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Histoire du Consulat et de l'Empire, (Vol. 15 / 20): faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française

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Nominations tendant à conquérir des amis à la dynastie impériale. Au moment de partir pour l'armée, Napoléon, cherchant à concilier des amis à son fils et à sa femme, aurait voulu faire une promotion considérable de sénateurs, afin d'étayer par des intérêts satisfaits le dévouement ébranlé d'un grand nombre de personnages. Mais cette mesure présentait un danger que le pénétrant archichancelier lui signala. Il ne restait que treize places vacantes au Sénat, et treize dotations disponibles. Faire plus de nominations qu'il n'y avait de vacances, c'était s'obliger ou à diviser davantage les ressources existantes, ou à augmenter les revenus du Sénat. La situation des finances ne permettant pas de recourir à ce dernier moyen, et ne voulant pas user du premier, de peur de mécontenter le Sénat, Napoléon ne nomma que treize nouveaux membres, qui n'ajoutèrent pas beaucoup, comme on le verra plus tard, à la fidélité de ce corps. Il prodigua en outre les décorations de l'ordre de la Réunion, et nomma duc le comte Decrès, auquel il avait fait attendre ce titre fort injustement, car ce n'était pas la faute de ce ministre si la marine n'avait pas eu de grands succès pendant l'ère impériale. Il choisit pour ses aides de camp le général Corbineau, qui avait miraculeusement trouvé le passage de la Bérézina, et l'illustre Drouot, qui rendait de si grands services dans l'artillerie de la garde, avec laquelle se gagnaient les batailles. Il ne se borna pas à ménager des amis à sa femme et à son fils, il chercha encore à leur épargner des embarras. Il avait rappelé d'Espagne le maréchal Soult, et permis à M. Fouché de revenir de sa sénatorerie. Il ne voulut pas laisser oisifs à Paris ces deux personnages, surtout le second. Il emmena le maréchal Soult avec lui, se proposant de lui donner un emploi dans sa garde, et il résolut, dès qu'il serait rentré dans les pays allemands, de confier à M. Fouché le gouvernement des provinces conquises.

Napoléon consacre 70 millions à l'achat de bons de la caisse d'amortissement pour les soutenir. Il venait de terminer, après trois ou quatre semaines, la session du Corps législatif, et lui avait fait voter la loi de finances, ainsi que la loi relative à la vente des biens communaux. En attendant que les nouveaux bons de la caisse d'amortissement eussent obtenu la confiance du public, il en avait acheté pour la liste civile et le trésor extraordinaire pour environ 70 millions, ce qui était un grand secours donné à M. Mollien, mais une notable diminution des ressources métalliques renfermées aux Tuileries. Suivant sa coutume, il envoya quelques millions à Mayence, dans une caisse inconnue de tous ses ministres, pour qu'aucun d'eux ne comptât sur elle, et qu'il pût y trouver les moyens de pourvoir extraordinairement à ce qui manquerait à ses troupes.

