Oyes grises & blanches, perdris, alouettes,
& autres oiseaux: Plus des chairs d'Ellans,
de Caribous, de Castors, de Loutres, d'Ours,
de Lapins, de Chats-Sauvages, ou Leopars,
de Nibachés, & autres telles que les Sauvages
prenoient, dont nous faisions chose qui valoit bien
ce qui est en la rotisserie de la rue aux Ours:
& plus encor: car entre toutes les viandes
il n'y a rien de si tendre que la chair d'Ellan
(dont nous faisions aussi de bonne patisserie) ni de
si delicieux que la queue du Castor. Mais nous
avons eu quelquefois demie douzaine d'Eturgeons
tout à coup que les Sauvages nous ont apportez,
déquels nous prenions une partie en payant,
& le reste on leur permettoit vendre publiquement
& troquer contre du pain, dont nôtre
peuple abondoit, & quant à la viande ordinaire
portée de France cela étoit distribué egalement
autant au plus petit qu'au plus grand.
Et ainsi étoit du vin, comme a été dit.
En telles actions nous avions toujours vint ou trente Sauvages, hommes, femmes, filles, & enfans, qui nous regardoient officier. On leur baillait du pain gratuitement comme on feroit à des pauvres. Mais quant au Sagamos Membertou, & autres Sagamos (quand il en arrivoit quelqu'un) ils étoient à la table mangeans & buvans comme nous: & avions plaisir de les voir, comme au contraire leur absence nos étoit triste: ainsi qu'il arriva trois ou quatre fois que tous s'en allerent és endroits où ilz sçavoient y avoir de la chasse, & emmenerent un des nôtres lequel véquit quelques Six semaines comme eux sans sel, sans pain, & sans vin, couché à terre sur des peaus, & en temps de neges. Au surplus ils avoient soin de lui (comme d'autres qui sont souvent allés avec eux plus que d'eux-mémes), disans que s'ils mouroient on leur imposeroit qu'ilz les auroient tués: & par ce se conoit que nous n'étions comme degradés en une ile ainsi que le sieur de Villegagnon au Bresil. Car ce peuple aime les François, & en un besoin s'armeront tous pour les soutenir.
Or, pour ne nous égarer, tels regimes dont nous avons parlé, nous servoient de preservatifs contre la maladie du païs. Et toutefois il nous en deceda quatre en Fevrier & Mars de ceux qui étoient ou chagrins, ou paresseux: & me souvient de remarquer que tous ils avoient leurs chambres du côté d'Oest, & regardant sur l'étendue du Port, qui est de quatre lieuës préque en ovale. D'ailleurs ils étoient mal couchés, comme tous. Car les maladies precedentes, & le depart du Sieur du Pont en la façon que nous avons dit, avoient fait que l'on avoit jetté dehors les matelats, & étoient pourris, & ceux qui s'en allerent avec ledit sieur du Pont emporterent ce qui restoit de draps de licts disans qu'ils étoient à eus. De maniere que quelques uns des nôtres eurent le mal de bouche, & l'enflure de jambes, à la façon des phthisiques: qui est la maladie que Dieu envoya à son peuple au desert en punition de ce qu'ilz s'étoient voulu engraisser de chair, ne se contentans de ce que le desert leur fournissoit par la volonté divine.
Nous eumes beau temps préque tout l'hiver. Car les pluies, ni les brumes, n'y sont si frequentes qu'ici, soit en lamer, soit en la terre: & ce pour autant que les rayons du soleil en cette saison n'ont pas la force d'élever les vapeurs d'ici bas, mémement en un païs tout forétier. Mais en Eté cela se fait sur tous les deux, lors que leur force est augmentée, 7 se resoudent ces vapeurs subitement ou tardivement selon qu'on approche de la ligne æquinoctiale. Car nous voyons qu'entre les deux tropiques les pluies sont abondantes en mer & en terre, & specialement au Peru, & en Mexique plus qu'en l'Afrique, pource que le soleil par un si long espace de mer ayant humé beaucoup d'humidités de tout l'Ocean, il les resout en un moment par la grande force de sa chaleur, là où vers la Terre-neuve ces vapeurs s'entretiennent long temps en l'air devant que se condenser en pluie, ou étre dissipées: ce qui est en Eté (comme nous avons dit) & non en hiver: & en la mer plus qu'en la terre. Car en la terre les brouillas du matin servent de rousée, & tombent sur les huit heures: & en la mer ilz durent deux, trois, & huit jours, comme nous avons souvent experimenté.
Or puis que nous sommes sur l'hiver disons que les pluies en tel temps étans rares par-dela aussi y fait-il beau soleil aprés que la nege est tombée, laquelle nous avons eue sept ou huit fois, mais elle se fondoit facilement és lieux découverts, & la plus constante a été en Février. Quoy que ce soit, la nege moderée est fort utile aux fruits de la terre, pour les conserver contre la gelée, & leur servir comme d'une robbe fourrée. Ce que Dieu fait par une admirable providence, pour ne ruiner les hommes, & comme dit le Psalmiste.
Il donne la nege chenue
Comme laine à tas blanchissant,
Et comme la cendre menue
Repand les frimas brouissans.
Et comme le ciel n'est gueres souvent couvert de nuées vers la Terre-neuve en temps d'hiver, aussi y a il des gelées matinales, léquelles se renforcent sur la fin de Janvier, en Février, & au commencement de Mars: car jusques audit temps de Janvier nous y avons toujours été en pourpoint: & me souvient que le quatorziéme de ce mois par un Dimanche aprés midi nous nous rejouissions chantans Musique sur la riviere de l'Equille: & qu'en ce méme mois nous allames voir les blez à deux lieuës de nôtre Fort, & dinames joyeusement au soleil. Je ne voudroy toutefois dire que toutes les années fussent semblables à celle-ci. Car comme cet hiver là fut semblablement doux pardeçà, le dernier hiver de l'an mil six cens sept, le plus rigoureux qu'on vit jamais, a aussi été de méme par-delà, en sorte que beaucoup de Sauvages sont morts par la rigueur du temps ainsi qu'en France beaucoup de pauvres, & de voyagers. Mais je diray que l'année de devant que nous fussions en la Nouvelle-France, l'hiver n'avoit point eté rude, ainsi que m'ont testifié ceux qui y avoient demeuré avant nous.
Voila ce qui regarde la saison de l'hiver. Mais je ne suis point encore bien satisfait en la recherche de la cause pourquoy en méme parallele la saison est par-dela plus tardive d'un mois qu'ici, & n'apparoissent les fueilles aux arbres que sur le declin du mois de May: si ce n'est que nous disions que l'epesseur des bois & grandeur des foréts empéche le soleil d'échauffer la terre: item que le païs où nous étions est voisin de la mer, & plus sujet au froid comme participant du Perou païs semblablement froid à l'égard de l'Afrique; & d'ailleurs que cette terre n'ayant jamais été cultivée, est plus condense, & ne peuvent les arbres & plantes aisément tirer le suc de leur mere. En recompense dequoy aussi l'hiver y est plus tardif, comme nous avons n'agueres dit.
