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Histoire du Consulat et de l'Empire, (Vol. 09 / 20): faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française

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Force des Français devant Saragosse.

Si on met à part les 8 mille hommes de la division Gazan, se bornant à observer le faubourg de la rive gauche, et les 9 mille de la division Suchet placés à Calatayud, le général Junot, qui venait de prendre le commandement en chef, avait pour assiéger cette place, gardée par quarante mille défenseurs, 14 mille fantassins, 2 mille artilleurs ou soldats du génie, 2 mille cavaliers, tous, jeunes et vieux, Français et Polonais, tous soldats admirables, conduits par des officiers sans pareils, comme on va bientôt en juger.

Officiers du génie chargés de diriger les travaux du siége.

Le commandant du génie était le général Lacoste, aide de camp de l'Empereur, officier d'un grand mérite, actif, infatigable, plein de ressources, secondé par le colonel du génie Rogniat, et le chef de bataillon Haxo, devenu depuis l'illustre général Haxo. Une quarantaine d'officiers de la même arme, remarquables par la bravoure et l'instruction, complétaient ce personnel. Le général Lacoste n'avait pas perdu pour les travaux de son arme le mois écoulé en allées et venues de troupes, et il avait fait transporter de Pampelune à Tudela par terre, de Tudela à Saragosse, par le canal d'Aragon, 20 mille outils, 100 mille sacs à terre, 60 bouches à feu de gros calibre. Il avait en même temps employé les soldats du génie à construire plusieurs milliers de gabions et de fascines. Le général d'artillerie Dedon l'avait parfaitement assisté dans ces diverses opérations.

Ouverture de la tranchée dans la nuit du 29 au 30 décembre.

Du 29 au 30 décembre, tandis que Napoléon poursuivait les Anglais au delà du Guadarrama, tandis que les maréchaux Victor et Lefebvre rejetaient les Espagnols dans la Manche et l'Estrémadure, et que le général Saint-Cyr venait de se rendre maître de la campagne en Catalogne, le général Lacoste, d'accord avec le général Junot, ouvrit la tranchée à 160 toises de la première ligne de défense, qui consistait, comme on vient de le voir, en couvents fortifiés, en portions de muraille terrassée, en une partie du lit de la Huerba. (Voir la carte no 45.) Trois attaques, dont une simulée et deux sérieuses. Il avait fait adopter le projet de trois attaques: la première à gauche, devant le château de l'Inquisition, confiée à la division Morlot, mais celle-là plutôt comme diversion que comme attaque réelle: la seconde au centre, devant Santa-Engracia et la tête de pont de la Huerba, confiée à la division Musnier, celle-ci destinée à être très-sérieuse; la troisième enfin à droite, devant le formidable couvent de Saint-Joseph, confiée à la division Grandjean, et la plus sérieuse des trois, parce que, Saint-Joseph pris, elle devait conduire au delà de la Huerba, sur la partie la moins forte de la muraille d'enceinte, et sur un quartier par lequel on espérait atteindre le Cosso, vaste voie intérieure qui traverse la ville tout entière, et qui ressemble fort au boulevard de Paris. La tranchée hardiment ouverte, on procéda au plus tôt à perfectionner la première parallèle, et on chemina vers la seconde, dans le but de s'approcher du couvent de Saint-Joseph à droite, de la tête de pont de la Huerba au centre.

Ouverture de la seconde parallèle, le 2 janvier 1809.

Le 31 décembre, une sortie tentée par les troupes régulières de la garnison fut vivement repoussée. Ce n'était pas en rase campagne que les Espagnols pouvaient retrouver leur vaillance naturelle. Le 2 janvier, on ouvrit la seconde parallèle. Les jours suivants furent employés à disposer en plusieurs batteries trente bouches à feu déjà arrivées, afin de ruiner la tête de pont de la Huerba ainsi que le château de Saint-Joseph, et de contre-battre aussi l'artillerie ennemie placée en arrière de cette première ligne de défense. Pendant ces travaux, auxquels concouraient plus de deux mille travailleurs par jour, sous la direction des soldats du génie, les assiégés envoyaient dans nos tranchées une grêle de pierres et de grenades, lancées avec des mortiers. Nous y répondions par le feu de nos tirailleurs postés derrière des sacs à terre, et tirant avec une grande justesse sur toutes les embrasures de l'ennemi.

Le 10, nos batteries étant achevées commencèrent à tirer, les unes directement, les autres de ricochet, contre la tête de pont de la Huerba, et le couvent de Saint-Joseph. Quoique l'artillerie espagnole fût bien servie, la supériorité de la nôtre réussit bientôt à éteindre son feu, et à ouvrir vers l'attaque de droite une large brèche au couvent de Saint-Joseph, vers l'attaque du centre un commencement de brèche à la tête de pont de la Huerba. Celle-ci n'étant pas praticable, on différa de lui donner l'assaut; mais on ne voulut pas différer au couvent de Saint-Joseph, parce que c'était possible, et qu'il devait résulter de la prise de ce couvent une grande accélération dans les approches. Le feu ayant continué jusqu'au 11 janvier à quatre heures du soir, et à cette heure la brèche étant tout à fait praticable, on s'avança hardiment pour tenter l'assaut du couvent. Assaut donné le 11 janvier au couvent de Saint-Joseph. Dans ce moment même, l'ennemi exécutait une sortie qui fut repoussée au pas de course, et de la défense on passa immédiatement à l'attaque. Ce furent les voltigeurs et grenadiers de deux vieux régiments, les 14e et 44e de ligne, qu'on chargea de cette entreprise difficile, avec deux bataillons des régiments de la Vistule. Un officier, chef de bataillon dans le 14e, nommé Stahl, et juste objet de l'admiration de l'armée, les commandait. Le couvent, ouvrage de forme carrée, s'appuyait à la Huerba. L'ennemi y avait placé trois mille hommes.

À l'heure dite, pendant que le chef de bataillon Haxo, avec quatre compagnies d'infanterie et deux pièces de 4, marche à découvert hors des tranchées, et vient prendre à revers le couvent de Saint-Joseph, en enfilant de son feu la face qui est adossée au lit de la Huerba, ce qui épouvante les défenseurs et en décide un bon nombre à repasser la rivière, le chef de bataillon Stahl s'avance de front jusqu'au bord du fossé, pour s'élancer ensuite sur la brèche. Mais les décombres de la muraille n'avaient pas rempli le fossé, qui était profond de 18 pieds, et taillé à pic, car les terres sèches et solides en Espagne se soutiennent sans talus ni maçonnerie. L'intrépide Junot, qui assistait lui-même à l'opération, avait pourvu ses grenadiers de quelques échelles. Les uns s'en servent pour descendre dans ce fossé, les autres y sautent sans aucune précaution, puis, guidés par le brave Stahl, courent à la brèche, sous une pluie de feu. Mais ils ont beaucoup de peine à la gravir. Tandis qu'ils tentent ce périlleux effort, un officier du génie, Daguenet, à la tête de quarante voltigeurs, parcourt le fond du fossé, tourne à gauche le long de la face latérale, et aperçoit un pont jeté sur le fossé conduisant dans l'intérieur de l'ouvrage. Il y monte avec ses quarante hommes, et, se ruant sur la garnison du couvent, facilite au chef de bataillon Stahl l'entrée par la brèche. On passe par les armes ou l'on noie 300 Espagnols restés les derniers, on en prend 40.

Cette opération, qui avait exigé tout au plus une demi-heure, nous avait coûté 30 morts et 150 blessés, presque tous grièvement, ce qui prouvait assez, vu le peu de développement de l'ouvrage attaqué, l'énergie de l'action.

À peine en possession du couvent, on travailla à s'y loger solidement, à l'abri des retours offensifs de l'ennemi et des feux nombreux de la place, qui, à mesure que nous approchions, vomissait avec plus d'abondance les grenades, les bombes et la mitraille. Chaque journée nous coûtait de 40 à 50 hommes hors de combat, et atteints en général de blessures très-graves.

Assaut donné le 16 janvier à la tête de pont de la Huerba.

Le 16, la brèche étant reconnue praticable à la tête de pont de la Huerba, on résolut l'assaut, et quarante voltigeurs polonais, conduits par des officiers et des soldats du génie, s'élancèrent sur l'ouvrage. Ils le gravirent rapidement, les uns avec leurs mains, les autres avec des échelles. Pendant qu'ils y montaient, une mine préparée par l'ennemi fit tout à coup explosion, mais sans blesser aucun de nos soldats, qui restèrent en dehors des atteintes de ce volcan. Parvenus à s'introduire dans la tête de pont, ils en expulsèrent les défenseurs, lesquels repassèrent la Huerba en faisant sauter le pont.

Le couvent de Saint-Joseph, adossé à la Huerba, étant pris à droite, la tête de pont de la Huerba étant emportée au centre, nous nous trouvions maîtres de la ligne des ouvrages extérieurs sur une moitié de leur développement. Travaux pour franchir la Huerba aux deux attaques principales. C'était le plus important, car les opérations de la gauche n'avaient que la valeur d'une démonstration. Il s'agissait dès lors de franchir la Huerba sur les deux points par lesquels on y touchait, de jeter des ponts couverts d'épaulements sur cette rivière étroite mais profondément encaissée, de battre en brèche les portions d'enceinte qui s'étendaient au delà, et qui s'appuyaient au couvent de Santa-Engracia d'un côté, à celui des Augustins de l'autre. Il fallait enfin élever de nouvelles batteries pour les opposer à celles de la ville, qui devenaient en approchant plus nombreuses et plus meurtrières. C'est à quoi on employa l'intervalle du 16 au 21 janvier.

Souffrances chez les assiégés et les assiégeants.

Pendant ce temps les souffrances s'aggravaient au dedans parmi les assiégés, au dehors parmi les assiégeants. La masse d'habitants réfugiés dans la ville, les blessés, les malades accumulés, y avaient fait naître une épidémie. Tous les jours une grêle de projectiles augmentait le nombre des victimes du siége, même parmi ceux qui ne prenaient point part à la défense. Mais une populace furieuse, fanatisée par les moines, comprimait les habitants paisibles, aux yeux desquels cette résistance sans espoir n'était qu'une barbarie inutile. Les potences dressées dans les principales rues prévenaient tout murmure. On inventait d'ailleurs toutes sortes de nouvelles pour soutenir le courage des assiégés. On disait Napoléon battu par les Anglais, le maréchal Soult par le marquis de La Romana, le général Saint-Cyr par le général Vivès. On promettait de plus l'arrivée d'une puissante armée de secours, et à ces nouvelles, annoncées au son du tambour par des crieurs publics, éclataient des vociférations sauvages, qui venaient retentir jusque dans notre camp.

Efforts des frères Palafox pour obliger le pays environnant à se lever en masse.

Ce que nous avons raconté des événements généraux de cette guerre suffit pour qu'on puisse apprécier la véracité de ces bruits, répandus à dessein par Palafox et les moines dont il suivait les inspirations. Ces récits, du reste, n'étaient pas complètement faux, car les deux frères de Joseph Palafox, le marquis de Lassan et François Palafox, étaient sortis avec des ordres terribles pour faire lever le pays dans tous les sens, jusqu'à Tudela d'un côté, jusqu'à Calatayud, Daroca, Teruel et Alcañiz de l'autre. Tous les hommes en état de porter les armes étaient sommés de les prendre, et, dans la proportion d'un sur dix, devaient s'avancer sous la conduite d'officiers choisis, pour former une armée de déblocus. Chaque village était obligé de payer et de nourrir les hommes qui marcheraient. Ceux qui ne marcheraient pas devaient détruire nos convois, tuer nos malades, et affamer notre camp. Ces ordres étaient donnés sous menace des peines les plus sévères en cas d'inexécution.

Cruelles privations des soldats français.

Il faut reconnaître que les Aragonais avaient mis un zèle tout patriotique à les exécuter. Déjà vingt ou trente mille hommes se remuaient du côté d'Alcañiz sur la rive droite de l'Èbre, et du côté de Zuera, la Perdiguera, Liciñena, sur la rive gauche. Malgré les efforts de notre cavalerie, la viande n'arrivait pas, vu que les moutons acheminés sur notre camp étaient arrêtés en route. Nos soldats, manquant de viande pour faire la soupe, n'ayant souvent qu'une ration incomplète de pain, supportaient de cruelles privations sans murmurer, et entrevoyaient sans fléchir un ou deux mois encore d'un siége atroce. Ils étaient tristes toutefois, en songeant à leur petit nombre, en considérant que toutes les difficultés du siége pesaient sur 14 mille d'entre eux, tandis que les 8 mille fantassins de Gazan se bornaient à bloquer le faubourg de la rive gauche, et que les 9 mille de Suchet vivaient en repos à Calatayud. Déjà plus de douze cents avaient succombé aux fatigues ou au feu. On les transportait, dès qu'ils étaient atteints de blessures ou de maladies, à l'hôpital d'Alagon, hôpital infect, où il n'y avait que du linge pourri, sans vivres ni médicaments. Le général Harispe, envoyé pour en faire l'inspection, et s'y montrant humain comme un héros, punit sévèrement les administrateurs coupables de tant de négligence, réorganisa cet établissement avec soin, et procura au moins à nos soldats la consolation de n'être pas plus mal à l'hôpital qu'à la tranchée. Arrivée du maréchal Lannes au camp des assiégeants. Le 21, arriva enfin l'illustre maréchal Lannes, qui approchait alors du terme de sa carrière héroïque, car on était en janvier 1809, à quelques mois de la terrible journée d'Essling, et sa présence était propre à soutenir le moral du soldat, et à lui rendre la confiance s'il l'avait perdue. Le général Junot le charmait par sa bravoure, mais il fallait un chef qui, prenant sur lui de modifier les ordres de l'Empereur, fît concourir toutes les forces françaises au succès du siège. C'est à cela que le maréchal Lannes fut d'abord utile.

Le maréchal Lannes, modifiant les ordres de l'Empereur, fait concourir le 5e corps à l'attaque de Saragosse, et à la dispersion des insurgés extérieurs.

Il commença, grâce à son commandement supérieur, par faire concourir le 5e corps à la prise de la place, et à la répression des troubles extérieurs qui contribuaient à affamer notre camp. Il ordonna au général Gazan, posté avec sa division devant le faubourg de la rive gauche, d'entreprendre l'attaque en règle de ce faubourg. Cet asile une fois enlevé aux habitants, ils devaient être refoulés dans l'intérieur de la ville, et y augmenter l'encombrement, tandis que nous aurions le moyen de la foudroyer de la rive gauche de l'Èbre. Il lui donna un excellent officier du génie, le colonel Dode, pour diriger cette opération.

