Histoire parlementaire de France, Volume 2.: Recueil complet des discours prononcés dans les chambres de 1819 à 1848
The Project Gutenberg eBook of Histoire parlementaire de France, Volume 2.
Title: Histoire parlementaire de France, Volume 2.
Author: François Guizot
Release date: May 23, 2009 [eBook #28937]
Language: French
Credits: Produced by Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online
Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
file was produced from images generously made available
by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)
HISTOIRE
PARLEMENTAIRE
DE FRANCE
RECUEIL COMPLET
DES DISCOURS PRONONCÉS DANS LES CHAMBRES DE 1819 A 1848PAR
M. GUIZOT
TOME DEUXIÈME
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
1863
Tous droits réservés
XLV
Exposé des motifs du projet de loi sur l'instruction primaire
présenté à la Chambre des députés le 2 janvier 1833.--Chambre des députés.--Séance du 2 janvier 1833.--
L'instruction publique, et spécialement l'instruction primaire, était, depuis la révolution de 1830, l'une des questions dont les Chambres et le public se préoccupaient le plus vivement. La Charte de 1830 avait promis, dans son article final, une loi à ce sujet. Le 24 octobre 1831, le comte de Montalivet, comme ministre de l'instruction publique et des cultes, présenta à la Chambre des députés un projet de loi sur l'instruction primaire qui n'arriva pas jusqu'à la discussion. Peu après l'ouverture de la session de 1832, le 17 décembre 1832, quatre députés, MM. Eschasseriaux, Laurence, Eusèbe Salverte et Taillandier, firent, sur le même sujet, une proposition formelle et détaillée. Dès mon entrée au ministère de l'instruction publique, je m'occupai de la préparation d'un nouveau projet de loi. J'ai dit, dans mes Mémoires 1, au milieu de quelles circonstances, politiques et domestiques, j'accomplis ce premier travail et quelles idées y présidèrent. Je présentai le projet de loi à la Chambre des députés, le 2 janvier 1833; M. Renouard, député de la Somme, en fit le rapport, le 4 mars suivant, au nom de la commission qui avait été chargée de l'examiner. La discussion s'ouvrit le 29 avril et dura jusqu'au 3 mai. Le projet de loi, adopté dans la Chambre des députés par 249 voix contre 7, fut présenté le 6 mai à la Chambre des pairs. M. Cousin en fit le rapport le 21 mai, et la Chambre des pairs l'adopta le 28 mai, à la majorité de 114 voix contre 4, en y faisant quelques amendements. Reporté le 1er juin à la Chambre des députés, le projet de loi amendé y fut, sur le rapport qu'en fit, le 12 juin, M. Dumon, député de Lot-et-Garonne, l'objet d'une nouvelle discussion qui dura du 14 au 18 juin. Les amendements de la Chambre des pairs furent, les uns acceptés, les autres repoussés par la Chambre des députés, où le projet de loi fut de nouveau voté par 219 voix contre 57; et il retourna, le 20 juin, à la Chambre des pairs qui, sur un second rapport de M. Cousin, l'adopta purement et simplement, le 22 juin, à 86 voix contre 11. Il fut promulgué, comme loi, le 28 juin 1833.
J'insère ici, dans leur ordre et sans en interrompre la série par les autres questions qui occupèrent les Chambres dans ce long intervalle, du 2 janvier au 28 juin 1833, les divers discours que je prononçai dans ces divers débats sur toutes les questions que souleva ce projet de loi.
Messieurs, le caractère du projet de loi que nous avons l'honneur de vous présenter est d'être essentiellement pratique.
Il ne repose, en effet, sur aucun de ces principes absolus que l'esprit de parti et l'inexpérience accréditent selon les temps et les circonstances, et qui, lorsqu'ils règnent seuls dans une loi, la rendent presque toujours vaine et stérile.
L'histoire de l'instruction primaire, depuis quarante années, est une éclatante démonstration de ce danger.
Quel principe, au premier coup d'oeil, paraît plus favorable que celui-ci:
«Quand un gouvernement est fondé sur les lumières générales, il doit à tous l'instruction nécessaire à tous.»
Quoi de plus spécieux, de plus digne, ce semble, d'une grande nation?
C'est presque l'honneur de l'Assemblée constituante de s'être laissé prendre à cette illusion généreuse; et, sous l'empire de l'enthousiasme qui entraînait alors les meilleurs esprits, la loi du 13 et du 14 septembre 1791 décida que l'instruction serait gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes. Ce qu'avait dit l'Assemblée constituante, la Convention le fit, c'est-à-dire le tenta, car elle décréta partout un enseignement élémentaire, avec un traitement fixe de 1,200 fr. à tout instituteur, sur le Trésor public, ainsi qu'une retraite proportionnée.
Promesse magnifique qui n'a pas produit une seule école! Quand l'État veut tout faire, il s'impose l'impossible; et comme on se lasse bientôt de lutter contre l'impossible, à des illusions gigantesques succèdent promptement le découragement, la langueur et la mort.
Du principe absolu de l'instruction primaire gratuite considérée comme une dette de l'État, passons au principe opposé qui compte encore aujourd'hui tant de partisans, celui de l'instruction primaire considérée comme une pure industrie, par conséquent livrée à la seule loi de toute industrie, la libre concurrence, et à la sollicitude naturelle des familles, sans aucune intervention de l'État. Mais cette industrie que l'intérêt comprend, l'intérêt seul la poursuit; l'intérêt peut donc aussi l'interrompre et l'abandonner. Les lieux où l'instruction primaire serait le plus nécessaire sont précisément ceux qui tentent le moins l'industrie, et le besoin le plus sacré demeure sans garantie et sans avenir.
Contre ces deux principes extrêmes, nous adresserons-nous au principe communal? Demanderons-nous à la commune, qui semble participer à la fois de la famille et de l'État, de se charger seule de l'instruction primaire, de la surveillance et par conséquent des dépenses? Le principe communal nous jette bien loin des grandes vues de l'Assemblée constituante et de la Convention; il nous mène sous le gouvernement du Directoire et sous la loi de l'an IV, aussi étroite en matière d'instruction primaire que le principe exclusif sur lequel elle repose; loi en vérité trop peu libérale et envers l'instituteur et envers le peuple, qui n'assurait à l'instituteur que le logement, et n'exemptait de la rétribution qu'un quart des élèves pour cause d'indigence. Encore la loi de l'an X, conçue dans le même esprit, réduisit ce quart au cinquième, pour ne pas trop diminuer le seul traitement éventuel du maître, mais en augmentant par là l'ignorance et la misère de la commune.
C'est qu'il est bien difficile que la plupart des communes supportent seules les dépenses nécessaires pour que l'instruction primaire y soit réelle; dans presque toutes, il faudra que l'instituteur se contente à peu près de la seule rétribution des élèves qu'il attirera; traitement éventuel, incertain, insuffisant. Cet instituteur, déjà si dépourvu, on le ruine entièrement, si on le force de donner l'instruction gratuite aux indigents; et de conséquence en conséquence, on arrive à n'admettre dans l'école qu'un très-petit nombre de pauvres, c'est-à-dire que l'on prive de l'instruction primaire ceux-là mêmes qui en ont le plus pressant besoin. Rien n'est plus sage assurément que de faire intervenir les pouvoirs locaux dans la surveillance de l'instruction primaire; mais il n'est pas bon qu'ils y interviennent seuls, ou il faut bien savoir qu'on livre alors l'instruction primaire à l'esprit de localité et à ses misères. Si on veut que le maître d'école soit utile, il faut qu'il soit respecté; et pour qu'il soit respecté, il faut qu'il ait le caractère d'un fonctionnaire de l'État, surveillé sans doute par le pouvoir communal, mais sans être uniquement sous sa main, et relevant d'une autorité plus générale.
Cherchez toujours ainsi, messieurs, et vous ne trouverez pas un bon principe qui, admis à dominer seul dans l'instruction primaire, ne puisse lui porter un coup mortel. Et pour finir ces exemples par le plus frappant de tous, supposons un gouvernement qui, pour établir la salutaire influence de la religion dans l'instruction du peuple, irait, comme l'a tenté la Restauration dans ses plus mauvais jours, jusqu'à remettre l'éducation du peuple au clergé seul. Cette coupable condescendance enlèverait à l'instruction primaire les enfants de toutes les familles qui repoussent, avec raison, la domination ecclésiastique; comme aussi, en substituant dans les écoles ce qu'on appelle la morale civique à l'instruction morale et religieuse, on commettrait d'abord une faute grave envers l'enfance, qui a besoin de morale et de religion, et ensuite on soulèverait des résistances redoutables; on rendrait l'instruction primaire suspecte, antipathique peut-être à une foule de familles en possession d'une juste influence.
Nous espérons, messieurs, avoir évité dans le projet de loi ces excès différents, également dangereux. Nous n'avons point imposé un système à l'instruction primaire; nous avons accepté tous les principes qui sortaient naturellement de la matière, et nous les avons tous employés dans la mesure et à la place où ils nous ont paru nécessaires. C'est donc ici, nous n'hésitons pas à le dire, une loi de bonne foi, étrangère à toute passion, à tout préjugé, à toute vue de parti, et n'ayant réellement d'autre objet que celui qu'elle se propose ouvertement, le plus grand bien de l'instruction du peuple.
Quoiqu'elle renferme une assez grande variété de principes, cette loi est simple dans son économie. Elle réduit à trois questions fondamentales toutes celles que l'on peut se proposer sur l'instruction primaire, savoir:
1° Les objets d'enseignement que l'instruction primaire doit embrasser;
2° La nature des écoles auxquelles elle doit être confiée;
3° Les autorités qui doivent y être préposées.
La première question est résolue dans le titre Ier de la loi, qui contient comme la définition de l'instruction primaire.
Nous avons divisé l'instruction primaire en deux degrés, l'instruction primaire élémentaire et l'instruction primaire supérieure. Le premier degré est comme le minimum de l'instruction primaire, la limite au-dessous de laquelle elle ne doit pas descendre, la dette étroite du pays envers tous ses enfants. Ce degré d'instruction doit être commun aux campagnes et aux villes; il doit se rencontrer dans le plus humble bourg comme dans la plus grande cité, partout où il se trouve une créature humaine sur notre terre de France.
Tel qu'il est constitué, vous reconnaîtrez qu'il est suffisant. Par l'enseignement de la lecture, de l'écriture, et du calcul, il pourvoit aux besoins les plus essentiels de la vie; par celui du système légal des poids et mesures et de la langue française, il implante partout, accroît et répand l'esprit et l'unité de la nationalité française; enfin, par l'instruction morale et religieuse, il pourvoit déjà à un autre ordre de besoins tout aussi réels que les autres, et que la Providence a mis dans le coeur du pauvre comme dans celui des heureux de ce monde, pour la dignité de la vie humaine, et la protection de l'ordre social.
Ce premier degré d'instruction est assez étendu pour faire un homme de qui le recevra, et en même temps assez circonscrit pour pouvoir être partout réalisé. Mais de ce degré à l'instruction secondaire qui se donne, soit dans les institutions et pensions privées, soit dans les colléges de l'État, il y a bien loin, messieurs, et pourtant, dans notre système actuel d'instruction publique, il n'y a rien entre l'un et l'autre. Cette lacune a les plus grands inconvénients; elle condamne ou à rester dans les limites étroites de l'instruction élémentaire, ou à s'élancer jusqu'à l'instruction secondaire, c'est-à-dire jusqu'à un enseignement classique et scientifique extrêmement coûteux.
De là il résulte qu'une partie très-nombreuse de la nation qui, sans jouir des avantages de la fortune, n'est pas non plus réduite à une gêne trop sévère, manque entièrement des connaissances et de la culture intellectuelle et morale appropriées à sa position. Il faut absolument, messieurs, combler cette lacune; il faut mettre une partie si considérable de nos compatriotes en état d'arriver à un certain développement intellectuel, sans lui imposer la nécessité de recourir à l'instruction secondaire si chère et, je ne crains pas de la dire, car je parle devant des hommes d'État qui comprendront ma pensée, si chère à la fois et si périlleuse. En effet, pour quelques talents heureux que l'instruction scientifique et classique développe et arrache utilement à leur condition première, combien de médiocrités y contractent des goûts et des habitudes incompatibles avec la condition où il leur faudrait retomber, et, sorties une fois de leur sphère naturelle, ne sachant plus quelle route se frayer dans la vie, ne produisent guère que des êtres ingrats, mécontents, à charge aux autres et à eux-mêmes!
Nous croyons rendre au pays un vrai service en établissant un degré supérieur d'instruction primaire qui, sans entrer dans l'instruction classique et scientifique proprement dite, donne pourtant, à une partie nombreuse de la population, une culture un peu plus relevée que celle que lui donnait jusqu'ici l'instruction primaire. Déjà le projet qui vous a été présenté l'année dernière et le rapport de votre commission rendaient un enseignement de ce genre facultatif, selon les besoins et les ressources des localités; nous avons cru entrer dans vos vues en organisant d'une manière positive ce degré supérieur de l'instruction primaire, en le rendant obligatoire pour toutes les communes urbaines au-dessus de 6,000 âmes, comme le degré inférieur l'est pour toutes les communes, si petites qu'elles soient.
S'il n'y a qu'un seul degré d'instruction primaire et qu'on élève ou qu'on étende trop ce degré, on le rend inaccessible à la classe pauvre; si on le resserre trop, on le rend insuffisant pour une grande partie de la population qui ne peut pas non plus atteindre jusqu'à nos colléges; et si, en admettant une instruction primaire supérieure, on la laisse facultative, on ne fait absolument rien. La loi se tait, ou elle prescrit et elle organise. C'est par ces considérations que nous avons établi et réglé un degré supérieur d'instruction primaire qui ajoute aux connaissances indispensables à tous les hommes les connaissances utiles à beaucoup: les éléments de la géométrie pratique, qui fournissent les premières données de toutes les professions industrielles; les notions de physique et d'histoire naturelle, qui nous familiarisent avec les grands phénomènes de la nature, et sont si fécondes en avertissements salutaires de tout genre; les éléments de la musique, ou au moins du chant, qui donnent à l'âme une véritable culture intérieure; la géographie, qui nous apprend les divisions de cette terre que nous habitons; l'histoire, par laquelle nous cessons d'être étrangers à la vie et à la destinée de notre espèce, surtout l'histoire de notre patrie qui nous identifie avec elle; sans parler de telle ou telle langue moderne qui, selon les provinces où nous sommes placés, peut nous être indispensable ou du plus grand prix. Tel est, messieurs, l'esprit du titre 1er de la loi qui vous est soumise.
Les titres II et III déterminent la nature et les caractères des écoles auxquelles l'instruction primaire doit être confiée.
Ici, messieurs, notre premier soin devait être et a été de restituer pleine et entière, selon l'esprit et le texte précis de la Charte, la liberté d'enseignement. Désormais tout citoyen âgé de dix-huit ans accomplis pourra fonder, entretenir, diriger tout établissement quelconque d'instruction primaire, soit du degré inférieur, soit du degré supérieur, normal ou autre, dans toute espèce de commune urbaine ou rurale, sans autres conditions qu'un certificat de bonne vie et moeurs, et un brevet de capacité obtenu après examen. Vous reconnaîtrez, avec votre commission de la session dernière, qu'exiger une preuve de capacité de quiconque entreprend l'éducation de la jeunesse n'est pas plus entraver la liberté de l'enseignement, qu'on ne gêne la liberté des professions de l'avocat, du médecin ou du pharmacien en leur imposant des preuves analogues de capacité.
