Histoire du Consulat et de l'Empire, (Vol. 03 / 20): faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française
Le Premier Consul, entouré de ses frères, Joseph et Lucien, apprit ce résultat avec le plus vif déplaisir. Dans le premier moment, il ne songeait à rien moins qu'à refuser la proposition du Sénat. Il fit tout de suite appeler son collègue Cambacérès. Celui-ci accourut sur-le-champ. Trop sage, trop prudent pour triompher de sa prévoyance, et de la faute du Premier Consul, il dit que ce qui arrivait était désagréable sans doute, mais facile à réparer; qu'avant tout il ne fallait montrer aucune humeur; que, dans deux fois vingt-quatre heures, tout pourrait être changé, mais qu'il était nécessaire pour cela de donner à l'affaire une face nouvelle, et qu'il s'en chargeait. Le Sénat vous offre une prorogation de pouvoir, dit M. Cambacérès, répondez que vous êtes reconnaissant d'une telle proposition, mais que ce n'est pas de lui, que c'est du suffrage de la nation que vous tenez votre autorité, que c'est de la nation seule que vous pouvez en recevoir la prorogation; et que vous voulez la consulter par les mêmes moyens qui ont été employés pour l'adoption de la Constitution consulaire, c'est-à-dire par des registres ouverts dans toute la France. Alors nous ferons libeller par le Conseil d'État la formule qui sera soumise à la sanction nationale. En faisant ainsi un acte de déférence pour la souveraineté du peuple, nous parviendrons à substituer un projet à un autre. Nous poserons la question de savoir, non pas si le général Bonaparte doit recevoir une prorogation pour dix ans du pouvoir consulaire, mais s'il doit recevoir le Consulat à vie. Si le Premier Consul faisait lui-même une telle chose, ajouta M. Cambacérès, les convenances seraient trop blessées. Mais je puis, moi, second Consul, très-désintéressé dans cette circonstance, donner l'impulsion. Que le général parte publiquement pour la Malmaison; je resterai seul à Paris; je convoquerai le Conseil d'État, et c'est par le Conseil d'État que je ferai rédiger la nouvelle proposition, qui devra être soumise à l'acceptation de la nation.—
Cet habile expédient fut adopté avec grande satisfaction par le général Bonaparte, et par ses frères. M. Cambacérès fut beaucoup remercié de son ingénieuse combinaison, et chargé de tout avec un entier abandon. Il fut convenu que le Premier Consul partirait le lendemain, après avoir arrêté avec M. Cambacérès lui-même le texte de la réponse au Sénat.
Ce texte fut rédigé le lendemain matin, 9 mai (19 floréal), par M. Cambacérès et le Premier Consul, et adressé tout de suite au Sénat, en réponse à son message.
«Sénateurs, disait le Premier Consul, la preuve honorable d'estime consignée dans votre délibération du 18, sera toujours gravée dans mon cœur.
»Dans les trois années qui viennent de s'écouler, la fortune a souri à la République; mais la fortune est inconstante: et combien d'hommes qu'elle y avait comblés de ses faveurs, ont vécu trop de quelques années!
»L'intérêt de ma gloire et celui de mon bonheur sembleraient avoir marqué le terme de ma vie publique au moment où la paix du monde est proclamée.
»Mais la gloire et le bonheur du citoyen doivent se taire quand l'intérêt de l'État et la bienveillance publique l'appellent.
»Vous jugez que je dois au peuple un nouveau sacrifice; je le ferai, si le vœu du peuple me commande ce que votre suffrage autorise.»
Le Premier Consul, sans s'expliquer, indiquait assez clairement qu'il n'acceptait pas telle quelle la résolution du Sénat. Il partit sur-le-champ pour la Malmaison, laissant à son collègue Cambacérès le soin de terminer cette grande affaire, conformément à ses désirs. Celui-ci appela auprès de lui les conseillers d'État, plus habitués à seconder les vues du gouvernement, et convint avec eux de ce qui se ferait dans le sein du conseil. Le lendemain, 10 mai (20 floréal), le Conseil d'État fut assemblé extraordinairement. Les deux consuls Cambacérès et Lebrun, tous les ministres, excepté M. Fouché, assistaient à la séance. M. Cambacérès la présidait. Il énonça l'objet de cette réunion, et fit appel aux lumières de ce grand corps, dans la circonstance importante où le gouvernement se trouvait placé. MM. Bigot de Préameneu, Rœderer, Regnaud, Portalis, prirent aussitôt la parole, soutinrent que la stabilité du gouvernement était aujourd'hui le premier besoin de l'État; que les puissances, pour traiter avec la France, que le crédit public, le commerce, l'industrie, pour reprendre leur essor, avaient besoin de confiance; que la perpétuité du pouvoir du Premier Consul était le moyen le plus certain de leur en inspirer; que cette autorité, conférée pour dix ans, était une autorité éphémère, sans solidité, sans grandeur, parce qu'elle était sans durée; que le Sénat, gêné par la Constitution, n'avait pas cru possible d'ajouter plus de dix ans de prolongation au pouvoir du Premier Consul, mais qu'en s'adressant à la souveraineté nationale, comme on avait fait pour toutes les constitutions antérieures, on n'était plus gêné par la loi existante, puisqu'on remontait à la source de toutes les lois, et qu'il fallait purement et simplement poser cette question: Le Premier Consul sera-t-il consul à vie?—Le préfet de police Dubois, membre du Conseil d'État, homme d'un caractère généralement décidé et indépendant, fit part de l'opinion qui régnait dans Paris. De tout côté, on trouvait la proposition du Sénat ridicule; on disait qu'il fallait un gouvernement à la France, qu'enfin on en avait trouvé un, fort, habile, heureux, qu'il fallait le garder; qu'on aurait pu ne pas toucher à la Constitution, mais qu'à y toucher, autant valait en finir, et organiser ce gouvernement de manière à le conserver toujours.—Ce que rapportait le préfet Dubois était vrai. L'opinion était si favorable au Premier Consul qu'on voulait universellement trancher la question sur-le-champ, et donner à son pouvoir la durée de sa vie même. Après avoir entendu ces diverses allocutions, M. Cambacérès demanda si personne n'avait d'objection à faire; et comme les opposants, au nombre de cinq ou six, tels que MM. Berlier, Thibaudeau, Emmery, Dessoles, Bérenger, se taisaient, il mit la résolution aux voix, et elle fut adoptée à une immense majorité. Il fut donc arrêté que l'on provoquerait un vote public sur cette question: Napoléon Bonaparte sera-t-il consul à vie?—Cette résolution prise, M. Rœderer, qui était le plus hardi de tous les membres du parti monarchique, proposa d'ajouter une seconde question à la première, c'était celle-ci: Le Premier Consul aura-t-il la faculté de désigner son successeur?—M. Rœderer tenait beaucoup à cette question, et il avait raison. Si on agissait de bonne foi, si on ne cachait pas l'arrière-pensée de revenir quelque temps après sur ce qu'on faisait aujourd'hui, si on voulait enfin constituer définitivement le pouvoir nouveau, la faculté de désigner le successeur était le meilleur équivalent de l'hérédité, quelquefois supérieur par ses effets à l'hérédité même, car c'est le moyen qui a donné au monde le règne des Antonins. Un consul à vie, avec la faculté de désigner son successeur, était une vraie monarchie sous une apparence républicaine. C'était un beau et puissant gouvernement, qui sauvait du moins la dignité de la génération présente, laquelle avait juré de vivre en république, ou de mourir. M. Rœderer, qui était opiniâtre dans ses idées, insista, et fit poser cette seconde question. Elle fut adoptée comme la précédente. Il fallait ensuite se décider sur la forme à donner à toutes deux. On pensa que cet appel fait au peuple français par le moyen des registres ouverts dans les communes, était un acte qui devait appartenir au gouvernement, car c'était pour ainsi dire une simple convocation; qu'il était naturel dès lors de le faire délibérer au Conseil d'État; que la publication de cette délibération, qui avait eu lieu en présence des second et troisième Consuls, et en l'absence du premier, sauvait toutes les convenances; qu'il fallait seulement trouver une rédaction convenable. Une commission, composée de quelques conseillers d'État, fut chargée, séance tenante, de rédiger la délibération. Cette commission y procéda immédiatement, et rentra, une heure après, avec l'acte destiné à être publié le lendemain.
Voici quel était cet acte:
«Les Consuls de la République, considérant que la résolution du Premier Consul est un hommage éclatant rendu à la souveraineté du peuple; que le peuple, consulté sur ses plus chers intérêts, ne doit connaître d'autre limite que ses intérêts mêmes, arrêtent ce qui suit....., etc. Le peuple français sera consulté sur ces deux questions:
1o Napoléon Bonaparte sera-t-il consul à vie?
2o Aura-t-il la faculté de désigner son successeur?
»Des registres seront ouverts à cet effet dans toutes les mairies, au greffe de tous les tribunaux, chez les notaires et chez tous les officiers publics.»
Le délai pour émettre les votes était de trois semaines.
M. Cambacérès se rendit ensuite auprès du Premier Consul pour lui soumettre la résolution du Conseil d'État. Le Premier Consul, par une disposition d'esprit difficile à expliquer, repoussa opiniâtrement la seconde question. Qui voulez-vous, disait-il, que je désigne pour mon successeur? Mes frères? Mais la France, qui a bien consenti à être gouvernée par moi, consentira-t-elle à l'être par Joseph ou Lucien? Vous désignerais-je, vous, consul Cambacérès? Oseriez-vous entreprendre une telle tâche? Et puis on n'a pas respecté le testament de Louis XIV, respecterait-on le mien? Un homme mort, quel qu'il soit, n'est plus rien.—Le Premier Consul ne put être vaincu sur ce point; il s'impatienta même contre M. Rœderer, qui, sans attendre l'avis de personne, ne suivant que les impulsions de son esprit, avait mis cette idée en avant. Il fit donc retrancher de la résolution du Conseil d'État la seconde question, relative au choix d'un successeur. Le motif du Premier Consul, dans cette circonstance, est fort obscur. Voulait-il, en laissant une lacune dans l'organisation du gouvernement, se ménager un nouveau prétexte pour dire encore une fois, et un peu plus tard, que le pouvoir était sans avenir, sans grandeur, et qu'il fallait le convertir en monarchie héréditaire? ou bien craignait-il les rivalités de famille, et les tribulations que lui vaudrait la faculté de choisir un successeur parmi ses frères et ses neveux? À en juger par son langage de cette époque, cette dernière conjecture paraîtrait la plus vraie. Quoi qu'il en soit, il retrancha la seconde question de l'acte émané du Conseil d'État; et, comme on ne voulait pas perdre du temps à faire une nouvelle convocation, la délibération ainsi tronquée fut envoyée au journal officiel.
Elle parut le 11 au matin (21 floréal) dans le Moniteur, deux jours après celle du Sénat. Annoncer qu'une telle question venait d'être posée à la France, c'était annoncer qu'elle était résolue. Si l'opinion publique, devenue passive, ne prenait plus l'initiative des grandes résolutions, on pouvait compter néanmoins qu'elle sanctionnerait avec empressement tout ce qu'on proposerait pour le Premier Consul. Il y avait pour lui confiance, admiration, reconnaissance, tous les sentiments qu'un peuple vif et enthousiaste est capable d'éprouver pour un grand homme, dont il a reçu tous les biens à la fois. Sans doute, si les questions de forme avaient conservé quelque importance, dans un temps où l'on avait vu les constitutions faites et refaites tant de fois, on aurait dû trouver singulier que le Sénat, ayant proposé une simple prorogation de dix ans, cette proposition, émanée de la seule autorité qui eut pouvoir pour la faire, fût convertie en une proposition de Consulat à vie, faite par un corps qui n'était ni le Sénat ni le Corps Législatif, ni le Tribunat, qui n'était qu'un conseil dépendant du gouvernement. Il est vrai que le Conseil d'État avait alors une haute importance, qui le rendait presque l'égal des assemblées législatives; que l'appel à la souveraineté nationale était une espèce de correctif, qui couvrait toutes les irrégularités de cette manière de procéder, et donnait au Conseil d'État le rôle apparent d'un simple rédacteur de la question à poser à la France. D'ailleurs on n'y regardait pas alors de si près. Le résultat, c'est-à-dire la consolidation et la perpétuation du gouvernement du Premier Consul, convenait à tout le monde; et ce qui conduisait à ce résultat le plus directement possible, paraissait le plus naturel et le meilleur. On railla un peu le Sénat, qui, en effet, fut passablement confus de n'avoir pas mieux compris les désirs du général Bonaparte, et qui se tut, n'ayant rien de convenable ni à dire, ni à faire; car il ne pouvait ni revenir sur sa détermination, ni s'approprier celle du Conseil d'État. Quant à résister, il n'en avait pas le moyen, et pas même la pensée. Sans doute le torrent n'était pas si général, qu'il y eût du blâme dans certains lieux, par exemple, dans les retraites obscures où les républicains fidèles cachaient leur désespoir, dans les hôtels brillants du faubourg Saint-Germain, où les royalistes détestaient ce pouvoir nouveau, qu'ils n'avaient pas encore commencé à servir. Mais ce blâme, presque insaisissable au milieu du chœur de louanges qui de toutes parts s'élevait autour du Premier Consul, et montait jusqu'à son oreille, était de peu d'effet. Seulement, les hommes réfléchis, et c'est toujours le petit nombre, pouvaient faire de singulières réflexions sur les vicissitudes des révolutions, sur les inconséquences de cette génération, renversant une royauté de douze siècles, voulant même dans son délire renverser toutes les royautés de l'Europe, et, revenue maintenant de ses premières ardeurs, réédifiant, pièce à pièce, un trône détruit, et cherchant avec empressement à qui le donner. Heureusement elle avait trouvé pour cet emploi un homme extraordinaire. Les nations dans un tel besoin ne rencontrent pas toujours un maître qui ennoblisse au même degré leurs inconséquences. Cependant l'embarras de la pudeur avait un moment saisi tout le monde, ce maître d'abord, n'osant lui-même avouer ses désirs, le Sénat ensuite, n'osant les deviner, et hésitant à les satisfaire, jusqu'à ce que le Conseil d'État, mettant de côté cette fausse honte, eût le courage, pour tous, d'avouer ce qu'il fallait dire et faire.
Ces difficultés d'un instant firent bientôt place à une véritable ovation. Le Corps Législatif et le Tribunat voulurent se rendre chez le Premier Consul, afin de donner le signal des adhésions, en venant en corps voter dans ses mains, pour la perpétuité de son pouvoir. Le motif imaginé pour colorer cette démarche, c'est que les membres du Corps Législatif et du Tribunat, retenus pendant cette session extraordinaire sur leurs siéges de législateurs, ne pouvaient pas être dans leurs communes, afin d'y voter. La raison fut trouvée bonne, et on se rendit en corps aux Tuileries. M. de Vaublanc y porta la parole au nom du Corps Législatif, et M. Chabot de l'Allier au nom du Tribunat. Reproduire les discours prononcés dans cette occasion, serait fastidieux. C'était toujours l'expression de la même reconnaissance, de la même confiance dans le gouvernement du Premier Consul. Un tel exemple ne pouvait qu'entraîner les citoyens à voter, s'ils en avaient eu besoin; mais une si haute impulsion n'était pas nécessaire. Ils allaient avec empressement dans les mairies, chez les notaires, dans les greffes des tribunaux, inscrire leurs votes approbatifs sur les registres ouverts pour les recevoir.
La fin de floréal était arrivée. On se hâta de terminer cette courte et mémorable session par la présentation des lois financières. Le budget proposé était des plus satisfaisants. Tous les revenus se trouvaient augmentés grâce à la paix, tandis que les dépenses de la guerre et de la marine étaient fort diminuées. Ce budget de l'an X montait à 500 millions, 26 millions de moins que celui de l'an IX[25], porté à 526 millions par les évaluations les plus récentes; et, si l'on ajoute les centimes additionnels pour le service des départements, qui se comptaient alors en dehors et s'élevaient à 60 millions environ, si l'on ajoute les frais de perception, qui n'étaient pas portés au budget général parce que chaque régie des impôts payait elle-même ses propres dépenses, lesquelles montaient à 70 millions, on peut évaluer en totalité à 625 ou 630 millions le budget définitif de la France à cette époque.
La paix amenait des économies dans certains services, des augmentations dans quelques autres, mais, en élevant le produit de tous les impôts à vue d'œil, préparait le rétablissement de l'équilibre entre les dépenses et le revenu, équilibre si désiré, si peu prévu deux années auparavant. L'administration de la guerre, divisée en deux ministères, celui du matériel et celui du personnel, devait coûter 210 millions au lieu de 250. On sera étonné sans doute qu'il n'y eût que 40 millions de différence, entre l'état de guerre et l'état de paix; mais il ne faut pas oublier que nos armées victorieuses avaient vécu sur le sol étranger, et que rentrées depuis sur notre territoire, sauf une centaine de mille hommes, elles étaient alimentées par le trésor français. La marine, qu'on avait cru devoir fixer à 80 millions depuis la fin des hostilités, était portée à 105 millions par le Premier Consul, qui était d'avis qu'on doit employer le temps de paix à organiser la marine d'un grand État. D'autres dépenses singulièrement réduites prouvaient, par leur réduction, l'heureux progrès du crédit. Les obligations des receveurs généraux, dont on a vu ailleurs l'origine, l'utilité, le succès, ne s'étaient d'abord escomptées qu'à un pour cent par mois, puis à trois quarts. Aujourd'hui elles s'escomptaient à un demi pour cent par mois, c'est-à-dire à 6 pour cent par an. Aussi avait-on pu sans injustice réduire l'intérêt des cautionnements de 7 à 6 pour cent. Toutes ces économies avaient ramené les frais de négociation du trésor, de 32 millions à 15. Aucune réduction ne faisait autant d'honneur au gouvernement, et ne prouvait mieux le crédit dont il jouissait. La rente cinq pour cent, montée d'abord de 12 à 40 et 50 francs, était dans le moment à 60.