Les froidures étans passées, sur la fin de Mars tous les volontaires d'entre nous se mirent à l'envi l'un de l'autre à cultiver la terre, & faire des jardins pour y semer, & en recueillir des fruits. Ce qui vint bien à propos. Car nous fumes fort incommodez l'hiver faute d'herbes de jardins. Quand chacun eut fait ses semailles, c'étoit un merveilleux plaisir de les voir croitre & profiter chacun jour, & encore plus grand contentement d'en user si abondamment que nous fimes: si bien que ce commencement de bonne esperance nous faisoit préque oublier nôtre païs originaire, & principalement quand le poisson commença à rechercher l'eau douce & venir à foison dans noz ruisseaux, tant que nous n'en sçavions que faire. Ce que quant je considere, je ne me sçaurois assés étonner comme il est possible que ceux qui ont eté en la Floride ayent souffert de si grandes famines, veu la temperature de l'air qui est préque sans hiver, & que leur famine vint és mois d'Avril, May, Juin, auquels ilz ne devoient manquer de poissons.
Tandis que les uns travailloient à la terre, le sieur de Poutrincourt fit preparer quelques batimens pour loger ceux qu'il esperoit nous devoir succeder. En considerant combien le moulin à bras apportoit de travail, il fit faire un moulin à eau, qui fut fort admiré des Sauvages. Aussi est-ce une invention qui n'est pas venue és esprits des hommes dés les premiers siecles. Depuis cela nos ouvriers eurent beaucoup de repos: car ilz ne faisoient préque rien pour la pluspart. Mais je puis dire que ce moulin nous fournissoit de Harens trois fois plus qu'il ne nous en eût fallu pour vivre, à la diligence de noz Meuniers: car la mer étant haute venoit jusqu'au moulin, au moyen dequoy le haren allant s'égayer par deux heures en l'eau douce, étoit pris de bonne guerre au retour. Le sieur de Poutrincourt en fit saller deux bariques, & une barique de Sardines pour en faire montre en France.
Parmi toutes ces choses ledit sieur de Poutrincourt ne laissoit de penser au retour. Ce qui étoit un fait d'homme sage. Car il ne se faut jamais tant fier aux promesses des hommes que l'on ne considere qu'il y arrive bien souvent beaucoup de desastre en peu d'heure. Et partant dés le mois d'Avril il fit accommoder deux barques, une grande, & une petite, pour venir chercher les navires de France vers Campseau, ou la Terre-neuve, cas avenant que n'eussions point de secours. Mais la charpenterie faite, un seul mal nous pouvoit arréter, c'est que nous n'avions point de bray pour calfester noz vaisseaux. Cela (qui étoit la chose principale) avoit eté oublié au partir de la Rochelle. En ceste necessité importante, ledit sieur de Poutrincourt s'avisa de recuillir par les bois quantité de gommes de sapins. Ce qu'il fit avec beaucoup de travail, y allant lui-méme avec un garson ou deux le plus souvent: si bien qu'en fin il eut quelques cent litres. Or apres ces fatigues ce ne fut encore tout. Car il falloit fondre & purifier cela, qui étoit un point necessaire, & inconu à nôtre Maitre de marine, Champ-doré, & à ses matelots, d'autant que le bray que nous avons vient de Norwege, Suede, & Danzic. Neantmoins ledit sieur de Poutrincourt inventa le moyen de tirer la quintessence de ces gommes & écorces de sapins: & fit faire quantité de briques, déquelles il façonna un fourneau tout à jour, dans lequel il mit une alembic fait de plusieurs chaudrons enchassez l'un dans l'autre, lequel il emplissoit de ces gommes & écorces: puis étant bien couvert on mettait le feu tout à l'entour, par la violence duquel fondoit la gomme enclose dans ledit alembic, tomboit par embas dans un bassin. Mais il ne falloit pas dormir à l'entour, d'autant que le feu prenant à la matiere tout étoit perdu. Cela étoit admirable pour un personage qui n'en avoit jamais veu faire: dont les Sauvages étonnés disoient en mots empruntez des Basques Endia chavé Normandia, c'est à dire, que les Normans sçavent beaucoup de choses. Or appellent-ils tous les François Normans (exceptez les Basques) par ce que la pluspart des pécheurs qui vont aux Morues sont de cette nation. Ce remede nous vint bien à point: car ceux qui nous vindrent querir étoient tombez en méme faute que nous.
Or comme celui qui est en attente n'a point de bien ni de repos jusques à ce qu'il tienne ce qu'il desire: Ainsi en cette saison noz gens jettoient souvent l'oeil sur la grande étendue du Port Royal pour voir s'ilz découvriroient point quelque vaisseau arriver. En quoy ils furent plusieurs fois trompez, se figurans tantot avoir ouï un coup de canon, tantot appercevoir les voiles d'un vaisseau: & prenans bien souvent les chaloupes des Sauvages qui nous venoient voir pour les chaloupes Françoises. Car alors grande quantité de Sauvages s'assemblerent au passage dudit Port pour aller à la guerre contre les Armouchiquois, comme nous dirons au livre suivant. En fin on cria tant Noé qu'il vint, & eumes nouvelles de France le jour de l'Ascension avant midi.
Arrivée des François: Societé du sieur de Monts rompue, & pourquoy: Avarice de ceux qui volent les morts: Feux de joye pour la naissance de Monseigneur d'Orleans: Partement des Sauvages pour aller à la guerre: Sagamos Membertou: Voyages sur la côte de la Baye Françoise: Trafic sordide: Ville d'Ouigoudi: Sauvages comme font de grands voyages: Mauvaise intention d'iceux: Mine d'acier: Voix de Loups-marins: Etat de l'ile Sainte-Croix: Erreur de Champlein: Amour des Sauvages envers leurs enfans: Retour au Port Royal.
CHAP. XVII
E Soleil commençoit à échauffer la
terre, &oeillader sa maitresse
d'un regard amoureux, quand le
Sagamos Membertou (apres noz prieres solennellement
faites & Dieu, & le desjeuner distribué au peuple
selon la coutume) nous vint avertir qu'il avoit veu
une voile sur le lac, c'est à dire dans le port, que
venoit vers notre Fort. A cette joyeuse nouvelle
chacun va voir, mais encore ne se trouvoit-il persone
qui si bonne veuë qu lui' quoy qu'il soit âgé de plus
de cent ans. Neantmoins on découvrit bientôt ce qui
en étoit. Le sieur de Poutrincourt fit en diligence
appreter la petite barque pour aller reconoitre.
Champ-doré & Daniel Hay y allerent & par
le signal qu'ils nous donnerent étans certains
que c'étoient amis, incontinent fimes charger
quatre canons, & une douzaine de fauconneaux,
pour saluer ceux qui nous venoient voir de
si loin. Eux de leur part ne manquerent à commencer
la féte, & décharger leurs pieces, auquels
fut rendu le reciproque avec usure. C'étoit
tant seulement une petite barque marchant souz la
charge d'un jeune homme de saint-Malo nommé
Chevalier, lequel arrivé au Fort bailla ses
lettres au sieur de Poutrincourt, léquelles furent
leuës publiquement. On lui mandoit que pour ayder
à sauver les frais du voyage, le navire (qui étoit
encor le JONAS) s'arreteroit au port de Campseau
pour y faire pecherie de Morue, les marchans
associez du sieur de Monts ne sachans pas qu'il y
eût pecherie plus loin que ce lieu: toutefois
que s'il étoit necessaire il fit venir ledit
navire au Port Royal. Au reste, que la societé étoit
rompue, d'autant que contre l'honneteté & devoir
les Holandois (qui ont tant d'obligation à la France)
conduits par un traitre François nommé La Jeunesse,
avoient l'an precedent enlevé les Castors & autres
pelleteries de la grande riviere de Canada:
chose qui tournoit au grand detritement de
la societé, laquelle partant ne pouvoit plus fournir
aux frais de l'habitation de dela, comme elle avoit
fait par le passé. Joint qu'au Conseil du Roy (pour
ruiner cet affaire) on avoit nouvellement
revoqué le privilege octroyé pour dix ans
au sieur de Monts, pour la traicte des Castors,
chose que l'on n'eût jamais esperé. Et pour
cette cause n'envoyoient personne pour demeurer
là apres nous. Si nous eumes aussi une grande
tristesse de voir une si belle & si sainte
entreprise rompuë: que tant de travaux & de perils
passez ne servissent de rien: & que l'esperance
de planter là le nom de Dieu, & la Foy Catholique
s'en allât evanouie. Neantmoins apres que le sieur
de Poutrincourt eut long temps songé sur ceci,
il dit que quant il y devroit venir tout seul
avec sa famille il ne quitteroit point la partie.