La profession d'instituteur de la jeunesse est, sous un certain rapport, une industrie, et à ce titre elle doit être pleinement libre; mais, comme la profession de médecin ou d'avocat, ce n'est pas seulement une industrie, c'est une fonction délicate à laquelle il faut demander des garanties; on porterait atteinte à la liberté si, comme jusqu'ici, outre la condition du brevet, on imposait encore celle d'une autorisation préalable. Là commencerait l'arbitraire. Nous le rejetons, et avec plaisir, car nous ne redoutons pas la liberté de l'enseignement, messieurs, nous la provoquons au contraire. Elle ne pourra jamais, à notre gré, multiplier assez les méthodes et les écoles; et si nous lui reprochions quelque chose, ce serait de ne pas faire davantage. Elle promet plus qu'elle ne donne, nous le croyons; mais ses promesses sont assez innocentes, et une seule accomplie est un service envers le pays que nous nous sentirions coupables d'avoir empêché. Encore une fois, nous sommes les premiers à faire appel à la liberté de l'enseignement; nous n'aurons jamais assez de coopérateurs dans la noble et pénible entreprise de l'amélioration de l'instruction populaire. Tout ce qui servira cette belle cause doit trouver en nous une protection reconnaissante.
Tout le monde convient que le droit de surveillance exercé sur les écoles privées est d'une partie nécessaire et légitime en soi, et que, de l'autre, il n'est nullement une entrave à la liberté de l'enseignement, puisqu'il ne porte point sur les méthodes. D'ailleurs, dans le projet de loi, la surveillance est au plus haut degré désintéressée, exercée par une autorité impartiale et qui doit rassurer les esprits les plus ombrageux, car elle est en très-grande partie élective. Enfin, nul maître d'école privée ne peut être interdit de l'exercice de sa profession, à temps ou à toujours, qu'après un procès spécial comme le délit lui-même, et par une sentence du tribunal civil ordinaire.
Mais quelque liberté que nous laissions, quelques sûretés que nous donnions aux écoles privées, quelques voeux que nous fassions pour qu'elles s'étendent et prospèrent, ce serait un abandon coupable de nos devoirs les plus sacrés de nous en reposer sur elles de l'éducation de la jeunesse française. Les écoles privées sont libres, et par conséquent livrées à mille hasards. Elles dépendent des calculs de l'intérêt ou des caprices de la vocation, et l'industrie qu'elles exploitent est si peu lucrative qu'elle attire peu et ne retient presque jamais. Les écoles privées sont à l'instruction ce que les enrôlements volontaires sont à l'armée; il faut s'en servir sans y trop compter. De là, messieurs, l'institution nécessaire des écoles publiques, c'est-à-dire d'écoles entretenues en tout ou en partie par les communes, par les départements ou par l'État, pour le service régulier de l'instruction du peuple. C'est le sujet du titre III.
Nous avons attaché à toute commune ou, pour prévoir des cas qui, nous l'espérons, deviendront de jour en jour plus rares, à la réunion de plusieurs communes circonvoisines, une école publique élémentaire; et, pour entretenir cette école, nous avons cru pouvoir combiner utilement plusieurs principes que trop souvent on a séparés. Il nous a paru que nulle école communale élémentaire ne pouvait subsister sans deux conditions: 1° un traitement fixe qui, joint à un logement convenable, rassure l'instituteur contre les chances de l'extrême misère, l'attache à sa profession et à la localité; 2° un traitement éventuel, payé par les élèves, qui lui promette une augmentation de bien-être à mesure qu'il saura répandre autour de lui, par sa conduite et ces leçons, le besoin et le goût de l'instruction.
Le traitement fixe permet d'obliger l'instituteur à recevoir gratuitement tous les enfants dont les familles auront été reconnues indigentes. Seul, le traitement fixe aurait deux graves inconvénients. D'abord, comme il devrait être assez considérable, il accablerait quiconque en serait chargé; ensuite il établirait le droit à l'instruction gratuite, même pour ceux, qui peuvent la payer, ce qui serait une injustice sans aucun avantage, car on profite d'autant mieux d'une chose qu'on lui fait quelque sacrifice, et l'instruction élémentaire elle-même ne doit être gratuite que quand elle ne peut ne pas l'être. Elle ne le sera que pour quiconque aura prouvé qu'il ne peut la payer. Alors, mais seulement alors, c'est une dette sacrée, une noble taxe des pauvres, que le pays doit s'imposer; et, dans ce cas, il ne s'agit plus, comme la loi de l'an IV ou dans celle de l'an X, du quart ou du cinquième des élèves; non, messieurs, tous les indigents seront admis gratuitement. En revanche, quiconque pourra payer payera, peu sans doute, très-peu, presque rien, mais enfin quelque chose, parce que cela est juste en soi, et parce que ce léger sacrifice attachera l'enfant à l'école, excitera la vigilance des parents et les relèvera à leurs propres yeux.
Voilà pour l'instruction élémentaire. Quant à l'instruction primaire supérieure, comme elle est destinée à une classe un peu plus aisée, il n'est pas nécessaire qu'elle soit gratuite; mais la rétribution doit être la plus faible possible, et c'est pour cela qu'il fallait assurer un traitement fixe à l'instituteur. Nous espérons que ces combinaisons prudentes porteront de bons fruits.
Maintenant, qui supportera le poids du traitement fixe? La commune, le département ou l'État? Souvent et presque toujours, messieurs, tous les trois: la commune seule, si elle le peut; à son défaut, et en certaine proportion, le département; et, au défaut de celui-ci, l'État, de sorte que, dans les cas les plus défavorables, la charge, ainsi divisée, soit supportable pour tous.
C'est encore là une combinaison dans laquelle l'expérience nous autorise à placer quelque confiance. Nous reproduisons le minimum du traitement fixe de l'instituteur élémentaire, tel qu'il a été fixé par le dernier projet de loi et accepté par votre commission; et le minimum que nous vous proposons pour le traitement fixe de l'instituteur du degré supérieur ne nous paraît pas excéder les facultés de la plupart des petites villes.
L'ancien projet de loi et votre commission avaient voulu que toute commune s'imposât jusqu'à concurrence de cinq centimes additionnels pour faire face aux besoins de l'instruction primaire. Trois centimes nous ont semblé suffisants, mais à condition d'imposer le département, non plus seulement à un nouveau centime additionnel, mais à deux, pour venir au secours des communes malheureuses. Quand les sacrifices de la commune et ceux du département auront atteint leur terme, alors interviendra l'État avec la subvention annuelle que vous consacrez à cet usage. Vous voyez dans quel intérêt ont été calculées toutes ces mesures, et nous nous flattons que vous les approuverez.
Il ne peut y avoir qu'une seule opinion sur la nécessité d'ôter à l'instituteur primaire l'humiliation et le souci d'aller recueillir lui-même la rétribution de ses élèves et de la réclamer en justice, et sur l'utilité et la convenance de faire recouvrer cette rétribution dans les mêmes formes et par les mêmes voies que les autres contributions publiques. Ainsi l'instituteur primaire est élevé au rang qui lui appartient, celui de fonctionnaire de l'État.
Mais tous ces soins, tous ces sacrifices seraient inutiles, si nous ne parvenions à procurer à l'école publique ainsi constituée un maître capable, digne de la noble mission d'instituteur du peuple. On ne saurait trop le répéter, messieurs; autant vaut le maître, autant vaut l'école elle-même.
Et quel heureux ensemble de qualités ne faut-il pas pour faire un bon maître d'école?
Un bon maître d'école est un homme qui doit savoir beaucoup plus qu'il n'en enseigne, afin de l'enseigner avec intelligence et avec goût; qui doit vivre dans une humble sphère, et qui pourtant doit avoir l'âme élevée pour conserver cette dignité de sentiments, et même de manières, sans laquelle il n'obtiendra jamais le respect et la confiance des familles; qui doit posséder un rare mélange de douceur et de fermeté, car il est l'inférieur de bien du monde dans une commune, et il ne doit être le serviteur dégradé de personne; n'ignorant pas ses droits, mais pensant beaucoup plus à ses devoirs; donnant à tous l'exemple, servant à tous de conseiller, surtout ne cherchant point à sortir de son état, content de sa situation parce qu'il y fait du bien, décidé à vivre et à mourir dans le sein de l'école, au service de l'instruction primaire, qui est pour lui le service de Dieu et des hommes. Faire des maîtres, messieurs, qui approchent d'un pareil modèle, est une tâche difficile, et cependant il faut y réussir, ou nous n'avons rien fait pour l'instruction primaire.
Un mauvais maître d'école, comme un mauvais curé, comme un mauvais maire, est un fléau pour une commune. Nous sommes bien réduits à nous contenter très-souvent de maîtres médiocres, mais il faut tâcher d'en former de bons; et pour cela, messieurs, des écoles normales primaires sont indispensables. L'instruction secondaire est sortie de ses ruines; elle a été fondée en France le jour où, recueillant une grande pensée de la Révolution, la simplifiant et l'organisant, Napoléon créa l'École normale centrale de Paris. Il faut appliquer à l'instruction primaire cette idée simple et féconde. Aussi, nous vous proposons d'établir une école normale primaire par département.
Mais quelle que soit la confiance que nous inspirent ces établissements, ils ne conféreront pas à leurs élèves le droit de devenir instituteurs communaux si ceux-ci, comme tous les autres citoyens, n'obtiennent, après un examen, le brevet de capacité pour l'un ou l'autre degré de l'instruction primaire auquel ils se destinent.
Il ne reste plus, messieurs, qu'une mesure à prendre pour assurer l'avenir des instituteurs primaires. Déjà la loi du 21 mars 1832 exempte du service militaire tous ceux qui s'engagent pour dix ans au service non moins important de de l'instruction primaire. Un article du dernier projet ménageait des pensions, au moyen de retenues assez fortes, aux instituteurs communaux dont les services auraient duré trente ans, ou qui, après dix ans, seraient empêchés de les continuer par des infirmités contractées pendant leurs fonctions. Votre commission de la session dernière avait rejeté cet article par diverses considérations, entre autres par la crainte que le trésor public n'eût quelque chose à ajouter aux produits des retenues pour former une pension un peu convenable. Après de sérieuses réflexions, un autre système nous a paru propre à atteindre le but que nous nous proposons. Dans le nouveau projet de loi, il ne s'agit plus de pensions de retraite, mais d'une simple caisse d'épargne et de prévoyance en faveur des instituteurs primaires communaux. Cette caisse serait établie dans chaque département; elle serait formée par une retenue annuelle sur le traitement fixe de chaque instituteur communal; le montant de la retenue serait placé en rentes sur l'État, et le produit total serait rendu à l'instituteur à l'époque où il se retirerait, ou, en cas de décès dans l'exercice de ses fonctions, à sa veuve ou à ses héritiers.
Il est expressément entendu que, dans aucun cas, il ne pourra être ajouté aucune subvention sur les fonds de l'État à cette caisse de prévoyance; mais elle pourra recevoir des legs et des dons particuliers. Ainsi se trouveraient conciliés les intérêts de l'État, chargé de trop de pensions pour consentir à voir s'augmenter encore cet énorme chapitre de ses dépenses, et ceux de l'instruction primaire, qui vit de peu, mais qui a besoin d'avenir.
Je me hâte de passer au titre IV de cette loi, relatif aux diverses autorités préposées à l'instruction primaire. C'est ici surtout, messieurs, que nous nous sommes efforcés de nous dépouiller de tout esprit de système et d'accepter l'intervention de toute autorité réclamée pour le bien du service.
Des écoles communales semées sur toute la surface de la France exigent évidemment des autorités rapprochées d'elles. Celles qui jusqu'ici ont présidé partout à l'instruction primaire sont les comités de cantons. Ces comités sont loin d'avoir été inutiles. Plusieurs ont rendu de vrais services; cependant on peut faire à cette institution deux sortes de reproches opposés également graves.
Les comités cantonaux sont encore trop loin des différentes écoles communales du canton pour exercer sur elles la surveillance permanente que celles-ci réclament; et, bien que trop éloignés, sous un rapport, de chaque commune, sous un autre ils n'en sont pas assez loin ni placés dans une sphère assez élevée pour être étrangers à l'esprit de localité. Enfin, c'était une question épineuse de déterminer par qui et comment devaient être nommés les membres de ces comités.
L'expérience générale de tous les pays où l'instruction primaire est florissante l'a démontré. Il faut, pour qu'une école communale marche, qu'elle ait auprès d'elle un comité spécial qui ait cette école seule à surveiller, et qui la surveille sans efforts parce qu'elle est constamment sous ses yeux; et il faut en même temps que ce comité local se rapporte à un comité plus général placé à distance, ni trop près, ni trop loin, et dont les membres soient, par leur position, étrangers aux petitesses de l'esprit local, et possèdent la fortune, les lumières et le loisir que leurs fonctions demandent. Nous vous proposons donc de substituer aux anciens comités de cantons un comité de surveillance par école communale, et un comité supérieur par arrondissement: l'un chargé des détails et particulièrement du matériel de l'inspection, l'autre chargé surtout de la direction morale; l'un qui présente les candidats, l'autre qui les agrée (vous concevez qu'il s'agit toujours ici des écoles publiques); celui-ci qui, en cas de négligence habituelle ou de délit grave, accuse l'instituteur primaire; celui-là qui le juge, le suspend ou le révoque.
Ces deux comités représentent, dans leur action combinée, l'intervention légitime de la commune et du département; car ils ont encore sur les anciens comités cantonaux ce précieux avantage que la plus grande partie de leurs membres pourra être et sera réellement empruntée aux pouvoirs électifs de la commune, de l'arrondissement et du département.
Cependant ces deux comités, bien que se soutenant, s'excitant, s'éclairant l'un l'autre, pourraient encore se relâcher ou s'égarer dans leur zèle si une autorité supérieure, celle qui à son tour représente la puissance publique appliquée à l'instruction primaire, n'intervenait, soit pour recueillir des lumières, soit pour en donner, et pour imprimer partout l'impulsion et une direction nationale. Le ministre trahirait ses devoirs envers l'État et envers l'instruction première, s'il s'en tenait uniquement aux rapports officiels qui lui seront transmis, et s'il n'envoyait souvent quelques délégués pour s'assurer en personne du véritable état des choses, convoquer extraordinairement les comités et prendre part à leurs délibérations. Nous affirmons ici, en toute conscience, que c'est à l'intervention active et éclairée de ces agents supérieurs du ministère de l'instruction publique qu'est due la plus grande partie des progrès de l'instruction primaire pendant ces derniers temps. Supprimer cette intervention, ce serait rendre l'État absolument étranger à l'instruction primaire, la replacer sous l'empire exclusif du principe local, revenir par une marche rétrograde à l'enfance de l'art, arrêter tout progrès, et, en ôtant à la puissance publique les moyens les plus efficaces, la dégager aussi de sa responsabilité.