Le maréchal Lannes prescrivit ensuite au maréchal Mortier de quitter sa position de Calatayud où il ne rendait pas de services, aucune force ennemie ne pouvant venir du côté de Valence, et de passer sur la rive gauche de l'Èbre, pour y dissiper les rassemblements qui nous inquiétaient.

Opérations du maréchal Mortier contre les insurgés extérieurs.

Le maréchal Mortier, exécutant les ordres qu'il avait reçus, franchit l'Èbre le 23, et laissant le 40e de ligne pour appuyer la division Morlot, qui était la plus faible du corps de siège, s'avança avec les 34e, 64e, 88e de ligne, le 10e de hussards, le 21e de chasseurs, et dix bouches à feu, sur la route de la Perdiguera. Il trouva en position à Liciñena, sur le penchant des montagnes, la plus grande partie d'un corps de quinze mille hommes, qui arrivait du nord de l'Aragon au secours de la capitale assiégée. Ce rassemblement se composait de troupes de ligne et de paysans. On y comptait des détachements des régiments de Savoie, de Prado et d'Avila, des bataillons de Jaca, des chasseurs de Palafox, et d'autres troupes d'ancienne et nouvelle formation. Le maréchal Mortier fit aborder les Espagnols par le 64e de ligne, qui marcha sur eux de front, avec l'aplomb et la résolution de nos vieilles bandes, tandis que les 34e et 88e de ligne, les tournant par les hauteurs, les rabattaient dans la plaine. Les Espagnols ne tinrent pas devant cette double attaque, et s'enfuyant à toutes jambes dans la plaine, ils vinrent passer à portée du 10e de chasseurs, qui fondit au galop sur cette masse de fuyards, et les sabra impitoyablement. Quinze cents restèrent sur la place. Nous prîmes six pièces de canon et deux drapeaux. Dans le même moment, l'adjudant commandant Gasquet s'étant porté, avec trois bataillons de la division Gazan, sur la route de Zuera, parallèlement au maréchal Mortier, culbutait environ trois mille Espagnols du même corps, et leur prenait des hommes et du canon. Le maréchal Mortier, après avoir repoussé pour tout le reste du siége les levées du nord de l'Aragon, descendit l'Èbre jusqu'à Pina, avec ordre de balayer les insurgés, de ménager les villages soumis, de brûler les villages insoumis, et d'acheminer du bétail sous l'escorte de la cavalerie vers le camp de l'armée assiégeante.

Tandis que le maréchal Mortier nettoyait la rive gauche, le général Junot avait envoyé le général Wathier, commandant la cavalerie du 3e corps, avec 1,200 hommes d'infanterie d'élite et 600 cavaliers, pour disperser un rassemblement formé des insurgés de quatre-vingts communes, lesquelles relevaient de la juridiction d'Alcañiz. Ils étaient retranchés dans la ville d'Alcañiz, qu'ils avaient barricadée et crénelée. Le général Wathier les chargeant dans cette position, comme il aurait pu le faire en plaine, à la tête de ses cavaliers, les aborda si brusquement qu'il entra pêle-mêle avec eux dans la ville d'Alcañiz, força toutes les barricades, et passa au fil de l'épée plus de six cents de ces malheureux. Les autres furent poursuivis par nos cavaliers, et se sauvèrent chez eux. La ville fut pillée, et tout le bétail ramassé dans les campagnes environnantes dirigé sur Saragosse.

Grâce à ces diverses expéditions, l'armée assiégeante n'eut plus rien à craindre pour ses derrières. Cependant elle ne reçut de moutons que ceux qui étaient bien escortés, et la viande resta fort rare dans notre camp.

Continuation des travaux autour de la place.

Pendant que le maréchal Lannes faisait exécuter ces opérations aux environs de Saragosse, les travaux du génie, poussés avec une extrême activité par le général Lacoste, par ses lieutenants Rogniat et Haxo, permettaient enfin de donner l'assaut général, après lequel on devait se trouver dans la ville, et en mesure de commencer la terrible guerre des maisons.

Passage de la Huerba au moyen de ponts de chevalets couverts d'épaulements.

À l'attaque de droite on avait jeté deux ponts de chevalets, couverts d'épaulements, sur la Huerba, en avant du couvent de Saint-Joseph, conquis par l'assaut du 11 janvier. La Huerba franchie sur ce point, on avait cheminé vers une huilerie, dont le bâtiment isolé était contigu au mur de la ville. Un peu à gauche, on avait conduit un boyau de tranchée vers un autre point de ce même mur. Deux assauts devaient être livrés en ces deux endroits, dès que le canon y aurait fait des brèches praticables.

À l'attaque du centre, on avait renoncé à se servir de la tête de pont de la Huerba, enlevée aux assiégés, à cause des feux qui la flanquaient. On avait passé la Huerba dans un coude au-dessous, vis-à-vis le couvent de Santa-Engracia, au saillant même de l'angle que la ville formait de ce côté. Une batterie de brèche, dirigée sur le couvent, devait rendre ses murailles accessibles à une colonne d'assaut. Maîtres de ces diverses brèches, deux à droite, une au centre, nous devions avoir trois issues pour pénétrer dans la ville, toutes trois aboutissant à de grandes rues qui donnaient perpendiculairement sur le Cosso.

Le 26 janvier, cinquante bouches à feu de gros calibre tonnèrent à la fois contre Saragosse, les unes pour ouvrir les brèches de droite et du centre, les autres pour accabler la ville de bombes, d'obus et de boulets. La ville supporta bravement cette pluie de feu: car les Espagnols enduraient tout derrière leurs murailles, pourvu qu'ils ne vissent pas l'ennemi en face; et quant à la population inoffensive, ils ne s'en inquiétaient pas plus que du vil bétail qu'ils abattaient chaque jour pour vivre. Le feu ayant duré toute la journée du 26 et la moitié de celle du 27, les trois brèches parurent praticables, et on résolut de livrer immédiatement l'assaut général.

Assaut général donné le 26 janvier.

Tout le 3e corps était sous les armes, Junot et Lannes en tête. (Voir la carte no 45.) À droite, la division Grandjean, principalement composée des 14e et 44e de ligne, se trouvait dans les ouvrages, attendant le signal. Au centre, la division Musnier, forte surtout en Polonais, attendait le même signal avec impatience. Elle était appuyée par la division Morlot, qui s'était massée sur sa droite pour seconder l'assaut du centre. Le 40e de ligne et le 13e de cuirassiers occupaient à gauche la place qu'avait abandonnée la division Morlot, et avaient pour mission de contenir les sorties qui pourraient venir par le château de l'Inquisition, sur lequel on n'avait dirigé jusqu'ici qu'une fausse attaque.

À midi, Lannes donne le signal vivement désiré, et aussitôt les colonnes d'assaut sortent des ouvrages. Un détachement de voltigeurs des 14e et 44e ayant en tête un détachement de sapeurs, et commandé par le chef de bataillon Stahl, débouche de l'huilerie isolée dont il a été parlé tout à l'heure, et s'élance sur la brèche qui était le plus à droite. L'ennemi, prévoyant qu'on partirait de ce bâtiment pour monter à l'assaut, avait pratiqué une mine sous l'espace que nos soldats avaient à parcourir. Deux fourneaux éclatent tout à coup avec un fracas horrible, mais heureusement sur les derrières de notre première colonne d'assaut, et sans enlever un seul homme. Enlèvement de la première brèche à l'attaque de droite. La colonne se précipite sur la brèche et s'en empare. Mais lorsqu'elle veut pousser au delà, elle est arrêtée par un feu de mousqueterie et de mitraille qui part des maisons situées en arrière, ainsi que de plusieurs batteries dressées à la tête des rues. Ce feu est tel qu'il est impossible d'y tenir, et qu'on est obligé, après avoir eu beaucoup d'hommes hors de combat, notamment le brave Stahl, grièvement blessé, de se borner à se loger sur la brèche, et à y établir une communication avec l'huilerie qui a servi de point de départ. Les terres remuées par la mine de l'ennemi contribuent à faciliter ce travail.

Enlèvement de la seconde brèche à l'attaque de droite.

À la seconde brèche, ouverte tout près de celle-là, mais un peu à gauche, trente-six grenadiers du 44e, conduits par un vaillant officier nommé Guettemann, s'élancent de leur côté à l'assaut. Ils pénètrent malgré une pluie de balles, franchissent la brèche, et se logent dans les maisons voisines du mur. Une colonne les suit, et on essaie de déboucher de ces maisons dans les rues voisines. Mais à peine se montre-t-on à une porte ou à une fenêtre, qu'un effroyable feu de mousqueterie, partant de mille ouvertures, abat ceux qui ont la témérité de se faire voir. Toutefois, on s'empare des maisons contiguës en passant de l'une à l'autre par des percements intérieurs, et on gagne ainsi en appuyant à gauche jusqu'à l'une des principales rues de la ville, la rue Quemada, qui va droit de l'enceinte au Cosso. Mais la mitraille des barricades ne permet pas de s'y avancer. À cette seconde brèche, quoique plus heureux qu'à la première, il faut s'en tenir à une douzaine de maisons conquises.

SIÈGE DE SARAGOSSE.

Enlèvement de tous les ouvrages de l'ennemi à l'attaque du centre.

Au centre, l'action n'est pas moins vive. Des voltigeurs de la Vistule, dirigés par un détachement de soldats et d'officiers du génie, s'élancent, eux aussi, sur la brèche pratiquée dans le couvent de Santa-Engracia. Ils ont à parcourir à découvert, de la Huerba au mur du couvent, un espace de 120 toises, qu'ils franchissent au pas de course sous le feu le plus violent. Ils arrivent sans trop de pertes sur la brèche, et l'escaladent sans autre difficulté que la mousqueterie; car le rare courage des Espagnols derrière leurs murailles n'allait pas jusqu'à nous attendre avec leurs baïonnettes sur le sommet de chaque brèche. Les braves Polonais, mêlés à nos sapeurs, entrent dans le couvent, chassent ceux qui l'occupaient, débouchent sur la place de Santa-Engracia, pénètrent même dans les maisons qui l'entourent, et vont jusqu'à un petit couvent voisin, qu'ils emportent également. Maîtres de la place Santa-Engracia, ils le sont aussi de la grande rue de ce nom, tombant perpendiculairement comme celle de Quemada sur le Cosso. Mais de nombreuses barricades hérissées d'artillerie, et vomissant la mitraille, ne permettent pas de pousser au delà, à moins de pertes énormes. Il faudrait la sape et la mine pour aller plus loin.

Du couvent de Santa-Engracia, on court par un terrain découvert jusqu'au saillant de l'angle que l'enceinte de la ville forme vers le milieu de son étendue. Nos soldats traversent rapidement cet espace qui est miné, et, par un inconcevable bonheur, plusieurs fourneaux de mine, éclatant à la fois, ouvrent de vastes entonnoirs sans qu'un seul de nos hommes soit atteint. À partir de cet angle, et en tirant à gauche, règne une ligne de murailles en pierres sèches, avec fossé et terrassement, laquelle aboutit au couvent des Capucins, et plus loin au château de l'Inquisition. Quoiqu'il n'entre pas dans le plan d'attaque d'enlever cette ligne d'ouvrages, qui n'a pas été battue en brèche, un accident imprévu excitant l'ardeur des divisions Morlot et Musnier, on s'y précipite avec une témérité inouïe. En effet, une batterie placée au couvent des Capucins incommodant de son feu la division Morlot, quelques carabiniers du 5e léger se jettent au pas de course sur cette batterie pour s'en débarrasser. Le régiment les suit et prend la batterie. À ce spectacle, le 115e de ligne, l'un des régiments de nouvelle formation, ne peut tenir dans les tranchées. Il s'élance sur le long mur d'enceinte qui s'étend de Santa-Engracia au couvent des Capucins, descend dans le fossé, escalade l'escarpe par les embrasures, s'empare de l'enceinte, de toute l'artillerie, et ose s'engager dans l'intérieur de la ville. Alors une populace furieuse, du haut des maisons environnantes, fusille nos soldats presque à coup sûr. Les Espagnols, plus hardis sur ce point que sur les autres, s'avancent même hors de leurs retranchements pour reprendre le couvent des Capucins. Des moines les dirigent, des femmes les excitent. Mais on les repousse à la baïonnette, et on reste maître du couvent, en y essuyant toutefois un horrible feu d'artillerie qui perce les murailles en plusieurs endroits. On tâche de se couvrir avec des sacs à terre. Mais, ne pouvant tenir à découvert le long de la muraille, on est obligé de la repasser, sans l'abandonner néanmoins et en essayant de s'y loger.

Résultats de l'assaut général du 26 janvier.

Dans cette sanglante journée, on s'était donc emparé de tout le pourtour de l'enceinte. Si c'eût été un siége ordinaire, consistant à enlever la partie fortifiée de la place, Saragosse eût été à nous. Mais il fallait emporter chaque île de maisons, l'une après l'autre, contre une populace frénétique, et les grandes horreurs de la lutte ne faisaient que commencer. Les Espagnols avaient perdu cinq à six cents hommes passés au fil de l'épée, et deux cents prisonniers, avec toute la ligne de leurs murailles extérieures. Les Français avaient eu 186 tués et 593 blessés[33], c'est-à-dire près de 800 hommes hors de combat, perte considérable, due à l'ardeur excessive de nos troupes et à leur héroïque témérité.

Le maréchal Lannes lui-même, saisi de cet affreux spectacle, ordonna aux officiers du génie de ne plus souffrir que les soldats s'avançassent à découvert, aimant mieux perdre du temps que des hommes. Il prescrivit de cheminer avec la sape et la mine, et de faire sauter en l'air les édifices, mais avant tout de ménager le sang de son armée. Ce grand homme de guerre, aussi humain que brave, avait ressenti de ce qu'il avait vu une impression profonde[34].

L'occupation de trois points sur l'enceinte dispensait de pousser une nouvelle attaque à l'extrême gauche vers le château de l'Inquisition, car il s'agissait maintenant de forcer les Espagnols dans leurs maisons, et peu importait dès lors une enceinte dans laquelle ne consistait plus la force de leur défense. On laissa la division Morlot en observation sur la gauche, et avec les divisions Musnier et Grandjean, fortes à elles deux de 9 mille hommes, on se mit à procéder par la sape et la mine à la conquête de chaque maison, tandis que devant le faubourg de la rive gauche le général Gazan pousserait ses travaux de manière à enlever ce dernier asile à la population. On lui envoya même une partie de l'artillerie de siége qui ne trouvait plus d'emploi à la rive droite, depuis qu'on avait ouvert l'enceinte en y faisant brèche, et qu'on devait surtout se battre de rue à rue.

Commencement de la guerre de maison à maison dans l'intérieur de la ville.

