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Histoire du Consulat et de l'Empire, (Vol. 09 / 20): faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française

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Combat de Zornoza.

Les Espagnols étaient en avant de Durango sur une ligne de hauteurs, dont la droite moins fortement appuyée pouvait être tournée. Le maréchal Lefebvre plaça au centre de sa ligne la division Sébastiani, et à ses deux ailes les Allemands mêlés avec la division Villatte, pour leur donner l'exemple. Il fit commencer l'attaque par sa gauche, afin de tourner la droite des Espagnols, qui était, comme nous venons de le dire, moins solidement établie. Le 31 octobre au matin, par un brouillard épais, le général Villatte avec deux de ses régiments, les 94e et 95e de ligne, et une portion des Allemands, se porta si vigoureusement sur la position, que les Espagnols surpris tinrent à peine. Bien qu'ils eussent beaucoup d'obstacles de terrain à opposer aux Français, ils se laissèrent culbuter de poste en poste, dans le fond de la vallée. Un feu allumé par le général Villatte devait servir de signal au centre et à la droite, qui ne marchèrent pas avec moins de vigueur que la gauche. Une grêle d'obus lancés à travers le brouillard avait déjà fort ébranlé les Espagnols. On les aborda ensuite vivement, et on les refoula si promptement sur le revers des hauteurs qu'ils occupaient, qu'on eut à peine le temps de les joindre. Leur manière de combattre consistait à faire feu sur nos colonnes en marche, puis à se jeter à la débandade dans le fond des vallées. En plaine, la cavalerie les aurait sabrés par milliers. Tout ce que pouvait notre infanterie dans ces montagnes escarpées, c'était de les fusiller dans leur fuite, en ajustant ses coups beaucoup mieux qu'ils ne savaient ajuster les leurs. On leur blessa ou tua ainsi 15 ou 1,800 hommes, pour 200 qu'ils mirent hors de combat de notre côté. Mais plusieurs milliers d'entre eux saisis de terreur se dispersèrent à cette première rencontre, commençant à comprendre, et à moins aimer la guerre avec les Français. Ce n'était pas le courage naturel qui leur manquait assurément; mais, privés de la discipline, les hommes ne conservent jamais dans le danger la tenue qui convient, et sans laquelle toute opération de guerre est impossible.

Le maréchal Lefebvre poursuivant sa victoire entra le lendemain dans Bilbao, où les Espagnols n'essayèrent pas de tenir, et où l'on prit quelques soldats ennemis, quelques blessés, beaucoup de matériel apporté par les Anglais. Les habitants tremblants s'étaient enfuis, les uns dans les montagnes, les autres sur des bâtiments de toute sorte qui stationnaient dans les eaux de Bilbao. Le maréchal Lefebvre, poussant ensuite jusqu'à Balmaseda, n'osa pas aller plus loin, car au delà se trouvait le col qui conduit par Espinosa dans les plaines de Castille; et ayant déjà combattu sans ordre, c'eût été trop que d'étendre encore davantage ses opérations. Il établit à Balmaseda la division Villatte, qui n'était pas à lui, mais au maréchal Victor, et se replia avec son corps sur Bilbao pour y chercher des vivres, qui n'abondaient pas dans ces montagnes, où l'on vit de maïs et de laitage.

Déplaisir de Napoléon en voyant les opérations commencées avant son arrivée.

Telle était la situation des choses au moment de l'arrivée de Napoléon. Ses intentions avaient été entièrement méconnues, puisqu'il aurait voulu qu'on se laissât presque tourner par la droite et par la gauche, afin d'être plus sûr, en débouchant de Vittoria, de prendre à revers les deux principales armées espagnoles. (Voir la carte no 43.) Le mouvement exécuté par les maréchaux Ney et Moncey sur l'Èbre avait eu en effet pour résultat d'éloigner un peu Castaños et Palafox, et de rendre à ceux-ci le service de les dégager. Le mouvement que s'était permis le maréchal Lefebvre, en repliant Blake de Bilbao sur Balmaseda, tirait le général espagnol d'une situation d'où il ne serait jamais sorti si on lui avait donné le temps de s'y engager complètement. De plus, les troupes françaises étaient disséminées dans différentes directions, qui n'étaient pas les mieux choisies. Les 1er et 6e corps, que Napoléon aurait voulu avoir sous sa main dans les plaines de Vittoria, étaient dispersés dans plusieurs endroits fort distants les uns des autres. Le 1er corps avait une de ses trois divisions, celle du général Villatte, en Biscaye. Le 6e avait la division Bisson à Pampelune, et une autre, la division Marchand, sur la route de Vittoria avec toute son artillerie.

Ordres de Napoléon pour ramener les opérations à son plan primitif.

Napoléon, arrivé à Vittoria le 5 novembre, après avoir exprimé, là comme à Bayonne, son déplaisir d'être si mal obéi, donna le 6 tous les ordres nécessaires pour réparer les fautes commises en son absence. S'il n'avait pas été contrarié dans l'exécution de ses plans par des opérations intempestives, il aurait opposé au général Blake, seulement pour le contenir, le corps du maréchal Lefebvre (4e corps); il aurait opposé à Palafox et Castaños, toujours et uniquement pour les contenir, le corps du maréchal Moncey (3e corps); puis, réunissant sous sa main le corps du maréchal Soult, autrefois Bessières (2e corps), celui du maréchal Victor (1er corps), celui du maréchal Ney (6e corps), la garde impériale, les quatorze mille dragons, et débouchant avec quatre-vingt mille hommes sur Burgos, il eût coupé par le centre les armées espagnoles, se serait ensuite rabattu sur elles, et les eût alternativement prises à revers, enveloppées et détruites. Malheureusement, ce plan, sans être compromis, ne pouvait plus s'exécuter d'une manière aussi certaine et aussi complète, d'abord, parce que l'action commencée trop tôt avait un peu arrêté les généraux espagnols, et les avait empêchés de s'engager à fond, les uns en Biscaye, les autres en Navarre; secondement, parce que les divers corps de l'armée française, employés au moment même de leur arrivée, se trouvaient fort disséminés. Cependant, ni Blake retiré en arrière de Balmaseda, ni Castaños et Palafox ramenés sur l'Èbre ne comprenaient jusqu'ici le danger de leur position, et ils ne faisaient rien pour en sortir. Le plan de Napoléon était encore exécutable. Il fit donc ses dispositions d'après le même principe, de couper par le centre la ligne espagnole en deux portions, afin de se rabattre ensuite sur l'une et sur l'autre. Ordres aux maréchaux Victor et Lefebvre. Il ordonna au maréchal Victor (1er corps), dont une division, celle du général Villatte, avait déjà été détournée de sa route pour renforcer le maréchal Lefebvre, d'appuyer celui-ci, s'il en avait besoin, par la route de Vittoria à Orduña, et de revenir ensuite par Orduña à Vittoria rallier le centre de l'armée française. On débitait dans le pays de telles choses sur la force des Espagnols, que Napoléon ne croyait pas trop faire en opposant deux corps (le 1er et le 4e) à l'armée de Blake, portée par les moindres évaluations à cinquante mille hommes, et par les plus fortes à soixante-dix. Ces deux maréchaux toutefois, d'après le plan de Napoléon, devaient plutôt contenir Blake que le repousser, jusqu'au moment où partirait du centre de l'armée le signal de se jeter sur lui.

Ordres au maréchal Moncey.

Après avoir réglé ainsi les opérations de sa droite, Napoléon, s'occupant de sa gauche, prescrivit au maréchal Moncey de se tenir prêt à agir quand il en recevrait l'ordre, mais jusque-là de se borner à couvrir l'Èbre, de Logroño à Calahorra. Il lui rendit la division Morlot, un instant détachée de son corps; il y ajouta un renfort de dragons; et enfin l'une des deux divisions du 6e corps (maréchal Ney), la division Bisson, ayant par un faux mouvement pris la route de Pampelune, il ordonna de la laisser reposer dans cette place, puis de la diriger sur Logroño, pour y appuyer la droite du maréchal Moncey, et y rester provisoirement. Cette division changea de commandant, et s'appela division Lagrange, du nom de son nouveau chef. Elle devait rejoindre plus tard le maréchal Ney, et contribuer en attendant à tenir en échec les Espagnols sur l'Èbre.

Ordres pour le mouvement du centre.

Sa droite et sa gauche étant ainsi assurées, mais sans être portées en avant, Napoléon résolut de déboucher par le centre, avec les corps des maréchaux Soult et Ney (2e et 6e), avec la garde impériale et la plus grande partie des dragons. Le corps du maréchal Soult, ancien corps de Bessières, s'il comptait beaucoup de jeunes soldats, renfermait aussi la division Mouton, composée de quatre vieux régiments, auxquels rien ne pouvait résister en Espagne: ils l'avaient prouvé à Rio-Seco. Le corps de Ney, quoique privé de la division Bisson, dirigée mal à propos sur Pampelune, et placée passagèrement sur l'Èbre, contenait cependant la division Marchand, qui lui avait toujours appartenu, et la division Dessoles, qui venait d'être formée d'anciens régiments appelés successivement en Espagne. Ces troupes n'avaient pas leurs pareilles au monde. Avec ces deux corps, avec la garde et la réserve de cavalerie, Napoléon avait environ cinquante mille hommes à pousser sur Burgos. C'était plus qu'il n'en fallait pour écraser le centre de l'armée espagnole.

Nouvel incident qui suspend encore l'exécution des plans de Napoléon.

Ses dispositions, arrêtées dans les journées du 6 et du 7 novembre, furent encore suspendues par un nouvel incident. Les généraux espagnols, quoique fort déconcertés par la vigueur des attaques qu'ils avaient essuyées, les uns à Zornoza, les autres à Logroño et à Lerin, ne renonçaient pas à leur plan; mais ils disputaient plus que jamais sur l'exécution de ce plan, et se demandaient du renfort les uns aux autres. Blake surtout, le plus rudement abordé, voyant sur ses flancs les corps de Lefebvre et de Victor, avait invoqué l'appui du centre et de la droite. Mais il y avait un détour de cinquante à soixante lieues à faire pour communiquer d'un bout à l'autre de la ligne espagnole, et, après avoir tenu conseil de guerre à Tudela, Castaños et Palafox avaient répondu qu'il leur était impossible d'aller au secours de l'armée des Asturies, et s'étaient bornés à prescrire au corps de l'Estrémadure de hâter son arrivée en ligne, pour qu'il vînt couvrir la droite de Blake en prenant position à Frias. Ils avaient promis aussi d'entrer en action le plus tôt qu'ils pourraient, afin d'attirer à eux une partie des forces des Français.

Blake renforcé se reporte en avant.

Blake, en attendant, repoussé de Bilbao et de Balmaseda vers les gorges qui forment l'entrée de la Biscaye, s'y était arrêté, et avait été rejoint par les douze ou quinze mille hommes placés à Villaro et Orozco, pendant qu'il combattait à Zornoza, et par le corps de La Romana. Avec ce qu'il avait perdu en morts et blessés, surtout en hommes dispersés, perte qui montait à six ou sept mille hommes, il lui restait environ trente-six mille hommes à mettre en ligne. Il se reporta donc en avant, dans la journée du 5 novembre, sur Balmaseda, où le maréchal Lefebvre avait laissé la division Villatte, pour se replier lui-même sur Bilbao, afin d'y vivre plus à son aise.

Faute des maréchaux Lefebvre et Victor, et danger de la division Villatte.

Après la faute de s'être porté trop tôt en avant, le maréchal Lefebvre n'en pouvait pas commettre une plus grave que de rétrograder tout à coup sur Bilbao, laissant la division Villatte seule à Balmaseda. Il fallait des soldats aussi fermes que les nôtres, et un ennemi aussi peu redoutable que les insurgés espagnols, pour qu'il ne résultât pas quelque malheur de si fausses dispositions.

De son côté, le maréchal Victor n'avait pas fait mieux. Envoyé par Orduña à Amurrio, afin de flanquer le maréchal Lefebvre, il avait expédié vers Oquendo le général Labruyère avec une brigade, et l'avait retenu dans cette position, sans que l'idée lui vînt de s'y rendre lui-même pour le diriger. Le général Labruyère, au milieu de ces montagnes escarpées, où l'on avait peine à se reconnaître, où les brouillards de l'hiver ajoutaient à l'obscurité des lieux, privé de toute direction, ne sachant ce qu'il pouvait avoir d'ennemis en sa présence, n'avait pas voulu s'engager, et avait laissé passer devant lui les corps qui flanquaient Blake pendant le combat de Zornoza, n'osant rien faire pour arrêter leur retraite. Les jours suivants il était resté en position, voyant Balmaseda de loin, apercevant la division Villatte sans songer à la rejoindre, apercevant aussi la division Sébastiani qui de Bilbao exécutait des reconnaissances sur la route d'Orduña; de manière que nos troupes, au lieu de se réunir pour accabler Blake, seule opération qui fût raisonnable dès qu'on avait eu le tort de combattre avant les ordres du quartier général, étaient dispersées entre Bilbao, Balmaseda et Oquendo, exposées dans leur isolement à de graves échecs.

Le maréchal Victor n'avait pas borné là ses fautes. Pressé de rejoindre le quartier général afin de servir sous les yeux même de l'Empereur, et trouvant dans ses instructions qu'il pourrait reprendre la route de Vittoria dès que sa présence ne serait plus nécessaire en Biscaye, il avait rappelé le général Labruyère à lui, pour repasser les montagnes et redescendre dans la plaine de Vittoria, abandonnant la division Villatte, qui restait toute seule à Balmaseda. Ainsi commençait cette suite de fautes dues à l'égoïsme, à la rivalité de nos généraux, et qui, en perdant la cause de la France en Espagne, l'ont perdue dans l'Europe entière.

Tandis que le maréchal Victor exécutait ce mouvement rétrograde, le général Blake, renforcé, comme nous l'avons dit, par les troupes de sa gauche et par celles de La Romana, avait résolu de se porter en avant, et de disputer Balmaseda à la division Villatte, qu'il savait y être toute seule. Attaque du général Blake sur Balmaseda et belle défense de la division Villatte. Le séjour du maréchal Lefebvre à Bilbao, la retraite du maréchal Victor sur Vittoria, lui offraient toute facilité pour une tentative de cette nature. Le 5 novembre, en effet, il s'avança à la tête de trente et quelques mille hommes, couronna les hauteurs autour de Balmaseda, pour envelopper la ville avant de l'attaquer, et y faire prisonniers les Français qui la gardaient. Mais le général Villatte, à la tête d'une superbe division de quatre vieux régiments, avait vu d'autres ennemis et d'autres dangers que ceux qui le menaçaient en Biscaye. Il avait autant de sang-froid que d'intelligence. Voulant s'assurer des hauteurs de Gueñes, qui sont en arrière de Balmaseda, et qui commandent la communication avec Bilbao, il y échelonna trois de ses régiments, puis il laissa le 27e léger dans Balmaseda même, pour disputer la ville le plus long-temps possible. Ces dispositions prises, il laissa approcher les Espagnols, et les reçut avec un feu auquel ils n'étaient guère habitués. Ceux qui tentèrent d'aborder Balmaseda furent horriblement maltraités par le 27e, et couvrirent les environs de la ville de morts et de blessés. Cependant les hauteurs environnantes se couronnant d'ennemis, et le maréchal Lefebvre n'arrivant pas de Bilbao, le général Villatte crut devoir se retirer. Il ramena le 27e de Balmaseda sur les hauteurs de Gueñes, et se replia en masse avec ses quatre régiments bien entiers sur la route de Bilbao. Les Espagnols qui voulurent approcher de lui furent vigoureusement accueillis, et payèrent chèrement leur imprudente hardiesse. La division Villatte eut cependant deux cents hommes hors de combat, après en avoir abattu sept ou huit cents à l'ennemi. Si le maréchal Lefebvre avait été à sa portée, et si le maréchal Victor, au lieu de retirer la brigade Labruyère de la position qu'elle occupait, et d'où elle aurait pu fondre sur Balmaseda, avait agi avec tout son corps sur ce point, l'armée de Blake pouvait être enveloppée et prise dans cette même journée.

