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Histoire de la Nouvelle-France: (Version 1617)

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Comment les Capitaines & les Gentils-hommes de sa compagnie, avec ses mariniers bien armez & en bon ordre allerent à la ville de Hochelaga. Situation du lieu. Fruits du païs: Batimens: & maniere de vivre des Sauvages.

CHAP. XVI

E lendemain au plus matin le Capitaine accoutra, & fit mettre ses gens en ordre pour aller voir la ville & demeurance dudit peuple, & une montagne qui est jacente à ladite ville, où allerent avec ledit Capitaine les Gentils-hommes, & vint mariniers, & laissa le par-sus pour la garde des barques, & print trois hommes de ladite ville de Hochelaga pour les mener & conduire audit lieu. Et nous étans en chemin, le trouvames aussi battu qu'il soit possible de voir en la plus belle terre & meilleure plaine: des chénes aussi beaux qu'il y en ait en forest de France, souz léquels estoit toute la terre couverte de glans. Et nous ayans fait environ lieuë & demie trouvames sur le chemin l'un des principaux seigneurs de ladite ville de Hochelaga, avec plusieurs personnes, lequel nous fit signe qu'il se falloit reposer audit lieu prés un feu qu'ils avoient fait audit chemin. Et lors commença ledit seigneur à faire un sermon & prechement, comme ci-devant est dit étre leur coutume de faire joy & conoissance, en faisant celui seigneur chere audit Capitaine & sa compagnie, lequel Capitaine lui donna une couple de haches & une couple de couteaux, avec une Croix & remembrance du Crucifix qu'il lui fit baiser, & le lui pendit au col. Dequoy il rendit grace audit Capitaine. Ce fait marchames plus outre, & environ demie lieuë de là commençames à trouver les terres labourées, & belles grandes campagnes pleines de blé de leurs terres, qui est comme mil de Bresil, aussi gros ou plus que poins, duquel ilz vivent ainsi que nous faisons de froment. Et au parmi d'icelles campagnes est située & assise ladite ville de Hochelaga, prés & joignant une montagne qui est à-lentour d'icelle, bien labourée & fort fertile, de dessus laquelle on voit fort loin. Nous nommames icelle montagne Le Mont Royal. Ladite ville est toute ronde, & close de bois à trois rangs, en façon d'une Pyramide croisée par le haut, ayant la rengée du parmi en façon de ligne perpendiculaire, puis rengée de bois couchez le long bien joints & cousus à leur mode, & est de la hauteur d'environ deux lances. Et n'y a en icelle ville qu'une porte & entrée qui ferme à barres, sur laquelle & en plusieurs endroits de ladite cloture y a manieres de galleries & echelles à y monter, léquelles sont garnies de rochers & cailloux pour la garde & defense d'icelle. Il y a dans icelle ville environ cinquante maison longues d'environ cinquante pas ou plus chacune, & douze ou quinze pas de large, toutes faites de bois couvertes & garnies de Grandes écorces, & pelures dédits bois, aussi large que tables, bien cousues artificiellement selon leur mode: par dedans icelles y a plusieurs aire & chambres: & au milieu d'icelles maisons y a une grande salle par terre où font leur feu, & vivent en communauté, puis se retirent en leurdites chambres les hommes avec leurs femmes & enfans, & pareillement ont greniers au haut de leurs maisons où mettent leur blé, duquel ilz font leur pain qu'ils appellent Caraconi, & le font en la maniere ci-apres. Ils ont des piles de bois, comme à piler chanve, & battent avec pilons de bois ledit blé en poudre, puis l'amassent en pâte, & en font des tourteaux, qu'ilz mettent sur une pierre chaude, puis le couvrent de cailloux chauds, & ainsi cuisent leur pain en lieu de four. Ils font pareillement force potages dudit blé & de féves & pois, déquels ils ont assez: & aussi de gros concombres, & autres fruits. Ils ont aussi de grands vaisseaux comme tonnes en leurs maisons, où ilz mettent leur poisson, sçavoir anguilles & autres qui seichent & la fumée durant l'Eté, & vivent en Hiver, & de ce font un grand amas, comme avons veu par experience. Tout leur vivre est sans aucun goût de sel, & couchent sur écorces de bois étenduës sur la terre, avec méchantes couvertures de peaux, dequoy font leurs vétemens, sçavoir Loire, Biévres, Martes, Renars, Chats sauvages, Daims, Cerfs, & autres sauvagines; mais la plus grande part d'eux sont quasi tout nuds.

La plus precieuse chose qu'ils ayent en ce monde est Esurgni, lequel est blanc, & le prennent audit fleuve en Cornibots en la maniere qui ensuit. Quant un homme a deservi la mort ou qu'ilz ont prins aucuns ennemis à la guerre ilz le tuent, puis l'incisent par les fesses & cuisses, & par les jambes, bras, & épaules à grandes taillades. Puis és lieux où est ledit Esurgni étalent ledit corps au fond de l'eau, & le laissent dix ou douze heures, puis le retirent et trouvent dedans lédites taillades & incisions lédits Cornibots, déquelz ilz font des patenotres, & de ce usent comme nous faisons d'or & d'argent, & le tiennent la plus precieuse chose du monde. Il a la vertu d'étancher le sang des nazilles: car nous l'avons experimenté. Cedit peuple ne s'addonne qu'à labourage & pécherie pour vivre. Car des biens de ce monde ne font compte, parce qu'ilz n'en ont conoissance, & qu'ils ne bougent de leur païs, & ne sont ambulatoires comme ceux de Canada, & du Saguenay: nonobstant que lédits Canadiens leur soient sujets, avec huit ou neuf autres peuples qui sont sur ledit fleuve.




Arrivée du Capitaine Quartier à Hochelaga: Accueil & caresses à lui faites: Malades lui sont apportez pour les toucher: Mont-Royal: Saut de la grande riviere de Canada: Etat de ladite riviere outre ledit Saut: Mines: Armures de bois, duquel usent certains peuples: Regret de sa départie.

CHAP. XVII

INSI comme fumes arrivés auprés d'icelle ville se rendirent au-devant de nous grand nombre des habitans d'icelle, léquels à leur façon de faire nous firent bon recueil, & par noz guides & conducteurs fumes remenez au milieu d'icelle ville, où y a une place entre les maisons spacieuse d'un jet de pierre en quarré, ou environ, léquelz nous firent signe que nous arrétassions audit lieu: ce que nous fimes: & tout soudain s'assmblerent toutes les femmes & filles de ladite ville, dont l'une partie étoient chargez d'enfans entre leurs bras, qui vindrent baiser le visage, bras, & autres endroits de dessus le corps où ilz pouvoient toucher, pleurans de joye de nous voir, nous faisans la meilleure chere qu'il leur étoit possible en nous faisans signe qu'il nous peût toucher leurdits enfans. Apres ces choses faites les hommes firent retirer les femmes, & s'assirent sur la terre à-l'entour de nous comme si eussions voulu jouer un mystere. Et tout incontinent revindrent plusieurs femmes qui aporterent chacun une natte quarrée en façon de tapisserie, & les étendirent sur la terre au milieu de ladite place, & nous firent mettre sur icelles. Apres léquelles choses ainsi faites, fut aporté par neuf ou dix hommes le Roy & Seigneur du païs, qu'ilz appellent en leur langur Agouhanna, lequel estoit assis sus une grande peau de cerf & le vindrent poser dans ladite place sur lédites nattes prés du Capitaine, en faisans signe que c'étoit leur Seigneur. Celui Agouhanna étoit de l'aage d'environ cinquante ans, & 'étoit point mieux accoutré que les autres, fort qu'il avoit à l'entour de sa téte une maniere de liziere rouge pour sa Corone, faite de poil d'herissons, & étoit celui Seigneur tout perclus & malade de ses membres. Apres qu'il eut fait son signe de salut audit Capitaine & à ses gens, en leur faisant signes evident qu'ilz fussent les bien venus, il montra ses bras & jambes audit Capitaine, le priant les vouloir toucher, comme s'il lui eût demandé guerison & santé. Et lors le Capitaine commença à lui frotter les bras & jambes avec les mains: & print ledit Agouhanna la liziere & Corone qu'il avoit sur sa téte, & la donna audit Capitaine. Et tout incontinent furent amenés audit Capitaine plusieurs malades, comme aveugles, borgnes, boiteux, impotens, & gens si tres-vieux, que les paupieres des yeux leur pendoient sur les joues: & seoient & couchoient prés ledit Capitaine pour les toucher: tellement qu'il sembloit que Dieu fût là descendu pour les guerir. Ledit Capitaine voyant la pitié && foy de cedit peuple, dit l'Evangile sainct Jean, sçavoir l'In principio, faisant le signe de la Croix sur les pauvres malades, priant Dieu qu'il leur donnât conoissance de nôtre saincte Foy, & de la passion de nôtre Sauveur, & grace de recouvrer Chrétienté & Baptéme. Puis print ledit Capitaine une paire d'Heures, & tout hautement leut mot à mot la Passion de nôtre Seigneur, si que tous les assistans la peuvent ouïr, où tout ce pauvre peuple fit un grand silence, & furent merveilleusement bien entendibles, regardans le ciel & faisans pareilles ceremonies qu'ilz nous voyoient faire. Apres laquelle fit ledit Capitaine ranger tous les hommes d'un côté, les femmes d'un autre, & les enfans d'autre, & donna és principaux & autres des couteaux & des hachots: & és femmes des patenotres, & autre menuës choses: puis jetta parmi la place entre lédits enfans des petites bagues, & Agnus Dei d'étain, dequoy menerent une merveilleuse joye. Ce fait, le Capitaine commanda sonner les trompettes & autres instrumens de Musique, dequoy ledit peuple fut fort rejouï. Apres léquelles choses nous primmes congé d'eux, & nous retirames. Voyans ce, le femmes se mirent au devant de nous pour nous arréter & nous apporterent de leurs vivres, léquels ilz nous avoient apprétez, sçavoir poisson, potages, féves, pain, & autres choses, pour nous cuider faire repaitre, & diner audit lieu. Et pource que lédits vivres n'étoient à nôtre gout, & qu'il n'y avoit gout de sel, les remerciames, leur faisans signe que n'avions besoin de repaitre.

Aprés que nous fumes sortis de ladite ville, fumes conduits par plusieurs hommes & femmes d'icelle sur la montagne devant dite, qui est par nous nommée Mont-Royal, distant dudit lieu d'un quart de lieuë. Et nous étans sur ladite montagne eumes cognoissance de plus de trente lieuës à l'environ d'icelle, dont y a vers le Nort une rangée de montagnes, qui sont Est & Ouest gisantes, & autant vers le Su: entre léquelles montagnes est la terre la plus belle qu'il soit possible de voir, labourable, unie, & plaine: & par le milieu dédites terres voyions ledit fleuve outre le lieu où étoient demeurées nodites barques, où il y a un Saut d'eau le plus impetueux qu'il soit possible de voir, lequel ne nous fut possible de passer, & voyions ledit fleuve tant que l'on pouvoit regarder grand, large, & spacieux, qui alloit au Surouest, & passoit par auprés de trois belles montagnes rondes que nous voyions, & estimions qu'elles étoient à environ quinze lieuës de nous: & nous fut dit & montré par signes par les trois hommes qui nous avoient conduit, qu'il y avoit trois iceux Sauts d'eau audit fleuve, comme celui où étoient nodites barques: mais nous ne peumes entendre quelle distance il y avoit entre l'un & l'autre. Puis nous montroient que lédits Sauts passez l'on pouvoit naviger plus de trois lunes (c'est à dire trois mois) par ledit fleuve. Et là-dessus me souvient que Donnacona seigneur des Canadiens nous a dit quelquefois avoir été à une terre, où ilz sont une lune à aller avec leurs barques depuis Canada, jusques à ladite terre, en laquelle il y croit force canelle & girofle. Et appellent ladite canelle Adotathui, le girofle Cananotha. Et outre nous montroient que le long dédites montaignes estant vers le Nort y a une grande riviere qui descend de l'Occident comme ledit fleuve. Nous estimons que c'est la riviere qui passe par le royaume & province du Saguenay. Et sans que leur fissions aucune demande & signe prindrent la chaine du sifflet du Capitaine qui est d'argent, & un manche de poignard qui étoit de laiton jaune comme or, lequel étoit au côté de l'un de noz mariniers, & montrerent que cela venoit d'amont ledit fleuve, & qu'il y avoit des Agojuda, qui est à dire mauvaises gens, qui étoient armez jusques sur les doigts, nous montrans la façon de leurs armures, qui sont de cordes & bois lassez & tissus ensemble, nous donnans à entendre que lédits Agojuda menoient la guerre continuelle les uns és autres: mais par defaut de langue ne peumes avoir conoissance combien il y avoit jusques audit païs. Ledit Capitaine leur montra du cuivre rouge, qu'ils appellent Caigedazé, leur montrant vers ledit lieu, & demandant par signe s'il venoit de là. Ilz commencerent à secouer le téte disans que non, & montrans qu'il venoit du Saguenay, qui est au contraire du precedent. Aprés léquelles choses ainsi veuës & entenduës nous retirames à noz barques, qui ne fut sans avoir conduite de grand nombre dudit peuple, dont partie d'eux quand venoient noz gens las les chargeoient sur eux comme sur chevaux, & les portoient. Et nous arrivez à noz barques fimes voiles pour retourner à nôtre gallion pour doute qu'il n'eût aucun encombrier. Lequel partement ne fut sans grand regret dudit peuple. Car tant qu'ilz nous peurent suivir à-val ledit fleuve, ilz nous suivirent. Et tant fumes que nous arrivames à notredit gallion le Lundi quatriéme jour d'Octobre.




Retour de Jacques Quartier au port de Sainte-Croix aprés avoir été à Hochelaga: Sauvages gardent les tétes de leurs ennemis: Les Toudamans ennemis des Canadiens.

CHAP. XVIII

E Mardi cinquiéme jour dudit mois d'Octobre nous fimes voiles, & appareillames avec nôtre dit gallion & barques pour retourner à la province de Canada, au port de Sainte-Croix où étoient demeurez noditz navires: & le septiéme jour nous vimmes poser le travers d'une riviere, qui vient devers le Nort sortant audit fleuve, à l'entour de laquelle y a quatre petites iles, & pleines d'arbres. Nous nommames icelle riviere, La riviere de Fouez (je croy qu'il veut dire Foix). Et pource que l'une d'icelles iles s'avance audit fleuve, & la voit-on de loin, ledit Capitaine fit planter une belle Croix sur la pointe d'icelle, & commanda apporter les barques, pour aller avec marée dedans icelle riviere, pour voir le parfond & nature d'icelle. Et nagerent celui jour à-mont ledit fleuve. Mais parce qu'elle fut trouvée de nulle experience, ni profonde, retournerent, & appareillames pour aller à-val.

Le Lundy unziéme jour d'Octobre nous arrivames au hable de Sainte-Croix où étoient noz navires, & trouvames que les Maitres & marinier qui étoient demeurés avoient fait un Fort devant lédits navires tout clos de grosse pieces de bois plantées debout joignant les unes aux autres, & tout à l'entour garni d'artillerie, & bien en ordre pour se defendre contre tout le païs. Et tout incontinent que le Seigneur du païs fut averti de nôtre venuë, vint le lendemain accompagné de Taiguragni & Domagaya, & plusieurs autres pour voir ledit Capitaine, & lui firent une merveilleuse féte, feignans avoir grand joye de sa venuë, lequel pareillement leur fit assez bon recueil, toutefois qu'ilz ne l'avoient pas desservi. Le Seigneur Donnacona pria le Capitaine d'aller le lendemain voir à Canada. Ce que lui promit ledit Capitaine. Et le lendemain treziéme dudit mois le dit Capitaine accompagné des Gentils-hommes & de cinquante compagnons bien en en ordre allerent voir ledit Donnacona & son peuple, qui est distant du lieu où étoient noz navires de demie lieuë, & se nomme leur demeurance Stadaconé. Et nous arrivés audit lieu, vindrent les habitans au devant de nous loin de leurs maisons d'un jet de pierre, ou mieux; & là se rangerent & assirent à leur mode & façon de faire, les hommes d'une part & les femmes de l'autre debout, chantans & dansans sans cesse. Et apres qu'ilz s'entrefurent saluez & fait chere les uns aux autres, le Capitaine donna és hommes des couteaux & autre chose de peu de valeur, & fit passer toutes les femmes & filles pardevant lui, & leur donna à chacune une bague d'étain, dequoy ilz remercierent ledit Capitaine qui fut par ledit Donnacona & Taiguragni mené voir leurs maisons, léquelles étoient bien étotées de vivres selon leur sorte pour passer leur hiver. Et fut par ledit Donnacona montré audit Capitaine les peaux de cinq tétes d'hommes étenduës fur des bois, comme peaux de parchemin: & nous dit que c'étoit des Toudamans de devers le Su, qui leur menoient continuellement la guerre. Outre nous fut dit qu'il y a deux ans passez que lédits Toudamans les vindrent assaillir jusques dedans ledit fleuve à une ile qui est le travers du Saguenay, où ils étoient à passer la nuit tendans aller à Hongnedo leur mener guerre avec environ deux cens personnes tant hommes, femmes qu'enfans, léquels furent surpris en dormant dedans un Fort qu'ils avoient fait: où mirent léditz Todamans le feu tout à l'entour, & comme Ilz sortoient les tuerent tous reservez cinq, qui échapperent. De laquelle détrousse se plaignent encore fort, nous montrans qu'ils en auroient vengeance. Apres léquelles choses veuës nous retirames en noz navires.




