Histoire des Montagnards
XXII
La Révolution est partout maîtresse.—Indignes successeurs de Marat.—Athéisme d'Hébert et de Chaumette.—L'évêque Gobet, à l'instigation d'Anacharsis Clooix, dépose l'exercice de son culte entre les mains de la nation.—Résistance de l'abbé Grégoire.—Fête de la déesse Raison.—Palinodie d'Hébert.—Ronsin, Carrier, Fouché (de Nantes).
Quand, grosse de bruit et de sourds tonnerres, se souleva la Montagne, les beaux-esprits royalistes déclarèrent qu'elle accoucherait d'une souris.
En Quatre-vingt-treize, elle était accouchée d'un échafaud et de la victoire. Au nord et à l'est, l'étranger était repoussé du territoire, les rebelles de l'intérieur pliaient, battaient en retraite. C'est alors que les divisions qu'on croyait éteintes se ranimèrent avec plus de fureur.
La Montagne s'était servie d'agents pour comprimer ses ennemis: mais, en plusieurs endroits, ces agents avaient dépassé leur mission; elle avait déchaîné la fureur des passions extrêmes pour intimider le royalisme, et cette fureur menaçait de tout bouleverser et d'entraîner la Révolution même dans une mare de sang.
Marat en mourant avait emporté avec lui toute la moralité de son parti, et ses indignes successeurs prirent ses colères et ses défiances sans imiter son désintéressement ni sa droiture.
A la tête de ces anarchistes était un homme qui faisait parade de son matérialisme. Animé d'une haine fanatique contre les croyances religieuses, Hébert avait juré d'anéantir tous les cultes et de réaliser l'athéisme. Il se servit de l'influence que lui donnait son journal, le Père Duchesne, et de sa position à la Commune pour exciter le peuple contre ses anciennes croyances religieuses. Cet homme était possédé d'une haine farouche, la haine de Dieu. Il voulait violer la foi dans l'âme de ses concitoyens. Des bandes d'iconoclastes, envoyées par Hébert et par Chaumette, brisèrent les autels, ouvrirent les tabernacles et vidèrent les ciboires.
La Commune de Paris encourageait ces profanations et ces actes de vandalisme. Un jour (et ce jour n'est pas le seul), au milieu d'une séance conventionnelle, on vit entrer des groupes de soldats revêtus d'habits pontificaux; ils étaient suivis d'une foule d'hommes du peuple, rangés sur deux lignes, couverts de chapes, de chasubles, de dalmatiques; paraissaient ensuite, portés sur des brancards, l'or, l'argenterie et tous les ornements des églises. La pompe défila en dansant au son des airs patriotiques; et les acteurs de cette scène grotesque finirent par abjurer publiquement tout culte, hormis celui de la liberté. La Convention eut la faiblesse de décréter l'impression des parodies de cette journée et l'envoi à tous les départements. L'impiété, non contente de fouler aux pieds les dépouilles du culte, voulait encore terrasser Dieu dans la conscience de ses ministres.
L'orateur du genre humain, Anacharsis Clootz, Prussien, qui datait depuis cinq ans ses lettres de Paris, chef-lieu du globe, après souper, dans un accès de zèle pour la maison du Seigneur genre humain, court à onze heures du soir chez l'évêque Gobel, l'engage, au nom de la Commune, moitié par crainte, moitié par de fausses promesses, à déposer l'exercice public de son culte entre les mains de la nation; on lui fit entendre que cette démarche impliquait l'abandon de sa charge et non une apostasie de ses croyances. Le faible vieillard tomba dans le piége.
Son exemple entraîna toutes les consciences pusillanimes. C'était à qui viendrait se déprêtiser à la barre de la Convention. Coupé, de l'Oise, et Julien, de Toulouse, l'un évêque catholique, l'autre ministre protestant, s'embrassèrent à la tribune, en riant, comme deux augures. Alors tout culte tomba avec toute magistrature religieuse, et les croyants eux-mêmes se couvrirent de l'hypocrisie de l'athéisme.
Un seul osa résister: l'abbé Grégoire, qui avait courageusement maintenu sa foi à côté d'Hébert et de Chaumette. Chrétien plus tolérant que les athées qui l'entouraient, il demandait pour ses croyances la liberté du passage. Fidèle aux devoirs et à l'exercice de son ministère, il avait constamment refusé de dépouiller sa robe d'évêque. Appelé aux honneurs du fauteuil, il avait présidé l'Assemblée en habits violets. Au camp de Brau, au-dessus de Sposello, il avait, sous le canon, parcouru à cheval et en soutane les rangs des divers bataillons qu'il haranguait. A l'époque des abjurations, l'évêque de Blois fut circonvenu par les obsessions d'Hébert et de ses agents. Une personne qui lui donnait alors l'hospitalité entendit toute la nuit des voix moitié insidieuses, moitié menaçantes, se heurter contre l'inflexible résolution du saint prêtre. Assis dans un grand fauteuil, il frappait du talon la terre. Voyant qu'ils ne pouvaient vaincre sa ténacité, les émissaires de la Commune l'engagèrent à réfléchir jusqu'au lendemain et se retirèrent.
Quand Grégoire arriva à la Convention, la séance était commencée.
—Il faut que tu montes à la tribune, s'écrient, au moment où il arrive dans la salle, ces forcenés.
—Et pourquoi?
—Pour renoncer à ton charlatanisme religieux.
—Misérables blasphémateurs! Je ne suis pas, je ne fus jamais un charlatan; attaché à ma religion, j'en ai prêché les vérités, j'y serai fidèle. Enfin il monte à la tribune:
—J'entre ici, n'ayant que des notions très-vagues de ce qui s'est passé avant mon arrivée; on me parle de sacrifices à la patrie, j'y suis habitué; s'agit-il d'attachement à la cause de la liberté? j'ai fait mes preuves; s'agit-il du revenu attaché à la qualité d'évêque? je vous l'abandonne sans regret; s'agit-il de la religion? cet article est hors de votre domaine, et vous n'avez pas le droit de l'attaquer. J'entends parler de fanatisme, de superstition … je les ai toujours combattus; mais qu'on définisse les mots, et l'on verra que la superstition et le fanatisme sont diamétralement opposés à la religion. Quant à moi, catholique par conviction, prêtre par choix, j'ai été désigné par le peuple pour être évêque. J'ai tâché de faire du bien dans mon diocèse, agissant d'après les principes sacrés qui me sont chers, et que je vous défie de me ravir. Je reste évêque pour en faire encore; j'invoque la liberté des cultes.
Robespierre et Danton approuvèrent la résistance de l'évêque de Blois en flétrissant le scandale des abjurations. A la honte des prêtres, Maximilien osa défendre le Dieu qu'ils abandonnaient lâchement. «Quand on a trompé si longtemps les hommes, écrivait de son côté Camille Desmoulins, on abjure, fort bien, mais on cache sa honte; on ne vient pas s'en parer et en demander pardon à Dieu et à la nation.»
Au moment où ses confrères d'église se couvraient ainsi de mépris et de scandale, seul l'abbé Grégoire continua de siéger dans la Convention, parmi les Montagnards, en costume ecclésiastique.
Les yeux de Robespierre étaient depuis quelque temps fixés sur le parti des Hébertistes. Cette stoïque impiété lui faisait horreur. Cette guerre entreprise contre Dieu lui paraissait ébranler les bases mêmes de toute société. Hébert était personnellement un misérable, qui flattait les penchants bas et sanguinaires de la populace dans une langue grossière, immonde. Le peuple n'aime pas ces saturnales de l'esprit; le peuple qui a pris la Bastille aime qu'on lui parle dignement et poliment; toute injure au goût lui semble une injure à la raison et à la majesté nationale. Aussi les feuilles du Père Duchesne n'étaient-elles lues que par les âmes ordurières.
Dans ce groupe d'hommes sinistres, qui poussaient la multitude à toutes les violences, on distinguait un prêtre renégat, sans pudeur comme sans entrailles, Jacques Roux. Cette bande de brigands avait l'espèce d'audace que donne la peur: ils chassaient devant eux à la guillotine le pâle troupeau des citoyens pour se ménager du moins la consolation de tomber les derniers.
Leur doctrine politique était le bouleversement des lois divines et humaines, leur foi la négation de tout, leur espérance le néant.
Hypocrites, ils couvraient d'un faux amour du peuple leurs projets de ruine et de domination.
Robespierre jura de leur arracher du visage ce masque sanglant.
Cependant la Commune poursuivait le cours de ses ignobles succès.
La faction déïcide qui régnait à l'Hôtel de Ville voulut remplacer tous les cultes par celui de la Raison. La fête de cette divinité nouvelle fut célébrée dans l'église Notre-Dame. On y avait élevé un temple d'une architecture classique sur la façade duquel on lisait ces mots: A la philosophie. Ce temple était élevé sur la cime d'une montagne. Vers le milieu, sur un rocher, on voyait briller le flambeau de la vérité. Une musique profane, placée au pied de la montagne, exécutait un hymne en langue vulgaire. Pendant que jouait l'orchestre, on voyait deux rangées de jeunes filles, vêtues de blanc et couronnées de chêne, descendre et traverser la montagne, un flambeau à la main, puis remonter dans la même direction sur le sommet. La Liberté, représentée par une belle femme, sortait alors du temple de la philosophie, et venait sur un siége de verdure recevoir les hommages des républicains, qui chantaient un hymne en son honneur, en lui tendant les bras.
Cette froide jonglerie était bien faite pour inspirer au peuple le regret des mystères chrétiens.
A l'exemple de la capitale, on éleva des autels à la Raison dans toute la France: ses temples furent déserts.
Ces déviations misérables du principe révolutionnaire attristaient tous les coeurs droits.
L'inconséquence était ici flagrante: la raison est faite pour détruire les cultes et n'en a jamais créé. La tentative des Hébertistes était en cela ridicule et vaine.
Il est vrai que le nouveau culte était une profanation.
Telle était du reste la lâcheté de ces incrédules qu'il suffit de la contenance rigide de Robespierre pour les anéantir. Le spiritualisme du disciple de Jean-Jacques Rousseau se révolta contre les outrages qu'une horde de bandits vomissaient sur la Divinité. Il réclama sévèrement la liberté des cultes. «Celui qui veut empêcher de dire la messe, dit-il, est plus fanatique que celui qui la dit.» Hébert, touché par la foudre, balbutia quelques excuses, et descendit à une rétractation tardive. «Je le dirai toujours, écrivait-il dans un de ses numéros, que l'on imite le sans-culotte Jésus; que l'on suive à la lettre son Évangile, et tous les hommes vivront en paix.» Dans une telle bouche, l'éloge même était dérisoire; une si ridicule palinodie montra d'ailleurs toute la faiblesse de ces colosses d'iniquité.
Non contents de déchirer les traditions de la France, les Hébertistes voulaient passer la hache sur toutes les têtes. Ces furieux sentaient que leurs doctrines absurdes avaient besoin, pour croître, d'une rosée de sang. Leurs yeux ne voyaient partout que des suspects à enfermer: leur âme était en proie à de continuelles frayeurs: Terrebant pavebantque.
[Illustration: Dernière entrevue de Danton et de Robespierre]
Cette défiance des Hébertistes était celle des consciences criminelles, qui tressaillent de nuit au moindre bruit des feuilles, au moindre mouvement de leur ombre.
Ronsin, Carrier, Fouché de Nantes étaient leurs bras, et avec les bras ils frappaient de mort les populations. La guillotine était souillée du sang qu'ils faisaient verser par l'influence de la Commune. Ces hommes détestaient tous les membres de la Montagne. Ils auraient voulu ensevelir la Convention et le Comité de salut public dans un massacre. N'osant attaquer Robespierre, dont ils redoutaient la puissance, ils se jetèrent sur Danton.
XXIII
Retraite de Danton, son mépris pour les Hébertistes.—Camille Desmoulins.—Son journal, ses attaques contre Hébert et le Comité de salut public.—Sa modération, ses idées de clémence et ses rapports avec Robespierre.—Accusation portée contre Danton.—Son insouciance.—Inquiétudes de Lucile.—Séance des Jacobins.—Mort des Hébertistes.
Le rôle de Danton avait été actif et glorieux.
Danton, après avoir remué la France comme on agite un vase d'eau, après avoir accompli la destruction de la monarchie, la levée en masse et la défense du territoire, se tenait à l'écart des événements, depuis que le sol de la Révolution s'était un peu calmé.
N'ayant plus la main dans le gouvernement, il blâmait presque tous les actes du Comité de salut public. Il croyait se rendre nécessaire par son absence, et attendait, comme Achille dans sa tente, que les dangers de la République ramenassent sur lui l'attention de ses concitoyens.
Ainsi que toutes les natures fortes, Danton alors s'aigrissait dans sa puissance oisive et se fatiguait dans le repos.
La faction des Hébertistes l'inquiétait peu, il méprisait leurs attaques, «Voilà ce que je ferai de ces misérables,» disait-il en frappant du pied la terre comme pour y écraser un insecte.
Ce qu'il craignait, c'était l'amollissement de sa fibre révolutionnaire. Inquiet, il s'interrogeait lui-même sur le déclin de sa puissance; on le voyait alors secouer sa tête haute, en lui donnant un air de sauvage énergie: «Ne suis-je plus Danton? s'écriait-il. Ai-je donc perdu ces traits qui caractérisaient la figure d'un homme libre? On verra qui de Robespierre ou de moi doit sauver la France.»
Camille Desmoulins avait alors l'idée d'attaquer par le fer rouge du journaliste la faction toute-puissante qui couvrait la France d'un voile de deuil et d'infamie. Les premiers coups de son arme portèrent en effet sur les Hébertistes.