L'affaire de Balmaseda, qui n'avait d'autre importance que celle d'un danger inutilement couru, transmise de proche en proche au quartier général, avec l'ordinaire exagération des rapports ainsi communiqués, causa à Napoléon un redoublement d'humeur contre des généraux qui comprenaient et exécutaient si mal ses conceptions[23]. Ordres de Napoléon pour réparer le nouvel incident survenu en Biscaye. Il leur fit adresser par le major général Berthier une réprimande sévère, ordonna au maréchal Lefebvre de revenir sur Balmaseda, au maréchal Victor de rebrousser chemin vers la Biscaye, et de pousser Blake avec la plus grande vigueur, de l'accabler même si on en trouvait l'occasion. Malgré son projet de percer le centre de la ligne ennemie avant d'agir contre ses extrémités, il ne voulait pas se mettre en mouvement sans être assuré qu'une faute sur ses ailes ne viendrait pas compromettre la base de ses opérations.

Retour du maréchal Lefebvre sur Balmaseda.

En recevant ces remontrances de l'Empereur, et en apprenant le danger du général Villatte, le maréchal Lefebvre se hâta de marcher sur Balmaseda. Il employa la journée du 6 à rallier les détachements envoyés aux environs de Bilbao pour chasser les Anglais du littoral, et le 7 au matin il se dirigea sur Balmaseda par Sodupe et Gueñes, avec les divisions Villatte, Sébastiani et Leval, les deux premières françaises, la troisième allemande, présentant à elles trois une masse d'environ 18 mille hommes, presque sans artillerie ni cavalerie, car on ne pouvait en conduire dans ces vallées étroites, où l'on trouvait à peine des transports pour les munitions de l'infanterie.

Combat de Gueñes.

La route suivait le fond de la vallée. Le maréchal Lefebvre s'avança ayant la division Villatte à gauche de cette route, la division Leval sur la route elle-même, la division Sébastiani à droite, celle-ci un peu en avant des deux autres. La division Sébastiani força d'abord le village de Sodupe, puis, se portant au delà, rencontra sur les hauteurs de Gueñes Blake avec vingt et quelques mille hommes et trois pièces de canon. Les troupes de la division Sébastiani gravirent sur-le-champ ces hauteurs, malgré le feu très-peu inquiétant des Espagnols, qui tiraient de loin pour s'enfuir plus vite. Arrivées au sommet, elles ne purent faire de prisonniers; car les Espagnols, bien autrement agiles que nos soldats, quoique ceux-ci le fussent extrêmement, couraient à toutes jambes sur le revers de leurs montagnes. Pendant qu'on enlevait ainsi ces positions de droite, on renversait tous les obstacles sur la route elle-même, et dix mille Espagnols, débordés par ce mouvement rapide, restaient en arrière sur les hauteurs de gauche, séparés de leur corps de bataille. Le maréchal fit passer la rivière qui forme le fond de la vallée à l'un des régiments de la division Sébastiani, au 28e de ligne, lequel se trouvait ainsi sur les derrières de ce corps espagnol, en même temps que le général Villatte allait l'aborder de front. Mais nos troupes, trouvant les insurgés toujours prompts à tirer hors de portée, ne purent les joindre nulle part, et reçurent aussi peu de mal qu'elles en firent. Toutefois on tua ou blessa quelques centaines d'hommes à l'ennemi. On en dispersa et dégoûta du métier des armes un bien plus grand nombre.

Revenu avec 36 mille hommes environ sur Balmaseda, Blake n'en amenait pas autant en se retirant de nouveau vers les gorges. Mais s'il eût rencontré le corps du maréchal Victor sur ses derrières, toute l'agilité de ses soldats ne les aurait pas empêchés d'être enveloppés et pris en majeure partie. Le lendemain 8, le maréchal Victor, de son côté, s'était remis en route vers le but qu'il n'aurait pas du perdre de vue, tandis que le maréchal Lefebvre entrait dans Balmaseda. Ils étaient réunis désormais, et en mesure de tout entreprendre contre l'armée espagnole. La seule difficulté était celle de vivre. Au milieu de ces montagnes escarpées, où la culture est rare, nos soldats manquaient de tout. Les Espagnols n'étaient pas moins dénués. Dans cette disette réciproque, on pillait et ravageait le pays. Balmaseda et tous les villages avaient été dévastés, et quelquefois brûlés, pour fournir au chauffage des deux armées.

Napoléon exécute enfin son projet de couper par le milieu la ligne espagnole.
Mouvement sur Burgos.

Napoléon sut, le 9 au matin, que ses troupes, ayant repris l'offensive, n'avaient qu'à se montrer pour que l'ennemi disparût devant elles. Quoiqu'il ne crût guère à la valeur des insurgés, cependant, avant d'avoir acquis l'expérience complète de ce qu'ils étaient, il avait mis dans ses mouvements plus de précaution qu'il n'aurait fallu. Mais il n'hésita plus, dès le 9 au matin, à ordonner au maréchal Soult de percer sur Burgos, avec le 2e corps et une forte portion de cavalerie. Le brillant Lasalle commandait la cavalerie légère de ce corps, composée de chasseurs et de Polonais de la garde. On lui adjoignit la division Milhaud, consistant en quatre beaux régiments de dragons. C'était un total d'environ 17 ou 18 mille fantassins et de 4 mille chevaux. Napoléon venait d'apprendre que les troupes d'Estrémadure avaient paru à Burgos. Il prescrivit au maréchal Soult, sans attendre le maréchal Ney ni la garde, de pousser en avant, de passer sur le corps de ces troupes espagnoles, qui avaient la hardiesse de se placer si près de lui, et de leur enlever Burgos.

Combat de Burgos.

Le maréchal Soult, rendu depuis la veille à Briviesca, avait sur-le-champ donné aux trois divisions Mouton, Merle et Bonnet, l'ordre de se réunir sur la route de Briviesca à Burgos, aux environs de Monasterio. (Voir la carte no 43.) Il avait en avant la cavalerie de Lasalle, et celle de Milhaud avec son corps de bataille. C'est au delà de Burgos que commencent les plaines de Castille, et c'était pour les parcourir au galop et y poursuivre les fuyards espagnols, que Napoléon avait amené avec lui une si grande masse de dragons.

Le 10, dès quatre heures du matin, le maréchal Soult ébranla son corps d'armée, sur la route de Monasterio à Burgos, la cavalerie légère de Lasalle et la vaillante division Mouton en tête, la division Bonnet et les dragons de Milhaud en seconde ligne, la division Merle, la plus éloignée des trois, en arrière-garde. Environ douze mille hommes du corps d'Estrémadure étaient sortis de Burgos pour se rendre sur le haut Èbre, et aller à Frias couvrir la droite du général Blake, conformément aux décisions du conseil de guerre tenu à Tudela. Six mille hommes de ce corps restaient massés à Aranda, route de Madrid. Les douze mille, portés en avant de Burgos, se composaient, comme toutes les troupes espagnoles, d'un mélange d'anciennes troupes de ligne et de volontaires, paysans, étudiants et autres. Ce corps comptait à la vérité dans ses rangs quelques bataillons des gardes wallones et espagnoles, qui étaient les meilleurs soldats de l'Espagne. Il possédait une nombreuse artillerie, bien attelée et bien servie; mais il avait pour chef, en l'absence du capitaine général Galuzzo, le marquis de Belveder, jeune homme sans expérience, qui s'était avancé contre les Français avec la plus folle présomption.

Position de Gamonal en avant de Burgos.

Dès la pointe du jour, la cavalerie de Lasalle, marchant en tête du corps d'armée, rencontra les avant-postes espagnols, échangea quelques coups de carabine avec eux, et se replia sur la division Mouton, car on était en présence d'obstacles que l'infanterie seule pouvait emporter. En suivant la grande route, et en s'approchant de Burgos même, on avait à gauche un petit cours d'eau qu'on appelle l'Arlanzon, lequel longe le pied des hauteurs boisées de la Chartreuse; au centre, le bois de Gamonal, que traverse la grande route, et à droite les hauteurs du parc de Villimar, dont le sommet est occupé par le château fortifié de Burgos, et le pied par la ville de Burgos elle-même. Les Espagnols avaient des tirailleurs sur les hauteurs, à droite et à gauche de cette position, leur principale infanterie dans le bois de Gamonal, barrant la grande route, leur cavalerie à la lisière de ce bois, leur artillerie en avant. À peine le maréchal Soult fut-il arrivé sur le terrain, qu'il mit en mouvement la division Mouton pour aborder l'obstacle le plus sérieux, celui du bois de Gamonal. Il rangea en arrière sa cavalerie, pour courir sur les Espagnols lorsque l'obstacle du bois serait vaincu, et un peu plus en arrière encore la division Bonnet, pour enlever les sommets couronnés par l'ennemi s'ils offraient quelque résistance. L'illustre général Mouton s'avança sans hésiter avec ses quatre vieux régiments, les 2e et 4e légers, les 15e et 36e de ligne, sur le bois de Gamonal. L'artillerie espagnole, tirant vivement, nous emporta d'abord quelques files; mais nos soldats, marchant baïonnette baissée sur le bois de Gamonal, y pénétrèrent malgré les gardes wallones et espagnoles, et le franchirent en un clin d'œil. À cet aspect, l'armée ennemie tout entière se débanda avec une promptitude inouïe. Effroyable déroute des Espagnols. Drapeaux, canons, tout fut abandonné. Les troupes qui suivaient ramassèrent dans le bois plus de vingt bouches à feu. Toutes les hauteurs environnantes furent également désertées par les Espagnols, et la masse de leurs fuyards se jeta, soit dans Burgos, soit au delà de l'Arlanzon, pour se sauver plus vite. Lasalle et Milhaud passèrent alors l'Arlanzon, partie à gué, partie sur les ponts qui traversent ce cours d'eau, et s'élancèrent au galop sur les soldats dispersés de l'Estrémadure, dont ils sabrèrent un nombre considérable. Occupation de Burgos. L'infanterie du général Mouton entra dans Burgos à la suite des Espagnols, reçut quelques coups de fusil de plusieurs couvents qu'elle saccagea, et se rendit maîtresse tant de la ville que du château lui-même, que l'ennemi n'avait pas eu la précaution de mettre en état de défense. Cette journée, terminée par un seul choc de la division Mouton, nous valut, avec Burgos et son château, 12 drapeaux, 30 bouches à feu, environ 900 prisonniers, indépendamment de tous les fuyards qu'on tua ou prit encore dans la plaine. On évalua à plus de deux mille les tués ou les blessés atteints au delà de Burgos par le sabre de nos cavaliers. Il n'y avait, avec des soldats si agiles dans la fuite, d'autre moyen de diminuer la force de l'ennemi que de sabrer les fuyards, car il était impossible de s'y prendre différemment pour faire des prisonniers. Le maréchal Soult s'attacha à rétablir l'ordre dans Burgos, où il régna au premier moment une assez grande confusion, par le concours des vaincus et des vainqueurs, et la disparition de presque tous les habitants. En quelques jours, cependant, cette ville importante eut repris son aspect accoutumé.

Établissement de Napoléon à Burgos.

Napoléon, impatient de faire du point central de Burgos le pivot de ses opérations, s'était hâté, dans la journée du 10, de porter son quartier général en avant. Il avait couché le 10 à Cubo, et dès le 11 il était entré à Burgos. Pendant son séjour à Vittoria il avait eu soin d'ordonner à Miranda, à Pancorbo, à Briviesca, la construction de postes qui étaient des demi-forteresses, capables d'abriter un hôpital, un magasin, un dépôt de munitions, et dans lesquels les colonnes en marche pouvaient se reposer, se ravitailler, déposer les hommes fatigués ou malades hors de l'atteinte des guérillas. Il avait déjà reconnu, en effet, avec sa promptitude habituelle, que, dans un pays où la force régulière était si peu redoutable, et où la force irrégulière causait tant de dommages, on aurait beaucoup à craindre pour ses communications. Il ne faisait donc pas un seul pas en avant sans travailler à les assurer.

Manière de traiter les autorités et les habitants de Burgos.

Napoléon entra la nuit et incognito dans Burgos, persistant à laisser à Joseph les honneurs royaux, et à se réserver à lui seul l'odieux des rigueurs de la guerre[24]. Il donna l'ordre de brûler l'étendard qui avait servi à la proclamation de la royauté de Ferdinand, reçut le clergé et les autorités avec une extrême sévérité, prit l'attitude d'un conquérant irrité, ayant acquis tous les droits de la guerre, voulant les exercer tous, et n'étant disposé à s'en départir qu'autant que la clémence du roi Joseph pourrait l'obtenir de lui.

Enlèvement de toutes les laines appartenant aux grands propriétaires espagnols.

Il existait, soit dans les magasins de Burgos, soit dans les environs, des quantités considérables de laines, appartenant aux plus grands propriétaires d'Espagne, tels que les ducs de Medina-Celi, d'Ossuna, de l'Infantado, de Castel-Franco, et autres que Napoléon se proposait de frapper durement, en faisant grâce à tout ce qui était au-dessous d'eux. Il ordonna la confiscation de ces laines, qui montaient à une valeur de 12 à 15 millions de francs. Son projet était de les vendre au commerce de Bayonne à très-bas prix, afin de favoriser la draperie française, et d'en consacrer ensuite le produit soit à indemniser les Français qui avaient souffert à Valence, à Cadix et dans les diverses villes d'Espagne, soit à augmenter le trésor de l'armée. Don fait au Corps Législatif des drapeaux pris sur les gardes espagnoles et wallones. Jusqu'ici il avait donné au Sénat tous les drapeaux conquis sur les armées ennemies. Il voulut que le Corps Législatif eût aussi sa part de ces trophées, et il lui fit don des douze drapeaux pris sur les gardes espagnoles et wallones, désirant le plus possible atténuer en France la défaveur qui s'attachait à la guerre d'Espagne.

Dispositions militaires de Napoléon après son arrivée à Burgos.

Mais ce n'étaient là que des soins tout à fait accessoires pour lui. La conduite des opérations militaires était, dans ce moment, le principal et le plus urgent. Arrivé le 11 à Burgos, il lança dans la journée même le général Lasalle avec sa cavalerie légère sur Lerma et Aranda, pour pousser les Espagnols jusqu'au pied du Guadarrama, nettoyer le pays, et préparer les voies aux colonnes qui devaient prendre à revers les armées espagnoles. Tandis qu'il lançait Lasalle directement devant lui, il portait à droite les deux mille dragons de Milhaud sur Valladolid, avec mission de sabrer les fuyards, de faire des prisonniers, de déposer partout les autorités instituées au nom de Ferdinand VII, et d'en créer de nouvelles au nom de Joseph. Mouvement ordonné au maréchal Soult sur Reinosa afin de prendre Blake à revers. Mais ce qui pressait le plus pour lui, et ce qu'il exécuta immédiatement, en donnant un seul jour de repos aux troupes, ce fut d'acheminer de Burgos vers Reinosa le maréchal Soult, avec le 2e corps, afin de le jeter sur les derrières de Blake. Une fois, en effet, arrivé à Burgos, le moment était venu de se rabattre à droite et à gauche sur les derrières des armées espagnoles, et de commencer par celle que commandait le général Blake, puisque c'était celle qui se trouvait actuellement aux prises avec les généraux français, et contre laquelle il importait de marcher, si on voulait arriver à temps pour la prendre à revers. Napoléon ordonna au maréchal Soult de partir à marches forcées de Burgos dès le 12 au matin, et, par un mouvement en arrière à droite, de se porter par Huermèce et Canduela sur Reinosa. Vues de Napoléon sur le corps du maréchal Soult. Il était probable, si l'armée espagnole de Blake avait été battue, que le maréchal Soult la rencontrerait dans sa retraite, et que, si au lieu de se retirer en ordre, comme font les armées régulières, elle se dispersait en nuées de fuyards, il en recueillerait au moins quelques débris. De Reinosa, le maréchal Soult devait marcher sur Santander pour soumettre les Asturies. Napoléon trouvait à cette marche du maréchal Soult un double avantage: c'était d'abord de tourner Blake; secondement, de rendre le 2e corps, qui était l'ancien corps de Bessières, à sa destination première, celle d'occuper la Vieille-Castille et le royaume de Léon, pays qu'il connaissait, et où il avait l'habitude d'agir. Son projet était, en même temps, dès que les maréchaux Lefebvre et Victor auraient achevé leur opération en Biscaye, de les rappeler à lui par Vittoria, où les attendait leur artillerie, qu'ils n'avaient pu emmener avec eux dans les montagnes, et de les attirer, par Miranda et Burgos, sur le chemin de Madrid. Le maréchal Soult partant avec toute son artillerie, qu'il n'avait pas été obligé de laisser en arrière, parce qu'il avait suivi la grande route, avait tout ce qu'il lui fallait pour les opérations dont il était chargé.