C'est encore à l'autorité supérieure qu'il appartient de nommer les membres des commissions chargées de faire les examens pour l'obtention des brevets de capacité; ainsi que les examens d'entrée et de sortie des écoles normales primaires. Remarquez-le bien, messieurs; il ne s'agit plus ici d'une surveillance matérielle ou morale, ni d'apprécier l'aptitude générale d'un candidat et de le juger sous quelques rapports de convenance ou de discipline; il s'agit d'une affaire toute spéciale, d'une oeuvre de métier, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi. D'abord cette opération exige, à certaines époques de l'année, beaucoup plus de temps, de suite et de patience qu'on n'en peut raisonnablement demander et attendre de personnes du monde, comme les membres du conseil d'arrondissement et de département, et d'hommes très-occupés et nécessairement attachés à leur localité, comme les membres du conseil municipal. Ensuite, il faut ici des connaissances positives et techniques sur les diverses matières dont se compose l'examen; et il ne suffit pas d'avoir ces connaissances, il faut encore avoir prouvé qu'on les a, afin d'apporter à ces examens l'autorité suffisante. Voilà pourquoi les membres de cette commission devront être, au moins en grande partie, des hommes spéciaux, des gens d'école, comme, dans un degré supérieur, ce sont aussi des hommes spéciaux qui sont chargés des examens pour l'obtention des brevets du baccalauréat dans les lettres et dans les sciences, brevets qui ouvrent la porte de toutes les professions savantes. Il est évident que l'instruction primaire tout entière repose sur ces examens. Supposez qu'on y mette un peu de négligence ou de complaisance, ou d'ignorance, et c'en est fait de l'instruction primaire. Il importe donc de composer ces commissions d'examen avec la sévérité la plus scrupuleuse, et de n'y appeler que des gens versés dans la matière.
Or, ce choix, qui est en état de le mieux faire que le ministre de l'instruction publique? Le lui enlever et lui demander compte ensuite des progrès de l'instruction primaire, serait une contradiction trop manifeste et trop choquante pour que nous puissions la redouter de votre loyauté et de vos lumières.
Enfin, messieurs, vous achèverez le système entier de l'instruction primaire en étendant vos soins sur ces écoles si intéressantes, mais qu'il est si difficile d'organiser, et qu'on ne peut aborder qu'avec une circonspection extrême; nous voulons parler des écoles primaires de filles. Il est impossible d'imposer à toute commune une école spéciale de filles; mais toute commune doit être encouragée à en établir une, selon ses ressources et d'après le voeu du conseil municipal. Il n'y a pas de raison pour que ces écoles ne soient pas soumises aux mêmes conditions que les autres écoles primaires.
La loi descendrait peut-être à un simple règlement d'administration en statuant que, dans les écoles mixtes, le comité communal veillera à ce que les garçons et les filles soient convenablement séparés. Nous pensons, avec votre ancienne commission, que l'institution des dames inspectrices, praticable et utile dans quelques grandes villes, impossible dans les campagnes, a plus d'inconvénients que d'avantages, et qu'il vaut mieux confier la surveillance des écoles de filles, aux comités ordinaires de la commune et de l'arrondissement, pour que cette surveillance soit plus effective et plus sérieuse. Du reste, cette matière délicate est susceptible, peut-être, d'innovations utiles; mais on ne saurait les tenter avec trop de prudence, et nous avouons qu'avant de vous présenter avec quelque confiance rien de spécial en ce genre, nous avons encore besoin des leçons du temps et de l'expérience.
En effet, messieurs, l'expérience est notre guide. C'est elle seule que nous voulons suivre et que nous avons constamment suivie. Il n'y a ici aucune hypothèse. Les principes et les procédés employés dans cette loi nous ont été fournis par les faits: elle ne contient pas un seul article organique qui déjà n'ait été mis heureusement en pratique.
Nous avons pensé qu'en matière d'instruction publique surtout, il s'agit plutôt de régulariser et d'améliorer ce qui existe que de détruire pour inventer et renouveler sur la foi de théories hasardeuses. C'est en travaillant sur ces maximes, mais en travaillant sans relâche, que l'administration est parvenue à communiquer à cette importante partie du service public une marche forte et régulière, au point qu'il nous est permis de dire sans aucune exagération que, depuis deux ans, il a été plus fait pour l'instruction primaire par le gouvernement de Juillet, que depuis quarante années par les gouvernements précédents. La première Révolution avait prodigué les promesses sans s'inquiéter des résultats. L'Empire épuisa ses efforts dans la régénération de l'instruction secondaire; il ne fit rien pour celle du peuple. La Restauration, jusqu'en 1828, a consacré 50,000 fr. par an à l'instruction primaire. Le ministère de 1828 obtint des Chambres 300,000 fr. La Révolution de Juillet nous a donné 1 million chaque année, c'est-à-dire en deux ans plus que la Restauration en quinze années. Voilà les moyens, voici les résultats.
Vous le savez, messieurs, l'instruction primaire est tout entière dans les écoles normales primaires. Ses progrès se mesurent sur ceux de ces établissements. L'Empire qui, le premier, prononça le nom d'école normale primaire, en laissa une seule; la Restauration en ajouta cinq à six. Nous, messieurs, en deux années, nous avons perfectionné celles-là, dont quelques-unes étaient dans l'enfance, et nous en avons créé plus de trente, dont une vingtaine sont en plein exercice, et forment, dans chaque département, un vaste foyer de lumières pour l'instruction du peuple. Tandis que le gouvernement perce des routes dans les départements de l'Ouest, nous y avons semé des écoles; nous nous sommes bien gardés de toucher à celles qui étaient chères aux habitants du pays; mais nous avons mis dans le coeur de la Bretagne la grande école normale de Rennes qui portera ses fruits, et nous lui avons donné une ceinture féconde d'écoles normales de divers degrés: une à Angers, une à Nantes, une autre encore à Poitiers. Le Midi a maintenant plus de cinq grandes écoles normales primaires, dont les unes sont déjà, et les autres seront bientôt en activité. Enfin, messieurs, nous nous croyons sur la route du bien. Que votre prudence entende la nôtre; que votre confiance nous soutienne et nous encourage, et le temps n'est pas éloigné où nous pourrons dire tous ensemble, ministres, députés, départements, communes, que nous avons accompli, autant qu'il était en nous, les promesses de la révolution de Juillet et de la Charte de 1830, dans ce qui se rapporte le plus directement à l'instruction et au vrai bonheur du peuple.
PROJET DE LOI.
TITRE PREMIER.
De l'instruction primaire et de son objet.
Art. 1er. L'instruction primaire est élémentaire ou supérieure.
L'instruction primaire élémentaire comprend nécessairement l'instruction morale et religieuse, la lecture, l'écriture les éléments de la langue française et du calcul, le système légal des poids et mesures.
L'instruction primaire supérieure comprend nécessairement, en outre: le dessin linéaire, l'arpentage et les autres applications de la géométrie pratique; des notions des sciences physiques et de l'histoire naturelle applicables aux usages de la vie; le chant; les éléments d'histoire et de géographie surtout de l'histoire et de la géographie de la France.
Selon les besoins et les ressources des localités, l'instruction primaire supérieure pourra recevoir les développements qui seront jugés convenables.
Art. 2. Le voeu des pères de famille sera toujours consulté et suivi, en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse.
Art. 3. L'instruction primaire est ou publique ou privée.
TITRE II.
Des écoles primaires privées.
Art. 4. Tout individu âgé de dix-huit ans accomplis pourra exercer la profession d'instituteur primaire, et diriger tout établissement quelconque d'instruction primaire, sans autre condition que de présenter au maire de la commune où il voudra tenir école:
1° Un brevet de capacité obtenu après examen, selon le degré de l'école qu'il veut établir;
2° Un certificat de bonne vie et moeurs, délivré sur l'attestation de trois conseillers municipaux par le maire de la commune, ou de chacune des communes où il aura résidé depuis trois ans.
Art. 5. Sont incapables de tenir école:
1° Les individus interdits par jugement de la jouissance des droits civils;
2° Les condamnés à des peines afflictives ou infamantes;
3° Les condamnés en police correctionnelle pour vol, escroquerie, banqueroute simple, abus de confiance ou attentat aux moeurs;
4° Les individus interdits en exécution de l'art. 7 de la présente loi.
Art. 6. Quiconque aura ouvert une école primaire sans avoir satisfait aux conditions prescrites par l'art. 4 de la présente loi sera poursuivi devant le tribunal correctionnel du lieu du délit, et condamné à une amende de 50 ou 200 fr. L'école sera fermée.
En cas de récidive, le délinquant sera condamné à un emprisonnement de quinze à trente jours, et à une amende de 100 à 400 fr.
Art. 7. Tout instituteur privé, sur la demande du comité d'arrondissement mentionné dans l'art. 19 de la présente loi, ou sur la poursuite d'office du ministère public, pourra être traduit, pour cause d'inconduite ou d'immoralité, devant le tribunal civil de l'arrondissement, et être interdit de l'exercice de sa profession, à temps ou à toujours.
Le tribunal entendra les parties, et statuera en chambre du conseil. Il en sera de même sur l'appel qui, en aucun cas, ne sera suspensif.
Le tout, sans préjudice des poursuites et des peines qui pourraient avoir lieu pour crimes, délits ou contraventions prévus par le Code pénal.
TITRE III.
Des écoles primaires publiques.
Art. 8. Les écoles primaires publiques sont entretenues, en tout ou en partie, par les communes, par les départements ou par l'État.
Art. 9. Toute commune est tenue, soit par elle-même, soit en se réunissant à une ou plusieurs communes voisines, d'entretenir au moins une école primaire élémentaire.
Art. 10. Les communes dont la population excède six mille âmes devront avoir en outre une école primaire supérieure.
Art. 11. Tout département sera tenu d'entretenir une école normale primaire. Le conseil général délibérera sur les moyens d'assurer l'entretien de cette école.
Art. 12. Il sera fourni à tout instituteur communal:
1° Un local convenablement disposé tant pour lui servir d'habitation que pour recevoir les élèves;
2° Un traitement fixe qui ne pourra être moindre de 200 fr. pour une école primaire élémentaire, et de 400 fr. pour une école primaire supérieure.
Art. 13. A défaut de fondations, donations ou legs qui assurent un local et un traitement, conformément à l'article précédent, le conseil municipal délibérera sur le moyen d'y pourvoir.
En cas d'insuffisance des revenus ordinaires, le conseil municipal imposera la commune jusqu'à concurrence de trois centimes additionnels au principal de ses contributions directes pour l'établissement de l'école primaire communale.
Lorsque des communes n'auront pas, soit isolément, soit par la réunion de plusieurs d'entre elles, procuré un local et assuré le traitement au moyen de cette contribution de trois centimes, le conseil général imposera les départements jusqu'à concurrence de deux centimes additionnels pour contribuer aux dépenses reconnues nécessaires à l'instruction primaire.
Si les centimes ainsi imposés aux communes et aux départements ne suffisent pas aux besoins des écoles primaires communales, le ministre de l'instruction publique y pourvoira au moyen d'une subvention prélevée sur le crédit qui sera porté annuellement pour l'instruction primaire au budget de l'État.
Un rapport détaillé sur l'emploi des fonds précédemment alloués sera annexé chaque année à la proposition du budget.
Art. 14. En sus du traitement fixe, l'instituteur communal recevra une rétribution mensuelle dont le taux sera réglé par le conseil municipal, et qui sera perçue dans la même forme et selon les mêmes règles que les contributions publiques directes.
Le rôle en sera recouvrable, mois par mois, sur un état des élèves certifié par l'instituteur et visé par le maire.
Seront néanmoins admis gratuitement dans l'école communale élémentaire ceux des élèves de la commune ou des communes réunies que les conseils municipaux auront désignés comme ne pouvant payer aucune rétribution.
Art. 15. Il sera établi dans chaque département une caisse d'épargne et de prévoyance en faveur des instituteurs primaires communaux.
Cette caisse sera formée par une retenue annuelle d'un vingtième sur le traitement fixe de chaque instituteur communal. Le montant de la retenue sera placé en rentes sur l'État. Le produit total de la retenue exercée sur chaque instituteur lui sera rendu à l'époque où il se retirera, ou, en cas de décès dans l'exercice de ses fonctions, à sa veuve ou à ses héritiers.
Dans aucun cas, il ne pourra être ajouté aucune subvention sur les fonds de l'État à cette caisse d'épargne et de prévoyance; mais elle pourra recevoir des legs et dons particuliers.
Art. 16. Nul ne pourra être nommé instituteur communal s'il ne remplit les conditions de capacité et de moralité prescrites par l'art. 4 de la présente loi, ou s'il se trouve dans un des cas prévus par l'art. 6.
TITRE IV.
Des autorités préposées à l'instruction primaire.
Art. 17. Il y aura près de chaque école communale un comité local de surveillance composé du maire, du curé ou pasteur, et de trois conseillers municipaux désignés par le conseil municipal. Plusieurs écoles de la même commune ne pourront être réunies sous la surveillance d'un même comité local.
Art. 18. Il sera formé, dans chaque arrondissement de sous-préfecture, un comité spécialement chargé de surveiller et d'encourager l'instruction primaire.
Le ministre de l'instruction publique pourra, suivant la population et les besoins des localités, établir dans le même arrondissement plusieurs comités dont il déterminera la circonscription.
Art. 19. Seront membres du comité d'arrondissement:
Le préfet ou le sous-préfet, président; Le procureur du roi; Le maire du chef-lieu; Le juge de paix ou le plus ancien des juges de paix résidant au chef-lieu; Le curé ou l'un des curés du chef-lieu; Un ministre de chacun des autres cultes reconnus par la loi, qui résidera dans l'arrondissement, et qui aura été désigné par son consistoire;
Ceux des membres du conseil général de département qui auront leur domicile réel dans l'arrondissement, et trois membres du conseil d'arrondissement désignés par ledit conseil.
Art. 20. Les comités s'assembleront au moins une fois par mois. Ils pourront être convoqués extraordinairement par un délégué du ministre. La présidence du comité appartiendra au délégué.
Les comités ne pourront délibérer, s'il n'y a au moins cinq membres présents pour les comités d'arrondissement, et trois pour les comités communaux.
Art. 21. Le comité communal a l'inspection sur les écoles publiques et privées de la commune. Il veille à la salubrité des écoles et au maintien de la discipline.
Il présente au comité d'arrondissement les candidats pour les écoles publiques.
Il s'assure qu'il a été pourvu à l'enseignement gratuit des enfants pauvres.
Il dresse et arrête le tableau des enfants qui, ne recevant pas ou n'ayant pas reçu à domicile l'instruction primaire, devront être appelés aux écoles publiques, avec l'autorisation ou sur la demande de leurs parents.
Il fait connaître au comité d'arrondissement les divers besoins de la commune sous le rapport de l'instruction primaire.
En cas d'urgence, il peut ordonner provisoirement que l'instituteur sera suspendu de ses fonctions, à la charge de rendre compte sur-le-champ au comité d'arrondissement de cette suspension, et des motifs qui l'ont déterminée.
Art. 22. Le Comité d'arrondissement inspecte, et au besoin fait inspecter par des délégués pris parmi ses membres ou hors de son sein, toutes les écoles primaires de son ressort.
Il envoie, chaque année, au préfet et au ministre de l'instruction publique, l'état de situation de toutes les écoles primaires de son ressort.