Comme son ami Danton, depuis les journées du 31 mai et du 2 juin, Camille se tenait à l'écart des comités. La paix de son intérieur, la beauté de sa femme, un bonheur domestique sans nuages le disposaient à l'attendrissement. Les sanglots de la ville, la morne exhibition des supplices troublaient ses nuits. Le goût de la retraite et de la nature s'accrut en lui de toute l'horreur des tableaux qu'il avait sous les yeux: «Oh! écrivait-il à son père, que ne puis-je être aussi obscur que je suis connu! O ubi campi, Guisiaque! Où est l'asile, le souterrain qui me cacherait à tous les regards avec mon enfant et mes livres?… La vie est si mêlée de maux et de biens, et depuis quelques années le mal déborde tellement autour de moi sans m'atteindre, qu'il me semble toujours que mon tour va arriver d'en être submergé… Je ne saurais m'empêcher de songer sans cesse que ces hommes qu'on tue par milliers ont des enfants, ont aussi leur père. Au moins je n'ai aucun de ces meurtres à me reprocher, ni aucune de ces guerres contre lesquelles j'ai toujours opiné, ni cette multitude de maux, fruits de l'ignorance et de l'ambition aveugle assises ensemble au gouvernail… Il y a des moments où je suis tenté de m'écrier comme lord Falkland [Note: Secrétaire d'État sous Charles 1er, tué à la bataille de Newburg. Le jour où il périt, il s'écria: «Je prévois que beaucoup de maux menacent ma patrie; mais j'espère en être quitte avant cette nuit.»], et d'aller me faire tuer en Vendée ou aux frontières, pour me délivrer du spectacle de tant de maux.» Ces rêves de fuite, ces mirages d'arbres et de fontaines revenaient sans cesse à l'imagination de Camille. «En janvier dernier, écrivait-il dans son journal, j'ai encore vu M. Nicolas dîner avec une pomme cuite, et ceci n'est pas un reproche. Plût à Dieu que dans une cabane, et ignoré au fond de quelque département, je fisse avec ma femme de semblables repas!» Lucile était toujours l'ange de ce foyer sur lequel planait le vent de la mort. «Je ne dirai qu'un mot de ma femme, ajoutait Desmoulins. J'avais toujours cru à l'immortalité de l'âme. Après tant de sacrifices d'intérêts personnels que j'avais faits à la liberté et au bonheur du peuple, je me disais au fond de ma persécution: Il faut que les récompenses attendent la vertu ailleurs. Mon mariage est si heureux, mon bonheur domestique si grand, que j'ai craint d'avoir reçu ma récompense sur la terre, et j'avais perdu ma démonstration de l'immortalité. (Se tournant par la pensée du côté d'Hébert qui l'avait bassement injurié): Maintenant tes persécutions, ton déchaînement contre moi et tes lâches calomnies me rendent tonte mon espérance.» Hébert avait dénoncé Camille aux Jacobins pour avoir épousé une femme riche. «Quant à la fortune de ma femme, elle m'a apporté quatre mille livres de rentes, ce qui est tout ce que je possède. Est-ce toi qui oses me parler de ma fortune, toi que tout Paris a vu, il y a deux ans, receveur de contre-marques à la porte des Variétés, dont tu as été rayé pour cause dont tu ne peux pas avoir perdu le souvenir? Est-ce toi qui oses me parler de mes quatres mille livres de rentes, toi qui, sans culotte et sous une méchante perruque de crin dans ta feuille hypocrite, dans ta maison, logé aussi luxurieusement qu'un homme suspect, reçois cent vingt mille livres de traitement du ministre Bouchotte pour soutenir les motions des Clootz, des Proly, de ton journal officiellement contre-révolutionnaire, comme je le prouverai.»
Les animosités éclatèrent; les Hébertistes attaquèrent solennellement Danton et Camille Desmoulins. Robespierre les défendit contre la défiance systématique de leurs adversaires; il couvrit l'un, excusa l'autre. L'arme tomba des mains des Hébertistes et se releva contre eux pour les punir.
Camille Desmoulins n'attaquait pas seulement la faction des athées et des anarchistes; ses attaques remontaient de temps en temps jusqu'au Comité de salut public. Or ce comité, dont Robespierre était membre depuis le 27 juillet, avait sauvé la Révolution. Il avait déployé une grande énergie, mais cette énergie, alimentée par Danton lui-même, était nécessaire pour triompher des obstacles qu'élevaient sans cesse les ennemis de la Montagne. Entraîné par son coeur, peut-être aussi par l'enivrement du succès, Camille osa parler de clémence.
Adoucir graduellement l'exercice du pouvoir exécutif; lever, dès que les circonstances le permettraient, le voile de terreur et de sang qu'on avait jeté sur la Constitution; déterrer la statue de la Liberté ensevelie sous les ruines fumantes de la guerre civile, n'étaient pas des idées qui appartinssent aux Dantonistes. Saint-Just avait tenu tout récemment le même langage que le Vieux Cordelier: «Il est temps, s'écriait-il, que le peuple espère enfin d'heureux jours, et que la liberté soit autre chose que la fureur de parti: vous n'êtes point venus pour troubler la terre, mais pour la consoler des longs malheurs de l'esclavage.» Ce même Saint-Just avait sauvé à Strasbourg des milliers de victimes, en jetant sous le fer de la guillotine le président du tribunal révolutionnaire, qui avait blasé le crime par l'usage immodéré de la terreur.
Robespierre jeune, l'ombre de son frère, envoyé en mission à Vesoul et à Besançon, avait montré partout aux habitants consternés le visage de la clémence. Maximilien, dans le Comité de salut public, cherchait lui-même à modérer les rigueurs du gouvernement révolutionnaire: mais le glaive avait, si j'ose ainsi dire, pris vie dans l'ardeur du combat; il emportait la main. Ralentir tout à coup l'exercice de la force executive, c'était d'ailleurs ranimer les feux mal éteints de la rébellion. Il fallait donc agir avec prudence et même avec une espèce de dissimulation saine. Au lieu de découvrir son coeur pour faire voir les battements de la pitié, le législateur devait alors masquer ses projets d'adoucissement et ses tentatives d'humanité sous un visage toujours sévère; il fallait comprimer la terreur par la terreur: c'était là le système voilé de Robespierre. Quand Camille toucha légèrement dans sa feuille à la clémence, Maximilien éprouva le mécontentement d'un auteur qui voit son idée prise par un autre et gâtée. Desmoulins comprenait effectivement la cause si honorable de la modération en la poussant tout d'abord aux extrêmes: «Voulez-vous, s'écria-t-il, que je reconnaisse votre sublime Constitution, que je tombe à ses pieds, que je verse tout mon sang pour elle? Ouvrez les prisons à deux cent mille citoyens que vous appelez suspects.» Une telle indulgence aurait eu pour résultat de désarmer le gouvernement de la République, dans un moment où il avait encore besoin de toutes ses ressources afin de déconcerter ses ennemis. Robespierre connaissait en outre le matérialisme de Danton et la faiblesse de Camille Desmoulins; il redoutait de leur part une compassion toute sensuelle pour les victimes, bien différente de la clémence austère du sang. La rigueur l'effrayait moins que l'impunité. Il craignait que l'amollissement des moeurs ne succédât dans la République à une violence interrompue. Il fallait, selon lui, que la justice humaine exagérât encore quelque temps la limite du bien et du mal, pour fonder la République sur des principes solides. Enfin, si la terreur lui pesait, son regard soucieux découvrait derrière les théories des indulgents et des immoraux un monstre plus vil et plus dangereux encore pour un État, la Corruption.
Robespierre aimait Camille Desmoulins, son ancien camarade de classes; mais il condamnait dans son ami l'immoralité de l'espièglerie. Un jour Camille entre familièrement dans la maison de Duplay; Robespierre était absent. La conversation s'engage avec la plus jeune des filles du menuisier; au moment de se retirer, Camille lui remet un livre qu'il avait sous le bras.
—Élisabeth, lui dit-il, rendez-moi le service de serrer cet ouvrage, je vous le redemanderai.
A peine Desmoulins était-il parti que la jeune fille entr'ouvre curieusement le livre confié à sa garde: quelle est sa confusion, en voyant passer sous ses doigts des tableaux d'une obscénité révoltante. Elle rougit: le livre tombe. Tout le reste du jour, Élisabeth fut silencieuse et troublée; Maximilien s'en aperçut; l'attirant à l'écart:
—Qu'as-tu donc, lui demanda-t-il, que tu me sembles toute soucieuse?
La jeune fille baissa la tête, et pour toute réponse alla chercher le livre à gravures odieuses qui avaient offensé sa vue. Maximilien ouvrit le volume et pâlit:
—Qui t'a remis cela?
La jeune fille raconta franchement ce qui s'était passé.
—C'est bien, reprit Robespierre; ne parle de ce que tu viens de me dire à personne: j'en fais mon affaire. Ne sois plus triste. J'avertirai Camille. Ce n'est point ce qui entre involontairement par les yeux qui souille la chasteté: ce sont les mauvaises pensées qu'on a dans le coeur.
Il admonesta sévèrement son ami, et depuis ce jour les visites de
Camille Desmoulins devinrent très-rares.
L'austérité de Robespierre était fort incommode à Danton.
Ces deux hommes se repoussaient par les angles de leur caractère. L'un était la probité farouche, l'autre le tempérament déchaîné.
La voix publique accusait Danton d'avoir dépouillé la Belgique et d'avoir commis dans son passage au gouvernement des actes scandaleux. Par une complication fatale, Chabot, Julien de Toulouse et Delaunay d'Angers, tous amis de Danton, avaient falsifié tout récemment un décret pour soustraire des sommes importantes. Les partis ne sont pas absolument solidaires, il est vrai, des fautes individuelles: mais, en général, de pareilles sortes de délits n'entachent que les partis corrompus. De tels griefs, je le sais, ne justifieraient point à eux seuls la fin tragique des Dantonistes. Aussi Robespierre envisagea-t-il moins le problème en moraliste qu'en législateur. C'est le point de vue politique qui détermina sa conduite dans cette affaire et qui guida sa main. Robespierre engagea ce dialogue avec lui-même: «Danton peut-il servir mes projets de république comme je la conçois?—Non.—Peut-il les contrarier?—Oui.—Il faut donc que j'abandonne Danton.» Ceci dit, il s'abstint de défendre son rival; or, la neutralité de Robespierre, dans cette circonstance, c'était la mort. Danton comptait effectivement des ennemis dans les comités. La verve imprudente et sarcastique du Vieux Cordelier avait blessé au vif des hommes implacables, Collot-d'Herbois, Barère; Saint-Just méprisait Camille Desmoulins comme un aventurier de gloire. «Ce vif et spirituel jeune homme, se disait-il, s'est jeté étourdiment dans la Révolution; mais le voilà déjà pris d'abattement et d'effroi. Sa tête, pleines d'idées trop fortes pour lui, regrette amèrement l'oreiller des anciennes croyances. Il nous faut des hommes de plus d'haleine, pour nous suivre dans les voies âpres où nous voulons conduire la nation et planter le drapeau de la démocratie!»
Danton, de son côté, Danton, ce rude marcheur, ce tribun aux larges poumons, avait été pris lui-même de lassitude et d'engourdissement, il s'arrêta; or, dans des temps comme ceux-là, s'arrêter, c'est mourir. Il comptait follement sur la popularité de son nom, sur sa parole, sur rattachement de ses amis, pour confondre les instigateurs de sa ruine. Un jour, Thibaudeau l'aborde:
—Ton insouciance m'étonne, je ne conçois rien à ton apathie. Tu ne vois donc pas que Robespierre conspire ta perte? ne feras-tu rien pour le prévenir?
—Si je croyais, répliqua-t-il avec ce mouvement des lèvres qui chez lui exprimait à la fois le dédain et la colère, si je croyais qu'il en eût seulement la pensée, je lui mangerais les entrailles.
Cela dit, il retomba dans son indolence superbe. Il n'était plus aussi assidu aux séances et y parlait beaucoup moins qu'autrefois. La Convention, dont il espérait se couvrir contre ses ennemis, n'était plus elle-même qu'une représentation nationale, qu'un instrument passif de la terreur. Elle était sous la foudre, mais elle ne la dirigeait pas.
Camille Desmoulins, quoique aveuglé par le succès de sa feuille, avait de tristes pressentiments. Un jour, son ancien maître de conférences le rencontre rue Saint-Honoré et lui demande ce qu'il porte.
—Des numéros de mon Vieux Cordelier. En voulez-vous?
—Non! non! Ça brûle.
—Peureux! répond Camille. Avez-vous oublié le passage de l'Écriture: Buvons et mangeons, car nous mourrons demain?
Ainsi l'insouciance et le matérialisme des amis de Danton ne se démentaient pas, même en face de l'échafaud.
La pauvre Lucile partageait les inquiétudes de son mari; elle les doublait même de toute son imagination craintive et de son amour. A qui recourir? sur quelle main s'appuyer? Fréron, leur ami, était absent; elle lui écrivit; «Revenez, Fréron, revenez bien vite! vous n'avez point de temps à perdre. Ramenez avec vous tous les vieux cordeliers que vous pourrez rencontrer; nous en avons le plus grand besoin. Plût au ciel qu'ils ne fussent jamais séparés! Voua ne pouvez avoir une idée de ce qui se passe ici; vous ignorez tout; vous n'apercevez qu'une faible lueur dans le lointain, qui ne vous donne qu'une idée bien légère de notre situation. Aussi je ne m'étonne pas que vous reprochiez à Camille son Comité de clémence. Ce n'est pas de Toulon qu'il faut le juger. Vous êtes bien heureux là où vous êtes; tout a été au gré de vos désirs: mais nous, calomniés, persécutés par des intrigants, et même des patriotes! Robespierre, votre boussole, a dénoncé Camille; il a fait lire ses numéros 3 et 4, a demandé qu'ils fussent brûlés, lui qui les avait lus manuscrits! Y concevez-vous quelque chose? Pendant deux séances consécutives, il a tonné contre Camille … Marius (Danton) n'est plus écouté, il perd courage, il devient faible; d'Églantine est arrêté, mis au Luxembourg; on l'accuse de faits graves…. Ces monstres-là ont osé reprocher à Camille d'avoir épousé une femme riche…. Ah! qu'ils ne parlent jamais de moi, qu'ils ignorent que j'existe, qu'ils me laissent aller vivre au fond d'un désert! Je ne leur demande rien, je leur abandonne tout ce que je possède, pourvu que je ne respire pas le même air qu'eux. Puissé-je les oublier, eux et tous les maux qu'ils nous causent! La vie me devient un pesant fardeau: je ne sais plus penser…. Bonheur si doux et si pur! hélas! j'en suis privée. Mes yeux se remplissent de larmes; je renferme au fond de mon coeur cette douleur affreuse; je montre à Camille un front serein; j'affecte du courage pour qu'il continue d'en avoir.» Fréron, le Montagnard sensuel et distrait, répondit à ce signal de détresse sur un ton de folâtrerie qui étonne: «Lucile, vous pensez donc à ce pauvre lapin, qui, exilé loin de vos bruyères, de vos choux et du paternel logis, est consumé du chagrin de voir perdus les plus constants efforts pour la gloire et l'affranchissement de la République?… Je me rappelle ces phrases intelligibles; je me rappelle ce piano, ces airs de tête, ce ton mélancolique interrompu par de grands éclats de rire. Être indéfinissable, adieu!» Lucile avait cherché un appui, et elle ne trouvait qu'un roseau pointu qui lui perçait la main.