Ordres pour accélérer l'entrée en Espagne du corps du général Junot, afin de l'adjoindre au corps du maréchal Soult contre les Anglais.

Napoléon avisa le jour même aux moyens de lui préparer un renfort considérable. On parlait vaguement des Anglais à Burgos, et plusieurs prisonniers, questionnés avec soin, avaient annoncé leur présence sur les routes qui aboutissent du Portugal en Espagne. D'autres avaient parlé d'Anglais débarqués à la Corogne, et s'acheminant par Astorga sur Léon. Les lettres interceptées à la poste contenaient les mêmes indications. Il était évident que, sans savoir l'époque à laquelle on les rencontrerait, on devait avoir affaire à eux dans les plaines de la Vieille-Castille, soit qu'établis en Portugal ils vinssent de Lisbonne sur Salamanque, soit que débarqués en Galice ils vinssent de la Corogne à Astorga. Napoléon ne les croyait pas aussi rapprochés de lui qu'ils l'étaient en effet, car le plan britannique s'exécutait ponctuellement. Les détachements de John Moore avaient déjà dépassé Badajoz et Almeida; et celui de sir David Baird, reçu enfin à la Corogne, s'avançait sur Lugo et Astorga. Mais, que les Anglais fussent plus ou moins rapprochés, la question importait peu à Napoléon, qui au contraire souhaitait de les voir s'engager dans l'intérieur de la Péninsule de telle façon qu'ils n'en pussent pas revenir; et dans cette prévision il disposait tout pour les accabler. Il avait résolu de joindre au maréchal Soult le corps du général Junot, ramené de Portugal par mer, conformément à la convention de Cintra, que les Anglais, tout en la blâmant, avaient loyalement exécutée. Déjà il avait donné des ordres pour que ce corps fût réarmé, réorganisé, et bientôt mis en état de reparaître en ligne. Il expédia de Burgos de nouveaux ordres pour que la première division, celle du général Laborde, passât la Bidassoa le 1er décembre; que la seconde, celle du général Loison, marchât immédiatement après, et que la troisième, qu'il venait de confier au général Heudelet, mais qui était moins préparée que les deux autres, suivît celles-ci dans le plus court délai possible. Napoléon ne doutait pas que ce corps déjà bien aguerri ne se montrât jaloux de venger la journée de Vimeiro, et n'en fût très-capable. Les corps du maréchal Soult et du général Junot résistant de front aux Anglais, il pourrait de Madrid, où il se proposait d'être prochainement, opérer sur leurs flancs et leurs derrières quelque manœuvre, d'autant plus décisive qu'on les laisserait avancer plus loin. Il ne s'occupa donc en ce moment des Anglais, dont l'apparition était facile à prévoir, que pour préparer les moyens de les arrêter plus tard dans leur marche.

Après le départ du maréchal Soult, Napoléon, resté seul à Burgos avec la garde impériale et une partie des dragons, hâta le mouvement des deux divisions du maréchal Ney sur cette ville, les destinant à opérer plus tard sur les derrières de Castaños, quand il en aurait fini avec le général Blake, et qu'il pourrait dégarnir son centre au profit de sa gauche. Il avait tracé l'itinéraire du maréchal Ney sur Burgos par Haro, Pancorbo et Briviesca.

Marche des maréchaux Lefebvre et Victor contre le général Blake.

Tandis qu'il envoyait le maréchal Soult dans les Asturies, sur les derrières du général Blake, les maréchaux Lefebvre et Victor continuaient de poursuivre le général espagnol à travers la Biscaye. Le maréchal Lefebvre, n'ayant trouvé aucune résistance sérieuse à Gueñes le 7, était entré le 8 à Balmaseda, et avait porté en avant, jusqu'aux environs de Barcena, la division Villatte, qu'on lui avait prêtée pour quelques jours. Réunion momentanée de ces deux maréchaux à Balmaseda et poursuite séparée du général Blake. De son côté le maréchal Victor, réprimandé pour avoir songé à s'éloigner de la Biscaye, était revenu par Orduña, Amurrio, Oquendo, sur Balmaseda, et, le 9, avait fait sa jonction auprès de cette ville avec le corps du maréchal Lefebvre, dédommagé de la nouvelle direction qui lui était donnée par l'avantage de recouvrer la division Villatte, et de pouvoir rencontrer et battre un ennemi déjà démoralisé. Il vit le maréchal Lefebvre dans la journée du 9, et promit de concerter sa marche avec la sienne. Arrivée du maréchal Victor à Espinosa à la suite du général Blake. Mais, le lendemain 10, craignant un voisinage qui pourrait le priver encore de la division Villatte, il se hâta de pousser à outrance l'armée de Blake jusqu'à l'entrée des gorges de la Biscaye, les franchit à sa suite sans perdre un instant, et vers la seconde moitié du même jour arriva de l'autre côté des monts, près d'Espinosa, petite ville qui était importante par sa position, car elle se trouvait placée au point d'intersection de toutes les routes de la plaine et de la montagne. (Voir la carte no 43.) Situation d'Espinosa au centre de toutes les routes. D'Espinosa, en effet, on peut se rendre par une grande route soit à Bilbao, soit à Santander, si on veut aller de la plaine à la montagne; et si au contraire on veut descendre de la montagne dans la plaine, on peut encore se rendre par une grande route soit à Villarcayo, soit à Reinosa, et gagner ainsi ou Burgos ou Léon. C'était donc la peine pour le général Blake de s'arrêter à ce point et de le disputer opiniâtrement. C'était aussi la peine pour le maréchal Victor d'y combattre afin de s'en emparer; il comptait d'ailleurs être rejoint, s'il en avait besoin, par le maréchal Lefebvre, quoiqu'il l'eût quitté sans le voir et sans le prévenir. Le maréchal Lefebvre l'avait suivi dans la même vallée, tenant une route parallèle, mais un peu à gauche et en arrière, et fort blessé de ce que son collègue, parti à l'improviste, ne lui avait rien dit ni fait dire au sujet des opérations à exécuter en commun. Heureusement, un seul des deux corps français, lancés à la suite de Blake, suffisait pour l'accabler, tant étaient mal organisées les troupes espagnoles, et irrésistibles celles que Napoléon venait de faire entrer en Espagne.

Bataille d'Espinosa.
Première journée.

Le maréchal Victor, arrivé devant Espinosa de los Monteros vers le milieu de la journée du 10, y trouva le général Blake en position sur des hauteurs d'un accès difficile, et que celui-ci avait occupées avec assez d'intelligence. Il lui restait environ 30 ou 32 mille hommes sur les 36 qu'il possédait en remarchant vers Balmaseda, et 6 pièces de canon qu'il avait, non pas amenées avec lui, mais reçues de Reinosa, car il était impossible d'en traîner dans ces montagnes. Aucune des deux armées n'en avait avec elle, et on se battait sans artillerie et sans cavalerie, avec le fusil et la baïonnette. À peine pouvait-on se faire suivre par quelques mulets afin de porter du biscuit et des cartouches.

Le général Blake avait à sa gauche des hauteurs escarpées et boisées, vers son centre un terrain accessible, mais couvert de clôtures, à sa droite un plateau assez élevé, moins toutefois que les hauteurs de gauche, boisé aussi, et adossé de plus à une petite rivière, celle de la Trueba, qui, sortant des montagnes, longeait tout le derrière de cette position. La ville d'Espinosa, traversée par la Trueba, était justement placée derrière le centre de l'armée espagnole. Le but à atteindre était donc d'enlever l'une ou l'autre des ailes de l'armée espagnole, de la pousser sur son centre, et de jeter le tout dans Espinosa, où un seul pont ne suffirait pas au passage d'une armée en fuite. L'heure avancée, et les courtes journées de novembre, ne donnaient guère l'espérance d'exécuter tout cela en un jour.

Le général Villatte, qui tenait la tête du corps du maréchal Victor, débouchant par la route d'Edesa, aperçut l'armée espagnole dans cette redoutable position avec ses six bouches à feu au centre de sa ligne. Cette armée ne paraissait pas dépourvue d'assurance, quoique toujours vaincue depuis le commencement des opérations. Le général porta en avant la brigade Pacthod, composée du 27e léger et du 63e de ligne, ordonna au 27e léger de replier les Espagnols sur les hauteurs auxquelles s'appuyait leur gauche, et prescrivit au 63e de ligne de se présenter en bataille devant leur centre pour le contenir. Avec la seconde brigade, composée du 94e et du 95e de ligne, et commandée par le général Puthod, il aborda le plateau boisé auquel s'appuyait la droite des Espagnols. Il fallait s'avancer sans artillerie contre une armée qui en avait, quoiqu'elle en eût peu, et enlever toutes les positions à coups de fusil ou de baïonnette. Heureusement le terrain boisé qu'on avait devant soi ne se prêtait guère à l'emploi d'autres armes que celles dont disposaient en ce moment les Français. Les soldats de La Romana, placés sur ce plateau, se défendirent assez vaillamment, et à la faveur des bois firent un feu meurtrier sur nos troupes. Mais le général Puthod avec le 94e et le 95e franchit tous les obstacles, envahit le plateau, pénétra dans les bois, et en délogea les Espagnols, dont il culbuta quelques-uns dans la Trueba. Les autres se replièrent sans trop de désordre sur leur centre, adossé à la ville d'Espinosa. Tandis que notre brigade de gauche soutenait ce combat très-vif contre la droite de l'ennemi, le 27e léger de la brigade de droite avait tiraillé toute la journée avec les Espagnols au pied des hauteurs de leur gauche, et le 63e avait eu besoin de charger plusieurs fois à la baïonnette pour contenir leur centre. Ce combat ne laissait pas d'être difficile, et aurait pu être chanceux avec d'autres troupes, car six à sept mille hommes en combattaient plus de trente. Mais le maréchal Victor, arrivé avec les divisions Ruffin et Lapisse, s'était hâté d'appuyer à droite et à gauche la division Villatte, et allait même engager la bataille à fond, lorsque le brouillard s'élevant vers cinq heures empêcha les deux armées de se voir, et les obligea de remettre au lendemain la fin de cette lutte. Les Espagnols, selon leur coutume, croyant être victorieux, parce qu'ils n'avaient pas été entièrement vaincus, allumèrent des feux en poussant des cris de joie, et en proclamant leur victoire. Leur satisfaction devait être de courte durée.

Seconde journée.

Le maréchal Victor, le lendemain 11, dès la pointe du jour, recommença la bataille pour la rendre cette fois décisive. Il comptait dans ses trois divisions dix-sept ou dix-huit mille hommes d'infanterie présents sous les armes, et c'était plus qu'il ne lui en fallait contre les trente et quelques mille Espagnols qui lui étaient opposés. Dès la veille il avait fait remplacer les 94e et 95e de ligne, qui s'étaient battus toute la journée, par le 9e léger et le 24e de ligne de la division Ruffin, appuyés en arrière par le 96e de ligne. Ces trois régiments du général Ruffin, remplaçant la brigade Puthod, devaient achever la victoire à notre gauche sur le plateau adossé à la Trueba. Le général en chef avait chargé la première brigade de la division Lapisse, commandée par le général Maison, l'un des officiers les plus intrépides et les plus intelligents de l'armée française, d'appuyer à notre droite le 27e, de déloger les Espagnols des hauteurs escarpées et boisées sur lesquelles était établie leur gauche, et de les en précipiter sur Espinosa, où il ne leur resterait pour fuir que le pont de cette ville. Au centre il avait fait soutenir le 63e du général Villatte par le 8e de ligne, de la division Lapisse. Il avait gardé en réserve le 54e dernier régiment de la division Lapisse, pour le porter où besoin serait.

Dès la pointe du jour, le général Maison se mettant en marche à la tête du 16e léger, qui rivalisait d'ardeur avec le 27e léger du général Villatte, gravit sous un feu plongeant les hauteurs qui étaient à notre droite, les emporta à la baïonnette, tua aux Espagnols plusieurs généraux, un grand nombre d'officiers et de soldats, et, secondé par le 45e les eut bientôt culbutés sur leur centre, c'est-à-dire sur Espinosa. Au même instant le 63e que commandait le brave Mouton-Duvernet, et le 8e poussaient les Espagnols de clôture en clôture, sur le terrain abaissé et étendu qui formait le centre de la position. Nos soldats, enlevant un mur de jardin après l'autre, acculèrent enfin les Espagnols sur Espinosa, au moment où le général Maison les avait déjà refoulés sur le même point, et leur prirent leurs six pièces de canon. La brigade de gauche, conduite par le général Labruyère, avait également achevé sa tâche, et resserré dans un enfoncement de la Trueba la droite des Espagnols, où celle-ci s'était accumulée en une masse profonde, qui présentait la forme d'un carré plein, apparemment pour mieux résister au choc de nos troupes. Affreuse déroute des Espagnols, et entière dispersion de l'armée du général Blake. L'ennemi, repoussé de tous les points à la fois sur Espinosa, finit par tomber dans une affreuse confusion, fuyant en désordre dans tous les sens, ici s'accumulant au pont d'Espinosa pour le passer, là se précipitant dans le lit de la Trueba pour la franchir à gué. Alors, au lieu d'une retraite, on vit une déroute inouïe de trente mille hommes épouvantés, se pressant les uns sur les autres, et se sauvant dans le délire de la terreur. En plaine et avec de la cavalerie, on les aurait presque tous pris ou sabrés. Nos soldats tirant de haut en bas sur ces masses épaisses, ou les poussant à coups de baïonnette, tuèrent ou blessèrent près de trois mille hommes, mais ne firent que quelques centaines de prisonniers, car ils ne pouvaient joindre à la course des montagnards aussi agiles. Nous avions perdu en morts ou blessés environ 1,100 hommes, proportion de perte plus qu'ordinaire en combattant contre les Espagnols, et qui était due à la nature du terrain qu'il avait fallu enlever. Mais nous avions fait mieux que de recueillir des prisonniers, nous avions désorganisé complétement l'armée de Blake. Celui-ci, désespéré, privé de presque tous ses généraux qui étaient blessés ou tués, n'avait plus d'armée autour de lui. Les Asturiens s'étaient répandus confusément sur la route de Santander. Les débris des troupes de ligne de La Romana et de Galice s'échappaient par Reinosa sur la route de Léon. Un autre détachement s'enfuyait par la route de Villarcayo, dans l'espoir de n'y pas trouver les Français. Le plus grand nombre ayant jeté ses fusils courait à travers les campagnes, avec la résolution de ne plus reprendre les armes. Il est vrai que le courage pouvait leur revenir aussi vite qu'il les abandonnait; mais on en avait fini, sinon pour toujours, au moins pour long-temps, avec cette armée de Léon et de Galice, qui avait dû par Mondragon couper la ligne d'opération de l'armée française.

Pendant ce temps le maréchal Lefebvre, ayant débouché de son côté des montagnes dans la plaine, par une autre route que celle qu'avait suivie le maréchal Victor, s'était rapproché au bruit de la fusillade pour aider son collègue, dont il ne recevait aucune communication. Il était survenu assez tôt pour couvrir sa gauche; mais, ne voyant pas que son appui fût nécessaire, il avait pris la route de Villarcayo, qui lui était indiquée comme la plus facile pour arriver à Reinosa. En chemin il joignit le détachement de Blake qui se retirait dans cette direction, le fit charger par la division Sébastiani, le dispersa, lui prit beaucoup d'armes et de blessés, outre un certain nombre de prisonniers valides, et parvint le 11 au soir à Villarcayo.

Le corps du maréchal Victor, exténué de fatigue, s'arrête à Espinosa.

Le maréchal Victor passa à Espinosa la fin de la journée du 11 et la journée du 12, ne pouvant mener plus loin des soldats qui étaient épuisés par les marches qu'ils avaient faites dans ces montagnes, qui avaient leur chaussure usée, presque toutes leurs cartouches brûlées, et le biscuit porté sur leur dos entièrement consommé. D'ailleurs il y avait peu d'espoir d'atteindre les cinq ou six mille hommes qui restaient au général Blake, à cause de leur célérité à marcher, de leur facilité à se disperser et à se dissoudre. C'était à la cavalerie française déjà lancée dans les plaines de Castille, ou au maréchal Soult s'il n'arrivait pas trop tard, à les arrêter et à les prendre. Le général Blake, parvenu le 12 à Reinosa, où étaient établis tous les dépôts de l'armée espagnole, n'y séjourna point, et par un chemin de montagnes s'efforça de gagner la route de Léon.