Il donne son avis sur les secours et encouragements à accorder à l'instruction primaire.
Il provoque les réformes et les améliorations nécessaires.
Sur la présentation du comité communal et sous la condition de leur institution par le ministre de l'instruction publique, il nomme les instituteurs communaux, procède à l'installation de ces instituteurs et reçoit leur serment.
Art. 23. En cas de négligence habituelle ou de faute grave d'un instituteur communal, le comité d'arrondissement, ou d'office, ou sur la plainte adressée par le comité local, mande l'instituteur inculpé. Après l'avoir entendu ou dûment appelé, il le réprimande ou le suspend pour un mois, avec ou sans privation de traitement, ou même le révoque de ses fonctions.
L'instituteur frappé d'une révocation a un mois pour se pourvoir, contre cette décision du comité, devant le ministre de l'instruction publique en conseil royal. Toutefois, la décision du comité est exécutoire par provision.
Art. 24. Les dispositions de l'art. 7 de la présente loi, relatives aux instituteurs privés, sont applicables aux instituteurs communaux.
Art. 25. Il y aura dans chaque département une ou plusieurs commissions d'instruction primaire chargées d'examiner tous les aspirants aux brevets de capacité, soit pour l'instruction primaire élémentaire, soit pour l'instruction primaire supérieure, et qui délivreront lesdits brevets sous l'autorité du ministre. Ces commissions seront également chargées de faire les examens d'entrée et de sortie des élèves de l'école normale primaire.
Les membres de ces commissions seront nommés par le ministre de l'instruction publique.
TITRE V.
Des écoles spéciales de filles.
Art. 26. Selon les besoins et les ressources des communes, sur la demande des conseils municipaux, il pourra être établi des écoles spéciales de filles.
Les dispositions précédentes de la présente loi sont applicables auxdites écoles.
Donné à Paris, au palais des Tuileries, le 31 décembre 1832.
LOUIS-PHILIPPE.
Par le roi:
Le ministre secrétaire d'État au département de l'instruction publique,
GUIZOT.
--Séance du 29 avril 1833.--
Sur l'article 1er de projet de loi qui réglait ce que devait être l'instruction primaire, M. le comte de Laborde, député de la Seine, proposa que l'enseignement du dessin linéaire fût obligatoire dans toutes les écoles primaires élémentaires. Je repoussai cet amendement.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Ce qui importe en matière d'instruction primaire élémentaire, c'est qu'elle puisse exister partout: il ne faut donc pas la rendre trop difficile. Je comprends qu'on élargisse autant qu'on le peut la sphère de l'instruction primaire supérieure, mais quand il s'agit de l'instruction primaire élémentaire, rendez-en les conditions accessibles au plus grand nombre d'instituteurs possible. Sans cela, vous ne parviendrez pas à la fonder partout.
Lorsqu'un instituteur, en prenant son brevet de capacité, voudra faire constater qu'il est en état d'enseigner le dessin linéaire, l'administration ne s'y refusera pas. Le paragraphe 4 donne la faculté d'étendre l'instruction primaire élémentaire comme l'instruction primaire supérieure, mais les conditions exigées doivent être aussi restreintes que possible; autrement, vous seriez privés d'instituteurs dans un grand nombre de communes.
M. le général Demarçay demanda qu'au lieu du dessin linéaire, les éléments de géométrie devinssent, dans toutes les écoles primaires, un enseignement obligatoire. Je repoussai aussi son amendement.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--L'objection que j'ai faite contre l'introduction du dessin linéaire est encore plus forte contre l'introduction des éléments de géométrie. En effet, on trouvera beaucoup moins d'instituteurs capables d'enseigner les éléments de géométrie que d'instituteurs capables d'enseigner le dessin linéaire.
Je rappellerai à l'honorable préopinant qu'il ne s'agit pas d'exclure les éléments de géométrie de l'instruction primaire élémentaire. Partout où il sera possible de les introduire, on le fera. Il s'agit uniquement de n'en pas faire une condition sine qua non de l'enseignement élémentaire; ce qui rendrait, comme je l'ai dit, cet enseignement très-difficile à établir dans un grand nombre de communes.
M. le général Demarçay.--Je propose de supprimer les mots de dessin linéaire, parce que c'est une idée fausse, une application dénuée de tout fondement, et je puis le dire, ridicule.
M. le ministre de l'instruction publique.--Les mots dessin linéaire ne sont pas dans le deuxième paragraphe; c'est un amendement de M. de Laborde.
Les deux amendements furent rejetés.
M. Eusèbe Salverte demanda que les premières notions des droits et des devoirs politiques fissent partie de l'instruction primaire élémentaire.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je prie la Chambre de remarquer qu'il s'agit d'enfants de six à dix ans.
M. Salverte.--Qui connaissent le système légal des poids et mesures.
M. le ministre de l'instruction publique.--(se reprenant). Et d'un enseignement qui s'applique à toutes les communes du royaume. Je crois qu'il serait difficile d'introduire dans cet enseignement des notions des droits et des devoirs sociaux et politiques. (Interruption.)
Je demande à n'être pas interrompu. On pourra me répondre. Je regarde la propagation des idées saines sur les droits et sur les devoirs politiques comme très-essentielle, et l'administration est très-disposée à prendre tous les moyens de satisfaire à ce besoin; mais je ne crois pas qu'on puisse exiger que tous les maîtres d'école du royaume, chargés d'enseigner la lecture, l'écriture, le calcul, l'orthographe, soient chargés de donner en même temps des notions sur les droits, et les devoirs politiques. Cela me paraîtrait un hors-d'oeuvre dans des écoles qui ne sont fréquentées, en général, que par de très-jeunes enfants.
L'amendement fut rejeté.
M. Taillandier demanda que l'instruction primaire supérieure fût plus limitée que ne l'établissait le troisième paragraphe de l'article 1er du projet de loi, et que les comités de surveillance institués par l'article 18 eussent le droit de l'étendre, s'ils le jugeaient convenable. Je combattis son amendement.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--J'aurai l'honneur de faire remarquer à la Chambre que, pour l'instruction primaire supérieure, il s'agit de villes de six mille âmes et au-dessus, et que l'énumération des objets d'enseignement pour ces écoles ne s'élève pas au-dessus des besoins ordinaires de ces villes.
J'ajouterai qu'il s'agit ici des écoles publiques, et que c'est dans ces écoles que l'instruction primaire supérieure s'appliquera aux objets énumérés dans le paragraphe: il sera possible que les écoles primaires privées ne donnent pas un enseignement aussi étendu.
L'amendement qui vous est proposé aurait une singulière conséquence, celle de laisser chaque comité juge des limites de l'instruction primaire élémentaire. Je ne suis pas plus admirateur qu'un autre de la régularité et de l'uniformité absolues; cependant il me paraît que ce serait chose étrange de laisser varier, selon les localités, les limites d'un enseignement aussi important. Lorsque vous fondez une école normale primaire, vous formez des maîtres auxquels vous imposez l'obligation de transmettre certaines connaissances: pourquoi cela? parce que vous voulez répandre ces connaissances, donner à cet enseignement un certain degré de généralité. Eh bien! en adoptant l'amendement, vous détruirez d'une main ce que vous fonderez de l'autre.
Quant à la faculté que réclame le préopinant pour les instituteurs privés, d'enseigner le latin et le grec s'ils le jugent utile, c'est autre chose. Le projet actuel a pour objet uniquement l'instruction primaire; les études classiques n'y sont pas comprises. C'est une idée généralement adoptée aujourd'hui que de faibles études classiques, un mauvais enseignement du grec ou du latin n'ont pas d'utilité. Le projet de loi actuel a pour objet de restreindre plutôt que de répandre ce mauvais enseignement classique. Ce serait aller contre l'esprit du projet; aussi je repousse l'amendement de M. Taillandier.
L'amendement ne fut pas appuyé.
M. Laurence (député des Landes), tout en déclarant qu'il n'était guère partisan du serment politique, demanda que tous les instituteurs, privés aussi bien que publics, y fussent astreints. Je combattis son amendement.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je ne pense pas comme le préopinant sur le serment. Il est écrit dans nos lois, et quand il a été prêté, il doit être tenu. Mais je n'élève pas ici la question générale, j'exprime seulement mon opinion sur un cas particulier. Je ferai remarquer à l'honorable préopinant que, s'il avait fait attention à la loi tout entière, il aurait vu, à l'art. 23, que les instituteurs publics sont obligés de prêter serment; mais quand il s'agit d'écoles privées, qui ne reçoivent aucun secours ni des communes ni de l'État, qui n'ont enfin aucun caractère public, il n'y a pas lieu d'exiger le serment, pas plus que pour toute autre profession.
M. Laurence.--M. le ministre n'a répondu qu'à la moitié de mes observations; cependant sa réponse me suffit.
M. Roger.--Est-il dans les intentions de M. le ministre que la disposition de l'art. 4 s'applique aux instituteurs actuellement en fonctions?
M. le ministre.--C'est un article qui s'applique aux instituteurs à venir.
--Séance du 30 avril 1833.--
M. VATOUT (député de la Côte-d'Or) demanda que toute association qui se proposerait de former des institutions et des instituteurs primaires dût être autorisée par une ordonnance royale, rendue sur l'avis des conseils municipaux ou des conseils généraux, et insérée au Bulletin des lois. Je combattis cet amendement.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je n'ai qu'une simple observation à faire à la Chambre. L'amendement de l'honorable préopinant me paraît inutile, car le droit commun suffit pour atteindre le but qu'il se propose. Dans l'état actuel de la législation, toutes les fois qu'une association s'établit et veut fonder des écoles ou tout autre genre d'établissements, elle est obligée de communiquer ses statuts et d'obtenir une autorisation. Sans doute, il peut y avoir des associations inconnues, qu'il est de mon devoir de découvrir et de surveiller; mais toutes les associations connues ont rempli ces formalités et obtenu ces autorisations; et, s'il s'en présentait de nouvelles, elles seraient soumises aux mêmes formalités. Mais l'article irait plus loin que l'intention de l'honorable préopinant; il arrive continuellement, vous le savez tous, que, dans une ville, il se forme une association locale pour fonder une école; je crois qu'il serait trop restrictif de la liberté de l'enseignement d'exiger une ordonnance royale pour fonder cette école; elle sera soumise aux formalités exigées dans les cas généraux; elle présentera un instituteur qui aura obtenu un brevet de capacité et de moralité, et l'école sera fondée. Ces petites réunions locales, qui n'ont pas de caractère général, n'ont d'autre but que de fonder des écoles; il ne faut pas les soumettre à des formalités extraordinaires et exiger l'autorisation d'une ordonnance royale.
Quant aux associations en général, soit ecclésiastiques, soit laïques, elles sont, par le droit commun, obligées de communiquer leurs statuts et d'obtenir une autorisation, sans quoi elles n'ont pas d'existence légale et peuvent à l'instant être poursuivies et réprimées.
De toutes parts.--Aux voix, aux voix!
M. Vatout.--Je demande à répondre, car la chose est très-importante. M. le ministre de l'instruction publique vient de vous dire que mon amendement était inutile. Moi, je crois, au contraire, qu'il est extrêmement utile pour opposer une digue à cet esprit envahisseur de la secte que j'ai signalée. On vous a dit que toutes les associations étaient soumises à l'investigation du gouvernement; mais, si vous n'adoptez pas la mesure que j'ai l'honneur de proposer, dans le silence de la loi, il pourra se former, sur tous les points de la France, des associations d'hommes qui compromettront l'avenir du pays. Il est des départements de la Bretagne, comme celui d'Ille-et-Vilaine, où elles existent déjà. Si vous n'adoptez pas des dispositions à cet égard, vous n'empêcherez pas la secte de s'établir partout, de s'emparer de la direction des esprits et de compromettre l'avenir de la morale nationale. Je persiste donc, de toutes les forces de ma conviction, dans l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre.
M. le ministre de l'instruction publique.--L'association particulière à laquelle l'honorable préopinant fait allusion a été autorisée par une ordonnance royale, et a communiqué ses statuts; elle existe en vertu d'une ordonnance royale. A présent faudra-t-il examiner de nouveau ses statuts, et lui retirer l'autorisation? C'est une délicate question. A mon avis, je le répète, la garantie actuelle est suffisante. (Aux voix! aux voix! aux voix!)
L'amendement fut rejeté.
M. Hector Lepelletier d'Aunay (député de la Nièvre) demanda que l'obligation imposée par l'article 9 à toutes les communes d'entretenir au moins une école primaire élémentaire ne fût pas absolue. Je lui répondis:
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Il est évident que l'exécution de la loi, dans toute la précision de ses dispositions, ne peut pas être immédiate, que c'est une question de temps, qu'il y a des communes très-pauvres qui ne pourront sur-le-champ, ni fonder une école pour leur compte, ni contribuer à une école voisine. Mais le principe sera écrit dans la loi, et dès que la commune pauvre deviendra capable soit d'avoir une école, soit de contribuer à une école voisine, on poursuivra l'exécution de l'article. Il y a toujours, en pareil cas, une certaine latitude laissée à l'administration.
M. Coulmann (député du Bas-Rhin) demanda que le ministre de l'instruction pût, au besoin, autoriser la formation ou le maintien, à titre d'écoles communales, d'écoles affectées spécialement à l'un des cultes salariés par l'État. Je m'expliquai sur sa proposition en ces termes:
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je n'ai aucune objection à faire à l'amendement, en principe. Il est évident qu'il y a certaines localités dans lesquelles il est impossible de ne pas adopter des écoles séparées pour les différentes communions.
Je ferai observer que, dans l'état actuel de la France, cela se fait toujours, au gré du conseil municipal lui-même. Le conseil municipal partage les fonds entre différentes écoles. Dans la ville de Nîmes, par exemple, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, le conseil municipal, sans distinction des protestants et des catholiques, répartit ses secours entre les écoles des différentes communions.
M. André Koechlin.--Je vous sous-amende et je demande que l'on dise:
«Le ministre de l'instruction publique pourra autoriser l'établissement d'écoles mixtes.»
Dans ma commune, il y a une école mixte: catholiques, protestants, israélites, tous y sont admis d'un commun accord.
M. le ministre de l'instruction publique.--Cela va de droit. On ne demande à aucun enfant, quand il se présente à l'école, de quelle communion il est.
M. le président.--Il semble que, législativement, il n'est pas d'usage de dire: «Tel ministre pourra....» c'est au gouvernement qu'on donne le droit. (Sentiments divers.)
M. Renouard, rapporteur.--Je demande si, d'après sa rédaction, M. Coulmann veut dire qu'une ordonnance royale sera nécessaire, ou s'il entend que le ministre n'aurait besoin que d'un simple arrêté. Cette dernière faculté aurait peut-être des inconvénients.
M. le ministre de l'instruction publique.--Je ferai remarquer, en réponse à l'observation de M. le président, qu'il y a dans la loi une foule de dispositions qui contiennent des pouvoirs spécialement donnés au ministre de l'instruction publique, qu'il y a aussi des lois donnant tel droit au ministre des finances, au ministre de la guerre, etc., que cela se reproduit continuellement dans vos délibérations, que cela veut simplement dire qu'il ne sera pas besoin d'une ordonnance du roi, et qu'un simple arrêté du ministre suffira.