Robespierre avait défendu Camille: mais le flot des dénonciations l'emportait. Il ne fallait plus seulement le protéger, il fallait l'avertir, le sauver de lui-même; car les étourderies, quelquefois sublimes, de cet écrivain, compromettaient la marche de la Révolution; sa parole était d'autant plus dangereuse qu'elle allait chercher l'émotion aux sources les plus nobles du coeur humain. Plaindre les victimes est un sentiment généreux: mais n'y avait-il pas ici de l'égoïsme dans la pitié? Sous le manteau de la clémence, les indulgents ne voulaient-ils pas couvrir la frayeur que leur causait l'oeil de la justice?—Robespierre annonce que, s'il a précédemment pris la défense de Camille, l'amitié l'égarait. «Camille, ajoute-t-il, avait promis d'abjurer les hérésies politiques qui couvrent toutes les pages du Vieux Cordelier. Enflé par le succès prodigieux de ses numéros, par les éloges perfides que les aristocrates lui prodiguaient, Camille n'a pas abandonné le sentier que l'erreur lui a tracé; ses écrits sont dangereux; ils alimentent l'espoir de nos ennemis et favorisent la malignité publique: je demande que ses numéros soient brûlés au sein de la Société.—Brûler n'est pas répondre!» s'écrie Camille. Robespierre, embarrassé, reste muet quelques secondes; puis, s'animant tout à coup: «Eh bien! qu'on ne brûle pas, mais qu'on réponde; qu'on lise sur-le-champ les numéros de Camille. Puisqu'il le veut, qu'il soit couvert d'ignominie; que la Société ne retienne pas son indignation, puisqu'il s'obstine à soutenir ses principes dangereux et ses diatribes. L'homme qui tient aussi fortement à des écrits perfides est peut-être plus qu'égaré; s'il eût été de bonne foi, s'il eût écrit dans la simplicité de son coeur, il n'aurait pas osé soutenir plus longtemps des ouvrages proscrits par les patriotes et recherchés par les contre-révolutionnaires. Son courage n'est qu'emprunté; il décèle les hommes cachés sous la dictée desquels il écrit son journal; il décèle que Desmoulins est l'organe d'une faction scélérate, qui a emprunté sa plume pour distiller le poison avec plus d'audace et de sûreté.—Tu me condamnes ici, reprit Camille; mais n'ai-je pas été chez toi? ne t'ai-je pas lu mes numéros, en te conjurant, au nom de l'amitié, de vouloir bien m'aider de tes conseils?—Tu ne m'as pas montré tous tes numéros; je n'en ai vu qu'un ou deux! s'écria Robespierre. Comme je n'épouse aucune querelle, je n'ai pas voulu attendre les autres; on aurait dit que je les avais dictés… Au surplus, que les Jacobins chassent ou non Camille, peu m'importe; ce n'est qu'un individu. Mais ce qui m'importe, c'est que la liberté triomphe et que la vérité soit connue.»
Robespierre avait son genre de pitié, mais c'était la pitié de l'avenir. Le législateur avait tué l'homme.
Cependant le Comité de salut public sembla faire une concession aux Dantonistes en leur sacrifiant la bande d'Hébert, qu'ils avaient si furieusement attaquée par la voix de Camille Desmoulins. Il est vrai que cette concession était dérisoire, et que dans la traînée de sang qui conduisit ces misérables à l'échafaud les modérés purent voir la trace de leur propre mort. Les Hébertistes finirent comme ils avaient vécu. Ces hommes qui agitaient sans cesse la terreur s'enterrèrent à leur propre glaive. Profitant de la disette et des souffrances du peuple, ils essayèrent de le soulever contre la Convention, qu'ils accusaient d'indulgence et de lenteur. Leur projet était d'improviser un second 31 mai. Ils échouèrent et sept têtes tombèrent sur l'échafaud.
XXIV
La perte des indulgents est décidée.—Arrestation de Camille Desmoulins et de Danton.—Lettre de Camille.—Paroles de Danton.—Dernière lettre de Camille.—Procès et défense des Dantonistes.—Ils sont conduits à l'échafaud.—Mort de Lucile Desmoulins.
La hache venait d'épurer le parti des Montagnards.
Robespierre se lève; l'épouvante siége sur son front. Il montre cette hache encore fumante et déclare que la Convention est déterminée à sauver le peuple en écrasant à la fois toutes les factions qui menaçaient le bien public. Les hommes patriotiquement contre-révolutionnaires, qui veulent faire de la liberté une bacchante, étant abattus, il se retourne contre les modérés, qui veulent en faire une prostituée. Robespierre caractérisait ainsi l'indulgence molle et corrompue.
En effet, l'horreur du sang est moins, dans certaines natures égoïstes, une vertu de coeur qu'une révolte de la sensibilité physique. La menace de Robespierre retentit aux oreilles des Dantonistes comme le glas de la mort. L'heure fatale a sonné. Les Comités de salut public, de sûreté générale et de législation se réunissent. La perte des indulgents est décidée. Impassible comme une idée, Robespierre ne retient ni ne pousse les accusés sur le bord de l'abîme. Il n'arrache pas ces têtes, il les laisse tomber.
[Illustration: Les Dantonistes devant le tribunal révolutionnaire.]
Dans la nuit du 30 au 31 mai, Camille, au moment où il allait se mettre au lit, entend dans la cour de sa maison le bruit de la crosse d'un fusil qui tombe sur le pavé. «On vient m'arrêter!» s'écrie-t-il; et il se jette dans les bras de sa femme, qui le presse de toutes ses forces contre son sein. Il court, donne un baiser à son petit Horace, qui dormait dans son berceau, et va lui-même ouvrir aux soldats, qui l'arrêtent et le conduisent à la prison du Luxembourg.
Danton, ce lion terrible, qui, cinq jours auparavant, voulait manger les entrailles à Robespierre, se laissa arrêter comme un enfant et égorger comme un mouton.
Avec eux, Hérault de Séchelles, Lacroix, Philippeaux, Westermann se trouvèrent réunis sous les mêmes verrous.
Hérault était un philosophe matérialiste; c'est lui qui a dit, après Buffon: «J'ai toujours nommé le Créateur, mais il n'y a qu'à ôter ce mot et mettre à la place la puissance de la nature.» Sa conduite dans la journée du 2 juin n'avait pas été exempte de faiblesse. Président de la Convention, il avait reculé devant les canons d'Henriot. A sa place, écrivait l'abbé Grégoire qui pourtant n'était pas Girondin, emporté par le sentiment d'un juste courroux, j'aurais peut-être fait saisir Henriot, ou j'aurais été massacré plutôt que de laisser ainsi outrager la représentation nationale.» Né dans une classe maintenant proscrite, Hérault avait pourtant fait de grands sacrifices à la Révolution. Sa belle figure, sa jeunesse, ses manières nobles et gracieuses attiraient sur lui l'attention des autres détenus.
Camille n'avait qu'une idée, sa Lucile. Il lui écrivit une première lettre déchirante. «Je suis au secret, mais jamais je n'ai été par la pensée, par l'imagination, plus près de toi, de ta mère, de mon petit Horace. O ma bonne Lolotte, parlons d'autre chose. Je me jette à genoux, j'étends les bras pour t'embrasser, je ne trouve plus mon pauvre Loulou. (Ici on remarque la trace d'une larme.) Envoie-moi le verre où il y a un C et un D, nos deux noms, et le livre sur l'immortalité de l'âme. J'ai besoin de me persuader qu'il y a un Dieu plus juste que les hommes et que je ne puis manquer de te revoir. Ne t'affecte pas trop de mes idées, ma chère amie, je ne désespère pas encore des hommes et de mon élargissement. Oui, ma bien-aimée, nous pourrons nous revoir encore dans le jardin du Luxembourg. Adieu, Lucile! adieu, Daronne (sa belle-mère) Adieu, Horace! Je ne puis pas vous embrasser, mais aux larmes que je verse il me semble que je vous tiens encore sur mon sein.» (Une seconde larme mouille le papier.) Lucile lut cette lettre en sanglotant, et dit à l'ami de Camille qui la lui apportait, et qui tâchait de la consoler: «C'est inutile, je pleure comme une femme, parce que Camille souffre… parce qu'ils le laissent manquer de tout; mais j'aurai le courage d'un homme, je le sauverai… Pourquoi m'ont-ils laissée libre, moi? Croient-ils que parce que je ne suis qu'une femme je n'oserai élever la voix? Ont-ils compté sur mon silence? J'irai aux Jacobins, j'irai chez Robespierre.» On assure qu'elle rôdait à toute heure autour de la prison de son mari; mais les murs d'une prison d'État sont comme le coeur d'un geôlier: ils ne laissent rien pénétrer, ni le regard, ni l'émotion. Pauvre Lucile! le silence seul entendait ses soupirs, la nuit voyait ses larmes.
Camille avait apporté dans sa prison des livres sombres, et mélancoliques, tels que les Nuits d'Young et les Méditations d'Harvey.
—Est-ce que tu veux mourir d'avance? lui dit le sceptique Réal. Tiens, voilà mon livre, à moi; c'est la Pucelle d'Orléans.
Quand Lacroix parut, Hérault de Séchelles, qui jouait à abattre un bouchon de liége avec des gros sous, quitta sa partie de galoche pour l'embrasser. Camille et Philippeaux n'ouvrirent point la bouche. Danton seul engagea une conversation théâtrale avec tout ce qui l'entourait. Il semblait charger les murs et les échos de la prison de redire chacune de ses paroles à la postérité.
En voici quelques-unes: «Dans les révolutions, l'autorité reste aux plus scélérats.»
«Ce sont tous des frères Caïn.»
«Brissot m'aurait fait guillotiner comme Robespierre!»
«II vaut mieux être un pauvre pêcheur que de gouverner les hommes.»
Il parlait sans cesse des arbres, de la campagne, de la nature.
Les débats du procès s'ouvrirent.
Quand ils partirent pour le tribunal, Danton et Lacroix affectèrent une gaieté extraordinaire; Philippeaux descendit avec un visage calme et serein, Camille Desmoulins avec un air rêveur et affligé.
La foule était immense: entassée dans la salle du tribunal et dans le Palais de Justice, elle débordait par les rues et les ponts jusque de l'autre côté de la Seine.
On assure que la femme de Camille Desmoulins, resplendissante de jeunesse et de beauté, cherchait à remuer le peuple.
Les accusés parurent. Ils se défendirent avec rage, non comme des prévenus sous la loi, mais comme des victimes sous le couteau.
Danton surtout, Danton, ce Titan foudroyé, secouait, avec des mouvements terribles, les tonnerres que l'accusation lançait sur sa tête. Sa voix s'enflait sur le bord de l'éternité comme un fleuve au moment de se précipiter dans la mer. Les fenêtres du tribunal étaient ouvertes; Danton, qui savait quel concours de citoyens assistait à son procès, parlait de manière à être entendu de tout un peuple. Cette retentissante voix remuait les pierres du Palais de Justice, couvrait la sonnette du président et poussait, par instants, de tels éclats, qu'elle parvenait au delà même de la Seine, jusqu'aux curieux qui encombraient le quai de la Ferraille. Danton comptait sur son éloquence et sur une conspiration tramée, dit-on, dans la prison du Luxembourg, pour soulever la multitude.
Sa défense respirait le désordre et l'indignation: «Les lâches qui me calomnient oseraient-ils m'attaquer en face? Qu'ils se montrent, et bientôt je les couvrirai eux-mêmes de l'ignominie, de l'opprobre qui les caractérisent. Je l'ai dit et je le répète: Mon domicile est bientôt dans le néant, et mon nom au Panthéon!… Ma tête est là; elle répond de tout!… La vie m'est à charge, il me tarde d'en être délivré.
LE PRÉSIDENT, à l'accusé.—Danton, l'audace est le propre du crime, et le calme est celui de l'innocence.
—Est-ce d'un révolutionnaire comme moi, aussi fortement prononcé, qu'il faut attendre une défense froide? Les hommes de ma trempe sont impayables; c'est sur leur front qu'est imprimé, en caractères ineffaçables, le sceau de la liberté, le génie républicain: et c'est moi que l'on accuse d'avoir rampé aux pieds des vils despotes, d'avoir toujours été contraire au parti de la liberté, d'avoir conspiré avec Mirabeau et Dumouriez! et c'est moi que l'on somme de répondre à la justice inévitable, inflexible!… Et toi, Saint-Just, tu répondras à la postérité de la diffamation lancée contre le meilleur ami du peuple, contre son plus ancien défenseur!… En parcourant cette liste d'horreurs, je sens toute mon existence frémir!…»
Danton promenait à chaque instant sur la multitude des regards où palpitait l'insurrection. «A moi! semblait-il dire. Sauvez le génie de la liberté!» Sa parole agitait tour à tour le tocsin de la révolte ou le glas de la mort sur toutes les têtes. Rien ne remuait. Alors les forces l'abandonnèrent; sa voix qu'animait la fureur s'altéra; il se tut.
De retour à sa prison, Camille perd tout espoir. Il écrit à sa femme une dernière lettre: «A mon réveil, en ouvrant mes fenêtres, la pensée de ma solitude, mes affreux barreaux, les verrous qui me séparent de toi ont vaincu toute ma fermeté d'âme. J'ai fondu en larmes, ou plutôt j'ai sangloté, en criant dans mon tombeau: Lucile! Lucile, ma chère Lucile! où es-tu? Hier au soir, j'ai eu un pareil moment, et mon coeur s'est également fendu, quand j'ai aperçu ta mère dans le jardin. Un mouvement machinal m'a jeté à genoux contre les barreaux; j'ai joint les mains comme implorant sa pitié, à elle qui gémit, j'en suis bien sur, dans ton sein. J'ai vu hier sa douleur à son mouchoir et à son voile qu'elle a baissé ne pouvant tenir à ce spectacle. Quand vous viendrez, qu'elle s'asseye un peu plus près avec toi, afin que je vous voie mieux…..Je t'en conjure, Lolotte, par nos éternelles amours, envoie-moi ton portrait. En attendant, envoie-moi de tes cheveux que je les mette contre mon coeur! Ma chère Lucile, me voilà revenu au temps de mes premières amours où quelqu'un m'intéressait par cela seul qu'il sortait de chez toi. Hier, quand le citoyen qui t'a porté ma lettre fut revenu: «Hé bien! Vous l'avez vue?» lui dis-je, comme je le disais autrefois à cet abbé Landreville; et je me surprenais à le regarder, comme s'il fût resté sur ses habits, sur toute sa personne quelque chose de toi… O ma chère Lucile, j'étais né pour faire des vers, pour défendre les malheureux, pour te rendre heureuse, pour composer, avec ta mère et mon père et quelques personnes selon notre coeur, un Otaïti. Tu diras à Horace, ce qu'il ne peut pas entendre, que je l'aurais bien aimé! Malgré mon supplice, je crois qu'il y a un Dieu. Je le reverrai un jour, ô Lucile! Mes mains liées t'embrassent, et ma tête séparée repose encore sur toi ses yeux mourants!»
La violence déployée par Danton, loin de sauver ses amis, leur avait nui dans l'esprit des masses. La dignité du président, qui ne cessait de rappeler les accusés à la modération, acheva de les accabler.
«S'indigner n'est pas répondre, disaient les groupes; si Danton est innocent, qu'il le prouve!» Comme l'éclat de la défense croissait par l'audace de Danton et de Lacroix, à la troisième séance les accusés furent mis hors des débats et le jury se déclara suffisamment éclairé.
Camille furieux déchire son acte d'accusation et en jette les lambeaux à la tête de Fouquier-Tinville.
On prononça la peine des accusés: la mort.
C'était le 5 avril 1794; le jour se leva le dernier pour Danton et ses amis. Lorsqu'on vint les garrotter pour les conduire au supplice, Camille Desmoulins criait, en écumant de rage:
—Quoi! assassiné par Robespierre!
Danton conserva son sang-froid et son dédain stoïque. [Note: Sénart rapporte qu'au moment de partir pour l'exécution il fit entendre les paroles suivantes, dignes d'un véritable épicurien: «Qu'importe si je meurs? j'ai bien joui dans la Révolution, j'ai bien dépensé, bien ribotté, bien caressé les filles; allons dormir!»
Ce propos est complètement improbable et aura été inventé par un ennemi.]
Dans le trajet, Camille, réveillé comme en sursaut d'un affreux cauchemar par les rudes cahots de la charrette, demandait avec stupeur à ceux qui l'entouraient: «Est-ce bien moi que l'on conduit à l'échafaud, moi qui ai donné le signal de courir aux armes le 14 juillet!»