Voyage de Champlein depuis le Port de Sainte-Croix jusques au Saut de la grande riviere, où sont remarquées les rivieres, iles, & autres choses qu'il a découvertes audit voyage: & particulierement la riviere, le peuple, & le pays des Iroquois.

CHAP. XIX

AR le rapport des quatre derniers chapitres nous avons veu que (contre l'opinion de Champlein) le Capitaine Jacques Quartier a penetré dans la grande riviere jusques où il est possible d'aller. Car de gaigner le dessus du Saut, qui dure une lieuë, tombant toujours ladite riviere en precipices & parmi les roches, il n'y a pas de moyen avec bateaux. Aussi le méme Champlein ne l'a point fait: & ne recite point de plus grandes merveilles de cette riviere que ce que nous avons entendu par le recit dudit Quartier. Mais il ne nous faut pourtant negliger ce qu'il nous en a laissé par écrit. Car on pourroit paraventure accuser iceluy Quartier d'avoir fait à croire ce qu'auroit voulu, & par le temoignage & rapport d'un qui ne sçavoit point la verité de ses découvertes la chose sera mieux confirmée. Car En la bouche de deux ou trois témoins toute parole sera resolue & arretée. Joint qu'en un voyage de quelques deux cens lieuës qu'il y a depuis Sainte-Croix jusques audit Saut, ledit Champlein a remarqué des choses à quoy ledit Quartier n'a pas pris garde. Oyons donc ce qu'il dit en la relation de son voyage.

Le Mercredy vint-quatriéme jour du mois de Juin, nous partimes dudit Sainte-Croix, où nous retardames une marée & demie, pour le lendemain pouvoir passer de jour, à cause de la grande quantité de rochers qui sont au travers de ladite riviere (chose étrange à voir) qui asseche préque toute la basse mer: Mais à demi flot, l'on peut commencer à passer librement, toutefois il faut y prendre bien garde avec la sonde à la main. La mer y croit prés de trois brasses & demie. Plus nous allions en avant & plus le païs est beau: nous fumes à quelque cinq lieues & demie mouiller l'ancre à la bende du Nort. Le Mercredi ensuivant nous partimes de cedit lieu, qui est païs plus plat que celui de devant, plein de grande quantité d'arbres comme à Sainte-Croix: Nous passames prés d'une petite ile qui étoit remplie de vignes, & vimmes mouiller l'ancre à la bende du Su, prés d'un petit côteau: mais étant dessus ce sont terres unies. Il y a une autre petite ile à trois lieuës de Sainte-Croix, proche de la terre du Su. Nous partimes le Jeudi ensuivant dudit côteau, & passames prés d'une petite ile, qui est proche de la bende du Nort, où je fus à quelques six petites rivieres, dont il y en a deux qui peuvent porter batteaux assez avant, & une autre qui a quelque trois cens pas de large: à son entrée il y a quelques iles, & va fort avant dans terre: C'est la plus creuse de toutes les autres, léquelles sont fort plaisantes à voir, les terres étans pleines d'arbres qui ressemblent à des noyers, & en ont la méme odeur, mais je n'y ay point veu de fruit, ce qui me met en doute. Les Sauvages m'ont dit qu'il porte son fruit comme les nôtres. Passant plus outre, nous rencontrames une ile, qui s'appelle Saint Eloy, & une autre petite ile, laquelle est tout proche de la terre du Nort. Nous passames entre ladite ile & ladite terre du Nort, où il y a de l'une à l'autre quelques cent cinquante pas. De ladite ile jusques à la bande du Su une lieue & demie passames proche d'une riviere, où peuvent aller les Canots. Toute cette côte du Nort est assez bonne. L'on y peut aller librement, neantmoins la sonde à la main, pour eviter certaines pointes. Toute cette côte que nous rangeames est sable mouvant, mais entrant quelque peu dans les bois la terre est bonne. Le Vendredi ensuivant nous partimes de cette ile, côtoyans toujours la bende du Nort tout proche terre, qui est basse, & pleine de tous bons arbres & en quantité jusques aux trois rivieres, où il commence d'y avoir temperature de temps, quelque peu dissemblable à celuy de Saincte-Croix, d'autant que les arbres y sont plus avancez qu'en aucun lieu que j'eusse encore veu. Des trois rivieres jusques à Sainte-Croix il y a quinze lieuës. En cette riviere il y a six iles, trois déquelles sont fort petites, & les autres de quelque cinq à six cens pas de long, fort plaisantes & fertiles pour le peu qu'elles contiennent. Il y en a une au milieu de ladite riviere qui regarde le passage de celle de Canada, & commande aux autres éloignées de la terre, tant d'un côté que d'autre de quatre à cinq cens pas. Elle est élevée du côté du su, & va quelque peu en baissant du côté du Nort: Ce seroit à mon jugement un lieu propre pour habiter, 7 pourroit-on le fortifier promptement, car sa situation est forte de foy, & proche d'un grand lac qui n'en est qu'à quelques quatre lieuës, lequel préque joint la riviere du Saguenay, selon le rapport des Sauvages qui vont prés de cent lieuës au Nort, & passent nombre de Sauts, puis vont par terre quelques cinq ou six lieuës, & entrent dedans un lac, d'où ledit Saguenay prend la meilleure part de sa source, & lédits Sauvages viennent dudit lac à Tadoussac. Aussi que l'habitation des trois rivieres seroit un bien pour la liberté de quelques nations qui n'osent venir par là, à-cause dédits Iroquois leurs ennemis, qui tiennent toute ladite riviere de Canada bordée: mais étant habité, on pourroit rendre lédits Iroquois & autres Sauvages amis, ou à tout le moins souz la faveur de ladite habituation lédits Sauvages viendroient librement sans crainte & danger, d'autant que ledit lieu des trois rivieres est un passage. Toute la terre que je veis à la terre du Nort est sablonneuse. Nous entrames environ une lieuë dans ladite riviere, 8 ne peumes passer plus outre, à-cause du grand courant d'eau. Avec un esquif nous fumes pour voir plus avant, mais nous ne fimes pas plus d'une lieuë que nous rencontrames un Saut d'eau fort étroit, comme de douze pas; ce qui fut occasion que nous ne peumes passer plus outre. Toute la terre que je vis aux bords de ladite riviere va en haussant de plus en plus, qui est remplie de quantité de sapins, & cyprez, & fort peu d'autres arbres.

Le Samedi ensuivant nous partimes des trois rivieres & vimmes mouiller l'ancre à un lac où il y a quatre lieuës. Tout ce païs depuis les trois rivieres jusques à l'entrée dudit lac, est terre à fleur d'eau, & du côté du Su quelque peu plus haute. Ladite terre est tres-bonne & la plus plaisante que nous eussions encores veuë, les bois y sont assez clairs, qui fait que l'on les pourroit traverser aisément. Le lendemain vint-neufiéme de Juin nous entrames dans le lac, qui à quelque quinze lieuë de long, & quelques sept ou huit lieuës de large. A son entré du côté du Su environ une lieuë il y a une riviere qui est assez grande, & va dans les terres quelques soixante ou quatre-vints lieuës, & continuant du méme côté il y a une autre petite riviere qui entre environ deux lieues en terre, & sort de dedans un autre petit lac qui peut contenir quelques trois ou quatre lieues du côté du Nort, où la terre y est parfois fort haute, on voit jusques à quelques vint lieues, mais peu à peu les montagnes viennent en diminuant vers l'Ouest comme païs plat. Les Sauvages disent que la pluspart de ces montagnes sont mauvaises terres. Ledit lac a quelques trois brasses d'eau par où nous passames, qui fut préque au milieu. La longueur git d'Est & Ouest, & la largeur du Nort au Su. Je croy qu'il ne laisseroit d'y avoir de bons poissons, comme les especes que nous avons pardeça. Nous le traversames en ce méme jour & vimmes mouiller l'ancre environ deux lieuës dans la riviere qui va au haut, à l'entrée de laquelle il y a trente petites iles, selon ce que j'ay peu voir, les unes sont de deux lieuës, d'autres de lieuë & demie, &U quelques unes moindres, léquelles sont remplies de quantité de Noyers, qui ne sont gueres differens de nôtres, & croy que les noix en sont bonnes en leur saison. J'en vis en quantité souz les arbres, qui étoient de deux façons, les unes petites & les autres longues, comme d'un pouce, mais elles étoient pourries. Il y a aussi quantité de vignes sur le bord dédites iles; mais quand les eaux sont grandes, la plupart d'icelles sont couvertes d'eau, & ce païs est encores meilleur qu'aucun autre que j'eusse veu. Le dernier de Juin nous en partimes, & vimmes passer à l'entree de la riviere des Iroquois, où étoient cabannez & fortifiez les Sauvages qui leur alloient faire la guerre. Leur forteresse est faite de quantité de battons fort pressez les uns contre les autres, laquelle vient joindre d'un côté sur le bord de la grande riviere, & l'autre sur le bord de la riviere des Iroquois, & leurs canots arrengez les uns contre les autres sur le bord, pour pouvoir promptement fuir, si d'aventure ils sont surprins des Iroquois: car leur forteresse est couverte d'écorces de chénes, & ne leur sert que pour avoir le temps de s'embarquer: Nous fumes dans la riviere des Iroquois quelques cinq ou six lieuës, & ne peumes passer plus outre avec notre barque, à-cause du grand cours d'eau qui descend, & aussi que l'on ne peut aller par terre & tirer la barque pour la quantité d'arbres qui sont sur le bord. Voyans ne pouvoir avancer davantage, nous primmes nôtre équif pour voir si le courant étoit plus addoucy, mais allant à quelques deux lieuës il étoit encores plus fort, & ne peumes avancer plus avant. Ne pouvans faire autre chose nous nous en retournames en notre barque. Toute cette riviere est large de quelques trois à quatre cens pas, fort saine. Nous y vimmes cinq iles, distantes les unes des autres d'un quart ou demie lieuës, ou d'une lieuë au plus: une déquelles contient une lieuë, qui est la plus proche; & les autres sont fort petites. Toutes ces terres sont couvertes d'arbres, & terres basses, comme celles que j'avois veu auparavant, mais il y a plus de sapins & cyprez qu'aux autres lieux. La terre ne laisse d'y estre bonne bien qu'elle soit quelque peu sablonneuse. Cette riviere va comme au Surouest. Les Sauvages disent, qu'à quelques quinze lieuës d'où nous avons esté, il y a un saut qui vient de fort haut, où ils portent leurs Canots pour le passer environ un quart de lieuë, & entrent dedans un lac, où à l'entrée il y a trois iles; & étans dedans ils en rencontrent encores quelques-unes. Il peut contenir quelques quarante ou cinquante lieuës de long, & de large quelques vint-cinq lieuës, dans lequel descendent quantité de rivieres jusques au nombre de dix, léquelles portent canots assés avant. Puis venant à la fin dudit lac, il y a un autre saut, & rentrent dedans un autre lac, qui est de la grandeur du premier, au bout duquel sont cabannez les Iroquois. Ils disent aussi qu'il y a une riviere que va rendre à la côte de la Floride, d'où il peut avoir dudit dernier lac quelques cent lieues. Tout le païs des Iroquois est quelque peu montagneux, neantmoins tres bon, temperé, sans beaucoup d'hiver, que fort peu.




Arrivée au saut: Sa description, & ce qui s'y void de remarquable: Avec le rapport des Sauvages touchant la fin ou plustot l'origine de la grande riviere.

CHAP. XX

U partir de la riviere des Iroquois, nous fumes mouiller l'ancre à trois lieues de là, à la bende du Nort. Tout ce païs est une terre basse, remplie de toutes les sortes d'arbres que j'ay dit ci-dessus. Le premier jour de Juillet, nous côtoyames la bende du Nort où le bois y est fort clair plus qu'en aucun lieu que nous eussions encores veu auparavant, & toute bonne terre pour cultiver. Je me mis dans un canot à la bende du Su, ou je veis quantité d'elles, léquelles sont fort fertiles en fruits comme Vignes, Noix, Noizettes, & une maniere de fruit qui semble à Chataignes, Cerises, Chénes, Trembles, Pible, Houblon, Frene, Erable, Hetre, Cyprez, fort peu de Pins & Sapins: il y a aussi d'autres arbres que je ne conois point, léquels sont fort aggreables. Il s'y trouve quantité de Fraizes, Framboises, Grozelles rouges vertes & bleuës, avec force petits fruits qui y croissent parmi grande quantité d'herbages. Il y a aussi plusieurs bétes sauvages, comme Orignacs, Cerfs, Biches, Daims, Ours, Porc-epics, Lapins, Renards, Castors, Loutres, Rats musquets, & quelques autre sortes d'animaux que je ne conois point, léquels sont bons à manger, & dequoy vivent les Sauvages. Nous passames contre une ile qui est fort aggreable, & contient quelques quatre lieues de long, & environ demie de large. Je veis à la bende du Su deux hautes montagnes, qui paroissoient comme à quelques vint lieues dans les terres. Les Sauvages me dirent que c'étoit le premier saut de ladite riviere des Iroquois. Le Mercredi ensuivant nous partimes de ce lieu, & fimes quelques cinq ou six lieues, nous vimes quantité d'iles. La terre y est fort basse, & sont couvertes de bois, ainsi que celles de la riviere des Iroquois. Le jour ensuivant nous fimes quelques lieues, & passames aussi par quantité d'autres iles qui sont tres-bonnes & plaisantes, pour la quantité des prairies qu'il y a tant du côté de terre ferme, que des autres iles: & tous les bois y sont fort petits, au regard de ceux que nous avions passé. En fin nous arrivames cedit jour à l'entrée du saut, avec vent en poupe, & rencontrames une ile qui est préque au milieu de ladite entrée, laquelle contient un quart de lieuë de long, & passames à la bende du Su de ladite ile, où il n'y avoit que de trois à quatre ou cinq pieds d'eau, & aucunes fois une brasse ou deux, & puis tout à un coup n'en trouvions que trois ou quatre pieds. Il y a force rochers, & petites iles, où il n'y a point de bois, & sont à fleur d'eau. Du commencement de la susdite ile, qui est au milieu de ladite entrée, l'eau commence à venir de grande force: bien que nous eussions le vent fort bon, si ne peumes nous en toute nôtre puissance beaucoup avancer; toutefois nous passames ladite ile qui est à l'entrée dudit saut. Voyans que nous ne pouvions avancer, nous vimmes mouiller l'ancre à la bende du Nort, contre une petite ile qui est fertile en la pluspart des fruits que j'ay dit ci-dessus: Nous appareillames aussitôt nôtre esquif, que l'on avoit fait faire exprés pour passer ledit saut: dans lequel nous entrames ledit sieur du Pont & moy; avec quelques autres Sauvages que nous avions menez pour nous montrer le chemin. Partans de notre barque, nous ne fumes pas trois cens pas qu'il nous fallut descendre, & quelques Matelots se mettre à l'eau pour passer nôtre esquif. Le canot des Sauvages passoit aisément. Nous rencontrames une infinité de petits rochers, qui étoient à fleur d'eau, où nous touchions souventefois, & des iles en grand nombre grandes & petites, voire si grande, qu'on ne les peut à peine conter, léquelles passées il y a une maniere de lac, où sont toutes ces iles, lequel peut contenir quelques cinq lieuës de long, & préque autant de large, où il y a quantité de petites iles qui sont rochers. Il y a proche dudit saut une montagne qui découvre assez loin dans lédites terres, & une petite riviere qui vient de ladite montagne tomber dans le lac. L'on voit du côté du Su quelques trois ou quatre montagnes qui paroissent comme à quelque quinze ou seize lieuës dans les terres. Il y a aussi deux rivieres, l'une qui va au premier lac de la riviere des Iroquois, par où quelquefois les Algoumequins leur vont faire la guerre, & l'autre qui est proche du saut qui va quelque peu dans les terres. Venans à approcher dudit saut avec nôtre petit esquif, & le canot, je vous asseure que jamais je ne vis un torrent d'eau déborder avec une telle impetuosité comme il fait, bien qu'il ne soit pas beaucoup haut, n'étant en d'aucuns lieux que d'une brasse ou deux, & au plus de trois: il descend comme de degré en degré & en chaque lieu où il y a quelque chose de hauteur il s'y fait un ébouillonnement étrange de la force & roideur que va l'eau en traversant ledit saut, qui peut contenir une lieuë: il y a force rochers de large, & environ le milieu il y a des iles qui sont fort étroites & fort longues, où il y a saut tant du côté dédites iles qui sont au Su, comme du côté du Nort, où il fait si dangereux, qu'il est hors de la puissance d'hommes d'y passer un bateau, pour petit qu'il soit. Nous fumes par terre dans les bois pour en voir la fin, où il y a une lieuë, & où l'on ne voit plus de rochers ni de sauts, mais l'eau y va si vite qu'il est impossible de plus; & ce courant contient quelques trois ou quatre lieuës. Outre ce saut premier il y en a dix autres, la pluspart difficiles à passer de façon que ce seroit de grandes peines & travaux pour pouvoir voir, & faire ce que l'on pourroit se promettre par bateau, si ce n'étoit À grands fraiz & dépens, & encores en danger de travailler en vain: mais avec les canots des Sauvages l'on peut aller librement & promptement en toutes les terres, tant aux petites rivieres comme aux grandes: Si bien qu'en se gouvernant par le moyen dédits Sauvages & de leurs canots, l'on pourra voir tout ce qui se peut, bon & mauvais, dans un an ou deux. Tout ce peu de païs du côté dudit saut que nous traversames par terre, est bois fort clair, où l'on peut aller aisément avec armes sans beaucoup de peine: l'air y est plus doux & temperé, & de meilleure terre qu'en lieu que j'eusse veu, où il y a quantité de bois & fruits, comme en tous les autres lieux ci-dessus, & est par les quarante-cinq degrés & quelques minutes. Voyans que nous ne pouvions faire davantage, nous en retournames en nôtre barque, où nous interrogeames les Sauvages que nous avions, de la fin de la riviere, que je leur fis figurer de la main, & de quelle partie procedoit sa source. Ilz nous dirent que passé le premier saut que nous avions veu, ilz faisoient quelques dix ou quinze lieuës avec leurs canots dedans la riviere, où il y a une riviere qui va en la demeure des Algoumequins; qui sont à quelques soixante lieues éloignez de la grande riviere; & puis ilz venoient à passer cinq sauts, léquels peuvent contenir du premier au dernier huit lieues, déquels il y en a deux où ilz portent leurs canots Pour les passer, chaque saut peut tenir quelque demi quart de lieue, ou un quart au plus. Et puis ilz viennent dedans un lac, qui peut tenir quelques quinze ou seize lieues de long. Delà ilz rentrent dedans une riviere, qui peut contenir une lieue de large, & font quelque deux lieues dedans, & puis r'entrent dans un autre lac de quelques quatre ou cinq lieues de long; venant au bout duquel ilz passent cinq autres sauts, distans de premier au dernier quelques vint-cinq ou trente lieues, dont il y en a trois où ilz portent leurs canots pour les passer, & les autres deux ilz ne les font que trainer dedans l'eau, d'autant que le cours n'y est si fort ne mauvais comme aux autres. De tous ces sauts aucun n'est si difficile à passer comme celui que nous avons veu. Et puis ilz viennent dedans un lac qui peut tenir quelques quatre-vints lieues de long, où il y a quantité d'iles, & qu'au bout d'icelui l'eau y est salubre, & l'hiver doux. A la fin dudit lac, ilz passent un saut, qui est quelque peu élevé, où il y a peu d'eau, laquelle descend: là ilz portent leurs canots par terre environ un quart de lieuë pour passer ce saut. De là entrent dans un autre lac qui peut tenir quelques soixante lieuës de long, & que l'eau en est fort salubre. Etans à la fin ilz viennent à un détroit qui contient deux lieuës de large, 7 va assez avant dans les terres: Qu'ilz n'avoient point passé plus outre, & n'avoient veu la fin d'un lac qui est à quelque quinze ou seize lieuës d'où ils ont été, ni que ceux qui leur avoient dit eussent veu homme qui l'eust veu, d'autant qu'il est si grand, qu'ilz ne se hazarderont pas de se mettre au large, de peur que quelque tourmente, ou coup de vent, ne les surprint: Disent qu'en été le Soleil se couche au Nort dudit lac, & en l'hiver il se couche comme au milieu: que l'eau y est tres-mauvaise, comme celle de cette mer. Je leur demanday, si depuis cedit lac dernier qu'ils avoient veu, l'eau descendoit toujours dans la riviere venant à Gachepé: ilz me dirent que non, que depuis le troisiéme lac, elle descendoit seulement venant audit Gachepé, mais que depuis le dernier saut, qui est quelque peu haut, comme j'ay dit, que l'eau étoit préque pacifique, & que ledit lac pouvoit prendre cours par autres rivieres, léquelles vont dedans les terres, soit au Su ou au NOrt, dont il y en a quantité qui y refluent, & dont ilz ne voyent point la fin.