Mesures relatives à l'exécution du concordat de Fontainebleau. Avant de partir, il prit encore quelques mesures relativement au concordat de Fontainebleau. Le Pape, sans nier l'authenticité de ce concordat, ni la réalité de la signature par lui donnée, avait adopté le parti de ne pas exécuter le nouveau traité, en gardant du reste le plus complet silence sur ses intentions. Il ne parlait pas de sa translation à Avignon, pour laquelle d'ailleurs rien n'était encore prêt; il n'exerçait aucune des fonctions du pontificat; il n'avait pas fait choix d'un ministre pour communiquer avec le gouvernement français, n'avait pas davantage informé les diverses cours catholiques qu'on pouvait lui envoyer à Avignon des représentants accrédités. Quant aux fameuses bulles destinées à instituer les évêques nommés par Napoléon, tant de fois annoncées et depuis si longtemps attendues, il n'en disait rien, de manière que le gouvernement de l'Église restait toujours suspendu. Sur ces divers objets, Pie VII, revenant à un système de finesse qui n'était pas à lui, mais à ses conseillers, était loin de déclarer qu'il voulait renoncer au concordat de Fontainebleau et rétracter sa signature, mais il semblait indiquer que dans l'état des choses l'exécution de ce traité n'avait rien de pressant, et affectait de sommeiller plus que de coutume dans sa paisible retraite. Seulement les personnages actifs du parti de l'Église faisaient à Fontainebleau de fréquents voyages. Le bouillant Napoléon faillit s'emporter, et gâter par un éclat l'habileté de son rapprochement avec le Saint-Père. Mais mieux conseillé il se borna à profiter de ses avantages. Publication de ce concordat. Le Pape ayant signé le concordat publiquement, librement, Napoléon n'avait aucune raison de le tenir secret. À la vérité, il avait promis de ne le rendre public qu'après la communication qui devait en être faite aux cardinaux; mais la mauvaise foi dont on usait envers lui, le retard qu'on mettait à faire cette communication aux cardinaux, qui étaient tous réunis à Paris, les dénégations de beaucoup de gens d'église, assurant, les uns que le concordat n'existait pas, les autres qu'il avait été extorqué par la violence, donnaient enfin à Napoléon le droit de le publier. En conséquence il le fit insérer au Bulletin des lois, comme loi de l'État, devant recevoir son exécution à partir de cette insertion. Il prit ensuite ses mesures pour que l'institution des nouveaux prélats, signifiée officiellement au Pape, pût avoir lieu par le métropolitain, si le Pape ne l'accordait pas lui-même dans les six mois. En outre il restreignit le nombre des visiteurs à Fontainebleau, et désigna ceux qui pourraient être admis auprès du Pape. Arrestation du cardinal di Pietro. Enfin il ordonna, mais sans bruit, l'arrestation et la translation à quarante lieues de Paris du cardinal di Pietro, comme s'étant signalé par ses mauvais conseils en cette dernière circonstance. Il ne laissa point ignorer autour du Pape le motif de cette nouvelle rigueur. Au surplus il ne l'étendit à aucun autre des conseillers de Pie VII. C'était un avertissement qu'il voulait donner, mais point encore un éclat qu'il voulait faire.