Une foule silencieuse encombrait le chemin de la prison à la guillotine. Desmoulins promenait sur toutes ces têtes un regard suppliant et courroucé: «Peuple, pauvre peuple, s'écriait-il sans cesse, on te trompe, on immole tes soutiens, tes meilleurs défenseurs!» La violence de son action avait mis ses habits en pièces; il arriva presque nu à l'échafaud.
Danton semblait rougir pour son ami de ces transports: «Reste donc tranquille, lui disait-il, et laisse là cette canaille.» Il roulait en même temps sur la multitude un oeil tranquille et superbe. Alors Camille rencontrant sur une maison le buste de l'Ami du peuple: «Oh! si Marat existait encore, nous ne serions pas ici!» IL garda quelque temps le silence.
La belle et mélancolique tête d'Hérault de Séchelles semblait défier les outrages ou l'indifférence de la foule.
Le lugubre cortége passa rue Saint-Honoré, devant la maison de Robespierre. La porte cochère, les fenêtres, les volets, tout était fermé: cette maison ressemblait à un tombeau. Quelques assistants —était-ce l'idée?—crurent entendre sortir dans ce moment-là des plaintes et un gémissement. Camille, à la vue de ces murs si connus de lui, fit retentir l'air d'imprécations terribles: «Tu nous suivras! ta maison sera rasée; on y sèmera du sel. Les monstres qui m'assassinent ne me survivront pas longtemps!»
On était arrivé au pied de la fatale machine.
La place était éclairée, la foule morne.
La charrette s'arrêta. Ils descendirent un à un.
Arrivé au pied de l'échafaud, Camille ou Hérault de Séchelles voulut approcher son visage de celui de Danton pour l'embrasser; le bourreau les sépara:
«Tu es donc plus cruel que la mort! s'écrie alors Danton; car la mort n'empêchera pas nos têtes de se baiser tout à l'heure dans le fond du panier.»
Hérault passa le premier sous la fatale collerette de chêne; sa tête tomba. Les victimes se succédèrent.
En face du moment suprême, Camille avait retrouvé son calme. Il jeta les yeux sur le couteau tout fumant du sang qui venait de couler: «Voilà donc, dit-il, la récompense destinée au premier apôtre de la liberté!» Son tour était venu: il s'avance au-devant de la mort avec beaucoup de courage et la reçoit en tenant une boucle de cheveux de Lucile dans sa main.
Danton restait seul: «O ma bien-aimée, s'écria-t-il, ô ma femme, je ne te reverrai donc plus!…» puis s'interrompant: «Danton, pas de faiblesse!» Il tomba le dernier, après avoir recommandé à l'exécuteur de montrer sa tête au peuple; ce qui fut fait.
Ces hommes morts, un frisson de stupeur courut par toute la République. Les vrais patriotes, ceux qui avaient été le génie de la guerre, pleurèrent, se rappelant que Danton avait été le génie qui avait sauvé la patrie.
Les hommes qui périssent sur un échafaud pour une cause politique laissent derrière eux des amis, des enfants, des femmes, autres victimes, qui maudissent le système régnant, et dont la tête est bientôt jugée nécessaire au maintien de la tranquillité publique.
Ainsi la mort naît de la mort et le supplice s'accroît du supplice.
Un complot avait été ourdi, durant le procès des Dantonistes, pour soulever les prisons: Lucile Desmoulins s'y était associée de toute sa douleur et de toute sa tendresse de femme. Elle fut conduite au tribunal et condamnée à mort. Elle fit ses adieux à sa mère: «Bonsoir, ma chère maman, lui écrivit-elle du fond de sa prison; une larme s'échappe de mes yeux, elle est pour toi. Je vais m'endormir dans le calme de l'innocence.» Elle alla au supplice avec plus de sang-froid et de fermeté que son mari. Un mouchoir de gaze blanche, noué sous le menton, encadrait ses cheveux noirs et son visage souriant. Elle monta toute seule sur l'échafaud, et reçut, sans avoir l'air d'y faire attention, le coup fatal.
Cette tranquillité ne venait point du sentiment religieux.—«Être des êtres, disait à Dieu cette charmante Lucile, toi que la terre adore, toi mon seul espoir, si tu es, reçois l'offrande d'un coeur qui t'aime!»
XXV
La Révolution veut transformer le théâtre et les arts.—Projet de David.—Héroïsme et mort du jeune Barra.—Sa statue par David (d'Angers).—Gaieté et commerce dans Paris.—Décrets et institutions de la Convention.—Idéal de Robespierre différent de celui de la Révolution.—Fête du 20 prairial.—Paroles de Robespierre et considérations sur ses projets.—Loi du 22 prairial.—Retraite de Robespierre.
On ne transforme les idées d'un peuple qu'en transformant ses habitudes. Aussi la Révolution voulut porter sa main sur tous nos usages.
Les théâtres, les arts n'échappèrent point à cet enveloppement révolutionnaire.
Les spectacles jouaient Épicharis et Néron, tragédie politique du citoyen Legouvé; Manlius Torquatus, de Lavallée; le Modéré, comédie en un acte, par le citoyen Dugazon, et d'autres pièces de circonstance.
Le peintre David exerçait à la Convention la dictature des arts. Il avait de temps en temps des idées sublimes: «Citoyens, je propose de placer un monument composé des débris amoncelés des statues royales sur la place du Pont-Neuf, et d'asseoir au-dessus l'image du peuple géant, du peuple français; que cette image, imposante par son attitude de force et de simplicité, porte écrit en gros caractères sur son front, lumière; sur sa poitrine, nature, vérité; sur ses bras, force; sur ses mains, travail. Que sur l'une de ses mains les figures de la Liberté et de l'Égalité, serrées l'une contre l'autre et prêtes à parcourir le monde, montrent à tous qu'elles ne reposent que sur le génie et la vertu du peuple. Que cette image du peuple debout tienne dans son autre main cette massue terrible et réelle, dont celle de l'Hercule ancien ne fut que le symbole.» L'exécution de cette statue colossale fut décrétée.
La guerre civile, en plongeant le fer dans le coeur des citoyens armés les uns contre les autres, dévoilait chaque jour des actes d'héroïsme antique. L'enthousiasme révolutionnaire élevait les femmes, les enfants au-dessus de la faiblesse de l'âge ou du sexe.
A treize ans, le jeune républicain Barra nourrissait sa mère à laquelle il abandonnait sa paie de tambour, partageant ainsi ses soins entre l'amour filial et l'amour de la patrie. Enveloppé par une troupe de Vendéens, accablé sous le nombre, il tombe vivant entre leurs mains. Ces furieux lui présentent d'un côté la mort, et le somment de l'autre de crier: Vive le Roi! Saisi d'indignation, il frémit et ne leur répond que par le cri de: Vive la République! A l'instant, percé de coups, il tombe … il tombe en pressant sur son coeur la cocarde tricolore.
Cet héroïque enfant, mort pour avoir refusé sa bouche au blasphème et pour avoir confessé sa foi devant l'ennemi, méritait de revivre dans l'histoire.
Robespierre demande pour lui les honneurs du Panthéon.
La Convention nationale décide en outre, sur la proposition de Barère, qu'une gravure représentant l'action généreuse de Joseph Barra sera faite aux frais de la République, d'après un tableau de David. Un exemplaire de cette gravure, envoyé par la Convention nationale, devait être placé dans chaque école primaire. David avait accepté cette noble tâche; mais bientôt les événements se succèdent, la République s'efface et avec elle la mémoire reconnaissante de la nation pour le courage malheureux.
Un jour, M. David (d'Angers) lit le décret de la Convention qui décerne ces honneurs posthumes au jeune Barra; il est frappé: «Et moi aussi, s'écrie-t-il, j'admire cet enfant sublime qui est mort pour une idée. Ce que David le peintre n'a pas fait, David le statuaire le fera. Console-toi, Barra, tu auras ton monument!» Et il fit la statue que vous savez, un chef-d'oeuvre. [Note: J'ai vu il y a quelques années, chez M. Charles Lemerle, une esquisse à l'huile du peintre David représentant le jeune Barra attaqué par des Vendéens au moment où il conduit des chevaux de l'armée à l'abreuvoir; ainsi le décret du 8 nivose an II avait reçu de la main de l'artiste conventionnel un commencement d'exécution.]
La mort redoublait ses coups.
Le Comité de salut public avait voulu frapper dans la bande d'Hébert les excès de la démocratie, dans le parti de Danton la faiblesse et le matérialisme républicain. Robespierre essaya, mais en vain, de sauver madame Élisabeth, soeur de Louis XVI. La haine contre cette famille était inexorable.
Homère désignait les rois, de son temps, sous le titre de mangeurs de peuples. Par un retour soudain, le peuple se faisait mangeur de rois et de reines.
L'époque de la Terreur fut un passage violent et douloureux.
Mes cheveux se dressent quand je regarde dans cet abîme de sang.
Paris n'avait pourtant point alors la figure désolée que lui donnent les historiens. Voici ce qu'écrivait un témoin oculaire. «On bâtit dans toutes les rues. L'officier municipal suffit à peine à la quantité des mariages. Les femmes n'ont jamais mis plus de goût ni plus de fraîcheur dans leur parure. Toutes les salles de théâtre sont pleines.» Il n'est pas vrai que le commerce fût éteint. Jamais on ne vit autant de trafic et de négoce. Tous les rez-de-chaussée de Paris étaient convertis en magasins et en boutiques. Enfin cette Terreur, qu'on croit sans entrailles, se laissait guider ou arrêter dans le choix de ses victimes par des considérations d'utilité générale.
Cette fameuse Montagne, qu'on se représente comme toujours terrible, jetait des flots de lumière et de charité sur des flots de sang. Elle ne cessait de déposer dans ses décrets immortels le germe de toutes les institutions utiles; elle tarissait les sources de la misère publique, réprimait les excès de la propriété individuelle sans la détruire, tempérait la concurrence sans tuer l'émulation, cette racine de l'activité humaine, propageait les moyens d'instruction et les disséminait dans toute la République, comme les réverbères dans une cité; fondait l'École de Mars, créait des secours publics pour le malheur, pour la faiblesse ou pour le repentir, abolissait l'esclavage des nègres, s'occupait de faire refleurir l'agriculture, d'extirper les patois locaux, pour établir l'unité de langage national, jetait en silence les bases du Conservatoire des arts et métiers, forçait en un mot le respect même de ses ennemis et la reconnaissance de l'avenir. Grâce à elle, la Révolution ne fut point tout à fait stérile pour le pauvre, ni pour le peuple des campagnes. En même temps qu'elle montrait aux riches, aux puissants de la terre et aux superbes la face du Dieu tonnant, elle versait la paix et la consolation sous les toits de chaume.
[Illustration: Les Dantonistes au Luxembourg.]
La nation française était depuis cinq ans à la recherche de la justice.
Ce que l'homme, en effet, poursuit derrière toutes les agitations de la force ou de la pensée, c'est la justice, toujours la justice.
Ce que les révolutions cherchent éternellement, c'est la vérité.
La Convention avait créé une armée, une Constitution, un gouvernement, une administration, un peuple. Que lui manquait-il donc? Une morale, une croyance philosophique.
La République avait demandé un culte à la Raison, un sommeil éternel à la matière.
L'idéal de Robespierre était tout autre, et seul il se chargea de la conduire vers un dénouement. Suivons sa marche.
Des armées étrangères bordaient nos frontières consternées. Il fallait vaincre: on a vaincu. Des villes s'opposaient dans l'intérieur au gouvernement de la République: on y entre le fer au poing. De nouvelles conspirations s'agitent: on les abat. L'athéisme, déchaîné par les mouvements et les désordres inséparables d'une grande secousse, levait partout la tête: on l'écrase. Une tourbe insensée menaçait de corrompre par ses doctrines la partie saine du peuple: on en purge la France. La faiblesse donnait la main à la corruption pour désorganiser le pouvoir moral: on coupe cette main. Alors Robespierre amène cette farouche Révolution, qui avait détrôné tous les dieux de la terre, en robe de fête, parée de fleurs et de rubans, et la fait plier le genou devant son geste inspiré. «Il est un Dieu!» lui dit-il en lui montrant la nature.
La fête du 20 prairial est le point culminant de la Révolution française. Le soleil se leva dans toute sa pompe, le ciel était bleu, les coeurs étaient pénétrés d'un sentiment auguste. Des bataillons d'adolescents, des groupes de jeune filles, des mères et leurs enfants, des vieillards, tous ornés de rubans aux trois couleurs, tous portant des branches de chêne avec des bouquets, la force armée, les autorités, une musique imposante, un vaste amphithéâtre construit au-devant du balcon du château des Tuileries; le colosse de l'athéisme placé au milieu du bassin rond, colosse de toile et d'osier auquel le président mit le feu avec le flambeau de la vérité; la statue de la Sagesse apparaissant du milieu de ce monument incendié; de nombreux discours prononcés avant et après ce changement de décoration; un long cortége où la Convention marchait entourée d'un ruban tricolore porté par des enfants ornés de violettes, des adolescents ornés de myrtes, des hommes ornés de chêne, des vieillards ornés de pampre; les députés tenant chacun à la main un bouquet composé d'épis de blé, de fleurs et de fruits; un trophée d'instruments d'arts et de métiers, monté sur un char traîné par huit taureaux, couvert de festons et de guirlandes, tout cela distribué avec art dans le Champ-de-Mars (nommé Champ-de-la-Réunion); la Convention sur une montagne; les groupes de vieillards, de mères, d'enfants et d'aveugles chantant des hymnes patriotiques, tantôt séparément, tantôt en dialogue, tantôt en choeur, et les refrains répétés par trois cent mille spectateurs, au bruit éclatant des trompettes; le roulement de cent tambours, le tonnerre de terribles salves d'artillerie…. on n'avait jamais vu cérémonie si extraordinaire ni si touchante.
Dès le matin, les filles du menuisier chez lequel logeait Robespierre s'habillèrent de blanc et réunirent des fleurs dans leurs mains, pour assister à la fête. Éléonore composa elle-même le bouquet du président de la Convention. [Note: Robespierre avait été nommé, par exception, président de l'Assemblée, comme étant la pensée de cet acte religieux.]
Le soleil s'était levé sans nuage, tout riait dans la nature, et les quatre jeunes soeurs étaient attendries d'avance par le caractère solennel de la cérémonie qui se préparait: le printemps de l'année se mariait pour elles au printemps de l'âge et de l'innocence. Elles avaient plus d'une fois entendu Maximilien parler de l'existence de Dieu. Il leur avait lu, dans les soirées d'hiver, de belles pages de Jean-Jacques Rousseau, son maître, sur l'Auteur de la nature et sur l'immortalité de l'âme.
L'heure étant venue de se rendre au jardin des Tuileries, le chef de la maison, Duplay, ravi de voir ses filles si pieuses et si charmantes, marqua un baiser sur le front de chacune d'elles pour leur porter bonheur. On sortit avec la joie dans l'âme.
La famille de l'artisan ne rentra dans la maison paternelle qu'à la chute du jour.
Comme les visages étaient changés! Ce n'était plus cette allégresse du matin, cet enthousiasme de jeunes filles qui, fraîches et naïves, s'avançaient, comme les vierges de la Judée, au-devant de l'Éternel; on avait entendu dans la foule des murmures, des avertissements sinistres. Un nuage était sur tous les fronts. Robespierre semblait triste et résigné: «Je sais bien, dit-il en regardant ses hôtes, le sort qui m'est réservé; vous ne me verrez plus longtemps; je n'aurai point la consolation d'assister au règne de mes idées; je vous laisse ma mémoire à défendre; la mort que je vais bientôt subir n'est point un mal: la mort est le commencement de l'immortalité.»