Marche du maréchal Soult de Burgos sur Reinosa, et son entrée dans les Asturies.

Le maréchal Soult, parti le 13 au matin de Burgos, et ayant marché par Huerméce sur Canduela, donna sur une bande fugitive de 2,000 hommes, qui escortait 42 voitures de fusils avec beaucoup de bagages et de blessés, laissa le soin de la détruire aux dragons, lesquels firent un assez grand carnage de cette bande, et alla coucher à mi-chemin de Reinosa. Il y entra le lendemain 14, y trouva tout le matériel de l'armée de Blake, 35 bouches à feu, 15 mille fusils, et une grande quantité de vivres de guerre provenant des Anglais. Il y fut rejoint par le maréchal Lefebvre, et, après s'être concerté avec lui, il prit la route de Santander, pour aller, conformément à ses ordres, opérer la soumission des Asturies.

Usage que Napoléon fait de sa cavalerie pour courir à travers la Vieille-Castille.

Napoléon, tant les communications étaient difficiles, n'apprit que dans la nuit du 13 au 14 la bataille décisive livrée le 11, à Espinosa, contre l'armée de Blake. Il n'avait pas douté un instant du succès, mais il commençait à s'apercevoir, en le regrettant fort, que la victoire, toujours certaine avec les Espagnols, n'amenait point, par la difficulté de les joindre, les résultats qu'on obtenait avec d'autres. Il était persuadé que le maréchal Soult, arrivât-il à temps à Reinosa, ne ferait qu'achever une dispersion presque déjà complète, et recueillerait peu de prisonniers. Il n'y avait rien à attendre que du sabre des cavaliers. Napoléon envoya donc au général Milhaud l'ordre de se porter avec ses dragons sur toutes les routes de la Vieille-Castille, et il prescrivit aux autres divisions de la même arme de se joindre au général Milhaud, afin de poursuivre en tout sens et de sabrer impitoyablement tout ce qu'on pourrait atteindre des fugitifs de l'armée du général Blake.

Après avoir détruit la gauche des Espagnols, Napoléon se retourne contre leur droite.

La gauche des Espagnols étant ainsi détruite, il fallait songer à se rabattre sur leur droite, et à traiter celle-ci comme on avait traité celle-là. Napoléon ordonna au maréchal Victor, après avoir laissé reposer le 1er corps à Espinosa, et s'être assuré que le maréchal Soult n'aurait désormais affaire qu'à des fuyards, de prendre la route de Burgos, pour venir, suivant sa destination première, se réunir au quartier général. Il enjoignit au maréchal Lefebvre, qui se plaignait sans cesse de n'être pas assez en nombre, vu qu'il avait laissé deux mille Allemands à Bilbao, qu'il n'avait plus la division Villatte, et qu'il n'avait pas encore les Polonais, de s'établir à Carrion avec les neuf ou dix mille hommes d'infanterie qui lui restaient, de s'y reposer, d'y rassembler son artillerie, ses traînards, et d'y former ainsi une liaison, entre le maréchal Soult qui allait parcourir les Asturies, la cavalerie de Milhaud qui devait battre la plaine de Castille, et le quartier général qui se disposait à opérer de Burgos sur Aranda. À Carrion en effet le maréchal Lefebvre était à distance à peu près égale de Reinosa, de Léon, de Valladolid, de Burgos. Quand le corps de Junot viendrait le remplacer sur les flancs du maréchal Soult, Napoléon se proposait de le rapprocher de la route de Madrid, ou par Aranda, ou par Ségovie.

Mouvement prescrit au maréchal Ney afin de le porter sur les derrières de Castaños.

Devant être bientôt rejoint par le maréchal Victor, et conservant le maréchal Lefebvre pour le lier avec le corps du maréchal Soult, Napoléon n'hésita plus à se priver du maréchal Ney, pour manœuvrer sur les derrières de Castaños. Restant à Burgos avec la garde seule et une partie de la cavalerie, il achemina dès le 14 au matin le vaillant maréchal, à la tête des divisions Marchand et Dessoles, sur Lerma et Aranda. Son projet était, une fois le maréchal Ney rendu à Aranda, de le porter à gauche sur Osma, Soria et Agreda, ce qui le placerait sur les derrières de Castaños, dont le quartier général était à Cintrunigo, entre Calahorra et Tudela. Le maréchal Ney devait marcher sur Aranda sans perte de temps, mais sans précipitation, de manière à arriver en bon état derrière un immense rideau de cavalerie qui allait s'étendre dans la plaine jusqu'au pied du Guadarrama, grande chaîne de montagnes en avant de Madrid, et séparant la Vieille-Castille de la Nouvelle.

Ordres au maréchal Moncey sur la conduite à tenir en présence de Castaños et Palafox.

Napoléon recommanda au maréchal Moncey de n'exécuter aucun mouvement sur l'Èbre, afin de ne pas donner d'ombrage à Castaños, mais de se tenir prêt à agir au premier signal. Il avait réuni à Logroño, comme on l'a vu, celle des divisions de Ney qui était demeurée en arrière, l'ancienne division Bisson, devenue division Lagrange. Après lui avoir restitué son artillerie, il lui avait laissé la cavalerie légère de Colbert, anciennement attachée au 6e corps, et adjoint la brigade de dragons du général Dijeon. Cette division, complètement rassemblée à Logroño, où elle s'était reposée, n'avait qu'un pas à faire pour se rallier au maréchal Moncey, et, jointe à lui, devait présenter une masse de 30 mille combattants, dont une partie de vieilles troupes, masse bien suffisante pour pousser Castaños et Palafox sur Ney qui venait de Soria, les placer entre deux feux, et les accabler. Si cette belle manœuvre réussissait, le corps de Castaños devait être pris tout entier, autant du moins qu'on pouvait prendre un corps en Espagne, où les soldats parvenaient toujours à se sauver en abandonnant leurs cadres. Le maréchal Lannes mis à la tête des forces qui doivent agir contre Castaños et Palafox. Mais pour qu'elle réussît, il fallait que le maréchal Moncey, se tenant prêt à agir, n'agît pas, et que le maréchal Ney accélérât sa marche de manière à se trouver sur les derrières de Castaños avant que celui-ci s'en fût aperçu. Napoléon, tout en estimant le maréchal Moncey, ne comptait cependant pas assez sur la résolution de son caractère pour lui confier un grand commandement. Il avait auprès de lui l'illustre Lannes, commençant à se remettre d'une chute de cheval fort dangereuse, et il lui destinait le commandement de toutes les troupes réunies sur l'Èbre. C'était donc entre Lannes et Ney, entre ces deux mains de fer, que l'armée espagnole de droite allait se trouver prise, et probablement écrasée. Pour donner ses derniers ordres, Napoléon attendit que le maréchal Ney, reparti de Burgos, eût gagné Lerma et Aranda, d'où il lui était prescrit de se détourner ensuite à droite, par la route de Soria.

Conduite de la junte d'Aranjuez envers les généraux vaincus, et destitution de Blake et Castaños au profit du marquis de La Romana.

Pendant que Napoléon déployait tant d'activité, car, à peine arrivé à Vittoria et rassuré sur l'incident de la division Villatte à Balmaseda, il avait porté le maréchal Soult à Burgos; à peine maître de Burgos, il avait reporté ce même maréchal sur Blake, et à peine Blake détruit, il jetait le maréchal Ney sur Castaños; pendant que Napoléon déployait, disons-nous, tant d'activité, tant de science manœuvrière contre des armées qu'il suffisait d'aborder de front pour les vaincre, la junte centrale d'Aranjuez et la cour de généraux, de royalistes démagogues qui l'entouraient, apprenaient la ruine de l'armée de Blake et du marquis de Belveder avec une surprise, une émotion extraordinaires, comme si aucun de ces événements n'eût été à prévoir. La junte n'imitait pas tout à fait ces lâches soldats, qui en fuyant assassinent leurs officiers, qu'ils accusent de trahison (ce dont on verra bientôt de nouveaux et atroces exemples), mais elle obéissait à un sentiment à peu près semblable, en destituant sans pitié les généraux vaincus. Au milieu de la confusion habituelle de ses conseils, elle déclarait Blake, le meilleur cependant des officiers de l'armée de Galice, indigne de commander, et elle le payait de son dévouement par une destitution. Elle faisait de même envers l'heureux vainqueur de Baylen, envers Castaños, le plus sensé, le plus intelligent des généraux espagnols, sous prétexte d'irrésolution, parce qu'il résistait à toutes les folles propositions des frères Palafox. Castaños n'était certainement pas le plus hardi des généraux espagnols, mais il avait le sentiment éclairé de la situation, et pensait qu'à s'avancer sur l'Èbre comme on s'y était décidé, on ne pouvait recueillir que des désastres. Ayant aperçu combien les Français, faibles sur le Guadalquivir, étaient puissants sur l'Èbre, il aurait voulu qu'on cherchât à leur opposer, soit dans les provinces méridionales, soit dans les provinces maritimes, l'obstacle du climat, des distances, des secours britanniques, et il blâmait fort la guerre qu'on l'obligeait à faire avec deux divisions d'Andalousie, du reste assez bonnes, et un ramassis de paysans et d'étudiants indisciplinés, contre les premières armées de l'Europe. À tous les plans de la junte centrale, fondés sur la plus aveugle présomption, il avait des objections parfaitement raisonnables, et cet incommode contradicteur, pour vouloir être plus sage que ses concitoyens, avait déjà perdu sa gloire et sa faveur. On disait dans l'armée, on répétait à Aranjuez, que les rangs espagnols contenaient une foule de traîtres, et que Castaños était de tous celui qui méritait le plus d'être surveillé. Les lettres interceptées par nos corps avancés étaient remplies de ces absurdes jugements. Aussi le commandement fut-il retiré aux généraux Castaños et Blake à la fois, et donné enfin à un seul, à l'heureux favori de la démagogie espagnole, au marquis de La Romana, le fugitif du Danemark. Un commandement unique aurait été une excellente institution, s'il y avait eu un militaire espagnol capable de ce rôle, et, en tout cas, dans l'état actuel des armées insurgées, Castaños aurait été le seul à essayer. Mais on le jalousait pour Baylen, on le détestait pour son bon sens, et le bizarre marquis de La Romana, formant tous les jours des plans extravagants, plaisant par une sorte d'exaltation romanesque, recommandé par une évasion qui avait quelque chose de merveilleux, agréable à tous les jaloux parce qu'il n'avait pas encore remporté de victoire, étranger à toutes les haines parce qu'il avait vécu éloigné, le marquis de La Romana était élu commandant de l'armée de Blake et de celle de Castaños. Il était pourtant dans l'impossibilité absolue de prendre ces deux commandements, puisqu'il avait été obligé, par la plus longue, la plus pénible des marches à travers des montagnes couvertes de neiges, de se retirer à Léon, avec sept ou huit mille fuyards, qu'il espérait du reste rallier, et reporter au nombre de quinze ou vingt mille. Étant à Léon, à plus de cent lieues de Tudela, il se trouvait hors d'état de commander le centre et la droite. Castaños dut, en attendant, conserver le commandement. Thomas de Morla, le perfide et arrogant capitaine général de Cadix, dont les Français avaient eu tant à se plaindre après Baylen, avait été nommé directeur des affaires militaires auprès de la junte. Il était appelé à mettre l'accord entre les généraux espagnols, et surtout entre les généraux espagnols et les Anglais qui allaient entrer en ligne.

Derniers ordres de Napoléon aux maréchaux Ney et Lannes pour la destruction des armées espagnoles du centre et de droite.

Napoléon, ayant employé les 15, 16, 17 novembre à recueillir les nouvelles de ses divers corps, et certain d'après ces nouvelles que le maréchal Soult était entré à Santander sans aucune difficulté, que le maréchal Lefebvre était établi à Carrion, que le maréchal Victor était en marche sur Burgos, et que le maréchal Ney enfin venait d'arriver à Aranda derrière le rideau de la cavalerie française, Napoléon donna ordre à ce dernier de partir le 18 d'Aranda, de se porter à San-Estevan, et de San-Estevan à Almazan. Il lui prescrivit, une fois rendu là, d'avoir l'œil et l'oreille sur Soria et Calatayud, pour savoir si Castaños rétrogradait, et si c'était sur la route de Pampelune à Madrid qui passe par Soria, ou celle de Saragosse à Madrid qui passe par Calatayud, qu'il fallait se placer pour être le 22 ou le 23 sur les derrières de l'armée espagnole; car, le 22 ou le 23, Lannes avec trente mille hommes devait la pousser violemment, comme il avait coutume de pousser l'ennemi, dans l'une ou l'autre de ces directions. (Voir la carte no 43.) Vu les lieux et les circonstances, les instructions étaient aussi précises que possible. Le même jour, Napoléon fit partir Lannes, qui pouvait à peine se tenir à cheval, avec ordre de se rendre à Logroño, d'y réunir l'infanterie de la division Lagrange, la cavalerie des généraux Colbert et Dijeon aux troupes du maréchal Moncey, de se jeter avec 24 mille fantassins, 2 mille artilleurs, 4 mille cavaliers, sur Castaños et Palafox, et de les refouler sur les baïonnettes du maréchal Ney.

Marche du maréchal Ney sur Soria.

Les deux maréchaux commencèrent immédiatement l'exécution du mouvement qui leur était prescrit. Le maréchal Ney, parti d'Aranda le 19, arriva le 19 au soir à San-Estevan, le 20 à Berlanga. S'il était toujours difficile d'éclairer sa marche en Espagne, la difficulté augmentait encore en quittant la grande route de Madrid, et en s'enfonçant dans le pays montagneux de Soria, à travers cette chaîne qui s'élève intermédiairement entre les Pyrénées et le Guadarrama. (Voir la carte no 43.) Il fallait prendre ces montagnes à revers pour venir tomber sur l'Èbre, et saisir Castaños par derrière. En avançant dans ce pays moins fréquenté, et où naturellement dominaient avec plus de force les vieilles mœurs de l'Espagne, le maréchal Ney devait rencontrer un peuple plus hostile, moins communicatif, et être exposé plus qu'ailleurs aux faux renseignements. Les habitants fuyaient à son approche, et laissaient l'armée française vivre de ce qu'elle enlevait, sans songer à demeurer sur les lieux, pour diminuer le dommage en lui fournissant ce dont elle aurait besoin. Ceux qui restaient, fort peu nombreux, parlaient avec emphase des armées de Castaños et de Palafox, que les uns portaient à 60, les autres à 80 mille hommes. Chacun dans ses récits leur assignait un quartier général différent. On ne disait pas si Castaños se retirait sur Madrid, et si, au cas où il se retirerait sur cette capitale, il passerait par Soria, ou par Calatayud. Napoléon, dans ses instructions, avait admis comme possible l'une ou l'autre hypothèse, et le maréchal Ney était en proie à une extrême incertitude. Avec les divisions Marchand et Dessoles, il ne comptait guère que 13 à 14 mille hommes, et, tout intrépide qu'il était, ayant à Guttstadt tenu tête à 60 mille Russes avec 15 mille Français, il se demandait d'abord s'il se trouvait sur la véritable route de retraite de Castaños, et secondement s'il n'était pas à craindre que Castaños et Palafox, se repliant ensemble avant d'avoir été battus, ne s'offrissent à lui avec 60 ou 80 mille hommes, ce qui aurait rendu sa position grave. Il marchait donc à pas comptés, écoutant, regardant autour de lui, réclamant du quartier général les renseignements qu'il ne pouvait obtenir sur les lieux. Il était le 21 à Soria avec une de ses divisions, attendant le lendemain la seconde, à laquelle il avait prescrit un détour à droite, afin d'avoir des nouvelles de Calatayud. Cet intrépide maréchal hésitait pour la première fois de sa vie, surpris, embarrassé des bruits divers qu'il recueillait dans ce pays d'ignorance, d'exagération et d'aventures. Cependant le temps pressait, car c'était le 22 ou le 23 que les troupes françaises de l'Èbre devaient être aux prises avec Castaños et Palafox.

Mouvement du maréchal Lannes sur Tudela.

De son côté, le maréchal Lannes, montant à cheval avant d'être complétement remis, était parti le 19 de Burgos, et se trouvait le 19 au soir à Logroño. Il avait donné ordre à la division Lagrange, à la cavalerie du général Colbert, à la brigade de dragons du général Dijeon, d'employer la journée du 20 à se concentrer autour de Logroño, de franchir l'Èbre le 21 au matin, et de descendre, en suivant la rive droite de ce fleuve, jusqu'en face de Lodosa, par où devait déboucher le maréchal Moncey. (Voir la carte no 43.) Reparti le 20 pour Lodosa, il avait vu le maréchal Moncey, qui était momentanément placé sous ses ordres, et lui avait enjoint de se tenir prêt le 21 au soir à passer le pont de Lodosa, pour opérer sa jonction avec les troupes du général Lagrange.