À côté de ces diminutions de dépense, se rencontraient quelques augmentations, qui étaient la suite des sages arrangements financiers proposés en l'an IX, et si injustement critiqués par le Tribunat. Le gouvernement avait voulu, comme nous l'avons dit en son lieu, achever d'inscrire le tiers consolidé, c'est-à-dire le tiers de l'ancienne dette, seul excepté de la banqueroute du Directoire. Quant aux deux tiers mobilisés, c'est-à-dire frappés de déchéance, il avait voulu leur donner une sorte de valeur, en les admettant au payement de certains biens nationaux, ou en leur accordant la conversion en cinq pour cent consolidés, sur le pied du vingtième du capital, ce qui répondait au cours actuel. Le Premier Consul, désirant terminer ces arrangements le plus tôt possible, fit décider, par la loi de finances de l'an X, que les deux tiers mobilisés seraient forcément convertis en rentes cinq pour cent, au taux convenu dans la loi de ventôse an IX. L'inscription définitive du tiers consolidé, la conversion des deux tiers mobilisés en cinq pour cent, d'autres liquidations, qui restaient à faire pour les anciennes créances des émigrés, pour le transport au grand livre des dettes des pays conquis, devaient faire monter le total de la dette publique à 59 ou 60 millions de rentes cinq pour cent. Cependant il importait de rassurer les esprits sur le chiffre auquel ces diverses liquidations pourraient élever la dette publique. On décida donc, par un article de ce même budget de l'an X, qu'elle ne serait pas portée, soit par emprunt, soit par suite des liquidations à terminer, à plus de 50 millions de rentes. On espérait que les rachats de la caisse d'amortissement, largement dotée en biens nationaux, absorberaient, avant qu'il eût le temps de se produire, cet excédant prévu de 9 à 10 millions. Mais en tout cas, un article du budget ajoutait qu'à l'instant où les inscriptions dépasseraient 60 millions, il serait créé sur-le-champ une portion d'amortissement pour absorber en quinze ans la somme qui excéderait le terme désormais fixé à la dette publique.
Le titre de cette dette dut aussi être régularisé. Les dénominations diverses de tiers consolidé, de deux tiers mobilisés, de dette belge, et autres, furent abolies et remplacées par le titre unique de cinq pour cent consolidé. Il fut établi que la dette serait inscrite la première au budget, que les intérêts en seraient acquittés avant toute autre dépense, et toujours dans le mois qui suivrait l'échéance de chaque semestre. On estimait que la dette viagère, qui dans le moment s'élevait à 20 millions, pourrait s'élever à 24; mais, on supposait que, les extinctions allant aussi vite que les nouvelles liquidations, elle serait toujours ramenée au taux de 20 millions. Les pensions civiles étaient arrêtées aussi à un taux de 20 millions. Les dépenses qui étaient susceptibles de s'augmenter encore, étaient celles de l'intérieur pour les routes et les travaux publics, celles du clergé pour l'établissement successif de nouvelles cures: dépenses plutôt heureuses que regrettables. Quant à celles de l'instruction publique et de la Légion-d'Honneur, il y était pourvu, comme on l'a vu précédemment, au moyen d'une dotation en biens nationaux.
En regard de ces dépenses croissantes, la marche du revenu faisait entrevoir des produits croissant plus rapidement encore. Les douanes, les postes, l'enregistrement, les domaines de l'État, donnaient des plus-values considérables. D'ailleurs il restait la ressource des impôts indirects, qui n'avaient été rétablis jusqu'à ce jour qu'au profit des villes, et pour le service des hôpitaux. Les plaintes avaient été vives, dans le Corps Législatif et le Tribunat, cette année, contre le fardeau des contributions directes, et avaient préparé de nouveaux arguments pour le rétablissement des taxes sur les consommations. Des calculs fort exacts avaient fait ressortir, plus que jamais la proportion excessive des contributions directes. L'impôt sur la propriété foncière s'élevait à 210 millions; l'impôt personnel et mobilier, à 32; l'impôt sur les portes et fenêtres, à 16; sur les patentes, à 21; total, 279, plus de moitié par conséquent dans un budget des recettes de 502 millions. On comparait ces sommes avec celles qu'on avait payées pendant l'administration de MM. Turgot et Necker, et on demandait le rétablissement d'une proportion plus juste entre les diverses contributions. Avant 1789, en effet, l'impôt foncier et personnel produisait 221 millions, l'impôt indirect 294, total 515 millions. La conclusion naturelle de ces plaintes était le rétablissement des anciennes perceptions sur les boissons, sur le tabac, sur le sel, etc. Le Premier Consul entendait avec plaisir ces réclamations, qui lui préparaient une puissante raison pour une création financière, depuis long-temps résolue dans son esprit, mais pas encore assez mûre pour être proposée.
La situation de nos finances était donc excellente, et se régularisait tous les jours davantage. Les 90 millions affectés, au moyen d'une création de rentes, à l'apurement des exercices V, VI et VII, antérieurs au Consulat, étaient reconnus suffisants; les 21 millions consacrés à la liquidation de l'an VIII, première année du Consulat, suffisaient également pour acquitter cet exercice tout entier. Enfin, l'exercice an IX, le premier qui eût été régulièrement établi, quoique porté à 526 millions au lieu de 415, se trouvait liquidé en totalité, au moyen de l'accroissement extraordinaire des produits. Nous venons de dire que l'exercice courant, celui de l'an X, était en parfait équilibre.
En résumé, une dette en rentes perpétuelles de 50 millions, parfaitement régularisée, réunie sous un seul titre, pourvue d'une dotation suffisante en biens nationaux; une dette en rentes viagères de 20 millions, des pensions civiles pour 20; 210 millions affectés à la guerre, 105 à la marine, composaient, avec les autres dépenses moins considérables, un budget de 500 millions, sans les centimes additionnels et les frais de perception, de 625 avec ces centimes et ces frais: budget couvert par des revenus qui augmentaient à vue d'œil, sans compter le rétablissement des contributions indirectes, restant comme ressource pour les besoins nouveaux, qui pourraient plus tard se produire. Ainsi, après dix ans de guerre, de conquêtes superbes, on revenait à 500 millions, budget de 1789, avec cette différence que la dette se trouvait dans une faible proportion à l'égard du revenu, et que ce chiffre de 500 millions, porté à 625 par les centimes additionnels et les frais de perception, représentait toutes les charges du pays; tandis que les 500 millions du budget de Louis XVI laissaient en dehors, non-seulement les frais de perception, mais les revenus du clergé, les droits féodaux, les corvées, c'est-à-dire pour plusieurs centaines de millions de charges. Si, en 1802, la France payait 625 millions également répartis, la France, en 1789, payait 11 ou 12 cents millions mal répartis, avec un territoire moindre d'un quart. La Révolution, sans compter le bienfait d'une réforme sociale complète, avait donc produite, au moins sous le rapport matériel, autre chose que des calamités. Il n'y avait dans toute cette prospérité financière qu'un souvenir regrettable: c'était la banqueroute, résultant du papier-monnaie, mais nullement imputable au gouvernement consulaire.
Ces propositions ne furent plus accueillies, comme celles de l'an IX, par une violente opposition. Elles satisfirent les deux assemblées législatives, et furent votées avec de simples observations, sur la proportion des contributions directes et indirectes, observations que le gouvernement aurait dictées lui-même, si on ne les avait pas faites spontanément.
Ce fut là le dernier acte de cette session de quarante-cinq jours consacrée à de si grands objets.
Le Tribunat et le Corps Législatif se séparèrent le 20 mai (30 floréal), laissant la France dans un état dans lequel elle n'avait pas été encore, et ne sera peut-être jamais.
En ce moment, la population se présentait avec empressement aux mairies, aux greffes des tribunaux, chez les notaires, pour donner une réponse affirmative à la question posée par le Conseil d'État. On évaluait entre trois et quatre millions le nombre des votes qui étaient ou qui allaient être donnés. C'est peu en apparence sur une population de 36 millions d'âmes; c'est beaucoup, c'est plus qu'on ne demande, et qu'on n'obtient dans la plupart des constitutions connues, où trois, quatre, cinq cent mille suffrages, au plus, expriment les volontés nationales. En effet, sur 36 millions d'individus, il y en a la moitié à écarter comme appartenant à un sexe qui n'a pas de droits politiques. Sur les 18 millions restants, il y a les vieillards, les enfants, qui réduisent à 12 millions au plus la population mâle et valide d'un pays. C'est donc un nombre extraordinaire, si on songe aux hommes travaillant de leurs mains, la plupart illettrés, sachant à peine sous quel gouvernement ils vivent, c'est un nombre extraordinaire, que celui de quatre millions d'habitants sur douze, amenés à se former une opinion, et surtout à l'exprimer.
Il y avait, toutefois, quelques dissidents républicains ou royalistes, qui venaient exprimer leur vœu négatif, et qui par leur présence attestaient la liberté laissée à tout le monde. Mais c'était une minorité imperceptible. Du reste, adhérents ou refusants se montraient fort calmes, et produisaient par leur concours un mouvement à peine sensible, tant la population était tranquille et satisfaite.
Il y avait cependant une sorte de fermentation d'esprit autour du gouvernement, au sujet des changements qu'on ne pouvait manquer d'apporter à la Constitution, à la suite de la prorogation du Consulat à vie. On répandait à cette occasion mille bruits divers, ayant pour origine les vœux de chaque parti.
Les frères du général Bonaparte, Lucien en particulier, n'avaient pas entièrement renoncé à la monarchie héréditaire, qui leur donnait tout de suite rang de princes, et les mettait hors de pair avec les autres grands fonctionnaires de l'État. M. Rœderer, l'ami et le confident de Lucien, était, de tous les personnages se mêlant d'avoir un avis, le plus avancé dans les opinions monarchiques, bien plus du reste par son inclination naturelle, que par aucune suggestion intéressée. Il était conseiller d'État, chargé de l'instruction publique sous les ordres du ministre de l'intérieur Chaptal, et il usait de cette position pour adresser aux préfets des circulaires, qui, parfaitement étrangères à l'objet dont il était chargé, avaient trait directement aux questions dont s'occupaient alors le gouvernement et le public. Ces circulaires, dans lesquelles on adressait aux préfets certaines questions, en indiquant la réponse, et en l'indiquant dans un sens tout monarchique, ces circulaires n'émanant pas du ministre lui-même, mais partant cependant d'une autorité fort élevée, semblaient révéler un projet occulte, remontant peut-être très-haut. Elles agitaient les esprits dans les provinces, et donnaient lieu à mille rumeurs.
M. Rœderer et ceux qui partageaient ses idées, auraient voulu qu'on fît surgir des départements une sorte de vœu spontané, qui autorisât plus de hardiesse qu'on ne venait d'en montrer récemment. Ils ne manquaient pas d'adresser de vives instances au Premier Consul, pour qu'il tranchât plus hardiment les questions soulevées. Mais le Premier Consul était fixé. Il croyait, avec tous les amis sages du gouvernement, que c'était assez, du moins cette fois, que d'établir le Consulat à vie; que c'était la monarchie elle-même, surtout si on y ajoutait la faculté de désigner son successeur. Un mouvement d'opinion assez sensible parmi les hommes qui entouraient le pouvoir, même parmi les plus dévoués, avait averti le Premier Consul qu'il n'en fallait pas faire davantage. Il avait donc résolu de s'arrêter, et il qualifiait de démarches indiscrètes, tout ce que faisaient et disaient autour de lui des amis inhabiles, dont le zèle était loin de lui déplaire, mais n'était pas assez généralement partagé pour être accueilli.
Il s'occupait de faire lui-même à la Constitution quelques changements qui lui semblaient indispensables. Quoique médisant volontiers de l'ouvrage de M. Sieyès, il songeait à en conserver le fond, en y ajoutant seulement certaines commodités nouvelles pour le gouvernement.
Il se produisit une singulière disposition d'esprit chez quelques hommes. Ils demandaient qu'on revînt à la monarchie, puisque ainsi le voulait la force des choses; mais qu'en retour on donnât à la France les libertés qui, dans la monarchie, sont compatibles avec la royauté, c'est-à-dire qu'on lui donnât purement et simplement la monarchie anglaise, avec une royauté héréditaire et deux chambres indépendantes. M. Camille Jordan avait publié sur ce sujet un écrit, fort remarqué du petit nombre de personnes qui se mêlaient encore de questions politiques; car la masse n'avait pas d'autre avis que celui de laisser le Premier Consul faire comme il voudrait. Ainsi cette idée de la monarchie représentative, qui, dès le début de la Révolution, s'était présentée à MM. Lally-Tollendal et Mounier, comme la forme nécessaire de notre gouvernement, et qui, cinquante ans plus tard, devait en devenir la forme dernière, cette idée apparaissait encore une fois à quelques esprits, comme un de ces monts élevés et lointains, que, dans une longue route, on aperçoit plus d'une fois avant de les atteindre.
Les royalistes sincères, qui désiraient la monarchie, même sans les Bourbons, si les Bourbons étaient reconnus impossibles, et avec le général Bonaparte si elle n'était possible qu'avec lui, étaient fort de cet avis; et les royalistes gens de parti en étaient aussi, mais ces derniers par des motifs différents. Ils espéraient qu'avec des élections et une presse libre, tout serait bientôt remis en confusion, ainsi qu'il était arrivé sous le Directoire, et que de ce renouvellement du chaos, surgirait enfin la monarchie légitime des Bourbons, comme terme nécessaire des maux de la France.
Le Premier Consul n'avait garde d'adhérer à un tel projet, quoique ce projet contînt la royauté pour lui-même. Ce n'était pas seulement par aversion pour les résistances que lui aurait opposées une pareille forme de gouvernement, c'était par la conviction sincère de l'impossibilité d'un tel établissement, dans l'état présent des choses.
Ceux qui ne veulent voir en lui qu'un homme de guerre, tout au plus un administrateur, point un homme d'État, s'imaginent qu'il n'avait aucune idée de la Constitution anglaise. C'est une complète erreur. Voyant dans l'Angleterre la seule ennemie redoutable que la France eût en Europe, il tenait sur elle les yeux constamment fixés, et il avait pénétré les plus secrets ressorts de sa Constitution. Dans ses entretiens fréquents sur les matières de gouvernement, il en raisonnait avec une sagacité rare. Une chose lui déplaisait fort dans la Constitution britannique, et il en exprimait son sentiment avec cette vivacité de langage qui lui était propre: c'était de voir les grandes affaires d'État, celles qui exigent pour réussir, de longues méditations, une grande suite dans les vues, un secret profond dans l'exécution, livrées à la publicité, et aux hasards de l'intrigue ou de l'éloquence.—Que MM. Fox, Pitt ou Addington, disait-il, soient plus adroits l'un que l'autre dans la conduite d'une intrigue parlementaire, ou plus éloquents dans une séance du Parlement, et nous aurons la guerre au lieu de la paix; le monde sera de nouveau en feu; la France détruira l'Angleterre, ou sera détruite par elle! Livrer, s'écriait-il avec colère, livrer le sort du monde à de tels ressorts!—Ce grand esprit, exclusivement préoccupé des conditions d'une bonne exécution dans les affaires de l'État, oubliait que, si on ne veut pas soumettre ces affaires aux influences parlementaires, lesquelles ne sont, après tout, que les influences nationales représentées par des hommes passionnés, faillibles sans doute, comme ils le sont tous, elles retombent sous des influences bien autrement fâcheuses, sous celle de madame de Maintenon dans un siècle dévot, de madame de Pompadour dans un siècle dissolu, et même, si on a la bonne fortune très-passagère de posséder un grand homme, comme Frédéric ou Napoléon, sous l'influence de l'ambition, épuisant jusqu'au bout la chance des batailles.
Cette erreur à part, erreur bien naturelle chez le général Bonaparte, il était frappé, et il en convenait, de cette liberté sans orages, dont la Constitution britannique fait jouir l'Angleterre. Seulement il paraissait douter qu'elle pût convenir au caractère français, si prompt et si vif. À cet égard il laissait voir la plus complète incertitude. Mais il la regardait comme parfaitement impossible en France dans les circonstances présentes.
Le Premier Consul disait qu'une telle Constitution exigeait d'abord une forte dose d'hérédité; qu'il y fallait un roi et des pairs héréditaires; qu'en France les idées n'étaient pas tournées de ce côté; qu'on était prêt à le prendre, lui général Bonaparte, pour dictateur, mais qu'on n'en voudrait pas pour monarque héréditaire (ce qui était vrai dans le moment); qu'il en était de même pour le Sénat, auquel personne ne voudrait accorder l'hérédité, tout en lui accordant un pouvoir constituant extraordinaire; que le besoin de stabilité était senti jusqu'à faire concéder à tout le monde des pouvoirs fort étendus, mais viagers; que telle était actuellement la disposition des esprits; qu'il n'avait donc pas sous la main les éléments de la royauté à l'anglaise, car il n'avait ni roi ni pairs; que les sénateurs à vie de M. Sieyès, aristocrates d'hier, la plupart sans fortune, vivant d'appointements, seraient ridicules, si on essayait de les convertir en lords d'Angleterre; que, si, à leur défaut, on voulait prendre les grands propriétaires, on se mettrait sur les bras les plus redoutables ennemis, car ils étaient royalistes au fond du cœur, plus amis des Anglais et des Autrichiens que des Français; qu'il n'avait pas de quoi faire une chambre haute; qu'en prenant les parleurs du Tribunat et les muets du Corps Législatif, il aurait bien, à la rigueur, de quoi faire une chambre basse, mais que pour rendre sérieuse cette imitation de l'Angleterre, il faudrait la tribune, la presse, des élections libres, et qu'on s'exposerait ainsi à recommencer les quatre années du Directoire, dont il avait été témoin, et qui ne sortiraient pas de sa mémoire; qu'on avait vu se former alors dans les colléges électoraux une majorité, qui, sous prétexte d'écarter les hommes souillés de sang, ne voulait élire que des royalistes plus ou moins avoués; qu'on avait vu en même temps cent journaux, tout pleins des fureurs du royalisme, pousser dans le même sens, et que, sans le 18 fructidor, sans la force prêtée au Directoire par l'armée d'Italie, on aurait assisté au triomphe de cette contre révolution déguisée; que bientôt, par un contre-coup inévitable, à ces élections royalistes avaient succédé des élections terroristes, dont tous les honnêtes gens avaient été effrayés, et avaient demandé l'annulation; que, si on ouvrait de nouveau la carrière aux esprits, on irait, de convulsions en convulsions, au triomphe des Bourbons et de l'étranger; qu'il fallait en finir, arrêter ce torrent, et terminer la Révolution, en maintenant au pouvoir les hommes qui l'avaient faite, et en consacrant dans nos lois ses principes justes et nécessaires.