Retour du Saut à Tadoussac, avec la confrontation du rapport de plusieurs Sauvages, touchant la longueur, & commencement de la grande riviere de Canada: Du nombre des Sauts & Lacs qu'elle traverse.

CHAP. XXI

OUS partimes dudit lac le Vendredi quatriéme jour de juillet, & revimmes cedit jour à la riviere des Iroquois. Le Dimanche ensuivant nous en partimes, & vimmes mouiller l'ancre au lac. Le Lundi ensuivant nous fumes mouiller l'ancre aux trois rivieres. Cedit jour nous fimes quelques quatre lieuës pardela lesdites trois rivieres. Le Mardi ensuivant nous vimmes à Kebec, & le lendemain nous fumes au bout de l'ile d'Orléans, où les Sauvages vindrent à nous, qui étoient cabannez à la gran'terre du Nort. Nous interrogeames deux ou trois Algoumequins, pour sçavoir s'ilz se conformeroient avec ceux que nous avions interrogez, touchant la fin & le commencement de Ladite riviere de Canada. Ilz dirent, comme ilz l'ont figuré, que passé le saut que nous avions veu, environ deux ou trois lieues, il y a une riviere en leur demeure, qui est à la bende du Nort, continuant le chemin dans ladite grande riviere, ilz passent un saut, où ilz portent leurs canots, & viennent à passer cinq autres sauts, léquels peuvent contenir du premier au dernier quelques neuf ou dix lieues, & que lédits sauts ne sont point difficiles à passer, & ne font que trainer leurs canots en la pluspart dédits sauts horsmis à deux où ilz les portent. De-là viennent à entrer dedans une riviere, qui est comme une maniere de lac, laquelle peut contenir quelque six ou sept lieuës, & puis passent cinq autres sauts, où ilz trainent leurs canots comme ausdits premiers, horsmis à deux, où ilz les portent comme aux premiers, & que du premier au dernier il y a quelques vint ou vint-cinq lieuës: puis viennent dedans un lac qui contient quelques cent cinquante lieuës de long, & quelques quatre ou cinq lieues à l'entrée dudit lac il y a une riviere qui va aux Algoumequins vers le Nort: Et une autre qui va aux Iroquois par où lédits Algoumequins & Iroquois se font la guerre. Et un peu plus haut à la bende du Su dudit lac, il y a une autre riviere qui va aux Iroquois: puis venant à la fin dudit lac, ilz rencontrent un autre saut, où ils portent leurs canots: de là ils entrent dedans un autre tres-grand lac, qui peut contenir autant comme le premier. Ilz n'ont été que fort peu dans ce dernier; & ont ouï dire qu'à la fin dudit lac il y a une mer, dont ilz n'ont veu la fin, ne ouï dire qu'aucun l'ait veuë. Mais que là où ils ont été, l'eau n'est point mauvaise, d'autant qu'ilz n'ont point avancé plus haut, & que le cours de l'eau vient du côté du Soleil couchant venant à l'orient, & ne sçavent si passé ledit lac qu'ils ont veu, il y a autre cours d'eau qui aille du côté de l'Occident: que le Soleil se couche à main droite dudit lac, qui est selon mon jugement au Norouest, peu plus ou moins, & qu'au premier l'eau ne gele point, ce qui fait juger que le temps y est temperé, & que toutes les terres des Algoumequins est terre basse, remplie de fort peu de bois, & du côté des Iroquois est terre montagneuse, neantmoins elles sont tres-bonnes & fertiles, & meilleures qu'en aucun endroit qu'ils ayent veu. Lédits Iroquois se tiennent à quelques cinquante ou soixante lieuës dudit grand lac. Voilà au certain ce qu'ilz m'ont dit avoir veu, qui ne differe que bien peu au rapport des premiers.

Cedit jour nous fumes proches de l'ile au Coudre, comme environ trois lieuës. Le Jeudi dixiéme dudit mois, nous vimmes à quelque lieuë & demie de l'ile au Liévre, du côté du Nort, ou il vint d'autres Sauvages en nôtre barque, entre léquels il y avoit un jeune homme Algoumequin, qui avoit fort voyagé dedans ledit grand lac. Nous l'interrogeames fort particulierement comme nous avions fait les autres Sauvages. Il nous dit, que passé ledit saut que nous avions veu, à quelques deux ou trois lieuës, il y a une riviere qui va ausdits Algoumequins, où ilz sont cabannez, & qu'allant en ladite grande riviere il y a cinq sauts, qui peuvent contenir du premier au dernier quelques huit ou neuf lieues, dont il y en a trois où ilz portent leurs canots, & deux autres où ilz les trainent: que chacun dédits sauts peut tenir un quart de lieuë De long, puis viennent dedans un lac qui peut contenir quelque quinze lieuës. Puis ilz passent cinq autres sauts, qui peuvent contenir du premier au dernier quelques vint à vint-cinq lieuës, où il n'y a que dessus des dits sauts qu'ils passent avec leurs canots. Aux autres trois ilz ne les font que trainer. De-là ils entrent dedans un grandissime lac, qui peut contenir quelques trois cens lieuës de long. Avançant quelques cent lieuës dans ledit lac, ilz rencontrent une ile qui est fort grande, où au delà de ladite ile, l'eau est salubre; mais que passant quelques cent lieuës plus avant, l'eau est encore plus mauvaise: Arrivant à la fin dudit lac, l'eau est du tout salée: Qu'il y a un saut qui peut contenir une lieue de large, d'ou il descend un grandissime courant d'eau dans ledit lac. Que passé ce saut, on ne voit plus la terre, ni d'un côté ni d'autre, sinon une mer si grande qu'ilz n'en ont point veu la fin, ni ouï dire qu'aucun l'ait veuë: Que le Soleil se couche à main droite dudit lac, & qu'à son entrée il y a une riviere qui va aux Algoumequins, & l'autre aux Iroquois, par où ilz se font la guerre. Que la terre des Iroquois est quelque peu montagneuse, neantmoins fort fertile, où il y a quantité de blé d'Inde, & autres fruits qu'ilz n'ont point en leur terre. Que la terre des Algoumequins est basse & fertile. Je leur demanday s'ilz n'avoient point conoissance de quelque mine. Ilz nous dirent, qu'il y a une nation qu'on appelle les bons Iroquois, qui viennent pour troquer des marchandises que les vaisseaux François donnent aux Algoumequins, léquelz disent qu'il y a à la partie du Nort une mine de franc cuivre, dont ilz nous en ont montré quelques brasselets qu'ils avoient eu dédits bons Iroquois: Que si l'on y vouloit aller ils y meneroient ceux qui seroient deputez pour cet effet. Voila tout ce j'ay peu apprendre des uns & des autres, ne se differans que bien peu, sinon que les seconds qui furent interrogez dirent n'avoir point beu de l'eau salée, aussi ilz n'ont pas été si loin dans ledit lac comme les autres: & different quelque peu de chemin, les uns le faisans plus court, & les autres plus long: De façon que selon leur rapport, du saut où nous avons été, il y a jusques à la mer salée, qui peut étre celle du Su, quelques quatre cens lieuës. Le Vendredi onziéme dudit mois nous fumes de retour à Tadoussac ou étoit nôtre vaisseau, le 16e jour apres la departie.




Description de la grande riviere de Canada, & autres qui s'y deschargent: Des peuples qui habitent le long d'icelle: Des fruits de la terre: Des bétes & oyseaux: & particulierement d'une béte à deux piez: Des poissons abondant en ladite grande grande riviere.

CHAP. XXII

PRES avoir parcouru la grande riviere de Canada jusques au premier & grand saut, & r'amené noz voyageurs un chacun en son lieu, sçavoir le Capitaine Jacques Quartier au port Sainte-Croix, & Champlein à Tadoussac, il est besoin, utile, & necessaire de sçavoir le comportement de noz François, ce qui leur arriva, & leurs diverses fortunes, durant un hiver & un printemps ensuivant qu'ilz passerent audit port Sainte-Croix. Et quant audit Champlein nous nous contenterons de le r'amener de Tadoussac en France (par-ce qu'il n'a point hiverné en ladite riviere de Canada) apres que nous aurons combattu le Gougou, é dissipé les Chimeres des Armouchiquois.

Mais avant que ce faire nous reciterons ce que ledit Capitaine Quartier rapporte en general des merveilles du grand fleuve de Canada ensemble de la riviere de Saguenay, & de celle des Iroquois, afin de confronter le dis cours qu'il en a fait avec ce qu'en a écrit ledit Champlein duquel nous avons rapporté les paroles ci-dessus.

Ledit fleuve donc (ce dit-il) commence (passée l'ile de l'Assumption) le travers des hautes montagnes de Hongnedo & des sept iles: & y a de distance en travers trente-cinq ou quarante lieuës, & y a au parmi plus de deux cens brasses de parfond. Le plus parfond, & le plus seur à naviger est du côté devers le Su, & devers le Nort, sçavoir es dites sept iles y a d'un côté & d'autre environ sept lieuës loin dédites iles des grosses rivieres qui descendent des monts du Saguenay, léquelles font plusieurs bancs à la mer fort dangereux. A l'entrée dédites rivieres avons veu grand nombre de Baillames, & Chevaux de mer.

Le travers dédites iles y a une petite riviere qui va trois ou quatre lieuës en la terre pardessus les marais, en laquelle y a un merveilleux nombre de tous oyseaux de riviere. Depuis le commencement dudit fleuve jusques à Hochelaga y a trois cens lieuës & plus: & le commencement d'icelui à la riviere qui vient du Saguenay, laquelle sort d'entre hautes montagnes, & entre dedans ledit fleuve auparavant qu'arriver à la province de Canada, de la bende de vers le Nort. Et est icelle riviere fort profonde, étroite & dangereuse à naviger.

Apres ladite riviere est la province de Canada où il y a plusieurs peuples par villages non clos. Il y a aussi és environs dudit Canada dedans ledit fleuve plusieurs iles tant grandes que petites. Et entre autres y en a une qui contient plus de dix lieuës de long, laquelle est pleine de beaux & grans arbres, & force vignes. Il y a passage des ceux côtez d'icelle. Le meilleur & le plus seur est du côté devers le Su. Et au bout d'icelle ile vers l'Ouest y a un affourq d'eau bel & delectable pour mettre navires: auquel il y a un détroit dudit fleuve fort courant & profond, mais il n'a de large qu'environ un tiers de lieuë: le travers duquel y a une terre double de bonne hauteur toute labourée, aussi bonne terre qu'il soit possible de voir. Et là est la ville & demeurance du seigneur Donnacona & de nos hommes qu'avions prins le premier voyage: laquelle demeurance se nomme Stadaconé. Et auparavant qu'arriver audit lieu y a quatre peuples & demeurances, sçavoir Ajoasté, Starnatam, Taisla, qui est sur une montagne, & Stadin, puis ledit lieu de Stadaconé, souz laquelle haute terre vers le Nort est la riviere & hable de Sainte-Croix: auquel lieu avons eté depuis le quinziéme jour de Septembre jusques au sixiéme jour de May mil cinq cens trente six: auquel lieu les navires demeurerent à sec, comme cy-devant est dit: Passé ledit lieu est la demeurance du peuple de Tequenouday, & de Hochelay: lequel Tequenouday est une montagne, & l'autre un plain païs.

Toute la terre des deux côtez dudit fleuve jusques à Hochelaga, outre, est aussi belle & unie que jamais homme regarda. Il y a aucunes montagnes assez loin dudit fleuve qu'on voit par sus lédites terre, déquelles il descend plusieurs rivieres qui entrent dans ledit fleuve. Toute cette dite terre est couverte & pleine de bois de plusieurs sortes, & force vignes, excepté à-l'entour des peuples, laquelle ilz ont désertée pour faire leur demeurance & labeur. Il y a grand nombre de grands cerfs, daims, ours, & autres bétes. Nous y avons veu les pas d'une béte qui n'a que deux piez, laquelle nous avons suivie longuement pardessus le sable & vaze, laquelle a les piez en cette façon, grans d'une paume & plus. Il y a force Louëres, Biévres, Martres, Renars, Chats sauvages, Liévres, Connins, Escurieux, Rats, léquels sont gros à merveilles, & autres sauvagines. Ilz s'accoutrent des peaux d'icelles bétes, parce qu'ilz n'ont nuls autres accoutremens. Il y a grand nombre d'oiseau: sçavoir Gruës, Outardes, Cygnes, Oyes sauvages blanches & grises, Cannes, Cannars, Merles, Mauvis, Tourtres, Ramiers, Chardonnerets, Tarins, Serins, Linottes, Rossignols, Passes solitaires, & autres oyseaux comme en France.

Aussi, comme par ci-devant est fait mention és chapitres precedens, cedit fleuve est le plus abondant de toutes sortes de poissons qu'il soit memoire d'homme d'avoir jamais veu, ni ouï. Car depuis le commencement jusques à la fin y trouverez selon les saisons la pluspart des sortes & especes de poisson de la mer & eau douce. Vous trouverez jusques audit Canada force Baillames, Marsoins, Chevaux de mer, Adhothuis, qui est une sorte de poisson duquel nous n'avions jamais veu, ni ouï parler. Ilz sont blancs comme nege,& grands comme marsoins, & ont le cors & la téte comme liévres, léquels se tiennent entre la mer & l'eau douce, qui commence entre la riviere du Saguenay & Canada. Item y trouverés en Juin, Juillet, & Aoust force maquereaux, Mulets, Bars, Sartres, grosses Anguilles, & autres poissons. Ayans leur saison passée y tourverez l'Eplan aussi bon qu'en la riviere de Seine. Puis au renouveau y a force Lamproyes & Saumons. Passé ledit Canada y a force Brochets, Truites, Carpes, Brames, & autres poissons d'eau douce, & de toutes ces sortes de poissons fait ledit peuple de chacun selon leur saison grosse pécherie pour leur substance &victuaille.