Les instructions du maréchal Lannes s'étaient ponctuellement exécutées, et, le 21 au soir, le général Lagrange, ayant descendu la rive droite de l'Èbre, arrivait devant Lodosa, d'où débouchait le corps du maréchal Moncey. C'était une masse totale de 28 à 29,000 hommes en infanterie et cavalerie. Le maréchal Lannes avait mis sous le commandement du brave Lefebvre-Desnoette toute sa cavalerie, qui était composée des lanciers polonais, des cuirassiers et dragons provisoires, des chevaux-légers qu'avait amenés le général Colbert, et des vieux dragons qu'amenait du fond de l'Allemagne le général Dijeon. L'infanterie se composait de la division Lagrange, ancienne division Bisson, des jeunes troupes du corps du maréchal Moncey, auxquelles on avait joint plus tard les 14e et 44e de ligne, ainsi que les légions de la Vistule. Les jeunes soldats étaient devenus presque dignes des vieux, sauf qu'ils manquaient de bons officiers, comme tous les corps de récente création, dont on a formé les cadres avec des officiers pris à la retraite. Lannes les fit tous bivouaquer, pour se mettre en route dès le lendemain matin. Chaque soldat avait dans son sac du pain pour quatre jours.

Effectivement, le lendemain 22 novembre, on se mit en route en descendant la rive droite de l'Èbre vers Calahorra. Lannes marchait en tête avec Lefebvre-Desnoette suivi des lanciers polonais, qui s'étaient rendus la terreur des Espagnols. Arrivé en vue de Calahorra, on aperçut les Espagnols qui se retiraient sur Alfaro et Tudela, où il fallait s'attendre à les trouver en position le lendemain. Lannes fit hâter le pas, et le soir même alla coucher à Alfaro. Il n'était pas possible d'exécuter un plus long trajet dans la même journée. On pouvait du reste, en partant le lendemain d'Alfaro à la pointe du jour, être d'assez bonne heure à Tudela pour y livrer bataille. Les divisions Maurice-Mathieu, Musnier, Grandjean tenaient la gauche le long de l'Èbre. Les divisions Morlot et Lagrange tenaient la droite, et couchèrent à Corella. La cavalerie précédait l'infanterie pendant cette marche.

Bataille de Tudela.

Le lendemain 23, Lannes donna l'ordre de s'acheminer dès trois heures du matin vers Tudela. Afin de ne pas perdre de temps, il partit au galop avec Lefebvre et les lanciers polonais, désirant devancer ses troupes, et reconnaître la position dans le cas où l'ennemi s'arrêterait pour combattre.

Les généraux espagnols avaient long-temps disputé sur le meilleur plan à suivre, Palafox voulant agir offensivement en Navarre, Castaños au contraire ne voulant pas franchir l'Èbre, et allant jusqu'à dire qu'il vaudrait mieux rétrograder et s'enfoncer en Espagne, pour éviter les affaires générales avec les Français. Ils avaient été surpris dans cet état de controverse par le mouvement de Lannes, et forcés d'accepter la bataille par le cri de la populace espagnole, qui les appelait des traîtres. Les choses en étaient même à ce point que les Aragonais, sous O'Neil, n'avaient pas encore repassé l'Èbre à Tudela le 23 au matin, et qu'entre l'aile droite, formée par ceux-ci, et l'extrémité de l'aile gauche, formée par les Andalous, il y avait près de trois lieues de distance. Castaños se hâta de ranger les uns et les autres en bataille sur les hauteurs qui s'élèvent en avant de Tudela, et qui vont en s'abaissant jusqu'aux environs de Cascante, au milieu de vastes plaines d'oliviers.

Terrain en avant de Tudela, sur lequel les Espagnols avaient pris position.

Lannes, parvenu en face de cette position, aperçut à sa gauche, sur les hauteurs qui précèdent Tudela et près de l'Èbre, une forte masse d'Espagnols. C'étaient justement les Aragonais achevant leur passage, et couverts par une nombreuse artillerie. Au centre, il découvrit sur des hauteurs un peu moindres, et protégée par un bois d'oliviers, une autre masse: c'était celle des Valenciens, des Murciens et des Castillans. Plus loin, à droite, mais à une très-grande distance, vers Cascante, on distinguait dans la plaine un troisième rassemblement: c'étaient les divisions d'Andalousie sous la Peña et Grimarest, qui n'étaient pas encore arrivées en ligne. Le total pouvait s'élever à 40,000 hommes.

Dispositions d'attaque ordonnées par Lannes.

Sur-le-champ, Lannes résolut d'enlever les hauteurs à gauche, puis, quand il serait près d'y réussir, d'enfoncer le centre de l'ennemi, de se rabattre ensuite à droite sur la portion de l'armée espagnole qu'on apercevait vers Cascante, et contre laquelle il se proposait de diriger son arrière-garde, formée par la division Lagrange, qui était restée assez loin en arrière.

Il porta aussitôt la division Maurice-Mathieu, l'une des mieux composées et des mieux commandées, sur les hauteurs de gauche qui s'appuyaient à l'Èbre, et garda en réserve les divisions Musnier, Grandjean et Morlot, pour agir contre le centre lorsqu'il en serait temps. La cavalerie était déployée dans la plaine, une partie faisant face à droite pour contenir la gauche de l'ennemi vers Cascante, et donner à la division Lagrange le temps de rejoindre.

Attaque des hauteurs de gauche par la division Maurice-Mathieu.

Les généraux Maurice-Mathieu et Habert, précédés d'un bataillon de tirailleurs, s'avancèrent à la tête d'un régiment de la Vistule et du 14e de ligne, vieux régiment d'Eylau, pour lequel des batailles avec les Espagnols n'étaient pas chose effrayante. Lannes avait donné ordre de ne pas trop faire le coup de fusil contre un ennemi supérieur en nombre, et avantageusement placé. Aussi, dès que les tirailleurs eurent replié les Espagnols sur les hauteurs de gauche, les généraux Maurice-Mathieu et Habert se formèrent en colonnes d'attaque, et commencèrent à gravir le terrain. Les Aragonais, plus braves, plus enthousiastes que le reste de la nation, plus engagés par leurs démonstrations antérieures, étaient obligés de tenir, et tinrent en effet avec un certain acharnement. Après s'être bien servis de leur artillerie contre les Français, ils leur disputèrent chaque mamelon l'un après l'autre, et leur tuèrent un assez grand nombre d'hommes. Mais la division Maurice-Mathieu, vigoureusement soutenue, les contraignit après un combat de deux heures à rétrograder vers Tudela. Lannes fait enfoncer le centre des Espagnols. Lorsque Lannes aperçut que de ce côté le combat ne présentait aucun doute, il ébranla la division Morlot qui venait d'arriver, et, la faisant appuyer par la division Grandjean, il les poussa toutes deux sur le centre des Espagnols, composé, avons-nous dit, des Valenciens, des Murciens et des Castillans. Les obstacles du terrain, qui étaient nombreux, présentèrent à la division Morlot plus d'une difficulté à vaincre. Remplie de troupes jeunes et ardentes, elle les surmonta, en perdant toutefois trois ou quatre cents hommes, et rejeta les Espagnols sur Tudela, où le général Maurice-Mathieu avait ordre de pénétrer de son côté.

Déroute de la gauche et du centre des Espagnols.

Ce fut dès lors une déroute générale, car les Espagnols, culbutés par les divisions Maurice-Mathieu et Morlot des hauteurs qui entourent Tudela sur la ville même, et au milieu d'une vaste plaine d'oliviers qui s'étend au delà, s'enfuirent dans un affreux désordre, laissant beaucoup de morts et de blessés, un nombre de prisonniers plus considérable que de coutume, toute leur artillerie, ainsi qu'un immense parc de munitions et de voitures de bagages.

Poursuite des fuyards par la cavalerie.

Il était trois heures de l'après-midi. Lannes ordonna au maréchal Moncey de les poursuivre sur la route de Saragosse avec les divisions Maurice-Mathieu, Morlot et Grandjean, la cavalerie légère de Colbert, et les lanciers polonais sous les ordres du général Lefebvre-Desnoette. Cette cavalerie passant par la trouée du centre, entre Tudela et Cascante, s'élança au galop sur les fuyards par toutes les routes pratiquées à travers les champs d'oliviers qui environnent Saragosse. Lannes avec la division Musnier et les dragons fait tête à la gauche des Espagnols, qui n'est pas encore entrée en action. Lannes resta avec la division Musnier et les dragons pour tenir tête à la gauche des Espagnols, composée des troupes de la Peña qu'on voyait au loin du coté de Cascante.

Castaños, emporté par la déroute, n'avait pu rejoindre sa gauche. La Peña s'y trouvait seul avec une masse imposante d'infanterie, celle qui avait pris Dupont par derrière à Baylen, et qui avait tout l'orgueil de cette journée sans en avoir le mérite. La Peña l'amena en ligne de Cascante vers Tudela, dans une plaine où la cavalerie pouvait se déployer. Lannes lança sur elle les dragons de la brigade Dijeon, qui, par plusieurs charges répétées, la continrent en attendant la division Lagrange, laquelle n'était pas encore entrée en action. Celle-ci arriva enfin à une heure fort avancée. Le général Lagrange, la disposant en échelons très-rapprochés les uns des autres, se porta sur-le-champ à l'attaque de Cascante. Attaque vigoureuse de la division Lagrange, et déroute du seul corps espagnol gui fût resté entier. Il conduisait lui-même le 25e léger, formant le premier échelon. Ces vieux régiments de Friedland ne regardaient pas comme une difficulté d'avoir affaire aux prétendus vainqueurs de Baylen. Le 25e marcha baïonnettes baissées sur Cascante, culbuta la division de la Peña et la rejeta sur Borja, à droite de la route de Saragosse. Le général Lagrange, chargeant à la tête de sa division, reçut une balle au bras.

Retraite désordonnée des Espagnols, les uns sur Saragosse, les autres sur Calatayud.

La nuit mit fin à la bataille, qui à la droite comme à la gauche ne présentait plus qu'une immense déroute. Les Aragonais étaient rejetés sur Saragosse, les Andalous sur Borja, et par Borja sur la route de Calatayud. La retraite devait être divergente, quand même les sentiments des généraux ne les auraient pas disposés à se séparer les uns des autres après un échec commun. Cette journée nous valut environ quarante bouches à feu, trois mille prisonniers, presque tous blessés, parce que la cavalerie ne parvenait à les arrêter qu'en les sabrant, indépendamment de deux mille morts ou mourants restés sur le champ de bataille. La dispersion, ici comme à Espinosa, était toujours le résultat principal. Les jours suivants devaient nous procurer encore beaucoup de prisonniers faits comme les autres par le sabre de nos cavaliers.

Lannes, retombé malade, laisse au maréchal Moncey et au général Maurice-Mathieu le soin de poursuivre l'ennemi.

Le lendemain matin Lannes ne pouvait plus supporter la fatigue du cheval, pour avoir voulu s'y exposer trop tôt. Il chargea le maréchal Moncey de continuer la poursuite des Aragonais sur Saragosse avec les divisions Maurice-Mathieu, Morlot, Grandjean et une partie de la cavalerie. Il confia la division Lagrange, dont le chef venait d'être blessé, au brave Maurice-Mathieu, lui adjoignit la division Musnier, les dragons, les lanciers polonais, et ordonna à ces troupes, placées sous le commandement supérieur du général Maurice-Mathieu, de poursuivre Castaños l'épée dans les reins sur Calatayud et Siguenza, route de Saragosse à Madrid. Il espérait, quoiqu'il n'eût rien appris de la marche du maréchal Ney, que les Andalous le trouveraient sur leur chemin, et expieraient sous ses coups la journée de Baylen.

Motifs qui avaient retardé le maréchal Ney dans sa marche à travers la province de Soria.

Malheureusement, au milieu de l'incertitude où il était, le maréchal Ney, ne sachant par quelle route s'avancer, celle de Soria à Tudela, ou celle de Soria à Calatayud, attendant du quartier général des ordres ultérieurs qui n'arrivaient pas, avait non-seulement passé à Soria la journée du 22 pour rallier ses deux divisions, mais celles du 23 et du 24 pour avoir des nouvelles, et ne s'était décidé que le 25 à marcher sur Agreda, point où il était à une journée de Cascante. S'il fût parti seulement le 23 au matin, il pouvait être le soir même ou le lendemain sur les derrières de Castaños. Mais les instructions du quartier général, quoique très-claires, avaient laissé trop de latitude au maréchal. Les derniers renseignements recueillis à Soria sur la force de Castaños l'avaient jeté dans une véritable confusion d'esprit. On lui avait dit[25] que Castaños avait 80 mille hommes, que Lannes même avait été battu, et, abusé par de semblables bruits, l'audacieux maréchal avait craint cette fois d'être trop téméraire. Le 25 novembre, après avoir passé à Soria le 23 et le 24, il s'était mis en marche sur les instances réitérées du quartier général, était parvenu le 25 au soir à Agreda, le 26 à Tarazona, où il avait appris enfin avec grand regret l'erreur dans laquelle il était tombé, et l'occasion manquée d'immenses résultats. Ce qui lui arrivait là était arrivé à tous nos généraux, qui se laissaient imposer par l'exagération des Espagnols, exagération contre laquelle Napoléon s'efforçait en vain de les mettre en garde, en leur répétant que les troupes de l'insurrection étaient de la canaille sur le ventre de laquelle il fallait passer. Il en donna lui-même peu de jours après un exemple mémorable.

Jonction du maréchal Ney avec le maréchal Moncey devant Saragosse.

Le maréchal Ney opéra sa jonction avec le maréchal Moncey, qui était fort affaibli par le départ des divisions Lagrange et Musnier, envoyées à la poursuite de Castaños. Le maréchal Ney, voulant au moins rendre utile sa présence sur les lieux, convint avec le maréchal Moncey de l'aider à l'investissement de Saragosse, où s'étaient enfermés les frères Palafox et les fuyards aragonais. Pendant ce temps le général Maurice-Mathieu poussait avec autant de rapidité que de vigueur les débris de Castaños, qui se retiraient en désordre sur Calatayud. Lannes resta malade à Tudela, offrant cependant à Napoléon de remonter encore à cheval, même avant d'être rétabli, s'il fallait quelque part tenir tête aux Anglais, et les jeter à la mer. Plût au ciel, en effet, que Napoléon eût confié à un tel chef le soin de poursuivre ces redoutables ennemis de l'Empire!

Napoléon, débarrassé des armées espagnoles de droite et de gauche, se décide à marcher immédiatement sur Madrid.

C'est le 26 seulement, toujours par suite de la difficulté des communications, que Napoléon reçut la nouvelle de la vigoureuse conduite de Lannes à Tudela, de la dispersion des armées espagnoles du centre et de droite, et de l'inexécution du mouvement prescrit au maréchal Ney. Tenant ce maréchal pour l'un des premiers hommes de guerre de son temps, il n'attribua son erreur qu'aux fausses idées que les généraux français se faisaient de l'Espagne et des Espagnols, et, bien que la belle manœuvre qu'il avait ordonnée par Soria n'eût point réussi, il n'en considéra pas moins les armées régulières de l'Espagne comme anéanties, et la route de Madrid comme désormais ouverte pour lui. Effectivement, les Aragonais sous Palafox étaient tout au plus capables de défendre Saragosse. Les Andalous conduits par Castaños se retiraient au nombre de 8 ou 9 mille sur Calatayud, et ne pouvaient faire autre chose que d'augmenter la garnison de Madrid, en se repliant sur cette capitale par Siguenza et Guadalaxara, si on leur en laissait le temps. Le marquis de La Romana, avec 6 ou 7 mille fuyards dénués de tout, gagnait péniblement le royaume de Léon à travers des montagnes neigeuses. Enfin, sur la route même de Madrid, il ne restait que les débris de l'armée d'Estrémadure, déjà si rudement traitée en avant de Burgos.