Les deux divisions Musnier et Grandjean se partageaient en deux portions de 4,500 hommes chacune, et se relevaient dans cette affreuse lutte, où il fallait alternativement travailler à la sape, ou combattre corps à corps dans d'étroits espaces. Jamais, même à l'époque où la guerre se passait presque toute en siéges, on n'avait rien vu de pareil. Les Espagnols avaient barricadé les portes et les fenêtres de leurs maisons, pratiqué des coupures au dedans, de façon à communiquer intérieurement, puis crénelé les murailles afin de pouvoir faire feu dans les rues, lesquelles en outre étaient traversées de distance en distance par des barricades armées d'artillerie. Aussi, dès que nos soldats y voulaient paraître, ils étaient à l'instant assaillis par une grêle de balles partant des étages supérieurs et des soupiraux des caves, ainsi que par la mitraille partant des barricades. Quelquefois, pour forcer les Espagnols à dépenser leurs feux, ils s'amusaient à présenter d'une fenêtre un shako au bout d'une baïonnette, et il était à l'instant percé de balles[35]. Il n'y avait donc d'autre ressource que de cheminer comme eux de maisons en maisons, de s'avancer à couvert contre un ennemi à couvert lui-même, et de procéder lentement pour ne pas perdre toute l'armée dans cet horrible genre de combats. Il en devait résulter une lutte longue et acharnée.

Énergiques efforts des Espagnols pour reprendre les positions perdues.

Les Espagnols, que la prise de leur enceinte avait exaspérés au plus haut point par l'aggravation du péril, en étaient venus à un véritable état de frénésie. Ils ne voulaient plus s'en tenir à la défensive, et aspiraient à reprendre ce qu'on leur avait pris. Au centre, ils prétendaient reconquérir le couvent des Capucins pour déborder la position de Santa-Engracia. À droite, ils étaient restés maîtres des couvents de Sainte-Monique et des Augustins, contigus aux deux brèches que nous avions occupées, et de là ils faisaient d'incroyables efforts pour nous débusquer. Les moines, plus actifs que jamais, aidés par quelques-unes de ces femmes ardentes que leur nature irritable, quand elles se livrent à la violence, rend plus féroces que les hommes même, menaient au feu des bandes composées de ce qu'il y avait de plus fanatique, et de la portion la plus résolue de la troupe de ligne. Ainsi à l'attaque du centre, après avoir essayé avec leur artillerie de faire brèche au couvent des Capucins, qui nous était resté, ils osèrent encore une fois venir à l'assaut à découvert. Nos soldats les repoussèrent de nouveau à la baïonnette, et cette fois leur ôtèrent tellement l'espoir de réussir qu'ils les dégoûtèrent tout à fait de semblables tentatives.

Travaux d'attaque le long de la rue de Santa-Engracia.

La conquête commencée vers Santa-Engracia fut poursuivie. De ce couvent partait une rue assez large, appelée du nom même de Santa-Engracia, et aboutissant directement au Cosso. D'énormes édifices la bordaient des deux côtés: à droite (droite des Français), le couvent des Filles-de-Jérusalem et l'hôpital des Fous; à gauche, le couvent de Saint-François. Ces édifices pris, on débouchait sur le Cosso (boulevard intérieur, comme nous l'avons dit) et on possédait la principale et la plus large voie intérieure.

Procédés employés dans la guerre des maisons.

On se mit donc à cheminer de maisons en maisons, des deux côtés de cette rue de Santa-Engracia, pour arriver successivement à la conquête des gros édifices, qu'il importait d'occuper. Quand on entrait dans une maison, soit par l'ouverture que les Espagnols y avaient pratiquée, soit par celle que nous y pratiquions nous-mêmes, on courait sur les défenseurs à la baïonnette, on les passait par les armes si on pouvait les atteindre, ou bien on se bornait à les expulser. Mais souvent on laissait derrière soi, au fond des caves ou au haut des greniers, des obstinés restés dans les maisons dont un ou deux étages étaient déjà conquis. On se mêlait ainsi les uns les autres, et on avait sous ses pieds ou sur sa tête, tirant à travers les planchers, des combattants qui, habitués à ce genre de guerre, familiarisés avec la nature de périls qu'il présentait, y déployaient une intelligence et un courage qu'on ne leur avait jamais vus en plaine. Nos soldats, braves en toute espèce de combat, mais voulant abréger la lutte, employaient alors divers moyens. Ils roulaient des bombes dans les maisons dont ils avaient conquis le milieu; quelquefois ils y plaçaient des sacs à poudre, et faisaient sauter les toits avec les défenseurs qui les occupaient. Ou bien ils employaient la mine, et ils renversaient alors le bâtiment tout entier. Mais quand ils avaient ainsi trop détruit, il leur fallait marcher à découvert sous les coups de fusil. Une expérience de quelques jours leur apprit bientôt à ne pas charger la mine avec excès, et à ne produire que le ravage nécessaire pour s'ouvrir une brèche.

On chemina de la sorte dans cette rue, Santa-Engracia, jusqu'au couvent des Filles-de-Jérusalem, dans lequel on chercha à s'introduire par la mine. Nos mineurs ne tardèrent pas à s'apercevoir de la présence du mineur ennemi, qui s'avançait vers eux afin de les prévenir. On le devança en chargeant nos fourneaux avant lui, et on ensevelit les Espagnols dans leur mine. Une brèche ayant été pratiquée au couvent des Filles-de-Jérusalem, on y entra à la baïonnette, en tuant beaucoup d'hommes, et en recueillant un certain nombre de prisonniers. De ce couvent on pénétra dans l'hôpital des Fous, toujours à droite de la rue Santa-Engracia. Mais il fallait se frayer aussi un passage couvert à gauche de cette rue, pour arriver au gigantesque couvent de Saint-François, après la prise duquel on devait se trouver au bord du Cosso. On commença donc à miner dans cette direction.

Fév. 1809.
Progrès à l'attaque de droite pour s'avancer vers le Cosso.

Tandis qu'à l'attaque du centre, on marchait de couvent en couvent vers le Cosso, à l'attaque de droite le succès était aussi disputé, et obtenu par les mêmes moyens. On avait enlevé les couvents de Sainte-Monique et des Augustins, en faisant sauter les Espagnols au moment où ils voulaient nous faire sauter, ce qui était dû à l'intelligence et à l'habileté de nos mineurs. Puis, on s'était avancé, toujours par les mêmes procédés, le long des rues de Sainte-Monique et de Saint-Augustin, donnant vers le Cosso. Les Espagnols pour arrêter nos progrès nous opposent l'incendie. Les Espagnols, pour retarder nos progrès, avaient imaginé un nouvel expédient: c'était de mettre le feu à leurs maisons, qui, contenant peu de bois, et ayant des voûtes au lieu de planchers, brûlaient lentement, et étaient inabordables pendant qu'elles brûlaient. On était réduit alors à cheminer dans les rues, en se couvrant avec des sacs à terre. Mais les premiers hommes qui paraissaient avant que l'épaulement les garantît, étaient blessés ou tués presque certainement. En même temps, par l'une des deux brèches de l'attaque de droite, on s'avançait le long des rues Sainte-Monique et Saint-Augustin, vers le Cosso, par la seconde, le long de la rue Quemada, on s'avançait aussi vers le même but, passant d'un côté à l'autre de cette rue, tantôt sous terre à l'aide de la mine, tantôt à découvert à l'aide des épaulements en sacs à terre. On arriva ainsi par ces diverses rues à deux grands édifices attenant tous deux au Cosso, l'un en formant le fond, l'autre le côté, et là on eut à lutter de courage, d'artifice, de violence dans les moyens, tantôt minant et contre-minant pour se faire sauter, tantôt s'abordant à la baïonnette, ou se fusillant à bout portant. Dans ces mille combats, les plus singuliers, les plus extraordinaires qu'on puisse concevoir, nos soldats, grâce à leur intelligence et à leur hardiesse, avaient presque constamment l'avantage, et s'ils perdaient souvent du monde, c'est que leur impatience les portant à brusquer les attaques, ils se présentaient à découvert devant un ennemi toujours caché. Nous n'avions pas moins de cent hommes par jour tués et blessés depuis que la guerre des maisons était commencée, et les Espagnols, qui avaient à braver le double danger du feu et de l'épidémie, voyaient jusqu'à quatre cents hommes par jour entrer dans leurs hôpitaux. C'est à l'une de ces attaques que le brave et habile général Lacoste fut tué d'une balle au front. Le colonel Rogniat le remplaça et fut blessé à son tour. Le chef de bataillon Haxo le fut également.

Attaque du faubourg situé à la rive gauche de l'Èbre.

Ce genre d'opérations absorba le temps qui s'écoula du 26 janvier, jour de l'assaut général, au 7 février, moment où l'on attaqua enfin le faubourg de la rive gauche. Le maréchal Lannes avait ordonné au général Gazan de déployer une grande activité de ce côté, et ce dernier, toujours à cheval quoique malade, secondé par le colonel Dode, se trouva assez près du faubourg dans la journée du 7, pour battre en brèche un gros couvent, dit de Jésus, qui n'était pas loin de l'Èbre, et fort près d'un autre dont la possession devait être décisive pour la conquête du faubourg. Le 7, en effet, on put allumer le feu de 20 pièces de canon de gros calibre, puis en deux heures ouvrir une large brèche au couvent, que nous voulions prendre, et en chasser quatre cents Espagnols qui l'occupaient. Une colonne de voltigeurs s'y précipita et s'en fut bientôt emparée. Mais ayant voulu par trop d'ardeur franchir le couvent, qui était isolé, et se porter au delà, soit devant les maisons du faubourg, soit sur le second couvent, celui qu'on avait surtout intérêt à conquérir, elle fut ramenée par la vivacité de la fusillade. On se décida alors à partir du couvent déjà pris pour diriger des travaux d'approche sur le second, dit de Saint-Lazare, qui était adossé à l'Èbre, et qui venait toucher à la tête même du grand pont. De là on pouvait se rendre maître du pont, couper la retraite aux troupes qui défendaient le faubourg, et le faire tomber d'un seul coup. Toute l'artillerie de la rive droite fut envoyée à l'instant au général Gazan, pour exécuter le plus tôt possible cette opération importante.

Horrible situation intérieure de Saragosse.

Dans l'intérieur de la ville, aux attaques de droite et du centre, la guerre souterraine que nous avons décrite continuait avec le même acharnement. Toutefois, de part et d'autre, la souffrance se faisait cruellement sentir. L'épidémie sévissait dans les murs de Saragosse. Plus de 15 mille hommes, sur 40 mille contribuant à la défense, étaient déjà dans les hôpitaux. La population inactive mourait sans qu'on prît garde à elle. On n'avait plus le temps ni d'enterrer les cadavres, ni de recueillir les blessés. On les laissait au milieu des décombres, d'où ils répandaient une horrible infection. Palafox lui-même, atteint de la maladie régnante, semblait approcher de sa dernière heure, sans que le commandement en fût du reste moins ferme. Les moines qui gouvernaient sous lui, toujours tout-puissants sur la populace, faisaient pendre à des gibets les individus accusés de faiblir. Le gros de la population paisible avait ce régime en horreur, sans l'oser dire. Les malheureux habitants de Saragosse erraient comme des ombres au sein de leur cité désolée.

Murmures de nos soldats apaisés par le maréchal Lannes.

On ne songe dans ces extrémités qu'à ses propres souffrances, et on ne se figure pas assez celles de l'ennemi, ce qui empêche d'apprécier exactement la situation. Nos soldats ignorant l'état des choses dans l'intérieur de Saragosse, voyant qu'après quarante et quelques jours de lutte ils avaient à peine conquis deux ou trois rues, se demandaient ce qu'il adviendrait d'eux s'il fallait conquérir la ville entière par les mêmes moyens.—Nous y périrons tous, disaient-ils. A-t-on jamais fait la guerre de la sorte? À quoi pensent nos chefs? Ont-ils oublié leur métier? Pourquoi ne pas attendre de nouveaux renforts, un nouveau matériel, et enterrer ces furieux sous des bombes, au lieu de nous faire tuer un à un, pour prendre quelques caves et quelques greniers? Ne pourrait-on pas dépenser plus utilement pour l'Empereur notre vie qu'on dit lui être due, et que nous ne refusons pas de sacrifier pour lui?—Tel était chaque soir le langage des bivouacs, dans la moitié des divisions Grandjean et Musnier dont le tour était venu de se reposer. Lannes les calmait, les ranimait par ses discours.—Vous souffrez, mes amis, leur disait-il; mais croyez-vous que l'ennemi ne souffre pas aussi? pour un homme que vous perdez, il en perd quatre. Supposez-vous qu'il défendra toutes ses rues, comme il en a défendu quelques-unes? Il est au terme de son énergie, et sous peu de jours vous serez triomphants, et possesseurs d'une ville dans laquelle la nation espagnole a placé toutes ses espérances. Allons, mes amis, ajoutait-il, encore quelques efforts, et vous serez au bout de vos peines et de vos travaux.—L'héroïque maréchal, cependant, ne pensait pas ce qu'il leur disait. Général avec eux, mais soldat avec l'Empereur, il lui écrivait qu'il ne savait plus quand finirait ce siége terrible, que fixer un terme était impossible, car il y avait telle maison qui coûtait des journées.

Toutefois, ni Lannes, ni ses soldats, ne devenaient en se plaignant, ou moins actifs, ou moins courageux. À l'attaque du centre, tandis que par la mine on passait de l'hôpital des Fous au vaste couvent de Saint-François, on s'était aperçu que les assiégés minaient de leur côté. On avait alors chargé la mine de 3,000 livres de poudre, et dans l'intention de produire plus de carnage à la fois, on avait feint une attaque ouverte pour y attirer un plus grand nombre d'ennemis. Terrible explosion du couvent de Saint-François. Des centaines d'Espagnols avaient sur-le-champ occupé tous les étages, nous attendant de pied ferme. Alors le major du génie Breuille donnant l'ordre de mettre le feu à la mine, une épouvantable explosion, dont toute la ville avait retenti, s'était fait entendre, et une compagnie entière du régiment de Valence avait sauté dans les airs, avec les débris du couvent de Saint-François. Tous les cœurs en avaient frissonné d'horreur. Puis on s'était élancé à la baïonnette à travers les décombres, l'incendie, les balles, et on avait chassé les Espagnols. Mais ceux-ci, réfugiés dans un clocher, et sur le toit de l'église du couvent, y avaient pratiqué une ouverture d'où, jetant des grenades à la main, ils avaient un instant forcé nos soldats à rétrograder. Malgré toutes ces résistances, nous étions restés maîtres de ce poste, et sur ce point nous nous trouvions enfin au bord du Cosso. Sur-le-champ on avait commencé à miner pour passer par-dessous, et faire sauter par des explosions plus terribles encore l'un et l'autre côté de cette promenade publique.