À cette occasion, le Premier Consul répétait sa thèse favorite, consistant à dire que, pour sauver la Révolution, il fallait d'abord sauver ses propres auteurs, en les maintenant à la tête des affaires; et que sans lui ils seraient déjà tous disparus, par l'ingratitude de la génération présente.—Voyez, s'écriait-il, ce que sont devenus Rewbell, Barras, La Réveillère! où sont-ils? qui pense à eux? il n'y a de sauvés que ceux que j'ai pris par la main, mis au pouvoir, soutenus, malgré le mouvement qui nous entraîne. Voyez M. Fouché, combien j'ai de peine à le défendre! M. de Talleyrand crie contre M. Fouché; mais les Malouet, les Talon, les Calonne, qui m'offrent leurs plans et leur concours, auraient bientôt écarté M. de Talleyrand lui-même, si je voulais m'y prêter. On ménage un peu plus les militaires, parce qu'on les craint, et parce qu'il n'est pas facile de prendre à la tête des armées la place des généraux Lannes et Masséna. Mais si on les ménage aujourd'hui, les ménagera-t-on long-temps? Moi-même, sais-je ce qu'on voudrait faire de moi? Ne m'a-t-on pas proposé de me nommer connétable de Louis XVIII? Sans doute l'esprit de la Révolution est immortel, il survivrait aux hommes. La Révolution finirait par triompher, mais par la main de messieurs de la société du Manége! et ce seraient toujours des réactions, des déchirements, et, pour fin dernière, la contre-révolution!—
Maintenant, ajoutait le Premier Consul, il faut faire un gouvernement avec les hommes de la Révolution d'abord, avec ceux qui ont de l'expérience, des services, et point de sang sur leurs habits, à moins que ce ne soit le sang des Russes et des Autrichiens; puis leur adjoindre un petit nombre d'hommes surgis nouvellement, et jugés capables, ou d'hommes d'autrefois, tirés de Versailles si l'on veut, pourvu qu'ils soient capables aussi, et qu'ils viennent en adhérents soumis, non en protecteurs dédaigneux. Pour atteindre ce but, la Constitution de M. Sieyès est bonne, sauf quelques modifications. Il faut, en outre, consacrer le grand principe de la Révolution française, qui est l'égalité civile, c'est-à-dire, la justice distributive en toutes choses, législation, tribunaux, administration, impôt, service militaire, distribution des emplois, etc. Aujourd'hui tout département est l'égal d'un autre département; tout Français est l'égal d'un autre Français; tout citoyen obéit à la même loi, comparaît devant le même juge, subit le même châtiment, reçoit la même récompense, paie le même impôt, fournit le même service militaire, arrive aux mêmes grades, quelle que soit sa naissance, sa religion ou son lieu d'origine. Voilà le grand résultat social de la Révolution, pour lequel il valait la peine de souffrir ce qu'on a souffert, et qu'il faut maintenir invariablement. Après ce résultat, il en est un autre à maintenir avec une égale vigueur, c'est la grandeur de la France. Les cris de la presse, les éclats de la tribune, tout cela ne nous va plus, tout cela nous ira peut-être dans d'autres temps. Maintenant il nous faut de l'ordre, du repos, de la prospérité, des affaires bien conduites, et la conservation de notre grandeur extérieure. Pour conserver cette grandeur, la lutte n'est pas finie, elle recommencera; et pour la soutenir nous aurons besoin de beaucoup de force et d'unité dans le gouvernement!—
Telle est la substance des entretiens continuels du Premier Consul, avec ceux qu'il avait admis à lui donner leurs idées, et avec lesquels il prépara le remaniement de la Constitution consulaire.
On peut y reconnaître sa manière habituelle de penser. Sans nier l'avenir, ne s'inquiétant que du présent, il voyait le bien actuel de la France dans la réunion de tous les partis, dans le maintien et l'achèvement de la réforme sociale accomplie par la Révolution; enfin, dans le développement de la puissance acquise par nos armes. Quant à la liberté, il l'écartait comme un retour à tous les troubles, comme un obstacle à tout ce qu'il voulait faire de bon, et lui laissait dans sa pensée la place d'un problème difficile, obscur, dont la solution ne le concernait pas lui-même, car douze années d'agitation en avaient fait passer le besoin et le désir pour long-temps. M. Sieyès, avec sa constitution aristocratique, empruntée aux républiques du moyen âge à leur déclin, avec son Sénat revêtu du pouvoir électoral, avec ses listes de notabilité, espèce de livre d'or immuable, avait trouvé la constitution qui convenait le mieux à cette situation.
Le Premier Consul n'avait garde de toucher au Sénat: il voulait, au contraire, le rendre plus puissant; mais il projeta un premier changement, qui, en apparence, fut une concession à l'influence populaire.
Les listes de notabilité, qui contenaient les cinq cent mille individus parmi lesquels on devait choisir les conseils d'arrondissement et de département, le Corps Législatif, le Tribunat, le Sénat lui-même, auxquelles on ne touchait jamais que pour y remplacer les morts ou en retrancher les indignes, tels que les faillis par exemple, les listes de notabilité paraissaient trop illusoires, et laissaient le gouvernement, comme on dirait aujourd'hui, sans lien avec le pays. Elles étaient d'ailleurs très-difficiles à composer, car les citoyens ne mettaient aucun intérêt à se mêler d'une œuvre aussi insignifiante.
Le Premier Consul pensa que l'augmentation d'autorité qui lui était destinée, et quelques autres modifications favorables au pouvoir qui allaient être apportées à la Constitution, devaient être payées d'une concession populaire, au moins apparente. Il résolut de rétablir les colléges électoraux.
En conséquence, on imagina diverses espèces de colléges. D'abord on créa des assemblées de canton, composées de tous les habitants du canton qui avaient l'âge et la qualité de citoyen, chargées d'élire deux colléges électoraux, l'un d'arrondissement, l'autre de département. Le collége d'arrondissement devait être formé en raison de la population, et se composer d'un individu sur cinq cents. Le collége de département devait être formé de même, à raison d'un sur mille. Mais les choix pour celui-ci ne pouvaient pas aller au delà des six cents plus imposés.
Les deux colléges électoraux d'arrondissement et de département devaient être élus à vie par les assemblées de canton, qui, une fois cette nomination générale faite, n'avaient plus qu'à remplacer les morts ou les indignes.
Le gouvernement nommait les présidents de toutes ces assemblées, tant assemblées de canton que colléges électoraux. Il pouvait dissoudre un collége électoral. Alors les assemblées de canton étaient convoquées pour composer de nouveau le collége dissous.
Les assemblées de canton et les deux colléges électoraux d'arrondissement et de département présentaient des candidats aux Consuls, pour la composition des justices de paix, des autorités municipales et départementales. Les colléges d'arrondissement présentaient deux candidats pour les places vacantes au Tribunat; les colléges de département, deux candidats pour les places vacantes au Sénat. Chacun de ces deux colléges présentait deux candidats pour les places vacantes au Corps Législatif, ce qui en faisait quatre. De façon que le Tribunat avait pour origine le conseil d'arrondissement; le Sénat avait pour origine le conseil de département; le Corps Législatif, l'un et l'autre.
C'était toujours le Sénat qui était chargé de choisir, entre les candidats présentés, les membres du Tribunat, du Corps Législatif et du Sénat lui-même.
On voit en quoi consistait le changement apporté à la Constitution. Au lieu de ces listes de notabilité, complétées ou modifiées de temps en temps par l'universalité des citoyens, des colléges électoraux à vie, nommés par cette même universalité, désignaient des candidats, entre lesquels choisissait le Sénat, corps générateur de tous les autres. Le changement n'était pas grand, car ces colléges électoraux à vie, modifiés quelquefois, quand il y avait des morts ou des indignes à remplacer, étaient à peu près aussi immuables que les listes de notabilité, mais ils s'assemblaient dans certaines occasions pour élire des candidats. Sous ce rapport les citoyens recouvraient quelque part à la composition des assemblées délibérantes. Il y avait peu, du reste, à craindre avec une telle composition le tumulte électoral.
Le Corps Législatif et le Tribunat devaient être divisés en cinq séries, sortant l'une après l'autre, chaque année. Le Sénat remplaçait la série sortante, en prenant les nouveaux élus parmi les candidats présentés. Les colléges à vie remplaçaient ensuite les candidats que l'élection du cinquième avait absorbés.
Après cette concession, qui paraissait si exorbitante alors, que tous les collaborateurs du Premier Consul allaient disant qu'il fallait un pouvoir bien fort, bien sûr de lui-même, pour faire une aussi large part à l'influence populaire, on s'occupa de compléter les attributions du Sénat, conformément aux indications tirées des derniers événements.
Le Sénat dut conserver d'abord le pouvoir d'élire tous les corps de l'État. On voulut lui conférer, en outre, un pouvoir constituant plus complet. Déjà on lui avait fait exercer ce pouvoir, en lui donnant à interpréter l'article 38 de la Constitution, en l'appelant à prononcer le rappel des émigrés, en lui demandant une prolongation d'autorité pour le Premier Consul. Il était commode d'avoir à côté de soi un pouvoir constituant, toujours prêt à créer ce dont on aurait besoin.
Il fut donc établi que le Sénat, par des sénatus-consultes, dits organiques, aurait la faculté d'interpréter la Constitution, de la compléter, de faire en un mot tout ce qui serait nécessaire à sa marche.
Il fut arrêté encore, que, par des sénatus-consultes simples, le Sénat pourrait prononcer la suspension de la Constitution ou du jury dans certains départements, statuer dans quel cas un individu, détenu extraordinairement, serait renvoyé à ses juges naturels, ou maintenu en état de détention. On délégua enfin à ce corps deux attributions extraordinaires, l'une appartenant à la royauté dans la monarchie, l'autre n'appartenant à aucun pouvoir dans un État régulier; la première était la faculté de dissoudre le Corps Législatif et le Tribunat; la seconde, celle de casser les jugements des tribunaux, lorsqu'ils seraient attentatoires à la sûreté de l'État.
Cette dernière attribution serait inconcevable, si les circonstances du temps ne l'avaient expliquée. Certains tribunaux venaient, en effet, de rendre des jugements, en matière de biens nationaux, qui pouvaient pousser au désespoir la classe nombreuse et puissante des acquéreurs.
Il fut décidé ensuite que le Sénat, qui devait en dix ans être porté de soixante membres à quatre-vingts, au moyen de deux nominations par an, serait immédiatement porté à quatre-vingts. C'étaient quatorze nominations à faire sur-le-champ. Le Premier Consul reçut, en outre, le pouvoir de nommer directement des sénateurs jusqu'au nombre de quarante, ce qui faisait cent vingt pour le nombre total du corps. On affranchissait ainsi le gouvernement de nouveaux désagréments, tels que ceux qu'il avait essuyés au commencement de la session de l'an X.
Le Tribunat et le Conseil d'État furent également modifiés dans leur organisation. Tandis que le Conseil d'État put être porté à cinquante membres, le Tribunat dut être réduit à cinquante, par voie d'extinction successive, et divisé en sections, répondant aux sections du Conseil d'État. Il devait faire un premier examen en section, et à huis-clos, des projets de lois, qui lui seraient soumis ensuite en assemblée générale. Il devait toujours les discuter par l'organe de trois orateurs devant le Corps Législatif muet, contradictoirement avec trois conseillers d'État, ou d'accord avec eux, suivant que le projet aurait été rejeté ou adopté.
Ce n'était plus dès lors qu'un second Conseil d'État, chargé de critiquer à huis-clos, et par conséquent sans énergie, ce qu'avait fait le premier.
Enfin la prérogative de voter les traités fut enlevée au Corps Législatif et au Tribunat. Le Premier Consul se souvenait de ce qui était arrivé au traité avec la Russie, et ne voulait pas être exposé à une scène du même genre. Il imagina un Conseil privé, composé des Consuls, des ministres, de deux sénateurs, de deux conseillers d'État, de deux membres de la Légion-d'Honneur, ayant la qualité de grands-officiers, les uns et les autres désignés par le Premier Consul pour chaque occasion importante. Ce Conseil privé devait être seul consulté sur la ratification des traités. Il était chargé aussi de rédiger les sénatus-consultes organiques.
La création d'un Conseil privé était un tort fait au Conseil d'État, et ce dernier y parut sensible. Le Premier Consul lui retirait, par cette institution, la connaissance des traités qu'il avait eue jusque-là, commençant à croire que c'était trop de trente à quarante individus, pour des communications de ce genre.
Restait à organiser le pouvoir exécutif sur la nouvelle base du Consulat à vie. Le Premier Consul voulut que le pouvoir, qui lui était déféré à vie, le fût aussi pour la même durée de temps à ses collègues. Vous avez assez fait pour moi, dit-il au consul Cambacérès, pour que j'assure votre position.—Le principe de la durée à vie fut donc posé pour les trois Consuls, aussi bien dans le présent que dans l'avenir. Restait la grande question de la désignation du successeur du Premier Consul, par laquelle il fallait suppléer à l'hérédité. Le général Bonaparte avait d'abord refusé la faculté qu'on voulait lui conférer de désigner lui-même son successeur. Il se rendit enfin, et on arrêta qu'il pourrait le désigner de son vivant. Dans ce cas, il devait le présenter au Sénat avec un grand appareil. Le successeur désigné prêtait serment à la République dans le sein du Sénat, en présence des Consuls, des ministres, du Corps Législatif, du Tribunat, du Conseil d'État, du tribunal de cassation, des archevêques et évêques, des présidents des colléges électoraux, des grands-officiers de la Légion-d'Honneur, et des maires des vingt-quatre grandes villes de la République. Après cette solennité, il était adopté par le Consul vivant et par la nation. Il prenait rang au Sénat avec les Consuls, immédiatement après le troisième.
Toutefois, si pour s'épargner des chagrins de famille, le Premier Consul ne désignait pas son successeur de son vivant, et ne voulait le nommer que dans son testament, alors il devait, avant sa mort, remettre ce testament, revêtu de son sceau, aux autres Consuls, en présence des ministres, et des présidents du Conseil d'État. Ce testament devait rester déposé aux archives de la République. Mais dans ce cas il fallait que le Sénat ratifiât la volonté testamentaire, qui ne s'était pas produite du vivant du Consul testateur.
Lorsque le Premier Consul n'avait pas fait d'adoption pendant sa vie, lorsqu'il n'avait pas laissé de testament, ou que son testament n'avait pas été ratifié, alors les second et troisième Consuls étaient chargés de désigner le successeur. Ils le proposaient au Sénat, qui était chargé de l'élire.
Telles furent les formes employées pour garantir la transmission du pouvoir. C'était l'adoption au lieu de l'hérédité, mais rien n'empêchait que ce fût aussi l'hérédité, car le chef de l'État était libre de choisir son fils, s'il en avait un. Seulement, il pouvait préférer entre ses héritiers celui qui lui paraîtrait le plus digne.
Les Consuls étaient de droit membres du Sénat; ils devaient le présider.
Une grande prérogative fut ajoutée au pouvoir du Premier Consul. Il reçut le droit de faire grâce. C'était assimiler, autant que possible, son autorité à celle de la royauté.
À l'avénement du nouveau Premier Consul, une loi devait fixer son traitement, ou, pour mieux dire, sa liste civile. Cette fois, une somme de six millions pour le Premier Consul, de douze cent mille francs pour ses deux collègues, dut être inscrite au budget.
À toutes ces dispositions furent ajoutés quelques arrangements nouveaux, relativement à la discipline des tribunaux. L'administration se comportait mieux que la justice, parce que dépendant d'un maître impartial et ferme, révocable à chaque instant par lui, elle marchait exactement suivant son esprit. Mais la justice usait de son indépendance, comme on usait alors de toute liberté accordée, pour se livrer aux passions du temps. En certains lieux, elle persécutait les acquéreurs de biens nationaux; en d'autres, elle les favorisait injustement. Mais nulle part elle ne montrait cette discipline qu'on lui a vue depuis, et qui donne à un grand corps de magistrature un aspect digne, quoique soumis. À la disposition qui venait de déférer dans certains cas les jugements des tribunaux au Sénat, disposition tout extraordinaire, et heureusement passagère, on ajouta une disposition disciplinaire. Les tribunaux de première instance furent placés sous la discipline des tribunaux d'appel, et les tribunaux d'appel sous celle du tribunal de cassation. Un juge qui avait manqué à ses devoirs pouvait être appelé devant le tribunal supérieur, réprimandé ou suspendu. À la tête de toute la magistrature dut être placé un GRAND-JUGE, ayant la faculté de présider les tribunaux s'il le voulait, chargé de les surveiller, et de les administrer. Il était ainsi ministre de la justice en même temps que magistrat.
Telles furent les modifications apportées à la Constitution consulaire, les unes imaginées par le Premier Consul, les autres proposées par ses conseillers. Elles furent réunies dans un projet de sénatus-consulte organique, qui devait être présenté au Sénat et adopté par ce corps.
Elles consistaient, comme on vient de le voir, à substituer aux listes de notabilité, vaste candidature inerte et illusoire, des colléges électoraux à vie, s'assemblant quelquefois pour présenter des candidats au choix du Sénat; à donner au Sénat, déjà chargé des fonctions électorales, et du soin de veiller à la Constitution, le pouvoir de modifier cette Constitution, de la compléter, de lever tout obstacle à sa marche, le pouvoir enfin de dissoudre le Tribunat et le Corps Législatif; à conférer au général Bonaparte le Consulat à vie, avec faculté de désigner son successeur; à lui donner, en outre, la plus belle des prérogatives de la royauté, le droit de faire grâce; à ôter au Tribunat la puissance du nombre, et presque celle de la publicité, à en faire ainsi un second Conseil d'État, chargé de critiquer les œuvres du premier; à reporter du Corps Législatif et du Conseil d'État vers un Conseil privé, certaines grandes affaires de gouvernement, telles par exemple que l'approbation des traités, enfin à établir entre les tribunaux une hiérarchie et une discipline.
C'était toujours la constitution aristocratique de M. Sieyès, apte à tourner à l'aristocratie ou au despotisme, suivant la main qui la dirigerait; tournant en ce moment au pouvoir absolu sous la main du général Bonaparte, mais pouvant tourner, après sa mort, à une franche aristocratie, si, avant de mourir, il ne précipitait pas le tout dans un abîme.
En attribuant, pour sa propre commodité, de si hautes attributions au Sénat, le Premier Consul s'était assuré, pendant sa vie, un instrument dévoué, par la main duquel il pourrait tout ce qu'il voudrait; mais, après sa mort, l'instrument, devenu indépendant, serait tout-puissant à son tour. Sous un successeur moins grand, moins glorieux, avec des esprits éveillés à la suite d'un long repos, un spectacle entièrement nouveau devait s'offrir. L'aristocratie départementale, dont se composaient les colléges électoraux à vie, l'aristocratie nationale dont se composait le Sénat, l'une présentant des candidats à l'autre, pouvaient bien un jour par un concours de vues naturel, même nécessaire, créer dans le Corps Législatif et le Tribunat une majorité invincible pour le monarque qualifié de Premier Consul, et faire renaître ainsi une sorte de liberté, liberté aristocratique, il est vrai, mais qui n'est ordinairement ni la moins fière, ni la moins conséquente, ni la moins durable de toutes. Du reste, la liberté est toujours garantie quand le pouvoir est partagé et soumis à des délibérations. Il ne peut, en effet, jamais y avoir sur les grands intérêts d'un pays que deux opinions plausibles. Si le pouvoir a en face de lui une autorité capable de lui résister, celle-ci, aristocratique ou autre, embrasse, par un irrésistible penchant à la contradiction, l'opinion qu'il a repoussée. Elle tend à la paix en présence d'un pouvoir tendant à la guerre; elle tend à la guerre en présence d'un pouvoir tendant à la paix; elle adopte les vues libérales en présence d'un pouvoir inclinant aux vues conservatrices. En un mot, il y a contradiction, dès lors examen et liberté; car la liberté consiste principalement à faire débattre franchement et courageusement par les citoyens, n'importe de quelle origine, le pour et le contre sur les affaires de l'État. Cette constitution de M. Sieyès pouvait donc un jour revenir à son but primitif; mais, dans le moment, elle n'était qu'un masque pour la dictature. Une constitution, quelle qu'elle soit, donne toujours des résultats conformes à l'état présent des esprits. Il y a des temps où contredire est la tendance dominante, d'autres où le goût d'adhérer est général. On était alors porté à l'adhésion: la forme du pouvoir était, au fond, assez indifférente.