Un seul obstacle aurait pu arrêter Napoléon, c'était l'armée anglaise, dont il n'avait que les nouvelles les plus vagues et les plus incertaines. Mais cette armée elle-même n'était encore en état de rien entreprendre. Sir John Moore, conduisant ses deux principales colonnes d'infanterie à travers le nord du Portugal, était arrivé à Salamanque avec 13 ou 14 mille hommes d'infanterie, exténués de la longue marche qu'ils avaient faite, et fort éprouvés par des privations auxquelles les soldats anglais n'étaient guère habitués. Le général Moore n'avait avec lui ni un cheval ni un canon, sa cavalerie et son artillerie ayant suivi la route de Badajoz à Talavera, sous l'escorte d'une division d'infanterie. Enfin sir David Baird, débarqué à la Corogne avec 11 ou 12 mille hommes, s'avançait timidement vers Astorga, se trouvant encore à soixante ou soixante-dix lieues de son général en chef. Ces trois colonnes ne savaient comment elles s'y prendraient pour se rejoindre, et, dans leur isolement, n'étaient ni capables ni désireuses d'entrer en action. Elles se sentaient même fort peu encouragées par ce qu'elles voyaient autour d'elles, car, au lieu de les recevoir avec enthousiasme, les Espagnols de la Vieille-Castille, épouvantés de la défaite de Blake, et se soumettant à un simple escadron de cavalerie française, les accueillaient froidement, ne voulaient rien leur donner qu'en échange de souverains d'or ou de piastres d'argent, livrés en même temps que les fournitures elles-mêmes. Aussi le sage Moore avait-il écrit à son gouvernement pour le détromper sur l'insurrection espagnole, et lui montrer qu'on avait engagé l'armée anglaise dans une fort périlleuse aventure.

Napoléon ignorait ces circonstances, et savait seulement qu'il arrivait des Anglais par le Portugal et la Galice; mais il persistait dans son plan de les attirer dans l'intérieur de la Péninsule, afin de les envelopper au moyen de quelque grande manœuvre, tandis que le maréchal Soult et le général Junot, laissés sur ses derrières, les contiendraient de front. Pour en agir ainsi, Madrid, d'où l'on pourrait opérer par la droite sur le Portugal ou la Galice, devenait le meilleur centre d'opérations, et c'était un nouveau motif d'y marcher sans retard. Napoléon donna ses ordres en conséquence, dès que l'affaire de Tudela lui fut connue.

Ordres aux maréchaux Ney, Moncey, Soult, Lefebvre et Mortier en conséquence de la marche sur Madrid.

D'abord il prescrivit au maréchal Ney, qu'il voulait avoir sous sa main pour l'employer dans les occasions difficiles, notamment contre les Anglais, d'abandonner l'investissement de Saragosse, de marcher sur Madrid par la même route que Castaños, et de poursuivre celui-ci à outrance jusqu'à ce qu'il ne lui restât plus un seul homme. Il enjoignit au général Maurice-Mathieu, qui était à la poursuite de Castaños avec une partie des troupes du maréchal Moncey, de s'arrêter, de rendre au maréchal Moncey les troupes qui lui appartenaient, pour que ce dernier pût reprendre avec toutes ses divisions les travaux du siége de Saragosse. Il pressa de nouveau le général Saint-Cyr, chargé de la guerre de Catalogne, d'accélérer les opérations qui devaient le conduire à Barcelone, et amener le déblocus de cette grande cité. Ces dispositions prises à sa gauche, Napoléon envoya sur sa droite les instructions suivantes.

Le maréchal Lefebvre, posté à Carrion pour lier le centre de l'armée française avec le maréchal Soult, auquel avait été confié le soin de soumettre les Asturies, dut suivre le mouvement général sur Madrid, et se porter avec les dragons de Milhaud sur Valladolid et Ségovie, afin de couvrir la droite du quartier général. Le général Junot, dont la première division approchait, dut hâter sa marche pour venir remplacer le maréchal Lefebvre sur le revers méridional des montagnes des Asturies, où le maréchal Soult allait reparaître bientôt, après avoir soumis les Asturies elles-mêmes. Ces deux corps, dont l'un sous le maréchal Bessières avait autrefois conquis la Vieille-Castille, dont l'autre sous Junot avait autrefois conquis le Portugal, devaient, réunis sous le maréchal Soult, avoir affaire aux Anglais d'abord en Vieille-Castille, puis en Portugal, selon les opérations qu'on serait amené à diriger contre ceux-ci. Enfin, la tête du 5e corps, parti d'Allemagne le dernier, commençant à se montrer à Bayonne, Napoléon ordonna à son chef, le maréchal Mortier, de venir prendre à Burgos la place qui allait se trouver vacante par la translation du quartier général à Madrid.

Tout étant ainsi réglé sur ses ailes et ses derrières, Napoléon marcha droit sur Madrid. Il n'avait avec lui que le corps du maréchal Victor, la garde impériale, et une partie de la réserve de cavalerie, c'est-à-dire beaucoup moins de quarante mille hommes. C'était plus qu'il ne lui en fallait, devant l'ennemi qu'il avait à vaincre, pour s'ouvrir la capitale des Espagnes.

Ayant d'abord porté le maréchal Victor à gauche de la route de Madrid afin d'appuyer les derrières du maréchal Ney, il le ramena par Ayllon et Riaza sur cette route, au point même où elle commence à s'élever, pour franchir le Guadarrama. Déjà il avait envoyé Lasalle, avec la cavalerie légère, jusqu'au pied du Guadarrama. Il y envoya de plus les dragons de Lahoussaye et de Latour-Maubourg. Enfin, il y achemina la garde, dont les fusiliers sous le général Savary, qui avait pris l'habitude de les commander en Pologne, s'avancèrent jusqu'à Bocequillas, pour observer les restes du corps du marquis de Belveder réfugiés entre Sepulveda et Ségovie. Dès le 23, il était parti lui-même de Burgos pour Aranda.

Mesures prises par la junte d'Aranjuez pour couvrir la capitale.

Après la déroute de Burgos, la capitale se trouvait découverte; mais la junte d'Aranjuez ne se figurant pas encore, dans sa présomptueuse ignorance, que Napoléon pût y marcher prochainement, s'était contentée d'expédier aux gorges du Guadarrama ce qui restait de forces disponibles à Madrid. On avait donc réuni au sommet du Guadarrama, vers le col resserré qui donne passage de l'un à l'autre versant, les débris de l'armée de l'Estrémadure, et ce qui était demeuré à Madrid des divisions d'Andalousie. C'était une force d'environ 12 à 13 mille hommes, placée sous les ordres d'un habile et vaillant officier, appelé don Benito San-Juan. Celui-ci avait établi au delà du Guadarrama, au pied même du versant qu'il nous fallait aborder, et un peu à notre droite, dans la petite ville de Sepulveda, une avant-garde de trois mille hommes. Il avait ensuite distribué les neuf mille autres au col de Somo-Sierra, dans le fond de la gorge que nous avions à franchir. Une partie de son monde, postée à droite et à gauche de la route qui s'élevait en formant de nombreuses sinuosités, devait arrêter nos soldats par un double feu de mousqueterie. Précautions prises par les Espagnols pour rendre inexpugnable le col de Somo-Sierra. Les autres barraient la chaussée elle-même vers le passage le plus difficile du col, avec 16 pièces de canon en batterie. L'obstacle pouvait être considéré comme l'un des plus sérieux qu'on fût exposé à rencontrer à la guerre. Les Espagnols s'imaginaient être invincibles dans la position de Somo-Sierra, et la junte elle-même comptait assez sur la résistance qu'on y avait préparée pour ne pas quitter Aranjuez. Elle espérait d'ailleurs que Castaños, qu'elle s'obstinait à ne pas croire détruit, aurait le temps de venir par la route de Guadalaxara se placer derrière le Guadarrama, entre Somo-Sierra et Madrid, et que les Anglais, opérant un mouvement correspondant à celui de Castaños, s'empresseraient, les uns par Avila, les autres par Talavera, de couvrir la capitale des Espagnes. On vient de voir ce qu'il y avait de fondé dans de pareilles espérances.

Les ordres donnés le 26 pour la marche sur Madrid étant complétement exécutés le 29, Napoléon se rendit lui-même le 29 au pied du Guadarrama, et établit son quartier général à Bocequillas. Le général Savary avait poussé une reconnaissance sur Sepulveda, non pour disperser le corps qui s'y trouvait, mais pour connaître sa force et son intention. Après avoir fait quelques prisonniers, il s'était retiré, n'ayant pas ordre de s'avancer plus loin. Les Espagnols, surpris de conserver le terrain, avaient envoyé à Madrid la nouvelle d'un avantage considérable remporté sur la garde impériale.

Napoléon, arrivé au pied du Guadarrama, fait lui-même une reconnaissance de la position de Somo-Sierra.

Napoléon, arrivé le 29 à midi à Bocequillas, monta à cheval, s'engagea dans la gorge de Somo-Sierra, la reconnut de ses propres yeux, et arrêta toutes ses dispositions pour le lendemain matin. Il prescrivit à la division Lapisse de se porter à la droite de la chaussée, pour enlever à la pointe du jour le poste de Sepulveda, et à la division Ruffin de partir au même instant pour gravir les rampes du Guadarrama, jusqu'au col même de Somo-Sierra. Le 9e léger devait suivre de hauteur en hauteur la berge droite, le 24e de ligne la berge gauche, de manière à faire tomber les défenses établies sur les deux flancs de la route. Le 96e devait marcher en colonne sur la route même. Puis devait venir la cavalerie de la garde, et Napoléon avec son état-major. Les fusiliers de la garde étaient chargés d'appuyer ce mouvement.

LES LANCIERS POLONAIS AU COMBAT DE SOMO-SIERRA.

À cette époque de la saison, le temps devenu superbe ne donnait cependant du soleil que vers le milieu de la journée. De six heures à neuf heures du matin un épais brouillard couvrait le pays, surtout dans sa partie montagneuse; puis après cette heure un soleil étincelant procurait à l'armée de vraies journées de printemps. Napoléon, faisant attaquer Sepulveda à six heures du matin, comptait s'être rendu maître de cette position accessoire à neuf heures, moment où la colonne qui marchait vers Somo-Sierra serait parvenue au sommet du col. On devait donc, grâce au brouillard, y arriver sans être vu, et commencer le feu sur la montagne quand il aurait fini au pied.

Le lendemain 30, la colonne envoyée contre Sepulveda eut à peine le temps de s'y montrer. Les trois mille hommes préposés à sa défense s'enfuirent en désordre, et coururent vers Ségovie se joindre aux autres fuyards du marquis de Belveder.

Combat de Somo-Sierra.

La colonne qui gravissait les pentes de Somo-Sierra arriva, sans être aperçue, très-près du point que l'ennemi occupait en force. Le brouillard se dissipant tout à coup, les Espagnols ne furent pas peu surpris de se voir attaquer sur les hauteurs de droite et de gauche, par le 9e léger et le 24e de ligne. Délogés de poste en poste, ils défendirent assez mal l'une et l'autre berge. Mais le gros du rassemblement se trouvait sur la route même, derrière seize pièces d'artillerie, et faisait un feu meurtrier sur la colonne qui suivait la chaussée. Napoléon, voulant apprendre à ses soldats qu'il fallait avec les Espagnols ne pas regarder au danger, et leur passer sur le corps quand on les rencontrait, ordonna à la cavalerie de la garde d'enlever au galop tout ce qu'il y avait devant elle. Un brillant officier de cavalerie, le général Montbrun, s'avança à la tête des chevaux-légers polonais, jeune troupe d'élite, que Napoléon avait formée à Varsovie, pour qu'il y eût de toutes les nations et de tous les costumes dans sa garde. Le général Montbrun, avec ces valeureux jeunes gens, se précipita au galop sur les seize pièces de canon des Espagnols, bravant un horrible feu de mousqueterie et de mitraille. Les chevaux-légers essuyèrent une décharge qui les mit en désordre en abattant trente ou quarante cavaliers dans le rang. Mais bientôt ralliés, et passant par-dessus leurs blessés, ils retournèrent à la charge, arrivèrent jusqu'aux pièces, sabrèrent les canonniers, et prirent les seize bouches à feu. Le reste de la cavalerie s'élança à la poursuite des Espagnols au delà du col, et descendit avec eux sur le revers du Guadarrama. Le brave San-Juan, atteint de plusieurs blessures, et tout couvert de sang, voulut en vain retenir ses soldats. Ce fut, comme à Espinosa, comme à Tudela, une affreuse déroute. Les drapeaux, l'artillerie, deux cents caissons de munitions, presque tous les officiers restèrent dans nos mains. Les soldats se dispersèrent à droite et à gauche dans les montagnes, et gagnèrent surtout à droite pour se réfugier à Ségovie.

Résultat du combat de Somo-Sierra.

Le soir, toute la cavalerie était à Buytrago, avec le quartier général. Ce furent les Français qui apprirent aux Espagnols le désastre de ce qu'on appelait l'armée de Somo-Sierra. Napoléon fut enchanté d'avoir prouvé à ses généraux ce qu'étaient les insurgés espagnols, ce qu'étaient ses soldats, le cas qu'il fallait faire des uns et des autres, et d'avoir franchi un obstacle qu'on avait paru croire très-redoutable. Les Polonais avaient eu une cinquantaine d'hommes tués ou blessés sur les pièces. Napoléon les combla de récompenses, et comprit dans la distribution de ses faveurs M. Philippe de Ségur, qui avait reçu plusieurs coups de feu dans cette charge. Il le destina à porter au Corps législatif les drapeaux pris à Burgos et à Somo-Sierra.

Napoléon se hâta de répandre sa cavalerie de Buytrago jusqu'aux portes de Madrid, et de s'y porter de sa personne, pour essayer d'enlever cette grande capitale par un mélange de persuasion et de force, désirant lui épargner les horreurs d'une prise d'assaut. Heureusement elle n'était pas en mesure de se défendre; et d'ailleurs le tumulte qui y régnait aurait rendu la défense impossible, quand même elle aurait eu des murailles capables de résister au formidable ennemi qui la menaçait.

Déc. 1808.
À la nouvelle du combat de Somo-Sierra, la junte centrale quitte Aranjuez pour Badajoz.
Moyens employés pour disputer Madrid aux Français.

À la nouvelle de la prise de Somo-Sierra, la folle présomption des Espagnols s'était subitement évanouie, et la junte s'était hâtée de quitter Aranjuez pour Badajoz. En s'éloignant elle avait annoncé la résolution d'aller préparer dans le midi de la Péninsule des moyens de résistance, dont Baylen, disait-elle, révélait assez la puissance. Mais il n'en avait pas moins été résolu de disputer Madrid au conquérant de l'Occident. La partie violente et anarchique de la population le voulait ainsi, et parlait d'égorger quiconque proposerait de capituler. Thomas de Morla et le marquis de Castellar avaient été chargés de la défense, de concert avec une junte réunie à l'hôtel des postes, dans laquelle siégeaient des gens de toute sorte. Madrid, tombé au pouvoir de la populace, est livré aux plus affreux désordres. Il restait à Madrid trois à quatre mille hommes de troupes de ligne, de fort médiocre qualité; mais il s'était joint à cette garnison un peuple frénétique, tant de la ville que de la campagne, lequel avait exigé et obtenu des armes, inutiles dans ses mains pour le salut de la capitale, et redoutables seulement aux honnêtes gens. Quelques furieux, ayant cru remarquer dans les cartouches qu'on leur avait distribuées une poussière noirâtre qu'ils disaient être du sable et non de la poudre, s'en étaient pris au marquis de Péralès, corrégidor de Madrid, personnage long-temps favori de la multitude, parce que, dans ses goûts licencieux, il s'était publiquement attaché à rechercher les plus belles femmes du peuple. Massacre du marquis de Péralès. L'une d'elles, délaissée par lui, l'ayant accusé d'avoir préparé ces munitions frauduleuses, et d'être complice d'une trahison ourdie contre la sûreté de Madrid, la troupe des égorgeurs s'empara de ce malheureux, et le massacra comme elle en avait déjà massacré tant d'autres depuis la fatale révolution d'Aranjuez, et puis elle traîna son corps dans les rues. Après s'être donné cette satisfaction à eux-mêmes, les barbares dominateurs de Madrid exécutèrent à la hâte quelques préparatifs de défense, sous la direction des gens du métier. Quelques travaux de défense aux portes de Madrid. Madrid n'est point fortifié; il est comme Paris l'était il y a quelques années, avant les immenses travaux qui l'ont rendu invincible, entouré d'un simple mur qui n'est ni bastionné ni terrassé. On crénela ce mur, on en barricada les portes, et on y plaça du canon. On prit ce soin particulièrement pour les portes d'Alcala et d'Atocha, qui aboutissent vers la grande route par laquelle devaient se présenter les Français. En arrière des portes, on pratiqua des coupures, on éleva des barricades dans les rues correspondantes, pour que, la première résistance vaincue, il en restât une autre en arrière.