De la riviere de Saguenay: Des peuples qui habitent vers son origine: Autre riviere venant dudit Saguenay au-dessus du saut de la grande riviere: De la riviere des Iroquois venant de vers la Floride, païs sans neges ni glaces: Singularitez d'icelui païs: Soupçon sur les Sauvages de Canada: Guet nocturne: Reddition d'une fille échappée: Reconciliation des Sauvages avec les François.

CHAP. XXIII

EPUIS estre arrivez à Hochelaga avec le gallion & les barques, avons conversé, allé & venu avec les peuples les plus prochains de noz navires en douceur & amitié, fors que par fois avons eu aucuns differens avec aucuns mauvais garçons, dont les autre étoient fort marris & courroucéz. Et avons entendu par le Seigneur Donnacona, Taiguragni, Domagaya, & autres, que la riviere devant-dite' & nommée la riviere du Saguenay, va jusques audit Saguenay, qui est loin du commencement de plus d'une lune de chemin vers l'Ouest-Norouest: & que passé huit ou neuf journées, elle n'est plus parfonde que par bateaux: mais le droit & bon chemin & plus seur est par ledit fleuve jusques au-dessus de Hochelaga à une riviere qui descend dudit Saguenay, & entre audit fleuve (ce qu'avons veu) & que de là sont une lune à y aller. Et nous ont fait entendre qu'audit lieu les gens sont habillez de draps, comme nous, & y a force villes & peuples, & bonnes gens, & qu'ils ont quantité d'or & cuivre rouge. Et nous ont dit que le tour de la terre d'empuis ladite premiere riviere jusques audit Hochelaga & Saguenay est une ile, laquelle est circuite & environnée de rivieres & dudit fleuve: & que passé ledit Saguenay va ladite riviere entrant en deux ou trois grans lacs d'eau fort larges: puis, que l'on trouve une mer douce, laquelle n'est mention avoir veu le bout ainsi qu'ils ont ouï par ceux du Saguenay: car ilz nous ont dit n'y avoir été. Outre nous ont donné à entendre qu'au lieu où avions laissé notre gallion quand fumes à Hochelaga y a une riviere qui va vers le Surouest, où semblablement sont une lune à aller avec leurs barques depuis Saincte-Croix jusques à une terre où il n'y a jamais glaces ni neges, mais qu'en cette dite terre y a guerre continuelle des uns contre les autres, & qu'en icelle y a Orenges, Amandes, Noix, Prunes,& autres sortes de fruits & en grande abondance. Et nous ont dit les hommes & habitans d'icelle terre étre vétus & accoutrez de peaux comme eux. Apres leur avoir demandé s'il y a de l'or & du cuivre, nous ont dit que non. J'estime à leur dire, ledit lieu étre vers le Terre-neuve où sur le Capitaine Jean Verrazan à ce qu'ilz montrent par leurs signes & merches.

Et dempuis de jour en autre venoit ledit peuple à noz navires & apportoient force Anguilles & autres poissons pour avoir de notre marchandise, dequoy leur étoient baillez couteaux, alenes, patenôtres, & autres mémes choses, dont se contentoient fort. Mais nous apperceumes que les deux méchans qu'avions apporté leur disoient & donnoient à entendre que ce que nous baillions ne valoit rien, & qu'ils auroient aussitôt des hachots comme des couteaux pour ce qu'ilz nous bailloient, nonobstant que le Capitaine leur reçut fait beaucoup de presens, & si ne cessoient à toutes heures de demander audit Capitaine, lequel fut averti par un Seigneur de la ville de Hagouchouda qu'il se donnât garde de Donnacona, & dédits deux méchans, & qu'ils étoient Agojuda qui est à dire traitres, & aussi en fut averti par aucuns dudit Canada, & aussi que nous apperceumes de leur malice, par ce qu'ilz vouloient retirer les trois enfans que ledit Donnacona avoit donné audit Capitaine. Et de ce fait firent fuir la plus grande des filles, du navire. Apres laquelle ainsi fuie, fit le Capitaine prendre garde aux autres: & par l'avertissement dédits Taiguragni & Domagaya s'abstindrent & deporterent de venir avec nous quatre ou cinq jours, sinon aucuns qui venoient en grande peur & crainte.

Mais voyans la malice d'eux, doutans qu'ilz ne songeassent aucune trahison, & venir avec un amas de gens sur nous, le Capitaine fit renforcer le Fort tout à l'entour de gros fossez, larges, & parfons, avec porte à pont-levis & renfort de paux de bois au contraire des premiers. Et fut ordonné pour le guet de la nuit pour le temps à venir cinquante hommes à quatre quarts & à chacun changement dédits quarts les trompettes sonantes. Ce qui fut fait selon ladite ordonnance. Et lédits Donnacona, Taiguragni, & Domagaya estans avertis dudit renfort, & de la bonne garde & guet que l'on faisoit, furent courroucez d'étre en la malgrace du Capitaine, & envoyerent par plusieurs fois de leurs gens: feignans qu'ils fussent d'ailleurs, pour voir si on leur feroit déplaisir, déquels on ne tint conte, & n'en fut fait ny montré aucun semblant. Et y vindrent lédits Donnacona, Taiguragni, Domagaya, & autres plusieurs fois parler audit Capitaine, une riviere entre-deux, lui demandans s'il étoit marri, & pourquoi il n'alloit les voir. Et le Capitaine leur répondit qu'ilz n'étoient que traitres, & méchans, ainsi qu'on lui avoit rapporté: & aussi qu'il l'avoit apperceu en plusieurs sortes, comme de n'avoir tins promesse d'aller à Hochelaga, & d'avoir retiré la fille qu'on lui avoit donnée, & autres mauvais tours qu'il lui nomma. Mais pour tout ce, que s'ilz vouloient étre gens de bien, & oublier leur mal-volonté, il leur pardonnoit, & qu'ilz vinssent seurement à bord faire bonne chere comme pardevant. Déquelles paroles remercierent ledit Capitaine, & lui promirent qu'ilz lui rendroient la fille qui s'en étoit fuie, dans trois jours. Et le quatriéme jour de Novembre Domagaya accompagné de six autres hommes, vindrent à noz navires pour dire au Capitaine que le Seigneur Donnacona étoit allé par le païs chercher ladite fille, & que le le lendemain elle lui seroit par lui menée. Et outre dit que Taiguragni étoit fort malade, & qu'il prioit le Capitaine lui envoyer un peu de sel & de pain. Ce que fit ledit Capitaine, lequel lui manda que c'étoit Jesus qui étoit marri contre lui pour les mauvais tours qu'il avoit cuidé jouer.

Et le lendemain ledit Donnacona, Taiguragni, Domagaya, & plusieurs autres vindrent & amenerent ladite fille, la representente audit Capitaine, lequel n'en tint conte, & dit qu'il n'en vouloit point, & qu'ilz la remenassent. A quoy répondirent faisans leur excuse, qu'ilz ne lui avoient pas conseillé s'en aller, ains qu'elle s'en étoit allée parce que les pages l'avoient battue, ainsi qu'elle leur avoit dit: & prierent derechef ledit Capitaine de la reprendre, & eux-mémes la menerent jusques aux navires. Apres léquelles choses le Capitaine commanda apporter pain & vin, & les fétoya. Puis prindrent congé les uns des autres. Et depuis sont allé & venu à noz navires, & nous à leur demeurance en aussi grand amour que par devant.




Mortalité entre les Sauvages: Maladie étrange & inconuë entre les François: Devotions & voeuz: Ouverture d'un corps mort: Dissimulation envers les Sauvages sur lédites maladies & mortalité: Guerison merveilleuse d'icelle maladie.

CHAP. XXIV

U mois de Decembre fumes avertis que la mortalité s'étoit mise audit peuple de Stadaconé, tellement que ja en étoient morts par leur confession plus de cinquante. Au moyen dequoy leur fimes defense de non venir à nôtre Fort, ni entour nous. Mais nonobstant les avoir chassé commença la mortalité entour nous d'une merveilleuse sorte, & la plus inconuë. Car les uns perdoient la soutenue, & leur devenoient les jambes grosses & enflées, & les nerfs retirez, & noircis comme charbons, & aucune toutes semées de gouttes de sang, comme pourpre. Puis montoit ladite maladie aux hanches, cuisses, épaules, aux bras, & au col. Et à tous venoit la bouche si infecte & pourrie par les gencives, que tout la chair en tomboit jusques à la racine des dents, léquelles tomboit préque toutes. Et tellement s'éprint ladite maladie en noz trois navires, qu'à la mi-Fevrier de cent dix hommes que nous étions il n'y en avoit pas dix de sains, tellement que l'un ne pouvoit secourir l'autre. Qui étoit chose piteuse à voir, consideré le lieu où nous étions. Car les gens du païs venoient tous les jours devant nôtre Fort qui peu de gens voyoient debout, & ja y en avoit huit de morts, & plus de cinquante où on n'esperoit plus de vie. Notre Capitaine voyant la pitié & maladie ainsi emeuë fait mettre le monde en prieres & oraisons, & fit porter une image & remembrance de la Vierge Marie contre un arbre distant de nôtre Fort d'un trait d'arc le travers les neges & glaces, & ordonna que le Dimanche ensuivant l'on diroit audit lieu la Messe & que tous ceux qui pourroient cheminer tant sains que malades iroient à la procession chantans les sept Pseaumes de David, avec la Litanie en priant ladite Vierge qu'il lui pleût prier son cher enfant qu'il eût pitié de nous. Et la Messe dite & chantée devant ladite image, se fit le Capitaine pelerin à nôtre Dame, qui se fait de prier à Roquemadou (ou pour mieux dire, à Roqu'amadou, c'est à dire des amans. C'est un bour en Querci, où vont force pelerins) promettant y aller si Dieu lui donnoit grace de retourner en France. Celui jour trespassa Philippe Rougemont natif d'Amboise, de l'aage d'environ vint ans.

Et pource que ladite maladie étoit inconnue fit le dit Capitaine ouvrir le cors pour voir si aurions aucune conoissance d'icelle, pour preserver si possible étoit le parsus. Et fut trouvé qu'il avoit le coeur tout blanc, & flétri, environné de plus d'un pot d'eau rousse comme datte. Le foye beau, mais avoit le poulmon tout noirci & mortifié, & s'étoit retiré tout son sang au dessus de son coeur. Car quand il fut ouvert, sortit au dessus du coeur une grande abondance de sang noir & infect. Pareillement avoit la rate vers l'échine un peu entamée environ deux doits, comme si elle eût été frottée sus une pierre rude. Apres cela veu lui fut ouvert & incisé une cuisse, laquelle étoit fort noire par dehors, mais pardedans la chair fut trouvée assez belle. Ce fait fut inhumé au moins mal que l'on peût. Dieu par sa saincte grace pardoint à son ame, & à tous trépassez, Amen.

Et depuis, de jour en autre s'est tellement continuée ladite maladie, que telle heure a été que par tout lédits trois navires n'y avoit pas trois hommes sains. De sorte qu'en l'un d'iceux navires n'y avoit homme qui eût peu descendre souz le tillac pour tirer à boire tant pour lui que pour les autres. Et pour l'heure y en avoit ja plusieurs de morts, léquels il nous convint de mettre par foiblesse sous les neges. Car il ne nous étoit possible de pouvoir pour lors ouvrir la terre qui étoit gelée, tant étions foibles, & avions peu de puissance. Et si étions en une crainte merveilleuse des gens du païs qu'ilz ne s'apperceussent de nôtre pitié & foiblesse. Et pour couvrir ladite maladie, lors qu'ilz venoient prés de notre Fort, notre Capitaine, que Dieu a tousjours preservé debout, sortoit au devant d'eux avec deux ou trois hommes, tant sains, que malades, léquels il faisoit sortir apres lui. Et lors qu'il les voyoit hors du parc, faisoit semblant les vouloir battre, & criant, & leur jettant batons aprés eux les envoyant à bord, montrant par signes ésdits Sauvages qu'il faisoit besongner ses gens dedans les navires: les uns à gallifester, les autres à faire du pain & autres besongnes, & qu'il n'étoit pas bon qu'ilz vinssent chommer dehors: ce qu'ilz croyoient. Et faisoit ledit Capitaine battre & mener bruit ésdits malades dedans les navires avec batons & cailloux feignans gallifester: & pour lors étions si épris de ladite maladie qu'avions quasi perdu l'esperance de jamais retourner en France, si Dieu par sa bonté infinie & misericorde ne nous eût regardé en pitié,& donné conoissance d'un remede contre toutes maladies le plus excellent qui fut jamais veu ni trouvé sur la terre, ainsi que nous dirons maintenant. Mais premierement faut entendre que depuis la mi-Novembre jusques au dix-huitiéme jour d'Avril avons été continuellement enfermez dedans les glaces, léquelles avoient plus de deux brasses d'épesseur: & dessus la terre y avoit la hauteur de quatre piez de neige & plus de deux brasses d'épaisseur: tellement qu'elle étoit plus haute que les bors de noz navires, léquelles ont duré jusques audit temps: en sorte que noz bruvages étoient tout gelez dedans les futailles, & par dedans lédits navires tant bas que haut étoit la glace contre les bois à quatre doits d'épesseur: & étoit tout ledit fleuve par autant que l'eau douce en contient jusques au dessus de Hochelaga, gelé. Auquel temps nous deceda jusques au nombre de vint-cinq personnes des principaus & bons compagnons qu'eussions, léquels moururent de la maladie susdite: & pour l'heure y en avoit plus de quarante en qui on n'esperoit plus de vie, & le parsus tous malades, que nul n'en étoit exempté, excepté trois ou quatre. Mais Dieu par la sainte grace nous regarda en pitié, & nous envoya un remede de notre guerison & santé de la sorte & maniere que nous allons dire.

Un jour nôtre Capitaine voyant la maladie si emue & ses gens si fort épris d'icelle, étant sorti hors du Fort, soy promenant sur la glace, apperceut venir une bende de gans de Stadaconé, en laquelle étoit Domagaya, lequel le Capitaine avoit veu depuis dix ou douze jours fort malade le la propre maladie qu'avoient ses gens: Car il avoit une de ses jambes aussi grosse qu'un enfant de deux ans, & tous les nerfs d'icelle retirez, les dents perdues & gatées, & les gencives pourries & infectes. Le Capitaine voyant ledit Domagaya sain & gueri fut fort joyeux esperant par lui sçavoir comme il s'étoit guere, afin de donner ayde & secours à ses gens. Et lors qu'ilz furent arrivez prés le Fort, le Capitaine lui demanda comme il s'étoit gueri de sa maladie: lequel Domagaya répondit qu'avec le jus des feuilles d'un arbre & le marq il s'étoit gueri, & que c'étoit le singulier remede pour cette maladie. Lors le Capitaine demanda s'il y en avoit point là entour, & qu'il lui en montre, pour guerir son serviteur qui avoit ladite maladie ne la maison du seigneur Donnacona; ne lui voulut declarer le nombre des compagnons qui étoient malades. Lors ledit Domagaya envoya deux femmes avec nôtre Capitaine pour en querir, léquelles en apporterent neuf ou dix rameaux, & nous montrerent qu'il falloit piler l'écorce & les fueilles dudit bois, & mettre le tout bouillir en eau, puis boire de ladite eauë de deux jours l'un, & mettre le marq sur les jambes enflées & malades & que de toutes maladies ledit arbre guerissoit. Et s'appelle ledit arbre en leur langage Annedda.

Tôt-aprés le Capitaine fit faire du breuvage pour faire boire és malades, déquels n'y avoit nul d'eux qui voulut icelui essayer, sinon un ou deux que se mirent en aventure d'icelui essayer. Tôt aprés qu'ils en eurent beu ils eurent l'avantage, qui se trouva étre un vray & evident miracle. Car de toutes maladies dequoy ils étoient entachés, apres en avoir beu deux ou trois fois, recouvrerent santé & guerison; tellement que tel des compagnons qui avoit la verole depuis cinq ou six ans auparavant la maladie, a été par icelle médecine curé nettement. Apres ce avoir veu y a eu telle presse qu'on se vouloit tuer sur ladite medecine à qui premier en auroit: de sorte qu'un arbre aussi gros & aussi grand que je vis jamais arbre, a été employé en moins de huit jours; lequel a fait telle operation, que si tous les medecins de Louvain & Montpellier y eussent été avec toutes les drogues d'Alexandrie, ilz n'en eussent pas tant fait en un an, que ledit arbre en a fait en huit jours. Car il nous a tellement profité, que tous ceux qui en ont voulu user ont recouvert santé & guerison, la grace à Dieu.




Soupçon sur la longue absence du Capitaine des Sauvages: Retour d'icelui avec multitude de gens: Debilité des François: Navire delaissé pour n'avoir la force de le remener: Recit des richesses du Saguenay, & autres choses merveilleuses.

CHAP. XXV

URANT le temps que la maladie & mortalité regnoit en Noz navires, se partirent Donnacona, Taiguragni, et plusieurs autres feignans aller prendre des cerfs & autres bétes, léquels ils nomment en leur langage Aionnesta, & Aiquenoudo, par ce que les neges étoient grandes & que les glaces étoient ja rompuës dedans le cours du fleuve: tellement qu'ilz pourroient naviger par icelui. Et nous fut par Domagaya, & autres, dit, qu'ilz ne seroient que quinze jours: ce que croyions: mais ilz furent deux mois sans retourner. Au moyen dequoy eumes suspection qu'ilz ne se fussent allé amasser grand nombre de gens pour nous faire déplaisir, par ce qu'ilz nous voyoient si affoiblis. Nonobstant qu'avions mis si bon ordre en nôtre fait, que si toute la puissance de leur terre y eût été, ilz n'eussent sçeu faire autre chose que nous regarder. Et pendant le temps qu'ils étoient dehors venoient tous les jours force gens à noz navires, comme ils avoient de coutume, nous apportans de la chair fréche de cerfs, daims, & poissons fraiz de toutes sortes qu'ils nous vendoient assez cher, ou mieux l'aimoient remporter, parce qu'ils avoient necessité de vivres pour lors, à cause de l'hiver qui avoit été long, & qu'ilz avoient mangé leurs vivres & étouremens.