Nous y étions également arrivés par l'attaque de droite, en suivant les rues Quemada, Sainte-Monique, Saint-Augustin. Nos troupes avaient pris le collége des Écoles Pies, miné le vaste édifice de l'Université, et poussé une pointe vers l'Èbre, pour se joindre à l'attaque du faubourg. L'Université devait sauter le jour même où tomberait le faubourg.

Prise du faubourg de la rive gauche.

On était au 18 février. Il y avait cinquante jours que nous attaquions Saragosse, et nous en avions passé vingt-neuf à pénétrer dans ses murs, vingt et un à cheminer dans ses rues, et le moment approchait où le courage épuisé de l'ennemi devait trouver dans quelque grand incident du siége une raison décisive de se rendre. Ce même jour, 18, on devait dans la ville faire sauter l'Université, et dans le faubourg s'emparer du couvent qui touchait au pont de l'Èbre. Le matin, Lannes à cheval, à côté du général Gazan, fit commencer l'attaque du faubourg. Cinquante bouches à feu tonnèrent sur le couvent attaqué. Les murs, construits en brique, avaient quatre pieds d'épaisseur. À trois heures de l'après-midi, la brèche fut enfin praticable. Un bataillon du 28e et un du 103e s'y jetèrent au pas de course, et y pénétrèrent en tuant trois ou quatre cents Espagnols. Si la brèche eût été assez large pour que toute la division Gazan y passât, c'en était fait des sept mille hommes qui gardaient le faubourg, car on pouvait de ce couvent se porter au pont, et couper le faubourg de la ville. Toutefois, on y introduisit autant de troupes qu'on put, et du couvent on courut au pont. La garnison du faubourg, voyant que la retraite lui était fermée, essaya de se faire jour. Trois mille hommes se précipitèrent vers l'entrée du pont; on voulut les arrêter, on se mêla avec eux, on en écharpa une partie, mais les autres réussirent à passer. Les quatre mille restant dans le faubourg furent réduits à déposer les armes, et à livrer le faubourg lui-même.

Cette opération brillante et décisive, conduite par Lannes lui-même, ne nous avait pas coûté plus de 10 morts et 100 blessés. Elle ôtait à la population son principal asile, et elle allait exposer la ville à tous les feux de la rive gauche. Tandis que cet événement s'accomplissait dans le faubourg, les troupes de la division Grandjean, se tenant sous les armes, attendaient l'instant où le bâtiment de l'Université sauterait, pour se précipiter sur ses ruines. Dans l'intérieur de la ville, à l'attaque de droite, on fait sauter le bâtiment de l'Université. Il sauta en effet, sous la charge de 1,500 livres de poudre, avec un fracas horrible, et aussitôt les soldats du 14e et du 44e, s'élançant à l'assaut, s'emparèrent de la tête du Cosso et de ses deux bords. À l'attaque du centre, on n'attendait plus qu'un jour pour détruire par la mine le milieu du Cosso.

Épuisement des assiégés.

Quelque obstiné que fût le courage de ces moines, de ces paysans, qui avaient échangé avec joie les ennuis de leur couvent, ou la dure vie des champs, pour les émotions de la guerre, leur fureur ne pouvait tenir devant les échecs répétés du 18. Il n'y avait plus qu'un tiers de la population combattante qui fût debout. La population non combattante était au désespoir. Palafox était mourant. La ville demande à capituler. La junte de défense, cédant enfin à tant de calamités réunies, résolut de capituler, et envoya un parlementaire qui se présenta au nom de Palafox. Les infortunés défenseurs de Saragosse avaient tant répété que les armées françaises étaient battues, qu'ils avaient fini par le croire. Le parlementaire vint donc demander qu'on permît d'expédier un émissaire au dehors de Saragosse pour savoir si véritablement les armées espagnoles étaient dispersées, et si la résistance de cette malheureuse cité était réellement inutile. Réponse de Lannes. Lannes répondit qu'il ne donnait jamais sa parole en vain, même pour une ruse de guerre, et qu'on devait l'en croire quand il affirmait que les Espagnols étaient vaincus des Pyrénées à la Sierra-Morena, que les restes de La Romana étaient pris, les Anglais embarqués, et l'Infantado sans armée. Il ajouta qu'il fallait se rendre sans conditions, car le lendemain il ferait sauter tout le centre de la ville.

Reddition de Saragosse.

Le lendemain 20 la junte se transporta au camp, et consentit à la reddition de la place. Il fut convenu que tout ce qui restait de la garnison sortirait par la principale porte, celle de Portillo, déposerait les armes, et serait prisonnière de guerre, à moins qu'elle ne voulût passer au service du roi Joseph.

Affreux état de Saragosse quand elle nous fut livrée.

Le 21 février, 10 mille fantassins, 2 mille cavaliers, pâles, maigres, abattus, défilèrent devant nos soldats saisis de pitié. Ceux-ci entrèrent ensuite dans la cité infortunée, qui ne présentait que des ruines remplies de cadavres en putréfaction. Sur 100 mille individus, habitants ou réfugiés dans les murs de Saragosse, 54 mille avaient péri. Un tiers des bâtiments de la ville était renversé; les deux autres tiers percés de boulets, souillés de sang, étaient infectés de miasmes mortels. Pertes cruelles des Français pendant ce siége mémorable. Le cœur de nos soldats fut profondément ému. Eux aussi avaient fait des pertes cruelles. Ils avaient eu 3 mille hommes hors de combat sur 14 mille participant activement au siége. Vingt-sept officiers du génie sur 40 étaient blessés ou tués, et dans le nombre des morts se trouvait l'illustre et malheureux Lacoste. La moitié des soldats du génie avait succombé. Rien dans l'histoire moderne n'avait ressemblé à ce siége, et il fallait dans l'antiquité remonter à deux ou trois exemples, comme Numance, Sagonte, ou Jérusalem, pour retrouver des scènes pareilles. Encore l'horreur de l'événement moderne dépassait-elle l'horreur des événements anciens de toute la puissance des moyens de destruction imaginés par la science. Telles sont les tristes conséquences du choc des grands empires! Les princes, les peuples se trompent, a dit un ancien, et des milliers de victimes succombent innocemment pour leur erreur.

La résistance des Espagnols fut prodigieuse surtout par l'obstination, et attesta chez eux autant de courage naturel, que leur conduite en rase campagne attestait peu de ce courage acquis, qui fait la force des armées régulières. Mais le courage des Français, attaquant au nombre de quinze mille quarante mille ennemis retranchés, était plus extraordinaire encore; car, sans fanatisme, sans férocité, ils se battaient pour cet idéal de grandeur dont leurs drapeaux étaient alors le glorieux emblème.

Caractère et résultats de cette seconde campagne d'Espagne.

Telle fut la fin de cette seconde campagne d'Espagne, commencée à Burgos, Espinosa, Tudela, finie à Saragosse, et marquée par la présence de Napoléon dans la Péninsule, par la retraite précipitée des Anglais, et une nouvelle soumission apparente des Espagnols au roi Joseph. Les manœuvres de Napoléon avaient été admirables, ses troupes admirables aussi; et pourtant, quoique les résultats fussent grands, ils n'égalaient pas ceux que nous avions obtenus contre les troupes savamment organisées de l'Autriche, de la Prusse et de la Russie. Il semblait que tant de science, d'expérience, de bravoure, vînt échouer contre l'inexpérience et la désorganisation des armées espagnoles, comme l'habileté d'un maître d'armes échoue quelquefois contre la maladresse d'un homme qui n'a jamais manié une épée. Les Espagnols ne tenaient pas en rase campagne, fuyaient en livrant leurs fusils, leurs canons, leurs drapeaux, mais on ne les prenait pas, et il restait à vaincre leurs vastes plaines, leurs montagnes ardues, leur climat dévorant, leur haine de l'étranger, leur goût à recommencer un genre d'aventures qui ne leur avait guère coûté que la peine de fuir, ce qui était facile à leur agilité et à leur dénûment; et de temps en temps aussi il restait à vaincre quelque terrible résistance derrière des murailles, comme celle de Saragosse! Il est vrai cependant que Saragosse était le dernier effort de ce genre qu'on eût à craindre de la part des Espagnols. Tout infatigables qu'ils étaient, on pouvait les fatiguer; tout aveugles qu'ils étaient, on pouvait les éclairer, et leur faire apprécier les avantages du gouvernement que Napoléon leur apportait par la main de son frère. Après Espinosa, Tudela, Somo-Sierra, la Corogne, Uclès, Saragosse, ils étaient effectivement abattus, découragés, du moins momentanément; et si la politique générale ne venait pas les aider à force de complications nouvelles, ils allaient être encore une fois régénérés par une dynastie étrangère. Mais le secret du destin était alors impénétré et impénétrable. Napoléon recevant une lettre du prince Cambacérès, qui lui souhaitait une bonne année, lui avait répondu: Pour que vous puissiez m'adresser le même souhait encore une trentaine de fois, il faut être sage.—Mais après avoir compris qu'il fallait être sage, saurait-il l'être? Là, nous le répétons, était la question, l'unique question. Lui seul après Dieu tenait dans ses mains le destin des Espagnols, des Allemands, des Polonais, des Italiens, et malheureusement des Français comme de tous les autres.

Tandis que ses armées, après avoir pris un instant de repos, s'apprêtaient à s'élancer, celle du maréchal Soult de la Corogne à Lisbonne, celle du maréchal Victor de Madrid à Séville, celle de l'Aragon de Saragosse à Valence, il faut le suivre lui-même des sommets du Guadarrama aux bords du Danube, de Somo-Sierra à Essling et Wagram. Il lui restait alors quelques beaux jours à espérer, parce qu'il était encore temps d'être sage, et que les dernières fautes, les plus irrémédiables, n'avaient pas été commises. Il n'était pas impossible, en effet, quoique cela devînt douteux à voir la marche qu'il imprimait aux choses, que l'Espagne fût régénérée par ses mains, que l'Italie fût affranchie des Autrichiens, que la France demeurât grande comme il l'avait faite, et que son tombeau se trouvât sur les bords de la Seine, sans avoir un moment reposé aux extrémités de l'Océan.

FIN DU LIVRE TRENTE-TROISIÈME
ET DU TOME NEUVIÈME.

TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES
DANS LE TOME NEUVIÈME.

LIVRE TRENTE ET UNIÈME.

BAYLEN.

Situation de l'Espagne pendant les événements qui se passaient à Bayonne. — Esprit des différentes classes de la nation. — Sourde indignation près d'éclater à chaque instant. — Publication officielle des abdications arrachées à Ferdinand VII et à Charles IV. — Effet prodigieux de cette publication. — Insurrection simultanée dans les Asturies, la Galice, la Vieille-Castille, l'Estrémadure, l'Andalousie, les royaumes de Murcie et de Valence, la Catalogne et l'Aragon. — Formation de juntes insurrectionnelles, déclaration de guerre à la France, levée en masse, et massacre des capitaines généraux. — Premières mesures ordonnées par Napoléon pour la répression de l'insurrection. — Vieux régiments tirés de Paris, des camps de Boulogne et de Bretagne. — Envoi en Espagne des troupes polonaises. — Le général Verdier comprime le mouvement de Logroño, le général Lasalle celui de Valladolid, le général Frère celui de Ségovie. — Le général Lefebvre-Desnoette, à la tête d'une colonne composée principalement de cavalerie, disperse les Aragonais à Tudela, Mallen, Alagon, puis se trouve arrêté tout à coup devant Saragosse. — Combats du général Duhesme autour de Barcelone. — Marche du maréchal Moncey sur Valence, et son séjour à Cuenca. — Mouvement du général Dupont sur l'Andalousie. — Celui-ci rencontre les insurgés de Cordoue au pont d'Alcolea, les culbute, enfonce les portes de Cordoue, et y pénètre de vive force. — Sac de Cordoue. — Massacre des malades et des blessés français sur toutes les routes. — Le général Dupont s'arrête à Cordoue. — Dangereuse situation de la flotte de l'amiral Rosily à Cadix, attendant les Français qui n'arrivent pas. — Attaquée dans la rade de Cadix par les Espagnols, elle est obligée de se rendre après la plus vive résistance. — Le général Dupont, entouré d'insurgés, fait un mouvement rétrograde pour se rapprocher des renforts qu'il a demandés, et vient prendre position à Andujar. — Inconvénients de cette position. — Ignorance absolue où l'on est à Madrid de ce qui se passe dans les divers corps de l'armée française, par suite du massacre de tous les courriers. — Inquiétudes pour le maréchal Moncey et le général Dupont. — La division Frère envoyée au secours du maréchal Moncey, la division Vedel au secours du général Dupont. — Nouveaux renforts expédiés de Bayonne par Napoléon. — Colonnes de gendarmerie et de gardes nationales disposées sur les frontières. — Formation de la division Reille pour débloquer le général Duhesme à Barcelone. — Réunion d'une armée de siége devant Saragosse. — Composition d'une division de vieilles troupes sous les ordres du général Mouton, pour contenir le nord de la Péninsule et escorter Joseph. — Marche de Joseph en Espagne. — Lenteur de cette marche. — Tristesse qu'il éprouve en voyant tous ses sujets révoltés contre lui. — Événements militaires dans les pays qu'il traverse. — Inutile attaque sur Saragosse. — Réunion des forces insurrectionnelles du nord de l'Espagne sous les généraux Blake et de la Cuesta. — Mouvement du maréchal Bessières vers eux. — Bataille de Rio-Seco, et brillante victoire du maréchal Bessières. — Sous les auspices de cette victoire Joseph se hâte d'entrer dans Madrid. — Accueil qu'il y reçoit. — Événements militaires dans le midi de l'Espagne. — Campagne du maréchal Moncey dans le royaume de Valence. — Passage du défilé de Las Cabreras. — Attaque sans succès contre Valence. — Retraite par la route de Murcie. — Importance des événements dans l'Andalousie. — La division Gobert envoyée à la suite de la division Vedel pour secourir le général Dupont. — Situation de celui-ci à Andujar. — Difficulté qu'il éprouve à vivre. — Chaleur étouffante. — Vedel vient prendre position à Baylen après avoir forcé les défilés de la Sierra-Morena. — Gobert s'établit à la Caroline. — Obstination du général Dupont à demeurer à Andujar. — Les insurgés de Grenade et de l'Andalousie, après avoir opéré leur jonction, se présentent le 15 juillet devant Andujar, et canonnent cette position sans résultat sérieux. — Vedel, intempestivement accouru de Baylen à Andujar, est renvoyé aussi mal à propos d'Andujar à Baylen. — Pendant que Baylen est découvert, le général espagnol Reding force le Guadalquivir, et le général Gobert, voulant s'y opposer, est tué. — Celui-ci remplacé par le général Dufour. — Sur un faux bruit qui fait croire que les Espagnols se sont portés par un chemin de traverse aux défilés de la Sierra-Morena, les généraux Dufour et Vedel courent à la Caroline, et laissent une seconde fois Baylen découvert. — Conseil de guerre au camp des insurgés. — Il est décidé dans ce conseil que les insurgés, ayant trouvé trop de difficulté à Andujar, attaqueront Baylen. — Baylen, attaqué en conséquence de cette résolution, est occupé sans résistance. — En apprenant cette nouvelle, le général Dupont y marche. — Il y trouve les insurgés en masse. — Malheureuse bataille de Baylen. — Le général Dupont, ne pouvant forcer le passage pour rejoindre ses lieutenants, est obligé de demander une suspension d'armes. — Tardif et inutile retour des généraux Dufour et Vedel sur Baylen. — Conférences qui amènent la désastreuse capitulation de Baylen. — Violation de cette capitulation aussitôt après sa signature. — Les Français qui devaient être reconduits en France, avec permission de servir, sont retenus prisonniers. — Barbares traitements qu'ils essuient. — Funeste effet de cette nouvelle dans toute l'Espagne. — Enthousiasme des Espagnols et abattement des Français, — Joseph, épouvanté, se décide à évacuer Madrid. — Retraite de l'armée française sur l'Èbre. — Le général Verdier, entré dans Saragosse de vive force, et maître d'une partie de la ville, est obligé de l'évacuer pour rejoindre l'armée française à Tudela. — Le général Duhesme, après une inutile tentative sur Girone, est obligé de se renfermer dans Barcelone, sans avoir pu être secouru par le général Reille. — Contre-coup de ces événements en Portugal. — Soulèvement général des Portugais. — Efforts du général Junot pour comprimer l'insurrection. — Empressement du gouvernement britannique à seconder l'insurrection du Portugal. — Envoi de plusieurs corps d'armée dans la Péninsule. — Débarquement de sir Arthur Wellesley à l'embouchure du Mondego. — Sa marche sur Lisbonne. — Brillant combat de trois mille Français contre quinze mille Anglais à Roliça. — Junot court avec des forces insuffisantes à la rencontre des Anglais. — Bataille malheureuse de Vimeiro. — Capitulation de Cintra, stipulant l'évacuation du Portugal. — De toute la Péninsule il ne reste plus aux Français que le terrain compris entre l'Èbre et les Pyrénées. — Désespoir de Joseph, et son vif désir de retourner à Naples. — Chagrin de Napoléon, promptement et cruellement puni de ses fautes. 1 à 237