Ce nous estoit, di-je, grand deuil d'abandonner ainsi une terre qui nous avoit produit de si beaux blez, & tant de beaux ornemens de jardins. Tout ce qu'on avoit peu faire jusques là ç'avoit été de trouver lieu propre à faire une demeure arretée, & une terre qui fût de bon rapport. Et cela étant fait, de quitter l'entreprise, c'étoit bien manquer de courage. Car passée une autre année il ne falloit plus entretenir d'habitation. La terre étoit suffisante de rendre les necessitez de la vie. C'est le sujet de la douleur qui poignoit ceux qui étoient amateur de voir la Religion Chrétienne établie en ce païs là. Mais d'ailleurs le sieur de Monts, & ses associés étant en perte, & n'ayans point d'avancement du Roy, c'étoit chose qu'ilz ne pouvoient faire sans beaucoup de difficulté, que d'entretenir une habitation pardela.
Voila les effects de l'envie, qui ne s'est pas glissée seulement és coeurs des Hollandois pour ruiner une si sainte entreprise, mais aussi des nôtres propres, tant s'est montrée grande & insatiable l'avarice des Marchans qui n'avoient part à l'association du sieur de Monts. Et sur ce je diray l'abondant, que de ceux qui nous sont venu querir en ce païs là il y en a eu qui ont osé méchamment aller dépouiller les morts,& voler les Castors que ces pauvres peuples mettent pour le dernier bien-fait sur ceux qu'ils enterrent, ainsi que nous dirons plus amplement au dernier livre. Chose qui rend le nom François odieux & digne de mépris parmi eux, qui n'ont rien de semblable, ains le coeur vrayement noble & genereux, ayans rien de particulier ains toutes choses communes, & qui font ordinairement des presens (& ce fort liberalement, selon leur moyen) à ceux qu'ils aiment & honorent. Et outre ce mal, est arrivé que les Sauvages, lors que nous étions à Campseau, tuerent celui qui avoit montré à noz gens les sepulcres de leurs morts. Je n'ay que faire d'alleguer ici ce que récite Herodote de la vilenie du Roy Darius, lequel pensant avoir trouvé la mere au nid (comme on dit) c'est à dire des grands thresors au tombeau de Semiramis Royne des Babyloniens, eut un pié de nez, ayant au dedans trouvé un écriteau contraire au premier, tensoit aigrement de son avarice & méchanceté.
Revenons à noz tristes nouvelles & aux regrets sur icelles. Le sieur de Poutrincourt ayant fait proposer à quelques uns de nôtre compagnie s'ilz vouloient là demeurer pour un an, il s'en presenta huit, bons compagnons, auquels on promettoit chacun une barique de vin, de celui qui nous restoit, & du blé suffisamment pour une année: mais ilz demanderent si hauts gages qu'il ne peût pas s'accomoder avec eux. Ainsi se fallut resoudre au retour. Le jour declinant nous fimes les feuz de joye de la naissance de Monseigneur le Duc d'Orleans, & recommençames à faire bourdonner les canons & fauconneaux, accompagnez de force mousquetades, le tout aprés avoir sur ce sujet chanté le Te Deum.
Ledit Chevalier apporteur de nouvelles avoit en charge de Capitaine au navire qui étoit demeuré à Campseau, & en cette qualité on lui avoit baillé pour nous amener six moutons, vint-quatre poules, une livre de poivre, vint livres de ris, autant de raisins & de pruneaux, un millier d'amandes, une livre de muscades, un quarteron de canelle, demi livre de giroffles, deux livres d'ecorces de citrons, deux douzaines de citrons, autant d'orenges, un jambon de Maience, & six autres jambons, une barique de vin de Gascogne, & autant de vin d'Hespagne, une barique de boeuf salé, quatre pots & demie d'huile d'olive, une jarre d'olives, un baril de vinaigre, & deux pains de sucre: Mais tout cela fut perdu par les chemins par fortune de gueule, & n'en vimes pas grand cas: neantmoins j'ay mis ici ces denrées afin que ceux qui voudront aller sur mer s'en pourvoient. Quant aux poules & moutons on nous dit qu'ils étoient morts durant le voyage: ce que nous crumes facilement mais nous desirions au moins qu'on nous en eût apporté les os. On nous dit encore pour plus ample resolution, que l'on pensoit que nous fussions tous morts. Voila sur quoy fut fondée la mangeaille. Nous ne laissames toutefois de faire bonne chere audit Chevalier & aux siens, qui n'étoient pas petit nombre, ni buveurs semblables à feu Monsieur le Marquis de Pisani. Occasion qu'ilz ne se deplaisoient point avec nous: car il n'y avoit que du cidre bien arrousé d'eau dans le navire où ils étoient venus pour la portion ordinaire. Mais quant audit Chevalier, dés le premier jour il parla du retour. Le sieur de Poutrincourt le tint quelque huit jours en esperance: au bout déquels voulant s'en aller, ledit sieur mit des gens dans sa barque, & le retint sur quelque rapport que ledit Chevalier avoit dit qu'étant à Campseau il mettroit le navire à la voile, & nous lairroit là.
A la quinzaine ledit sieur envoya une barque audit Campseau chargée d'une partie de nos ouvriers, pour commencer à detrapper la maison.