Et le vint-uniéme jour du mois d'Avril Domagaya vint à bord de noz navires accompagné de plusieurs gens, léquels étoient beaux & puissans, & n'avions accoutumé de les voir, qui nous dirent que le seigneur Donnacona seroit le lendemain venu, & qu'il apporteroit force chair de cerf, & autre venaison. Et le lendemain arriva ledit Donnacona, lequel amena en sa compagnie grand nombre de gens audit Stadaconé. Ne sçavions à quelle occasion, ni pourquoy. Mais comme on dit en un proverbe, qui de tout se garde & d'aucuns échappe. Ce que nous étoit de nécessité: car nous étions si affoiblis, tant de maladies, que de noz gens morts, qu'il nous fallut laisser un de noz navires audit lieu de Sainte-Croix.

Le Capitaine étant averti de leur venue, & qu'ils avoient ramené tant de peuple, & aussi que Domagaya le vint dire audit Capitaine, sans vouloir passer la riviere qui étoit entre nous & ledit Stadaconé, ains fit difficulté de passer. Ce que n'avoit accoutumé de faire, au moyen dequoy eumes suspection de trahison. Voyant ce ledit Capitaine envoia son serviteur nommé Charles Guyot, lequel étoit plus que nul autre aimé du peuple de tout le païs, pour voir qui étoit audit lieu, & ce qu'ilz faisoient, ledit serviteur feignant étre allé voir ledit seigneur Donnacona, par ce qu'il avoit demeuré long tans avec lui, lequel lui porta aucun present. Et lors que ledit Donnacona fut averti de sa venue, fit le malade, & se coucha, disant audit serviteur qu'il étoit fort malade, apres alla ledit serviteur en la maison de Taiguragni pour le voir, où partout il trouva les maisons si pleines de gens qu'on ne se pouvoit tourner, léquels on n'avoit accoutumé de voir: & ne voulut permettre ledit Taiguragni que le serviteur allât és autres maisons, ains le convoya vers les navires environ la moitié du chemin: & lui dit que si le Capitaine lui vouloit faire plaisir de prendre un seigneur du païs nommé Agona, lequel lui avoit fait déplaisir, & l'emmener en France, il feroit tout ce que voudroit ledit Capitaine, & qu'il retournât le lendemain dire la réponse.

Quand le Capitaine fut averti du grand nombre de gens qui étoient audit Stadaconé, ne sçachant à quelle fin, se delibera leur jouer une finesse, & prendre leur Seigneur, avec Taiguragni, Domagaya, & des principaux: & aussi qu'il étoit bien deliberé de mener ledit Seigneur Donnacona en France, pour conter & dire au Roy ce qu'il avoit veu és païs Occidentaux des merveilles du monde. Car il nous a certifié avoir été à la terre du Saguenay, où y a infini Or, Rubis, & autres richesses: & y sont les hommes blancs comme en France, & accoutrez de draps de laine. Plus dit avoir veu autre païs où les gens ne mangent point, & n'ont point de fondement, & ne digerent point, ains font seulement eau par la verge:

Plus dit avoir été en autre païs de Pecqueniaus, & autres païs où les gens n'ont qu'une jambe & autres merveilles longues à raconter. Ledit Seigneur est homme ancien, & ne cessa jamais d'aller par païs depuis sa conoissance, tant par fleuves, rivieres que par terre.

Apres que ledit serviteur eut fait son message, & dit à son maitre ce que ledit Taiguragni lui mandoit, renvoya le Capitaine son dit serviteur le lendemain dire audit Taiguragni qu'il le vint voir, & lui dire ce qu'il voudroit, & qu'il lui feroit bonne chere, & partie de son vouloir. Ledit Taiguragni lui manda qu'il viendroit le lendemain, & qu'il meneroit Donnacona, & ledit homme qui lui avoit fait déplaisir. Ce que ne fit; ains fut deux jours sans venir, pendant lequel temps ne vint personne és navires dudit Stadaconé, comme avoient de coutume, mais nous fuioient comme si les eussions voulu tuer. Lors apperceumes leur mauvaitié. Et pour ce qu'ilz furent avertis que ceux de Stadim alloient & venoient entour nous, & que leur avions abandonné le fond du navire que laissions pour avoir les vieux cloux, vindrent tous le tiers jour dudit Stadaconé de l'autre bord de la riviere, & passerent la plus grande partie d'eux en petits bateaux sans difficulté. Mais ledit Donnacona n'y voulut passer; & furent Taiguragni & Domagaya plus d'une heure à parlementer ensemble avant que vouloir passer: mais en fin passerent & vindrent parler audit Capitaine. Et pria ledit Taiguragni le Capitaine vouloir prendre & emmener ledit homme en France. Ce que refusa ledit Capitaine, disant que le Roy son maitre lui avoit defendu de non amener homme ni femme en France, mais bien deux ou trois petits garçons, pour apprendre le langage. Mais que volontiers l'emmeneroit en Terre-neuve, & qu'il le mettroit en une ile. Ces paroles disoit le Capitaine pour les asseurer, & à celle fin d'amener ledit Donnacona, lequel étoit demeuré de-là l'eau. Déquelles paroles fut fort joyeux ledit Taiguragni, & promit audit Capitaine de retourner le lendemain, qui étoit le jour de Sainte-Croix, & amener ledit seigneur Donnacona, & tout le peuple audit Stadaconé.




Croix plantée par les François: Capture des principaux Sauvages, pour les amener en France, & faire recit au Roy des merveilles du Saguenay: Lamentations des Sauvages: Presens reciproque du Capitaine Quartier, & d'iceux Sauvages.

CHAP. XXVI

E troisiéme jour de May jour & féte sainte Croix, pour la solemnité & féte le Capitaine fit planter une belle Croix de la hauteur d'environ trente cinq piez de longueur, souz le croizillon de laquelle y avoit un écusson en bosse des armes de France: & sur iceluy étoit écrit en lettres Attiques FRANCISCUS PRIMUS DEI GRATIA FRANCORUM REX REGNAT. Et celui jour environ midi vindrent plusieurs gens de Stadaconé tant hommes, femmes, qu'enfans qui nous dirent que leur Seigneur Donnacona, Taiguragni, Domagaya, & autres qui étoient en sa compagnie, venoient; dequoy fumes joyeux, esperans nous en saisir, léquels vindrent environ deux heures apres midi. Et lors qu'ilz furent arrivez devant noz navires nôtre Capitaine alla saluer le Seigneur Donnacona, lequel pareillement lui fit grand'chere, mais toutefois avoit l'oeil au bois & une crainte merveilleuse. Tôt-apres arriva Taiguragni, lequel dit audit seigneur Donnacona qu'il n'entrât point dedans le Fort. Et lors fut par l'un de leurs gens apporté du feu hors dudit Fort, & allumé pour ledit seigneur. Nôtre Capitaine le pria de venir boire & manger dedans les navires, comme avoit de coutume, & semblablement ledit Taiguragni, lequel dit que tantôt ils iroient. Ce qu'ilz firent, & entrerent dedans ledit Fort. Mais auparavant avoit été nôtre capitaine averti par Domagaya que ledit Taiguragni avoit mal parlé, & qu'il avoit dit au seigneur Donnacona qu'il n'entrât point dedans les navires. Et nôtre Capitaine voyant ce sortit hors du parc, où il étoit, & vit que les femmes s'enfuioient par l'avertissement dudit Taiguragni, & qu'il ne demeuroit que les hommes léquels étoient en grand nombre. Et commanda le Capitaine à ses gens prendre ledit seigneur Donnacona, Taiguragni, Domagaya, & deux autres des principaux qu'il montra: puis qu'on fit retirer les autres. Tôt-aprés ledit Seigneur entra dedans avec ledit Capitaine. Mais tout soudain ledit Taiguragni vint pour le faire sortir. Nôtre Capitaine voyant qu'il n'y avoit autre ordre se print à cirer qu'on les print. Auquel cri sortirent les gens dudit Capitaine, léquels prindrent ledit seigneur, & ceux qu'on avoit déliberé prendre. Lédits Canadiens voyans ladite prise, commencerent à fuir & courir comme brebis devant le loup, les uns le travers la riviere, les autres parmi les bois, cherchant chacun son avantage. Ladite prise ainsi faite des dessusdits, & que les autres se furent tous retirez, furent mis en seure garde ledit seigneur, & ses compagnons.

La nuit venue vindrent devant noz navires (la riviere entre-deux) grand nombre de peuple dudit Donnacona huchans, & hurlans toute la nuit comme loups, crians sans cesse Agohanna, Agohanna, pensans parler à lui. Ce que ne permit ledit Capitaine pour l'heure, ni le matin jusques environ midi. Parquoy nous faisoient signe que les avions tué & pendu. Et environ l'heure de midi retournerent de rechef, & aussi grand nombre qu'avions veu de nôtre voyage pour un coup, eux tenans cachez dedans le bois, fors aucuns d'eux qui crioient & appelloient à haute voix ledit Donnacona. Et lors commanda le Capitaine faire monter ledit Donnacona haut pour parler à eux. Et lui dit ledit Capitaine qu'il fit bonne chere, & qu'apres avoir parlé au Roy de France son maitre, & conté ce qu'il avoit veu au Saguenay, & autres lieux, il reviendroit dans dix ou douze lunes, & que le Roy lui feroit un grand present. Dequoy fut fort joyeux ledit Donnacona, lequel le dit es autres en parlant à eux, léquels en firent trois merveilleux cris en signe de joye. Et à l'heure firent lédits peuples & Donnacona entre eux plusieurs predications & ceremonies, léquelles il n'est possible d'écrire par faute de l'entendre. Nôtre Capitaine dit audit Donnacona qu'ilz vinssent seurement de l'autre bord pour mieux parler ensemble, & qu'il les asseuroit. Ce que leur dit ledit Donnacona. Et sur ce vindrent une barque des principaux à bord dédits navires, léquels de rechef commencerent à faire plusieurs prechemens en donnant louange à notre Capitaine, & lui firent presens de vint-quatre colliers d'Esurgni, qui est la plus grande richesse qu'ils ayent en ce monde. Car ils l'estiment mieux qu'or ni argent.

Apres qu'ils eurent assez parlementé, & devisé les uns avec les autres, & qu'il n'y avoit remede audit seigneur d'échapper, & qu'il falloit qu'il vint en France, il leur commanda qu'on lui apportât vivres pour manger par la mer, & qu'on les lui apportât le lendemain. Nôtre Capitaine fit present audit Donnacona de deux pailles d'airain, & de huit hachots, & autres menues besongnes, comme couteaux & patenotres: dequoy fut fort joyeux, & son semblant, & les envoya à ses femmes & enfans. Pareillement donna ledit Capitaine à ceux qui étoient venus parler audit Donnacona aucuns petits presens, déquelz remercierent fort ledit Capitaine A tant se retirerent, & s'en allerent à leurs logis.

Le lendemain cinquiéme jour dudit mois au plus patin ledit peuple retourna en grand nombre pour parler à leur seigneur, & envoyerent une barque qu'ils appellent Casurni, en laquelle étoient quatre femmes, sans y avoir aucuns hommes, pour le doute qu'ils avoient qu'on ne les retint, léquelles apporterent force vivres sçavoir gros mil, qui est blé duquel ils vivent, chair, poisson, & autres provisions à leur mode: équelles apres étre arrivées és navires fit le Capitaine bon recueil. Et pria Donnacona le Capitaine qui leur dit que dedans douze lunes il retourneroit, & qu'il ameneroit ledit Donnacona à Canada: & ce disoit pour les contenter. Ce que fit ledit Capitaine: dont lédites femmes firent un grand semblant de joye, & montrans par figures & paroles audit Capitaine que mais qu'il retournât & amenât ledit Donnacona, & autres, ilz lui feroient plusieurs presens. Et lors chacune d'elles donna audit Capitaine un collier d'Esurgni, puis s'en allerent de l'autre bord de la riviere, où étoit tout le peuple dudit Stadaconé: puis se retirerent, & prindrent congé dudit seigneur Donnacona.




Retour du Capitaine Jacques Quartier en France: Rencontre de certains Sauvages qui avoient des couteaux de cuivre: Presens reciproques entre lédits Sauvages & ledit Capitaine: Descriptions des lieux où la route s'est addressée.

CHAP. XXVII

E Samedy sixieme jour de May nous appareillames du havre Sainte-Croix, & vimmes poser au bas de l'ile d'Orleans environ douze lieuës dudit Sainte-Croix. Et le Dimanche vimmes à l'ile és Coudres, où avons été jusques au Lundi seiziéme jour dudit mois laissans amortir les eaux, léquelles étoient trop courantes & dangereuses pour avaller ledit fleuve. Pendant lequel temps vindrent plusieurs barques des peuples sujets de Donnacona, léquels venoient de la riviere de Saguenay. Et lors que par Domagaya furent avertis de la prinse d'eux, & la façon & maniere, comme on menoit ledit Donnacona en France, furent bien étonnez. Mais ne laisserent à venir le long des navires parler audit Donnacona, qui leur dit que dans douze lunes il retourneroit, & qu'il avoit bon traitement avec le Capitaine & compagnons. Dequoy tous à une voix remercierent ledit Capitaine, & donnerent audit Donnacona trois pacquets de peaux de Biévres,& loups marins, avec un grand couteau de cuivre rouge, qui vient dudit Saguenay, & autres choses. Ilz donnerent aussi au Capitaine un collier d'Esurgni. Pour léquels presens leur fit le Capitaine donner dix ou douze hachotz, déquels furent fort contens & joyeux, remercians ledit Capitaine: puis s'en retournerent.

Le passage est plus seur & meilleur entre le Nort & ladite ile, que vers le Su, pour le grand nombre de basses, bancs, & rochers qui y sont, & aussi qu'il y a petit fond.

Le lendemain seziéme de May nous appareillames de ladite Ile és Coudres, & vimmes poser à une ile qui est à environ quinze lieuës d'icelle Ile és Coudres, laquelle est grande d'environ cinq lieuës de long: & là posames celui jour pour passer la nuit esperans le lendemain passer les dangers du Saguenay, léquels sont fort grans. Le soir fumes à ladite ile, où trouvames grand nombre de lièvres, déquels nous eumes quantité. Et pource la nommames l'ile és liévres. Et la nuict le vent vint contraire, & en tourmente, tellement qu'il nous fallut relacher à l'ile és Coudres d'où nous étions partis, par-ce qu'il n'y a autre passage entre lédites iles, & y fumes jusques au... jour dudit mois, que le vent vint bon, & tant fimes par nos journées que nous passames jusques à Hongnedo, entre l'ile de l'Assumption & ledit Hongnedo: lequel passage n'avoit pardevant été découvert: & fimes courir jusques le travers du Cap de prato, qui est le commencement de la Baye de Chaleur. Et parce que le vent étoit convenable & bon à plaisir, fimes poser le jour & la nuit. Et le lendemain vimmes querir au corps l'ile de Brion, ce que voulions faire pour la barge de nôtre chemin, gisantes les deux terres Suest & Noroest un quart de l'Est & de l'ouest: & y a entre eux cinquante lieuës. Ladite ile est en quarante sept degrez & demi de latitude.

Le Jeudy vint-cinquiéme jour dudit mois jour & féte de l'ascension nôtre Seigneur, nous trouvames à une terre & sillon de basses araines, qui demeurent au Suroest de ladite ile de Brion environ huit lieuës, par sus léquelles y a de grosses terres pleines d'arbres, & y a une mer enclose, dont n'avions veu aucune entrée ni ouverture par où entre icelle mer.

Et le Vendredi vint-sixiéme, parce que le vent changeoit à la côte, retournames à ladite ile de Brion, où fumes jusques au premier jour de Juin, & vimmes querir une terre haute qui demeure au Suest de ladite ile, qui nous apparoissoit étre une ile, & là rangeames environ vint-deux lieuës & demie, faisans lequel chemin eumes conoissance de trois autres iles qui demeuroient vers les araines: & pareillement lédites araines étre ile; & ladite terre, qui est terre haute & unie étre terre certaine se rabattant au Noroest. Apres léquelles choses conues retournames au cap de ladite terre qui se fait à deux ou trois caps hauts à merveilles, & grand profond. L'eau, & la marée si courante qu'il n'est possible Nous nommames celui cap Le cap de Lorraine, qui est en quarante-six degrez & demi: au Su duquel cap y a une basse terre, & semblant d'entrée de riviere: mais il n'y a hable qui vaille, parsus léquelles vers le Su demeure un cap que nous nommames Le Cap sainct Paul, qui est au quarante-sept degrez un quart.

Le Dimanche troisiéme jour dudit mois jour & féte de la Pentecôte eumes conoissance de la côte d'Est-suest de Terre-neuve, étant à environ vint-deux lieuës dudit cap. Et pource que le vent étoit contraire, fumes à un hable que nous nommames Le hable du sainct Esprit, jusques au Mardi qu'appareillames dudit hable & reconumes ladite côte jusques aux iles de sainct Pierre. Lequel chemin faisans tournames le long de ladite côte plusieurs iles & basses fort dangereuses étans en la route d'Est-Suest, & Oest-Norest à deux, trois, & quatre lieuës à la mer. Nous fumes audites iles sainct Pierre, & trouvames plusieurs navires tant de France que de Bretagne.