Il faut toutefois le reconnaître, cette république nominale avait une rare grandeur: elle rappelait, sous quelque rapport, la République romaine convertie en Empire. Ce Sénat avait la puissance du Sénat de l'ancienne Rome, puissance qu'il livrait à l'Empereur quand celui-ci était fort, qu'il reprenait pour en user lui-même, quand l'Empereur était faible ou libéral. Ce Premier Consul avait bien le pouvoir des Empereurs romains; il en avait l'hérédité, c'est-à-dire le choix entre ses successeurs naturels ou adoptifs. Ajoutons qu'il en avait à peu près la puissance sur le monde.
La nouvelle Constitution remaniée était prête; les votes demandés à tous les citoyens étaient émis. Le consul Cambacérès, toujours conciliant, proposa au Premier Consul l'idée fort sage, de confier au Sénat le soin de supputer les votes recueillis, d'en compter et d'en proclamer le nombre. C'était, disait-il avec raison, une manière toute naturelle de tirer ce grand corps d'une situation fausse, amenée par une méprise. Le Sénat avait, effectivement, proposé une prorogation de dix ans, et le Premier Consul avait pris le Consulat à vie. Depuis le Sénat s'était tu, et n'avait fait, ni pu faire aucune démarche. Lui donner le résultat à proclamer, c'était l'y associer, et le tirer de l'état de gêne où il se trouvait.—Venez, dit M. Cambacérès au Premier Consul, venez au secours de gens qui se sont trompés en voulant trop vous deviner.—Le Premier Consul sourit d'une malice peu ordinaire à son prudent collègue, et consentit avec empressement à la proposition si sensée qui lui était faite. Les registres sur lesquels les votes avaient été déposés furent envoyés au Sénat pour qu'il en fît la supputation. 3,577,259 citoyens avaient donné leurs suffrages, et, sur ce nombre, 3,568,885 avaient voté pour le Consulat à vie. Sur cette énorme masse d'approbateurs, il y avait eu seulement huit mille et quelques cents refusants: c'était une imperceptible minorité. Jamais gouvernement n'a obtenu un tel assentiment, et ne l'a mérité au même degré.
Ce résultat constaté, le Sénat rendit un sénatus-consulte en trois articles. Le premier de ces articles était ainsi conçu: Le peuple français NOMME, et le Sénat proclame, Napoléon Bonaparte Premier Consul à vie.
C'est à partir de cette époque que le prénom de Napoléon a commencé de figurer dans les actes publics, à côté du nom de famille du général Bonaparte, seul connu jusqu'alors dans le monde. Ce prénom si éclatant, que la voix des nations a tant répété depuis, n'avait été encore employé qu'une fois, c'est dans l'acte constitutif de la République italienne. En approchant de la souveraineté, le prénom, se détachant peu à peu du nom de famille, devait bientôt figurer seul dans la langue universelle, et le général Bonaparte, appelé un moment Napoléon Bonaparte, ne devait bientôt plus s'appeler que Napoléon, conformément à la manière de désigner les rois.
Le second article du sénatus-consulte portait qu'une statue de la Paix, tenant dans une main le laurier de la victoire, et dans l'autre le décret du Sénat, attesterait à la postérité la reconnaissance de la nation.
Enfin, le troisième article portait que le Sénat en corps irait présenter au Premier Consul, avec ce sénatus-consulte, l'expression de la CONFIANCE, de l'AMOUR et de l'ADMIRATION du peuple français. Ces trois expressions sont celles du décret lui-même.
On choisit pour amener le Sénat aux Tuileries un jour de grande réception diplomatique. C'était le 3 août 1802 (15 thermidor) au matin. Tous les ministres de l'Europe pacifiée étaient réunis dans une vaste salle, où le Premier Consul avait coutume de les recevoir, et de se faire présenter les étrangers de distinction. L'audience était à peine commencée lorsqu'on annonça le Sénat. Ce corps rassemblé tout entier fut introduit à l'instant même. Le président Barthélemy portait la parole.
«Le peuple français, dit-il au Premier Consul, le peuple français, reconnaissant des immenses services que vous lui avez rendus, veut que la première magistrature de l'État soit inamovible entre vos mains. En s'emparant ainsi de votre vie tout entière, il n'a fait qu'exprimer la pensée du Sénat, déposée dans le sénatus-consulte du 18 floréal. La nation, par cet acte solennel de gratitude, vous donne la mission de consolider nos institutions.» Après cet exorde, le président énumérait brièvement les grandes actions du général Bonaparte dans la guerre et dans la paix, prédisait les prospérités de l'avenir, sans les malheurs que personne peut-être ne prévoyait alors, et lui répétait enfin ce que proclamaient dans le moment toutes les bouches de la renommée. Le président lut ensuite le texte du décret. Le Premier Consul, s'inclinant devant le Sénat, répondit par ces nobles paroles:
«La vie d'un citoyen est à sa patrie. Le peuple français veut que la mienne tout entière lui soit consacrée..., j'obéis à sa volonté.
»Par mes efforts, par votre concours, citoyens sénateurs, par le concours de toutes les autorités, par la confiance et la volonté de cet immense peuple, la liberté, l'égalité, la prospérité de la France seront à l'abri des caprices du sort et de l'incertitude de l'avenir. Le meilleur des peuples sera le plus heureux, comme il est le plus digne de l'être; et sa félicité contribuera à celle de l'Europe entière.
»Content alors d'avoir été appelé, par l'ordre de celui de qui tout émane, à ramener sur la terre l'ordre, la justice, l'égalité, j'entendrai sonner la dernière heure, sans regret et sans inquiétude sur l'opinion des générations futures.»
Après des remercîments affectueux au Sénat, le Premier Consul reconduisit ce corps, et continua de recevoir les étrangers, que lui amenaient les ministres d'Angleterre, de Russie, d'Autriche, de Prusse, de Suède, de Bavière, de Hesse, de Wurtemberg, d'Espagne, de Naples, d'Amérique, car l'univers entier était dans ce moment en paix avec la France. Ce même jour on présentait au Premier Consul lord Holland et lord Grey (ceux que la génération actuelle a connus), avec une foule d'autres personnages de distinction.
Le lendemain, 4 août, les nouveaux articles modificatifs de la Constitution furent soumis au Conseil d'État. Le Premier Consul présidait cette séance solennelle; il lisait les articles l'un après l'autre, et les motivait avec précision et vigueur. Il exprimait sur chacun les idées que nous avons exposées ci-dessus. Il provoquait lui-même les objections, et y répondait. Sur la désignation du successeur, il y eut une courte discussion, dans laquelle on put apercevoir encore quelque trace de la résistance qu'il avait opposée à cette disposition. MM. Petiet et Rœderer soutenaient que la désignation du successeur, faite par testament, devait être aussi obligatoire que si elle était faite par le moyen de l'adoption solennelle, en présence des corps de l'État. Le Premier Consul ne voulut pas que ce testament fût obligatoire pour le Sénat, par le motif qu'un homme mort, quelque grand qu'il eût été, n'était plus rien; que sa dernière volonté pouvait toujours être cassée, et qu'en la soumettant à la ratification du Sénat, on ne faisait que reconnaître une nécessité inévitable. À cette occasion, il prononça sur l'hérédité quelques paroles singulières, qui prouvaient que, pour l'instant, il n'y songeait plus. Il répéta en effet, avec de certains développements, qu'elle était hors des mœurs et des opinions régnantes. Sa nature ne le portait ni au mensonge ni à l'hypocrisie; mais, placé, comme les hommes le sont toujours, sous l'influence du moment présent, il repoussait l'hérédité, parce qu'il avait vu les esprits peu disposés à l'adopter, et que, revêtu d'ailleurs d'un pouvoir tout à fait monarchique, il se contentait de la réalité sans le titre. À en juger par ses paroles, il avait franchement pris son parti à cet égard.
Il y eut ensuite des réclamations contre l'institution du Conseil privé, dans l'intérêt du Conseil d'État, qui se trouvait un peu diminué par cette institution. Ici le Premier Consul laissa voir un certain embarras, envers un corps qu'il avait jusque-là traité avec une prédilection si marquée, et qu'il semblait dépouiller d'une partie de son importance. Il dit que le Conseil privé n'était institué que pour des cas fort rares, qui exigeaient un secret rigoureux, impossible dans une réunion de quarante ou cinquante personnes; que du reste le Conseil d'État conserverait toujours la même importance, et la connaissance des grandes affaires.
Après quelques modifications de détail, le sénatus-consulte fut porté au Sénat, et après une sorte d'homologation converti en Sénatus-Consulte organique. Le lendemain, 5 août (17 thermidor), il fut publié avec les formes d'usage, et devint ainsi le complément de la Constitution consulaire.
La France ressentait une satisfaction profonde. La famille du Premier Consul n'avait vu s'accomplir ni toutes ses craintes, ni tous ses vœux; néanmoins elle partageait le contentement général. Madame Bonaparte commençait à se rassurer, en voyant s'évanouir l'idée de la royauté. Cette espèce d'hérédité, qui laissait au chef de l'État le soin de se choisir un successeur, était tout ce qu'elle désirait, car elle n'avait pas d'enfant du général Bonaparte, et possédait une fille chérie, épouse de Louis Bonaparte, qui allait devenir mère. Elle souhaitait et se flattait d'avoir un petit-fils. Elle croyait voir en lui l'héritier du sceptre du monde. Son époux partageait ces vues. Les frères de Napoléon (nous l'appellerons ainsi désormais), les frères de Napoléon étaient moins satisfaits, du moins Lucien, dont rien ne calmait la continuelle activité d'esprit. Mais on venait d'introduire pour eux, dans les articles organiques, une disposition imaginée pour leur plaire. La loi de la Légion-d'Honneur avait statué que le grand conseil de la Légion serait composé des trois Consuls, et d'un représentant de chacun des grands corps de l'État. Le Conseil d'État avait nommé pour cette charge Joseph Bonaparte; le Tribunat, Lucien. Une disposition du sénatus-consulte portait que les membres du grand conseil de la Légion-d'Honneur seraient de droit sénateurs. Les deux frères de Napoléon étaient donc personnages principaux dans la belle institution chargée de distribuer toutes les récompenses, et de plus membres du Sénat, appelés naturellement à exercer dans ce corps une grande influence. Joseph, modéré dans ses vœux, semblait ne plus rien désirer. Lucien n'était satisfait qu'à moitié; il n'était pas dans sa nature de l'être davantage. Le Premier Consul, en faisant ses collègues Cambacérès et Lebrun consuls à vie, avait voulu avoir autour de lui des collègues heureux de sa propre élévation. Il y avait réussi. Un seul personnage du temps sortait assez maltraité de cette crise, si favorable à la grandeur de tout le monde, c'était M. Fouché, ministre de la police. Soit que son avis personnel à l'égard des projets de la famille Bonaparte eût percé, soit que les efforts tentés pour le desservir auprès du maître eussent réussi, ou, ce qui est plus probable, que le Premier Consul voulût ajouter à tous ses actes récents de clémence, et de conciliation, une mesure qui eût encore plus que les autres le caractère de la confiance et de l'oubli, le ministère de la police fut supprimé.
Ce ministère, comme nous l'avons dit ailleurs, avait alors une importance qu'il n'aura jamais dans un régime régulier, grâce au pouvoir arbitraire dont le gouvernement était investi, grâce aux fonds dont il disposait sans contrôle. Émigrés, rentrés ou rentrants, Vendéens, républicains, prêtres non ralliés, il avait à surveiller tous ces agents de trouble, et le faisait sans faiblesse. Aussi ce ministère, quoique exercé avec tact, et beaucoup d'indulgence, par M. Fouché, était-il devenu odieux aux partis qu'il contenait. Le Premier Consul le supprima, et se contenta de faire de la police une simple direction générale, attachée au ministère de la justice. Le conseiller d'État Réal fut chargé de cette direction. L'administration de la justice fut enlevée à M. Abrial, homme sage, appliqué à ses devoirs, mais dont le travail lent et pénible était peu agréable au Premier Consul. Elle fut donnée à M. Régnier, depuis duc de Massa, magistrat instruit, disert, ayant inspiré de la confiance et du goût au chef qui disposait de toutes les existences. M. Régnier reçut avec l'administration de la justice le titre de Grand-Juge, titre nouvellement créé par le sénatus-consulte organique. La nature de son esprit le rendait peu propre à diriger M. Réal dans les difficiles investigations de la police; aussi M. Réal, travaillant directement avec le Premier Consul, devint-il à peu près indépendant du ministre de la justice. Malheureusement, on perdait avec M. Fouché une connaissance des hommes, et des relations avec les partis, que lui seul possédait au même degré. Ce sacrifice précipité aux idées du jour était irréfléchi, et eut, comme on le verra bientôt, des conséquences regrettables. Cependant on ne voulait pas que le ministre Fouché parût disgracié. On lui réserva une place au Sénat, ainsi qu'à M. Abrial. M. Fouché, dans l'acte qui le nommait sénateur, obtint une mention flatteuse de ses services. Il fut même dit dans cet acte, que, si les besoins du temps faisaient renaître l'institution aujourd'hui supprimée, c'est M. Fouché qu'on irait chercher sur les bancs du Sénat, pour faire un ministre de la police. On apporta encore quelques autres changements au personnel du gouvernement. M. Rœderer, qui s'entendait peu avec le ministre de l'intérieur, Chaptal, relativement aux affaires de l'instruction publique dont il était chargé, céda cette direction au savant Fourcroy, et reçut, comme MM. Fouché et Abrial, le dédommagement d'un siége au Sénat. Le Premier Consul nomma encore sénateur le respectable archevêque de Paris, M. de Belloy. En agissant de la sorte, il n'entendait pas donner une influence au clergé sur les affaires politiques; mais il voulait que les grands intérêts sociaux fussent représentés au Sénat, l'intérêt de la religion comme tous les autres.
Le 15 août (27 thermidor) fut célébré pour la première fois comme jour anniversaire de la naissance du Premier Consul. C'était l'introduction progressive des usages monarchiques, qui font de la fête du souverain une fête nationale. Le matin de ce jour, le Premier Consul reçut le Sénat, le Tribunat, le Conseil d'État, le clergé, les autorités civiles et militaires de la capitale, le corps diplomatique, venant le féliciter du bonheur public et de son bonheur privé. À midi, un Te Deum fut chanté à l'église Notre-Dame, et dans toutes les églises de la République. Le soir, des illuminations brillantes représentèrent dans Paris, ici la figure de la Victoire, ailleurs celle de la Paix, plus loin enfin, et sur l'une des tours de Notre-Dame, le signe du Zodiaque, sous lequel était né l'auteur de tous les biens dont la nation remerciait le ciel.
Quelques jours après, le 21 août (3 fructidor), le Premier Consul alla en pompe prendre possession de la présidence du Sénat. Toutes les troupes de la division bordaient la haie, depuis les Tuileries jusqu'au palais du Luxembourg. La voiture du nouveau maître de la France, escortée par un nombreux état-major et par la garde consulaire à cheval, était traînée par huit chevaux magnifiques, comme autrefois la voiture des rois. Personne ne partageait avec lui l'honneur de l'occuper. Dans les voitures qui suivaient, venaient les second et troisième Consuls, les ministres, les présidents du Conseil d'État. Arrivé au palais du Luxembourg, le Premier Consul fut accueilli à son entrée par une députation de dix sénateurs. Il reçut, assis sur un fauteuil assez semblable à un trône, le serment de ses deux frères, Lucien et Joseph, devenus sénateurs de droit, en leur qualité de membres du grand conseil de la Légion-d'Honneur. Après cette formalité, des conseillers d'État choisis pour cette fonction présentèrent cinq projets de sénatus-consultes, relatifs, le premier au cérémonial des grandes autorités, le second au renouvellement par séries du Corps Législatif et du Tribunat, le troisième au mode à suivre en cas de dissolution de ces deux assemblées, le quatrième à la désignation des vingt-quatre grandes villes de la République, le cinquième enfin à la réunion de l'île d'Elbe au territoire de la France.
Afin de saisir tout de suite le Sénat de l'influence qui lui était promise dans les grandes affaires de l'État, M. de Talleyrand lut un rapport d'une haute importance, sur les arrangements qui se préparaient en Allemagne, sous la direction de la France, pour indemniser avec les principautés ecclésiastiques les princes héréditaires dépossédés à la rive gauche du Rhin. C'était, comme on va le voir prochainement dans la suite de cette histoire, la plus grande affaire du moment. Celle-là finie, le monde semblait en repos pour long-temps. En publiant dans ce rapport au Sénat les vues de la France, le Premier Consul annonçait à l'Europe ses idées sur cet important sujet, ou, pour mieux dire, lui intimait ses volontés; car on savait bien qu'il n'était pas homme à revenir d'une résolution aussi publiquement annoncée. La lecture de ce rapport terminée, il se retira, laissant au Sénat le soin d'examiner les cinq sénatus-consultes organiques qui venaient de lui être soumis.
Accompagné de nouveau par les dix sénateurs qui l'avaient reçu à son arrivée, et accueilli sur son passage par les acclamations du peuple de Paris, le Premier Consul rentra au palais des Tuileries comme un monarque constitutionnel qui vient de tenir une séance royale.
On était fort avancé dans l'été, car on touchait à la fin d'août. Le Premier Consul alla prendre possession du château de Saint-Cloud, qu'il avait d'abord refusé, quand on le lui avait offert comme habitation de campagne. Revenu de cette première détermination, il y avait ordonné des réparations, qui, peu considérables en commençant, avaient fini bientôt par embrasser le château tout entier. Elles avaient été récemment achevées. Le Premier Consul en profita pour aller s'établir dans cette belle résidence. Il y recevait, à des jours choisis, les hauts fonctionnaires, les grands personnages de toutes les classes, les étrangers, les ambassadeurs. Le dimanche, on y disait la messe à la chapelle, et les opposants au Concordat commençaient à y assister, comme autrefois on assistait à la messe à Versailles. Le Premier Consul, accompagné de sa femme, entendait une messe fort courte, et puis s'entretenait, dans la galerie du château, avec ceux qui lui avaient fait visite. Les assistants, rangés sur deux lignes, attendaient, recherchaient ses paroles, comme on recherche celles de la royauté ou celles du génie. Dans ce cercle on ne voyait, on ne regardait que lui. Aucun potentat sur la terre n'a obtenu, n'a mérité au même degré, les purs hommages dont il était alors l'objet de la part de la France, et du monde entier.