Il se tut. Un morne pressentiment glaçait les coeurs. On se sépara pour la nuit.
Revenons sur les événements du 8 juin: deux journées semblables ne se lèvent point dans la vie d'un homme.
Robespierre était revêtu du costume des représentants du peuple, habit bleu, panache au chapeau et la ceinture tricolore au côté. Il avait dépouillé, dès le matin, cette morosité qui lui était habituelle. Maximilien quitta de bonne heure la maison de ses hôtes pour se rendre aux Tuileries. «En passant dans la salle de la Liberté, raconte Villate, je rencontrai Robespierre, tenant à la main un bouquet mélangé d'épis et de fleurs; la joie brillait pour la première fois sur sa figure. Il n'avait pas déjeuné. Le coeur plein du sentiment qu'inspirait cette superbe journée, je l'engage de monter à mon logement; il accepte sans hésiter. Il fut étonné du concours immense qui couvrait le jardin des Tuileries: l'espérance et la gaieté rayonnaient sur tous les visages. Les femmes ajoutaient à l'embellissement par les parures les plus élégantes. On sentait qu'on célébrait la fête de l'Auteur de la nature. Robespierre mangeait peu. Ses regards se portaient souvent sur ce magnifique spectacle. On le voyait plongé dans l'ivresse de l'enthousiasme. «Voilà la plus intéressante portion de l'humanité. L'univers est ici rassemblé. O Nature, que la puissance est sublime et délicieuse! Comme les tyrans doivent pâlir à l'idée de cette fête!»
«Ce fut là toute sa conversation.
«Maximilien resta jusqu'à midi et demi. Un quart d'heure après sa sortie paraît le tribunal révolutionnaire, conduit chez moi par le désir de voir la fête.
«Un instant ensuite vient une jeune mère folle de gaieté, brillante d'attraits, tenant par la main un petit enfant. Elle n'eut pas peur de se trouver au milieu de cette redoutable société. La compagnie commençant à défiler, elle s'empara du bouquet de Robespierre qu'il avait oublié sur un fauteuil.»
Robespierre monta lentement les marches d'une tribune qui lui était réservée: cette tribune était une chaire, l'orateur était un prophète. Il parla de Dieu en termes simples et dignes. Sa pâle figure, ses traits heurtés, se détachaient fermement sur le ciel bleu.
Un vieux cordonnier, spectateur muet et perdu dans la foule, me racontait ainsi ses impressions: «Je ne suis ni plus sensible ni plus religieux qu'un autre; mais quand je vis cet homme lever la main, d'un air inspiré, vers le ciel, je sentis quelque chose remuer là (il me montrait son coeur), et des pleurs d'attendrissement coulèrent sur mes joues. Allons, voilà que j'en suis encore tout ému.» Et il essuya quelques larmes que lui arrachait le souvenir de cette journée mémorable.
Le peuple entier partageait ces sentiments.
Quelques débris vivants de la faction d'Hébert couvraient seuls d'un morne silence la nuit de leur âme. Il fallait plus que du courage à Robespierre pour affronter les ténèbres, les colères et les poignards de l'athéisme. Tous les témoignages des contemporains me démontrent que Robespierre expira victime de sa foi. Son crime, aux yeux de ses ennemis, fut un acte de religion nationale; sa mort fut un martyre.
Bourdon (de l'Oise), Vadier, Fouché, Collot-d'Herbois et
Billaud-Varennes ne lui pardonnèrent point d'avoir osé croire en Dieu.
Les membres de la Convention affectèrent d'établir une distance entre eux et leur président, comme pour se séparer d'avance de Robespierre et pour faire croire à ses projets de dictature. Sa noble fierté, dans ce jour solennel, fut signalée comme de l'orgueil, sa joie comme de l'enivrement, son enthousiasme comme de l'ambition.
Les femmes, c'est-à-dire le sentiment, étaient pour lui; les enfants, c'est-à-dire l'innocence et la vérité, lui tendaient leurs petits bras en criant: «Vive Robespierre!» Ses collègues seuls murmuraient. «Ne veut-il pas faire le Dieu?» disait l'un. «Nous l'avons paré de fleurs, répondait l'autre: mais c'est pour l'immoler.» On tournait tout en dérision ou en crime, le panache flottant qui l'ombrageait, la manière dont il portait sa tête, les regards de satisfaction qu'il promenait sur la multitude.
Entendant bourdonner autour de lui toutes ces haines, il dit à demi-voix: «On croirait voir les Pygmées renouveler la conspiration des Titans.» Ce mot le perdit.
Une circonstance fit encore naître des pressentiments fâcheux. Au moment où Robespierre brûla le voile sous lequel on devait voir paraître la statue de la Sagesse, la flamme noircit entièrement cette statue. La chose fut regardée comme un présage. On crut voir la sagesse même de Robespierre s'obscurcir.
Le décret qui proclamait l'existence de l'Être suprême fut reçu dans les chaumières avec des larmes d'attendrissement et de joie. Après cinq mois d'athéisme et d'abolition des cultes, la France venait de retrouver Dieu. Ce fut un tressaillement dans toutes les consciences. On se demande depuis un demi-siècle ce qui manquait à Robespierre pour avoir raison de ses ennemis et pour fonder dans le monde le règne de la démocratie: il lui manqua un symbole religieux moins incomplet que le déisme. Son idée de vouloir tout ramener à la nature comme à l'état de perfection était chimérique et rétrograde.
Quelques amis de Robespierre prétendent que cette fête de l'Être suprême n'était qu'un premier pas dans une voie de réaction religieuse, et qu'après avoir renoué avec Dieu Maximilien aurait ramené la France vers le catholicisme.
La mort interrompit ses desseins.
Les politiques de fait attachent peu d'importance à de telles considérations; mais pour nous, qui ne séparons jamais la société d'un principe de justice; nous croyons que toute la destinée de Robespierre, comme celle de la France, était suspendue à l'établissement des rapports de l'homme avec ses semblables, c'est-à-dire de la morale. C'est faute d'avoir résolu le problème d'une croyance sociale qu'il se montra dans la suite inférieur aux événements.
Et les têtes tombaient.
Robespierre, dont le coeur saignait à la vue de ces exécutions sans terme, conçut le projet d'ensevelir la terreur et la mort dans un dernier supplice.
Jusqu'ici la justice n'avait guère atteint que les faibles ou les vaincus; il voulut que la foudre remontât pour frapper les chefs de la République, ces hommes souillés de rapines et de sang, qui avaient déshonoré leur mission. Ce fut dans ce but que Couthon, le confident et l'ami de Robespierre, présenta, deux jours après la fête de l'Être suprême, la loi sur le tribunal révolutionnaire, dite du 22 prairial.
Le rempart derrière lequel quelques membres impurs de la Convention abritaient leur infamie sous l'inviolabilité se trouvait renversé par cette loi. Les misérables virent la pointe du glaive qui les menaçait. Tallien, qui avait bu l'or et le sang de Bordeaux; Bourdon (de l'Oise), qui s'était couvert de crimes dans la Vendée; Dubois-Crancé, dont les manières hautaines et dures, les exigences outrées avaient soulevé la ville de Lyon; Léonard Bourdon, intrigant dont le cynisme égalait la lâcheté; Merlin, qui n'était pas sorti les mains pures de la capitulation de Mayence; Collot-d'Herbois, Fouché, Carrier, qui avaient des taches partout, se réunirent dans l'ombre pour préparer le 9 thermidor. La loi passa; mais les scélérats que Robespierre avait en vue échappèrent au bras qui voulait les frapper. L'arme qui devait tuer la Terreur en tuant les terroristes retomba plus lourde et plus tranchante sur le cou des victimes. Robespierre alors sortit du Comité de salut public, et cessa de participer aux actes du gouvernement. Cette neutralité couvrait des projets de clémence et d'amnistie; mais le moment n'était pas encore venu de les découvrir. Robespierre, soit faiblesse, soit connaissance approfondie de la situation, suivait le système dilatoire qui lui avait si bien réussi dans l'affaire des Hébertistes: il avait laissé l'athéisme s'user par ses propres excès; il lui semblait de même que l'échafaud devait se noyer d'un jour à l'autre dans le sang des victimes et dans celui des pourvoyeurs. Il attendait.
XXVI
Confidence de Barère.—Robespierre veut arrêter la Terreur.—Les petits Savoyards.—Pureté de moeurs de Robespierre.—Sa dernière promenade.—Le 9 thermidor; séance de la Convention.—Dévouement de Robespierre jeune et de Lebas.—Lâcheté de David.—Robespierre refuse d'agir contre la Convention.—Il est mis hors la loi et blessé à l'Hôtel de Ville.—Il est conduit au supplice.—Silence du peuple.—Joie de la classe moyenne.—Intrépidité de Saint-Just.—Henriot, Robespierre jeune, Couthon.—Mort de Robespierre et de Saint-Just.—Ce que dira la postérité.
Cependant les comités ne cessaient de surveiller la retraite de
Robespierre.
Voici une précieuse confidence de Barère à son lit de mort: «Robespierre était un homme désintéressé, républicain dans l'âme; son malheur vient d'avoir cherché à se faire nommer dictateur; il croyait que c'était le seul moyen de comprimer le débordement des passions, qui, en dépassant les mesures énergiques, ne furent utiles qu'à une époque de la Révolution. Il nous en parlait souvent à nous, qui étions occupés à diriger les armées dans notre Comité de salut public. Nous ne nous dissimulions pas que Saint-Just, taillé sur un plus grand patron pour faire un dictateur, aurait fini par le renverser et se mettre à sa place; nous savions aussi que nous, qui étions contraires à ses idées dictatoriales, il nous aurait fait guillotiner. Nous le renversâmes. Voilà ce qui arriva alors. Depuis, j'ai réfléchi sur cet homme et j'ai vu que son idée dominante était la réussite du gouvernement républicain; qu'il s'apercevait que les hommes, par leur opposition à ce gouvernement, entravaient les rouages de la machine; il les désignait: il avait raison.
«Nous étions alors sur des champs de bataille; nous n'avons pas compris cet homme.» Saint-Just, qui avait effectivement l'étoffe d'un dictateur, était doux comme un enfant, timide et rougissant comme une jeune fille, terrible comme un lion; sa parole était un glaive. Il n'épargnait ni son sang ni le sang des autres; il s'exposait lui-même au feu de l'ennemi; il se montrait froid dans le danger et stoïquement intrépide. Après l'action, il évitait de faire parler de lui. Son éloquence avait le nerf et quelquefois l'obscurité de Tacite. Il y avait de l'enthousiasme austère et comme un désordre lyrique dans le mouvement de ses idées.
Couthon, qui fermait le triumvirat, était un esprit droit et judicieux. Durant les séances de la Convention, il tenait sur ses jambes paralysées un petit chien aux poils longs et soyeux, qu'il caressait doucement avec la main.
Robespierre voulait arrêter la Terreur; mais, semblable aux créations fantastiques de l'alchimie, elle défiait la main qui lui avait donné l'existence. Ce n'était qu'une procession sans fin sur la route de l'échafaud. Attendre les pieds dans ce sang, attendre le retour incertain de la modération et de l'humanité était un supplice horrible. Robespierre souffrait mille morts, son âme était ulcérée des maux qu'il voyait s'accumuler sur ses rêves de félicité prochaine. Il passa quelques jours à l'Ermitage, dans la vallée de Montmorency. Maximilien aimait à respirer l'âme de son maître dans ces lieux encore tout pleins de la présence de Jean-Jacques Rousseau. Que se passait-il alors dans les méditations du législateur? Nul n'a pénétré les desseins profonds qu'enfantèrent, dit-on, ces jours de silence et de recueillement. L'avenir lui a manqué. Assurer l'existence de la République, faire cesser cet état d'incertitude qui livrait la fortune publique aux intrigants et les têtes au couteau, renouer une alliance sérieuse entre l'homme et Dieu, une sorte de concordat dont l'Évangile devait être le lien, telle était sans doute la pensée intime de Robespierre. Cette pensée, la mort la scella sur ses lèvres.
Depuis quelques mois, la porte cochère de la maison qu'habitait la famille Duplay était constamment fermée: la chose dont on voulait dérober la vue aux quatre filles du menuisier passait régulièrement tous les jours. Du reste, ce rideau une fois tiré sur la ville, rien ne troublait plus la paix intérieure. Maximilien avait ramené, d'un voyage dans l'Artois, un grand chien nommé Brount, qu'il aimait. Ce chien faisait la joie des jeunes soeurs. C'était un allié de plus dans la maison. L'animal, grave et penseur avec son maître, était folâtre avec Victoire et Éléonore. Quand Maximilien travaillait dans sa chambre, Brount, sage et sérieux, le regardait en silence; de temps en temps, le chien avançait sa tête caressante sur les genoux de son maître; c'était entre eux une sympathie sans bornes. Peut-être ce chien représentait-il au tribun soucieux et défiant l'image de la fidélité, si rare toujours, mais surtout dans les temps de révolution.
Pendant la belle saison, Maximilien allait se promener tous les soirs aux Champs-Élysées, du côté des jardins Marbeuf, avec ses hôtes. De petits Savoyards qui le connaissaient pour le rencontrer tous les soirs dans les avenues accouraient au-devant de lui en jouant de la vielle et en chantant quelque air des montagnes. Il leur donnait des petits sous et leur parlait avec bonté de leur pays, de leur cabane, de leur vieille mère. Les enfants l'appelaient entre eux le bon monsieur. L'un d'eux l'aborda un jour en pleurant. Maximilien lui demanda le motif d'une si grosse tristesse; alors l'enfant, pour toute réponse, entrouvrit sa boîte qui était vide. «Je vois, répondit le bon monsieur; tu as perdu ta marmotte; voici pour en acheter une autre.» Et il lui glissa dans la main une pièce de monnaie.
A la fin d'un siècle qui avait profané l'amour, Robespierre se distinguait par la pureté de ses moeurs et la délicatesse de ses procédés envers un sexe que la littérature du temps regardait comme né presque uniquement pour le plaisir. Il respectait surtout le lit conjugal. Attiré par l'habitude, il entrait tous les jours chez une marchande de tabacs, madame Carvin, qui était fort jolie. Il aimait à causer avec elle, mais sans jamais s'écarter des formes les plus respectueuses. Sa figure exprimait la tristesse, quand il parlait des affaires du jour: «Nous n'en sortirons jamais; je suis bourrelé; j'en ai la tête perdue.»
On était aux premiers jours de thermidor; Maximilien continuait avec sa famille adoptive les excursions du soir aux Champs-Élysées. Le soleil tombé à l'extrémité du ciel ensevelissait son globe derrière les massifs d'arbres ou nageait mollement çà et là dans un fluide d'or sombre. Les bruits de la ville venaient mourir parmi les branches agitées; tout était repos, silence et méditation; plus de tribune, plus de peuple, rien que l'enseignement paisible et solennel de la nature. Maximilien marchait avec la fille aînée du menuisier appuyée à son bras; Brount les suivait. Que se disaient-ils? La brise seule a tout entendu et tout oublié.