L'amendement que j'avais consenti fut adopté.
M. Larabit (député de l'Yonne) demanda qu'au lieu des communes de 6,000 âmes de population, toutes les communes contenant 2,000 habitants fussent tenues d'avoir une école primaire supérieure. Je repoussai son amendement.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--La première condition de toute loi, c'est d'être possible à exécuter. Il s'agit ici d'imposer à certaines communes l'obligation d'avoir une école primaire supérieure; or, on ne peut imposer cette obligation qu'aux communes qui sont réellement en état d'avoir une école primaire supérieure. La plupart des communes de 2,000 âmes, dont a parlé le préopinant, ne sont pas en état de subvenir à une telle dépense.
M. Larabit.--Elles le sont toutes.
M. le ministre.--Je vous en demande pardon; j'ai recueilli à cet égard un grand nombre de faits... Toutes les fois qu'une commune de 2,000 âmes, de 1,000 âmes même, sera en état d'avoir une école primaire supérieure, non-seulement je ne m'y opposerai pas, mais j'y aiderai volontiers. Il s'agit ici d'une obligation absolue; on ne peut l'imposer qu'aux communes qui sont réellement en état de la supporter. Il y a en France 363 communes de 6,000 âmes et au-dessus; sur ces 363 communes, il y en a 150 qui, dans l'état actuel, n'ont pas une école primaire supérieure. Il y aura donc déjà une grande amélioration introduite dans l'enseignement primaire, et il n'est pas exact de dire, comme le disait l'honorable préopinant, que toutes les communes de 6,000 âmes ont déjà l'instruction qu'on propose de leur donner.
L'amendement fut rejeté.
M. Glais Bizouin (député des Côtes-du-Nord) demanda que non-seulement toutes les communes chefs-lieux de département, mais aussi toutes les communes chefs-lieux d'arrondissement, fussent tenues d'avoir une école primaire supérieure. Je combattis son amendement.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je ferai observer au préopinant qu'il y a un certain nombre de chefs-lieux d'arrondissement qui n'ont pas plus de 1,500 à 1,800 âmes, et qu'il serait excessif de leur imposer l'obligation absolue d'avoir une école primaire supérieure. Si ces villes peuvent l'avoir, on la leur donnera; mais l'obligation serait trop forte pour elles.
L'amendement fut rejeté.
M. Aroux (député de la Seine-Inférieure) demanda que les villes qui possédaient un collége pussent y établir une école primaire supérieure. Je lui répondis:
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je n'ai qu'un mot à dire. Lorsque les villes demanderont que l'école primaire supérieure soit adjointe à leur collége, et toutes les fois que les localités le permettront, cela ne pourra souffrir aucune difficulté. Je dirai même que cela existe déjà dans un grand nombre de colléges communaux, et qu'il me paraît inutile d'introduire dans la loi un détail de ce genre.
M. Aroux demanda de plus qu'en cas d'insuffisance des revenus communaux pour l'établissement d'une école primaire supérieure, l'enseignement primaire supérieur pût être introduit dans l'école affectée à l'instruction élémentaire. Cette demande donna lieu aux observations suivantes:
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je ferai remarquer que la Chambre a déjà rejeté l'expression des mots en outre, qui se trouve dans l'art. 10, et que l'amendement de M. Aroux n'est autre chose que la suppression de ces mots.
Remarquez ce qui arriverait: l'art. 10 portait que les communes dont la population excède 6,000 âmes devront avoir en outre une école primaire supérieure, et que néanmoins elles pourront n'avoir qu'une école primaire ordinaire à laquelle on adjoindra l'enseignement supérieur. Les deux paragraphes disaient le contraire l'un de l'autre. La Chambre ayant rejeté les mots en outre, me paraît avoir rejeté d'avance l'amendement de l'honorable préopinant.
M. de Laborde.--Je ne partage pas l'opinion de M. le ministre.
L'amendement de M. Aroux porte sur les villes de 6,000 âmes qui n'auront pas les fonds suffisants pour deux établissements, tandis que l'art. 10 porte sur les villes de 6,000 âmes en général qui auront une école primaire supérieure; Celles qui n'auront pas les fonds suffisants n'auront qu'une école qui pourra tenir lieu de deux degrés d'enseignement.
M. Jacques Lefebvre.--M. le ministre de l'instruction pense qu'en rejetant les mots en outre, la Chambre a déjà décidé la question. Je crois qu'il est dans l'erreur. En effet, supposez que la Chambre ait rejeté les mots en outre....
M. le président.--Elle ne les a pas supprimés.
M. Lefebvre.--Je dis que, quand bien même elle les aurait supprimés, cette suppression ne serait pas l'équivalent de l'amendement proposé par M. Aroux. La suppression de ces mots ne laisserait pas moins subsister dans son entier l'art. 9 qui oblige toutes les communes à avoir une école primaire du premier degré. En sorte qu'en supprimant les mots en outre.... (Le bruit couvre ici la voix de l'orateur.)
M. Dubois (de la Loire-Inférieure).--Je crois que vous affaiblissez précisément l'obligation que vous voulez imposer aux villes en état de faire les frais d'un enseignement supérieur. Je crois qu'en leur donnant la facilité de dire que leurs finances les mettent dans l'impossibilité de supporter ces frais, vous leur offrez les moyens de reculer devant l'obligation que vous voulez imposer.
M. Aroux a dit qu'un maître ne sacrifierait pas l'enseignement supérieur à l'enseignement inférieur, et réciproquement. Eh bien! c'est une question de temps. Il est évident que, lorsque le même homme sera obligé de donner à la fois deux natures d'instruction, l'une des deux souffrira; mais lorsque le travail sera divisé, quand la dépense pourra être supportée par les villes, il y aura avantage à avoir deux écoles distinctes. Par ce moyen, vous arriverez à avoir de meilleurs maîtres et des élèves plus instruits.
M. le ministre de l'instruction publique.--Je vais ajouter un mot qui lèvera la difficulté.
Le gouvernement est investi par la Chambre des fonds nécessaires pour donner des secours aux villes qui ne sont pas assez riches pour fonder ces établissements. Eh bien! les villes les moins riches obtiendront une plus large part dans ce fonds commun, et le but que se propose M. Aroux sera atteint.
M. Jouvenel (député de la Corrèze) demanda que les départements ne fussent pas tous tenus d'avoir une école normale primaire, et qu'ils pussent entretenir, dans des écoles normales primaires extérieures, des bourses en nombre proportionné à leurs besoins présumés. Je combattis cet amendement.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Messieurs, l'amendement de l'honorable préopinant est tout à fait contraire au principe de la loi.
Suivant ce principe, l'instruction primaire est donnée d'abord aux frais des communes, ensuite des départements, et aux frais de l'État seulement lorsque les communes et les départements n'y peuvent suffire.
Le préopinant renverse ce principe en mettant ces frais à la charge de l'État, tandis que l'État ne fournit qu'un fonds commun, destiné à combler les lacunes que laissent les fonds des communes ou des départements.
L'amendement est contraire au principe de la loi; et comme je crois ce principe fondé en raison, je repousse cet amendement.
L'amendement ne fut pas appuyé.
M. Falguerolles (député du Tarn) demanda que les secours accordés par le gouvernement aux écoles primaires fussent proportionnés au nombre de leurs élèves, et que les écoles privées fussent admises à en recevoir. Je combattis son amendement en expliquant l'intention du projet de loi.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Le premier but de l'amendement du préopinant est atteint par l'amendement de M. Coulmann, que la Chambre a adopté. J'ajoute qu'il y aurait inconvénient dans l'amendement de M. Falguerolles, car il statue que les secours du gouvernement seront répartis dans les diverses écoles, selon le nombre d'élèves, et leur importance relative. On ne peut pas admettre que le nombre des élèves sera la règle de répartition des secours; ce sont les besoins des écoles qui doivent servir de règle, et non pas le nombre des élèves. Si les écoles se suffisent, quel que soit le nombre des élèves, il sera inutile de leur donner des secours.
Quant à la partie de l'amendement relative aux écoles privées, je ferai remarquer que, quand il est évident qu'une école privée rend des services, elle reçoit quelquefois des secours. Le projet de loi ayant pour objet d'assurer l'établissement d'écoles publiques, les secours donnés aux écoles privées s'affaibliront à mesure que des écoles publiques s'établiront; mais là où une école privée rend vraiment service, et où il n'existe pas d'école publique, elle reçoit des secours.
L'amendement fut retiré.
M. de Salverte ayant proposé, à l'article 14 du projet de loi, une modification qui semblait poser en principe l'instruction primaire gratuite, je la repoussai en ces termes:
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Le but de la loi est de rendre l'instruction primaire universelle, mais l'instruction primaire gratuite n'est pas le principe de la loi. Le principe, c'est que l'instituteur reçoive un traitement fixe de la commune et de tous les élèves qui peuvent payer; ce n'est que par voie d'exception que les élèves qui ne peuvent pas payer sont admis dans l'école, en sorte que la gratuité en faveur des indigents est l'exception. Je pense donc que, logiquement, le principe doit être placé dans la loi avant l'exception. Après avoir institué le traitement fixe, on établit une rétribution des élèves; ensuite on dit; seront néanmoins admis les élèves pauvres. Il me paraît important de ne pas poser le principe de la gratuité de l'instruction primaire; je le crois faux en raison et mauvais dans l'application. La gratuité n'est qu'une exception à laquelle ont droit tous les pauvres.
La proposition de M. de Salverte fut rejetée.
M. Félix Real (député de l'Isère) demanda le rejet de la disposition de l'article 14 du projet de loi qui ordonnait que la rétribution mensuelle due aux instituteurs primaires serait perçue dans la même forme et selon les mêmes règles que les contributions publiques directes. Le président de la Chambre, M. Dupin, quitta le fauteuil pour appuyer cet amendement.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Il s'en faut beaucoup que le présent article ait été dicté par une théorie; c'est la pratique, au contraire, c'est l'expérience, la nécessité qui ont guidé l'administration. Cette nécessité n'a pas existé seulement en France; elle a existé dans tous les pays où l'instruction primaire est arrivée à un grand développement. En Écosse, en Hollande, en Allemagne, partout où l'instruction primaire est devenue universelle, la règle que nous vous proposons est établie.
Remarquez qu'il y a une grande raison pour qu'elle soit établie; c'est par là que l'instituteur primaire public est distinct de l'instituteur primaire privé. L'instituteur privé traite de gré à gré avec les parents, il court les chances du payement ou du non-payement; celui qui a rang d'instituteur public, celui qui reçoit son institution de la commune, du département et de l'État, revêt à l'instant un nouveau caractère, et l'État intervient, pour lui, entre lui et les parents, afin de lui maintenir ce caractère de fonctionnaire public, de magistrat, qu'il a voulu lui imprimer.
C'est précisément pour faire cesser les collisions entre l'instituteur et les parents, pour éviter les procès, les réclamations scandaleuses, que nous avons établi cette disposition, et qu'on l'a établie partout. Si elle avait l'inconvénient qu'a signalé M. le président, d'empêcher ces conventions qui permettent de payer les denrées à un prix agréé, elle serait grave; mais il n'en est rien, l'instituteur sera le maître de recevoir dans son école les enfants avec les parents desquels il aura fait une convention. Le principe de la rétribution est posé, mais rien ne s'oppose à des arrangements particuliers; les moeurs ne seront pas dérangées, il n'y aura pas de troubles apportés dans les relations; seulement l'instituteur sera placé dans la situation légitime de fonctionnaire public. Je le répète, c'est le seul moyen d'éviter les scandales, les procès, les collisions, d'éviter un scandale plus commun qu'on ne pense, c'est-à-dire que les enfants des parents qui payent soient bien traités, tandis que les enfants de ceux qui ne payent point le sont moins bien. Cette disposition tend à la dignité du maître, à la bonne tenue de l'école. Si vous voulez faire une institution universelle, efficace, adoptez une disposition qui a pour elle les raisons que je viens de donner, et l'expérience, car elle est en usage dans tous les pays où l'instruction primaire est avancée.
Après quelques explications sur le sens et le mode d'exécution de l'article 14, l'amendement de M. Félix Réal fut rejeté et l'article maintenu.
M. Larabit demanda que les élèves admis gratuitement dans l'école communale élémentaire, fussent portés sur une liste annuelle dressée par le conseil municipal. Je répondis:
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je n'ai aucune objection grave à élever contre ce voeu; cependant il ne faut pas interdire aux conseils municipaux la faculté de désigner, dans le courant de l'année, un certain nombre d'enfants indigents à admettre dans les écoles. Il ne faut pas que la liste annuelle exclue ceux qui n'y ont pas été compris.
M. Larabit.--Il faudrait alors mettre «seront désignés dans chacune de leurs sessions.»
M. le ministre.--Cela pourrait avoir lieu.
M. Larabit n'insista pas sur sa proposition.
MM. François Delessert et Demarçay demandèrent le retranchement du 4e paragraphe de l'article 14 qui portait que dans les écoles primaires supérieures, un nombre de places gratuites, déterminé par le conseil municipal, serait réservé pour les enfants qui, après concours, auraient été désignés par le comité d'instruction primaire, dans les familles qui seraient hors d'état de payer la rétribution.» Je combattis ce retranchement.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique. Il ne s'agit pas ici, comme pour l'instruction primaire et élémentaire, d'une dette absolue et générale; il s'agit uniquement de savoir si, parmi le grand nombre d'enfants qui reçoivent l'instruction primaire élémentaire, lorsqu'on en remarque quelques-uns qui montrent des dispositions pour une science plus élevée, vous ne leur en faciliterez pas l'étude, ou plutôt si vous ne permettrez pas aux villes, aux conseils municipaux, de la leur faciliter.
On a beaucoup abusé des bourses, on les a beaucoup multipliées; mais le principe des bourses ne peut pas être absolument attaqué. Il n'est pas possible de dire que jamais le gouvernement ne tendra la main à un enfant distingué, pour l'aider à s'élever dans l'ordre de l'intelligence, dans l'ordre de la société; il n'est pas permis de dire que ce qui s'est fait constamment depuis que la société existe, nous allons l'interdire à tout jamais.
L'instruction primaire élémentaire est une dette envers tous ceux qui ne peuvent pas la payer; mais lorsque, parmi ceux qui ne peuvent pas la payer, on en remarque quelques-uns qui offrent des dispositions distinguées, on les admet gratuitement à recevoir cette instruction, au concours, après examen; et lorsque, parmi ces enfants, vous en remarquerez quelques-uns qui annonceront des dispositions encore plus distinguées, vous en admettrez quelques-uns à recevoir l'instruction classique, et ce nombre ira toujours diminuant; le nombre de bourses sera toujours plus restreint. Parmi les élèves qui ont été élevés dans vos colléges, si parmi eux quelques-uns sont remarquables pour les mathématiques, ils 'peuvent recevoir des bourses très-peu nombreuses qui existent à l'École polytechnique. Ainsi, vous pouvez parcourir toute l'échelle de l'instruction publique, depuis le degré le le plus inférieur jusqu'au degré le plus élevé, vous avez toujours eu la facilité de tendre la main au mérite rare, pauvre, de l'aider à monter jusqu'au haut de l'échelle. Voulez-vous renverser tout à fait ces moyens? Je ne le pense pas.