C'était déjà la puissance impériale qu'on lui a vue depuis, mais avec l'assentiment universel des peuples, avec des formes moins royales, mais plus dignes peut-être, car il y restait une certaine modestie républicaine, qui convenait à ce pouvoir nouveau, et qui rappelait Auguste conservant, au milieu de la suprême puissance, les habitudes extérieures du citoyen romain.
Quelquefois, après une longue route à travers une vaste et belle contrée, on s'arrête un instant pour contempler d'un lieu élevé le pays qu'on a parcouru: imitons cet exemple, arrêtons-nous, et jetons un regard en arrière, pour contempler les prodigieux travaux du général Bonaparte, depuis le 18 brumaire. Quelle profusion, quelle variété, quelle grandeur d'événements!
Après avoir traversé les mers par miracle, revu la France, surprise et ravie de sa soudaine apparition, renversé le Directoire, saisi le pouvoir, accepté, en la modifiant sous le rapport de la puissance exécutive, la Constitution de M. Sieyès, il avait mis en hâte quelque ordre dans l'administration, rétabli la perception et le versement de l'impôt, relevé le crédit, envoyé un premier secours aux armées, profité de l'hiver pour accabler la Vendée sous une réunion imprévue de troupes, reporté brusquement ces troupes vers les frontières, et, au milieu de la confusion apparente de tous ces mouvements, créé au pied des Alpes une armée inaperçue, invraisemblable, destinée à tomber à l'improviste au milieu des ennemis, qui se refusaient à croire à son existence. Tout étant prêt pour entrer en campagne, il avait offert à l'Europe la paix ou la guerre, et la guerre ayant été préférée, il avait ordonné le passage du Rhin, porté Moreau sur le Danube, placé Masséna dans Gênes, pour y arrêter les Autrichiens et les y retenir. Puis Moreau, d'un côté, ayant jeté M. de Kray sur Ulm, Masséna, de l'autre, ayant fixé M. de Mélas sur Gênes par une défense héroïque, il avait, à l'improviste, passé les Alpes sans route frayée, avec son artillerie traînée dans des troncs d'arbres, paru au milieu de l'Italie étonnée, coupé la retraite aux Autrichiens, et, dans une bataille décisive, perdue et regagnée plusieurs fois, pris leur armée, recouvré l'Italie, anéanti les projets de la coalition, et arraché à l'Europe confondue un armistice de six mois.
C'est pendant ces six mois de trêve, que les travaux du Premier Consul étaient devenus plus étonnants encore. Négociant et administrant tout à la fois, il avait changé la face de la politique, tourné les affections de l'Europe vers la France et contre l'Angleterre, gagné le cœur de Paul Ier, décidé les incertitudes de la Prusse, donné au Danemark et à la Suède le courage de résister aux violences maritimes dont leur commerce était l'objet, noué ainsi la ligue des neutres contre la Grande-Bretagne, fermé à celle-ci les ports du continent, depuis le Texel jusqu'à Cadix, depuis Cadix jusqu'à Otrante, et préparé d'immenses armements pour secourir l'Égypte. Tandis qu'il faisait tout cela, il avait achevé la réorganisation des finances, restauré le crédit, payé en numéraire les créanciers de l'État, créé la banque de France, réparé les routes, réprimé le brigandage, percé les Alpes de communications magnifiques, établi des hospices sur leur cime, entrepris la grande place d'Alexandrie, perfectionné Mantoue, ouvert des canaux, jeté de nouveaux ponts, commencé la rédaction des Codes. Enfin, après ces six mois d'armistice, l'Autriche hésitant encore à signer la paix, il avait poussé Moreau en avant, et celui-ci, en achevant par la mémorable bataille de Hohenlinden la destruction de la puissance autrichienne, avait arraché, sous les murs mêmes de Vienne, la promesse d'une paix, signée bientôt à Lunéville.
C'est dans ce moment qu'un crime affreux, la machine infernale, mettant en péril les jours du Premier Consul, avait irrité son âme bouillante, et provoqué la seule faute commise dans ce temps de conduite parfaite, la déportation sans jugement de cent trente révolutionnaires. Tristes vicissitudes de la violence, dans les révolutions! Les assassins de septembre, frappés à leur tour, ne trouvaient ni lois ni courage pour les défendre; et le Tribunat, qui s'opposait aux meilleures mesures du Premier Consul, n'avait pas osé proférer une parole pour ces proscrits!
Dominateur du continent, ayant discrédité, expulsé des affaires les deux ministres fauteurs de toutes les coalitions, M. de Thugut à Vienne, M. Pitt à Londres, le Premier Consul avait jeté l'Europe entière sur l'Angleterre. Nelson en frappant les Danois à Copenhague, les Russes en égorgeant leur empereur, avaient sauvé l'Angleterre des désastres qui la menaçaient, mais, en la sauvant de ces désastres, ne lui avaient donné ni le courage, ni les moyens de prolonger la guerre.
La nation anglaise, saisie de crainte et d'admiration en présence du général Bonaparte, venait enfin de consentir à la paix d'Amiens, la plus belle que la France ait jamais conclue.
Le temple de Janus se trouvait donc fermé! Et alors le Premier Consul, voulant ajouter à la paix avec les puissances européennes la paix avec l'Église, s'était hâté de négocier le Concordat, de réconcilier Rome et la Révolution, de relever les autels, de rendre à la France tout ce qui est nécessaire aux sociétés civilisées, et, parvenu à la troisième année de son Consulat, s'était présenté aux deux assemblées législatives, apportant la paix avec la terre et les mers, la paix avec le ciel, l'amnistie pour tous les proscrits, un code de lois superbe, un système puissant d'éducation publique, un système glorieux de distinctions sociales. Quoiqu'en se présentant la main pleine de tous ces dons, il avait cependant trouvé une résistance inattendue, violente, peu éclairée, naissant de bons et de mauvais sentiments, chez les uns l'envie, chez les autres l'amour d'une liberté alors impossible. Délivré, par l'habileté de son collègue Cambacérès, de cette résistance que dans sa fougue il voulait briser violemment, il venait enfin d'achever toutes ses œuvres, de faire accepter les traités signés avec l'Europe, le Concordat, son système d'éducation laïque et nationale, la Légion-d'Honneur, et de recevoir pour prix de tant de services le pouvoir à vie, et la grandeur des empereurs romains. En cet instant il reprenait le travail des Codes: arbitre en même temps de tous les intérêts du continent, il réformait la Constitution de l'Allemagne, et en distribuait le territoire à ses princes, avec une équité reconnue de l'Europe.
Maintenant, si oubliant ce qui s'est passé depuis, on s'imagine un moment ce dictateur, alors nécessaire, restant aussi sage qu'il a été grand, unissant ces contraires que Dieu, il est vrai, n'a jamais réunis dans un même homme, cette vigueur de génie qui constitue les grands capitaines, avec cette patience qui est le trait distinctif des fondateurs d'empire, calmant par un long repos la société française agitée, et la préparant peu à peu à cette liberté, honneur et besoin des sociétés modernes; puis, après avoir rendu la France si grande, apaisant, au lieu de les irriter, les jalousies de l'Europe, changeant en une donnée permanente de la politique générale les démarcations territoriales de Lunéville et d'Amiens, enfin terminant sa carrière par un acte digne des Antonins, et allant chercher, n'importe où, le successeur le plus digne pour lui remettre cette France organisée, préparée à la liberté, et pour toujours agrandie: quel homme eût jamais égalé celui-là! Mais cet homme guerrier comme César, politique comme Auguste, vertueux comme Marc-Aurèle, eût été plus qu'un homme, et la Providence ne donne pas au monde des dieux pour le gouverner.
Du reste, à cette époque, il paraissait si modéré après avoir été si victorieux, il était si profond législateur après avoir été si grand capitaine, il montrait tant d'amour pour les arts de la paix, après avoir tant excellé dans les arts de la guerre, qu'il pouvait faire illusion à la France et au monde. Seulement quelques-uns des conseillers qui l'approchaient, et qui étaient capables d'entrevoir l'avenir dans le présent, étaient saisis d'inquiétude autant que d'admiration, en voyant l'activité infatigable de son esprit et de son corps, l'énergie de sa volonté, l'impétuosité de ses désirs. Ils tremblaient, même à lui voir faire le bien comme il le faisait, tant il était pressé de le faire vite, et de le faire immense. Le sage Tronchet, qui l'admirait et qui l'aimait tout à la fois, qui le regardait comme le sauveur de la France, disait cependant un jour avec chagrin au consul Cambacérès: Ce jeune homme commence comme César; j'ai peur qu'il ne finisse comme lui.[Retour à la Table des Matières]
FIN DU QUATORZIÈME LIVRE ET DU TOME TROISIÈME.
 TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES
DANS LE TOME TROISIÈME.
LIVRE DIXIÈME.
ÉVACUATION DE L'ÉGYPTE.
Tous les yeux fixés sur la négociation engagée à Londres. — On se demande quelle influence exercera la mort de Paul Ier sur cette négociation. — État de la cour de Russie. — Caractère d'Alexandre. — Ses jeunes amis forment avec lui un gouvernement secret, qui dirige toutes les affaires de l'empire. — Alexandre consent à réduire beaucoup les prétentions apportées à Paris par M. de Kalitcheff, au nom de Paul Ier. — Il accueille Duroc avec bienveillance. — Ses protestations réitérées du désir de bien vivre avec la France. — Commencements de la négociation entamée à Londres. — Conditions mises en avant, de part et d'autre. — Conquêtes des deux pays sur terre et sur mer. — L'Angleterre consent à restituer une partie de ses conquêtes maritimes, mais subordonne toute la négociation à la question de savoir si la France gardera l'Égypte. — Les deux gouvernements sont tacitement d'accord pour temporiser, afin d'attendre l'issue des événements militaires. — Le Premier Consul, averti que la négociation dépend de ces événements, pousse l'Espagne à marcher vivement contre le Portugal, et fait de nouveaux efforts pour secourir l'Égypte. — Emploi des forces navales. — Diverses expéditions projetées. — Navigation de Ganteaume au sortir de Brest. — Cet amiral passe heureusement le détroit. — Prêt à se diriger sur Alexandrie, il s'effraye de dangers imaginaires, et rentre dans Toulon. — État de l'Égypte depuis la mort de Kléber. — Soumission du pays, et situation prospère de la colonie sous le rapport matériel. — Incapacité, anarchie dans le commandement. — Déplorables divisions des généraux. — Mesures mal conçues de Menou, qui veut toucher à tous les objets à la fois. — Malgré l'avis réitéré d'une expédition anglaise, il ne prend aucune précaution. — Débarquement des Anglais dans la rade d'Aboukir, le 8 mars. — Le général Friant, réduit à quinze cents hommes, fait d'inutiles efforts pour les repousser. — Deux bataillons ajoutés à la division d'Alexandrie auraient sauvé l'Égypte. — Tardive concentration de forces ordonnée par Menou. — Arrivée de la division Lanusse, et second combat livré avec des forces insuffisantes, dans la journée du 13 mars. — Menou arrive enfin avec le gros de l'armée. — Tristes conséquences de la division des généraux. — Plan d'une bataille décisive. — Bataille de Canope, livrée le 21 mars, et restée indécise. — Les Anglais demeurent maîtres de la plage d'Alexandrie. — Longue temporisation, pendant laquelle Menou aurait encore pu relever les affaires des Fiançais, en manœuvrant contre les corps détachés de l'ennemi. — Il n'en fait rien. — Les Anglais tentent une opération sur Rosette, et réussissent à s'emparer d'une bouche du Nil. — Ils pénètrent dans l'intérieur. — Dernière occasion de sauver l'Égypte, à Ramanieh, perdue par l'incapacité du général Menou. — Les Anglais s'emparent de Ramanieh, et séparent la division du Kaire de celle d'Alexandrie. — L'armée française, coupée en deux, n'a plus d'autre ressource que celle de capituler. — Reddition du Kaire par le général Belliard. — Menou, enfermé dans Alexandrie, rêve la gloire d'une défense semblable à celle de Gênes. — L'Égypte définitivement perdue pour les Français. 1 à 112
LIVRE ONZIÈME.
PAIX GÉNÉRALE.
Dernière et infructueuse sortie de Ganteaume. — Il touche à Derne, n'ose débarquer deux mille hommes qu'il avait à son bord, et rebrousse chemin vers Toulon. — Prise en route du vaisseau le Swiftsure. — L'amiral Linois, envoyé de Toulon à Cadix, est obligé de jeter l'ancre dans la baie d'Algésiras. — Beau combat d'Algésiras. — Une escadre composée de Français et d'Espagnols sort de Cadix, pour venir au secours de la division Linois. — Rentrée des flottes combinées dans Cadix. — Combat d'arrière-garde avec l'amiral anglais Saumarez. — Affreuse méprise de deux vaisseaux espagnols, qui, trompés par la nuit, se prennent pour ennemis, se combattent à outrance, et sautent en l'air tous les deux. — Beau fait d'armes du capitaine Troude. — Courte campagne du prince de la Paix contre le Portugal. — La cour de Lisbonne se hâte d'envoyer un négociateur à Badajos, pour se soumettre aux volontés de la France et de l'Espagne réunies. — Marche des affaires européennes depuis le traité de Lunéville. — Influence croissante de la France. — Séjour à Paris des infants d'Espagne, destinés à régner en Étrurie. — Reprise de la négociation de Londres, entre M. Otto et lord Hawkesbury. — Nouvelle manière de poser la question du côté des Anglais. — Ils demandent Ceylan dans les Indes, la Martinique ou la Trinité dans les Antilles, Malte dans la Méditerranée. — Le Premier Consul répond à ces prétentions, en menaçant de conquérir le Portugal, et au besoin d'exécuter une descente en Angleterre. — Vive polémique entre le Moniteur et les journaux anglais. — Le cabinet britannique renonce à Malte, et résume toutes ses prétentions en demandant l'île espagnole de la Trinité. — Le Premier Consul, pour sauver les possessions d'une cour alliée, offre l'île française de Tabago. — Le cabinet britannique refuse. — Folle conduite du prince de la Paix, qui fournit une solution inattendue. — Ce prince traite avec la cour de Lisbonne, sans se concerter avec la France, et prive ainsi la légation française de l'argument qu'on tirait des dangers du Portugal. — Irritation du Premier Consul, et menaces de guerre à la cour de Madrid. — M. de Talleyrand propose au Premier Consul de terminer la négociation aux dépens des Espagnols, en livrant aux Anglais l'île de la Trinité. — M. Otto reçoit l'autorisation de faire cette concession, mais seulement à la dernière extrémité. — Pendant qu'on négocie, Nelson tente les plus grands efforts pour détruire la flottille de Boulogne. — Beaux combats devant Boulogne, soutenus par l'amiral Latouche-Tréville contre Nelson. — Défaite des Anglais. — Joie en France, inquiétudes en Angleterre, à la suite de ces deux combats. — Dispositions réciproques à un rapprochement. — On passe par-dessus les dernières difficultés, et la paix se conclut, sous forme de préliminaires, par le sacrifice de l'île de la Trinité. — Joie inouïe en Angleterre et en France. — Le colonel Lauriston, chargé de porter à Londres la ratification du Premier Consul, est conduit en triomphe pendant plusieurs heures. — Réunion d'un congrès dans la ville d'Amiens pour conclure la paix définitive. — Suite de traités signés coup sur coup. — Paix avec le Portugal, la Porte-Ottomane, la Bavière, la Russie, etc. — Fête à la paix, fixée au 18 brumaire. — Lord Cornwallis, plénipotentiaire au congrès d'Amiens, assiste à cette fête. — Accueil qu'il reçoit du peuple de Paris. — Banquet de la Cité à Londres. — Témoignages extraordinaires de sympathie que se donnent en ce moment les deux nations. 113 à 193
LIVRE DOUZIÈME.
CONCORDAT.
L'Église catholique pendant la Révolution française. — Constitution civile du clergé décrétée par l'Assemblée Constituante. — Cette constitution avait voulu assimiler l'administration des cultes à celle du royaume, établir un diocèse par département, faire élire les évêques par les fidèles, et les dispenser de l'institution canonique. — Serment à cette constitution exigé de la part du clergé. — Refus de serment, et schisme. — Diverses catégories de prêtres, leur rôle et leur influence. — Inconvénients de cet état de choses. — Moyens qu'il fournit aux ennemis de la Révolution, pour troubler l'État et les familles. — Divers systèmes proposés pour porter remède au mal. — Le système de l'inaction. — Le système d'une Église française, dont le Premier Consul serait le chef. — Le système d'un fort encouragement au protestantisme. — Opinions du Premier Consul sur les divers systèmes proposés. — Il forme le projet de rétablir la religion catholique, en appropriant sa discipline aux nouvelles institutions de la France. — Il veut la déposition des évêques anciens titulaires, une circonscription comprenant 60 siéges au lieu de 158, la création d'un nouveau clergé composé de prêtres respectables de toutes les sectes, l'attribution à l'État de la police des cultes, un salaire aux prêtres au lieu d'une dotation territoriale, enfin la consécration par l'Église de la vente des biens nationaux. — Relations amicales du pape Pie VII avec le Premier Consul. — Monsignor Spina, chargé de négocier à Paris, retarde la négociation dans un intérêt temporel du Saint-Siége. — Désir secret de recouvrer les Légations. — Monsignor Spina sent enfin le besoin de se hâter. — Il s'abouche avec l'abbé Bernier, chargé de traiter pour la France. — Difficultés du plan proposé à la cour romaine. — Le Premier Consul envoie son projet à Rome, et demande au Pape de s'expliquer. — Trois cardinaux consultés. — Le Pape, après cette consultation, veut que la religion catholique soit déclarée religion de l'État, qu'on le dispense de déposer les anciens titulaires, et de consacrer autrement que par son silence la vente des biens d'Église, etc. — Débats avec M. de Cacault, ministre de France à Rome. — Le Premier Consul, fatigué de ces lenteurs, ordonne à M. de Cacault de quitter Rome sous cinq jours, si le Concordat n'est pas adopté dans ce délai. — Terreurs du Pape et du cardinal Consalvi. — M. de Cacault suggère au cabinet pontifical l'idée d'envoyer à Paris le cardinal Consalvi. — Départ de celui-ci pour la France, et ses frayeurs. — Son arrivée à Paris. — Accueil bienveillant du Premier Consul. — Conférences avec l'abbé Bernier. — On s'entend sur le principe d'une religion d'État. — On déclare la religion catholique, religion de la majorité des Français. — Toutes les autres conditions du Premier Consul, relativement à la déposition des anciens titulaires, à la nouvelle circonscription, à la vente des biens d'Église, sont acceptées, sauf quelques changements de rédaction. — Accord définitif sur tous les points. — Efforts tentés au dernier moment par les adversaires du rétablissement des cultes, afin d'empêcher le Premier Consul de signer le Concordat. — Il persiste. — Signature donnée le 15 juillet 1801. — Retour du cardinal Consalvi à Rome. — Satisfaction du Pape. — Solennité des ratifications. — Choix du cardinal Caprara, comme légat a latere. — Le Premier Consul aurait voulu célébrer le 18 brumaire la paix de l'Église, en même temps que la paix avec toutes les puissances de l'Europe. — La nécessité de s'adresser aux anciens titulaires, pour avoir leur démission, entraîne des retards. — Demande de leur démission adressée par le Pape à tous les anciens évêques, constitutionnels ou non constitutionnels. — Sage soumission des constitutionnels. — Noble résignation des membres de l'ancien clergé. — Admirables réponses. — Il n'y a de résistance que de la part des évêques retirés à Londres. — Tout est prêt pour le rétablissement du culte en France, mais une vive opposition dans le sein du Tribunat fait naître de nouveaux délais. — Nécessité de vaincre cette opposition avant de passer outre. 194 à 285
LIVRE TREIZIÈME.