Depuis le jour sainct Barnabé unziéme de Juin jusques au seziéme dudit mois qu'appareillames dédites Iles sainct Pierre, & vimmes au Cap de Raz., & entrames dedans un hable nommé Rongnousi, où primmes eau & bois pour traverser la mer, & là laissames une de noz barques: & appareillames dudit hable le Lundi dix-neufiéme jour dudit mois: & avec bon temps avons navigé par la mer: tellement que le seziéme jour de Juillet sommes arrivés au hable de Saint Malo, la grace au Createur: le priant, faisant fin à nôtre navigation, nous donner sa grace, & Paradis à la fin. Amen.




Rencontre des Montagnais (Sauvages de Tadoussac) & Iroquois: Privilege de celui qui est blessé à la guerre: Ceremonies des Sauvages devant qu'aller à la guerre: Contes fabuleux de la monstruosité des Armouchiquois: & de la Mine reluisante au Soleil: & du Gougou: Arrivée au Havre de Grace.

CHAP. XXVIII

YANS r'amené le Capitaine Jacques Quartier en France, il nous faut retourner querir Samuel Champlein, lequel nous avons laissé à Tadoussac, à fin qu'il nous dise quelque nouvelles de ce qu'il aura veu & ouï parmi les Sauvages depuis que nous l'avons quitté Et afin qu'il ait un plus beau champ pour rejouir ses auditeurs, je voy le sieur Prevert de Sainct Malo qui l'attend à l'ile Percée en intention de lui en bailler d'une: & s'il ne se contente de cela, lui bailler encore avec la fable des Armouchiquois la plaisante histoire du Gougou qui fait peur aux petits enfans, afin que par apres l'Historiographe Cayet soit aussi de la partie en prenant cette monnoye pour bon aloy. Voici donc ce que ledit Champlein en rapporte en la conclusion de son voyage.

Etans arrivés à Tadoussac nous trouvames les Sauvages que nous avions rencontrez en la riviere des Iroquois, qui avoient fait rencontre au premier lac de trois canots Iroquois, léquels ilz attirent & apporterent les tétes des Iroquois à Tadoussac, & n'y eut qu'un Montagnais blessé au bras d'un coup de fléche, lequel songeant quelque chose, il falloit que tous les dix autres le missent en execution pour le rendre content, croyant aussi que sa playe s'en doit mieux porter. Ce cedit Sauvage meurt, ses parens vengeront sa mort, soit sur leur nation ou sur d'autres, ou bien il faut que les Capitaines facent des presens aux parens du defunct, afin qu'ilz soient contens, ou autrement, (comme j'ay dit) ils useroient de vengeance: qui est une grande méchanceté entr'eux. Premier que lédits Montagnais partissent pour aller à la guerre, ilz s'assmblerent tous avec leurs plus riches habits de fourrures, castors, & autres peaux, parez de patenôtres & cordons de diverses couleurs, & s'assemblerent dedans une grande place publique, où il y avoit au devant d'eux un Sagamo qui s'appelloit Begourat qui les menoit à la guerre, & étoit les uns derriere les autres, avec leurs arcs & fleches, massues, & rondelles, dequoy ils se parent pour se battre: & alloient sautans les uns apres les autres, en faisans plusieurs gestes de leurs corps, ilz faisoient maints tours de limaçon: apres ilz commencerent à danser à la façon accoutumée, comme j'ay dit ci-dessus, puis ilz firent leur Tabagie, & aprés l'avoir fait, les femme se despouillerent toutes nues, parées de leurs plus beaux Matachiaz, & se mirent dedans leurs canots ainsi nues &n dansant, & puis elles se vindrent mettre à l'eau en se battans à coups de leurs avirons, se jettans quantité d'eau les unes sur les autres: toutefois elles ne se faisoient point de mal, car elles se paroient es coups qu'elles s'entreruoient. Aprés avoir fait toutes ces ceremonies elle se retirerent en leurs cabanes, & les Sauvages s'en allerent à la guerre contre les Iroquois. Le seziéme jour d'Aoust nous partimes de Tadoussac, & le dix-huictiéme dudit mois arrivames à l'ile percée, où trouvames le sieur Prevert de Sainct Malo, qui venoit de la mine où il avoit été avec beaucoup de peine pour la crainte que les Sauvages avoient de faire rencontre de leurs ennemis, qui sont les Armouchiquois, léquels sont hommes sauvages du tout monstrueux, pour la forme qu'ils ont: car leur téte est petite, & le corps court, les bras menus comme d'une eschelet, & les cuisses semblablement: les jambes grosses & longues, qui sont toutes d'une venue, & quant ilz sont assis sur leurs talons, les genoux leur passent plus d'un demi pied par dessus la téte, que est chose étrange, & semblent estre hors de nature: Ilz sont neantmoins fort dispos, & determinez: & sont aux meilleures terres de toute la côte de la Cadie. Aussi les Souriquois les craignent fort. Mais avec l'asseurance que ledit sieur de Prevert leur donna, il les mena jusques à ladite mine, où les Sauvages le guiderent. C'est une fort haute montagne, avançant quelque peur sur la mer, qui est fort reluisante au Soleil, où il y a quantité de verd de gris qui procede de ladite mine de cuivre. Au pié de ladite montagne, il dit que de basse mer y avoit en quantité de morceaux de cuivre, comme il nous a été montré, lequel tombe du haut de la montagne. Cedit lieu où est la mine git par les quarante-cinq degrez & quelques minutes.

Il y a encore une chose étrange digne de reciter que plusieurs Sauvages m'ont asseuré étre vraye; C'est que proche de la baye de Chaleur tirant au Su, est une ile, où fait residence un monstre épouventable, que les Sauvages appellent Gougou, & m'ont dit qu'il avoit la forme d'une femme; mais fort effroyable, & d'une telle grandeur, qu'ilz me disoient que le bout des mats de nôtre vaisseau ne lui fût pas venu jusques à la ceinture, tant ilz le peignent grand: & que souvent il a devoré & devore beaucoup de Sauvages, léquels il met dedans une grande poche quand il les peut attrapper & puis les mange: & disoient ceux qui avoient évité le peril de cette mal-heureuse béte, que sa poche étoit si grande, qu'il y eût peu mettre nôtre vaisseau. Ce monstre fait des bruits horribles dedans cette ile, que les Sauvages appellent Gougou: & quand ilz en parlent, ce n'est qu'avec une peur si étrange qu'il ne se peut dire de plus, & mont asseuré plusieurs l'avoir veu: Méme ledit Prevert de Saint-Malo en allant à la découverture des mines, m'a dit avoir passé si proche de la demeure de cette effroyable béte, que lui & tous ceux de son vaisseau entendoient des sifflemens étranges du bruit qu'elle faisoit: & que les Sauvages qu'il avoit avec lui, lui dirent, que c'étoit la méme béte, & avoient une telle peur, qu'ilz se cachoient de toutes parts, craignans qu'elle fût venue ce qu'ilz disent, c'est que tous les Sauvage en general la craignent, & en parlent si étrangement, que si je mettois tout ce qu'ilz en disent, l'on le tiendroit pour fables: mais je tiens que ce soit la residence de quelque diable Qui les tourmente de la façon. Voilà ce que j'ay apprins de ce Gougou.

Le vint-quatriéme jour d'Aoust, nous partimes de Gachepé. Le deuxiéme jour de Septembre, nous faisions état d'étre aussi avant que le Cap de Razé. Le cinquiéme jour dudit mois nous entrames sur le Banc où se fait la pécherie du poisson. Le seziéme dudit mois nous étions é la sonde, qui peut étre à quelques cinquante lieuës d'Ouessant. Le vintiéme dudit mois nous arrivames par la grace de Dieu avec contentement d'un chacun, & toujours le vent favorable, au port du Havre de Grace.




Discours sur le Chapitre precedent: Credulité legere: Armouchiquois quels: Sauvages toujours en crainte: Causes des terreurs Paniques, faulses visions, & imagination:: Gougou proprement que c'est: Autheur d'icelui: Mine de cuivre: Hanno Carthaginois: Censures sur certains autheurs qui ont écrit de la Nouvelle-France. Conseil pour l'instruction des Sauvages.

CHAP. XXIX

R pour revenir aux Armouchiquois, & à la male-béte du Gougou, il est arrivé en cet endroit à Champlein ce qu'écrit Pline de Cornelius Nepos, léquel dit avoir creu tres-avidement (c'est à dire comme s'y portant de soy-méme) les prodigieux mensonges des Grecs, quand il a parlé de la ville de Larah (Lissa) laquelle (souz la foy & parole d'autrui) il a écrit étre forte, & beaucoup plus grande que la grande Carthage, & autres choses de méme étoffe. Ainsi ledit Champlein s'étant fié au recit du sieur Prevert de Saint-Malo, qui se donnoit carriere, a écrit ce que nous venons de rapporter touchant les Armouchiquois, & le Gougou, comme semblablement ce qui est de la lueur de la mine de cuivre. Toutes léquelles choses iceluy Champlein a depuis reconu étre fabuleuses. Car quant aux Armouchiquois ils sont aussi beaux-hommes (souz ce mot je comprens aussi les femmes) que nous, bien composés & dispos; comme verrons ci-apres. Et pour le regard du Gougou, je laisse à penser à chacun quelle apparence il y a, encores que quelques Sauvages en parlent, & en ayent de l'apprehension, mais c'est à la façon qu'entre nous plusieurs esprits foibles craignent le Moine bouru de Paris. Et d'ailleurs ces peuples qui vivent en perpetuelle guerre, & ne sont jamais en asseurance (portans avec eux cette malediction pour-ce qu'ilz sont delaissez de Dieu) ont souvent des songes & vaines persuasions que l'ennemi est à leur porte, & ce qui les rend ainsi pleins d'apprehensions, est parce qu'ilz n'ont point de villes fermées au moyen dequoy ilz se trouvent quelquefois & le plus souvent surpris & deffaits: ce qu'étant ne se faut émerveiller s'ils ont aucunefois des terreurs Paniques & des imaginations semblables à celles des hypochondriaques, leur étant avis qu'ilz voyent & oyent des choses qui ne sont point: hommes bien resolus, & qui le cas avenant fussent allez courageusement à une breche, neantmoins par vue je ne sçay quelle maladie d'esprit, bien beuvans & bien mangeans, étoient tourmentez de l'apprehension continuelle qu'ils avoient qu'un mauvais demon les suivoit incessamment, les frappoit & se reposoit sur eux. Ainsi en voyons-nous qui s'imaginent étre des loups-garous. Ainsi plusieurs graus & petis ont peur des esprits (quand ilz sont seulets) au mouvement d'une souris. Ainsi les malades ayans l'imagination troublée disent quelquefois qu'ils voyent tantôt une vierge Marie, tantôt un diable, & autres fantasies qui leur viennent au devant: ceci causé par le defaut de nourriture, ce qui fait que le cerveau se remplit de vapeurs melancholiques, qui apportent ces imaginations. Et ne sçay si je doy point mettre en ce rang plusieurs anciens que par les longs jeûnes (que saint Basile n'approuve point) avoient des visions qu'ils nous ont données pour chose certaine, & y en a des livres pleins. Mais telle chose peut aussi arriver à ceux qui sont sains de corps, comme nous avons dit. Et les causes en sont partie exterieures, partie interieures. Les extérieures sont les facheries & ennuis; les interieures sont l'usage des viandes melancholiques & corrompues, d'où s'élevent des vapeurs malignes & pernicieuses au cerveau, qui pervertissent les sens, troublent la memoire, & égarent l'entendement. Item ces causes interieures proviennent d'un sang melancholic & brulé, contenu dans un cerveau trop chaud, ou dispersé par toutes les veines, & toute l'habitude du corps, ou qui abonde dans les hippochondres, dans la rate, & mesantere: d'où sont suscitées des fumées & noires exhalaisons, qui rendent le cerveau obscur, tenebreux, offusqué, & le noircissent & couvrent ni plus ni moins que les tenebres font la face du ciel: d'où s'ensuit immediatement que ces noires fumées ne peuvent apporter aux hommes qui en sont couverts, que frayeurs & craintes. Or selon la diversité de ces exhalaisons provenantes d'une diversité & varieté de sang, duquel sont produites ces fumées & suyes, il y a diverses sortes d'apprehensions & melancholies qui attaquent diversement, & depravent sur tout les functions de la faculté imaginatrice. Car comme la varieté du sang diversifie l'entendement, ainsi l'action de l'ame changée, change les humeurs du corps.

De cette mutation & depravation d'humeurs, mémement aux temperamens melancholiques surviennent des bigearres & étranges imaginations causées par ces fumées ou suyes noires engeance de cette humeur melancholique.

Telle est la nature & l'humeur de quelques Sauvages, de qui toute la vie souillé de meurtres qu'ilz commettent les uns sur les autres, & particulierement sur leurs ennemis, ils ont des apprehensions grandes, & s'imaginent un Gougou, qui est le bourreau de leurs consciences: ainsi que Cain aprés l'assassinat de son frere Abel avoit l'ire de Dieu qui le talonnoit, & n'avoit en nulle part asseurance, pensant toujours avoir ce Gougou devant les ïeux: de sorte qu'il fut le premier qui domta le cheval pour prendre la fuite: & qui se renferma de murailles dans la ville qu'il bâtit: Et encores ainsi qu'Orestes, lequel on dit avoir été agité des furies pour le parricide par lui commis en la personne de sa mere. Et n'est pas incroyable que le diable possedant ces peuples ne leur donne beaucoup d'illusions. Mais proprement, & à dire la verité, ce qui a fortifié l'opinion du Gougou a été le rapport dudit Prevert, lequel contoit un jour au sieur de Poutrincourt une fable de méme aloy, disant qu'il avoit veu un Sauvage jouer à la croce contre un diable, & qu'il voyoit bien la croce du diable jouer, mais quant à Monsieur le Diable il ne le voyoit point. Le sieur de Poutrincourt qui prenoit plaisir à l'entendre, faisoit semblant de le croire pour lui en faire dire d'autres.

Et quant à la mine de cuivre reluisante au Soleil, il s'en faut beaucoup qu'elle soit comme l'Emeraude de Makhé; de laquelle nous avons parlé au discours du second voyage fait au Bresil. Car on n'y voit que de la roche, au bas de laquelle se trouve des morceaux de franc cuivre, tels que nous avons rapporté en France: & parmi ladite roche y a quelquefois du cuivre, mais il n'est pas si luisant qu'il éblouisse les ïeux.

Or si ledit Champlein a été credule, un sçavant personnage que j'honore beaucoup pour sa grande literature, est encore en plus grande faute, ayant mis en sa Chronologie septenaire de l'histoire de la paix imprimée l'an mille six cens cinq, tout le discours dudit Champlein, sans nommer son autheur, & ayant baillé les fables des Armouchiquois & du Gougou pour Bonne monnoye. Je croy que si le conte du diable houant à la croce eût aussi été imprimé il l'eût creu, & mis par éscrit, comme le reste.

Pline recite que Hanno Capitaine Carthaginois ayant eu la commission de découvrir toute l'Affrique, & le circuit d'icelle, avoit laissé des amples commentaires de ses voyages, mais ils étoient trop amples, car ilz contenoient plus que la verité: & étoient vrayement commentaires. Plusieurs Grecs & Latins l'ayans suivi, & s'asseurans sur iceux, en ont fait à-croire à beaucoup de gens par aprés, ce dit l'autheur. Il faut croire, mais non pas toutes choses. Et faut considerer premierement si cela est vray-semblable, ou non. Du moins quand on a cotté son autheur on est hors de reproche.

Il y en a qui sont touchez de cette maladie (& peut étre moi-méme en cet endroit que n'ay eut le loisir de relire ce que j'écris) que le Poëte Juvenal appelle Insanabile scribendis cacoethes, léquels écrivent beaucoup sans rien digerer; dequoy j'accuserois ici aucunement le sieur de Belle-foret, n'étoit la reverence que je porte à Sa memoire. Car ayans eu des avis du Capitaine Jacques Quartier, & paraventure exrait par lambeaux, ceux que j'ay rapporté ci dessus, il n'a pas quelquefois bien pris les choses, étant precipité d'écrire: comme quand au premier dédits voyages il dit que les iles de la Terre-neuve sont separées par petits fleuves: Que la riviere des Barques est par les cinquante degrez de latitude: Quand il appelle Labrador le païs de la Baye de Chaleur, laquelle il a premierement mise ne la terre de Norumbega, & là où il dit qu'il fait plus chaud qu'en Hespagne, & toutefois on sçait que Labrador est par les soixante degrez. Item quand en la relation du second voyage dudit Quartier, il dit par conjecture que les Canadiens sacrifient des hommes, parce qu'icelui Quartier allant voir un Capitaine sauvage (Que Belle-foret appelle Roy) il vit des tétes de ses ennemis étendues sur du bois comme des peaux de parchemin. Item que les Canadiens (qui ont quantité de vignes, & au païs déquels est assise l'ile d'Orleans, autrement dite de Bacchus) sont à l'egal du païs du Dannemark & Norvege: Que le petun duquel ils usent ordinairement tient du poivre & gingembre, & n'est point petun: Qu'ilz mangent leur viandes cruës. Et là dessus je diray, qu'ores qu'ilz le fissent (ce qui peur arriver quelque-fois) ce n'est chose éloignée de nous car j'ay veu maintes fois noz matelots prendre une moruë seche, & mordre dedans de bon appetit. Item quant il met en une ile le village Stadaconé, où il dit qu'est la maison Royale (notez que ce n'étoient que cabannes couvertes d'écorce) du seigneur Canadien: Item quant il met la terre de Bacalos (c'est à dire Moruës) vis-à-vis de saincte Croix, où hiverna Jacques Quartier & Labrador au Nort de la grande riviere; lequel païs auparavant il avoit aussi au Su d'icelle: Item; quand il dit que la riviere de Saguenay fait des iles où il y a quantité de vignes: ce que son autheur n'a point dit. Item que les Sauvages de la riviere Saguenay s'approcherent familierement des François, & leur montrerent le chemin à Hochelaga; Item que les Canadiens estimaient les François fils du Soleil: Item est plaisant quand au village de Hochelaga il figure cinquante Palais; outre la maison Royale, avec trois étages. Item que les Chrétiens appellerent la ville de Hochelaga Mont-Royal: Item que le village Hochelaga est à la pointe & embouchure de la riviere de Saguenay: par les degrez de cinquante-cinq à soixante: Item quand il dit que les Sauvages adorent un Dieu qu'ils appellent Cudouagni: car de verité ilz ne font aucune adoration: Item quand il represente que dix hommes apporterent par honneur le Roy de Hochelaga dans une peau devant le Capitaine François, sans dire qu'il étoit paralytique. Item qu'il se faisoit entendre par truchement & Jacques Quartier dit le contraire: c'est à dire qu'à faute de truchement il ne pouvoit entendre ceux de Hochelaga. Item que le Roy de Hochelaga pria ledit Capitaine de lui bailler secours contre ses ennemis, &c.