Au commencement de Juin les sauvages en nombre d'environ quatre cens partirent de la cabanne que le Sagamos Membertou avoit façonnée de nouveau en forme de ville environnée de hautes pallissades, pour aller à la guerre contre les Armouchiquois, qui fut à Chouakoet, à environ quatre-vints lieuës loin du Port Royal, d'où ilz retournerent victorieux, par les stratagemes que je diray en la description que j'ay faite de cette guerre en vers François. Les Sauvages furent prés de deux mois à s'assembler là. Membertou le grand Sagamos les avoit fait avertir durant & avant l'hiver, leur ayant envoyé des hommes exprés, qui étoient ses deux fils Actaudin & Actaudinech, pour leur donner là le Rendez-vous. Ce Sagamos est homme des-ja fort vieil, & a veu le Capitaine Jacques Quartier en ce païs là auquel temps il étoit des-ja marié, & avoit enfans, & neantmoins ne paroit point avoir plus de cinquante ans. Il a eté fort grand guerrier & sanguinaire en son jeune âge & durant sa vie. C'est pourquoy on dit qu'il a beaucoup d'ennemis, & est bien aise de se tenir aupres des François pour vivre en seureté. Durant cette assemblée il fallut lui faire des presens & dons de blé, & féves, méme de quelque baril de vin, pour fétoyer ses amis. Car il remontroit au sieur de Poutrincourt: «Je suis le Sagamos de ce païs ici, j'ay le bruit d'étre ton ami, & de tous les Normans (car ainsi appellent-ils les François, ainsi que j'ay dit) & que vous faites cas de moy: ce me seroit un reproche si je ne montrois les effects de telle chose.» Et neantmoins soit par envie ou autrement, un autre Sagamos nommé Chkoudun, lequel est bon ami des François nous fit rapport que Membertou machinoit quelque chose contre nous, & avoit harangué sur ce sujet. Ce qu'entendu par le sieur de Poutrincourt, soudain il l'envoya querir pour l'étonner,& voir s'il obeiroit. Au premier mandement, il vint seul avec noz gens, & ne fit aucun refus. Occasion qu'on le laissa retourner en paix apres avoir receu bon traitement, & quelque bouteille de vin, lequel il aime parce (dit-il) que quand il en a beu il dort bien, et n'a plus de soin, ni d'apprehension. Ce Membertou nous dit au commencement que nous vimmes là qu'il vouloit faire un present au Roy de sa mine de cuivre, par ce qu'il voyoit que nous faisions cas des metaux,& qu'il faut que les Sagamos soient honétes & liberaux les uns envers les autres. Car lui étant Sagamos il s'estime pareil au Roy, & à tous ses Lieutenans: & disoit souvent au sieur de Poutrincourt qu'il lui étoit grand ami, frere compagnon, & égal, montrant cette égalité par la jonction des deux doits de la main que l'on appelle index ou le doit demonstratif. Or jaçoit que le present qu'il vouloit faire à sa Majesté fût chose dont elle ne se soucie, neantmoins cela lui partoit de bon courage, lequel doit étre prisé comme si la chose étoit plus grande, ainsi que fit ce Roy des Perses qui receut d'aussi bonne volonté une pleine main d'eau d'un païsan comme les plus grands presens qu'on lui avoit fait. Car si Membertou eût eu davantage il l'eût offert liberalement.
Le sieur de Poutrincourt n'ayant point envie de partir delà qu'il n'eût veu l'issue de son attente, c'est à dire la maturité des blés, il delibera apres que les Sauvages furent allés à la guerre, de faire voyages le long de la côte. Et pource que Chevalier desiroit amasser quelques Castors, il envoya dans une petite barque à la riviere Saint-Jean, dite par les Sauvages Oigoudi, & l'ile Sainte-Croix: & lui Poutrincourt s'en alla dans une chaloupe à ladite mine de cuivre. Je fus du voyage dudit Chevalier: & traversames la Bay Françoise pour aller à ladite riviere: là où sitôt que fumes arrivez nous fut apportée demie douzaine de Saumons frechement pris: & y sejournames quatre jours, pendant léquels nous allames és cabanes du Sagamos Chkoudun, là où nos vimes quelques quatre-vints ou cent Sauvages tout nuds, hors-mis le brayet, qui faisoient Tabagie des farines que ledit Chevalier avoit troqué contre leurs vieilles pannes pleines de pous (car ilz ne lui baillerent que ce qu'ilz ne vouloient point.) Ainsi fit-il là un trafic sordide que je prise peu. Mais il peut dire que l'odeur du lucre est suave & douce de quelque chose que ce soit, & ne dedaignoit pas l'Empereur Vespasien de recevoir par sa main le tribut qui lui venoit des pissotieres de Rome.
Etans parmi ces Sauvages le Sagamos Chkoudun nous voulut donner le plaisir de voir l'ordre & geste qu'ilz tiennent allans à la guerre, & les fit tous passer devant nous, ce que je reserve à dire au dernier livre. La ville d'Ouigoudi (ainsi j'appelle la demeure dudit Chkoudun) étoit un grand enclos sur un tertre fermé de hauts & menus arbres attachez l'un contre l'autre, & au dedans plusieurs cabannes grandes & petites, l'une déquelles étoit aussi grande qu'une halle, où se retiroient beaucoup de menages: & quant à celle où ilz faisoient la Tabagie elle étoit un peu moindre. Une bonne partie dédits sauvages étoient de Gachepé qui est le commencement de la grande riviere de Canada, & nous disent que de leur demeure ils venoient là en six jours, dont je fus fort étonné, veu la distance qu'il y a par mer: mais il abbregent fort leurs chemins, & font des grans voyages par le moyen des lacs & rivieres, au bout déquelles quant ils sont parvenus, en portant leurs canots trois ou quatre lieuës ils gaignent d'autres rivieres qui ont un contraire cours. Tous ces Sauvages étoient là venus pour aller à la guerre avec Membertou contre les Armouchiquois.
Or d'autant que j'ay parlé de cette riviere d'Ouigoudi au voyage du sieur de Monts, je n'en diray ici autre chose. Quand nous retournames à nôtre barque qui étoit à demie lieuë de là à l'entrée du Port à l'abri d'une chaussée que la mer y a fait, noz gens & (particulierement Champ-doré, qui nous conduisoit) étoient en peine de nous, & ayans veu de loin les Sauvages en armes pensoient que c'étoit pour nous mal faire; ce qui eût eté aisé, pource que nous n'étions que deux: Et pour ainsi furent bien aises de nôtre retour. Apres que le lendemain vint le Devin du quartier crier comme un desesperé à-l'endroit de nôtre barque. Ne sachans ce qu'il vouloit dire on l'envoya querir dans un petit bateau, & nous vint haranguer, & dire que les Armouchiquois étoient dans les bois, & les venoient attaquer, & qu'ils avoient tué de leurs gens qui étoient à la chasse: & partant que nous descendissions à terre pour les assister. Ayans ouï ce discours qui ne tendoit à rien de bon selon nôtre jugement, nous lui dimes que noz journées étoient limitées, & noz vivres aussi, & qu'il nous convenoit de gaigner païs. Se voyant éconduit il dit que devant qu'il fût deux ans il faudroit qu'ilz tuassent tous les Normans, ou que les Normans les tuassent. Nous nous mocquames de lui, & lui dimes que nous allions mettre nôtre barque devant leur Fort pour les aller tous saccages. Mais nous ne le fimes pas. Car nous partimes ce jour là: & ayans vent contraire, nous nous mimes à l'abri d'une petite ile, où nous fumes deux jours: pendant léquels l'un alloit tirer aux Canars pour la provision: l'autre faisoit la cuisine: Champ-doré & moy allions le long des rochers avec marteaux & ciseaux cherchans s'il y auroit point quelques mines. Ce que faisans nous trouvames de l'acier en quantité entre les roches, dont nous fimes provision pour en faire montre au sieur de Poutrincourt.
De là nous allames en trois journées à l'ile Sainte-Croix étans souvent contrariez des vents. Et pource que nous avions mauvaise conjecture sur les Sauvages que nous avions veu en grand nombre à la riviere de Saint-Jean, & que la troupe partie du Port Royal étoit encore à Menane (ile entre ledit Port Royal & sainte-Croix) déquelz nous ne voulions pas fier, nous faisions bon guet la nuit: pendant lequel nous oyions souvent les voix des Loups-marins, qui ressembloient préque celles des Chat-huans: Chose contraire à l'opinion de ceux qui ont dit & écrit que les poissons n'ont point de voix.