Éléonore avait le front mélancolique et les yeux baissés; sa main flattait négligemment la tête de Brount, qui semblait tout fier de si belles caresses; Maximilien montrait à sa fiancée comme le coucher du soleil était rouge. «C'est du beau temps pour demain,» dit-elle. Maximilien baissa la tête comme frappé d'une image et d'un pressentiment terrible.
Cette promenade fut la dernière.
Le lendemain, Maximilien avait disparu dans un orage; le lendemain était le 9 thermidor.
On n'a que trop écrit sur cette journée fameuse, qu'il faudrait, au contraire, couvrir de deuil et de silence.
Les comités se soulevèrent contre l'homme qui menaçait leur scélératesse et entraînèrent la Convention dans un piége.
Robespierre fut étouffé. En vain Saint-Just, calme et intrépide, agite la vérité sur la tête des méchants comme un flambeau ou comme un glaive; Tallien l'interrompt. Le sombre et atrabilaire Billaud-Varennes s'écrie: «La première fois que je dénonçai Danton au Comité, Robespierre se leva comme un furieux, en disant qu'il voyait mes intentions, que je voulais perdre les meilleurs patriotes. Tout cela m'a fait voir l'abîme creusé sous nos pas.» Ainsi la justification de Robespierre éclatait dans la bouche même de ses accusateurs. Il s'élance à la tribune; des cris formidables s'élèvent: «A bas, à bas le tyran!» Tallien fait briller la lame d'un poignard dont il s'est armé, dit-il, pour percer le sein du nouveau Cromwell, si la Convention nationale n'avait pas le courage de le décréter d'accusation.
Les incertitudes tombent devant cette menace.
L'Assemblée se soulève tout entière comme frappée d'une commotion électrique.
Robespierre, le chapeau à la main, pâle, mais non défait, n'avait point quitté la tribune; il insiste de nouveau pour obtenir la parole. Un cri unanime: «A bas le tyran!» se fait entendre et couvre sa voix.
Barère fait signe qu'il réclame le silence; alors toute la salle: «La parole à Barère!» Ce député avait, dit-on, deux discours dans sa poche, l'un pour, l'autre contre Robespierre; jugeant la victime abattue, il tira le glaive. «Tandis que je parlais, raconte-t-il lui-même dans ses Mémoires, mon frère, qui était dans la tribune au-dessus du fauteuil du président, observait tous les mouvements de Robespierre. Celui-ci, toujours à la tribune, s'agitait continuellement. Mon frère m'a dit que lui et ses voisins craignaient qu'il n'en vint à l'extrémité d'attenter à ma vie, tant on le voyait en proie à une violente crise de colère et de convulsion.
[Illustration: Arrestation de Robespierre et de ses co-accusés.]
«Une appréhension semblable était bien d'un frère, mais elle ne devait pas s'élever contre Robespierre: cet homme était barbare avec le glaive des lois ou le fer des révolutions, mais non d'individu à individu.»
Robespierre ne quittait toujours pas la tribune.
Le vieux sceptique Vadier provoque le rire homérique de la Convention en faisant de son ennemi le chef d'une bande de dévots et d'illuminés.
TALLIEN.—Je demande la parole pour ramener la discussion à son vrai point.
ROBESPIERRE.—Je saurai bien l'y ramener.
Sa voix est refoulée par les mouvements et les cris de l'Assemblée qui ne veut pas l'entendre. Tallien calomnie impudemment l'homme sur la bouche duquel tout le monde appuie le bâillon. «Certes, s'écrie-t-il, si je voulais retracer les actes d'oppression particulière qui ont eu lieu, je remarquerais que c'est pendant le temps où Robespierre a été chargé de la police générale qu'ils ont été commis.» Robespierre indigné: «C'est faux! je…» Murmures, cris, trépignements de rage. Des mains meurtrières se lèvent et s'agitent de tous le coins de la salle. Robespierre porte de tous côtés ses yeux; il ne rencontre que la défection et la haine. A chaque fois qu'il ouvre la bouche, une agitation tumultueuse le suffoque. Se tournant alors du côté de Thuriot, auquel Collot-d'Herbois vient de céder le fauteuil: «Pour la dernière fois, président d'assassins, je te demande la parole!»
Thuriot avait la taille et la voix d'un athlète; c'est l'homme qu'il fallait aux Thermidoriens pour en finir avec leur ennemi.
Alors Robespierre jeune: «Je suis aussi coupable que mon frère: je partage ses vertus; je veux partager son sort. Je demande aussi le décret d'accusation contre moi.» L'Assemblée a le lâche courage d'accepter cette victime volontaire.
On vote l'arrestation du tyran.
Des cris de: Vive la liberté! vive la République! éclatent. Robespierre, avec une tristesse amère: «La République? Elle est perdue, puisque les intrigants triomphent.»
Alors Lebas: «Je ne veux pas partager l'opprobre de ce décret! Je demande aussi l'arrestation.»
Tout le monde respectait le caractère sage et réservé de Lebas: les pans de son habit étaient entièrement arrachés par des mains officieuses qui, durant cette orageuse séance, avaient cherché à retenir son ardeur et son dévouement. [Note: Communiqué par la famille Lebas.]
Les députés qui venaient d'être décrétés d'arrestation descendirent à la barre. Des témoins rapportent que le visage de Robespierre exprimait un mépris mêlé d'indignation; calme et impassible, Saint-Just était resté maître de sa figure; Robespierre jeune, Lebas et Couthon semblaient plus touchés de l'injustice de la Convention envers Maximilien que de leur propre sort.
Barère disait: «J'ai sauvé la tête de David au 9 thermidor; je lui dis: «Ne viens pas à cette séance; tu n'es pas homme politique; tu te compromettras.» En effet, je suis sûr qu'il aurait voulu monter à la tribune pour défendre Robespierre. Souvent à Bruxelles, quand je me trouvais chez lui, il disait aux personnes présentes: «Je dois la vie à Barère» [Note: Extrait des notes du M. David (d'Angers).]
Ce grand peintre tenait donc bien à la vie, qu'il s'applaudissait de lui avoir sacrifié l'honneur!
Les prisons refusaient de recevoir Robespierre et ses amis.
Vaincu dans la Convention, il ne l'était pas dans l'opinion publique.
S'il se fût alors emparé du lieu des séances, s'il eût fait tomber dans la nuit une douzaine de têtes, s'il eût encouragé le peuple qui venait en foule pour le délivrer et pour le soutenir, il se fût relevé plus terrible et plus puissant que jamais.
Il ne le voulut point.
A ceux qui le pressaient d'agir contre la Convention nationale,
Robespierre n'opposa qu'un mot: «Et au nom de qui?»
Il mourut, comme on voit, martyr du dogme de la démocratie.
Pendant que le fantôme du devoir s'élevait dans la conscience de Robespierre pour arrêter sa main, ses ennemis remuaient de tous côtés. La Convention soulevait le peuple. Un décret qui mettait sa tête et celle de ses amis hors la loi était proclamé aux flambeaux, vers minuit, depuis les Tuileries jusqu'au quai de l'École.
Robespierre était à l'Hôtel de Ville avec les quatre députés mis hors la loi; deux colonnes s'avancent, sous les ordres de Barras, droit à la Commune, aux cris de: Vive la République! Vive la représentation nationale! Les citoyens qui tenaient pour Robespierre hésitent; les bataillons de garde nationale qui se trouvaient sur la place se débandent; les canons se retournent; les commissaires de la Convention pénètrent avec une force armée dans les salles. Robespierre reçoit dans la bouche un coup de feu, qui lui fait perdre beaucoup de sang et qui le livre sans défense aux gendarmes, entrés les premiers dans la maison commune pour le saisir.
Lebas s'était tué.
Robespierre jeune venait de se fracasser la jambe en se lançant d'une fenêtre.
Saint-Just était demeuré calme et immobile sur son siége.
On les conduisit tous au supplice.
La rue Saint-Honoré regorgeait de citoyens prévenus ou égarés, qui se réjouissaient de voir punir ces hommes qu'ils croyaient être le système de la Terreur. Toutes les croisées étaient garnies de femmes parées comme dans les jours de fête.
Robespierre, extraordinairement pâle, et couvert du même habit qu'il portait le jour où il avait proclamé l'existence de l'Être suprême, semblait prendre les injures de la foule en pitié. Sa figure était enveloppée d'un linge.
Des applaudissements partirent de plus d'une fenêtre richement tendue.
Tout le long de la route s'élevait une clameur immense.
—C'est lui! Il s'est blessé d'un coup de pistolet à la mâchoire!
—Non, c'est le sang de Danton qui lui sort par la bouche.
—C'est celui de Camille Desmoulins,
—C'est celui de la France.
Les injures pleuvaient; les femmes lui montraient le poing; les gendarmes eux-mêmes agitaient leur sabre en signe de réjouissance ou pour le montrer à la multitude; un assistant s'avança vers la charrette, regarda en face Robespierre, et lui cria sous le nez: «Oui, misérable, il est un Dieu!»
Robespierre ne donna aucun signe.
Un membre de la Convention se distinguait entre tous par la fureur avec laquelle il poussait le cri de: Mort au tyran!
Ce Conventionnel, c'était… Carrier.
On était arrivé devant la maison où logeait Maximilien; les énergumènes qui suivaient le cortége obligèrent les exécuteurs d'arrêter. Un groupe de furies exécuta une danse autour de la charrette où était Robespierre. En ce moment, une larme se forma lentement au bord de son oeil sec. Le souvenir de la vie douce et presque pastorale qu'il avait menée dans cette maison, l'idée de ses hôtes qu'il entraînait dans sa perte venait de lui ouvrir le coeur. On allait se remettre en marche: alors une femme, vêtue avec une certaine recherche, fend la foule, saisit avec vivacité d'une main les barreaux de la charrette et de l'autre, menaçant Robespierre, lui crie: «Monstre! ton supplice m'enivre de joie; je n'ai qu'un regret, c'est que tu n'aies pas mille vies, pour jouir du plaisir de te les voir tontes arracher l'une après l'autre. Va, scélérat, descends au tombeau avec les malédictions de tontes les épouses et de toutes les mères de famille.» Robespierre tourna languissamment les yeux sur elle et leva les épaules.
La classe moyenne affichait publiquement son triomphe par les insultes et les transports de joie qu'elle faisait éclater tout le long de la route. Le peuple, qui était personnifié dans Robespierre, était au contraire peu nombreux et morne. Il se disait que, cet homme mourant, la République allait mourir. Aussi gardait-il, sur le passage du fatal cortége, un silence consterné.
Les proscrits, au nombre de vingt-deux, étaient tous mutilés. En cherchant eux-mêmes la mort, ils n'avaient rencontré que la souffrance et des contusions horribles qui les défiguraient.
Seul l'intrépide Saint-Just était debout, promenant sur la foule un oeil tranquille.
Au moment où les charrettes débouchèrent sur la place de la Révolution, la multitude sembla retenir son haleine pour voir le dénouement de cette procession tragique. Les charrettes s'arrêtèrent au pied de l'échafaud.
Henriot, cet ivrogne barbouillé de lie et de sang, dont la conduite insensée avait perdu la cause du peuple, était le seul qui ne méritât point, dans cette journée, les honneurs du sacrifice. Un de ses yeux était sorti de son orbite et ne tenait plus que par des filaments. Avant qu'il montât sur la guillotine, un des valets du bourreau lui arracha brutalement cet oeil; ce qui le fit frémir de douleur.
Ils tombèrent tous, l'un après l'autre, sans faiblesse et en silence.
Robespierre jeune, toujours impassible et serein, même envers la mort, présenta fièrement sa tête au couteau et sa pensée à l'avenir.
Couthon, qui n'avait plus que la tête et le coeur de vivants, mourut tout entier sans pâlir.
Maximilien voyait d'un côté les feuillages des Champs-Elysées où murmurait pour lui un souffle d'amour, et de l'autre le jardin des Tuileries où il avait harangué le peuple le jour de la fête de l'Être suprême. Il avait montré tout le long de la route et conserva devant l'instrument du supplice un courage inflexible. Le bourreau, avant de l'étendre sur la planche où il allait recevoir la mort, lui arracha brusquement l'appareil qui couvrait sa blessure. Alors Robespierre jeta un cri. On entendit un coup sourd: sa tête venait de tomber. La joie féroce des spectateurs éclata.
Saint-Just alors parut, les pieds dans le sang, la tête dans le ciel, grave sur l'échafaud comme à la tribune ou sur les champs de bataille. On n'avait jamais vu tant de beauté ni de génie luire sous le reflet de la hache. Il avait vingt-six ans. Il croyait à la vertu, à la probité, au dévouement; il mourut égorgé par l'intrigue et par un vil égoïsme.
Tous ces hommes n'avaient commis qu'un crime, celui de tirer le glaive contre les ennemis du peuple; ils périrent aussi par le glaive. Peut-être devaient-ils cette dernière satisfaction à la justice sociale, pour que, les trouvant acquittés de la dette qu'ils avaient contractée envers la mort, le monde pût se prosterner un jour devant la mémoire de ces martyrs qui ont défendu la cause du genre humain souffrant, sauvé le territoire de l'invasion étrangère et préparé à leurs descendants des destinées meilleures.
La postérité, qui déjà danse sur les cadavres des vaincus et des victimes, dira: Il y eut un peuple qui, en moins de deux années, jugea son roi, refit son gouvernement, changea ses moeurs, écrasa dans son sein toutes les factions, soutint le poids d'un continent tout entier devenu son ennemi, dispersa ses anciens maîtres, détruisit les nouveaux ambitieux ou les anarchistes, pour remonter par ses propres forces à la justice, à la morale, et ressaisir sa souveraineté. Ce peuple avait à sa tête des hommes intègres, désintéressés, inflexibles, qui s'écroulèrent avec leur rêve.
Paix à ces ombres terribles!
XXVII
La seconde Terreur.—Désintéressement des Montagnards.—Jugement de
Barère sur Robespierre.—Billaud-Varennes à Cayenne.—Ses paroles.—Les
lettres de sa femme.—Sa mort.—Considérations générales sur les
Montagnards.
La Terreur allait finir; les coeurs s'ouvraient à la pitié; les pavés teints en rouge se soulevaient dans nos faubourgs contre le mouvement de la charrette qui servait aux exécutions, quand le 9 thermidor vint ramasser dans le sang de Robespierre et de Saint-Just le glaive émoussé qu'ils voulaient détruire.
La hache se retourna furieuse.
Les débris de la faction des modérés se vengèrent cruellement.
La justice du peuple avait été inflexible, celle de ses ennemis fut atroce.
Il y eut une seconde Terreur, mille fois plus sanguinaire et plus implacable que l'autre. Des calculs exacts portent à huit ou dix mille le nombre des ennemis de l'égalité qui tombèrent sur l'échafaud avant le 9 thermidor; selon des rapports faits par les contre-révolutionnaires eux-mêmes, trente-cinq mille Robespierristes furent égorgés, après le 9 thermidor, dans quatre départements. On voit déjà de quel côté fut la violence. Il ne faut pas s'en étonner: les premiers terroristes frappaient avec le fer d'une conviction et au nom d'un principe social, tandis que les seconds assassinèrent avec l'arme de l'égoïsme et de la peur.