Or quand je considere ces precipitations étre arrivées à un personnage tel que ledit Belle-foret homme de grand jugement, je ne m'étonne pas s'il y en quelquefois és anciens autheurs, & s'il s'y trouve des choses déquelles on n'a encore eu nulle experience. Il me semble qu'on se doit contenter de faillir apres les autheurs originaires, léquels on est contraint de suivre, sans extravaguer à des choses qui ne sont point, & sortir hors les limites de ce qu'iceux autheurs ont écrit: principalement quand cela est sans dessein, & ne revient à aucune utilité.

Quelqu'un pourroit accuser le Capitaine Quartier d'avoir fait des contes à plaisir, quand il dit que tous les navires de France pourroient se charger d'oyseaux en l'ile qu'il a nommée Des oyseaux: & de verité je croy que cela est un peu hyperbolique. Mais il est certain qu'en cette ile il y en a tant que c'est chose incroyable. Nous en avons veu de semblables en notre voyage où il ne falloit qu'assommer, recuillir, & charger notre vaisseau. Item quand il a raconté avoué avoir poursuivi une béte à deux piez, & qu'és païs du Saguenay il y a des hommes accoutrez de draps de laine comme nous, d'autres qui ne mangent point, & n'ont point de fondement; d'autres qui n'ont qu'une jambe: Item qu'il y a pardela un païs de Pygmées, & une mer douce. Quant à la béte à deux pieds je ne sçay que j'en doy croire, car il y a des merveilles plus étranges en la Nature que cela: puis ces terres là ne sont si bien découvertes qu'on puisse sçavoir tout ce qui y est. Mais pour le reste il a son autheur qui lui en a fait le recit homme vieillart, lequel avoit couru des grandes contrées toute sa vie. Et cet autheur il l'amena par force au Roy pour lui faire recit de ces choses par sa propre bouche, afin qu'on y adjoutât telle foy qu'on voudroit. Quant à la mer douce c'est le grand lac qui est au bout de la grande riviere de Canada, duquel nul des Sauvages de deça n'a veu l'extremité Occidentale, & avons veu par le rapport fait audit Champlein qu'il a trente journées de long, qui sont trois cens lieuës à dix lieuës par jour. Cela peut bien étre appellé mer par ces peuples, prenant la mer pour une grande étendue d'eau. Pour le regard des Pygmées, je sçay par le rapport de plusieurs que les Sauvages de ladite grande riviere disent qu'és montagnes des Iroquois il y a des petits hommes fort vaillans, que les Sauvages plus Orientaux redoutent & ne leur osent faire la guerre. Quant aux hommes armez jusque au bout des doits, les mémes m'ont recité avoir veu des armures semblables à celles que décrit ledit Quartier, léquelles resistent aux coups de fleches. Tout ce que je doute en l'histoire des voyages d'icelui Quartier, est quand il parle de la Baye de Chaleur, & dit qu'y fait plus chaud qu'en Hespagne. A quoy je répons que comme une seule hirondele ne fait pas le Printemps: aussi que pour avoir fait chaud une fois en cette Baye, ce n'est pas coutume. Je doute aussi de ce que dit le méme Quartier qu'il y a des assemblées, & comme des colleges, où les filles sont prostituées, jusques à ce qu'elles soient mariées & que les femmes veuves ne se remarient point: ce que nous avons reservé à dire en son lieu. Mais pour retourner audit Champlein, je voudrois qu'avec le Gougou il n'eust point mis par écrit que les Sauvages de la Nouvelle-France pressez quelquefois de faim se mangent l'un l'autre: ni tant de discours de notre sainte Foy, léquels ne se peuvent exprimer en la langue de Sauvages, ni par truchement, ni autrement. Car ilz n'ont point de mots qui puissent representer les mysteres de notre Religion: & seroit impossible de traduire seulement l'Oraison Dominicale en leur langue, sinon, par periphrases. Car entre eux ilz ne sçavent que c'est de sanctification, de regne celeste, de pain super substantiel (que nous disons quotidien) ni d'induire en tentation. Les mots de gloire, vertu, raison beatitude, Trinité, Saint Esprit, Anges, Archanges, Resurrection Paradis, Enfer, Eglise, Baptéme, Foy, Esperance, Charité, & autres infinis ne sont point en usage chés eux. De sorte qu'il n'y sera pas besoin de grans Docteurs pour le commencement. Car par necessité il faudra qu'ils apprennent la langue des peuples qu'ils voudront conduire à la Foy Chrétienne: & à prier en nôtre langue vulgaire, sans leur penser imposer le dur fardeau des langues inconues. Ce qu'étant de coutume & de droit positif, & non d'aucune loy divine, ce sera de la prudence des Pasteurs de les enseigner utilement & non par fantasies; & chercher le chemin plus court pour parvenir à leur conversion. Dieu veuille en donner les moyens à ceux qui en ont la volonté.




Entreprise du Sieur de Roberval pour l'habitation de la terre de Canada, aux despens du Roy. Commission du Capitaine Jacques Quartier. Fin de ladite Entreprise.

CHAP. XXX

PRES la découverte de la grande riviere de Canada faite par le Capitaine Quartier en la maniere que nous avons recité ci-dessus, le Roy en l'an mille cinq cens quarante fit son Lieutenant general és terres neuves de Canada, Hochelaga, Saguenay, & autres circonvoisines messire Jean François de la Roque dit le Sieur de Roberval Gentil-homme du païs de Vimeu en Picardie, auquel il fit delivrer sa Commission le quinziéme de Janvier audit an, à l'effect d'aller habiter lédites terres, y batir des Forts, & conduire des familles. Et pour ce faire sa Majesté fit delivrer quarante cinq mille livres par les mains de Maitre Jean du Val Thresorier de son Epargne.

Jacques Quartier fut nommé par sadite Majesté Capitaine general & maitre Pilote sur tous les vaisseaux de mer qui seroient employés à cette entreprise, qui furent cinq en nombre du pois de quatre cens tonneaux de charge ainsi que je trouve par les compte rendu dédits deniers par ledit Quartier, qui m'a esté communiqué par le sieur Samuel Georges bourgeois de la Rochelle.

Or n'ayant peu jusques ici recouvrer ladite Commission de Roberval, je me contenteray de donner aux lecteurs celle qui peu aprés fut donnée audit Quartier, dont voici la teneur.

Commission pour le Capitaine Jacques Quartier sur le voyage & habitation des terres neuves de Canada Hochelaga &c.

F
rançois par la grace de Dieu Roy de France, A tous ceux qui ces presentes lettres verront, Salut. Comme pour le desir d'entendre & avoir conoissance de plusieurs païs qu'on dit inhabités, & autres étre possedez par gens Sauvages sans conoissance de Dieu, & sans usage de raison, eussions dés peiça, à grans frais & mises envoyé découvrir esditz païs par plusieurs bons pilotes; & autres noz sujetz de bon entendement, sçavoir, & experience, qui d'iceux païs nous auroient amené divers hommes que nous avons par long temps tenus en nôtre Royaume, les faisans instruire en l'amour & crainte de Dieu & de sa sainte Loy & doctrine Chrétienne ne intention de les faire remener ésdits païs en compagnie de bon nombre de noz sujets de bonne volonté, afin de plus facilement induire les autres peuples d'iceux païs à croire en nôtre sainte Foy: & entre autres y eussions envoyé nôtre cher & bien amé Jacques Quartier, lequel auroit découvert grand païs des terres de Canada & Hochelaga faisant un bout de l'Asie du côté de l'Occident: léquels païs il a trouvé (ainsi qu'il nous a rapporté) garnis de plusieurs bonnes commodités, & les peuples d'iceux bien fournis de corps & de membres & bien disposez d'esprit & entendement, déquels il nous a semblablement amené aucun nombre, que nous avons par long temps fait voir & instruire en notredite sainte Foy avec nodits sujets. En consideration dequoy, & de leur bonne inclination que avons avisé & deliberé de renvoyer ledit Quartier esdits païs de Canada & Hochelaga, & jusques en la terre de Saguenay (s'il peut y aborder) avec bon nombre de navires & de toutes qualités, arts, & industrie, pour plus avant entrer esdits païs, converser avec les peuples d'iceux, & avec eux habiter (si besoin est) afin de mieux parvenir à nôtredite intention, & à faire chose agreable à Dieu nôtre createur, & redempteur, & que soit à l'augmentation de son saint & sacré Nom, & de nôtre mere sainte Eglise Catholique, de laquelle nous sommes dits & nommez le premier fils: Parquoy soit besoin pour meilleur ordre & expedition de ladite entreprise deputer & établir un Capitaine general & maistre Pilote dédits navires, qui ait regard à la conduite d'iceux, & sur les gens, officiers, & soldats y ordonnés & établis: SÇAVOIR FAISONS que nous à plein confians de la personne dudit Jacques Quartier, & se ses sens, suffisance, loyauté, preud'homme, hardiesse, grande diligence, & bonne experience; icelui pour les causes & autres à ce nous mouvans, Avons fait, constitué, & ordonné, faisons, constituons, ordonnons & établissons par ces presentes, Capitaine general & maitre Pilote de tous les navires, & autres vaisseaux de mer par nous ordonnés étre menez pour ladite entreprise & expedition, pour ledit état & charge de Capitaine general & maitre Pilote d'iceux navires & vaisseaux avoir, tenir, & exercer par ledit Jacques Quartier aux honneurs, prerogatives, preéminences, franchises, libertez, gages, & bien-faitz, telz que par nous lui seront pour ce ordonnez, tant qu'il nous plaira. Et lui avons donné & donnons puissance & authorité de mettre, établir, & instituer ausdits navires tels Lieutenans, patrons, pilotes & autres ministres necessaires pour le fait & conduite d'iceux, & en tel nombre qu'il verra & conoitra étre besoin & necessaire, pour le bien de ladite expedition. Si donnons en mandement par cesdites presentes à nôtre Admiral, ou Vic'Admiral, que prins & receu dudit Quartier le serment pour de deub & accoutumé, icelui mettent & instituent, ou facent mettre & instituer de par nous en possession & saisine dudit Etat de Capitaine general & maitre Pilote: & d'icelui, ensemble des honneurs prerogatives & préeminences, franchises, libertez, gages, & bien-faicts telz que par nous lui seront pource ordonnez, le facent souffrent & laissent jouir & user pleinement & paisiblement, & à lui obeir & entendre de tous ceux' & ainsi qu'il appartiendra és choses touchant & concernant ledit Etat & charge. En outre lui face souffre, & permettre prendre le petit Gallion appellé l'Emerillon que de present il de nous, lequel est ja vieil & caduc, pour servir à l'adoub de ceux ces navires qui en auront besoin, & lequel nous voulons étre prins & appliqué par ledit Quartier pour l'effect dessus dit sans qu'il soit tenu en rendre aucun autre compte ne reliqua: Et duquel compte & reliqua nous l'avons déchargé & déchargeons par icelles presentes: par léquelles nous mandons aussi à noz Prevostz de Paris, Baillifs de Rouën, de Can, d'Orleans, de Blois, & de Tours, Senechaux du Maine, d'Anjou, & Guienne, & à tous nos autres Baillifs, Senechaux, Prevosts, Alloués, & autres noz Justiciers, & Officiers, tant de nôtre Royaume, que de nôtre païs de Bretagne uni à icelui, pardevers léquels sont aucuns prisonniers, accusés ou prevenuz d'aucuns crimes quelz qu'ilz soient, fors de crimes de lese Majesté divine & humaine envers nous & de faux monnoyeurs qu'ils ayent incontinent à delivrer, rendre & bailler és mains dudit Quartier, ou ses commis & deputez portans ces presentes, ou le duplicata d'icelle pour notre service en ladite entreprise & expedition ceux dédits prisonniers qu'il conoitra estre propres, suffisans, & capables pour servir en icelle expedition, jusqu'au nombre de cinquante personnes & selon le choix que ledit Quartier en fera, iceux premierement jugés & condamnez selon leurs demerites, & la gravité de leurs mesfaits, si jugés & condemnés ne sont: & satisfaction aussi prealablement ordonnée aux parties civiles & interessées, si faite n'avoir eté: pour laquelle toutefois nous ne voulons la delivrance de leurs personnes édites mains dudit Quartier (s'il les trouve de service) étre retardée ne retenue: Mais se prendra ladite satisfaction sur leurs biens seulement. Et laquelle délivrance dédits prisonniers, accusés ou prevenuz, nous voulons étre faite édites mains dudit Quartier pour l'effect dessusdit par nosditz Justiciers & Officiers respectivement, & par chacun d'eux en leur regard, pouvoir & jurisdiction, nonobstant oppositions ou appellations quelconques faites, ou à faire, relevées, ou à relever, & sans que par le moyen d'icelles, icelle delivrance en la maniere dessusdite soit aucunement differée. Et afin que plus grand nombre n'en soit tiré, outre léditz cinquante, Nous voulons que la delivrance que chacun de nosditz Officiers en sera audit Quartier soit écrite & certifiée en la marge de ces presentes, & que neantmoins regitre en soit par eux fait & envoyé incontinent par devers nôtre amé & feal Chancellier pour conoitre le nombre & la qualité de ceux qui auront été baillés & delivrés. Car tel est notre plaisir. Et témoin de ce nous avons fait mettre nôtre seel à cesdites presentes. Donné à Saint-Pris le dix-septieme jour d'Octobre, l'an de grace mille cinq cens quarante, & de nôtre regne le vint-sixieme. Ainsi signé sur le repli, Par le Roy, vous Monseigneur le Chancellier, & autres presens. De la Chesnaye. Et scellées sur le repli à simple queuë de cire jaune.

Les affaires expédiées ainsi que dessus, léditz De Roberval & Quartier firent voiles aux Terres-neuves, & se fortifierent au Cap Breton, où il reste encores des vestiges de leur edifice. Mais s'appuyans trop sur le benefice du Roy, sans chercher le moyen de vivre du païs méme: & le Roy occupé de grandes affaires qui pressoient la France pour lors, il n'y eut moyen d'envoyer nouveau rafraichissement de vivres à ceux qui devoient avoir rendu le païs capable de les nourrir, ayans eu un si bel avancement de sa Majesté, & paraventure que ledit De Roberval fut mandé pour servir le Roy pardeça: car je trouve par le compte dudit Quartier qu'il employa huit mois à l'aller querir aprés y avoir demeuré dix-sept mois. Et ose bien penser que l'habitation du Cap Breton ne fut moins funeste qu'avoit été six ans auparavant celle de Sainte-Croix en la grande riviere de Canada, où avoit hiverné ledit Quartier. Car ce païs étant assis sur les premieres terres, & sur le Golfe de Canada, qui est glacé tous les ans jusques sur la fin de May, il n'y a point de doute qu'il ne soit merveilleusement âpre & rude, & sous un ciel tout plein d'inclemence. De maniere que cette entreprise reussit point, faute de s'étre logé en un climat temperé. Ce qui se pouvoit aisément faire, étant la province de telle étendue qu'il y avoit à choisir vers le Midi autant que vers le Nort.




Plainte sur notre inconstance & lacheté: Nouvelle entreprise & Commission pour Canada: Envie des Marchans Maloins. Revocation de la dicte commission.