Arrivez que fumes en ladite ile de Sainte-Croix, nous y trouvames les batimens y laissez tout entiers, fors que le magazin étoit découvert d'un côté. Nous y trouvames encore du vin d'Hespagne au fond d'un mui, duquel nous beumes & n'étoit guere gaté. Quand aux jardins nous y trouvames des choux, ozeilles, & laictues, dont nous fimes cuisine. Nous y fimes aussi de bons patez de tourtres qui sont là frequentes dans les bois. Mais les herbes y sont si hautes, qu'on ne pouvoit les trouver quand elles étoient tuées & tombées à terre. La cour y étoit pleine de tonneaux entiers, léquels quelques matelots mal disciplinez brulerent pour leur plaisir, dont j'eu horreur quand je le vi, & jugeay mieux que devant que les Sauvages étoient (du moins civilement) plus humains & plus gens de bien que beaucoup de ceux qui portent le nom de Chrétien, ayans depuis trois ans pardonné à ce lieu, auquel ilz n'avoient seulement pris un morceau de bois, ni de sel qui y étoit en grande quantité dur comme roche.
Je ne sçay à quel propos Champlein en la relation de ses voyages imprimée l'an mille six cens treize, s'amuse à écrire que je n'ay point eté plus loin que Sainte-Croix, veu que je ne di pas le contraire. Mais il est peu memoratif de ce qu'il fait, disant là méme (pag. 151) que dudit Sainte-Croix au port Royal, n'y a que quatorze lieuës, & en la pa. 95, il avoit dit qu'il y en 25. Et si on regarde sa charte geographique il s'en trouvera pour le moins quarante.
Au partir de là nous vimmes mouiller l'ancre parmi un grand nombre d'iles confuses, où nous ouïmes quelques Sauvages, & criames pour les faire venir. Ilz nous r'envoyerent le méme cri. A quoy un des nôtres repliqua Ouen Kirau, c'est à dire, qui étes-vous? Ilz ne voulurent se declarer. Mais le lendemain Oagimont Sagamos de cette riviere nous vint trouver, & conumes que c'étoit lui que nous avions ouï. Il se disposoit à suivre Membertou & sa troupe à la guerre, en laquelle il fut griévement blessé, comme j'ay dit en mes vers sur ce sujet. Ce Oagimont a une fille âgée d'environ onze ans bien agreable, laquelle le sieur de Poutrincourt desiroit avoir, & la lui a plusieurs fois demandée pour la bailler à la Roye, lui promettant que jamais il n'auroit faute de blé, ni d'autre chose: mais onques il ne s'y est voulu accorder.
Etant entré en nôtre barque, il nous accompagna jusques à la pleine mer, là où il se mien en sa chaloupe pour s'en retourner, & de nôtre part tendimes au Port Royal, à l'entrée duquel nos arrivames avant le jour, mais fumes devant nôtre Fort injustement sur le point que le belle Aurore commençoit à montrer sa face vermeille sur le sommet des côtaux chevelus. Le monde étoit encore endormi, & n'y en eut qu'un qui se leva au continuel abbayement des chiens; mais nous fimes bien reveiller le reste à force de mousquetades,& d'éclats de trompettes. Le sieur Poutrincourt étoit arrivé le jour de devans de son voyage des mines, où nous avons dit qu'il devoit aller: & l'autre jour precedant étoit arrivé la barque qui avoit porté partie de nos ouvriers à Campseau. Si bien que tout assemblé il ne restoit plus que de preparer les choses necessaires à notre embarquement. Et en cette affaire nous vint bien à point le moulin à eau. Car autrement il n'y eût eu aucun moyen de preparer assez de farines pour le voyage. Mais en fin nous eumes de reste, que l'on bailla aux Sauvages pour se souvenir de nous.
Port de Campseau: Partement du Port Royal: Bruines de huit jours: Arc-en-ciel paroissant dans l'eau: Port Savalet: Culture de la terre exercice honorable: Regrets des Sauvages au partir du sieur de Poutrincourt: Retour en France: Voyage au Mont Saint-Michel; Fruits de la Nouvelle-France presentez au Roy: Voyage en la Nouvelle-France depuis le retour dudit sieur de Poutrincourt: Lettre missive dudit sieur au Sainct Pere à Rome.
CHAP. XVIII
UR le point qu'il falut
dire Adieu au Port Royal
le sieur de Poutrincourt
envoya son peuple les uns
apres les autres trouver
le navire à Campseau,
qui est un Port entre sept ou
huit iles où les navires
peuvent étre à l'abris des vents: & là y a une baye
profonde de plus de dix lieuës, & large de trois:
ledit lieu distant dudit Port Royal de plus de cent
cinquante lieuës. Nous avions une grande barque,
Deux petites & une chaloupe. Dans l'une des petites
barques on mit quelques gens que
l'on envoya devant. Et le trentiéme de Juillet
partirent les deux autres. J'étois dans la grande
conduite par Champ-doré. Mais le sieur de
Poutrincourt voulant voir une fin de noz blés
semez, attendit la maturité d'iceux, & demeura
encore onze jours apres nous. Cependant
nôtre premiere journée ayant été au Passage
du Port-Royal, le lendemain les brumes vindrent
s'étendre sur la mer, qui nous tindrent huit
jours entiers, durant léquels c'est tout ce que
nous sceumes faire que de gaigner le cap de Sable,
lequel ne vimes point.
En ces obscuritez Cymmeriennes ayans un jour ancré en mer à-cause de la nuit, nôtre ancre ruza tellement qu'au matin la marée nous avoit porté parmi des iles, & m'étonne que ne nous perdimes au choc de quelque rocher. Au reste pour le vivre le poisson ne nous manquoit point. Car en une demie heure nus pouvions prendre des Morues pour quinze jours, & des plus belles & grasses que j'aye jamais veu, icelles de couleur de carpes: ce que je n'ay oncques apperceu qu'en cet environ dudit cap de Sable: lequel aprés avoir passé la marée (qui vole en cet endroit) nous porta en peu de temps jusques à la Hêve, ne pensans étre qu'au port au Mouton. Là nous demeurames deux jours, & dans le port méme nous voyions mordre la Morue à l'ameçon. Nous y trouvames force grozelles rouges, & de la marcassite de mine de cuivre. On y fit aussi quelque troquement de pelleteries avec les Sauvages.