Vis-à-vis des portes d'Alcala et d'Atocha, s'élèvent sur un terrain dominant, en face de Madrid, le château et le parc du Buen-Retiro, séparés de Madrid par la fameuse promenade du Prado. On crénela le mur d'enceinte du Retiro, on y fit quelques levées de terre, on y traîna du canon, on y logea en guise de garnison une multitude fanatique, capable de le ravager, mais bien peu de le défendre. Les femmes, joignant leurs efforts à ceux des hommes, se mirent à dépaver les rues, et à monter les pavés sur le toit des maisons, pour en accabler les assaillants. On sonna les cloches jour et nuit, afin de tenir la population en haleine. Le duc de l'Infantado avait été secrètement envoyé hors de Madrid, pour aller chercher l'armée de Castaños, et l'amener sous Madrid.

L'armée française paraît le 2 décembre aux portes de Madrid.

Toute cette agitation n'était pas un moyen de résistance bien sérieux à opposer à Napoléon. Il arriva le 2 décembre au matin sous les murs de Madrid, à la tête de la cavalerie de la garde, des dragons de Lahoussaye et de Latour-Maubourg. Ce jour était l'anniversaire du couronnement, celui aussi de la bataille d'Austerlitz, et, pour Napoléon comme pour ses soldats, une sorte de superstition s'attachait à cette date mémorable. Le temps était d'une sérénité parfaite. Cette belle cavalerie, en apercevant son glorieux chef, poussa des acclamations unanimes, qui allèrent se mêler aux cris de rage que proféraient les Espagnols en nous voyant. Le maréchal Bessières, duc d'Istrie, commandait la cavalerie impériale. Napoléon fait sommer la ville. L'empereur, après avoir considéré un instant la capitale des Espagnes, ordonna à Bessières de dépêcher un officier de son état-major pour la sommer d'ouvrir ses portes. Ce jeune officier eut la plus grande peine à pénétrer. Un boucher de l'Estrémadure, préposé à la garde de l'une des portes, prétendait qu'il ne fallait pas moins que le duc d'Istrie lui-même pour remplir une telle mission. Le général Montbrun qui était présent, ayant voulu repousser cette ridicule prétention, fut obligé de tirer son sabre pour se défendre. L'officier parlementaire, admis dans l'intérieur de la ville, se vit assailli par le peuple, et allait être massacré, lorsque la troupe de ligne, sentant son honneur intéressé à faire respecter les lois de la guerre, lui sauva la vie en l'arrachant aux mains des assassins. La junte chargea un général espagnol de porter sa réponse négative. Mais les chefs de la populace exigèrent que trente hommes du peuple escortassent ce général pour le surveiller, encore plus que pour le protéger, car cette multitude furieuse apercevait des trahisons partout. L'envoyé espagnol, ainsi entouré, parut devant l'état-major impérial, et il fut aisé de deviner, par son attitude embarrassée, sous quelle tyrannie lui et les honnêtes gens de Madrid étaient placés en ce moment. Sur l'observation réitérée que la ville de Madrid ne pourrait pas tenir contre l'armée française, qu'on ne ferait en résistant qu'exposer à être égorgée, à la suite d'un assaut, une population de femmes, d'enfants, de vieillards, le malheureux se taisait en baissant les yeux, car il n'osait, devant les témoins qui l'observaient, laisser percer les sentiments dont il était plein. On le renvoya avec sa triste escorte, en lui déclarant que le feu allait commencer.

Sur le refus de la junte de rendre Madrid, Napoléon fait préparer une première attaque.

Napoléon n'avait encore avec lui que sa cavalerie, et il attendait son infanterie vers la fin du jour. Il fit lui-même à cheval une reconnaissance autour de Madrid, et prépara un plan d'attaque qui pût se diviser en plusieurs actes successifs, de manière à sommer la place entre chacun d'eux, et à la réduire par l'intimidation plutôt que par l'emploi des redoutables moyens de la guerre.

Vers la fin du jour, les divisions Villatte et Lapisse, du corps du maréchal Victor, étant arrivées, il fit ses dispositions pour enlever le Buen-Retiro, qui domine Madrid à l'est, et les portes de los Pozos, de Fuencarral, del Duque, qui le dominent au nord. Le clair de lune était superbe. Dans la soirée, on prit position. Le général Senarmont prépara l'artillerie afin de battre les murs du Buen-Retiro, et tout fut disposé pour un premier acte de vigueur. Préalablement, le général Maison, chargé des portes de los Pozos, de Fuencarral et del Duque, enleva toutes les constructions extérieures sous un feu violent et des mieux ajustés. Mais, parvenu près des portes, il s'y arrêta, attendant le signal des attaques.

Napoléon, avant de commencer, dépêcha encore un officier, celui-ci espagnol et pris à Somo-Sierra. Cet officier était porteur d'une lettre de Berthier, à la fois menaçante et douce, pour le marquis de Castellar, commandant de Madrid. La réponse ne tarda pas à venir: elle était négative, et consistait à dire qu'il fallait, avant de se résoudre, avoir le temps de consulter les autorités et le peuple. Attaque sur le Buen-Retiro et les portes d'Alcala et D'Atocha. Napoléon alors, à la pointe du jour, se plaça de sa personne sur les hauteurs, ayant le Buen-Retiro à gauche, les portes de los Pozos, de Fuencarral, del Duque à droite, et ordonna lui-même l'attaque. Une batterie espagnole bien dirigée ayant couvert de boulets le point où il se trouvait, il fut obligé de s'éloigner un peu. Ce n'était pas en effet sous de tels boulets qu'un tel homme devait tomber. Dès que le brouillard matinal eut fait place au soleil étincelant qui, depuis quelque temps, ne cessait de briller, le général Villatte, chargé d'agir à la gauche, s'avança avec sa division sur le Buen-Retiro. Le général Senarmont ayant renversé à coups de canon les murs de ce beau parc, l'infanterie y entra à la baïonnette, et en eut bientôt délogé quatre mille hommes, bourgeois et gens du peuple, qui avaient eu la prétention de le défendre. La résistance fut presque nulle, et nos colonnes, traversant le Buen-Retiro sans difficulté, débouchèrent immédiatement sur le Prado. Cette superbe promenade s'étend de la porte d'Atocha à celle d'Alcala, et les prend en quelque sorte à revers. Nos troupes s'emparèrent de ces portes et de l'artillerie dont on les avait armées. Puis des compagnies d'élite s'élancèrent sur les premières barricades des rues d'Atocha, de San-Jeronimo, d'Alcala, et les enlevèrent malgré une fusillade des plus vives. Il fallut emporter d'assaut plusieurs palais situés dans ces rues, et passer par les armes les défenseurs qui les occupaient.

Attaque par le général Maison des portes de Fuencarral, del Duque et de San-Bernardino.

À droite, le général Maison, qui avait dû rester toute la nuit sous un feu meurtrier pour conserver des maisons des faubourgs, attaqua les portes de Fuencarral, del Duque, et de San-Bernardino, afin de pénétrer jusqu'à un vaste bâtiment qui servait de quartier aux gardes du corps, et dont les murs, solides comme ceux d'une forteresse, étaient capables de résister au canon. Il réussit à s'introduire dans l'intérieur de la ville, et à entourer de toutes parts le bâtiment des gardes du corps, en essuyant un feu épouvantable. L'artillerie de campagne n'ayant pu faire brèche dans les murs, le général Maison s'avança à la tête d'un détachement de sapeurs pour enfoncer les portes à coups de hache. Mais les matériaux amassés derrière ces portes rendaient impossible de les forcer. Alors le général fit diriger de toutes les maisons voisines une violente fusillade sur ce bâtiment. Il était depuis vingt et une heures au feu, lorsqu'il fut atteint d'une balle qui lui fracassa le pied. Déjà deux cents hommes, morts ou blessés, avaient été abattus devant ce redoutable bâtiment, quand l'empereur ordonna de s'arrêter avant de livrer un assaut général. Il était maître des portes de Fuencarral, del Duque, de San-Jeronimo, attaquées par le général Maison, de celles d'Alcala, d'Atocha, attaquées par le général Villatte, et son artillerie, des hauteurs du Buen-Retiro, suffisait pour réduire bientôt cette malheureuse cité. Nouvelle sommation adressée à la junte de défense. Cependant, à 11 heures du matin, il suspendit l'action, et envoya une nouvelle sommation à la junte de défense, annonçant que tout était prêt pour foudroyer la ville si elle résistait plus long-temps, mais que, prêt à donner un exemple terrible aux villes d'Espagne qui voudraient lui fermer leurs portes, il aimait mieux cependant devoir la reddition de Madrid à la raison et à l'humanité de ceux qui s'en étaient faits les dominateurs.

Réponse plus favorable de la junte à cette dernière sommation.

La prise du Buen-Retiro et des portes de l'est et du nord avait déjà produit une vive sensation sur les défenseurs de Madrid. Pas un homme raisonnable ne doutait des conséquences d'une prise d'assaut. La populace elle-même avait éprouvé aux portes d'Atocha et d'Alcala ce qu'on gagnait à tirer du haut des maisons sur les Français, et la violence des esprits commençait à s'apaiser un peu. La junte de défense en profita pour envoyer Thomas de Morla et don Bernardo Iriarte au quartier général.

Accueil que fait Napoléon à Thomas de Morla, envoyé auprès de lui par la junte de défense.

Napoléon les reçut à la tête de son état-major, et leur montra un visage froid et sévère. Il savait que don Thomas de Morla était ce gouverneur d'Andalousie sous le commandement duquel avait été violée la capitulation de Baylen. Il se promettait de lui adresser un langage qui retentît dans l'Europe entière. Thomas de Morla, intimidé par la présence de l'homme extraordinaire devant lequel il paraissait, et par le courroux visible, quoique contenu, qui se révélait sur ses traits, lui dit que tous les hommes sages dans Madrid étaient convaincus de la nécessité de se rendre, mais qu'il fallait faire retirer les troupes françaises, et laisser à la junte le temps de calmer le peuple et de l'amener à déposer les armes.—«Vous employez en vain le nom du peuple, lui répondit Napoléon d'une voix courroucée. Si vous ne pouvez parvenir à le calmer, c'est parce que vous-même vous l'avez excité et égaré par des mensonges. Rassemblez les curés, les chefs des couvents, les alcades, les principaux propriétaires, et que d'ici à six heures du matin la ville se rende, ou elle aura cessé d'exister. Je ne veux ni ne dois retirer mes troupes. Vous avez massacré les malheureux prisonniers français qui étaient tombés entre vos mains. Vous avez, il y a peu de jours encore, laissé traîner et mettre à mort dans les rues deux domestiques de l'ambassadeur de Russie, parce qu'ils étaient nés Français. L'inhabileté et la lâcheté d'un général avaient mis en vos mains des troupes qui avaient capitulé sur le champ de bataille de Baylen, et la capitulation a été violée. Vous, monsieur de Morla, quelle lettre avez-vous écrite à ce général? Il vous convenait bien de parler de pillage, vous qui, entré en 1795 en Roussillon, avez enlevé toutes les femmes, et les avez partagées comme un butin entre vos soldats! Quel droit aviez-vous d'ailleurs de tenir un pareil langage? La capitulation de Baylen vous l'interdisait. Voyez quelle a été la conduite des Anglais, qui sont bien loin de se piquer d'être rigides observateurs du droit des nations! Ils se sont plaints de la convention de Cintra, mais ils l'ont exécutée. Violer les traités militaires, c'est renoncer à toute civilisation, c'est se mettre sur la même ligne que les Bédouins du désert. Comment donc osez-vous demander une capitulation, vous qui avez violé celle de Baylen? Voilà comme l'injustice et la mauvaise foi tournent toujours au préjudice de ceux qui s'en sont rendus coupables. J'avais une flotte à Cadix, elle était l'alliée de l'Espagne, et vous avez dirigé contre elle les mortiers de la ville où vous commandiez. J'avais une armée espagnole dans mes rangs, j'ai mieux aimé la voir passer sur les vaisseaux anglais, et être obligé de la précipiter du haut des rochers d'Espinosa, que de la désarmer. J'ai préféré avoir neuf mille ennemis de plus à combattre, que de manquer à la bonne foi et à l'honneur. Retournez à Madrid. Je vous donne jusqu'à demain, 6 heures du matin. Revenez alors, si vous n'avez à me parler du peuple que pour m'apprendre qu'il s'est soumis. Sinon, vous et vos troupes, vous serez tous passés par les armes[26]

Reddition de Madrid.

Ces paroles redoutables et méritées firent frémir d'épouvante Thomas de Morla. Revenu auprès de la junte, il ne put dissimuler son trouble, et ce fut don Iriarte qui fut obligé de rendre compte pour lui de la mission qu'ils avaient remplie en commun au quartier général français. L'impossibilité de la résistance était si évidente que la junte elle-même, quoique divisée, reconnut à la majorité qu'il fallait se soumettre. Elle envoya de nouveau Thomas de Morla à Napoléon, pour lui annoncer la reddition de Madrid sous quelques conditions insignifiantes. Pendant cette nuit du 3 au 4, le marquis de Castellar voulut avec ses troupes échapper à la clémence comme à la sévérité du vainqueur. Suivi de ses soldats et de tout ce qu'il y avait de plus compromis, il sortit par les portes de l'ouest et du sud, que les Français n'occupaient point. Entrée des Français dans Madrid, le 4 décembre. Le lendemain, bien que le peuple furieux poussât encore des cris de rage, les gens armés ayant reçu et accepté l'invitation de ne plus résister, les portes de la ville furent livrées au général Belliard. L'armée française s'empara des principaux quartiers, et vint s'établir dans les grands bâtiments de Madrid, particulièrement dans les couvents, aux frais desquels Napoléon exigea qu'elle fût nourrie. Désarmement général des habitants. Il ordonna qu'on procédât à un désarmement général et immédiat. Ensuite, sans daigner entrer lui-même dans Madrid, il alla se loger au milieu de sa garde à Chamartin, dans une petite maison de campagne appartenant à la famille du duc de l'Infantado. Napoléon n'entre point de sa personne à Madrid, et n'y laisse point entrer son frère Joseph. Il prescrivit à Joseph de passer le Guadarrama, et de venir résider, non à Madrid, mais en dehors, à la maison royale du Pardo, située à deux ou trois lieues. Son intention était de faire trembler Madrid sous une occupation militaire prolongée, avant de lui rendre le régime civil avec la nouvelle royauté. Sa conduite en cette circonstance fut aussi habile qu'énergique.

Moyens d'intimidation employés à l'égard des Espagnols.

Il voulait, sans employer la cruauté, mais seulement l'intimidation, placer la nation entre les bienfaits qu'il lui apportait et la crainte de châtiments terribles contre ceux qui s'obstineraient dans la rébellion. Il avait déjà ordonné la confiscation des biens des ducs de l'Infantado, d'Ossuna, d'Altamira, de Medina-Celi, de Santa-Cruz, de Hijar, du prince de Castel-Franco, de M. de Cevallos. Ces deux derniers étaient punis pour avoir accepté du service sous Joseph, et l'avoir ensuite abandonné. Napoléon était résolu à user d'une sévérité toute particulière envers ceux qui passeraient d'un camp dans un autre, et qui, à la résistance, en soi fort légitime, ajouteraient la trahison, qui ne l'était pas. Le prince de Castel-Franco, le duc de l'Infantado n'avaient été que faibles, M. de Cevallos avait agi comme un traître. Aussi l'ordre était-il donné de l'arrêter partout où on le trouverait. Mais celui-ci s'étant enfui, Napoléon fit saisir MM. de Castel-Franco et de Santa-Cruz, qui n'avaient pas eu le temps de se dérober. Il fit saisir également et déférer à une commission militaire le duc de Saint-Simon, qui, étant Français d'origine, avait encouru la peine de ceux qui servent contre leur patrie. Son projet n'était pas de sévir, mais d'intimider, en envoyant temporairement dans une prison d'État les hommes qu'il faisait arrêter et condamner. Il fit arrêter aussi et conduire en France les présidents et procureurs royaux du conseil de Castille. Il traita de même quelques-uns des meneurs populaires qui avaient trempé dans l'assassinat des soldats français et des personnages espagnols victimes des fureurs de la populace. En même temps il ordonna de nouveau le désarmement le plus complet et le plus général. Il exigea, comme nous l'avons dit, que les couvents reçussent une partie de l'armée, et la nourrissent à leurs frais.