Les Montagnards eurent, presque tous, une vertu civile qui rachète bien des fautes, le désintéressement. Ceux-ci n'étaient du moins ni des sangsues du peuple ni des voleurs.
Robespierre ne laissa pas un sou après sa mort.
Saint-Just, noble et riche, avait abandonné tout son bien à la commune de Blérancourt.
Envoyé en mission, l'abbé Grégoire réduisait ses dépenses, pour ménager les deniers de l'État: «Devinez, écrivait-il à madame Dubois, combien mon souper de chaque jour coûte à la Nation: juste deux sous; car je soupe avec deux oranges.» Il rapporta au Trésor public le fruit de ses économies, une petite somme épargnée sur ses frais de voyage et nouée dans un coin de son mouchoir.
Cahors, père d'une famille nombreuse et membre de la Convention à l'époque la plus florissante de cette assemblée, mourut, sans rien dire, de misère… oui, de misère.
Les députés de la Montagne qui survécurent à la Terreur thermidorienne parvinrent presque tous à l'extrême vieillesse. Aucun d'eux ne se reprocha le sang de Louis XVI; mais ils auraient voulu laver leurs mains et leur conscience du sang de Robespierre.
M. David (d'Angers) aborde un jour Barère sur son lit de douleur et lui témoigne l'intention de couler en bronze le portrait des hommes les plus célèbres de la Révolution française; il lui nomme d'abord Danton… Barère se lève brusquement sur son séant; et, le visage inspiré par la fièvre, il lui dit en faisant un geste d'autorité: «Vous n'oublierez pas Robespierre, n'est-ce pas? Car c'était un homme pur, intègre, un vrai et sincère républicain; ce qui l'a perdu, c'était son irascible susceptibilité et son injuste défiance envers ses collègues… Ce fut un grand malheur!» Après avoir dit, sa tête retomba sur sa poitrine et il resta longtemps enseveli dans ses réflexions.
Billaud-Varennes, déporté à Cayenne, pauvre, vieux et devenu doux comme une jeune fille, [Note: Expression des femmes noires qui lui ont fermé les yeux.] se reprochait le 9 thermidor, qu'il appelait sa déplorable faute.
«Je le répète, disait-il, la révolution puritaine a été perdue ce jour-là; depuis, combien de fois j'ai déploré d'y avoir agi de colère! Pourquoi ne laisse-t-on pas ces intempestives passions et toutes les vulgaires inquiétudes aux portes du pouvoir?»
Il disait encore: «Nous avions besoin de la dictature du Comité de salut public pour sauver la France. Aucun de nous n'a vu alors les faits, les accidents, très-affligeants sans doute, que l'on nous reproche! Nous avions les regards portés trop haut pour voir que nous marchions sur un sol couvert de sang. Parmi ceux que nos lois condamnèrent, vous ne comptez donc que des innocents? Attaquaient-ils, oui ou non, la Révolution, la République? Oui! Hé bien! nous les avons écrasés comme des égoïstes, comme des infâmes. Nous avons été hommes d'État, en mettant au-dessus de toutes les considérations le sort de la cause qui nous était confiée…. Nous, du moins, nous n'avons pas laissé la France humiliée et nous avons été grands au milieu d'une noble pauvreté. N'avez-vous pas retrouvé au Trésor public toutes nos confiscations?»
Un profond chagrin pesait néanmoins sur le coeur de Billaud. Après sa condamnation, sa jeune femme, qu'il avait adorée et qu'il aimait peut-être encore, profitant de la loi du divorce, s'était remariée en France. Elle avait alors vingt ans, un nom terrible à porter et la misère pour toute ressource. Un homme vieux et riche, touché de cette situation déplorable, s'offrit à l'épouser en secondes noces: elle consentit. Il mourut. Héritière d'une grande fortune et touchée sans doute de remords, cette femme, qui était encore très-belle, se souvint de Billaud qui vivait à Cayenne. Elle voulut consacrer sa richesse et ses soins à l'adoucissement d'un exil si amer. Un sentiment qui ne s'était jamais effacé de son coeur la ramenait, disait-elle, auprès de son premier mari. Elle lui écrivit lettre sur lettre, mais sans obtenir de réponse. S'étant rendue elle-même sur les lieux, elle demanda, par la bouche d'un intermédiaire, la grâce de soulager la noble infortune de M. Billaud-Varennes. Le vieux et fier républicain écouta l'envoyé de sa femme avec une attention soutenue, laissa même échapper quelques larmes, et ce fut tout. Il repoussa les services que venaient lui offrir ces mains tendres, mais profanées. «Il est, dit-il, des fautes irréparables. J'ai déchiré toutes ses lettres sans les lire.»
Une négresse, nommée Virginie, prit soin de sa vieillesse et de son malheur.
Billaud rendit le dernier soupir en confessant, avec l'exaltation de la fièvre, que, loin de se repentir, il mourait fier de l'utilité et du désintéressement de sa vie. Ses lèvres bleues et livides se fermèrent en murmurant ces paroles terribles du dialogue d'Euchrate et de Sylla: Mes ossements du moins reposeront sur une terre qui veut la liberté; mais j'entends la voix de la postérité qui me reproche d'avoir trop ménagé le sang des tyrans de l'Europe.
Acceptons tout de ces hommes, moins le sang! La France rayonne encore dans le monde de l'éclat de leur dictature et de leurs batailles. La démocratie renaîtra tôt ou tard de leur cendre par la réforme des moeurs et par la diffusion des lumières. Leur mémoire est la colonne de feu qui guide les générations errantes et indécises à la recherche d'une nouvelle terre promise. Le 9 thermidor ensevelit la République dans un orage. La montagne se changea en volcan. Ce volcan a jeté les membres palpitants de la Convention dans toutes les parties de la terre et jusque dans les contrée les plus sauvages. J'interroge alors l'univers qui a été témoin des dernières années de leur vie, et l'univers me répond: «Le monde n'en a jamais vu ni n'en reverra jamais de semblables; ils sont tous morts convaincus et résignés. On aurait dit des êtres supérieurs à l'espèce humaine.»
Soyez donc tranquilles et fiers dans vos tombeaux, ossements épars; l'heure de la résurrection politique du globe avance. Vous serez enfin jugés! Mais aujourd'hui que l'arme de la terreur est tombée de leurs mains et que le regard peut les considérer sans effroi, ces hommes nous apparaissent déjà comme des géants. L'ébauche de démocratie qu'ils nous ont laissée ressemble, toute noircie qu'elle est par la foudre, à une de ces pierres druidiques qu'on rencontre dans les champs de la vieille Bretagne. Jeunes gens, oublions les pertes et les blessures de nos familles, pour ne plus voir que le résultat acquis à la cause du peuple; n'imitons pas leurs excès, car les excès font reculer la liberté. Vous-mêmes, ombres des victimes de la Révolution, maintenant que, dégagées des liens du corps et des intérêts de la vie, vous jugez plus sainement les questions humaines, reconnaissez que votre, mort a été utile au progrès des générations futures, et réjouissez-vous par delà le tombeau!
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
I. Mes Témoins. II. Les Girondins.
CHAPITRE PREMIER.
Préludes de la Révolution française.
I
Du sentiment religieux.—Principaux événements de notre histoire.—Comment les faits s'enchainaient les uns aux autres pour amener un changement dans l'ordre poétique et social.— Affranchissement des communes.—Luther et Calvin.—La Saint-Barthélemy.—Richelieu.—Louis XIV.—Louis XV.
II
La Révolution en germe dans la cabale.—La franc-maçonnerie.—Les mystiques.—Les inventeurs.
III
Les prisons d'État.—Le Prévôt de Beaumont.—Décadence de l'ancien régime.
IV
La Révolution pouvait-elle être évitée?—Louis XVI et Marie-Antoinette.—Affaire du collier.—Personne ne voit de salut que dans la convocation des États généraux.
V
Le clergé, la noblesse et le tiers état.—La mission de la France, et pourquoi elle devait tomber aux mains des Montagnards.
CHAPITRE DEUXIÈME.
L'Assemblée constituante.
I
Les élections.—Convocation des États généraux.—Serment du
Jeu-de-Paume.
II
La séance royale.—Paroles de Mirabeau.—Necker.—Troubles à
Paris.—Conduite des députés.—Prise de la Bastille.
III
État des esprits.—Première émigration.—La disette.—Mort de Foulon et de Berthier.—Conduite du clergé français dans les premiers temps de la Révolution.
IV
Troubles et soulèvements dans les campagnes.—Henri de Belzunce.—Un épisode de la Révolution à Caen.
V
Suite de l'émotion populaire.—La détente.—Nuit du 4 août.—Quelle est sa portée.—Abolition des dîmes.—Conduite du roi et de la cour.
VI
Adoucissement des moeurs.—Le journalisme.—Marat et Camille Desmoulins.—Déclarations des droits de l'homme et du citoyen.—La prérogative royale et le véto.—Système des deux Chambres.—Obstacles que rencontrait le travail de la Constitution.—Brissot et Danton.
VII
Orgles des gardes-du-corps.—La contre-révolution secondée par les déesses de la cour.—Le peuple meurt de faim.—Il va chercher le roi à Versailles.—Les femmes de Paris.—Le sang coule.—Le roi et la reine au balcon.—Lafayette.—Réconciliation.—Retour à Paris.
VIII
L'Assemblée nationale à Paris.—Ses travaux.—Régénération des moeurs.—Un assassinat.—Le marc d'argent.—Le docteur Guillotin.—Opinion de Marat sur la peine de mort.—Robespierre grandit.
IX
Apparition des Clubs.—Les Jacobins.—Les Cordeliers.—Poursuites exercées centre les journaux démocratiques.—Marat raconté par lui-même.—Favras.—Les biens de l'Église.—Projets des émigrés.—L'Ami du peuple.—Abolition des titres de noblesse.—Opinion de Marat à cet égard.—Division de la France en 83 départements.—Les juifs, les protestants et les comédiens.
X
Constitution civile du clergé.—Fêtes de le Fédération.
XI
Le parti des Indifférents.—Marat éclate.—Camille Desmoulins dénoncé par Malouet.—Apparition de Saint-Just.—Désorganisation de l'année.—Mort de Loustalot.—Une séance du club des Jacobins. —Mariage de Camille Desmoulins.—Mort de Mirabeau.
XII
Les fédérations.—La bulle du pape.—Le clergé réfractaire.—Marat et
Robespierre royalistes.—Doctrines sociales de la Révolution.—Les
chevaliers du poignard.—Ce qui se passait au château des
Tuileries.—Théroigne de Méricourt.
XIII
Alarmes et soupçons.—Marat prophète.—Fuite du roi.—Lafayette risque d'être massacré sur la place de Grève.—Les armes et les insignes de la royauté sont arrachés et détruits.—Le peuple entre au château des Tuileries.—Robespierre aux Jacobins.
XIV
Arrestation du roi et de la famille royale.—Conduite de Drouet.—Fermeté de Sausse.—Retour à Paris.—La voie douloureuse.—Arrivée au château des Tuileries.—Translation des cendres de Voltaire au Panthéon.—Discussion, à l'Assemblée nationale, sur le sort de la royauté.—Les clubs.—Robespierre et Danton.—Devait-on restaurer Louis XVI sur le trône?
XV
Discussion sur la forme de gouvernement.—Réunion des citoyens au Champ-de-Mars.—Pétition signée sur l'autel de la patrie.—Déploiement de forces militaires.—La loi martiale et le drapeau rouge.—Lafayette et Bailly.—Massacres.—Conséquences de cette journée désastreuse.
XVI
Triomphe de la réaction.—Robespierre introduit dans la famille Duplay.—Sa manière de vivre.—Marat sous terre.—L'abolition de la peine de mort proposée par Robespierre, repoussée par la majorité conservatrice de l'Assemblée.—Fin de la Constituante.
CHAPITRE TROISIÈME.
Assemblée législative.
I
En quoi l'Assemblée législative différait de l'Assemblée constituante.—Le parti des Girondins.—Quels étaient alors les républicains.—Troubles excités dans tout le royaume par les prêtres réfractaires.—Menaces des émigrés.—Conduite ambiguë de Louis XVI.
II
Deux décrets: l'un contre les émigrés, l'autre contre les prêtres réfractaires.—D'où est parti le système de la Terreur.—Le roi tient pour le clergé non assermenté et pour la noblesse révoltée contre la nation.—Les désastres de Saint-Domingue.—Camille Desmoulins sans journal.—Les lettres et les arts en 91.—Danton est nommé procureur-adjoint de la Commune de Paris.—Son caractère et sa profession de foi.
III
La guerre.—Résistance de Robespierre à l'élan général.—L'avis de Danton.—Brissot se déclare ouvertement pour l'attaque.—Lutte entre lui et Robespierre.—Le sentiment martial l'emporte.—Les Marseillais marchent sur Arles.—Le bonnet rouge.—Les piques.—Ministère girondin.
IV
Influence des femmes sur la Révolution française.—Mme Roland et Théroigne.—La question religieuse aux Jacobins.—Massacres dans le midi de la France.—Entrevue de Robespierre et de Marat.—Déclaration de guerre.
V
La guerre débute mal.—Quelles étaient les causes de notre infériorité passagère.—Lettres de la commune de Marseille aux citoyens de Valence.—L'ennemi est a l'intérieur.—Décret contre les prêtres réfractaires.—Déclin des croyances religieuses.—Le véto royal.—Lettre de Roland.—Chute du ministère girondin.—Changements que la nécessité de vaincre amènent dans l'esprit public.
VI
Préludes de la journée du 20 juin.—Proposition de Danton au sujet de la reine.—Lettre de Lafayette à l'Assemblée.—Menaces d'un coup d'Etat.—Manifestation du peuple de Paris.—Il pénètre dans l'Assemblée.—Envahissement des Tuileries.—Conduite de Louis XVI.—A qui la victoire?—Fête du Champ-de-Mars.
VII
Lenteur calculée des opérations militaires.—Lafayette à la barre de l'Assemblée.—Manifeste de Brunswick,—Enrôlements volontaires.—Arrivée des fédérés marseillais.—Rôle de Danton.— Angoisses et découragement des chefs populaires.—Le 10 août.—Une page du journal de Lucile.—Péripéties de la lutte.—Le roi se réfugie dans l'Assemblée législative.—Défaite et massacre des Suisses.—Théroigne et Sulean.—Résolutions votées par les représentants de la nation.
VIII
Direction nouvelle imprimée à la guerre.—La Commune de Paris.—Sa lutte avec l'Assemblée législative.—Marat à l'Hôtel de Ville.—Qui l'emportera de la vengeance ou de la justice?—Création du tribunal révolutionnaire.—Conduite de Danton.—Prise de Longwy.—Acquittement de Montmorin.—Formation d'un camp au Champ-de-Mars.—Provocations au massacre des royalistes.
IX
Massacres de septembre.—Le Comité de surveillance.—La prison de l'Abbaye.—Le président Maillard.—Les jugements.—Journiac de Saint-Méard.—Ce qui se passait dans l'intérieur de la prison et devant le tribunal.—Royalistes acquittés.—Mlle. Cazotte et Mlle. de Sombreuil.—L'abbé Sicard.—La princesse de Lamballe.—A qui revient la responsabilité des massacres?—Rôle de Danton.—Marat seul ose justifier les journées de septembre.