De là en avant nous eumes vent à souhait, & durant ce temps avint une fois qu'étant sur la proue je criay à nôtre conducteur Champ-doré que nous allions toucher, pensant voir le fond de la mer: mais je fus deceu par l'Arc-en-ciel qui paroissoit avec toutes ses couleurs dedans l'eau, causé par l'ombrage que faisoit sur icelle nôtre voile de Beau-pré opposé au Soleil, lequel assemblant ses rayons dans le font dudit voile, ainsi qu'il fait dans la nue, iceux rayons étoient contraints de reverberer dans l'eau, & faire cette merveille. En fin nous arrivames à quatre lieuës de Campseau à un Port où faisoit sa pécherie un bon vieillart de Saint-Jean de Lus nommé le Capitaine Savalet, lequel nos receut avec toutes les courtoisies du monde. Et pour autant que ce Port (qui est petit, mais tres-beau) n'a point de nom, je l'ay qualifié sur ma Charge geographique du nom de Savalet. Ce bon personage nous dit que ce voyage étoit le quarante-deuxiéme qu'il faisoit pardela, & toutefois les Terreneuviers n'en font tout les ans qu'un. Il étoit merveilleusement content de sa pécherie, & nous disoit qu'il faisoit tous les jours pour cinquante escus de Morues & qu son voyage vaudroit dix-mille francs. Il avoit seze homme à ses gages: & son vaisseau étoit de quatre vints tonneaux, qui pouvoit porter cent milliers de morues seches. Il étoit quelquefois inquieté des Sauvages là cabannez léquelz trop privément & imprudemment alloient dans son navire, & lui emportoient ce qu'ilz vouloient. Et pour eviter cela il les menaçoit que nous viendrions & les mettrions tous au fil de l'épée s'ilz lui faisoient tort. Cele les intimidoit; & ne lui faisoient pas tout le mal qu'autrement ils eussent fait. Neantmoins toutes les fois que les pécheurs arrivoient avec leurs chaloupes pleines de poissons, ces Sauvages choisissoient ce que bon leur sembloit, & ne s'amusoient point aux Morues, ains prenoient des Merlus, Bars, Fletans qui voudroient ici à Paris quatre écus, ou plus. Car c'es un merveilleusement bon manger, quand principalement ilz sont grands & épais de six doits, comme ceux qui se péchoient là. Et eût été difficile de les empécher en cette insolence, d'autant qu'il eut toujours fallu avoir les armes en main, & la besogne fût demeurée. Or l'honneteté de cet homme ne s'étendit pas seulement envers nous, mais aussi envers tous les nôtres qui passerent à son port, car c'étoit le passage pour aller & venir au Port Royal. Mais il y en eut quelques uns de ceux qui nous vindrent querir, qui faisoient pis que les Sauvages, & se gouvernoient envers lui comme fait ici le gen-d'arme chez le bon homme: chose que j'ouy fort à regret.
Nous fumes là quatre jours à-cause du vent contraire. Puis vimmes à Campseau, où nous attendimes l'autre barque, qui vint dix jours aprés nous. Et quant au sieur de Poutrincourt si-tôt qu'il vit que le blé se pouvoit cuillir, il arracha du segle avec la racine pour en montrer pardela la beauté, bonté & demesurée hauteur. Il fit aussi des glannes des autres semences, froment, orge, avoine, chanvre, & autres, à méme fin: ce que ceux qui sont allez ci-devant au Bresio, & à la Floride n'ont point fait. En quoy j'ay à me rejouir d'avoir été de la partie, & des premiers culteurs de cette terre. Et à ce je me suis pleu d'autant-plus que je me remettoy devant les yeux nôtre Ancien pere Noé grand Roy, grand Prétre, & grand Prophete, de qui le métier étoit d'estre laboureur & vigneron: & les anciens Capitaines Romains Serranus, qui fut mandé pour conduire l'armée Romaine: & Quintus Cincinnatus, lequel tout poudreux labouroit quatre arpens de terre à téte nue & estomach découvert, quand l'huissier du Senat lui apporta les lettres de Dictature: de sorte que cet huissier fut contraint le prier de vouloir se couvrir avant que lui declarer sa charge. M'étant pleu à cet exercice, Dieu à beni mon petit travail, & ay eu en mon jardin d'aussi beau froment qu'il y sçauroit avoir en France, duquel ledit sieur de Poutrincourt me donna une glanne quand il fut arrivé audit Port de Campseau, laquelle (avec une de segle) je garde avec son grain dés il y a dix ans.
Il étoit prét de dire Adieu au Port Royal, quand voici arriver Membertou, & sa compagnie, victorieux des Armouchiquois. Et pource que j'ay fait une description de cette guerre en vers François, je n'en veux d'ici remplir mon papier, étant desireux d'abbreger plutôt que de chercher nouvelle matiere. A la priere dudit Membertou il demeura encore un jour. Mais ce fut la pitié au partir, de voir pleurer ces pauvres gens, léquels on avoit toujours tenu en esperance que quelques uns des nôtres demeureroient auprés d'eux. En fin il leur fallut promettre que l'an suivant on y envoyeroit des ménages & familles pour habiter totalement leur terre, & leur enseigner des metiers pour les faire vivre comme nous. En quoy, ilz se consolerent aucunement. Il y restoit dix bariques de farines qui leur furent baillées avec les blez de nôtre culture, & la passession du manoir, s'ilz vouloient en user. Ce qu'ilz n'ont pas fait. Car ils ne peuvent étre constans en une place vivans comme ilz font.
L'onziéme d'Aoust ledit sieur de Poutrincourt partit lui neufiéme dudit Port-Royal dans une chaloupe pour venir à Campseau: Chose merveilleusement hazardeuse de traverser tant de bayes & mers en un si petit vaisseau chargé de neuf persones, de vivres necessaires au voyage, & assez d'autres bagages. Etans arrivés audit port de ce bon homme Savalet, leur fit tout le bon accueil qu'il lui fut possible: & de là nous vindrent voir audit Campseau, où nous demeurames encore huit jours.
Le troisiéme de Septembre nous levames les ancres, & avec beaucoup de difficultez sortimes hors les brisans qui sont aux environs dudit Campseau. Ce que noz mariniers firent avec deux chaloupes qui portoient les ancres bien avant en mer pour soutenir nôtre vaisseau, à fin qu'il n'allât donner contre les rochers. En fin étans en mer on laisse à l'abandon l'une dédites chaloupes, & l'autre fut tirée dans le Jonas, lequel outre nôtre charge portoit cent milliers de Morues, que seches que vertes. Nous eumes assez bon vent jusques à ce que nous approchames les terres de l'Europe. Mais nous n'avions pas tout le bon traitement du monde, par ce que, comme j'ay dit, ceux qui nous vindrent querir presumans que nous fussions morts, s'étoient accommodez de noz rafraichissemens. Nos ouvriers ne beurent plus de vin depuis qu'ilz nous eurent quittés au Port-Royal: Et nous n'en avions gueres, par ce que ce qui nos abondoit fut beu joyeusement en la compagnie de ceux qui nous apporterent nouvelles de France.
Le vint-sixiéme Septembre nous eumes en veuë les iles de Sorlingues, qui sont à la pointe de Cornuaille en Angleterre. Et le vint-huitiéme pensans venir à Saint-Malo, fumes contraints de relacher à Roscoff en la Basse Bretagne, où nous demeurâmes deux jours & demi à nous rafraichir: Nous avions un Sauvage que se trouvoit assez étonné de voir les batimens, clochers, & moulins à vent de France: mémes les femmes qu'il n'avoit onques veu vétues à nôtre mode. De Roscoff nous vimmes avec bon vent rendre graces à Dieu audit Saint-Malo. En quoy je ne puis que je ne loue la prevoyante vigilance de nôtre Maitre de navire Nicolas Martin, de nous avoir si dextrement conduit, en une telle navigation, & parmi tant d'écueils & caphatées rochers dont est remplie la côte d'entre le Cap d'Ouessans & ledit Saint-Malo. Que si cetui ci est louable en ce qu'il a fait, le Capitaine Foulques ne l'est moins de nous avoir mené parmi tant de vents contraires en des terres inconues où nous nous sommes efforcés de jette les premiers fondemens de la Nouvelle-France.