LE TRIBUNAT.
Administration intérieure. — Les grandes routes purgées du brigandage, et réparées. — Renaissance du commerce. — Exportations et importations de l'année 1801. — Résultats matériels de la Révolution française, relativement à l'agriculture, à l'industrie, à la population. — Influence des préfets et sous-préfets sur l'administration. — Ordre et célérité dans l'expédition des affaires. — Conseillers d'État en tournée. — Discussion du Code civil au Conseil d'État. — Brillant hiver de 1801 à 1802. — Affluence extraordinaire des étrangers à Paris. — Cour du Premier Consul. — Organisation de sa maison militaire et civile. — La garde consulaire. — Préfets du palais et dames d'honneur. — Sœurs du Premier Consul. — Hortense de Beauharnais épouse Louis Bonaparte. — MM. Fox et de Calonne à Paris. — Bien-être et luxe de toutes les classes. — Approches de la session de l'an X. — Une vive opposition s'élève contre les plus belles œuvres du Premier Consul. — Causes de cette opposition, répandue non-seulement parmi les membres des assemblées délibérantes, mais parmi quelques chefs de l'armée. — Conduite des généraux Lannes, Augereau et Moreau. — Ouverture de la session. — Dupuis, l'auteur de l'ouvrage sur l'origine de tous les cultes, est nommé président du Corps Législatif. — Scrutins pour les places vacantes au Sénat. — Nomination de l'abbé Grégoire, contrairement aux propositions du Premier Consul. — Explosion violente au Tribunat, pour le mot sujets, inséré dans le traité avec la Russie. — Opposition au Code civil. — Irritation du Premier Consul. — Discussion au Conseil d'État sur la conduite à tenir dans ces circonstances. — On prend le parti d'attendre la discussion des premiers titres du Code civil. — Le Tribunat rejette ces premiers titres. — Suite des scrutins pour les places vacantes au Sénat. — Le Premier Consul a proposé d'anciens généraux, qui ne sont pas pris parmi ses créatures. — Le Tribunat et le Corps Législatif les repoussent, et se mettent d'accord pour proposer M. Daunou, connu par son opposition au gouvernement. — Vive allocution du Premier Consul à une réunion de sénateurs. — Menaces d'un coup d'État. — Les opposants intimidés se soumettent, et imaginent un subterfuge pour annuler l'effet de leurs premiers scrutins. — Le consul Cambacérès dissuade le Premier Consul de toute mesure illégale, et lui persuade de se débarrasser des opposants, au moyen de l'article 38 de la Constitution, qui fixe en l'an X la sortie du premier cinquième du Corps Législatif et du Tribunat. — Le Premier Consul adopte cette idée. — Suspension de tous les travaux législatifs. — On en profite pour réunir à Lyon, sous le titre de Consulte, une diète italienne. — Avant de quitter Paris le Premier Consul expédie une flotte chargée de troupes à Saint-Domingue. — Projet de reconquérir cette colonie. — Négociations d'Amiens. — Objet de la Consulte convoquée à Lyon. — Diverses manières de constituer l'Italie. — Projets du Premier Consul à ce sujet. — Création de la République Italienne. — Le général Bonaparte proclamé Président de cette république. — Enthousiasme des Italiens et des Français réunis à Lyon. — Grande revue de l'armée d'Égypte. — Retour du Premier Consul à Paris. 286 à 404
LIVRE QUATORZIÈME.
CONSULAT À VIE.
Arrivée du Premier Consul à Paris. — Scrutin du Sénat qui exclut soixante membres du Corps Législatif et vingt membres du Tribunat. — Les membres exclus remplacés par des hommes dévoués au gouvernement. — Fin du congrès d'Amiens. — Quelques difficultés surgissent au dernier moment de la négociation, par suite d'ombrages excités en Angleterre. — Le Premier Consul surmonte ces difficultés par sa modération et sa fermeté. — La paix définitive signée le 25 mars 1802. — Quoique le premier enthousiasme de la paix soit amorti en France et en Angleterre, on accueille avec une nouvelle joie l'espérance d'une réconciliation sincère et durable. — Session extraordinaire de l'an X, destinée à convertir en loi le Concordat, le traité d'Amiens, et différents projets d'une haute importance. — Loi réglementaire des cultes ajoutée au Concordat, sous le titre d'Articles organiques. — Présentation de cette loi et du Concordat au Corps Législatif et au Tribunat renouvelés. — Froideur avec laquelle ces deux projets sont accueillis, même après l'exclusion des opposants. — Ils sont adoptés. — Le Premier Consul fixe au jour de Pâques la publication du Concordat, et la première cérémonie du culte rétabli. — Organisation du nouveau clergé. — Part faite aux constitutionnels dans la nomination des évêques. — Le cardinal Caprara refuse, au nom du Saint-Siége, d'instituer les constitutionnels. — Fermeté du Premier Consul, et soumission du cardinal Caprara. — Réception officielle du cardinal comme légat a latere. — Sacre des quatre principaux évêques à Notre-Dame, le dimanche des Rameaux. — Curiosité et émotion du public. — La veille même du jour de Pâques et du Te Deum solennel qui doit être chanté à Notre-Dame, le cardinal Caprara veut imposer aux constitutionnels une rétractation humiliante de leur conduite passée. — Nouvelle résistance de la part du Premier Consul. — Le cardinal Caprara ne cède que dans la nuit qui précède le jour de Pâques. — Répugnance des généraux à se rendre à Notre-Dame. — Le Premier Consul les y oblige. — Te Deum solennel et restauration officielle du culte. — Adhésion du public, et joie du Premier Consul en voyant le succès de ses efforts. — Publication du Génie du Christianisme. — Projet d'une amnistie générale à l'égard des émigrés — Cette mesure, débattue au Conseil d'État, devient l'objet d'un sénatus-consulte. — Vues du Premier Consul sur l'organisation de la société en France. — Ses opinions sur les distinctions sociales, et sur l'éducation de la jeunesse. — Deux projets de loi d'une haute importance, sur l'institution de la Légion-d'Honneur, et sur l'instruction publique. — Discussion de ces deux projets dans le sein du Conseil d'État. — Caractère des discussions de ce grand corps. — Paroles du Premier Consul. — Présentation des deux projets au Corps Législatif et au Tribunat. — Adoption à une grande majorité du projet de loi relatif à l'instruction publique. — Une forte minorité se prononce contre le projet relatif à la Légion-d'Honneur. — Le traité d'Amiens présenté le dernier, comme couronnement des œuvres du Premier Consul. — Accueil fait à ce traité. — On en prend occasion de dire de toutes parts, qu'il faut décerner une récompense nationale à l'auteur de tous les biens dont jouit la France. — Les partisans et les frères du Premier Consul songent au rétablissement de la monarchie. — Cette idée paraît prématurée. — L'idée du consulat déféré à vie prévaut généralement. — Le consul Cambacérès offre son intervention auprès du Sénat. — Dissimulation du Premier Consul, qui ne veut jamais avouer ce qu'il désire. — Embarras du consul Cambacérès. — Ses efforts auprès du Sénat, pour obtenir que le consulat soit déféré au général Bonaparte pour la durée de sa vie. — Les ennemis secrets du général profitent de son silence, pour persuader au Sénat qu'une prolongation du consulat pour dix années lui suffit. — Vote du Sénat dans ce sens. — Déplaisir du Premier Consul. — Il veut refuser. — Son collègue Cambacérès l'en empêche, et propose, comme expédient, de recourir à la souveraineté nationale, et de poser à la France la question de savoir si le général Bonaparte sera consul à vie. — Le Conseil d'État chargé de rédiger la question. — Ouverture de registres pour recevoir les votes, dans les mairies, les tribunaux, les notariats. — Empressement de tous les citoyens à porter leur réponse affirmative. — Changements apportés à la constitution de M. Sieyès. — Le Premier Consul reçoit le consulat à vie, avec la faculté de désigner son successeur. — Le Sénat est investi du pouvoir constituant. — Les listes de notabilité sont abolies, et remplacées par des colléges électoraux à vie. — Le Tribunat réduit à n'être qu'une section du Conseil d'État. — La nouvelle constitution devenue tout à fait monarchique. — Liste civile du Premier Consul. — Il est proclamé solennellement par le Sénat. — Satisfaction générale d'avoir fondé enfin un pouvoir fort et durable. — Le Premier Consul prend le nom de Napoléon Bonaparte. — Sa puissance morale est à son apogée. — Résumé de cette période de trois ans. 405 à 562
Note 1: Les rapports de cet amiral, qui existent aux archives, non de la marine, mais des affaires étrangères, présentent le plus curieux tableau de ce que peut devenir un grand État dans de mauvaises mains.[Retour au texte principal]
Note 2: Les Anglais ont prétendu que c'était la frégate française qui avait abandonné le champ de bataille. Les renseignements puisés auprès de deux officiers supérieurs, qui existent encore, et qui faisaient partie de l'escadre, ne m'ont laissé aucun doute sur la vérité du récit que je présente ici.[Retour au texte principal]
Note 3: Voir un rapport de l'amiral Warren, du 23 avril 1801, inséré au Moniteur du 27 messidor an IX (numéro double 296 et 297).[Retour au texte principal]
Note 4: Lettre écrite le 19 février (30 pluviôse), jour même de son entrée à Toulon, et conservée aux archives de la marine.[Retour au texte principal]
Note 5: Il faut bien distinguer ce premier essai de flottille, qui est de 1801, de la grande organisation navale et militaire, connue sous le nom si célèbre de Camp de Boulogne, et se rapportant à l'année 1804.[Retour au texte principal]
20 thermidor an IX (8 août 1801).
..... Quant à l'Amérique, aux observations péremptoires que contient la note, je joins celles-ci.
Le gouvernement britannique demande à conserver dans les Antilles une des îles qu'il y a nouvellement acquises, et cela sous le prétexte qu'elle serait nécessaire à la conservation de ses anciennes possessions. Or, sous aucun rapport, cette convenance ne peut s'entendre de l'île de la Trinité. Éloignez donc toute discussion à cet égard. La Trinité serait, par sa position, non un moyen de défense pour les colonies anglaises, mais un moyen d'attaque contre le continent espagnol. L'acquisition serait d'ailleurs, pour le gouvernement britannique, d'une importance et d'une valeur qui passeraient toute mesure. La discussion ne peut porter que sur Curaçao, Tabago, Sainte-Lucie, ou quelque autre île de la même espèce. Quoique ces deux dernières soient françaises, le gouvernement pourrait être amené à en abandonner une, et peut-être l'orgueil national en Angleterre serait-il flatté de conserver ainsi quelqu'une de nos dépouilles coloniales. Vous ne manquerez pas, citoyen, de relever la valeur des îles dont la cession peut être consentie par nous, et particulièrement de Tabago. Cette île, naguère anglaise, n'est encore habitée que par des planteurs anglais, toutes ses relations sont anglaises. Son sol est neuf, et son commerce est susceptible d'un grand développement.[Retour au texte principal]
Note 7: Note du 26 juillet.[Retour au texte principal]
Au ministre des relations extérieures.
21 messidor an IX (10 juillet 1801).
Faites connaître, citoyen-ministre, à l'ambassadeur de la République à Madrid, qu'il doit se rendre à la cour, et y déployer le caractère nécessaire dans cette circonstance. Il fera connaître:
Que j'ai lu le billet du général prince de la Paix; qu'il est si ridicule qu'il ne mérite pas une sérieuse réponse; mais que si ce prince, acheté par l'Angleterre, entraînait le roi et la reine dans des mesures contraires à l'honneur et aux intérêts de la République, la dernière heure de la monarchie espagnole aurait sonné;
Que mon intention est que les troupes françaises restent en Espagne jusqu'au moment où la paix de la République sera faite avec le Portugal;
Que le moindre mouvement des troupes espagnoles, ayant pour but de se rapprocher des troupes françaises, serait considéré comme une déclaration de guerre;
Que cependant je désire faire ce qu'il est possible, pour concilier les intérêts de la République, avec la conduite et les inclinations de Sa Majesté catholique;
Que, quelque chose qu'il puisse arriver, je ne consentirai jamais aux articles trois et six;
Que je ne m'oppose point à ce que les négociations recommencent entre l'ambassadeur de la République et M. Pinto, et qu'un protocole de négociations soit tenu tous les jours;
Que l'ambassadeur doit s'attacher à faire bien comprendre au prince de la Paix, et même au roi et à la reine, que des paroles et des notes même injurieuses, lorsqu'on est amis au point où nous le sommes, peuvent être considérées comme des querelles de famille, mais que la moindre action ou le moindre éclat serait irrémédiable;
Que quant au roi d'Étrurie, on lui a offert un ministre parce qu'il n'a personne autour de lui, et que pour gouverner les hommes il faut y entendre quelque chose; que cependant, sur ce qu'il a espéré trouver à Parme des hommes capables de l'aider, je n'ai plus insisté;
Que relativement aux troupes françaises en Toscane, il fallait bien en laisser pendant deux ou trois mois, jusqu'à ce que le roi d'Étrurie eût lui-même organisé ses troupes;
Que les affaires d'État peuvent se traiter sans passion, et que, du reste, mon désir de faire quelque chose d'agréable à la maison d'Espagne serait bien mal payé, si le roi souffrait que l'or corrupteur de l'Angleterre pût parvenir, au moment où nous touchons au port après tant d'angoisses et de fatigues, à désunir nos deux grandes nations; que les conséquences en seraient terribles et funestes;
Que, dans ce moment-ci, moins de précipitation à faire la paix avec le Portugal, aurait considérablement servi pour accélérer la paix avec l'Angleterre, etc., etc.
Vous connaissez ce cabinet; vous direz donc dans votre dépêche tout ce qui peut servir à gagner du temps, empêcher des mesures précipitées, faire recommencer les négociations, et en même temps imposer, en leur mettant sous les yeux la gravité des circonstances et les conséquences d'une démarche inconsidérée.
Faites sentir à l'ambassadeur de la République, que si le Portugal consentait à laisser à l'Espagne la province d'Alentejo jusqu'à la paix, cela pourrait être un mezzo termine, puisque par là l'Espagne se trouverait exécuter à la lettre le traité préliminaire.
J'aime autant ne rien avoir que quinze millions en quinze mois.
Expédiez le courrier que je vous envoie, directement à Madrid.
Bonaparte.[Retour au texte principal]
Note 9: Nous citons cette curieuse lettre de M. de Talleyrand:
20 messidor an IX (9 juillet 1801).
Général,
Je viens de lire avec toute l'attention dont je suis capable les lettres d'Espagne. Si l'on veut faire une réponse de controverse, il nous est facile d'avoir raison, même en nous en rapportant à la lettre des trois ou quatre traités que nous avons faits cette année avec cette puissance; mais ce sont là des pages de factum. Il faut voir si ce ne serait pas le moment d'adopter un plan définitif de conduite avec ce triste allié.
Je pars des données suivantes: L'Espagne a fait, pour me servir d'une de ses expressions, avec hypocrisie la guerre contre le Portugal; elle veut définitivement faire la paix.—Le prince de la Paix est, à ce qu'on nous mande et à ce que je crois aisément, en pourparlers avec l'Angleterre; le Directoire le croyait acheté par cette puissance.—Le roi et la reine dépendent du prince; il n'était que favori, le voilà pour eux établi homme d'État, et grand homme de guerre.—Lucien, est dans une position embarrassante dont il faut absolument le tirer.—Le prince emploie assez habilement dans ses notes cette phrase: Le roi s'est décidé à faire la guerre à ses enfants. Ce mot sera quelque chose pour l'opinion.—Une rupture avec l'Espagne est une menace risible quand nous avons ses vaisseaux à Brest, et que nos troupes sont dans le cœur du royaume.—Il me semble que voilà notre position, tout entière avec l'Espagne: cela posé, qu'avons-nous à faire?
Voilà le moment où je m'aperçois bien que depuis deux ans je ne suis plus accoutumé à penser seul. Ne pas vous voir laisse mon imagination et mon esprit sans guide; aussi vais-je probablement écrire de bien pauvres choses, mais ce n'est pas ma faute, je ne suis pas complet quand je suis loin de vous.
Il me semble que l'Espagne, qui à toutes les paix a gêné le cabinet de Versailles par ses énormes prétentions, nous a extrêmement dégagés dans cette circonstance. Elle nous a elle-même tracé la conduite que nous avons à tenir: nous pouvons faire avec l'Angleterre ce qu'elle fait avec le Portugal; elle sacrifie les intérêts de son allié, c'est mettre à notre disposition l'île de la Trinité dans les stipulations avec l'Angleterre. Si vous adoptiez cette opinion, il faudrait alors presser un peu la négociation à Londres et s'en tenir à faire de la diplomatie ou plutôt de l'ergoterie à Madrid, en restant toujours dans des discussions douces, dans des explications amicales, en rassurant sur le sort du roi de Toscane, en ne parlant que des intérêts de l'alliance, etc., etc. En tout, perdre du temps à Madrid et précipiter à Londres.
Changer d'ambassadeur dans ces circonstances, ce serait donner de l'éclat, et il faut l'éviter si vous adoptez, comme je le propose, la temporisation. Pourquoi ne permettriez-vous pas à Lucien d'aller à Cadix voir les armements, de voyager dans les ports? Pendant cette course, les affaires avec l'Angleterre marcheraient; vous ne laisseriez pas l'Angleterre stipuler pour le Portugal, et il reviendrait à Madrid pour traiter définitivement de cette paix.