Le paragraphe fut maintenu avec la substitution des mots pourra être réservé au lieu de sera réservé.
Sur le 3e paragraphe de l'article 15, M. Aroux proposa que la caisse d'épargne et de prévoyance, en faveur des instituteurs primaires communaux, fût formée par une retenue annuelle d'un vingtième sur le traitement, tant fixe que casuel, de chaque instituteur primaire. Je fis, sur cet amendement, les observations suivantes:
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je ne crois pas qu'on puisse espérer d'assurer le sort des instituteurs dans leur vieillesse par une épargne obligée qu'on leur imposerait; cela est impossible. Il faut leur ouvrir une nouvelle voie, leur donner l'exemple de l'économie; eh bien! en leur imposant une économie qui ne suffira pas sans doute à pourvoir à tous leurs besoins dans leur vieillesse, on les engage par là à l'étendre. On crée en même temps, dans chaque département, une caisse d'épargne qui deviendra très-souvent l'objet de legs, de donations qui concourront à assurer le sort des instituteurs. Je crois qu'il est impossible de l'assurer par des pensions mêmes provenant de retenues. Ce n'est pas au moment où l'État est sur le point d'abandonner ce système-là, pour l'administration en général, qu'il faudrait l'introduire dans ce cas particulier.
Je le répète, il faut encourager les instituteurs à faire eux-mêmes des économies, et inviter la bienfaisance particulière à venir à leur secours; je ne crois pas qu'on puisse aller au delà. Si vous voulez leur imposer une économie en imposant une retenue, soit sur le traitement fixe, soit sur le traitement casuel, pour assurer leur sort dans leur vieillesse, jamais vous n'en viendrez à bout.
L'amendement de M. Aroux fut rejeté.
M. le président.--Sur la phrase qui suit, M. F. Delessert propose la modification suivante:
Au deuxième paragraphe, après la 5e ligne:
«Le montant de la retenue sera placé soit en rentes sur l'État, soit au compte ouvert au trésor royal pour les caisses d'épargne et de prévoyance, d'après l'ordonnance du 3 juin 1829. Les intérêts de ces fonds seront capitalisés tous les six mois.»
Le reste comme à l'article de la commission.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je n'ai aucune objection à ce que les fonds provenant des retenues sur les instituteurs soient placés dans les comptes courants du trésor ou à la caisse d'épargne et de prévoyance; mais ce qui me paraît difficile, c'est l'alternative qui est laissée dans cet amendement, à cause des inconvénients qui pourraient en résulter. Ainsi, par exemple, on pourrait placer une certaine portion sur l'État et une autre à la caisse d'épargne; cela diminuerait la sécurité, la tranquillité d'esprit des instituteurs. Je crois qu'il importe qu'ils sachent positivement par la loi dans quelle caisse leurs fonds seront versés.
Je ne vois aucun inconvénient à ce que les fonds soient versés aux caisses d'épargne et de prévoyance. Cela vaut peut-être mieux que de les employer en rentes.
M. François Delessert.--Je réponds que, d'après les statuts organiques des caisses d'épargne et de prévoyance, les instituteurs eux-mêmes prendront part à l'administration sur le placement des fonds. Ainsi les fonds pourront être placés en rentes ou au trésor suivant le choix de ces instituteurs eux-mêmes, si cela leur convient mieux; mais si la Chambre le veut, elle peut décider dès à présent, que les fonds seront versés au trésor, et je consens volontiers à modifier en ce sens cette partie de mon amendement.
M. de Laborde.--Quand il faudrait vendre les rentes, le prix qu'on en retirerait serait quelquefois inférieur au capital, tandis qu'en compte courant, on est toujours sûr de retrouver ce qu'on a versé.
M. le ministre de l'instruction publique.--Si M. Delessert consent à modifier son amendement en ce sens, je répète que je n'ai plus aucune objection à faire.
M. le président.--Alors l'amendement de M. F. Delessert serait rédigé de la manière suivante:
«Le montant de la retenue sera placé au compte ouvert au trésor royal pour les caisses d'épargne et de prévoyance, d'après l'ordonnance du 3 juin 1829. Les intérêts de ces fonds seront capitalisés tous les six mois.»
L'amendement de M. F. Delessert, ainsi modifié, fut adopté.
Quand on en vint à la discussion du titre IV du projet de loi intitulé: Des autorités préposées à l'institution primaire, la formation des comités appelés à la surveillance des écoles fut l'objet d'une longue discussion dans laquelle j'intervins pour démontrer l'insuffisance des comités cantonaux.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.-J'ai quelques renseignements à donner à la Chambre sur la question qui l'occupe. Il y a 2,846 cantons; les comités cantonaux ont été institués en 1816. Depuis plusieurs années, on a mis beaucoup d'activité à l'organisation de ces comités; on est parvenu à en instituer 1,031, encore ne sont-ils organisés que sur le papier; il n'y en a guère plus de 200 qui aient une activité effective; par conséquent, il y a plus de 1,800 cantons dans lesquels on n'est pas venu à bout d'organiser les comités. Je ne crois pas qu'il soit utile de maintenir une institution qui n'est en quelque sorte qu'une ombre. Messieurs, partout où les comités cantonaux existent réellement, partout où ils sont susceptibles de faire un véritable bien, ils seront maintenus. L'intention du projet de loi n'est pas de soumettre l'instruction publique à un régime systématique qui fasse violence aux faits. La loi n'empêche pas d'établir des comités cantonaux dans les localités où il y aura possibilité et avantage de le faire. (Aux voix! aux voix!)
M. Eschassériaux.--Je crois que la question que vient de traiter M. le ministre, à l'occasion de l'amendement de M. de Jouvencel, est un peu prématurée. M. le ministre vous a dit qu'il y a un très-grand nombre de localités où l'on a fait l'essai de comités cantonaux, et que cet essai n'a pas été fructueux. Je lui dirai que la réponse à cette assertion existe dans la composition même de ces comités. Un ministre qui siège aujourd'hui comme député dans cette enceinte, et à qui on doit rendre justice pour tous les efforts qu'il a faits pour propager l'instruction publique en France, malgré le mauvais vouloir de la Restauration, M. Vatimesnil avait proposé les comités cantonaux; ils étaient présidés par le curé. Aujourd'hui, la composition de ces comités est à peu près la même, sauf que la présidence n'est pas de droit accordée aux curés. Messieurs, si vous voulez que l'instruction publique fasse des progrès en France, il ne faut pas concentrer la surveillance dans le chef-lieu d'arrondissement. Vous ne parviendrez à répandre l'instruction dans les cantons qui en sont maintenant le plus dépourvus, qu'autant que vous utiliserez les excellents matériaux qui existent, c'est-à-dire le juge de paix, le maire, les membres du conseil municipal et quelques personnes appartenant à des professions libérales dont on pourra tirer un très-bon parti. C'est de cette manière que l'instruction se répandra et s'améliorera. C'est le but que vous voulez atteindre. Eh bien, en concentrant les comités dans les grandes villes, vous rendrez la chose impossible, car quelque zèle qu'apportent les membres de ces comités dans l'exercice de leurs fonctions, comme ils sont presque tous des fonctionnaires publics, on n'obtiendrait jamais d'eux un dévouement tel qu'il le faudrait à l'instruction primaire. Je ne fais ici qu'ébaucher la question. J'y reviendrai tout à l'heure, quand il s'agira des comités.
M. Taillandier.--En 1816, une ordonnance du roi a prescrit l'établissement des comités cantonaux, et il est notoire que c'est sous l'empire de cette ordonnance que l'instruction primaire a fait le plus de progrès en France.
On a cité M. de Vatimesnil: M. de Vatimesnil a fait beaucoup, sans doute, pour l'instruction primaire; mais il n'a pas voulu des comités cantonaux; au contraire, je crois qu'il les a supprimés et qu'il les a remplacés par des comités d'arrondissement. Il est certain qu'aujourd'hui ce sont les comités d'arrondissement qui fonctionnent... (Interruption.)
Je tiens l'ordonnance du 21 avril 1828, qui porte: Qu'il sera formé dans chaque arrondissement de sous-préfecture, un comité gratuit pour surveiller et encourager l'instruction primaire! Ainsi les reproches qu'on a faits ne s'adressent pas aux comités cantonaux, mais bien aux comités d'arrondissement.
M. le ministre de l'instruction publique.--Je ferai remarquer qu'il ne s'agit ici de rien d'exclusif, qu'il ne s'agit pas d'interdire les comités cantonaux. Partout où il en existe de bons, on les maintiendra; partout ou il sera possible d'en former de bons, on en formera; il faut seulement ne pas faire une loi absolue de l'organisation des comités cantonaux, quand il est démontré par le fait qu'il ne sont pas possibles à présent dans tous les lieux, et qu'il y a, au contraire, une foule de lieux où cette organisation ne serait pas applicable. Il s'agit d'aller au fait et de créer des institutions d'une véritable efficacité.
L'amendement de M. Jouvencel fut rejeté.
J'avais proposé, dans l'article 17 du projet de loi, que le curé ou le pasteur fussent, de droit, membres du comité local appelé à la surveillance de l'école. La commission proposa à la Chambre de retirer ce droit au curé et au pasteur. Cette disposition donna lieu à un long débat dans lequel je maintins la proposition du gouvernement.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je demande à présenter quelques observations sur l'article de la commission.
La seule question véritable qu'il y ait dans cet article, c'est la question de la présence des curés ou des pasteurs dans le comité local chargé de la surveillance de l'école établie à côté de lui.
Je n'hésite pas à le dire; si cette question ne s'était pas trouvée impliqué dans l'article, la commission aurait adopté le comité local et spécial tel qu'il était proposé par le gouvernement. Mais je crois, messieurs, que les personnes qui, en thèse générale, ont tenu à écarter les curés ou les pasteurs de ce comité ne se font pas une idée bien exacte de ce qu'est l'instruction primaire, et particulièrement l'instruction morale et religieuse que vous avez admise dans le premier article du projet, comme faisant partie essentielle et comme étant la base de l'instruction primaire.
L'instruction morale et religieuse n'est pas, comme le calcul, la géométrie; l'orthographe, une leçon qui se donne en passant, à une heure déterminée, après laquelle il n'en soit plus question; la partie scientifique est la moindre de toutes dans l'instruction morale et religieuse. Ce qu'il faut, c'est que l'atmosphère générale de l'école soit morale et religieuse; il s'agit ici d'éducation encore plus que d'enseignement. L'instruction morale et religieuse n'est pas une leçon, je le répète, c'est l'atmosphère même dans laquelle les enfants doivent être élevés. A cette condition seulement, vous aurez dans les écoles une instruction véritablement morale et religieuse.
Il arrive un âge où l'instruction religieuse devient l'objet d'un enseignement scientifique qui est donné spécialement; mais, pour la première enfance, dans les écoles primaires, si l'instruction morale et religieuse ne plane pas sur l'enseignement tout entier, vous n'atteindrez pas, messieurs, le but que vous vous êtes proposé quand vous l'avez mise en tête de l'instruction primaire.
Que fait, que doit faire le maître d'école? est-ce qu'il donne à une certaine heure une leçon de morale, de religion? Non; il ouvre et ferme l'école par la prière; il fait dire la leçon dans le catéchisme; il donne des leçons d'histoire par la lecture de l'Écriture sainte. L'instruction religieuse et morale s'associe à l'instruction tout entière, à tous les actes du maître d'école et des enfants. Et par là seulement vous atteignez le but que vous vous êtes proposé, qui est de donner à l'instruction un caractère moral et religieux.
Messieurs, prenez garde à un fait qui n'a jamais éclaté peut-être avec autant d'évidence que de notre temps: le développement intellectuel, quand il est uni au développement moral et religieux, est excellent; il devient un principe d'ordre, de règle, et il est en même temps une source de prospérité et de grandeur pour la société. Mais le développement intellectuel tout seul, le développement intellectuel séparé du développement moral et religieux devient un principe d'orgueil, d'insubordination, d'égoïsme, et par conséquent de danger pour la société. (Assentiment dans plusieurs parties de l'assemblée.)
Est-ce là ce que vous voulez? Voulez-vous développer l'intelligence seule des enfants sans leur donner en même temps des habitudes morales et religieuses, sans leur donner ces règles intérieures qui deviennent des lois pour la conduite, et qui ne sont pas seulement des leçons pour l'intelligence?...
Je ne suppose pas que ce soit là votre pensée: quand vous avez écrit dans votre loi que l'instruction serait morale et religieuse, vous n'avez pas voulu que ce fût un vain mot; vous avez voulu qu'elle le fût réellement; eh bien! après avoir écrit ce principe dans la loi, vous iriez, dans un article suivant, déclarer, d'une manière générale, que le curé, que le pasteur, qui est naturellement le magistrat moral et religieux de la commune, et qui semble à ce titre faire partie essentielle du comité chargé de surveiller l'école, sera écarté de ce comité! J'ose dire que ce serait là un véritable contresens législatif, et qu'il ne peut être dans l'intention de la Chambre, lorsqu'elle veut faire donner l'instruction morale et religieuse dans les écoles primaires, d'exclure de la surveillance de ces écoles le magistrat moral et religieux de chaque commune.
Cela n'est pas possible, et l'expérience déposerait, aussi bien que la raison, contre une telle idée.
Quels sont les pays où l'instruction primaire a véritablement prospéré, où elle a pris un grand développement? Regardez l'Écosse, l'Allemagne, la Hollande, la Suisse; ce sont les pays où le clergé a exercé une surveillance, une influence continuelle sur l'instruction primaire, (Murmures aux extrémités.)
Permettez, messieurs, je sais très-bien quelle est l'objection que l'on peut faire à ce que je dis là, et je vais y répondre; je la connais d'avance.
Je dis que les pays dont j'ai parlé sont ceux où l'instruction primaire a le plus prospéré, et que le clergé a, dans ces pays, sur l'instruction primaire, une influence beaucoup plus grande-que celle que lui donnera la loi que vous faites.
La raison, la véritable raison à laquelle il faut arriver, et qui fait repousser par quelques personnes l'intervention du clergé dans l'instruction primaire, c'est qu'on dit que le clergé est hostile à l'instruction primaire, hostile à notre ordre social nouveau, à nos institutions.
Voix à gauche.--A la révolution de Juillet.
M. le ministre de l'instruction publique.--Oui, à la révolution de Juillet, je ne crains pas plus que vous d'en prononcer le nom. Si vous voulez introduire le clergé dans nos écoles, c'est un ennemi, dit-on, que vous donnez à l'instruction primaire, dans le sein même des établissements destinés à la faire prospérer.
Je ne crois pas que j'affaiblisse l'objection. (Non, non! c'est cela!)
Il y a du vrai dans cette objection, et cependant tout n'est pas vrai. Avant de discuter les conséquences du fait tel qu'on le décrit, je demande la permission de le réduire à ses véritables limites.
Depuis quinze ans, le clergé a beaucoup fait pour l'instruction primaire en France. (Rumeurs négatives à gauche.) Il a beaucoup fait, je le répète.
Un membre de l'extrême gauche.--Il a beaucoup empêché,
M. le ministre de l'instruction publique.--Vous répondrez.
Le nombre des écoles primaires, fondées ou entretenues par le clergé, s'est beaucoup accru depuis quinze ans; le nombre des élèves s'est aussi beaucoup accru; de meilleures méthodes y ont pénétré.