CHAP. XXXI

I le dessein d'habiter la terre de Canada n'a ci devant reussi, il n'en faut ja blamer la terre, mais accuser nôtre inconstance & lacheté. Car voici qu'apres la mort du Roy François premier on entreprent des voyages au Bresil & à la Floride, léquels n'ont pas eu meilleur succés, quoy que ces province soyent sans hiver, & jouissent d'une verdure perpetuelle. Il est vray que l'ennemi public des hommes a forcé les nôtres de quitter le païs par-delà, mais cela ne nous excuse point, & ne peut nous garentir de faute. Tandis qu'on a eu esperance en ces entreprises plus meridionales, & outre l'Æquateur, on a oublié les découvertes de Jacques Quartier: de sorte que plusieurs années se sont écoulées, auquelles noz François ont été endormis, & n'ont rien faire de memorable par mer; Non qu'il ne se trouve des hommes aventureux, qui pourroient faire quelque chose de bon: mais ilz ne sont ni soulagez: ni soutenuz de ceux sans léquelz toute entreprise est vaine. Ainsi en l'an mille cinq cens quatre vints huit le sieur de la Jaunaye Chaton, & Jacques Noel nevoeux & heritiers dudit Quartier, s'étans efforcez de continuer à leurs dépens les erremens de leur dit oncle, souffrirent des pertes notables par le brulement qui leur fut fait de trois ou quatre pataches par les hommes de deça. De sorte qu'ilz furent contraints d'avoir recours au Roy auquel ilz presenterent requéte aux fins d'obtenir Commission pareille à celle dudit Quartier rapportée ci-dessus, en consideration de ses services, & qu'au voyage de l'an mille cinq cens quarante, il avoit employé la somme de seze cens trente-huit livres pardessus l'argent qu'il avoit receu, dont il n'avoit été remboursé; Requerant en titre pour ayder à former une habitation Françoise, un privilege pour douze ans de traffiquer seuls avec les peuples sauvages dédites terres, & principalement au regard des pelleteries qu'ils amassent tous les ans: & defense étre faites à tous les sujets du Roy de s'entremettre dudit traffic, ni les troubler en la jouissance dudit privilege & de quelques mines qu'il avoient découvertes, pendant ledit temps. Ce qui leur fut accordé par lettres patentes & commission qu'ils en eurent du quatorzieme de Janvier, mille cinq cens octante huit. Mais apres s'étre bien donné de la peine & obtenir cela, ile en eurent peu, ou plutot rien de contentement. Car incontinent voici l'envie des marchans de Saint-Malo qui prend les armes pour ruiner tout ce qu'ils avoient fait, & empecher l'avancement & du Christianisme & du nom François en ces terres-là: comme ils ont sceu fort bien pratiquer depuis en méme sujet à l'endroit du sieur de Monts. Si-tôt donc qu'ils eurent la nouvelle de ladite Commission portant le privilege susdit, incontinent ilz presenterent leur requéte au Conseil privé du Roy pour la faire revoquer. Sur quoy ils eurent arrest à leur desir du cinquéme de May ensuivant.

On dit qu'il ne faut point empécher la liberté naturellement acquise à toute personne de traffiquer avec les peuples de dela. Mais je demanderoy volontiers qui est plus à preferer ou la Religion Chrétienne, & l'amplification du nom François, ou le profit particulier d'un marchant qui ne fait rien pour le service de Dieu, ni du Roy? Et ce-pendant cette belle dame Liberté a seule empeché jusques ici que ces pauvres peuples errans n'ayent été faicts Chrétiens, & que les François n'ayent parmi eux planté des colonies, qui eussent receu plusieurs des nôtres, léquels depuis ont enseigné nos arts & métiers aux Allemans, Flamens, Anglois, & autres nations. Et cette méme Liberté a fait que par l'envie des marchans les Castors se vendent aujourd'hui dix livres piece, léquels au temps de ladite Commission ne se vendoient qu'environ cinquante sols. Certes la consideration de la Foy & Religion Chrétienne merite bien que l'on octroye quelque chose à ceux qui employent leur vies & fortunes pour l'accroissement d'icelle, & en un mot, pour le public. Et n'y a rien plus juste que celui qui habite une terre jouisse du fruit d'icelle.




Voyage du Marquis de la Roche aux Terres neuves. Ile de Sable. Son retour en France d'une incroyable façon. Ses gens cinq ans en ladite ile. Leur retour. Commission dudit Marquis.

CHAP. XXXII

'AUTANT que jusques ici nous n'avions parlé que d'entreprises vaines, léquelles n'ont été secondées comme il falloit, j'en adjouteray encor ici une pour le parachevement de ce livre, qui est du sieur Marquis de la Roche Gentil-homme Breton tout rempli de bonne volonté, mais auquel on n'a tenu les promesses qu'on lui avoit faites pour l'execution de son dessein.

En l'an mille cinq cens nonante huit le Roy ayant audit Marquis confirmé le don de Lieutenance generale és terres dont nous parlons, à luy fait par le Roy Henry III & octroyé sa Commission, il s'embarqua avec environ soixante hommes, & n'ayant encore reconu le païs il fit descente en l'ile de Sable, que est à vint-cinq ou trente lieuës de Campseau: ile étroite, mais longue d'environ vint lieuës, gisante par les quarante quatre degrez: assez sterile, mais où y a quantité de vaches & pourceaux, ainsi que nous avons touché ailleurs. Ayant là dechargé ses gens & bagage, il fût question de chercher quelque bon port en la terre ferme: & à cette fin il s'y en alla dans une petite barque: mais au retour il fut surpris d'un vent si fort & violent, que contraint d'aller au gré d'icelui, il se trouva en dix ou douze jours en France. Et pour montrer la petitesse de la barque, & qu'il falloit ceder à la fureur du vent j'ay plusieurs fois ouï dire au Sieur de Poutrincourt, que du bord d'icelle il lavoit ses mains dans la mer. Etant en France le voila prisonnier du Duc de Mercoeur! & celui à qui les dieux les plus inhumains Æole & Neptune avoient pardonné ne trouve point d'humanité en guerre. Cependant ses gens demeurent cinq ans degradés en ladite ile, se mutinent, & coupent la gorge l'un à l'autre, tant que le nombre se racourcit de jour en jour. Pendant lédits cinq ans ils ont là vécu de pecherie, & des chairs des animaux que nous avons dit, dont ils en avoient apprivoisez quelques uns qui leur fournissoient de laictage, & autres petites commoditez. Ledit Marquis étant delivré fit recit au Roy à Rouen de ce qui lui étoit survenu. Le Roy commanda à Chef-d'hotel Pilote d'aller recuillir ces pauvres hommes quand il iroit aux Terres-neuves. Ce qu'il fit; & en trouva douze de reste, auquels il ne dit point le commandement qu'il avoit du Roy, afin d'attrapper bon nombre de cuirs, & peaux de loups marins dont ils avoient fait reserve durant lédites cinq années. Somme, revenus en France ilz se presentent à sa Majesté vétus dédites peaux de Loups-marins. Le Roy leur fit bailler quelque argent & se retirerent mais il y eut procés entre eux & ledit Pilote, pour les cuirs & pelleteries qu'il avoit extorquées d'eux; dont par apres ilz composerent amiablement. Et d'autant que ledit Marquis faute de moyens ne continua ses voyages, & peu apres deceda, je veux ici adjouter seulement l'extrait de sadite Commission, ainsi que s'ensuit.

Edit du Roy contenant le pouvoir & Commission donnée par sa Majesté au Marquis de Cottenmed & de la Roche, pour la conquéte des terres de Canada, Labrador, Ile de Sable, Norembergue, & païs adjacens.

H
ENRI par la grace de Dieu Roy de France & de Navarre, A tous ceux qui ces presentes lettres verront, Salut. Le feu Roy François premier, sur les avis qui lui auroient été donnez, qu'aux iles & païs de Canada, ile de Sable, Terres-neuves & autres adjacentes, païs tres-fertiles & abondans en toutes sortes de commoditez, il y avoit plusieurs sortes de peuple bien formez de corps & de membres, & bine disposez d'esprit & d'entendement, qui vivent sans aucune conoissance de Dieu: auroit (pour en avoir plus ample conoissance) iceux païs fait découvrir par aucuns bons pilotes & gent à ce conoissans. Ce qu'ayant reconu veritable, il auroit (poussé d'un zele & affection de l'exaltation du nom Chrétien) dés le quinzieme Janvier mille cinq cens quarante, donné pouvoir à Jean François de la Roque sieur de Roberval, pour la conquéte dédits païs. Ce que n'ayant été executé dés lors, pour les grandes affaires qui seroient survenues à cette Couronne: Nous avons resolu pour perfection d'un si bel oeuvre & de si sainte & louable entreprise, au lieu dudit feu sieur de Roberval: de donner la charge de cette conquéte à quelque vaillant & experimenté personage, dont la fidelité & affection à notre service nous soit conue, avec les mémes pouvoirs, authoritez, prerogatives & preeminences qui étoient accordées audit feu sieur de Roberval par ledites lettres patentes dudit feu Roy François premier.

SÇAVOIR FAISONS, que pour la bonne & entiere confiance que nous avons de la personne de notre aimé & feal Troillus du Mesguets Chevalier de notre Ordre, Conseiller en notre Conseil d'Etat, & Capitaine de cinquante hommes d'armes de nos ordonnances, le sieur de la Roche Marquis Cottenmeal, Baron de Las, Vicomte de Carenten & saint Lo en Normandie, Vicomte de Trevallot, sieur de la Roche, Gommard & Quermoalec, de Gronac, Bontéguigno, & Liscuit, & de ses louables vertus, qualitez & merites; aussi de l'entiere affection qu'il a au bien de notre service & avancement de nos affaires. Iceluy pour ces causes & autre à ce nous mouvans, Nous avons conformément à la volonté du feu Roy dernier deceda notre tres-honoré sieur & frere qu ja avoit fait election de sa persone pour l'execution de ladite entreprise, icelui fait, faisons creons, ordonnons, établissons par ces presentes signées de nôtre main, nôtre Lieutenant general édits païs de Canada, Hochelaga, Terres-neuves, Labrador, riviere de la gran' Baye, de Norembegue & terres adjacentes dédites provinces & étendue de païs, sans icelles étre habitées par sujets de nul Prince Chrétien, & pour cette sainte oeuvre & aggrandissement de la foy Catholique, établissons pour conducteur, chef, Gouverneur & Capitaine de ladite entreprise: Ensemble de tous les navires, vaisseaux de mer, & pareillement de toutes persones, tant gens de guerre, mer que autres par nous ordonnez & qui seront par lui choisis pour ladite entreprise & execution: avec pouvoir & mandement special d'élire, choisir les Capitaines, Maitres de navires & Pilotes: commander, ordonner & disposer souz notre authorité; prendre, emmener & faire partir des profits & havres de nôtre Royaume les nefs, vaisseaux mis en appareil, equippez & munis de gens, vivres & artilleries & autres choses necessaires pour ladite entreprise, avec pouvoir en vertu de noz commissions de fair la levée de gens de guerre qui seront necessaires pour ladite entreprise et iceux faire conduire par ses Capitaines au lieu de son embarquement, & aller, venir, passer & repasser édits ports étrangers, descendre & entrer en iceux & mettre en nôtre main tant par voyes d'amitié ou amiable composition si faire se peut, que par force d'armes, main forte, & toutes autres voyes d'hostilitez assaillir villes chateaux, forts & habitations, iceux mettre en nôtre obeissance, en constituer & edifier d'autres; faire loix, statuts & ordonnances politiques, iceux faire garder, observer & entretenir, faire punir les deliquans, leur pardonner & remettre selon qu'il verra bon étre, pourveu toutefois que ce ne soient païs occupez ou étans souz la sujection & obeissance d'aucuns Princes & Potentats nos amis, alliez & confederez. Et à fin d'augmenter & accroitre le bon vouloir, courage & affection de ceux qui serviront à l'execution & expedition de ladite entreprise, & méme de ceux qui demeureront ésdites terres, nous lui avons donné pouvoir d'icelles terres qu'il nous pourroit avoir acquises audit voyage, faire bail pour en jour par ceux à qui elles seront affectées & leurs successeurs en tous droits de proprieté. A sçavoir aux Gentils hommes & ceux qu'il jugera gens de merite, en Fiefs, Seigneuries, Chastelenies, Comtez, Vicomtez, Baronnies & autres dignitez relevans de nous, telles qu'il jugera convenir à leur services: à la charge qu'ilz serviront à la tuition & defense dédits païs. Et aux autres de moindre condition, à telles charges & redevances annuelles qu'il avisera, dont nous consentons qu'ils en demeurent quittes pour les six premieres années ou tel autre temps que nôtredit Lieutenant avisera bon étre & conoitra leur étre necessaire: excepté toutefois du devoir & service pour la guerre. Aussi qu'au retour de nôtre Lieutenant il puisse departir à ceux qui auront fait le voyage avec lui les gaignages & profits mobiliaires provenus de ladite entreprise, & avantager du tiers ceux qui auront fait ledit voyage: retenir un autre tiers pour lui pour ses frais & depens, & l'autre tiers pour étre employé aux oeuvres communes, fortifications du païs & fraiz de guerre. Et afin que nôtredit Lieutenant soit mieux assisté & accompagné en ladite entreprise, nous lui avons donné pouvoir de se faire assister en ladite armée de tous Gentils-hommes, Marchans, & autres noz sujets qui voudront aller ou envoyer audit voyage, payer gens & équipages & munir nefs à leurs despens. Ce que nous leur defendons tres-expressement faire, ni traffiquer sans le sceu & consentement de nôtredit Lieutenant, sur peine à ceux que seront trouvez, de perdition de tous leurs vaisseaux, & marchandises. Prions aussi & requerons tous Potentats, Princes noz alliés & confederez, leurs Lieutenans & sujets, en cas que nôtredit Lieutenant ait quelque besoin ou necessité, lui donner aide, secours & confort, favoriser son entreprise. Enjoignons & commandons à tous nos sujets en cas de rencontre par mer ou par terre, de lui étre en ce secourables & se joindre avec lui: revoquans dés à present tous pouvoirs qui pourroient avoir eté donnez tant par nos predecesseurs Roys, que nous, à quelques persones & pour quelque cause & occasion que ce soit, au prejudice dudit Marquis nôtredit Lieutenant general. Et d'autant que pour l'effet dudit voyage il sera besoin passer plusieurs contracts & lettres, nous les avons dés à present validé & approuvé, validons & aprouvons, ensemble les seings & seaux de nôtre Lieutenant & d'autres par lui commis pour ce regard. Et d'autant qu'il pourroit survenir à nôtredit Lieutenant quelque inconvenient de maladie, ou arriver faute d'icelui, aussi qu'a son retour il sera besoin laisser un ou plusieurs Lieutenans: Voulons & entendons qu'il en puisse nommer & constituer par testament & autrement comme bon lui semblera, avec pareil pouvoir ou partie d'icelui qui lui avons donné. Et afin que nôtredit Lieutenant puisse plus facilement mettre ensemble le nombre de gans qui lui est necessaire pour ledit voyage, & entreprise, tant de l'un que de l'autre sexe: Nous lui avons donné pouvoir de prendre, élire & choisir & lever telles persones en nôtredit Royaume, païs, terres & Seigneuries qu'il conoitra étre propres, utiles & necessaires pour ladite entreprise, qui conviendront avec lui aller, léquels il fera conduire & acheminer des lieux où ilz se seront par lui levez jusques au lieu de l'embarquement. Et pource que nous ne pouvons avoir particuliere conoissance dédits païs & gens étrangers pour plus avant specifier le pouvoir qu'entendons donner à nôtredit Lieutenant general; voulons & nous plait qu'il ait le méme pouvoir, puissance & authorité qu'il étoit accordé par ledit feu Roy François audit sieur de Roberval, encores qu'il n'y soit si particulierement specifié: & qu'il puisse en cette charge faire, disposer, & ordonner de toutes chose opinées & inopinées concernant ladite entreprise, comme il jugera à propos pour nôtre service les affaires & necessitez le requerir, & tout ainsi & comme nous-méme ferions & faire pourrions si presens en personne y étions, jaçoit que le cas requit mandement plus special: validans dés à present comme pour lors tout ce que par nôtredit Lieutenant sera fait, dit, constitué, ordonné & établi, contracté, chevi & composé, tant par armes, amitié, confederation & autrement en quelque sorte & maniere que ce soit ou puisse étre pour raison de ladite entreprise, tant par mer que par terre: & avons le tout approuvé, aggreé & ratifié: aggreons, approuvons & ratifions par ces presentes & l'avouons & tenons, & voulons étre tenu bon & valable, comme s'il avoit par nous fait.

SI DONNONS en mandement, à notre amé & feal le Sieur Comte de Cheverny Chancellier de France, & à nos amez & feaux Conseillers, les gens tenans noz Cours de Parlement, grand Conseil, Baillifs, Senechaux, Prevots, Juges & leurs Lieutenans & tous autre noz Justiciers, & Officiers chacun endroit loy comme il appartiendra, que nôtredit Lieutenant duquel nous avons ce jourd'hui prins & receu le serment en tel cas accoutumé, ilz facent & laissent, souffrent jouir & user pleinement & paisiblement, à icelui obeir & entendre, & à tous ceux qu'il appartiendra és chose touchans & concernans notredite Lieutenance.

MANDONS en outre à tous nos Lieutenans generaux, Gouverneurs de noz Provinces, Admiraux, Vic'Admiraux, Maitres de ports havres & passages, lui bailler chacun en l'étendue de son pouvoir, aide, confort, passage, secours & assistance, & à ses gens avouez de lui, dont il aura besoin. Et d'autant que de ces presentes l'on pourra voir affaire en plusieurs & divers lieux: Nous voulons qu'au Vidimus d'icelles deuement collationé par un de nos amez & feaux Conseillers, Notaires Royaux, foy soit adjoutée comme au present original: Car tel est nôtre plaisir. En témoin dequoy nous avons fait mettre nôtre seel esdites presentes. Donné à Paris le douziéme jour de Janvier l'an de grace mille cinq cens quatre vints dix-huit. Et de notre regne le neuviéme.

Signé,

HENRI.

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