Aux sévérités envers quelques individus, Napoléon ajoute des mesures qui doivent être des bienfaits pour la nation entière.

Tandis qu'il déployait ces rigueurs apparentes, il voulut frapper la masse de la nation espagnole par l'idée des bienfaits qui devaient découler de la domination française. En conséquence il décida par une suite de décrets la suppression des lignes de douanes de province à province, la destitution de tous les membres du conseil de Castille, et le remplacement immédiat de ce conseil au moyen de l'organisation de la cour de cassation, l'abolition du tribunal de l'inquisition, la défense à tout individu de posséder plus d'une commanderie, l'abrogation des droits féodaux, et la réduction au tiers des couvents existant en Espagne.

Le désir de ménager le clergé et la noblesse l'avait d'abord porté à hésiter sur l'opportunité de ces grandes mesures, quand il était encore à Bayonne, occupé de préparer la Constitution espagnole. Mais depuis l'insurrection générale, la difficulté étant devenue aussi grave qu'on pouvait l'imaginer, il n'avait plus de ménagements à garder avec telle ou telle classe, et il ne devait plus songer qu'à conquérir par de sages institutions la partie saine et intelligente de la nation, laissant au temps et à la force le soin de lui en ramener le reste.

Moyens employés par Napoléon pour faire désirer Joseph avant de le rendre aux Espagnols.

Ces décrets promulgués, il déclara aux diverses députations qui lui furent présentées, qu'il n'avait pas, quant à lui, à entrer dans Madrid, n'étant en Espagne qu'un général étranger, commandant une armée auxiliaire de la nouvelle dynastie; que, quant au roi Joseph, il ne le rendrait aux Espagnols que lorsqu'il les croirait dignes de le posséder par un retour sincère vers lui; qu'il ne le replacerait pas dans le palais des rois d'Espagne pour l'en voir expulsé une seconde fois; que si les habitants de Madrid étaient résolus à s'attacher à ce prince par l'appréciation plus éclairée de tout le bien que leur promettait une royauté nouvelle, il le leur rendrait, mais après que tous les chefs de famille, rassemblés dans les paroisses de Madrid, lui auraient prêté sur les saints Évangiles serment de fidélité; que sinon, il renoncerait à imposer aux Espagnols une royauté dont ils ne voulaient pas; mais que, les ayant conquis, il userait à leur égard des droits de la conquête, qu'il disposerait de leur pays comme il lui conviendrait, et probablement le démembrerait, en prenant pour lui-même ce qu'il croirait bon d'ajouter au territoire de la France.

Napoléon commence à organiser une armée espagnole pour le compte de Joseph.

Il s'occupa en outre de former un commencement d'armée à son frère Joseph. Il lui ordonna de réunir en un régiment de plusieurs bataillons tous les Allemands, Napolitains et autres étrangers qui servaient depuis long-temps en Espagne, et qui ne demandaient pas mieux que de retrouver une solde. Ce régiment devait s'appeler Royal-Étranger, et s'élever à environ 3,200 hommes. Il ordonna de réunir les Suisses espagnols qui étaient restés fidèles, ou qui étaient portés à revenir à Joseph, en un régiment qui s'appellerait Reding, parce qu'il y avait un officier de ce nom qui s'était bien conduit. On pouvait espérer que ce régiment serait de 4,800 hommes. Il prescrivit de réunir sous le nom de Royal-Napoléon tous les soldats espagnols qui avaient embrassé la cause de Joseph, au nombre présumé de 4,800, et enfin, sous le nom de garde royale, les Français qui après Baylen avaient pris du service sous Castaños pour échapper à la captivité. On supposait que, joints à des conscrits tirés de Bayonne, ils présenteraient un effectif de 3,200 hommes. C'était un premier noyau de 16 mille soldats qui pourraient avoir de la valeur, si on les payait bien, et si on s'occupait de leur organisation.

Après avoir pris ces mesures, Napoléon en attendit l'effet, persistant à demeurer de sa personne à Chamartin, et à laisser Joseph dans la maison de plaisance du Pardo, où celui-ci vivait séparé, et entouré de toute l'étiquette royale, sans avoir à s'incliner devant la souveraineté supérieure de l'empereur des Français. En attendant que les Espagnols le comprissent, Napoléon continua à faire ses dispositions militaires pour l'entière conquête de la Péninsule.

Opérations militaires de Napoléon à la suite de l'occupation de Madrid.

Il avait amené à Madrid le corps du maréchal Victor, composé des divisions Lapisse, Villatte et Ruffin, la garde impériale, et la plus grande masse des dragons. Sur le bruit que le corps de Castaños se retirait par Calatayud, Siguenza et Guadalaxara vers Madrid, il avait envoyé au pont d'Alcala la division Ruffin avec une brigade de dragons. Ce corps de Castaños, en effet, poursuivi à outrance par le général Maurice-Mathieu à la tête des divisions Musnier et Lagrange et des lanciers polonais, abordé vivement à Bubierca, où il avait essuyé des pertes considérables, se repliait en désordre sur Guadalaxara, ne comptant pas plus de 9 à 10 mille hommes, au lieu de 24 qu'il comptait à Tudela. Il avait passé du commandement de Castaños, destitué par la junte, au commandement du général de la Peña. Ballotté ainsi de chefs en chefs, aigri par la défaite et la souffrance, il s'était révolté, et avait pris définitivement pour général le duc de l'Infantado, sorti secrètement, comme on l'a vu, de Madrid, afin d'amener des renforts aux défenseurs de la capitale. Le corps de Castaños, passé sous le commandement du duc de l'Infantado, est définitivement rejeté sur Cuenca. L'entrée des Français à Madrid, et la présence de la division Ruffin avec les dragons au pont d'Alcala, ne laissaient pas d'autre ressource à cette ancienne armée du centre que la retraite sur Cuenca. Elle ne courait risque d'y être inquiétée que lorsque les Français prendraient la résolution de marcher sur Valence, ce qui ne pouvait être immédiat.

Les restes de l'armée d'Estrémadure sont rejetés au delà de Talavera.

Napoléon voyant s'éloigner l'armée du centre aux trois quarts dispersée, avait abandonné aux dragons le soin de ramasser les traînards, et avait ramené à lui la division Ruffin, du corps de Victor, destinant ce corps à marcher sur Aranjuez et Tolède, à la poursuite de l'armée de l'Estrémadure. Il voulait, après avoir assuré sa gauche en rejetant sur Cuenca l'ancienne armée de Castaños, assurer sa droite en poussant au delà de Talavera les débris de l'armée d'Estrémadure, qui avaient combattu à Burgos et à Somo-Sierra. Il fit partir les divisions Ruffin et Villatte, précédées par la cavalerie légère de Lasalle et les dragons de Lahoussaye, et conserva dans Madrid la division Lapisse et la garde impériale. Lasalle courut sur Aranjuez et Tolède, les dragons coururent sur l'Escurial pour refouler les restes désordonnés de l'armée d'Estrémadure. Cette armée était déjà en déroute en commençant sa retraite. Ce fut bien pis encore lorsqu'elle sentit la pointe des sabres de nos cavaliers. Elle ne présentait plus que des bandes confuses qui, à l'exemple de toutes les troupes incapables de se battre, se vengèrent sur leurs chefs de leur propre lâcheté. L'infortuné don Benito San Juan, qui n'avait quitté que le dernier, et tout sanglant, le champ de bataille de Somo-Sierra, fut leur première victime. Il avait, avec les fugitifs de Somo-Sierra, rejoint à Ségovie ce qui subsistait encore du détachement de Sepulveda et des troupes battues à Burgos par le maréchal Soult. Ces divers rassemblements, après s'être un moment rapprochés de Madrid par la route de Ségovie à l'Escurial, s'enfuirent sur Tolède en apprenant la reddition de la capitale. La garnison de Madrid, sortie avec le marquis de Castellar, se réunit à eux. Leur indiscipline passait toute croyance. Ils pillaient, ravageaient, beaucoup plus que les vainqueurs, ce pays qui était le leur, et qu'ils avaient mission de défendre. Les chefs, saisis de honte et de douleur à un tel spectacle, voulurent mettre quelque ordre dans cette retraite, et épargner aux habitants les horribles traitements auxquels ils étaient exposés. Mais les misérables qu'on cherchait à contenir se mirent à accuser leurs officiers de les avoir trahis. Massacre par ses soldats du brave don Benito San Juan. Le brave don Benito San Juan, le plus sévère, parce qu'il était le plus brave, devint l'objet de leur fureur. Ayant voulu à Talavera les réprimer, il fut assailli dans une modeste cellule qui lui servait de logement, traîné sur la voie publique, pendu à un arbre, où, durant plusieurs heures, ces monstres, qui ne l'avaient pas suivi au combat, le criblèrent de leurs balles. Tels étaient les hommes auxquels l'Espagne, dans son aveuglement patriotique, confiait sa défense contre une royauté qui avait à ses yeux le tort d'être étrangère.

Le général Lasalle, toujours au galop à la tête de ses escadrons, arrivé bientôt à Talavera, rejeta jusqu'au pont d'Almaraz sur le Tage ces bandes indisciplinées. Ce pont, autour duquel les Espagnols avaient élevé quelques ouvrages, ne pouvait être emporté que par de l'infanterie. Le général Lasalle s'y arrêta, en attendant que les ordres de l'Empereur prescrivissent de nouvelles opérations dans le midi de la Péninsule.

Embarras de l'armée anglaise depuis l'entrée de Napoléon dans Madrid.

Tandis que les armées espagnoles étaient refoulées de la sorte, celle de Palafox sur Saragosse, celle de Castaños sur Cuenca, celle d'Estrémadure sur Almaraz, celle de Blake sur Léon et les Asturies, et que nous étions ainsi en quelques jours redevenus maîtres d'une moitié de l'Espagne, les Anglais, auxquels on avait promis qu'ils ne viendraient que pour recueillir des trophées, et compléter tout au plus une victoire assurée, se trouvaient dans le plus cruel embarras, car ils n'avaient pu réussir jusqu'ici à rassembler leurs divers détachements en un seul corps d'armée. L'unique progrès qu'ils eussent fait sous ce rapport, c'était de réunir à l'infanterie, amenée par Ciudad-Rodrigo et Salamanque, l'artillerie et la cavalerie venues par Badajoz et Talavera, sous la conduite du général Hope. Celui-ci avait même un moment failli tomber au milieu des escadrons de Lasalle, s'était dérobé par une marche habile dans les montagnes, et avait enfin, par Avila, rejoint son général en chef vers Salamanque. Après cette jonction le général Moore comptait environ 19 mille hommes. Mais il lui restait une dernière jonction à opérer: c'était celle de David Baird, arrivé par la Corogne à Astorga, avec environ 11,000 hommes. Plus que jamais le général anglais songeait à se retirer, car ce n'était pas avec 30,000 hommes qu'il pouvait tenir tête aux Français, les armées espagnoles étant partout anéanties. Le désir de se soustraire au danger, et de rallier sir David Baird, lui avait inspiré la salutaire pensée d'abandonner la ligne de retraite du Portugal pour adopter celle de la Galice, ce qui lui procurait le double avantage d'augmenter sa force d'un tiers, et de se rapprocher d'un bon port d'embarquement. Il inclinait donc à marcher par Toro sur Benavente, en ordonnant à David Baird d'y marcher par Astorga. (Voir la carte no 43.) Il se donnait de plus, en agissant ainsi, l'apparence de menacer les communications des Français, puisqu'il n'avait qu'un pas à faire pour être à Valladolid, même à Burgos, tandis qu'en réalité il était sur la route de la Corogne, c'est-à-dire de la mer, son refuge le plus sûr. Grâce à ce mouvement, il assurait sa retraite, il semblait en même temps faire quelque chose pour la cause espagnole, et se ménageait une réponse aux instances de M. Frère, qui, devenu le séide du gouvernement insurrectionnel, reprochait sans cesse à l'armée anglaise de ne point agir. Le malheureux John Moore, qui était sage et brave, qui avait l'habitude de la guerre méthodique, auquel on avait promis un accueil enthousiaste, des ressources de tout genre, des victoires faciles, et qui trouvait les Espagnols abattus, fuyant en tous sens, pouvant à peine se nourrir eux-mêmes, était dans un état de surprise, de mécontentement, de dégoût, impossible à décrire, et ne voyait de sûreté qu'à battre en retraite par la route la plus courte. Du reste, il ne dissimulait à son gouvernement aucune de ces fâcheuses vérités.

Napoléon dans le commencement ne s'était pas occupé des Anglais, quoiqu'il sût bien qu'il en venait un certain nombre de Lisbonne et de la Corogne, parce qu'il voulait d'abord anéantir les armées espagnoles, parce qu'il voulait ensuite laisser l'armée britannique s'enfoncer dans l'intérieur de la Péninsule, pour être plus assuré de l'envelopper et de la prendre. Cependant, quelque bien conçue que fût cette pensée, s'il avait pu connaître à quel point l'armée anglaise était dispersée et décontenancée, il aurait mieux fait encore de fondre sur elle, et de détruire Moore à Salamanque, Hope dans les montagnes d'Avila. Napoléon s'occupe enfin des Anglais, et amène à Madrid les forces nécessaires pour opérer contre eux. Mais on ne sait pas tout à la guerre, on ne sait que ce qu'on devine d'après certains indices, et Napoléon en avait trop peu ici pour conjecturer avec exactitude la situation des Anglais; ce qui n'avait rien d'étonnant, puisque Moore, au milieu d'un peuple ami, ignorait complétement lui-même les mouvements de l'armée française. Napoléon toutefois, ayant appris, par les courses de sa cavalerie sur Talavera, que les Anglais étaient entre Talavera, Avila, Salamanque, et que du Tage ils s'élevaient à la hauteur du Duero, sentit que le moment était venu d'agir contre eux, et il disposa tout pour réunir les forces nécessaires à leur complète destruction.

Le maréchal Lefebvre porté de Valladolid à Talavera.

Il ordonna au maréchal Lefebvre de se porter de Valladolid sur Ségovie, et de descendre de Ségovie sur l'Escurial, ce qui le plaçait presque à Madrid. Son intention était de lui faire prendre la position de l'Escurial, Tolède et Talavera, afin de ramener à Madrid le corps du maréchal Victor. Le maréchal Lefebvre venait enfin de recevoir la division polonaise, restée jusque-là en arrière, et les Hollandais laissés quelque temps sur le rivage de la Biscaye. Avec les dragons Milhaud et la cavalerie de Lasalle, il allait former la droite de l'armée sur Talavera. Il comptait alors environ 15 mille hommes.

Napoléon, en se préparant à aborder l'armée anglaise, dont il connaissait la solidité, voulait avoir sous la main l'un de ses meilleurs corps, conduit par l'un de ses lieutenants les plus énergiques. Le maréchal Ney amené à Madrid. Ce corps, c'était le 6e; ce chef, c'était le maréchal Ney. Il avait reproché au maréchal Ney la lenteur de sa marche sur Soria, et tenait à le dédommager de ce reproche en lui donnant les Anglais à battre. Il l'avait déjà rappelé de Saragosse sur Madrid, et lui avait confié la mission de pousser, chemin faisant, Castaños l'épée dans les reins. Il lui prescrivit de hâter sa marche, afin qu'il pût se reposer un instant à Madrid, avant de se reporter à droite sur le Tage ou le Duero.

Napoléon allait donc réunir à Madrid même les corps de Victor, Lefebvre, Ney, la garde impériale, une masse de cavalerie considérable; ce qui le mettrait bientôt en mesure de frapper un coup décisif. Le 5e corps envoyé devant Saragosse. L'appel du maréchal Ney avec le 6e corps tout entier, y compris la division Lagrange, qui avait été jointe passagèrement au maréchal Moncey pour la journée de Tudela, réduisait ce dernier à l'impossibilité de continuer le siége de Saragosse, car il n'avait plus assez de forces pour tenir la campagne en attaquant la ville. Napoléon donna l'ordre au maréchal Mortier de se détourner avec le 5e corps, et d'aller prendre position sur l'Èbre, afin de couvrir le siège de Saragosse, en laissant toutefois au maréchal Moncey le soin exclusif des attaques.

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