LIVRE TRENTE-DEUXIÈME.

ERFURT.

La capitulation de Baylen parvient à la connaissance de Napoléon pendant qu'il voyage dans les provinces méridionales de l'Empire. — Explosion de ses sentiments à la nouvelle de ce malheureux événement. — Ordre de faire arrêter le général Dupont à son retour en France. — Napoléon tient la parole qu'il avait donnée de visiter la Vendée, et y est accueilli avec enthousiasme. — Son arrivée à Paris le 14 août. — Irritation et audace de l'Autriche provoquées par les événements de Bayonne. — Explication avec M. de Metternich. — Napoléon veut forcer la cour de Vienne à manifester ses véritables intentions avant de prendre un parti définitif sur la répartition de ses forces. — Obligé de retirer d'Allemagne une partie de ses vieilles troupes, Napoléon consent à évacuer le territoire de la Prusse. — Conditions de cette évacuation. — Nécessité pour Napoléon de s'attacher plus que jamais la cour de Russie. — Vœu souvent exprimé par l'empereur Alexandre d'avoir une nouvelle entrevue avec Napoléon, afin de s'entendre directement sur les affaires d'Orient. — Cette entrevue fixée à Erfurt et à la fin de septembre. — Tout est disposé pour lui donner le plus grand éclat possible. — En attendant, Napoléon fait ses préparatifs militaires dans toutes les suppositions. — État des choses en Espagne pendant que Napoléon est à Paris. — Opérations du roi Joseph. — Distribution que Napoléon fait de ses forces. — Troupes françaises et italiennes dirigées du Piémont sur la Catalogne. — Départ du 1er et du 6e corps de la Prusse pour l'Espagne. — Marche de toutes les divisions de dragons dans la même direction. — Efforts pour remplacer à la grande armée les troupes dont elle va se trouver diminuée. — Nouvelle conscription. — Dépense de ces armements. — Moyens employés pour arrêter la dépréciation des fonds publics. — Effet sur les différentes cours des manifestations diplomatiques de Napoléon. — L'Autriche intimidée se modère. — La Prusse accepte avec joie l'évacuation de son territoire, en invoquant toutefois un dernier allégement de ses charges pécuniaires. — Empressement de l'empereur Alexandre pour se rendre à Erfurt. — Opposition de sa mère à ce voyage. — Arrivée des deux empereurs à Erfurt le 27 septembre 1808. — Extrême courtoisie de leurs relations. — Affluence de souverains et de grands personnages civils et militaires venus de toutes les capitales. — Spectacle magnifique donné à l'Europe. — Idées politiques que Napoléon se propose de faire prévaloir à Erfurt. — À la chimère du partage de l'empire turc, il veut substituer le don immédiat à la Russie de la Valachie et de la Moldavie. — Effet de ce nouvel appât sur l'imagination d'Alexandre. — Celui-ci entre dans les vues de Napoléon, mais en obtenant moins, il veut obtenir plus vite. — Son ardeur à posséder les provinces du Danube surpassée encore par l'impatience de son vieux ministre, M. de Romanzoff. — Accord des deux empereurs. — Satisfaction réciproque et fêtes brillantes. — Arrivée à Erfurt de M. de Vincent, représentant de l'Autriche. — Fausse situation qu'Alexandre et Napoléon s'appliquent à lui faire. — Après s'être entendus, les deux empereurs cherchent à mettre par écrit les résolutions arrêtées verbalement. — Napoléon, désirant que la paix puisse sortir de l'entrevue d'Erfurt, veut que l'on commence par des ouvertures pacifiques à l'Angleterre. — Alexandre y consent, moyennant que la prise de possession des provinces du Danube n'en soit point retardée. — Difficulté de trouver une rédaction qui satisfasse à ce double vœu. — Convention d'Erfurt signée le 12 octobre. — Napoléon, pour être agréable à Alexandre, accorde à la Prusse une nouvelle réduction de ses contributions. — Première idée d'un mariage entre Napoléon et une sœur d'Alexandre. — Dispositions que manifeste à ce sujet le jeune czar. — Contentement des deux empereurs, et leur séparation le 14 octobre, après des témoignages éclatants d'affection. — Départ d'Alexandre pour Saint-Pétersbourg et de Napoléon pour Paris. — Arrivée de celui-ci à Saint-Cloud le 18 octobre. — Ses dernières dispositions avant de se rendre à l'armée d'Espagne. — Rassuré pour quelque temps sur l'Autriche, Napoléon tire d'Allemagne un nouveau corps, qui est le 5e. — La grande armée convertie en armée du Rhin. — Composition et organisation de l'armée d'Espagne. — Départ de Berthier et de Napoléon pour Bayonne. — M. de Romanzoff laissé à Paris pour suivre la négociation ouverte avec l'Angleterre au nom de la France et de la Russie. — Manière dont on reçoit à Londres le message des deux empereurs. — Efforts de MM. de Champagny et de Romanzoff pour éluder les difficultés soulevées par le cabinet britannique. — L'Angleterre, craignant de décourager les Espagnols et les Autrichiens, rompt brusquement les négociations. — Réponse amère de l'Autriche aux communications parties d'Erfurt. — D'après les manifestations des diverses cours, on peut prévoir que Napoléon n'aura que le temps de faire en Espagne une courte campagne. — Ses combinaisons pour la rendre décisive. 238 à 363

LIVRE TRENTE-TROISIÈME.

SOMO-SIERRA.

Arrivée de Napoléon à Bayonne. — Inexécution d'une partie de ses ordres. — Comment il y supplée. — Son départ pour Vittoria. — Ardeur des Espagnols à soutenir une guerre qui a commencé par des succès. — Projet d'armer cinq cent mille hommes. — Rivalité des juntes provinciales, et création d'une junte centrale à Aranjuez. — Direction des opérations militaires. — Plan de campagne. — Distribution des forces de l'insurrection en armées de gauche, du centre et de droite. — Rencontre prématurée du corps du maréchal Lefebvre avec l'armée du général Blake en avant de Durango. — Combat de Zornoza. — Les Espagnols culbutés. — Napoléon, arrivé à Vittoria, rectifie la position de ses corps d'armée, forme le projet de se laisser déborder sur ses deux ailes, de déboucher ensuite vivement sur Burgos, pour se rabattre sur Blake et Castaños, et les prendre à revers. — Exécution de ce projet. — Marche du 2e corps, commandé par le maréchal Soult, sur Burgos. — Combat de Burgos et prise de cette ville. — Les maréchaux Victor et Lefebvre, opposés au général Blake, le poursuivent à outrance. — Victor le rencontre à Espinosa et disperse son armée. — Mouvement du 3e corps, commandé par le maréchal Lannes, sur l'armée de Castaños. — Manœuvre sur les derrières de ce corps par l'envoi du maréchal Ney à travers les montagnes de Soria. — Bataille de Tudela, et déroute des armées du centre et de droite. — Napoléon, débarrassé des masses de l'insurrection espagnole, s'avance sur Madrid, sans s'occuper des Anglais, qu'il désire attirer dans l'intérieur de la Péninsule. — Marche vers le Guadarrama. — Brillant combat de Somo-Sierra. — Apparition de l'armée française sous les murs de Madrid. — Efforts pour épargner à la capitale de l'Espagne les horreurs d'une prise d'assaut. — Attaque et reddition de Madrid. — Napoléon n'y veut pas laisser rentrer son frère, et n'y entre pas lui-même. — Ses mesures politiques et militaires. — Abolition de l'inquisition, des droits féodaux et d'une partie des couvents. — Les maréchaux Lefebvre et Ney amenés sur Madrid, le maréchal Soult dirigé sur la Vieille-Castille, pour agir ultérieurement contre les Anglais. — Opérations en Aragon et en Catalogne. — Lenteur forcée du siége de Saragosse. — Campagne du général Saint-Cyr en Catalogne. — Passage de la frontière. — Siége de Roses. — Marche habile pour éviter les places de Girone et d'Hostalrich. — Rencontre avec l'armée espagnole et bataille de Cardedeu. — Entrée triomphante à Barcelone. — Sortie immédiate pour enlever le camp du Llobregat, et victoire de Molins-del-Rey. — Suite des événements au centre de l'Espagne. — Arrivée du maréchal Lefebvre à Tolède, du maréchal Ney à Madrid. — Nouvelles de l'armée anglaise apportées par des déserteurs. — Le général Moore, réuni, près de Benavente, à la division de Samuel Baird, se porte à la rencontre du maréchal Soult. — Manœuvre de Napoléon pour se jeter dans le flanc des Anglais, et les envelopper. — Départ du maréchal Ney avec les divisions Marchand et Maurice-Mathieu, de Napoléon avec les divisions Lapisse et Dessoles, et avec la garde impériale. — Passage du Guadarrama. — Tempête, boues profondes, retards inévitables. — Le général Moore, averti du mouvement des Français, bat en retraite. — Napoléon s'avance jusqu'à Astorga. — Des courriers de Paris le décident à s'établir à Valladolid. — Il confie au maréchal Soult le soin de poursuivre l'armée anglaise. — Retraite du général Moore, poursuivi par le maréchal Soult. — Désordres et dévastations de cette retraite. — Rencontre à Lugo. — Hésitation du maréchal Soult. — Arrivée des Anglais à la Corogne. — Bataille de la Corogne. — Mort du général Moore et embarquement des Anglais. — Leurs pertes dans cette campagne. — Dernières instructions de Napoléon avant de quitter l'Espagne, et son départ pour Paris. — Plan pour conquérir le midi de l'Espagne, après un mois de repos accordé à l'armée. — Mouvement du maréchal Victor sur Cuenca, afin de délivrer définitivement le centre de l'Espagne de la présence des insurgés. — Bataille d'Uclès, et prise de la plus grande partie de l'armée du duc de l'Infantado, autrefois armée de Castaños. — Sous l'influence de ces événements heureux, Joseph entre enfin à Madrid, avec le consentement de Napoléon, et y est bien reçu. — L'Espagne semble disposée à se soumettre. — Saragosse présente seule un point de résistance dans le nord et le centre de l'Espagne. — Nature des difficultés qu'on rencontre devant cette ville importante. — Le maréchal Lannes envoyé pour accélérer les opérations du siége. — Vicissitudes et horreurs de ce siége mémorable. — Héroïsme des Espagnols et des Français. — Reddition de Saragosse. — Caractère et fin de cette seconde campagne des Français en Espagne. — Chances d'établissement pour la nouvelle royauté. 364 à 589

FIN DE LA TABLE DU NEUVIÈME VOLUME.

Notes

1: Le reste des 80,000 jeunes soldats envoyés en Espagne était dans les hôpitaux.

2: Toutefois il n'y eut de formés que les 13e, 14e, 17e et 18e régiments provisoires, les détachements ayant manqué pour les 15e et 16e.

3: On peut, par ces divers titres, se faire une idée de la complication que l'étendue des besoins et des ressources avait fait naître dans l'organisation militaire, que Napoléon maniait avec tant de génie. Il y avait les vieux régiments de ligne français portant les numéros 1 à 112, plus les régiments légers portant les numéros 1 à 32, qui étaient répandus en Pologne, en Allemagne, en Italie, en Illyrie, et qui avaient leurs bataillons de dépôt sur le Rhin ou sur les Alpes. Il y avait en outre les régiments dits provisoires, qu'on avait formés avec des compagnies tirées des bataillons de dépôt, et qui étaient détachés en Espagne pour y servir sous une forme temporaire. Il y avait de plus les détachements tirés plus tard de ces mêmes dépôts pour aller renforcer les régiments provisoires, et qui formaient pendant le trajet des régiments de marche. Les cinq légions de réserve, dont les trois premiers bataillons composaient le corps du général Dupont, dont les quatrièmes bataillons composaient l'une des divisions du maréchal Bessières, dont enfin les cinquièmes et sixièmes bataillons restaient à organiser, présentaient une nouvelle catégorie. Il y avait enfin les Italiens, les Polonais, les Suisses, qui concouraient de leur côté à la composition des forces dont disposait Napoléon. Il faut donc suivre avec une attention soutenue ces catégories si diverses et si nombreuses, si on veut apprécier l'art prodigieux avec lequel Napoléon maniait ses forces, et si on veut surtout comprendre comment il se faisait que, malgré cet art prodigieux, les ressources commençassent à être au-dessous de l'immensité de la tâche qu'il avait malheureusement embrassée.