Je crains bien, général, que vous ne trouviez que mon opinion ne se sente un peu des douches et des bains que je prends bien exactement. Dans dix-sept jours je vaudrai mieux. Je serai bien heureux de vous renouveler l'assurance de mon dévouement et de mon respect.
Ch.-Maur. Talleyrand.[Retour au texte principal]
Note 10: L'abbé de Pradt, dans les Quatre Concordats.[Retour au texte principal]
Note 11: Il n'existe pas une négociation plus curieuse, plus digne d'être méditée, que la négociation du Concordat; il n'en existe pas une sur laquelle les archives françaises soient plus riches, car, outre la correspondance diplomatique de nos agents, et surtout la propre correspondance de l'abbé Bernier, nous possédons la correspondance de monsignor Spina et du cardinal Caprara avec le Pape et le cardinal Consalvi. La dernière nous a été conservée en vertu d'un article du Concordat, d'après lequel les archives de la légation romaine, en cas de rupture, devaient rester en France. Les lettres de monsignor Spina et du cardinal Caprara, écrites en italien, sont un des monuments les plus curieux du temps, et donnent seules le secret des négociations religieuses de cette époque, secret encore fort mal connu aujourd'hui, même après les divers ouvrages publiés sur cette matière.[Retour au texte principal]
  Pio VI per conservar la fede
Perde la sede.
  Pio VII per conservar la sede
Perde la fede.[Retour au texte principal]
Florence, le 19 prairial an IX.
François Cacault, ministre plénipotentiaire de la République française à Rome, au citoyen ministre des relations extérieures.
Citoyen ministre,
Me voilà arrivé à Florence. Le cardinal secrétaire d'État est parti de Rome avec moi. Il est venu me prendre à mon logis. Nous avons fait route ensemble dans le même carrosse. Nos gens suivaient de la même manière dans la seconde voiture, et la dépense de chacun était payée par son courrier respectif.
Nous étions regardés partout d'un air ébahi. Le cardinal avait grande peur qu'on imaginât que je me retirais à l'occasion d'une rupture; il disait sans cesse à tout le monde: Voilà le ministre de France. Ce pays, écrasé des maux passés de la guerre, frissonne à la moindre idée de mouvements de troupes. Le gouvernement romain a plus de peur encore de ses propres sujets mécontents, surtout de ceux qui ont été alléchés à l'autorité et au pillage par l'espèce de révolution passée. Nous avons ainsi prévenu et dissipé à la fois les frayeurs mortelles et les espérances téméraires. Je pense que la tranquillité de Rome ne sera pas troublée.
Le cardinal a passé ici la journée du 18 en grande et ostensible amitié avec le général Murat, qui lui a fait donner un logement et une garde d'honneur. Il a fait la même chose pour moi. Je n'ai rien accepté, je suis logé à l'auberge.
Le cardinal est parti ce matin pour Paris. Il arrivera peu de temps après ma dépêche; il ira extrêmement vite. Le malheureux sent bien que s'il échouait il serait perdu sans ressource, et que tout serait perdu pour Rome. Il est pressé de savoir son sort. Je lui ai fait sentir qu'un grand moyen de tout sauver était d'user de diligence, parce que le Premier Consul avait des motifs graves de conclure vite et d'exécuter promptement.
J'avais essayé à Rome d'amener le Pape à signer seulement le Concordat, et s'il m'eût accordé ce point je ne serais pas parti de Rome; mais cette idée ne m'a pas réussi.
Vous jugez bien que le cardinal n'est pas envoyé à Paris pour signer ce que le Pape a refusé de signer à Rome; mais il est premier ministre de Sa Sainteté et son favori, c'est l'âme du Pape qui va entrer en communication avec vous. J'espère qu'il en résultera un accord concernant les modifications. Il s'agit de phrases, de paroles qu'on peut retourner de tant de manières qu'à la fin on saisira la bonne.
Le cardinal porte au Premier Consul une lettre confidentielle du Pape et le plus ardent désir de terminer l'affaire. C'est un homme qui a de la clarté dans l'esprit. Sa personne n'a rien d'imposant, il n'est pas fait à la grandeur; son élocution un peu verbeuse n'est pas séduisante; son caractère est doux et son âme s'ouvrira aux épanchements, pourvu qu'on l'encourage avec douceur à la confiance.
J'ai écrit à Madrid, à l'ambassadeur Lucien Bonaparte, en quoi consistait cet éclat du voyage à Paris du cardinal Consalvi et de ma retraite à Florence. J'ai également fait connaître aux ministres à Rome de l'Empereur et du roi d'Espagne qu'il n'y avait aucune apparence de guerre avec le Pape.
Je vous salue respectueusement.
Cacault.[Retour au texte principal]
Note 14: Lettre de Mgr Spina au cardinal Consalvi, secrétaire d'État:
Parigi, 8 agosto.
Giovedi scorso il Primo Console essendo al Consiglio di Stato, instruito che in Parigi si parla della convenzione da esso fatta con Sua Santità, e che ognuno ignorandone il preciso ne parla e fa dei comenti a seconda della propria immaginazione, prese dà ciò ragione di communicarne al Consiglio medesimo l'intiero tenore. So che parlò un ora e mezza, dimostrandone la necessità et l'utilità, e mi vien riferito che parlasse eccellentemente. Siccome non richiese qual fosse il parere del suo Consiglio, ognuno si tacque. Non ho ancora potuto sapere quale impressione facesse nell'animo dei consiglieri in generale. I buoni ne godettero, ma il numero di questi è ben ristretto. Procurerò d'indagare quai sia l'impressione fatta in quelli che sono di diversa opinione. Pare che il Primo Console andar voglia preparando gli spiriti di quelli che sono nemici di questa operazione a non contrariarla, mà nulla otterrà fino a che non prende qualche misura più energica contro i costituzionali, e fine a che lascia il culto cattolico esposto alla sferza del ministro della pulizia.[Retour au texte principal]
Rome, le 8 août 1801 (20 thermidor an IX).
Citoyen ministre,
Pour vous informer de l'état de l'affaire de la ratification du Pape attendue à Paris, je ne puis mieux faire que de vous transmettre en original la lettre que je viens de recevoir du cardinal Consalvi.
Ce cardinal étant obligé de garder le lit, Sa Sainteté est venue travailler aujourd'hui chez son secrétaire d'État.
Le Sacré-Collége entier doit concourir à la ratification; tous les docteurs de premier ordre sont employés et en mouvement. Le Saint-Père est dans l'agitation, l'inquiétude et le désir d'une jeune épouse, qui n'ose se réjouir du grand jour de son mariage. Jamais on n'a vu la cour pontificale plus recueillie, plus sérieusement et plus secrètement occupée de la nouveauté sur le point d'éclore, sans que la France, dont il s'agit, pour laquelle on travaille, intrigue, promette, donne, ni brille ici, suivant les anciens usages. Le Premier Consul jouira bientôt de l'accomplissement de ses vues à l'égard de l'accord avec le Saint-Siége, et cela sera arrivé d'une manière nouvelle, simple et vraiment respectable.
Ce sera l'ouvrage d'un héros et d'un saint, car le Pape est d'une piété réelle.
Il m'a dit plusieurs fois: «Soyez sûr que si la France, au lieu d'être puissance dominante, était dans l'abattement et la faiblesse à l'égard de ses ennemis, je n'en ferais pas moins tout ce que j'accorde aujourd'hui.»
Je ne crois pas qu'il soit arrivé souvent qu'un si grand résultat, d'où dépendra beaucoup désormais la tranquillité de la France et le bonheur de l'Europe, ait été obtenu sans violence comme sans corruption.
J'ai l'honneur de vous saluer respectueusement.
Cacault.[Retour au texte principal]
Note 16: Lettre du cardinal Caprara au cardinal Consalvi:
Parigi, 2 novembre 1801.
Ritornato da Malmaison verso le ore 11 della notte mi pongo a dettare il risultato dell'abboccamento avuto col Primo Console. In niun modo ha fatto il medesimo parola meco dei cinque articoli che in copia annetto alla mia del 1o novembre, ma immediatamente con quella vivacità che è propria del suo carattere, ed aggiungo anche, mostrando di essere indispettito, ha incominciato dal fare lagnanze le più amare contro tutti i Romani, dicendo che lo menano in barchetta, e che studiano di prenderlo alla trappola; che lo menano in barchetta colla eterna lungaggine nello spedire la bolla di circoscrizione, al cui ritardo hanno contribuito col non mandare i brevi ai vescovi nel tempo che dovevano, e col non spedirli per mezzo di corrieri, corne avrebbe fatto ogni governo cui premeva un affare: che studiano di prenderlo alla trappola, perche vorrebbero fargli fare la figura di bamboccio nell'indurre il papa a non ammettergli le nomine ch'egli farà di vescovi costituzionali, e proseguendo a parlare a guisa di torrente, ha ripetuto esattamente tutto ciò, che in presenza di monsignor Spina mi disse jeri sera il consigliere Portalis.
Dopo un discorso si veemente, e mescolato di espressioni assai agre io ho preso a giustificare i Romani accusati; al che egli interrompendomi, ha detto: Non accetto giustificazioni, e solo dal numéro eccettuo il papa, per cui hò rispetto e tenerezza .................................. Parendomi in quel punto meno trasportato che in principio, mi sono studiato di fargli sentire che avendo tenerezza per nostro signore doveva dargliene un contrassegno col togliergli il dispiacere di nominare vescovi costituzionali. A questa proposizione, ha ripreso l'antico tuono, ed ha detto: I costituzionali saranno da me nominati, ed in numero di quindici. Hò fatto quel che potevo, e non recederò neppure di una linea dalla determinazione che ho presa ........................ Quanto ai capi di setta, il consigliere Portalis, che era presente, ha voluto assicurarmi che potevo vivere quieto, e che su i soggetti sarei stato contento; ma quanto alla sommissione il Primo Console ha ripreso, è superbia il dimandarla, ed è viltà il prestarla; e qui senza attendere risposta, si è aperto un campo vasto in ordine alla canonica istituzione, e non piu come militare, ma a guisa di canonista ha tenuto un lunghissimo discorso, non dirò da persuadere, ma da tenere a bada, ed in fine ha detto: Ma i vescovi non fanno la professione di fede, e prestano giuramento? Rispostogli di si dallo stesso consigliere Portalis, ha conchiuso, questo tratto di ubbidienza al papa basta per mille sommissioni. E rivolgendosi a me, mi ha laconicamente ripetuto: Procurate che sollecitamente venga la bella della circoscrizione, e che ciò che ne viene di seguito, e di cui vi ho parlato, non abbia per parte di Roma la stessa sorte che hanno avuto i brevi spediti ai vescovi, quali secondo le mie notizie non erano stati consegnati ad alcuno in Germania a tutto il 21 del passato.
Cosi è finito l'abboccamento, devo però soggiungerle, che finito il medesimo all' incirca un' ora dopo mezzogiorno' egli parti con Madama, stando fuori all' incirca un' altra ora: ma prima mi obbligo di rimanere presso di lui a pranzo non ostante che fossi impegnato dal fratello Giuseppe, alquale egli stesso spedi. Certamente senza esagerazione fuori del tempo del pranzo sino a dieci ore della notte volle tratternersi meco, passeggiando alla sua maniera la più parte del tempo e parlando di tutti gli oggetti economici e politici possibili in ordine a noi.[Retour au texte principal]
Note 17: Voici quelques échantillons des instructions données à ses aides-de-camp en mission.
Au citoyen Lauriston, aide-de-camp.
Paris, 7 pluviôse an IX (27 janvier 1801).
Vous partirez, citoyen, pour vous rendre à Rochefort. Vous visiterez dans le plus grand détail le port et l'arsenal, en vous adressant à cet effet au préfet maritime.
Vous me rapporterez des mémoires sur les objets suivants:
1o Le nombre d'hommes, dans le plus exact détail, qui se trouvent sur les deux frégates qui partent, et l'inventaire de tous les objets d'artillerie ou autres que ces frégates auraient à bord. Vous resterez à Rochefort jusqu'à ce qu'elles soient parties.
2o Combien reste-t-il de frégates en rade?
3o Un rapport particulier sur chacun des vaisseaux le Foudroyant, le Duguay-Trouin et l'Aigle. Dans quel temps chacun de ces vaisseaux sera-t-il prêt à mettre à la voile?
4o Un rapport particulier sur chacune des frégates la Vertu, la Cybèle, la Volontaire, la Thétis, l'Embuscade et la Franchise.
5o L'état de tous les fusils, pistolets, sabres, boulets qui seraient arrivés dans ce port pour les expéditions maritimes.
6o Existe-t-il dans les magasins des vivres de la marine de quoi en donner pour six mois à six vaisseaux de guerre, indépendamment des trois ci-dessus nommés?
7o Enfin a-t-on pris toutes les mesures pour recruter les matelots et faire arriver de Bordeaux et Nantes les vivres, cordages et tout ce qui est nécessaire à l'armement d'une escadre?
Si vous prévoyiez rester à Rochefort plus de six jours, vous m'enverriez par la poste votre premier rapport. Vous ne manquerez pas de faire connaître au préfet que je suis dans l'opinion que le ministre de la marine a pris toutes les mesures pour que neuf vaisseaux puissent partir de Rochefort au commencement de ventôse. Vous sentez que ceci doit être dit en grand secret au préfet.
Vous profiterez de toutes les circonstances pour recueillir dans tous les lieux où vous passerez des renseignements sur la marche des administrations et sur l'esprit public.
Si le départ des frégates est retardé, je vous autorise à aller à Bordeaux et à revenir par Nantes. Vous m'apporterez un mémoire sur les trois frégates en armement.
Je vous salue.
Bonaparte.
Au citoyen Lacuée, aide-de-camp.
Paris, 9 ventôse an IX (28 février 1801).
Vous vous rendrez, citoyen, en toute diligence à Toulon. Vous remettrez la lettre ci-jointe au contre-amiral Ganteaume. Vous verrez tous les vaisseaux de l'escadre, ainsi que l'arsenal: vous aurez soin de vous assurer par vous-même de la force et du nombre des vaisseaux anglais qui bloqueraient le port de Toulon. S'il est moindre que celui du contre-amiral Ganteaume, vous l'engagerez à ne se point laisser bloquer par une force inférieure.
Si les circonstances décident le général Ganteaume à continuer sa mission, vous l'engagerez à prendre à Toulon le plus de troupes qu'il pourra porter. Vous verrez à cet effet le commandant militaire pour lever tous les obstacles, et que les troupes lui soient fournies.
Vous ferez sentir au contre-amiral Ganteaume que l'on a, en général, un peu blâmé sa course sur Mahon, parce qu'elle a réveillé l'attention de l'amiral Warren, dont le seul but était de défendre Mahon.
Si le contre-amiral Ganteaume se décide à achever sa mission, vous resterez à Toulon quatre jours après son départ.
Si, au contraire, les nouvelles de la mer faisaient penser qu'il resterait trop long-temps, vous reviendrez à Paris, après avoir passé quinze jours à Toulon, six à Marseille, quatre à Avignon et cinq ou six à Lyon.
Vous aurez soin de me rapporter l'état de tout ce qui est embarqué sur chaque vaisseau; l'état des bâtiments et frégates expédiés de Toulon depuis le 1er vendémiaire de l'an IX; l'état de l'arsenal, et des notes sur les fonctionnaires publics du pays où vous passerez, ainsi que de l'esprit qui y règne.
Vous profiterez de tous les courriers qu'expédiera le préfet maritime pour me donner des nouvelles de l'escadre, de la mer et des Anglais.
Vous encouragerez par vos discours tous les capitaines de vaisseau, en leur faisant sentir de quel immense intérêt pour la paix générale est leur expédition.
Je vous salue.
Bonaparte.
Au citoyen Lauriston.
Paris, 30 pluviôse an X (19 février 1802).
J'ai reçu, citoyen, vos différentes lettres et votre dernière du 25 pluviôse. Je vous prie de prendre en secret des renseignements sur l'administration des vivres, dont le service paraît exciter des plaintes.
À votre retour, sachez me rapporter un état détaillé sur les marchandises du Nord qu'a fournies dans le courant de l'an X la compagnie Lechie. Elle prétend en avoir, dans ce moment, pour 1,700,000 francs en magasins.
Quelle est la quantité de bois qui est arrivée du Havre depuis la paix, et travaille-t-on enfin à l'achèvement des cinq vaisseaux qui sont en construction?
En repassant à Lorient, voyez combien il y a de vaisseaux en construction, et le temps où chacun d'eux pourra prendre la mer. Visitez tous les canonniers et grenadiers garde-côtes, afin de pouvoir me rendre compte quelle espèce d'hommes ce sont, et ce qu'il sera possible d'en faire au moment de la paix définitive.
Enfin voyez à Nantes de vous assurer des marchandises du Nord qui ont été reçues en l'an X, et ce qu'il reste encore de chanvre; si le transport des bois à Brest est en activité! Arrêtez-vous deux jours à Vannes pour prendre sur l'esprit public les observations convenables.
Dans toutes ces observations tâchez de voir par vous-même, et sans le conseil des autorités.
Sachez me dire quelle réputation le nommé Charron a laissée à Lorient, et restez-y trois ou quatre jours afin d'observer la marche de l'administration dans ce port.
Enfin ne laissez échapper aucune circonstance de voir par vous-même et de fixer votre opinion sur l'administration civile, maritime et militaire.
Informez-vous dans chaque département quelle apparence a la récolte prochaine.
J'imagine que vous m'apporterez des notes sur la manière dont les troupes sont soldées, habillées, et sur la tenue des principaux hôpitaux de terre.
Je vous salue.
Bonaparte.[Retour au texte principal]
Note 18: Voici une lettre écrite de Saint-Quentin au consul Cambacérès:
Saint-Quentin, 21 pluviôse an IX (10 février 1801).
Les manufactures si intéressantes de la ville de Saint-Quentin et environs, qui employaient 70,000 ouvriers et faisaient rentrer en France plus de quinze millions de numéraire, ont dépéri des cinq sixièmes. L'on désirerait bien ici que nos dames missent le linon à la mode, sans donner aux mousselines cette préférence absolue. L'idée de ranimer une de nos manufactures les plus intéressantes et que nous possédons exclusivement, et de donner du pain à un si grand nombre de familles françaises, est bien faite, en effet, pour mettre à la mode les linons: d'ailleurs, n'y a-t-il pas assez long-temps que les linons sont en disgrâce?[Retour au texte principal]
«M. de Calonne est de retour à Paris depuis un mois environ. Avant de quitter l'Angleterre il a eu une conférence avec les ministres, et il en a été parfaitement accueilli. On lui a demandé si, en retournant en France, son projet n'était pas de rentrer aussi dans l'administration. Il a répondu que ses principes, sa conduite pendant la révolution et son dévouement à la famille royale, lui imposaient l'obligation de n'accepter aucune place des mains du nouveau gouvernement; mais qu'attaché à la France par goût et par instinct, il ne refuserait point de donner des conseils, si on lui en demandait, et s'il les croyait avantageux à sa patrie.