Il y a un exemple connu de tout le monde: ce sont les écoles des frères de la doctrine chrétienne; ces écoles sont des écoles ecclésiastiques, placées sous l'influence ecclésiastique; cependant il est impossible de dire qu'elles ne se sont pas beaucoup multipliées en France, qu'elles n'ont pas fait beaucoup de bien, qu'elles n'ont pas adopté de bien meilleures méthodes; qu'elles n'ont pas, en un mot, joué un rôle important dans les progrès de l'instruction primaire.
Vous direz, je le sais, que ce n'est pas du clergé qu'est venue cette impulsion, que ce n'est pas lui qui a commencé, qu'il n'a fait que suivre, que l'impulsion est venue d'ailleurs, peut-être contre son gré. Quand j'en conviendrais, quand le clergé n'aurait fait que se croire obligé de soutenir la concurrence, ce serait déjà beaucoup. Ne serez-vous pas toujours là, vous philanthropes, amis des institutions et des idées nouvelles? Ne serez-vous pas là pour contrôler l'influence du clergé, pour prendre votre part dans la dispensation de l'instruction primaire? C'est de vous que le clergé recevra toujours l'impulsion; il sera obligé de devenir l'instrument de vos vues, de concourir à un bien que peut-être il n'eût pas fait de son propre mouvement. Pourquoi voulez-vous l'en empêcher?
Savez-vous quel serait le résultat de cette exclusion qu'on vous propose de prononcer? Ce serait une déclaration de suspicion générale prononcée contre le clergé en France en matière d'éducation et d'instruction primaire. (Mouvement et bruits divers.) Je ne crois pas qu'il soit dans intention de la Chambre de prononcer une pareille déclaration.
Entrons un peu plus avant dans le détail des faits.
Indépendamment des frères de la doctrine chrétienne, il y a beaucoup d'ecclésiastiques, de curés, de pasteurs bienveillants pour l'instruction primaire, et qui concourent avec activité à sa propagation. Je puis en rendre témoignage, car je sais chaque jour ce qu'ils font à ce sujet.
Eh bien, la déclaration générale que vous porteriez en adoptant l'amendement, cette déclaration offenserait les bons comme les mauvais; elle les confondrait dans une même suspicion; et comme elle serait prononcée sans distinction, elle blesserait le corps tout entier. (Bruits dans plusieurs parties de la salle.)
M. le président.--Cette question est une des plus graves que le projet soulève. J'invite la Chambre au silence.
M. le ministre de l'instruction publique.--L'esprit de corps règne avec ses avantages et ses inconvénients; il faut le prendre tel qu'il est. Les bons se trouveront offensés comme les mauvais, les bienveillants comme les hostiles; vous vous priverez par là du concours des bons; et quant aux mauvais, à ceux qui seraient hostiles, enlèverez-vous, détruirez-vous leur influence? Prenez garde, vous ferez tout le contraire.
Par le projet du gouvernement, le comité local de surveillance est composé du maire, du curé ou du pasteur et de trois conseillers municipaux désignés par le conseil municipal. Il y a donc quatre laïques contre un ecclésiastique. Si l'ecclésiastique n'est pas bon, s'il n'est pas bienveillant pour l'instruction primaire, il sera dans une minorité évidente, il sera annulé par le comité même au sein duquel il siégera.
Voulez-vous le mettre en dehors du comité? Qu'arrivera-t-il? Il reprend toute son indépendance, il est étranger à toutes vos affaires, il ne s'y mêle en aucune façon; mais il demeure à côté de vous; il profite de la liberté que vous avez avec raison écrite dans la loi, et que le gouvernement a lui-même proposée; il fonde une école rivale de la vôtre. Il décrie la vôtre par tous les moyens dont il dispose.
Messieurs, en pareille matière, il vaut cent fois mieux avoir la lutte en dedans qu'en dehors. S'il doit y avoir lutte, que le curé malveillant, hostile, soit obligé de venir dans vos comités, de prendre part à l'administration de l'instruction primaire. S'il n'y vient pas, il se met dans son tort aux yeux de tous les honnêtes gens, de tous les pères de famille sensés; et c'est à vous qu'appartient le bon côté de la question; c'est vous qui avez été libéraux, modérés, raisonnables; c'est le curé qui est violent, intolérant, exclusif.
Par l'autre système, vous perdez tous les avantages de cette position. Vous manquez, permettez-moi de le dire, vous manquez au principe fondamental de votre gouvernement qui, dans les petites comme dans les grandes choses, dans les écoles comme dans les Chambres, en matière d'instruction primaire comme en matière de gouvernement, désire amener toutes les opinions, toutes les influences, tous les intérêts à vivre à côté les uns des autres, à se connaître, à traiter ensemble, à transiger; cette vie commune de tous les intérêts, de toutes les influences, de toutes les opinions, c'est le principe de la Charte, de la liberté, de la discussion, de la publicité; principe respecté, consacré par le projet de loi tel qu'il vous a été présenté par le gouvernement et qui, si je ne me trompe, est méconnu, énervé par le projet de votre commission.
Je persiste dans la proposition du gouvernement. (Nombreuses marques d'assentiment.)
La modification proposée par la commission à l'article 17 du projet du gouvernement fut adoptée.
Séance du 2 mai 1833.
En discutant la formation des divers comités appelés à surveiller les écoles primaires, plusieurs membres manifestèrent le désir que cette surveillance fût exclusivement municipale, et que les autorités universitaires y demeurassent étrangères. Je pris la parole à ce sujet.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Le préopinant se méprend sur le principe de la loi; j'ai eu soin cependant de l'exposer dans les motifs. Le principe fondamental est de n'attribuer rien d'exclusif, ni à l'État, ni au département, ni à la commune, relativement à la direction de l'instruction primaire.
Le principe de la loi, c'est de s'adresser aux différents pouvoirs, aux différentes associations plus ou moins étendues, de demander à chacune d'elles ce qu'elle peut utilement pour l'instruction primaire: à la commune une part des dépenses et des attributions de surveillance, au département et à l'État d'autres droits, d'autres soins. Il n'est pas exact de dire, et je ne pouvais pas laisser passer sans réponse, que l'instruction primaire est purement municipale, que tout pouvoir exercé hors de la municipalité est une usurpation. Une telle assertion est contraire au principe de la loi. J'aurai l'honneur de faire observer au préopinant qu'indépendamment du comité municipal dont il s'agit, il y a d'autres comités, des comités cantonaux ou d'arrondissement, qui ne sont pas des comités municipaux, des comités purement communaux, mais des comités correspondant à certaines circonscriptions administratives. Pour ces comités, comme pour d'autres, il est impossible que le ministre n'ait pas le pouvoir, non-seulement de les convoquer lorsqu'il le jugera convenable, mais d'y envoyer un inspecteur général qui les présidera dans telle ou telle occasion particulière.
Je prie la Chambre de remarquer qu'une chose qui m'est continuellement demandée, c'est une inspection active et spéciale de l'instruction primaire. Il y a une multitude de conseils généraux qui ont demandé des inspecteurs généraux spécialement chargés de surveiller l'instruction primaire, de se rendre dans les départements, de présider les comités. Ce voeu a été formellement émis. Des inspecteurs de l'instruction primaire, soit généraux, soit particuliers, ne peuvent pas ne pas dépendre du ministre de l'instruction publique. Il est impossible qu'il n'ait pas le pouvoir de convoquer les comités de surveillance, et d'en confier la présidence à des inspecteurs désignés par lui.
Sur l'article 20 du projet, M. Laurence demanda que les délégués du ministre de l'instruction publique ne fussent pas membres des comités chargés de la surveillance des écoles et n'eussent pas droit de les présider, ni de les convoquer. Je repoussai cette proposition.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Le préopinant (M. Laurence) se trompe sur la nature de cette délégation et des hommes qui seront envoyés; il est nécessaire d'envoyer des hommes spéciaux qui soient chargés, non pas de corriger des abus, de faire aucune réquisition, mais de faire connaître les bonnes méthodes, de répandre les progrès que fait l'instruction dans la sphère supérieure. C'est à cela que les inspecteurs des études et les inspecteurs généraux sont employés.
Vous avez créé, dans l'instruction primaire, des écoles supérieures où vous avez placé des notions élémentaires sur les sciences, les mathématiques, l'histoire naturelle, et sur leur application aux usages de la vie. Il est nécessaire que des hommes spéciaux aillent visiter ces écoles, voir la manière dont elles sont dirigées, et leur faire connaître les bonnes méthodes d'enseignement. Ce n'est pas l'administration ordinaire, ni les préfets, ni les sous-préfets qui pourront remplir cette mission; il y a une foule d'occasions où cette délégation d'hommes spéciaux, et leur incorporation momentanée avec les comités, seront les seuls moyens de faire faire des progrès à l'instruction primaire.
La proposition de M. Laurence fut adoptée,
Séance du 3 mai 1833.
A propos de l'article 22 du projet de loi présenté par le gouvernement, qui portait que les instituteurs primaires, nommés par le comité d'arrondissement sur la présentation du comité cantonal, seraient institués par le ministre de l'instruction publique, M. Taillandier demanda la suppression de cette dernière condition. Je combattis cet amendement qui devint l'objet d'un long débat.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Le principe de la loi, comme la Chambre le sait, est de faire concourir les divers pouvoirs pour atteindre ensemble le but. L'instituteur est présenté par le conseil municipal, nommé par le comité, et institué par le ministre de l'instruction publique. Vous avez fait de l'instituteur un fonctionnaire public, vous l'avez exempté du recrutement. Quand on accorde de pareils avantages, il faut bien savoir quels sont les hommes auxquels on les accorde.
L'administration ne nomme pas, elle ne fait qu'accorder ou refuser l'institution; c'est une espèce de veto qu'elle exerce. D'ailleurs les instituteurs se forment pour la plupart dans les écoles normales. Le concours de l'administration me paraît donc naturel, et même nécessaire.
MM. Eschassériaux, Laurence et Eusèbe de Salverte, ayant appuyé la proposition de M. Taillandier, je repris la parole pour la combattre.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Le but du projet de loi, comme je l'ai déjà dit, a été d'imprimer aux instituteurs primaires un caractère public; cela est tellement vrai que vous leur avez imposé l'obligation de prêter serment; vous les avez assimilés aux avoués, aux notaires, aux huissiers et à tous les officiers ministériels qui ne sont admis à entrer en fonctions qu'après avoir reçu de la puissance publique le caractère public. Voilà l'assimilation que vous avez voulu établir, voilà quel est l'objet du serment, et c'est ce que vous détruiriez si vous supprimiez le paragraphe.
J'ajouterai que c'est dans l'intérêt des instituteurs surtout que cette demande vous a été faite. Quelle est la cause des plaintes de la plupart des instituteurs? C'est qu'ils sont isolés, abandonnés, livrés à l'influence purement locale, dans une dépendance souvent déplorable à l'égard des petits pouvoirs qui sont à côté d'eux. Ils ont besoin de se sentir rattachés à une corporation, soutenus par la puissance publique. Ils se plaignent constamment de leur faiblesse, de leur isolement; lorsqu'ils auront été institués par la puissance publique, qu'ils en auront reçu un caractère public, ils seront relevés à leurs propres yeux et aux yeux de la population en général.
M. Jouvencel.--Je propose que l'institution leur soit donnée par les préfets. (Appuyé, appuyé!)
M. Aroux.--Je demanderai à M. le ministre de l'instruction publique s'il accède à l'explication qui vient d'être donnée par M. le rapporteur, qui a dit que, lorsqu'un instituteur sera suspendu ou destitué de ses fonctions, ou décédé, l'exécution provisoire sera accordée aux nominations faites par le comité cantonal et d'arrondissement.
M. le ministre de l'instruction publique.--Il ne peut y avoir de véritable caractère conféré à l'instituteur, et il ne peut entrer définitivement en fonctions que lorsqu'il a prêté serment. Après cela, lorsqu'il faudra ouvrir une nouvelle école, il n'y aura aucun inconvénient à ce que cette ouverture soit retardée de quinze jours ou trois semaines. Quand il s'agira, au contraire, de la substitution d'une école à une autre, l'ancien instituteur restera en fonctions jusqu'à ce que le nouveau soit nommé.
Plusieurs voix.--Et en cas de décès.
M. le ministre.--En cas de décès, le nouvel instituteur exercera provisoirement; l'école ne sera pas fermée pour cela, mais il n'aura le caractère définitif que quand il aura prêté serment.
Conformément au sous-amendement proposé par M. de Jouvencel, l'institution des instituteurs primaires par le préfet fut substituée par la Chambre à leur institution par le ministre de l'instruction publique.
M. Taillandier demanda que, dans l'article 23 du projet de loi, il ne fût fait aucune mention du conseil royal de l'instruction publique dont il ne voulait pas que l'existence parût ainsi indirectement confirmée. Je repoussai cette demande.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--La Chambre a fait voir, en diverses occasions, qu'elle était ennemie de l'anarchie en administration comme en politique. Or, il n'y a rien de plus anarchique que de considérer les institutions qui sont en vigueur comme si elles n'existaient pas; il n'y a rien de plus anarchique que de croire qu'on fait toujours table rase et qu'on a tout à recommencer. Messieurs, les institutions doivent être considérées comme existantes tant qu'elles ne sont pas abrogées par la loi; et, s'il m'est permis de le dire, il ne serait pas digne de la Chambre de croire qu'elle se lie par le maintien ou la suppression d'un mot dans la loi. Les pouvoirs public conservent toujours le droit de modifier les institutions existantes, et ce serait, je le répète, une sorte d'anarchie que de ne pas vouloir mentionner dans la loi une institution qui existe réellement, et qui est journellement en vigueur.
Après une vive et longue discussion, les mots conseil royal furent maintenus dans l'article.
A propos du titre V du projet de loi, article 26, M. François Delessert exprima le regret que ce projet n'eût pas institué et réglé en détail les écoles de filles comme les écoles de garçons. Je répondis:
M. Guizot, ministre de l'instruction publique. J'ai déjà eu l'honneur de le dire à la Chambre, en lui présentant le projet de loi; je me suis trouvé dans l'impossibilité de mettre dans ce projet les dispositions relatives aux écoles de filles, parce que je n'avais pas une connaissance suffisante des faits à cet égard. Je ne crois pas qu'il soit possible de faire de bonnes lois, quand n'a pas une pleine connaissance des faits qui s'y rapportent. Eh bien, le régime des écoles de filles est tellement divers; elles ont été soumises à des autorités si différentes, si incohérentes, et les faits ont été si mal recueillis que, pour mon compte, je me déclare complètement hors d'état de soumettre, quant à présent, à la Chambre un ensemble de dispositions raisonnables à ce sujet.
Je me suis occupé et je m'occupe assidûment de recueillir les faits; quand je me croirai suffisamment instruit, je mettrai sous les yeux de la Chambre les dispositions qui me paraîtront devoir en résulter. Les faits, je ne les sais pas à présent, et il me serait impossible de prendre un engagement précis sur l'époque à laquelle je pourrai présenter à la Chambre le résultat des travaux que je prépare depuis quelque temps.