4: Ces chiffres sont pris sur les états les plus authentiques, et n'ont été adoptés par moi qu'après de nombreuses vérifications. Ils sont importants à constater avec précision, parce que le général Dupont, dans son procès, s'attribua beaucoup moins de forces que n'en supposent ces chiffres, et que l'accusation lui en supposa beaucoup plus. La vérité rigoureuse est telle que je la donne ici, après avoir vérifié les états fournis par le général Dupont, ceux qui provenaient du ministère de la guerre, et ceux enfin qui formaient les états particuliers de Napoléon.

5: Le seul détournement, si c'en fut un, consista à accorder aux généraux et officiers supérieurs une gratification, mentionnée d'ailleurs dans les comptes de l'armée, et dont ils avaient indispensablement besoin. Elle varia entre trois et quatre mille francs par tête. Ce fait résulte d'une procédure fort rigoureuse et fort détaillée.

6: Tous ces détails sont extraits de la volumineuse procédure, fort curieuse et fort secrète, instruite contre le général Dupont de 1808 à 1811.

7: Je ne me permets d'exprimer ces jugements sur des questions toutes spéciales, que parce qu'ils sont conformes au simple bon sens, et appuyés de plus sur des autorités irréfragables, Napoléon et Berthier. Ces jugements, en effet, quant à ce qui concerne les opérations militaires du général Dupont, ne sont que la pensée de Napoléon et de Berthier, dégagée, pour le premier des questions qu'il fit adresser par le procureur général aux accusés, et pour le second du discours qu'il prononça dans la procédure.

8: J'exprime ici, par pur amour de la vérité, et surtout par le dégoût profond que j'ai toujours eu pour l'injustice envers les malheureux, un jugement sur l'affaire de Baylen, qui choquera tous les préjugés de l'époque impériale. Mais tout homme d'un esprit droit, après avoir lu les précieux documents que j'ai possédés, ne pourra pas porter un autre jugement que celui que je porte moi-même. Ces documents ont été de diverses sortes, et sont infiniment curieux et concluants. Il existe d'abord plusieurs volumes de pièces relatives à l'affaire de Baylen au dépôt de la guerre, avec les modèles d'interrogatoires qui furent dictés par l'Empereur, et qui révèlent l'opinion qu'il se faisait sur les fautes militaires commises en cette campagne. Il y a sa correspondance avec le général Savary, qui n'est pas le moins important de ces documents, la correspondance du général Dupont avec ses lieutenants, et enfin la procédure elle-même instruite contre les généraux Dupont, Marescot, Vedel, Chabert, etc. Napoléon voulut d'abord, dans un premier élan de colère, faire fusiller tous les auteurs de la capitulation. Bientôt, sur les remontrances du sage et toujours sage Cambacérès, et sous l'inspiration de son cœur, qui eût suffi pour l'arrêter, le premier moment passé, il déféra à un Conseil d'enquête, composé des grands de l'Empire, le jugement de l'affaire de Baylen. D'après l'avis de ce Conseil, un décret impérial prononça la destitution du général Dupont, lui enleva son titre de comte, le raya de la Légion d'honneur, lui retira ses dotations, prescrivit sa translation dans une prison d'État, et ordonna que trois exemplaires manuscrits de la procédure tout entière seraient déposés, l'un au Sénat, l'autre aux archives du gouvernement (Secrétairerie d'État), le troisième aux archives de l'Empire (Archives nationales). Lorsque, après la restauration, le général Dupont fut revenu en faveur (et à cette époque il devint, à mon avis, plus coupable qu'à Baylen), il obtint une ordonnance du roi qui prescrivait le dépôt de ces trois exemplaires à la Chancellerie, pour être statué ultérieurement sur la procédure même. Deux de ces exemplaires furent déposés à la Chancellerie, et ils n'ont jamais été communiqués. Le troisième était resté dans les mains de l'une des grandes familles créées par l'Empire. C'est ce précieux manuscrit, où tout, à mon avis, se trouve complètement éclairci, qui contient la justification du général Dupont, celle, du moins, qu'on peut fournir avec raison et justice. Si on lit dans cette procédure l'opinion du prince Berthier, car chacun des grands de l'Empire exprima la sienne, on y verra, outre une rare supériorité de raison et une honorable humanité, dont les autres personnages, et surtout les personnages de l'ordre civil, ne donnèrent pas l'exemple, à peu près le jugement que je porte ici. J'ajouterai que Napoléon lui-même, revenu par la suite à plus de justice, répétait souvent: Dupont fut plus malheureux que coupable!—Il sentait dès lors les atteintes du malheur, et, avec son grand esprit et son grand cœur, il appréciait mieux à quel point il faut tenir compte des circonstances pour juger équitablement les hommes. Au surplus, je n'ai rencontré dans ma carrière aucun des acteurs qui figurent dans ce récit, ni eux ni leur famille, et je parle par un pur sentiment d'impartialité.

9: Je ne tire point ces observations uniquement de mon esprit. J'avais toujours pensé, en réfléchissant sur ces événements, qu'il restait, même après le désastre de Baylen, des forces suffisantes pour continuer à occuper Madrid; mais j'ai trouvé récemment une note de l'Empereur, datée de Bordeaux, du 2 août, qui m'a confirmé dans cette opinion, et c'est de cette note même que j'extrais les calculs que je viens de présenter, ainsi que l'indication des concentrations qu'on aurait pu opérer. Je n'ai fait que réduire quelques chiffres exagérés dans cette note sur la force des corps qui restaient en Espagne. Napoléon, voulant engager son frère à tenir bon, flattait naturellement un peu la situation, et entre les chiffres douteux préférait toujours les plus élevés. Quoiqu'il comptât plus de 80 mille hommes en Espagne après la perte des 20 mille de Dupont, il en restait à peine ce nombre, tant les maladies et le feu avaient déjà exercé de ravages.

10: J'emploie le nom le plus général; mais dans les Pyrénées, le chamois s'appelle izard.

11: C'est l'assertion du duc de Wellington dans sa correspondance avec le cabinet britannique, récemment imprimée en Angleterre, comme on sait, et présentant un ensemble de documents aussi précieux qu'intéressants.

12: Il existe aux Archives de la Secrétairerie d'État, ai-je dit, la minute des questions adressées au général Dupont par ordre de Napoléon, et on peut, avec ce document, se faire une idée exacte de l'opinion que Napoléon avait conçue de la catastrophe de Baylen et de la conduite du général Dupont. Il vit bien les fautes militaires qui suffisaient pour expliquer la catastrophe, mais il se laissa influencer un moment par les bruits calomnieux, répandus sur le général Dupont, et il le fit interroger sur ces bruits, sans y croire beaucoup lui-même. Il n'y croyait même plus du tout quelque temps après.

13: Cet entretien, transcrit à l'instant même par M. de Champagny, fut envoyé à Vienne à M. Andréossy, et se trouve conservé aux archives des affaires étrangères. Je ne fais ici qu'en résumer le contenu.

14: Il existe aux archives de la secrétairerie d'État des lettres de M. de Champagny fort curieuses, lesquelles, racontant à Napoléon les entretiens de M. de Champagny lui-même avec M. de Romanzoff, donnent la plus singulière idée de l'impatience du ministre russe. On en lira plus bas divers passages qui peignent cette impatience dans toute sa vérité.

15: J'ai déjà dit qu'il y avait des lettres de M. de Champagny à l'Empereur, où les détails de la négociation étaient racontés jour par jour, même quand M. de Champagny et Napoléon se trouvaient réunis à Erfurt. Ces lettres continuèrent naturellement pendant que Napoléon était à Weimar. Je ne suis donc pas réduit aux conjectures, et c'est d'après les documents les plus authentiques que je retrace les détails de cette entrevue, où les résolutions prises n'eurent pas moins d'intérêt que le spectacle donné à l'Europe.

16: Voici ce qu'écrivait Napoléon à M. de Champagny sur ce sujet:

«Toute la discussion ne peut donc tomber que sur la seule phrase ajoutée à l'article VII. Elle est cependant une conséquence immédiate de la démarche qui est faite; car, si l'Angleterre est portée à entrer en négociation, il est évident que la nouvelle lui survenant qu'une puissance d'une masse aussi considérable que la Turquie entre dans ses intérêts, cela la rendra plus exigeante dans la négociation. À quoi bon lui rouvrir sans raison les ports de la Syrie, de l'Égypte, de l'Afrique, de la Morée? Les comptoirs français seraient pillés, plusieurs milliers d'hommes emprisonnés et égorgés, le commerce interrompu; et tout cela en pure perte pour la Russie. Et si la paix était faite entre la Russie et la Porte pendant que les négociations auront lieu avec l'Angleterre, ce serait un incident qui aurait plus d'inconvénients que d'avantages, puisque l'Angleterre verrait plus clair dans les affaires qui se sont traitées à Erfurt, et le traité fait avec la Porte lui ferait comprendre que les idées de partage sont éloignées et l'effraierait moins. Tout porte donc à exécuter scrupuleusement l'article proposé.»

17: Voici comment M. de Champagny s'en explique avec l'Empereur:

«Erfurt, le 6 octobre 1808.

»Sire,

»Traitant cette question avec toute la bonne foi possible, bien persuadé que le délai demandé, celui qui subordonne toute démarche pour l'obtention des deux provinces à l'issue de la négociation avec l'Angleterre, est autant dans les intérêts de la Russie que dans ceux de la France, j'espérais éteindre le sentiment de défiance qu'annonçait la réponse de M. de Romanzoff; mais je n'ai pu l'ébranler. Celui qui est prêt à saisir une proie qu'il a long-temps convoitée, est sourd à toutes les raisons qui peuvent retarder sa jouissance. Il y a trente ans que M. de Romanzoff a rêvé cette acquisition; c'est le triomphe de son système; là est sa réputation et son honneur. Tout autre intérêt lui paraîtra faible auprès de celui-là. L'empereur Alexandre, qu'aucun motif personnel ne pousse, et à qui tous les intérêts de son empire sont également chers, doit être beaucoup plus accessible à la force des raisons qui, pour son intérêt, lui prescrivent de retarder, non pas une jouissance, mais une simple prise de possession d'une province qui ne peut lui échapper. Je ne suis donc convenu de rien avec M. de Romanzoff; quand même j'y aurais été autorisé, je n'étais pas plus disposé que lui à céder, et je regarde comme inutile de lui en parler encore avant l'arrivée de Votre Majesté. Sur le reste nous sommes à peu près d'accord.

«Signé Champagny

«Erfurt, le 8 octobre 1808.

»Sire,

»Deux heures de conférence avec M. le comte de Romanzoff n'ont amené aucun résultat. Son système paraît irrévocablement arrêté; il veut les provinces turques; il les veut à tout prix; il les veut aujourd'hui plutôt que demain. Ses objections sont moins contre l'article VI, dont Votre Majesté veut maintenir la rédaction, que contre l'addition qu'elle propose à l'article VII du contre-projet, et qui consiste en ces mots:

«Il ne sera donné aucun éveil à la Porte sur les intentions de la Russie qu'on n'ait connu l'effet des propositions faites par les deux puissances à l'Angleterre.»

»Ces mots effarouchent beaucoup M. de Romanzoff. Aucun délai ne lui paraît admissible, et surtout un délai indéterminé.—Quand, comment connaîtra-t-on, dit-il, l'effet de ces propositions? Un premier résultat ne mettra-t-il pas dans le cas d'en attendre un second, celui-ci un troisième, et notre arrangement avec la Turquie ne sera-t-il pas continuellement ajourné? Il appliquait ce raisonnement à tout. Si je lui parlais des ménagements dus aux Français établis dans le Levant, il me demandait: Mais voulez-vous attendre qu'ils soient revenus en France? Quand pourront-ils y revenir? La paix avec l'Angleterre lui paraît difficile, et c'est pour cela qu'il ne veut pas y subordonner la paix avec la Turquie. Il m'a parlé aussi de la nécessité de frapper l'opinion des Russes par la certitude de cette importante acquisition, et m'a paru avoir quelques craintes si tel n'était pas le résultat du voyage de l'empereur Alexandre. On m'a plutôt laissé deviner ces craintes qu'on ne me les a montrées; mais le sentiment qui perçait à chaque mot était celui de la défiance, défiance des événements, défiance aussi de nos intentions. C'est d'après cela qu'il mettait moins d'importance à l'article VI. Peu lui importe, en effet, de quelle manière cet article prononce le consentement de la France aux acquisitions de la Russie, si l'article suivant permet à celle-ci d'agir et de marcher à son but. C'est encore pour cela qu'un délai indéterminé l'effraie davantage: il craint d'exposer à des chances un avantage qui lui paraît presque acquis dans ce moment. Il consentirait plutôt à un délai dont le terme serait fixé. Il veut que tout soit précis. «Le vague des articles de Tilsit, dit-il, nous a fait trop de mal; une année a été perdue, et tel est encore l'unique résultat de notre alliance avec vous.»

»Cette obstination de M. de Romanzoff n'est pas le produit du moment. Elle tient à de longues réflexions qui n'ont eu qu'un but, à une attente impatiemment supportée, enfin à l'opinion que dans le moment actuel rien ne peut s'opposer à l'exécution des vues de la Russie. Je désespère de la vaincre.

»Je suis avec respect, etc.

»Signé Champagny

18: M. de Talleyrand, en effet, comme nous l'avons dit, savait d'une manière générale qu'il s'agissait d'une convention qui fixerait les principes sur lesquels reposerait l'alliance; mais il ignorait que le point principal, c'était le don de la Moldavie et de la Valachie, et surtout que le point contesté était le délai de quelques semaines qu'on voulait imposer à la Russie avant de faire des démarches ouvertes relativement aux provinces cédées.

19: J'ai bien des fois, dans ma jeunesse, recueilli ce récit de la bouche même de M. de Talleyrand, et, en le confrontant avec les pièces officielles, j'ai pu constater à quel point il était vrai.

20: On a vu dans le livre précédent que Napoléon avait porté tous les régiments à cinq bataillons; que, pour ceux qui étaient en Allemagne, il en voulait quatre à l'armée, le cinquième au dépôt sur le Rhin; que, pour ceux qui servaient en Espagne, il en voulait trois au delà des Pyrénées, le quatrième à Bayonne comme premier dépôt, et le cinquième dans l'intérieur de la France comme second dépôt.

21: Je cite à cet égard une lettre curieuse du maréchal Jourdan, chef d'état-major de Joseph, et chargé de commander quand Berthier et Napoléon n'y étaient pas.

«Le maréchal Jourdan au général Belliard.

»Vittoria, le 30 octobre 1808.