Arrivée du prince de Schwarzenberg au moment où Napoléon allait quitter Paris. Peu de jours avant son départ pour Mayence, survint le prince de Schwarzenberg, qui était annoncé comme le confident des plus secrètes résolutions du cabinet autrichien. Napoléon avait déjà réexpédié à Vienne M. de Bubna, dont il avait goûté l'esprit, caressé l'amour-propre, et encouragé autant que possible les bonnes dispositions pour la France. Il s'était fort appliqué à lui inculquer l'idée, qui en ce moment pouvait difficilement entrer dans une tête allemande, que l'Autriche devait chercher à refaire avec la France sa fortune délabrée. Il tenta la même chose auprès du prince de Schwarzenberg. Ce prince, qui ne haïssait point Napoléon, et avait lieu au contraire d'en être personnellement satisfait, commençait à se trouver fort embarrassé, car il ne voulait pas lui déplaire, et il tenait aussi à ménager les passions de son pays, bien qu'il fût loin de les partager entièrement. M. de Metternich l'avait envoyé pour questionner beaucoup plus que pour parler; il l'avait chargé surtout de savoir quelle paix Napoléon serait disposé à conclure, et de lui insinuer que l'Autriche ne tirerait l'épée que pour la paix, et pour une paix tout allemande. Dire cela à l'impétueux Napoléon, rayonnant de confiance et d'ardeur, n'était chose ni aisée ni agréable. Aussi le prince de Schwarzenberg n'avait-il accepté cette mission qu'à regret, et ne la remplissait-il qu'avec une sorte de mauvaise grâce. Attitude embarrassée du prince de Schwarzenberg. Il n'articula rien de clair ni de satisfaisant, parla seulement de la nécessité de la paix, du déchaînement des esprits en Allemagne, et n'osa exprimer qu'une très-petite partie de ce qu'il était chargé de dire. Napoléon du reste ne lui laissa ni le temps ni l'occasion de s'expliquer, chercha en le caressant beaucoup à l'entraîner dans ses projets, lui montra une confiance calculée, et prenant ses états de troupes qu'il avait toujours sur sa table à travail, s'efforça de lui persuader qu'il avait en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, onze ou douze cent mille hommes sous les armes, valant bien en qualité les jeunes Allemands qu'on devait lui opposer, ayant de bien autres officiers, et surtout un bien autre général. Il affirma qu'il allait écraser les Russes et les Prussiens, et les jeter au delà de la Vistule. Il tâcha ensuite de persuader au prince que c'était le cas pour l'Autriche de rendre la paix certaine et immédiate en se prononçant en faveur de la France, et de la rendre en outre la plus avantageuse qu'elle eût jamais conclue, en acceptant la Silésie, un million de Polonais, et l'Illyrie, toutes choses qu'il était prêt à lui donner. Ce prince n'ose pas dire à Napoléon les vérités qu'il est chargé de lui exposer. Le prince de Schwarzenberg, quoique doué d'une raison assez ferme, fut touché des calculs de Napoléon, essaya toutefois de lui dire qu'il aurait à combattre dans la prochaine campagne des troupes animées d'un violent fanatisme, que ce ne serait pas l'affaire d'une ou deux batailles, qu'il serait donc sage à lui de songer à négocier, que l'Autriche était toute prête à l'y aider, mais qu'elle ne pouvait cependant pas se battre contre l'Europe pour un arrangement qui ne serait en rien conforme aux vœux et aux intérêts de l'Allemagne. Mais Napoléon était beaucoup trop ardent pour qu'on pût avec de froides raisons l'arrêter dans ses élans. Le prince de Schwarzenberg vit bien qu'il voulait se battre à outrance, que rien ne l'en empêcherait, que probablement il aurait des succès, et pensa qu'il fallait attendre ces succès, et en connaître l'importance, avant de rien augurer et de rien résoudre. En conséquence il proféra quelques mots sans force et sans suite, puis se tut, n'osant pas même dire à Napoléon, sur un point très-important, la vérité qu'il savait, et qu'il eût été de sa loyauté de lui faire connaître. Ce point était relatif au corps auxiliaire autrichien. L'Autriche affectant de rester fidèle au traité d'alliance du 14 mars 1812, le corps auxiliaire autrichien devait toujours être à la disposition de Napoléon, et de plus son entrée en action était fort désirable en ce moment. Napoléon dit donc au prince de Schwarzenberg qu'il allait expédier à ce corps des ordres pour qu'il s'avançât avec le prince Poniatowski vers la haute Silésie, et qu'il espérait que ces ordres seraient exécutés. Le prince de Schwarzenberg qui savait bien que son gouvernement ne voulait plus tirer un coup de fusil, craignit de l'avouer à Napoléon, et eut la faiblesse de lui répondre que le corps autrichien obéirait.

Départ de Napoléon pour l'armée. Après avoir vainement tenté de convertir le prince de Schwarzenberg, Napoléon adressa à ses alliés le grand-duc de Bade, le prince primat, le duc de Wurzbourg, les rois de Wurtemberg, de Bavière et de Saxe, la recommandation de préparer leur contingent, et surtout de lui expédier ce qu'ils auraient de cavalerie organisée. Il insista particulièrement auprès du roi de Saxe, retiré à Ratisbonne, lequel avait avec lui les 2,400 beaux cavaliers dont nous avons parlé, et sur lesquels Napoléon comptait pour les adjoindre au corps du maréchal Ney. Il fit cette demande comme on donne un ordre absolu. Toutes ces dispositions terminées, et après avoir reçu les derniers embrassements de l'Impératrice, émue, désolée de cette séparation, il partit le 15 avril, aussi ardent, aussi confiant qu'au début de ses plus belles campagnes! Heureuse et fatale confiance qui devait produire de grandes choses, mais, par son excès même, amener de nouveaux et irréparables désastres!

FIN DU LIVRE QUARANTE-SEPTIÈME.

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