»Son arrivée à Paris a fait une grande sensation. Il se voit tous les jours assiégé de visites et entouré de créatures, comme au moment le plus brillant de sa fortune et de son crédit. L'opinion qu'il va être élevé au ministère lui amène des nuées de solliciteurs; et, pour s'y dérober, il a été obligé de fuir à la campagne. Il ne paraît pas cependant que cette opinion soit fondée; et si jamais elle se réalise, ce ne sera pas encore à présent. Tout ce qu'on sait, c'est qu'il devait être présenté, il y a quelques jours, à Bonaparte, et avoir une conférence secrète avec lui.
»Il voit tous ses anciens amis, et s'ouvre à eux avec une entière liberté. Témoin de la faiblesse et de la nullité des puissances étrangères, il ne croit pas qu'on puisse trouver en elles la moindre garantie contre l'invasion révolutionnaire, et bien moins encore une protection efficace pour la cause du Roi. Il répète ce que nous savions déjà depuis long-temps, que les hommes qui gouvernent en Europe, sont des hommes sans moyens et sans caractère, qui ne connaissent point le temps où ils vivent, qui ne savent ni juger le présent ni pressentir l'avenir, et qui sont également dépourvus du courage qui fait entreprendre et de la fermeté qui sait persévérer. Il les regarde tous comme livrés à Bonaparte, tremblants devant lui, et prêts à exécuter humblement toutes ses volontés. Aussi est-il persuadé que ce n'est qu'en France qu'on peut travailler à la restauration de la monarchie, non en se mettant en avant, et en fomentant de sots et de ridicules complots, plus propres à déshonorer sa cause qu'à lui préparer de véritables succès; mais en s'occupant, sans bruit et sans éclat, du soin de rétablir l'opinion, de détruire la prévention, d'affaiblir les craintes, de réunir tous les serviteurs du Roi, et de les tenir prêts à profiter en sa faveur de tous les événements que le cours naturel des choses doit amener.
»M. de Calonne assure qu'en Angleterre l'enthousiasme pour Bonaparte est non-seulement général, mais porté à un excès dont il est difficile de se faire une idée. La cour et la ville, la capitale et les provinces, toutes les classes de citoyens, depuis les ministres jusqu'aux artisans, tous s'empressent de publier ses louanges, et chantent à l'envi ses victoires et l'éclat de son pouvoir. Au reste, cet enthousiasme n'est pas particulier à l'Angleterre; toute l'Europe en est, pour ainsi dire, infectée. De toutes parts on accourt à Paris pour voir le grand homme au moins une fois en sa vie, et la police a été obligée de menacer d'arrestation des Danois qui avaient publiquement fléchi le genou devant lui toutes les fois qu'ils l'apercevaient.
»C'est là une des principales causes de sa force et de son immense pouvoir. Comment les Français oseraient-ils lutter contre lui tant qu'ils voient toutes les puissances européennes prosternées à ses pieds?»[Retour au texte principal]
Lyon, le 7 nivôse an X (28 décembre 1801).
«Général,
»J'ai l'honneur de vous informer de mon arrivée à Lyon aujourd'hui à une heure et demie du matin. La route de Bourgogne, à six ou huit lieues près, n'est pas très-mauvaise, et les préfets placés sur cette ligne de communication ont profité du mouvement d'enthousiasme que répand l'espérance de votre passage, pour faire suivre avec activité les travaux de la réparation des routes. Partout où j'ai trouvé quelques communes, quelques habitations, j'ai entendu des vive Bonaparte. Pendant les dix dernières lieues que j'ai faites au milieu de la nuit, chacun venait sur mon passage une lumière à la main pour répéter les mêmes mots. C'est une expression que vous êtes constamment destiné à entendre.
»L'histoire du général Lannes s'était répandue et paraissait occuper beaucoup: le sous-préfet d'Autun, un citoyen d'Avallon m'en avaient parlé, mais avec des circonstances diverses, que des lettres de Paris leur avaient rapportées comme anecdotes. J'ai eu de nouveau occasion de remarquer à quel point tout ce qui a trait à votre personne s'empare de l'attention publique et devient sur-le-champ l'occupation de la France.»[Retour au texte principal]
Au citoyen Saint-Cyr, ambassadeur à Madrid.
10 frimaire, an X (1er décembre 1801).
Je ne comprends plus rien, citoyen ambassadeur, à la conduite du cabinet de Madrid. Je vous charge spécialement de faire toutes les démarches pour faire ouvrir les yeux à ce cabinet, pour qu'il prenne une marche régulière et convenable. Le sujet me paraît tellement important, que je crois devoir vous en écrire moi-même.
La plus intime union régnait entre la France et l'Espagne lorsque S. M. jugea à propos de ratifier le traité de Badajoz.
M. le prince de la Paix passa alors à notre ambassadeur une note dont j'ordonne qu'on vous envoie la copie. Cette note était trop pleine d'injures grossières pour que je dusse y faire attention. Peu de jours après, il remit à l'ambassadeur français à Madrid une note dans laquelle il déclarait que S. M. C. allait faire sa paix particulière avec l'Angleterre. J'ordonne également qu'on vous en envoie copie. Je sentis alors combien je pouvais peu compter sur les efforts d'une puissance dont le ministre s'exprimait avec si peu d'égards, et montrait un tel dérèglement dans sa conduite. Connaissant pleinement la volonté du roi, je lui aurais fait connaître directement la mauvaise conduite de son ministre, si la maladie de S. M. ne fût survenue sur ces entrefaites.
J'ai fait prévenir plusieurs fois la cour d'Espagne que son refus d'exécuter la convention de Madrid, c'est-à-dire d'occuper le quart du territoire portugais, entraînerait la perte de la Trinité: elle n'a tenu aucun compte de ces observations.
Dans les négociations qui ont eu lieu à Londres, la France a discuté les intérêts de l'Espagne comme elle l'aurait fait pour elle-même; mais enfin S. M. B. n'a jamais voulu se désister de la Trinité, et je n'ai pas pu m'y opposer, d'autant plus que l'Espagne menaçait la France, par une note officielle, d'une négociation particulière: nous ne pouvions plus compter sur son secours pour la continuation de la guerre.
Le congrès d'Amiens est réuni, et la paix définitive sera promptement signée; cependant S. M. C. n'a pas encore fait publier les préliminaires, ni fait connaître de quelle manière elle voulait traiter avec l'Angleterre. Il devient cependant bien essentiel pour sa considération en Europe, pour les intérêts de sa couronne, qu'elle prenne promptement un parti, sans quoi la paix définitive sera promptement signée sans sa participation.
L'on m'a dit qu'à Madrid on voulait revenir sur la cession de la Louisiane; la France n'a manqué à aucun traité fait avec elle, et elle ne souffrira pas qu'aucune puissance lui manque à ce point. Le roi de Toscane est sur son trône et en possession de ses États, et S. M. C. connaît trop la foi qu'elle doit à ses engagements, pour refuser plus long-temps la mise en possession de la Louisiane.
Je désire que vous fassiez connaître à Leurs Majestés mon extrême mécontentement de la conduite injuste et inconséquente du prince de la Paix.
Dans le dernier mois, ce ministre n'a épargné ni notes insultantes, ni démarches hasardées: tout ce qu'il a pu faire contre la France, il l'a fait. Si l'on continue dans ce système, dites hardiment à la reine et au prince de la Paix que cela finira par un coup de tonnerre.[Retour au texte principal]
Aux consuls Cambacérès et Lebrun.
Lyon, 24 nivôse an X (14 janvier 1802).
Je reçois, citoyens consuls, votre lettre du 21. Il fait ici un froid excessif, et je passe les matinées, de midi à six heures, à recevoir les préfets et les notables des départements voisins. Vous savez que dans ces sortes de conférences il faut parler long-temps.
Ce soir la ville de Lyon donne un concert et un bal. Je vais y aller dans une heure.
Les travaux de la Consulte avancent.
Les troupes de l'armée d'Orient arrivent à force à Lyon; je prends des mesures pour les faire habiller. Je compte en passer la revue le 28.
Je continue à être extrêmement satisfait de tout ce que je vois, soit du peuple de Lyon, soit du midi de la France.
Les négociations d'Amiens me paraissent avancer.
Je vous félicite de la manière dont tout marche dans vos mains.
Joseph m'a écrit d'Amiens que le lord Cornwallis lui avait dit que le cabinet britannique avait reçu des nouvelles de Saint-Domingue favorables à l'armée française, que la division s'était manifestée dans l'armée de Toussaint.
Aux mêmes.
Lyon, 26 nivôse an X (16 janvier 1802).
J'ai reçu, citoyens consuls, vos dépêches des 22 et 23 nivôse... Les Lyonnais nous ont donné une fête très-distinguée. Vous en trouverez ci-joint le détail, ainsi que les vers qui ont été chantés.
Je vais très-lentement dans mes opérations, car je passe toutes mes matinées à recevoir des députations des départements voisins.
Il fait aujourd'hui très-beau, mais très-froid.
Le bien-être de la République est sensible depuis deux ans. Lyon, pendant les années VIII et IX, a vu accroître sa population de plus de vingt mille âmes, et tous les manufacturiers que j'ai vus de Saint-Étienne, d'Annonay, etc., m'ont dit que leurs fabriques sont en grande activité.
Toutes les têtes me paraissent pleines d'activité, non de celle qui désorganise les empires, mais de celle qui les recrée, et produit leur prospérité et leur richesse.
Je passerai en revue dans quelques jours près de six demi-brigades de l'armée d'Orient.
Au consul Cambacérès.
Lyon, 28 nivôse an X (18 janvier 1802).
Je viens, citoyen consul, de recevoir la députation de Bordeaux. Elle m'a remis une pétition pour me solliciter de passer dans leur ville, ce que je leur ai promis de faire, lorsque leurs relations seraient en pleine activité avec les Antilles et l'île de France.
Votre lettre du 25 m'a instruit des délibérations du Sénat. Je vous prie de tenir la main à ce qu'on nous débarrasse exactement des vingt et des soixante mauvais membres, que nous avons dans les autorités constituées. La volonté de la nation est que l'on n'empêche point le gouvernement de faire le bien, et que la tête de Méduse ne se montre plus dans nos tribunes ni dans nos assemblées.
La conduite de Sieyès dans cette circonstance prouve parfaitement qu'après avoir concouru à la destruction de toutes les constitutions depuis 91, il veut encore s'essayer contre celle-ci. Il est bien extraordinaire qu'il n'en sente pas la folie. Il devrait faire brûler un cierge à Notre-Dame pour s'être tiré de là si heureusement, et d'une manière si inespérée; mais plus je vieillis, et plus je m'aperçois que chacun doit remplir son destin.
J'imagine que vous avez pris toutes les mesures pour démolir le Châtelet.
Si le ministre de la marine a besoin des frégates du roi de Naples, il peut s'en servir. Il serait même bien qu'il les fît partir le plus tôt possible pour l'Amérique. Tout s'arrangera après avec le roi de Naples.
Le froid a beaucoup diminué aujourd'hui.
Le général Jourdan, qui est arrivé aujourd'hui du Piémont, me rend un compte assez satisfaisant de cette province.
Les opérations de la Consulte avancent, toutes leurs lois organiques se rédigent.
J'ai conféré une partie de la matinée avec les préfets.
Je vous recommande de voir le ministre de la marine pour vous assurer que les vivres de Saint-Domingue sont partis.
Aux consuls Cambacérès et Lebrun.
Lyon, 30 nivôse an X (20 janvier 1802).
Je désirerais, citoyens consuls, que le ministre du Trésor public envoyât dans la 16e division militaire le citoyen Roger, pour y vérifier la comptabilité du payeur et des principaux receveurs des départements qui composent cette division.
Je désirerais également que le ministre du Trésor public envoyât à Rennes un homme comme le citoyen Roger pour faire la même opération dans la 13e division militaire.
Faites aussi partir les conseillers d'État Thibaudeau et Fourcroy, l'un pour la 13e division militaire et l'autre pour la 16e, pour inspecter ces divisions comme ils l'ont fait déjà dans leur précédente mission. Une partie des plaintes vient de ce que le ministre de la guerre n'a pas fait toucher aux officiers l'indemnité de fourrage et de logement pour le premier trimestre de l'an X, de ce que les receveurs gardent long-temps les fonds et que les payeurs payent le plus tard qu'ils peuvent. Les payeurs et les receveurs forment la plus grande plaie de l'État...
Aux mêmes.
Lyon, 30 nivôse an X (20 janvier 1802).
Je reçois, citoyens consuls, votre lettre du 26 et 27. À Lyon comme à Paris, le temps s'est considérablement adouci...
J'ai vu hier différents ateliers. J'ai été satisfait de l'industrie et de la sévère économie dont j'ai cru entrevoir que la fabrique de Lyon use envers ses ouvriers.
Je devais aujourd'hui faire ma parade, mais je l'ai remise au 5 pluviôse, les troupes de l'armée d'Orient n'étaient pas habillées; j'ai l'espoir, au contraire, que le 5 elles le seront, ce qui offrira un coup d'œil satisfaisant.
J'ai vu avec grand plaisir l'arrêté que vous avez pris sur le Châtelet. Si les temps devenaient rigoureux, je ne crois pas que la mesure que vous avez prise, de donner 4,000 francs par mois pour les ateliers extraordinaires, soit suffisante.
Il serait nécessaire que vous ordonnassiez qu'indépendamment des 100,000 francs que le ministre de l'intérieur donne par mois aux comités de bienfaisance, on y joignît 25,000 fr. d'extraordinaire pour distribuer du bois; et si le froid revenait, il faudrait, comme en 89, faire allumer du feu dans les églises et autres grands établissements, pour chauffer beaucoup de monde.
Je compte être à Paris dans le courant de la décade. Je vous prie de voir s'il ne serait pas convenable de mettre dans le Moniteur le dernier message au Sénat, et de mettre à la fin deux lignes pour dire que le Sénat a nommé une commission qui, ayant fait son rapport dans la séance du... il a décidé qu'il procéderait au renouvellement, conformément à l'article 38 de la Constitution, etc., etc.
Plusieurs renseignements qui me sont venus me porteraient à croire que Caprara exige que des prêtres signent des formules ou professions de foi à peu près dans ces termes:
«Aimons d'ailleurs à faire ici une profession solennelle d'un respect filial, d'une soumission parfaite, d'une obéissance ponctuelle envers...»
Ces renseignements me sont venus, entre autres, de Maëstricht. Je vous prie d'en conférer avec Portalis. Cette formule paraît bien inconcevable.
Aux mêmes.
Lyon, 2 pluviôse an X (22 janvier 1802).
Je n'ai reçu, citoyens consuls, votre lettre du 29 nivôse qu'aujourd'hui à trois heures après midi. Le dégel et les inondations ont retardé de quelques heures votre courrier.
Le service des fourrages est entièrement désorganisé dans le département de la Drôme; il faudrait retenir 10,000 francs sur l'ordonnance de pluviôse, jusqu'à ce que ce service soit au courant.
Les hôpitaux civils, auxquels il n'est accordé que 14 sous pour les journées des militaires malades, se plaignent de n'avoir encore rien reçu pour l'an X. Celui de Valence réclame même, avec l'an X, le mois de fructidor an IX.
Le travail de l'organisation des troupes piémontaises, que j'ai signé il y a plus d'un mois, n'est pas encore arrivé à Turin, ce qui met de l'incertitude parmi ces troupes. En général, il y a du retard et pas d'activité dans le département de la guerre; c'est l'opinion de tous ceux qui ont affaire avec ce département.
Il est indispensable que le ministre de la guerre envoie un ancien et bon ordonnateur à Turin...
Toutes les principales dispositions de la Consulte sont arrêtées. Je compte toujours être dans le courant de la décade à Paris.
Il serait à désirer que le Sénat nommât une douzaine de préfets, soit au Tribunat, soit au Corps Législatif. Celui du Mont-Blanc serait du nombre.
Je désirerais que vous fissiez mettre dans les journaux plusieurs articles pour relever l'escroquerie de Fouilloux, et tourner en ridicule les gobe-mouches étrangers qui répandaient des bruits absurdes, tous fondés sur le bulletin manuscrit d'un petit escroc qui n'avait pas de quoi dîner et qui les a dupés. Il est bon de revenir plusieurs fois sur cet objet.
Aux mêmes.
Lyon, 5 pluviôse an X (25 janvier 1802).
Je reçois, citoyens consuls, votre lettre du 2 pluviôse.
J'ai eu aujourd'hui parade à la place Bellecour. La journée a été superbe. Le soleil était comme au mois de floréal.
La Consulte a nommé un comité de trente individus qui lui a fait un rapport, que, vu les circonstances intérieures et extérieures de la Cisalpine, il était indispensable de me laisser gérer la première magistrature, jusqu'à ce que les circonstances permettent, et que je juge convenable de nommer un successeur. Demain je compte me rendre à la Consulte réunie. On y lira la Constitution, les nominations, et tout sera terminé. Je serai à Paris décadi...
Aux mêmes.
Lyon, 6 pluviôse an X (26 janvier 1802).
J'ai reçu, citoyens consuls, votre lettre du 3 pluviôse. Je crois qu'il est bon d'attendre la signature de la paix à Amiens, avant de lever l'état de siége de la ville de Brest.
À deux heures je me suis rendu dans la salle des séances de la Consulte extraordinaire; j'y ai prononcé en italien un petit discours, dont vous trouverez ci-joint la traduction française. On y a lu la Constitution, la première loi organique, une relative au clergé. Les différentes nominations ont été proclamées.
Je vous enverrai demain le procès-verbal de toute la Consulte, dans lequel se trouvera la Constitution. Les deux ministres, quatre conseillers d'État, vingt préfets, des généraux et officiers supérieurs m'ont accompagné. Cette séance a eu de la majesté, une grande unanimité, et j'espère du Congrès de Lyon tout le résultat que j'en attendais.
Je crois qu'il est inutile, si l'on ne fait pas courir de faux bruits sur le congrès de Lyon, que vous publiiez rien avant l'arrivée du courrier que je vous expédierai demain. Ce ne serait que dans le cas où l'on aurait répandu que la Consulte m'a nommé Président, que vous pourriez faire imprimer les deux pièces ci-jointes, qui font connaître la véritable tournure qu'ont prise les choses.
Je passerai la journée de demain à Lyon pour terminer tout, et je partirai dans la nuit. Je serai décadi à Paris...[Retour au texte principal]
Note 23: Elle n'a été abolie qu'en février 1810.[Retour au texte principal]
Note 24: Ces assertions sont fondées sur la correspondance même du cardinal Caprara.[Retour au texte principal]
Note 25: L'exercice de l'an IX fut d'abord fixé à 415 millions, puis à 526, et enfin à 545 millions.[Retour au texte principal]