»Mon cher général, malgré le peu de bonne volonté d'un chacun, le général Morlot est à Lodosa, le maréchal Ney à Logroño. L'ennemi nous a laissé le temps de faire nos allées et nos venues, et nous a laissés prendre nos positions.

»Le général Sébastiani avait reçu ordre de laisser à Murguia le 5e régiment de dragons; mais, comme chacun fait ce qui lui convient, il a mené avec lui, à ce qu'on m'a dit, le moitié du régiment avec le colonel: de manière qu'il va fourrer la moitié d'un régiment de dragons dans un pays où il est presque impossible d'aller à cheval. Ah! mon cher général, si vous pouviez coopérer à me sortir de la maudite galère où je suis, vous me rendriez un grand service! Combien je me trouverais heureux d'aller planter mes choux, si toutefois les choses doivent rester dans l'état où elles sont!

»Le roi a reçu la nuit dernière une lettre du maréchal Victor, datée de Mondragon. Monsieur le maréchal se plaint d'une manière un peu vive de ce qu'on a retenu une de ses divisions à Durango. Il aurait peut-être préféré trouver l'ennemi à Mondragon et à Salinas. Chacun a son goût et sa manière de voir.

»Le roi aurait grande envie de faire attaquer l'ennemi à Durango, mais je crois qu'il craint que cette attaque ne soit désapprouvée par l'Empereur. J'ignore encore à quoi Sa Majesté se décidera, mais très-certainement le succès est assuré. Il est vrai que si on attend encore quelques jours, et que monsieur Blake ait la bonté de rester où il est, il aura de la peine à en sortir. L'obstination de ce général me paraît une chose fort extraordinaire. Attendrait-il des renforts par mer? Si cela était, on ferait bien de le culbuter tout de suite. Mais comment prendre un parti lorsqu'on n'est pas le maître?

»Je vous écris, mon cher général, tout ce que je pense, tout ce que je sais et tout ce qui se passe. Je n'ai d'autre désir ni d'autre intérêt que de voir triompher les armes de l'Empereur, et de voir le roi assis sur le trône d'Espagne. Si ce que je vous écris peut être de quelque utilité, faites-en usage comme vous l'entendrez.»

22: Je cite deux lettres de Napoléon au ministre Dejean, remarquables par ses vues sur la régie et les marchés.

Au ministre Dejean, directeur de l'administration de la guerre.

«Bayonne, 4 novembre 1808.

»Vous trouverez ci-joint un rapport de l'ordonnateur. Vous y verrez comme je suis indignement servi. Je n'ai encore eu que 1,400 habits, que 7,000 capotes au lieu de 50,000; 15,000 paires de souliers au lieu de 129,000. Je manque de tout; l'habillement va au plus mal; mon armée qui va entrer en campagne est nue, elle n'a rien. Les conscrits ne sont pas habillés; vos rapports ne sont que du papier. Ce sont des convois qui m'étaient nécessaires; il fallait les faire partir en règle, et y mettre à la tête un officier ou un commis, et alors on eût été sûr de leur arrivée.

»Vous trouverez ci-joint des lettres du préfet de la Gironde et un rapport de l'inspecteur aux revues Dufresne; vous y verrez que tout est vol et dilapidation. Mon armée est nue, et cependant elle entre en campagne. Je n'en ai pas moins dépensé beaucoup d'argent, mais c'est autant de jeté dans l'eau.»

Au ministre Dejean, directeur de l'administration de la guerre.

«Tolosa, le 5 novembre 1808.

»Les vivres qui sont à Bayonne ne seront pas consommés. Il ne manque pas de vivres en Espagne, surtout des bestiaux et du vin. Je viens d'ordonner que la réserve de bœufs soit contremandée; elle est inutile, ce sera une économie de 2 millions.

»Ce qu'il me faut ce sont des capotes et des souliers. Je ne manquerais de rien si mes ordres avaient été exécutés. Aucun de mes ordres n'a été exécuté parce que l'ordonnateur n'est pas sûr, et qu'on ne traite qu'avec des fripons. Il faut envoyer à Bayonne un ordonnateur au-dessus du soupçon. Je ne veux point de marchés. Vous savez que les marchés ne produisent que des friponneries.

»J'ai cassé le marché de l'habillement de Bordeaux. Envoyez-y un directeur qui fasse confectionner pour mon compte, qui sera aidé du préfet, qui requerra le local et les ouvriers. Partez bien du principe qu'on ne fait des marchés que pour voler; que quand on paye, il n'y a pas besoin de marchés, et que le système de la régie est toujours meilleur.

»Comment faut-il donc faire pour cet atelier de confection? Comme on fait dans les régiments: mettre un commissaire des guerres probe à la tête de cet établissement, y joindre trois ou quatre maîtres tailleurs sous ses ordres, comme employés de l'atelier, et charger trois officiers supérieurs, de ceux qui se trouvent à Bordeaux, de surveiller la réception, de ne recevoir que de bons habits. Il n'y a pas besoin de marché pour tout cela, en mettant de l'argent à la disposition dudit commissaire.

»Par le décret, vous verrez qu'il n'est question que d'avoir un bon adjoint au commissaire des guerres, qui veuille mettre sa réputation à bien faire aller cet atelier, et d'avoir deux bons garde-magasins et deux maîtres tailleurs sortant des corps, honnêtes et experts. Moyennant ces cinq individus, cet atelier marchera parfaitement, et je veux avoir des habits aussi bien confectionnés que ceux de la garde.

»Quant à l'activité, si on veut confectionner 10,000 habits par jour, on les confectionnera, parce qu'il ne sera question que de requérir des ouvriers dans toute la France. Si vous aviez agi d'après ces principes, tout marcherait parfaitement. Mieux vaut tard que jamais. Pour votre règle, je ne veux plus de marché; et quand je ne ferai pas confectionner par les corps, il faudra suivre cette méthode.»

23: Je cite des dépêches qui expliquent clairement la situation, et prouvent ce que pensa de la conduite de ces deux maréchaux un juge infaillible, Napoléon lui-même, qui ordinairement avait plutôt de la faiblesse que de la sévérité pour les deux lieutenants dont il s'agit ici.

Le major général au maréchal Lefebvre.

«Vittoria, 6 novembre 1808, à midi.

»L'Empereur est très-fâché du faux mouvement de retraite de Bilbao. Sa Majesté ne s'attendait pas à cette faute capitale de la part d'un maréchal aussi zélé pour son service. Sa Majesté ne doute pas que si vous eussiez placé votre quartier général à Balmaseda et campé avec vos trois divisions pour agir suivant les circonstances, vous n'eussiez déjà fait plus de huit à dix mille prisonniers à l'ennemi, mais que la conduite tenue dernièrement est d'autant plus extraordinaire qu'en parlant des grands inconvénients des mouvements rétrogrades, vous en avez commencé un de cinq lieues.

»L'Empereur ordonne que vous vous réunissiez à la division Villatte afin de pousser vivement l'ennemi. Si, le 31, monsieur le maréchal, vous n'aviez pas attaqué, et aviez laissé le temps de faire les dispositions nécessaires, la campagne d'Espagne aujourd'hui serait bien avancée. L'Empereur trouve dans votre conduite que trop de zèle vous a fait manquer aux règlements militaires en attaquant sans ordres, mais Sa Majesté ne conçoit pas que l'ennemi puisse rester entier quand on a obtenu sur lui un succès. L'Empereur peut avoir besoin de ses troupes, et quand elles sont engagées on ne peut laisser une division isolée devant l'ennemi, quand d'un autre côté on fait un mouvement rétrograde. Sa Majesté trouve que c'est avec de pareilles dispositions que l'on perd l'avantage de ses succès. L'Empereur pense que, pendant le temps où les troupes des généraux Villatte, Labruyère et Ruffin sont devant l'ennemi, et manœuvrent pour le couper, ce n'était pas celui de vous retirer, et dans une pareille circonstance Sa Majesté trouve déplacé que les troupes du 4e corps restent inactives à Bilbao.

»Le maréchal Soult marche demain sur Burgos, d'où il se portera sur Reinosa et Santander. Marchez donc vivement, monsieur le maréchal. Le but de l'Empereur est qu'il n'y ait pas un moment de repos jusqu'à ce qu'on ait détruit le corps de Blake et qu'il soit repoussé dans les Asturies.

»L'ennemi s'étant retiré par Balmaseda, Villarcayo et Santander, vous devez le talonner sur les corps qui vont le barrer à Reinosa.

»Alexandre.»

Le major général au maréchal Victor.

«Vittoria, 6 novembre 1808, à minuit.

«J'ai mis sous les yeux de l'Empereur votre lettre du 6, que votre aide de camp a dit avoir été écrite à midi. Sa Majesté a été très-mécontente de ce qu'au lieu d'avoir soutenu le général Villatte, vous l'ayez laissé aux prises avec l'ennemi; faute d'autant plus grave, que vous savez que le maréchal Lefebvre a commis celle de laisser exposée une division de votre corps d'armée en reployant ses deux autres divisions sur Bilbao. Vous saviez que cette division était exposée à Balmaseda, puisque le général Labruyère avait communiqué avec elle le 5 au matin. Comment, au lieu de vous porter en personne à la tête de vos troupes, pour secourir une de vos divisions, avez-vous laissé cette opération importante à un général de brigade, qui n'avait pas votre confiance, et qui n'avait avec lui que le tiers de vos forces? Comment, après que vous avez eu la nouvelle que, pendant la journée du 5, la division Villatte se fusillait avec les Espagnols, avez-vous pu, au lieu de marcher à son secours, supposer gratuitement que ce général était victorieux? Sa Majesté demande depuis quand la fusillade et l'attaque est une preuve de la retraite de l'ennemi? Cependant les instructions du maréchal Jourdan étaient précises de ne vous porter sur Miranda que quand vous seriez assuré que l'ennemi était en retraite; et au lieu de cela, monsieur le maréchal, vous êtes parti lorsque vous aviez la preuve certaine que l'ennemi se battait. Vous savez que le premier principe de la guerre veut que dans le doute du succès on se porte au secours d'un de ses corps attaqué, puisque de là peut dépendre son salut. Dans l'autre supposition, votre mouvement ne pouvait avoir d'inconvénient, puisque votre instruction de vous porter sur Miranda n'était qu'hypothétique, et qu'ainsi sa non-exécution ne pouvait influer sur aucuns projets du général en chef.

»Voici ce qui est arrivé, monsieur le maréchal: la colonne devant laquelle le général Labruyère s'est ployé a trouvé le général Villatte, qui, attaqué de front et en queue, n'a dû son salut qu'à son intrépidité, et après avoir fait un grand carnage de l'ennemi; de son côté il a peu perdu, et s'est retiré sur Bilbao deux lieues en avant de cette ville le 5 au soir.

»La volonté de l'Empereur est que vous partiez sans délai pour vous porter sur Orduña, que vous marchiez à la tête de vos troupes, que vous teniez votre corps réuni, et que vous manœuvriez pour vous mettre en communication avec le maréchal Lefebvre, qui doit être à Bilbao.

»Alexandre.»

24: Voici à ce sujet une nouvelle lettre de Napoléon qui nous semble digne d'être rapportée:

L'Empereur au roi d'Espagne.

«Cubo, le 10 novembre 1808.

»Je pars à une heure du matin pour être rendu incognito demain ayant le jour à Burgos, où je ferai mes dispositions pour la journée; car vaincre n'est rien si l'on ne profite pas du succès.

»Je pense que vous devez vous rendre à Briviesca demain.

»Autant je pense devoir faire peu de cérémonie pour moi, autant je crois qu'il faut en faire pour vous. Pour moi, cela ne marche pas avec le métier de la guerre; d'ailleurs, je n'en veux pas.

»Il me semble que des députations doivent venir au-devant de vous et vous recevoir au mieux. À mon arrivée, j'ordonnerai tout pour le désarmement et pour brûler l'étendard qui a servi à la publication de Ferdinand. Donnez l'impulsion pour faire sentir que cela n'est pas pour rire.

»On me mande que l'armée d'Estrémadure est détruite. C'est d'ailleurs une infâme canaille fanfaronne, qui n'a pas soutenu la charge d'une brigade du général Mouton.

»Si vous savez quelque chose du côté d'Orduña ou des maréchaux Lefebvre ou Victor, mandez-le-moi. L'espérance d'avoir quelque nouvelle de ce côté m'a fait rester ici.

»Le général Dejean, qui commande mille chevaux à Miranda, a eu ordre de protéger le passage des Espagnols qui sont avec vous, des parcs qui se dirigent sur Burgos, du trésor, etc.

»Napoléon.»

25: Nous citerons ici, sur ce fait important de la carrière de l'illustre maréchal, diverses lettres du quartier général, qui prouvent le cas que Napoléon faisait de ce grand homme de guerre, et la manière dont il jugea les motifs de son hésitation. On y verra d'abord que les instructions furent très-claires, très-positives, que les dates furent indiquées avec une grande précision; que s'il y eut de l'incertitude d'abord sur les deux routes de Soria et de Calatayud, le 21 toute incertitude avait cessé au quartier général, et qu'Agreda, route de Soria, fut indiqué. Évidemment les faux bruits recueillis à Soria firent seuls hésiter le maréchal Ney. Au surplus, on jugera mieux ce fait important par les documents originaux. Nous ajouterons que, quant au reproche adressé au maréchal Ney, d'avoir perdu son temps par jalousie pour le maréchal Lannes, il n'y a pas le moindre fondement à un tel reproche, quoiqu'il ait été souvent mérité en Espagne par nos généraux. La meilleure part du triomphe fût revenue au maréchal Ney s'il eût réussi, car c'est lui qui aurait pris Castaños. La cause véritable est celle que Napoléon assigna lui-même à la conduite du maréchal, et que j'ai indiquée dans mon récit. On peut s'en rapporter à un juge tel que Napoléon, surtout quand il ne jugeait pas sous l'impression d'un mouvement d'humeur; car, outre son infaillibilité en cette matière, il avait l'avantage d'être près des événements, il savait tous les faits, et ne se laissait influencer par aucune considération. Du reste, voici les documents jusqu'ici inédits; le lecteur prononcera lui-même en les lisant:

Le major général au maréchal Ney, à Aranda.

«Burgos, le 18 novembre 1808, à midi.