X
Effet moral produit par les massacres.—Lutte de Danton et de Marat.—Affaire Duport.—Échec de la Commune.—Les élections.—Fin de l'Assemblée législative.
CHAPITRE QUATRIÈME.
La Convention.
I
Physionomie de la Convention nationale.—Nomination du bureau.—Abolition de la royauté.—La situation politique jugée par Danton.—La propriété est déclarée inviolable.—Réforme judiciaire. —Les juges seront choisis indistinctement parmi tous les citoyens.—Vice original de la Convention.—Les Girondins ennemis de Paris.—Le parti qu'ils tirent des journées de septembre.—Présages d'une lutte à mort entre la Gironde et la Montagne.
II
Une proposition malheureuse.—Séance du 23 septembre.—Dénonciation de Lasource.—Discours de Danton.—Attaque contre Robespierre.—Sa défense.—Démenti donné à Barbaroux par Paris. Accusation contre Marat.—L'Ami du peuple à la tribune.—Conclusion de cette journée.—Défaite des Girondins.—Paris vengé.—La République une et indivisible.
III
Élan du la défense nationale.—La panique.—Détente.—La patrie n'est plus en danger.—Arrivée de Dumouriez à Paris.—Sa présence au club des Jacobins.—Habileté de Danton.—Une soirée chez Talma.—Rabat-Joie.
IV
Ce qu'étaient alors les Girondins.—Leur rôle dans la Convention.—Leurs préjugés contre Paris.—Encore l'affaire du Mauconseil et du Républicain.—La population lasse des divisions personnelles.—Danton conciliateur et repoussé par les Girondins.—Son mot sur Mme. Roland.—On lui demande des comptes.—Sa défense.—La Commune de Paris.—Accusation contre Robespierre.—Séance du 5 novembre.—Déroute de la Gironde.—Robespierre et son frère chez Duplay.—Une promenade autour de Paris.—Marat dénoncé par Barboroux.—Réponse de Marat.—Éclaircie.—La bataille de Jemmapes.
V
Louis XVI au Temple.—Préliminaires de son procès.—Quels sont les hommes responsables de son jugement et de sa mort.—Saint-Just se révèle: son discours.—Les Conventionnels assaillis par le parti des femmes.—Marat et Mlle. Fleury.—La question religieuse sous la Convention.—La question des subsistances.—Opinion de Saint-Just.—Le procès du roi réclamé par les Montagnards, consenti par les Girondins.—Shakespeare parle du fond de sa tombe.—La forme du procès est résolue.
VI
Louis XVI et sa famille.—Procès-verbal d'Albertier.—Rapport du maire Cambon.—Récit de Barère.—L'ex-roi devant la Convention.—Son attitude et ses réponses.—Retour au Temple.—Nouvelles tentatives de séduction en faveur du roi.—Olympe de Gouges.—Vie privée de Louis XVI dans sa captivité.—La protestation de la vengeance.
VII
L'instruction primaire devant la Convention.—Gratuite et laïque.—Apparition de l'athéisme.—Sentiment de Robespierre sur la propriété.—Procès de Louis XVI.—Seconde comparation à la barre de l'Assemblée nationale.—Retour au Temple.—Conversation entre le roi, Cambon et Chaumette.—Agitation dans l'Assemblée.—Discours de Robespierre.—Discours de Saint-Just.—Appel nominal sur la question de culpabilité.—Discours de Danton.—Second appel nominal sur la ratification du jugement par le peuple.—Troisième appel nominal sur la peine à infliger.—Lettre de l'ambassadeur d'Espagne.—Sortie de Danton.—Le sursis.—Assassinat de Lepelletier de Saint-Fargeau.
VIII
Lutte entre la Convention et la Commune à propos de la liberté des théâtres.—Danton incline vers la Commune.—Exécution de Louis XVI.—Dernière entrevue avec la reine.—Son confesseur.—La maison Duplay durant le passage du lugubre cortége.—L'échafaud.—Dernières paroles de Louis.—Le soir du 21 janvier.—Embarras que la royauté léguait à la Révolution.
IX
Mort de la première femme de Danton.—Sa mission en Belgique.—La réunion des deux pays.—Retour victorieux de l'ennemi.—La Belgique évacuée par nos troupes.—Avis de Danton sur l'état des choses.—Proclamation de la Commune de Paris.—Le drapeau noir flotte sur les tours de Notre-Dame.—Sublime discours de Danton.—Accusations contre sa probité.—Établissement du tribunal révolutionnaire.—Élargissement des détenus pour dettes.—Envoi de commissaires aux départements.—Déclaration de guerre a l'Angleterre.
X
Marat rit.—Pillage des boutiques.—Dénonciation de Barère et de Salles.—Décret d'arrestation contre Marat.—Il échappe.—Sa lettre à la Convention.—Il est décrété d'accusation à la suite d'un appel nominal.—Défection de Dumouriez.—Opinion de Thibaudeau sur les intrigues orléanistes.—La Vendée.—Marat devant le tribunal révolutionnaire.—Son acquittement.—Son triomphe.—Sa rentrée à la Convention.—Marat chez Simonne Évrard.
XI
Parallèle entre la Gironde et la Montagne.—Ce qui manquait aux
Girondins.—Éloquence des orateurs.—Camille Desmoulins réprimandé par
Prudhomme.—Causes de la décadence des Girondins.—Ils n'étaieut point
de leur temps.
XII
Installation du Comité de salut public.—Son caractère.—Appel à la conciliation et à la fraternité.—Les frais de la guerre payés par les riches.—Le maximum.—Lyon et Marseille soulevés contre la Convention.—La Constitution de 93.—Opinion de Verguiand sur l'inspiration divine.—Opinion de Danton sur la liberté des cultes.—La Convention siége aux Tuileries.—Isnard président.—Histoire des Brissotins.—Commission des douze.—Arrestation d'Hébert.—Invective d'Isnard.—Agitation de Paris.
XIII
Insurrection pacifique du 31 mai.—Danton et le canon d'alarme.—l'Évêché.—La Convention envahie.—La Commission des douze est cassée.—Promenade aux flambeaux.—L'insurrection recommence le 2 juin.—Mauvaises nouvelles de la Vendée et du théâtre de la guerre.—Le tocsin de Notre-Dame et la générale.—Ce qui se passe à la Convention.—Henriot et ses canonniers.—Mise en accusation des vingt-deux.—Fin de Théroigne de Méricourt.
XIV
Incapacité des Girondins en fait de gouvernement.—Physionomie de la Convention après le 2 juin.—Lettre de Marat.—Déclin de l'Ami du peuple.—Système de bascule adopté par Robespierre.—Activité de la Convention après la chute des Girondins.—Fondation du Muséum d'histoire naturelle—La Constitution de 93.—Alliance de la Gironde avec les royalistes—Ce qui se passait dans le Calvados.
XV
Marat alité.—Le docteur Charles.—Députation du club des
Jacobins.—Mort de l'Ami du peuple.—Émotion des patriotes.—Les
funérailles.—Le tableau de David.—Les honneurs posthumes rendus à
Marat.—Son entrée triomphale au Panthéon.
XVI
Second mariage de Danton.—Il propose à la Convention un gouvernement révolutionnaire.—Motifs sur lesquels il appuie cette vigoureuse mesure.—Opposition de Robespierre.—Soulèvement des enragés contre Danton.—Réorganisation du Comité de salut public.—Les souvenirs de Barère.
XVII
La fête du 10 août 1793.—L'éducation publique par les beaux-arts.—Retour à la nature.—La fontaine de la Régénération.—David et Hérault de Séchelles.—Défilé du cortége sur les boulevards.—Égalité des rangs et des conditions humaines.—Honneurs rendus aux Aveugles, aux Enfants-Trouvés, aux Vieillards.—Deuxième station: l'arc de triomphe élevé en l'honneur des citoyennes.—Troisième station: la statue de la Liberté.—Quatrième station: les Invalides.—Cinquième station: le Temple funèbre.
XVIII
Siége de Lyon.—Décret de la Convention nationale.—Clémence de Couthon.—Atroce conduite de Collot d'Herbois et Fouché.—Le Girondin Rebecqui à Marseille.—Les royalistes s'emparent du mouvement.—Terreur blanche.—Siége et prise de la ville par l'armée républicaine.—Origine de la révolte à Toulon.—Les royalistes, cachés derrière les Girondins, se rendent maîtres des sections et fondent un Comité général.—Leur tribunal soi-disant populaire.—Le couronnement de la Vierge.—Paméla.—Toulon est vendu aux Anglais par les chefs de la réaction.—La guillotine et le gibet.—Arrivée de l'armée de Cartaux.—Attaque et victoire des Montagnards.—Panique des royalistes.—Incendie de nos arsenaux.—Noble conduite des forçats.
XIX
Le règne de la Terreur.—Quels sont ceux qui l'ont provoqué.—Comment il s'est formé par une sorte d'incubation lente.—Séance du 5 septembre.—Merlin, Chaumette, Danton, Varennes, Barère.—Aggravation du Tribunal révolutionnaire.—Institution d'une armée spéciale chargée de contenir Paris.—Considérations générales sur les mesures prises par la Convention.—Ce qui serait arrivé si les Montagnards eussent faibli.—Ne pas confondre le système avec ses excès.—La Terreur comparée à l'Empire.—Dernier mot des Conventionnels.
XX.
Procès et mort de Custine.—Procès et mort de Marie-Antoinette.—Procès des Girondins.—Robespierre arrache à la mort soixante-treize députés.—Condamnation à mort des Vingt-et-un.—Suicide de Valazé.—Exécution de Brissot et de ses complices.—Sort des autres Girondins.—Mort de Mme. Roland.—Supplice de Bailly et de Barnave.—Châtiment de la Dubarry.—Un mot sur le Tribunal révolutionnaire.—Souberbielle.—Duplay.—Prostration.—La victoire ranime tous les courages.
XXI
La ligue des philosophes de la Convention pour propager les lumières.—Lakanal.—Les services qu'il rendit aux savants.—Bernardin de Saint-Pierre et Daubenton.—Calendrier républicain.—Chappe inventeur du télégraphe.—Deux ans de fer contre quiconque dégradera les monuments publics.—Progrès du Muséum d'histoire naturelle—Les écoles normales.—Vengeance de Lakanal.—L'abbé Sicard ami de Couthon.—Le docteur Pinel.—État des fous jusqu'en 1793.—Visite de Couthon à Bicêtre.—Libération des fous.—Le Conservatoire de musique.—Ce qu'a fait la Convention pour les arts et pour l'humanité.
XXII
La Révolution est partout maîtresse.—Indignes successeurs de Marat.—Athéisme d'Hébert et de Chaumette.—L'evêque Gobel, à l'instigation d'Anacharsis Clootz, dépose l'exercice de son culte entre les mains de la Nation.—Résistance de l'abbé Grégoire.—Fête de la déesse Raison. Pallnodie d'Hébert.—Ronsin, Carier, Fouché de Nantes.
XXIII
Retraite de Danton, son mépris pour les Hébertistes.—Camille Desmoulins.—Son journal, ses attaques contre Hébert et le Comité de salut public.—Sa modération, ses idées de clémence et ses rapports avec Robespierre.—Accusation portée contre Danton.—Son insouciance.—Inquiétudes de Lucile.—Séance des Jacobins.—Mort des Hébertistes.
XXIV
La perte des indulgents est décidée.—Arrestation de Camille Desmoulins et de Danton.—Lettre de Camille.—Paroles de Danton.—Dernière lettre de Camille.—Procès et défense des Dantonistes.—Ils sont conduits à l'échafaud.—Mort de Lucile Desmoulins.
XXV
La Révolution veut transformer le théâtre et les arts.—Projet de David.—Héroïsme et mort du jeune Barra.—Sa statue par David (d'Angers).—Gaieté et commerce dans Paris.—Décrets et institutions de la Convention.—Idéal de Robespierre différent de celui de la Révolution.—Fête du 20 prairial.—Paroles de Robespierre et considérations sur ses projets.—Loi du 22 prairial.—Retraite de Robespierre.
XXVI
Confidence de Barère.—Robespierre veut arrêter la Terreur.—Les petits Savoyards.—Sûreté de moeurs de Robespierre.—Sa dernière promenade.—Le 9 thermidor, séance du la Convention.—Dévouement de Robespierre jeune et de Lebas.—Lâcheté de David.—Robespierre refuse d'agir contre la Convention.—Il est mis hors la loi et blessé à l'Hôtel de Ville.—Il est conduit au supplice.—Silence du peuple.—Joie de la classe moyenne.—Intrépidité de Saint-Just.—Henriot, Robespierre jeune, Couthon.—Mort de Robespierre et de Saint-Just.—Ce que dira la postérité.
XXVII
La seconde Terreur.—Désintéressement des Montagnards.—Jugement de Barere sur Robespierre.—Billaud-Varennes à Cayenne.—Ses paroles.—Les lettres de sa femme.—Sa mort.—Considérations générales sur les Montagnards.
TABLE DES GRAVURES
Frontispiece.—Portrait de l'auteur.
Rouget de l'Isle.
Louis XIV.
Louis XVI.
Necker.
Serment du Jeu-de-Paume.
Camille Desmoulins.
Camille Desmoulins au Palais-Royal.
Robespierre.
Prise de la Bastille.
Danton.
Barère.
Un homme est tué par les gardes-du-corps.
Le club des Cordelièrs.
Marat.
Les Cordeliers avaient pose deux sentinelles
à la porte de Marat.
Fête de la Fédération au Champ-de-Mars.
Fabre-d'Églantine.
Une séance du club des Jacobins.
Brissot.
Collot-d'Herbois.
Santerre.
Pétion.
La députation des pétitionnaires du Champ-de-Mars
quitte l'Hôtel de Ville, terrifiée
d'avoir vu arborer le drapeau rouge.
Massacres du Champ-de-Mars.
Couthon.
Verguiaud.
Dumouriez.
Madame Roland.
Chaumette.
Les pétitionnaires du 20 juin.
Hébert.
L'abbé Sicard, instituteur des sourds-muets.
Intérieur de l'Abbaye aux journées de Septembre.
Massacres dans les prisons.
Massacre des Carmes.
Barras.
Marat à la tribune de la Convention: Séance orageuse.
Séance du 25 septembre.
Boissy-d'Anglas.
Saint-Just.
Louis XVI et la famille royale au Temple.
Louis XVI donnant une leçon de géographie à son fils.
Louis XVI fait construire une caisse en fer.
Cambon ordonne à Louis XVI de se rendre à
la barre de la Convention.
Gensonné.
L'abbé Grégoire.
Logement de Marat rue des Cordeliers.
Fouquier-Tinville, accusateur public.
Carrier.
Comité de salut public.
Assassinat de Marat.
Provocation d'Isnard, président de la Convention.
Défilé du cortége sur les boulevards.
Fontaine de la Régénération.
Merlin de Douai donne lecture de son rapport.
Rassemblements devant l'Hôtel de Ville.
Valazé.
Le général Custine est conduit devant le
tribunal révolutionnaire.
Les Hébertistes à la Conciergerie.
Dernière entrevue de Danton et de Robespierre.
Les Dantonistes devant le tribunal révolutionnaire.
Les Dantonistes au Luxembourg.
Arrestation de Robespierre et de ses co-accusés.
End of Project Gutenberg's Histoire des Montagnards, by Alphonse Esquiros