M. François Delessert.--M. le ministre pourrait s'engager à présenter une loi à cet égard dans la prochaine session.
M. le ministre.--Je le ferai si la chose est possible, mais je ne puis prendre aucun engagement à cet égard.
M. Vivien demanda alors la suppression complète de cet article 26 comme inutile. Je répondis:
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je ne vois aucun inconvénient à la suppression de l'article. Il avait été mis plutôt comme une promesse de ce qu'il y avait à faire que comme contenant des dispositions précises.
J'adhère à la suppression totale.
L'article, mis aux voix, est supprimé.
M. Senné (de sa place).--J'ai besoin de demander une explication à M. le ministre.
Dans le moment actuel, il y a une foule de communes où il n'y a pas d'instituteurs distincts pour les garçons et d'institutrices pour les filles.
M. le ministre de l'instruction publique.--Je n'entends pas.
M. Senné (descendu de quelques bancs).--Je disais qu'il y a beaucoup de communes où les instituteurs reçoivent en même temps les garçons et les filles, parce qu'il n'y a pas un assez grand nombre et des uns et des autres, pour faire vivre un instituteur et une institutrice. Je demande si dans ces communes, les instituteurs ne pourront pas continuer à recevoir encore des filles, sous la condition de les recevoir, comme cela existe, dans un local séparé.
M. le ministre de l'instruction publique.--Il n'y aura rien de changé. L'administration veillera à ce que l'usage ne dégénère pas en abus; mais jusqu'à ce qu'une législation spéciale soit intervenue pour les écoles de filles, l'usage dont parle M. Senné subsistera.
M. Taillandier.--J'ai proposé un article sur cet objet.
M. le président.--Voici l'art. 28 additionnel de M. Taillandier.
«Dans les communes où il n'y aura pas d'institutrice, l'instruction primaire sera donnée aux filles par l'instituteur communal, mais à d'autres jours ou à d'autres heures que ceux où il tiendra l'école des garçons.» (Oh! oh!--Bruit.)
M. le ministre de l'instruction publique.--Je demande que toute cette matière soit remise, avec la législation des écoles de filles, à l'époque où l'on s'en occupera. Il est impossible d'imposer d'une manière absolue à l'instituteur communal l'obligation de tenir une école spéciale de filles... (Bruit.)
M. Taillandier.--Alors je le retire.
M. de Jouvencel proposa cet article additionnel au projet de loi: Avant le mois de janvier 1835, tous les instituteurs actuellement en exercice, dont les brevets sont antérieurs à 1830, devront, pour conserver leurs fonctions, être confirmés par les conseils municipaux des communes dont ils dépendent, après que les comités des cantons auront certifié leur aptitude à l'enseignement. Je combattis cette disposition.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je ne crois pas qu'il soit utile, et je dirai même qu'il soit juste, d'entreprendre une révision et une épuration générale de tous les instituteurs qui existent aujourd'hui en France. Il faut laisser les existences comme elles sont. Quand les instituteurs commettront des fautes, ils tomberont sous la législation que vous délibérez. Leurs fautes seront punies, leur conduite sera surveillée, comme la loi actuelle l'exige. Mais, je le répète, entreprendre une épuration générale de tous les titres des instituteurs actuellement en exercice, cela me paraît devoir les inquiéter tous, sans qu'il y ait à cela une véritable nécessité.
M. Jouvencel.--Je ne parle dans mon amendement que des instituteurs brevetés il y a plus de trois ans, avant 1830.
M. le ministre de l'instruction publique.--Je persiste dans mon observation. Je ne crois pas qu'il soit utile d'aller porter le trouble dans le très-grand nombre d'instituteurs privés et publics qui existent, et de les soumettre à la nécessité d'un nouveau brevet.
La discussion s'étant prolongée et animée, je repris la parole pour bien expliquer dans quel sens et dans quelles limites j'entendais protéger la situation des instituteurs primaires actuellement en exercice:
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je ferai observer que la distinction établie par la loi entre les écoles publiques et privées et le système d'écoles publiques que fonde la loi n'existe pas aujourd'hui que les écoles publiques communales sont à fonder. Toutes les communes qui déclareront qu'elles veulent fonder dans leur sein une école publique contracteront l'obligation de donner 200 fr. à leur instituteur. Si elles sont contentes de leur instituteur actuel, elles le maintiendront; si elles n'en sont pas contentes, elles en prendront un autre. Il ne s'agit pas de confirmer l'état actuel des instituteurs; ce à quoi je me suis opposé, c'est à ce qu'on imposât aux instituteurs actuellement existants l'obligation de subir de nouveaux examens et de se pourvoir de nouveaux brevets.
M. le Président.--Voilà pourquoi j'ai posé la question; il m'a semblé qu'il y avait un malentendu de la part de ceux qui proposaient l'amendement. Il résulte de l'explication donnée que l'instituteur actuel restera instituteur privé, et que, lorsqu'on voudra fonder une école communale, ce sera un établissement nouveau pour lequel l'instituteur devra obtenir sa nomination d'après les formes tracées par la loi.
M. le ministre de l'instruction publique.--C'est complétement dans ce sens que j'ai entendu la loi, et les termes mêmes de la loi le disent.
M. Laurence.--La loi n'en dit rien, et il est d'autant plus important de s'expliquer à cet égard que, dans l'état actuel, des instituteurs reçoivent des indemnités du ministère, et que des logements leur sont donnés par la commune.
M. le ministre de l'instruction publique.--Les instituteurs actuels sont des instituteurs privés auxquels ou les communes ou l'État donnent des subventions. Quand il s'agira d'en faire des instituteurs communaux, toutes les dispositions de la loi leur seront applicables.
M. Vivien.--Un instituteur est en possession de la fonction d'instituteur dans une commune; il reçoit dans ce moment une subvention de la commune, la commune désire le conserver. Faudra-t-il qu'il reçoive un brevet de capacité pour devenir un instituteur communal? (Non! non!)
M. le Président.--Le brevet de capacité, d'après votre loi, est pour les écoles privées, et c'est pour cela que M. le ministre de l'instruction publique, quand on a discuté l'art. 4, a déclaré qu'il n'entendait pas assujettir à de nouveaux brevets les instituteurs qui étaient en possession d'exercer; mais il résulte de l'explication qu'il vient de vous donner que, pour les écoles publiques, il faudra satisfaire aux dispositions de la loi; il y aura à déclarer qu'un tel est nommé instituteur communal, ce qui sans cela ne serait pas, car il n'y aurait qu'une simple confirmation. (Oui! oui! c'est entendu!)
M. Laurence.--C'est-à-dire que la capacité de l'instituteur, comme instituteur, ne peut plus être mise en question, mais que c'est l'investiture. (Oui! oui!). L'investiture, il ne l'a pas.
M. Eschassériaux.--Les explications données satisfont en grande partie au voeu qu'exprimait l'amendement de M. Jouvencel. Il reste toujours cependant que toutes les conditions exigées par le projet de loi ne seront pas remplies dans les choix de nouveaux instituteurs; il en est une, la plus essentielle suivant moi, sur laquelle on passera, ce me semble, assez légèrement: c'est la condition de capacité; car il suffit que vous n'exigiez pas que de nouveaux brevets soient pris par les instituteurs actuels, pour que vous laissiez aux communes la chance d'avoir des instituteurs très-médiocres.
M. le ministre de l'instruction publique.--Je ne voudrais pas prolonger inutilement cette discussion; mais je ferai remarquer que le projet de loi établit deux degrés d'école: les écoles primaires élémentaires et les écoles primaires supérieures. Eh bien! parmi les brevets délégués depuis plusieurs années, il y a des brevets qui répondent aux écoles élémentaires, et des brevets qui répondent aux écoles supérieures. Les instituteurs qui ont reçu des brevets du premier degré possèdent à peu près les connaissances exigées pour les écoles supérieures. Ce sont là des faits dont on tiendra compte en instituant les écoles publiques; mais si vous soumettez tous les instituteurs de France à venir se présenter à de nouveaux examens et à recevoir de nouveaux brevets, vous porterez un grand trouble dans toutes les existences.
M. Eschassériaux ayant demandé ce que deviendraient, d'après le nouveau projet de loi, les écoles d'adultes, je répondis:
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Beaucoup de membres de cette Chambre peuvent savoir que je me suis occupé des écoles d'adultes, et que j'ai pris des dispositions dont quelques-unes ont eu un plein succès. Mais on ne saurait régler cette législation dès aujourd'hui, car le régime de ces écoles et la manière de les établir sont variables selon les localités, et on ne peut prendre à leur égard une disposition générale. Il y a des villes où l'on peut établir des écoles d'adultes, de telle manière qui ne réussirait pas dans telle autre ville. Je me suis occupé de recueillir à cet égard des renseignements. Je ferai la même observation que sur les écoles de filles: je ne pourrais non plus à cet égard présenter encore un ensemble de dispositions raisonnables.
M. le général Demarçay.--Si l'on ne veut donner aux adultes dont il s'agit que la somme d'instruction qu'on donnera aux enfants, pourquoi les jeunes gens de quinze ou dix-sept ans ne seraient-ils pas admis dans les écoles des enfants?
M. le ministre de l'instruction publique.--Il n'y a pas d'objection, rien ne les empêche d'y entrer.
M. Taillandier.--Je rends justice à M. le ministre; je sais qu'il fait des efforts pour répandre l'instruction primaire, pour établir des écoles d'adultes; mais les hommes passent, et les institutions restent. M. le ministre est aujourd'hui au pouvoir, il peut n'y être plus dans quelque temps. (On rit.) Je persiste à penser que le principe doit être écrit dans la loi, et j'ai rédigé mon article de manière à poser seulement le principe. (Aux voix! aux voix!)
M. le Président.--Voici le premier article de M. Taillandier: «Moyennant des rétributions fixées conformément à l'art. 14 de la présente loi, et aux jours et heures que le conseil municipal déterminera, l'instituteur communal donnera l'instruction primaire aux hommes adultes qui la voudront recevoir.»
M. le ministre de l'instruction publique.--Je ne puis admettre une disposition aussi générale. Il y a telle école où il serait impossible à l'instituteur primaire de donner aux adultes cette instruction.
L'article fut rejeté.
Chambre des pairs.--Séance du 6 mai 1833.
Le 6 mai 1833, je présentai le projet de loi à la Chambre des pairs en mettant en regard la rédaction primitive et les amendements adoptés par la Chambre des députés.
M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Messieurs les pairs, le Roi nous a ordonné de présenter le projet de loi sur l'instruction primaire que la Chambre des députés vient d'adopter, avec des amendements qui seront également l'objet de vos délibérations.
Définir l'instruction primaire de telle sorte qu'elle puisse en même temps être donnée partout, et s'étendre, s'élever à mesure que s'étendent et s'élèvent les besoins de la population; lui assurer la liberté promise par la Charte, sous la seule condition des garanties de moralité et de capacité exigées des professions les plus libres; fonder, en acceptant la concurrence des écoles privées, un vaste ensemble d'écoles publiques qui mettent l'instruction primaire à l'abri des lacunes et des chances de l'industrie particulière; former de bons maîtres, condition absolue des bonnes écoles; régler enfin le mode d'administration et de surveillance des écoles, en attribuant aux pouvoirs locaux et généraux la part d'influence et d'action qui leur convient; tels sont les principes, tel est le système des dispositions du projet de loi.
Ces principes sont simples, messieurs, et d'une utilité, je pourrais dire d'une nécessité presque évidente. L'instruction primaire doit être universelle; donc elle ne saurait être uniforme; il faut qu'elle s'adapte aux besoins divers, aux divers degrés de développement des classes auxquelles elle est destinée; qu'elle soit tantôt assez facile, assez modeste pour pénétrer dans les moindres villages et s'offrir aux existences les plus humbles; tantôt assez développée, assez variée pour satisfaire aux convenances de ces professions, aujourd'hui si nombreuses et si importantes, qui ne prétendent pas à la science, mais qui ont besoin d'en connaître les éléments, car elles en font chaque jour l'application.
Vous voulez l'universalité de l'instruction primaire; appelez donc la liberté à votre aide; que rien n'entrave le voeu des familles et les essais de l'industrie. Prenez garde seulement à deux choses: d'une part, souvenez-vous que, lorsqu'il s'agit de la fortune et de la santé des citoyens, vous demandez à l'industrie libre certaines garanties fondamentales; serez-vous moins soigneux, moins prévoyants quand vous vous occupez de leur intelligence et de leur moralité? D'autre part, ne vous faites point d'illusion; l'industrie libre, l'intérêt privé sont absolument hors d'état de porter l'instruction primaire dans tous les lieux et à tous les degrés qu'elle doit atteindre pour que les besoins du pays soient satisfaits. L'expérience le démontre comme le prévoit la raison: la puissance publique seule est au niveau d'une telle oeuvre. Que la puissance publique intervienne donc; qu'elle fonde partout des écoles; qu'à ces écoles elle assure des maîtres dignes de leur mission, si élevée bien que si obscure. Ainsi, mais seulement ainsi, vos soins pour l'instruction populaire seront efficaces; vous accomplirez le devoir de l'État, en respectant le droit et en acceptant le concours de la liberté.
Comment interviendra la puissance publique? Agira-t-elle seule du haut de sa grandeur, pour ainsi dire, en se chargeant de tout le poids de l'entreprise, et en faisant partir, du centre de l'État, toute son action? Non, messieurs; si nous n'attendons pas de l'industrie privée tout ce qu'on s'en est quelquefois promis, nous ne voulons pas non plus imposer au pouvoir central un fardeau qu'il porte mal, quand il le porte seul. L'instruction primaire est une dette de l'État envers la population; mais cette dette, pour être aisément et effectivement payée, doit être répartie entre les associations diverses et inégales dont la réunion forme l'État. La loi, cette expression de la raison publique et de l'intérêt général, imposera donc aux communes l'obligation de pourvoir aux besoins de l'instruction primaire. Si les communes n'y peuvent suivre, la loi appellera les départements à leur aide; et comme le concours des départements même laissera encore beaucoup à faire, les ressources générales de l'État seront alors invoquées et viendront combler les dernières lacunes: ainsi seront excitées et employées, chacune à sa place et dans sa mesure, toutes les forces de la société.
Le même principe qui préside à la répartition des devoirs et des charges présidera à la distribution des droits et des pouvoirs. La commune, le canton, l'arrondissement, le département, l'État concourront à la surveillance des écoles comme à leur entretien; et, après avoir assuré leur situation matérielle, la loi, non moins soigneuse de leur existence, et, s'il m'est permis d'employer cette expression, de leur santé morale, appellera à veiller sur elles toutes les influences qui peuvent, qui doivent se prêter, dans cette vue, un mutuel appui.
Tel est le projet de loi, messieurs; ses dispositions n'ont pour objet que d'appliquer, de réaliser les principes que je viens d'indiquer. J'ose croire que vous les trouverez conséquentes et pratiques. En commençant par l'enseignement populaire les améliorations et les réformes que l'instruction publique en général nous paraît appeler, nous nous sommes également imposé de repousser toute prétention, toute promesse chimérique, et de ne refuser aucun auxiliaire, aucun moyen d'action. Nous n'hésitons pas à affirmer que c'est ici une loi sincère; nous espérons que ce sera aussi une loi efficace.
M. le ministre lit le projet de loi.