»L'Empereur ordonne que vous partiez demain avant le jour, avec vos deux divisions, toute votre artillerie, le 26e régiment de chasseurs à cheval et la brigade de cavalerie du général Beaumont, que le maréchal Bessières mettra à vos ordres, et que vous vous rendiez sur San Estevan de Gormaz, pour de là vous diriger sur Almazan ou sur Soria, à votre choix, selon les renseignements que vous recevrez. Vous intercepterez à Almazan la route de Madrid à Pampelune, et vous vous trouverez dès lors sur les derrières du général Castaños. En route, et surtout à Almazan, vous aurez les renseignements les plus précis. Si vous apprenez, ou que le général Castaños se soit retiré sur Madrid, ou qu'il se soit retiré de Calahorra ou d'Alfaro, et que sa ligne de communication avec Madrid fût celle de Saragosse par Calatayud ou Daroca, votre expédition aurait pour premier but alors de soumettre la ville de Soria, qu'il est important de réduire avant de marcher outre. À cet effet, vous vous dirigerez sur cette ville, vous la désarmerez et ferez sauter les vieilles murailles; vous y ferez arrêter les comités d'insurrection; vous formerez un gouvernement composé des plus honnêtes gens, et vous direz à la ville d'envoyer une députation au roi. Vous vous mettrez en communication avec le maréchal Lannes, qui marche avec la division Lagrange, la brigade Colbert, et tout le corps du maréchal Moncey, sur Calahorra, Alfaro et Tudela. Le maréchal Lannes se portera sur Lodosa le 21, il y sera le 22, où il se réunira au corps du maréchal Moncey, marchera sur Calahorra, et le 23 sur Tudela. Vous, monsieur le duc, vous serez le 21 au soir à Almazan, et le 22 à Soria. L'Empereur sera le 21 à Aranda. Ainsi, le 22 la gauche sera à Calahorra, le centre, que vous formez, sera à Almazan ou Soria, la droite sur Aranda.»

Le major général au maréchal Ney, à Almazan.

«Burgos, le 21 novembre 1808, à quatre heures du soir.

»Les maréchaux Lannes et Moncey attaquent, le 22, l'ennemi à Calahorra; vous devez donc continuer votre mouvement sur Agreda pour vous trouver sur les flancs de l'ennemi, et faire votre jonction avec le maréchal Lannes, si cela est nécessaire.»

Le major général au maréchal Ney, par Agreda.

«Aranda, le 27 novembre 1808, à dix heures du matin.

»Il paraît qu'après la bataille de Tudela, l'armée d'Aragon s'est retirée dans Saragosse, et que l'armée de Castaños s'est retirée sur Tarazona, et si vous vous fussiez trouvé le 23 à Agreda, elle aurait été prise.

»Sa Majesté me charge de vous réitérer l'ordre de poursuivre Castaños; ne le quittez pas, et poursuivez-le la baïonnette dans les reins. Point de repos que votre armée n'ait aussi un morceau de l'armée de Castaños.

»N'écoutez pas les bruits du pays. On disait qu'à Tudela il y avait au delà de 80 mille hommes, et il n'y en avait pas 40 mille, y compris les paysans, et ils ont fui aussitôt qu'on a marché sur eux, abandonnant drapeaux et canons. Cette canaille n'est pas faite pour tenir devant vous, et rien en Espagne ne peut résister à vos deux divisions quand vous êtes à leur tête. Ne quittez donc pas Castaños, et ayez-en votre part. Voilà votre but.»

Le major général au maréchal Ney, par Agreda.

«Aranda, le 28 novembre 1808, à sept heures du soir.

»L'Empereur me charge de vous donner l'ordre de poursuivre Castaños l'épée dans les reins. S'il va sur Madrid, vous le suivrez. Soyez toujours sur sa piste. L'Empereur passe demain la Somo-Sierra, et son projet est de faire couper, s'il est possible, Castaños sur Guadalaxara. Mais il est essentiel que vous, monsieur le maréchal, vous le poursuiviez et que vous ne le laissiez point se jeter sur le corps français qui marche à Madrid, et qui pourrait avoir en même temps à lutter contre les efforts des Anglais, qui, suivant les nouvelles, se mettent en mouvement. Le quartier général de l'Empereur sera demain à Bocequillas, et après-demain à Buytrago. Ainsi, monsieur le duc, le but que vous avez à remplir n'est ni la défense, ni la conquête, ni l'occupation d'un territoire, mais bien de suivre, d'attaquer et de combattre l'armée de Castaños, surtout si elle se portait sur Madrid.»

Le major général au maréchal Ney, à Guadalaxara.

«Chamartin, le 8 décembre 1808.

»Les Anglais se sauvent à toutes jambes; mais nous avons été ici un moment dans une situation sérieuse. C'est une faute d'être arrivé ici trop tard, c'en est une de n'avoir pas suivi l'esprit de vos premières instructions: elles vous faisaient connaître que le maréchal Lannes attaquait l'ennemi le 23, que vous étiez destiné à couper et poursuivie Castaños, et par conséquent à vous porter rapidement sur Agreda, sans vous arrêter deux jours comme vous avez fait en pure perte à Soria.

»Sa Majesté n'approuve pas que vous ayez mêlé votre corps avec celui du maréchal Moncey; il fallait suivre Castaños et laisser le duc de Conegliano faire le siége de Saragosse. L'Empereur ne peut comprendre comment, quand vous avez quitté le 2 Saragosse, vous n'avez pas laissé la division Dessoles au maréchal Moncey, l'exposant par là à faire un mouvement rétrograde. Enfin, ce qui est passé est passé; Sa Majesté connaît trop bien votre zèle pour vous en vouloir, elle vous mettra à même de réparer tout cela. L'Empereur a hésité de donner l'ordre à la division Dessoles et aux Polonais de retourner sur Saragosse, afin de ménager la fatigue de ses troupes. Sa Majesté a préféré faire des changements à ses projets ultérieurs. Elle vient d'ordonner au maréchal Mortier de se diriger sur Saragosse.»

L'Empereur au maréchal Lannes.

«Aranda, le 27 novembre 1808.

»Votre aide de camp est arrivé le 26, à huit heures du matin, et m'a annoncé la brillante affaire de Tudela. Je vous en fais mon compliment. Le maréchal Ney n'a pas, dans cette circonstance, rempli mon but. Arrivé le 22, à midi, à Soria, il devait, selon les ordres qu'il avait reçus, être le 23, de bonne heure, à Agreda. Mais, s'étant laissé imposer par les habitants, et ajoutant foi à un tas de bêtises qu'ils lui débitaient, croyant sur leur parole qu'il y avait 80 mille hommes de troupes de ligne, etc., il a eu peur de se compromettre, et il est resté le 23 et le 24 à Soria. Je lui ai donné l'ordre de partir sur-le-champ et de ne rien craindre. Il a dû être le 25 à Agreda. Il avait entendu votre canonnade le 23 et le 24, et il avait cru que vous aviez été battu, sans raison et sans aucun indice raisonnable. Je lui ai donné l'ordre depuis de pousser Castaños l'épée dans les reins. Je m'occupe de rappeler le corps du maréchal Victor, que j'avais envoyé du côté de l'Aragon, afin de pouvoir enfin marcher sur Madrid.»

26: Ces paroles sont textuellement celles de Napoléon, consignées tout au long dans le Moniteur de cette époque.

27: On est honteux, en lisant les Mémoires si remarquables d'ailleurs du maréchal Saint-Cyr sur sa campagne de Catalogne, des petitesses qui s'y rencontrent, à côté de vues saines et profondes. J'ai lu toute sa correspondance avec l'état-major impérial, et j'affirme qu'elle dément complétement ses assertions, sous un seul rapport, bien entendu, celui du soin qu'aurait mis l'Empereur à lui marchander les moyens, afin que les succès en Catalogne n'effaçassent point les succès en Castille. On est affligé, en vérité, de voir un esprit aussi distingué s'abaisser jusqu'à de si misérables suppositions. L'Empereur n'aimait pas le caractère insociable du maréchal Saint-Cyr, mais il rendait justice à ses qualités éminentes, et n'en était pas jaloux. On voit dans son Histoire de César qu'il était jaloux peut-être de César ou d'Alexandre, mais en fait de jalousie il ne descendait pas au-dessous.

28: Les dépêches de John Moore, publiées par sa famille, ne peuvent laisser aucun doute sur tous ces points.

29: Cette circonstance est prouvée par la correspondance des maréchaux.

30: Voici, en effet, ce qu'il écrivait à ce sujet au ministre de la guerre et au roi d'Espagne:

Au ministre de la guerre.

«Valladolid, le 13 janvier 1809.

«Vous verrez par le bulletin que le duc de Dalmatie est entré à Lugo le 9. Le 10, il a dû être à Betanzos. Les Anglais paraissent vouloir s'embarquer à la Corogne. Ils ont déjà perdu 3 mille hommes faits prisonniers, une vingtaine de pièces de canon, 5 à 600 voitures de bagages et de munitions, une partie de leur trésor et 3 mille chevaux, qu'ils ont eux-mêmes abattus, selon leur bizarre coutume. Tout me porte à espérer qu'ils seront atteints avant leur embarquement et qu'on les battra. J'ai quelquefois regret de n'y avoir pas été moi-même, mais il y a d'ici plus de cent lieues; ce qui, avec les retards que font éprouver aux courriers les brigands qui infestent toujours les derrières d'une armée, m'aurait mis à vingt jours de Paris; cela m'a effrayé surtout à l'approche de la belle saison, qui fait craindre de nouveaux mouvements sur le continent. Le duc d'Elchingen est en seconde ligne derrière le duc de Dalmatie; la force des Anglais est de 18 mille hommes. On peut compter qu'en hommes fatigués, malades, prisonniers et pendus par les Espagnols, l'armée anglaise est diminuée d'un tiers; et si à ce tiers on ajoute les chevaux tués qui rendent inutiles les hommes de cavalerie, je ne pense pas que les Anglais puissent présenter 15 mille hommes bien portants, et plus de 1,500 chevaux. Cela est bien loin des 30 mille hommes qu'avait cette armée.»

Au roi d'Espagne.

«Valladolid, 11 janvier 1809.

«.....Je suis obligé de me tenir à Valladolid pour recevoir mes estafettes de Paris en cinq jours. Les événements de Constantinople, la situation actuelle de l'Europe, la nouvelle formation de nos armées d'Italie, de Turquie et du Rhin, exigent que je ne m'éloigne pas davantage. Ce n'est qu'avec regret que j'ai été forcé de quitter Astorga.

«Il y a à Madrid un millier d'hommes de ma garde, envoyez-les-moi.»

31: Au roi d'Espagne.

«Valladolid, le 12 janvier 1809, à midi.

«L'opération qu'a faite Belliard est excellente. Il faut faire pendre une vingtaine de mauvais sujets. Demain j'en fais pendre ici sept, connus pour avoir commis tous les excès, et dont la présence affligeait les honnêtes gens qui les ont secrètement dénoncés, et qui reprennent courage depuis qu'ils s'en voient débarrassés. Il faut faire de même à Madrid. Si on ne s'y débarrasse pas d'une centaine de boute-feux et de brigands, on n'a rien fait. Sur ces cent, faites-en fusiller ou pendre douze ou quinze, et envoyez les autres en France aux galères. Je n'ai eu de tranquillité en France qu'en faisant arrêter 200 boute-feux, assassins de septembre et brigands que j'ai envoyés aux colonies. Depuis ce temps l'esprit de la capitale a changé comme par un coup de sifflet.»

Au roi d'Espagne.

«Valladolid, 16 janvier 1809.

«La cour des alcades de Madrid a acquitté ou seulement condamné à la prison les trente coquins que le général Belliard avait fait arrêter. Il faut les faire juger de nouveau par une commission militaire, et faire fusiller les coupables. Donnez ordre sur-le-champ que les membres de l'inquisition et ceux du conseil de Castille, qui sont détenus au Retiro, soient transférés à Burgos, ainsi que les cent coquins que Belliard a fait arrêter.

«Les cinq sixièmes de Madrid sont bons; mais les honnêtes gens ont besoin d'être encouragés, et ils ne peuvent l'être qu'en maintenant la canaille. Ici ils ont fait l'impossible pour obtenir la grâce des bandits qu'on a condamnés; j'ai refusé; j'ai fait pendre, et j'ai su depuis que, dans le fond du cœur, on a été bien aise de n'avoir pas été écouté. Je crois nécessaire que, surtout dans les premiers moments, votre gouvernement montre un peu de vigueur contre la canaille. La canaille n'aime et n'estime que ceux qu'elle craint, et la crainte de la canaille peut seule vous faire aimer et estimer de toute la nation.»

32: Lettres de Joseph et de Napoléon déposées aux Archives de l'ancienne Secrétairerie d'État.

33: Nous donnons ici des nombres précis, parce qu'ils sont fournis cette fois avec détail dans les rapports existant au dépôt de la guerre.

34: Ses dépêches à l'Empereur font foi du sentiment qu'il avait éprouvé. On y lit les passages suivants: «Jamais, Sire, je n'ai vu autant d'acharnement comme en mettent nos ennemis à la défense de cette place. J'ai vu des femmes venir se faire tuer devant la brèche. Il faut faire le siége de chaque maison. Si on ne prenait pas de grandes précautions, nous y perdrions beaucoup de monde, l'ennemi ayant dans la ville 30 à 40 mille hommes, non compris les habitants. Nous occupons depuis Santa-Engracia jusqu'aux Capucins, où nous avons pris quinze bouches à feu.

«Malgré tous les ordres que j'avais donnés pour empêcher que le soldat ne se lançât trop, on n'a pas pu être maître de son ardeur. C'est ce qui nous a donné 200 blessés de plus que nous ne devions avoir. (Au quartier-général devant Saragosse, le 28 janvier 1809.)»

..... «Le siége de Saragosse ne ressemble en rien à la guerre que nous avons faite jusqu'à présent. C'est un métier où il faut une grande prudence et une grande vigueur. Nous sommes obligés de prendre avec la mine ou d'assaut toutes les maisons. Ces malheureux s'y défendent avec un acharnement dont on ne peut se faire une idée. Enfin, Sire, c'est une guerre qui fait horreur. Le feu est dans ce moment sur trois ou quatre points de la ville, elle est écrasée de bombes: mais tout cela n'intimide pas nos ennemis. On travaille à force à s'approcher du faubourg. C'est un point très-important. J'espère que, quand nous nous en serons rendus maîtres, la ville ne tiendra pas long-temps.

..... «Un rassemblement de quelques mille paysans est venu attaquer hier les 400 hommes laissés à El Amurria. J'ai donné ordre au général Dumoustier de partir hier, dans la nuit, avec une colonne de 1,000 hommes, 200 chevaux et deux pièces de 4. Je suis sûr qu'il aura tué ou dispersé toute cette canaille. Autant ils sont bons derrière leurs murailles, autant ils sont misérables en plaine.»

35: C'est un fait que j'ai recueilli de la bouche même de l'illustre et à jamais regrettable maréchal Bugeaud. Il était capitaine de grenadiers au siége de Saragosse, et il m'en racontait encore les détails quelques jours avant sa mort.

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