Ayant demeuré trois ou quatre jours à Saint-Malo, nous allames le sieur de Poutrincourt, son fils, & moy, au Mont saint-Michel, où nous vimes les Reliques dudit lieu, fors le Bouclier de ce saint Archange. Il nous fut dit que le sieur Evéque d'Avranches depuis quatre ans avoit deffendu de le plus montrer. Quant au batiment il merite d'étre appellé la huitiéme merveille du monde, tant il est beau & grand sur la pointe d'une roche seule au milieu des ondes, la mer étant en son plein. Vray est qu'on peut dire que la mer n'y venoit point quand ledit batiment fut fait. Mais je repliqueray, qu'en quelque façon que ce soit il est admirable. La plainte qu'il y peut avoir en ce regard est, que tant de superbe edifices sont inutils pour le jourd'hui, ainsi qu'en la pluspart des Abbaïes de France. Et à la mienne volonté que par les engins de quelque Archimede ilz peussent étre transportés en la Nouvelle-France pour y étre mieux employés au service de Dieu & du Roy. Au retour nous allames voir la pécherie des huitres à Cancale; & delà à Saint-Malo: où aprés avoir encore sejourné huit jours, nous vimmes dans une barque à Honfleur: & en cette navigation nous servit de beaucoup l'experience du sieur de Poutrincourt, lequel voyant que noz conducteurs étoient au bout de leur Latin, quand ilz se virent entre les iles de Jerzey & Sart (n'ayans accoutumé de prendre cette route, où nous avions été poussez par un grand vent d'Est-Suest, accompagné de brumes & pluyes) il print sa Charte marine en main, & fit le maitre de navire, de maniere que nous passames le Raz-Blanchart (passage dangereux à des petites barques) & vimmes à l'aise suivant la côte de Normandie audit Honfleur. Dont Dieu soit loué eternellement. Amen.
Estans à Paris ledit sieur de Poutrincourt presenta au Roy les fruits de la terre d'où il venoit & specialement le blé, froment, segle, orge & avoine, comme étant la chose la plus precieuse qu'on puisse rapporter de quelque païs que ce soit. Il eût été bien-seant de vouer ces premiers fruits à Dieu, & les mettre entre les enseignes de triomphe en quelque Eglise, à trop meilleure raison que les premiers Romains, léquels prsentoient à leurs dieux & déesses champestres Terminus, Seia, & Segesta les premiers fruits de leur culture par les mains de leurs sacrificateurs des champs institués par Romulus, qui fut le premier ordre de la Nouvelle-Rome, lequel avoit pour blason un chapeau d'épics de blé.
Le méme sieur de Poutrincourt avoit nourri une douzaine d'Outardes prises au sortir de la coquille, léquelles il pensoit faire toutes apporter en France, mais il y en eu cinq de perdues, & les autres cinq il les a baillées au Roy, qui en a eu beaucoup de contentement, & sont à Fontaine-bleau.
Et d'autant que son premier but est d'établir la Religion Chrétienne en la terre qu'il a pleu à sa Majesté lui octroyer, & à icelle amener les pauvres peuples Sauvages, léquels ne desirent autre chose que de se conformer à nous en tout bien, il a été d'avis de demander la benediction du Pape de Rome premier Evéque en l'Eglise par une missive faite de ma main au temps que j'ay commencé cette histoire, laquelle a esté envoyée à sa Saincteté avec lettres de sadite Majesté, en Octobre, mille six cens huit, laquelle comme Servant à nôtre sujet, j'ay bien voulu coucher ici.
BEATISSIMO DOMINO
NOSTRO PAPÆ PAVLO V.
Pontifici Maximo.
BEATISSIME Pater, divina Veritatis, & vera Divinitatis oraculo scimus Evangelium regni coelorum prædicandum fore in universo orbe in testimonium omnibus gentibus, antequam veniat consummatio. Unde (quoniam in suum occasum ruit mundus) Deus his postremis temporibus recordatus misericordiæ suæ suscitavit homines fidei Christiana athletas fortissimos utriusque militia duces, qui zelo propangandæ Religionis inflammati per multa pericula Christiani nominis gloriam non solum in ultimas terras, sed in mundos no vos (ut ita loquar) deportaverunt. Res ardua quidem: sed:
Invia virtuti lulla est via...
inquit Poëta quidam vetus. Ego JOANNES DE BIENCOUR, vulgo DE POUTRINCOUR à vita religionis amator & assertor perpetuus, vestra Beatitudinis servus minimus, pari (ni fallor) animo ductus, unus ex multis devovi me pro Christo & salute populorum ac silvestrium (ut vocant) hominum qui Nova Francia novas terras incolunt: eoque nomine iam relinquo populum meum, & domum patris mei, uxoremque & liberos periculorum meorum consortes facio, memor scilicet quod Abrahamus pater credentium idem fecerit, ignotamque sibi regionem Deo duce peragrarit, qui possessurus esset populus de femore eius veri Dei, veraque religionis cultor. Non equidem peto terram auro argentoque beatam, non exteras spoliare gentes mihi est in animo: Sat mihi gratia Dei (si hanc aliquo modo consequi possim) terra que mihi Regio dono concessa, & maris annuus proventus, dummodo populos lucrifaciam Christo. Messis quidem multa, operarii pauci. Qui enim splendide vivunt, aurumque sibi congerere curant hoc opue negligunt, scilicet hoc sæculum plus æquo diligentes. Quibus vero res est angusta domitanta rei molem suscipere nequeunt, & huic oneri ferendo certè sunt impares. Quid igitur? An deferendum negotium vere Christianum & plané divinum. Ergo frustra sex iam ab annus tot sustinuimus (dum ista meditamur) animi pertubationes? Minivé vero. Cum enim timentibus Deum opmnia cooperentur in bonum, non est dubium quin Deus, pro cuius gloria Herculeaum istud opus aggredimur, adspiret votis nostris, qui quondam populum suum Israelem portavit super alas aquilarum, & perduxit in terram melle & lacte fluentem. Hac spe fretus, quicquid est mihi seu facultatum, seu corporis vel animi virium in re tam nobili libenter & alacri animo expendere non vereor, hoc praefertim tempore quo silent arma, nec datur virtuti suo fungi munere, nisi si in Turcas mucrones nostros convertiremus. Sed est quod utilius pro re Christiana faciamus, si populos istos latissimé patentes in Occidentali plaga ad Dei cognitionem adducere conemur. Non enim armorum vi sunt ad religionem cogendi. Verbo tantum & doctrina est opus, juncta bonorum morum disciplina: quibus artibus olim Apostoli, sequentibus signis, maximam hominum partem sibi, Deoque, & Christo eius concilia verunt: itaque verum extitit illud quod scriptum est: Populus quem non cognovi servivit mihi, in auditu auris obedivit mihi, &c. Filii alieni mentiti sunt mihi, &c. Filii quidem alieni sunt populi Orientales iam à fide Christiana alieni, in quos propterea torqueri potest illud Evangelii quod iam adimpletum videmus: Auferetur vobis regnum Dei & dabitur genti facienti fructus eius. Nunc autem ecce tempus acceptabile, ecce nunc dies salutis, qua Deus visitabit & faciet redemptionem plebis sua, & populus qui eum non cognovit serviet ipsi, sed & in auditu auris obediet, si me indignum servum tanti nuneris ducem esse patiatur. Qua in re Beatitudinis vestra charitatem per viscera misericordia Dei nostri deprecor, auctoritatem imploro, adjuro sanctitatem ut mihi ad illud opus iam jam properanti, uxori charissima, ac liberis; nec non domesticis, socusque veis vestra benedictionem impertiri dignemini, qua certa fide credo nobis plurimum ad salutem non solum corporis, sed etiam anima, addo & ad terræ nostræ ubertatem & propositi nostri felicitatem, profuturum. Faxit Deus Optimus Maximus, Faxit Dominues noster & Salvator Jesus Christus, Faxit una & Spiritus sanctus, ut in altissima Principis Apostolorum puppi sedentes per multa sæcula Ecclesia sancta. Et a clavum tenere possitis, & in diebus vestris (qua vestra sanè maxima gloria est) illud adimpletum videre quod de Christo à sancto Propheta a vaticinatum est: Adorabunt eum omnes Reges terræ: omnes gentes servient ei.
Vestræ Beatitudinis filius humillimus
ac devotissimus IOANNIS
DE BIENCOUR.
CINQUIEME
LIVRE DE L'HISTOIRE
DE LA NOUVELLE-FRANCE.
Contenant ce qui s'y est exploité depuis nôtre
retour en l'an 1607.
Mention de nôtre grand Roy HENRI sur le sujet des grandes entreprises: Ensemble des Sieurs de Monts & de Poutrincourt. Revocation du privilege de la traite des Castors. Reponse aux envieux. Dignité du caractere Chrétien. Perils du sieur de Monts.
CHAP. I
es grandes entreprises sont
bien-seantes aux grans, & nul
ne peut s'acquerir un renom honorable
envers la posterité que
par des actions extraordinairement
belles & de difficile execution. Ce qui devroit
d'autant plus emouvoir noz François au
sujet duquel nous traitons, que la gloire y est
certaine, & la recompense inestimable, telle
que Dieu l'a preparée à ceux qui gayement s'employent
pour l'exaltation de son nom. Si nôtre
grand Roy HENRI III de glorieuse memoire
n'est eu des desseins plus relevés tendans à
assembler & rendre uniformes tous les coeurs de
la Chrétienté, voire de tout l'univers, il étoit assez
porté à cette affaire ici. Mais l'envie lui a
retranché ses jours au grand malheur non de nous
seulement, mais de ces pauvres peuples Sauvages,
pour léquels nous esperions un prompt expedient
pour parvenir à leur entiere conversion.
Il ne faut pourtant perdre courage. Car aux affaires
les plus desesperées Dieu souvent intervient
& se montre secourable.
Jusques icy il n'y a eu que les Sieurs de Monts & de Poutrincourt que ayent pris le hazard de cette entreprise, & ayent montré par effect le desir qu'ils avoient de voir cette terre Christianisée. Tous deux se sont (par maniere de dire) enervés pour ce sujet; & neantmoins tant qu'ilz pourront respirer & tant soit peu se soutenir, si ne veulent-ilz quitter la partie pour ne decourager ceux qui ja se trouvent disposés à ensuivre leur trace. Ces deux ici donc ayans fait la planche aux autres, & jusques à present étans seuls qui (comme chefs) ont fait de la despense pour avancer cet oeuvre: c'est deux & de ce qu'ils ont fait, que le discours de ce livre doit être pris. Et pour commencer par l'ordre des choses. Aprés que nous eumes representé au feu Roy, à Monseigneur le Chancellier, & autres personages de qualité les fruits de nôtre culture, le sieur de Mons presenta requéte à sa Majesté pour avoir confirmation & renouvellement du privilege de la traite des Castors, qui lui avoit eté cette année là revoqué à la poursuite des marchans de Saint Malo, qui cherchent leur profit, & non l'avancement de l'honneur de Dieu, & de la France. Sa requéte lui fut accordée au Conseil, mais pour un an seulement. Ce n'étoit pour faire de grands projets sur un fondement si foible, & de si peu de durée. Et toutefois il n'y a rien de si naturel que de laisser à un chacun (privativement aux forains) la jouissance des biens qui sont en la terre qu'il habite: & particulierement ici, où la cause est d'elle même si favorable, qu'elle ne devroit avoir besoin d'intercesseurs. Les causes principales de la revocation susdite, étoient la cherté des Castors, que l'on attribuoit audit sieur de Monts: item la liberté du commerce otée au sujets du Roy en une terre qu'ilz frequentent de temps immemorial: joint à ceci que ledit sieur ayant par trois ans jouï dudit privilege, il n'avoit encore fait aucuns Chrétiens. Je ne suis point aux gages d'icelui pour defendre sa cause. Mais je sçay qu'aujourd'hui depuis la liberté remise lédits Castors se vendent au double de ce qu'il en retiroit. Car l'avidité y a eté si grande qu'à l'envi l'un de l'autre les marchans en ont gaté le commerce. Il y a huit ans que pour deux gateaux, ou deux couteaux on eût eu un Castor, & aujourd'hui il en faut quinze ou vint: & y en a cette année mille six cens dix qui ont donné gratuitement toute leur marchandise aux Sauvages, afin d'empecher l'entreprise sainte du Sieur de Poutrincourt, tant est grande l'avarice des hommes: Tant s'en faut donc que cette liberté de commerce soit utile à la France, qu'au contraire elle y est extremement prejudiciable. C'est une chose fort favorable que la liberté du traffic, puis que le Roy ayme ses sujets d'un amour paternel: mais la cause de la religion, & des nouveaux habitans d'une province est encore plus digne de faveur. Tous ces Marchans ne donneront point un coup d'epée pour le service du Roy, & à l'avenir sa Majesté pourra trouver là de bons hommes pour executer ses commandemens. Le public ne se ressent point du profit de ces particuliers, mais d'une Nouvelle-France toute l'antique France se pourra un jour ressentir avec utilité, gloire, & honneur. Et quant à l'ancienneté de la navigation je diray qu'avant l'entreprise du sieur de Monts nul de noz mariniers n'avoit passé Tadoussac, fors le Capitaine Jacques Quartier. Et sur la côte de l'Ocean nul Terreneuvier n'avoit passé la bay de Campseau avant nôtre voyage pour faire pécherie. Pour n'avoir fait des Chrétiens il n'y a sujet de blame. Le caractere Chrétien est trop digne pour l'appliquer de premier abord en une contrée inconuë, à des barbares qui n'ont aucun sentiment de religion. Et si cela eût été fait, quel blame & regret eût-ce été de laisser ces pauvres gens sans pasteur, ni autre secours, lors que par la revocation dudit privilege nous fumes contrains de quitter tout, & reprendre la route de France; le nom Chrétien ne doit estre profané, & ne faut donner occasion aux infideles de blasphemer contre Dieu. Ainsi ledit sieur de Monts n'a peu mieux faire, & tout autre homme s'y fût trouvé bien empeché. Trois ans se sont passez devant qu'avoir trouvé une habitation certaine où l'air fût sain, & la terre plantureuse. Il s'est veu en l'ile Sainte-Croix environné de malades de toutes pars parmi la rigueur de l'hiver, avec peu de vivres: chose qui n'étoit que trop suffisante pour étonner les plus resolus du monde. Et le printemps venu son courage le porta parmi cent perils à cent lieuës plus loin chercher un pour plus salutaire: ce qu'il ne trouva point, ainsi que nous avons dit ailleurs. En un mot je coucheray ici ce demi quatrain du Prince de noz Poëtes: