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Histoire parlementaire de France, Volume 2.: Recueil complet des discours prononcés dans les chambres de 1819 à 1848

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--Séance du 27 mai 1833.--

A propos de l'article 14, le comte Roy demanda le retranchement du 2e paragraphe: «Le recouvrement de la rétribution, ne donnera lieu à aucune remise au profit des agents de la perception.» Je donnai, à ce sujet, les explications suivantes:

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je dois donner quelques explications à la Chambre sur la manière dont ce paragraphe a été introduit dans la loi en discussion. Comme M. le comte Roy l'a fait observer, il n'était point dans la proposition du gouvernement. La disposition fondamentale de l'article 14, qui fait, de la rétribution payée par les parents au profit de l'instituteur, une contribution publique qui devra être perçue dans la même forme que les contributions directes, cette disposition ayant été l'objet d'objections graves, le paragraphe dont il s'agit a été introduit dans la loi comme une espèce d'adoucissement. On a voulu que les parents sussent bien que le percepteur ne gagnerait rien à cette rigueur qu'il était appelé à exercer contre eux, que cette perception, qui pouvait les blesser dans certains cas, ne donnerait lieu à aucun avantage au profit du percepteur.

J'ai peine à croire que la charge qui en résultera pour le percepteur soit aussi grande que M. le comte Roy a paru le penser. Il a raisonné dans l'hypothèse de huit communes par percepteur, et de cent élèves par commune. Il y a évidemment exagération, car cela donnerait, pour toutes les communes de France, 4 millions d'élèves dans les écoles primaires. Le nombre des élèves qui payeront la rétribution nouvelle sera, terme moyen, de quinze ou vingt.

Je reconnais qu'il y aura aggravation de travail et de dépense; mais il n'est pas impossible d'introduire une disposition analogue à celle que vient de proposer M. Girod (de l'Ain), et au moyen de laquelle on assurera au percepteur le recouvrement de ses frais. J'insiste seulement sur ce point que le véritable motif du paragraphe a été de faire passer plus facilement cette métamorphose de la rétribution mensuelle en contribution publique.

M. le comte Roy.--La proposition de M. Girod (de l'Ain), si elle était admise, ferait du moins disparaître ce que la disposition présente de trop injuste. Cependant il faudrait dire encore par qui l'indemnité serait acquittée.

M. le ministre de l'instruction publique.--L'observation de M. le comte Roy sur l'inconvénient d'insérer, dans la loi de l'instruction primaire, une disposition qui lui paraît purement administrative, et qui a besoin d'être concertée entre M. le ministre des finances et M. le ministre de l'instruction publique, cette observation me paraît jusqu'à un certain point fondée. Il est bien vrai que, quand même aucune disposition pareille ne serait introduite dans la loi, M. le ministre des finances aurait toujours le droit, en se concertant avec M. le ministre de l'instruction publique, de déclarer qu'il n'y aura aucune remise au profit des percepteurs pour cette nature de contribution.

M. le comte Roy.--J'ai exprimé très-positivement une opinion conforme à ce qui est demandé par M. le ministre de l'instruction publique. J'ai toujours entendu, en proposant la suppression du deuxième paragraphe de l'article 14, que M. le ministre des finances et M. le ministre de l'intérieur ou de l'instruction publique se concerteraient pour établir le mode et les conditions de la perception autorisée par cet article.

M. Girod (de l'Ain).--On pourrait retrancher le paragraphe.

M. le ministre de l'instruction publique.--Il est utile pour bien accréditer dans les campagnes cette métamorphose de la rétribution.

M. Girod (de l'Ain) proposa, par voie d'amendement, cette rédaction qui fut adoptée: «Le recouvrement de la rétribution ne donnera lieu qu'au remboursement des frais par la commune, sans aucune remise au profit des agents de la perception.»

A propos de l'article 15, le baron Mounier proposa cet amendement: «Il sera établi, dans chaque département, une caisse de retraite en faveur des instituteurs communaux; les statuts de ces caisses seront déterminés par des ordonnances royales. Il sera fait, au profit de la caisse de retraite, une retenue d'un vingtième sur le traitement de chaque instituteur communal. Les caisses départementales pourront recevoir des dons et legs dans les formes et selon les règles prescrites pour les établissements d'utilité publique.»

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Ce n'est pas, je l'avoue, sans quelque embarras que je viens combattre la proposition de l'honorable membre, car elle aurait pour effet de donner à l'instruction primaire plus que le gouvernement n'a osé demander pour elle, mais non pas certainement plus qu'il n'est nécessaire de faire, car il est bien certain que l'économie obligée que le projet de loi impose aux instituteurs sera fort loin de suffire aux besoins de leur vieillesse. Cependant je prie la Chambre de se rappeler qu'en ce moment le public tout entier, l'autre Chambre en particulier, et tous les hommes qui se sont occupés de l'état de notre administration financière, sont très-frappés du vice du système des pensions, soit des pensions par voie de retenue, soit des pensions sur les fonds publics, et de la charge énorme qui en est résultée pour l'État, charge telle que le Trésor se trouve avoir à payer aujourd'hui, pour les services passés une somme qui est à peu près le quart de celle qui est payée pour les services présents.

C'est sous l'influence de cette idée qu'a été rédigé le projet de loi, et en particulier l'article dont il s'agit.

L'honorable préopinant a paru croire qu'un système de retenue bien combiné parerait aux inconvénients qu'a entraînés le système qui a été jusqu'ici en vigueur. Il a paru croire surtout que c'était à nos convulsions politiques, aux bouleversements qui ont eu lieu dans notre administration, qu'étaient dus les principaux inconvénients, de ce système et l'énormité des charges qui en étaient résultées.

Je ne partage pas complétement l'opinion de M. le baron Monnier. Pour arriver, par un système de retenue sur les traitements, à un fonds qui assuré des pensions de retraite, il faut deux choses: il faut d'une part, une retenue qui aille au moins au vingtième du traitement, et, d'une autre part, il faut qu'on exige trente ans de service et soixante ans d'âge. Il en résultera qu'une foule d'individus qui auront subi les retenues, et qui n'atteindront pas les trente ans de service et les soixante ans d'âge, se trouveront avoir complétement perdu la contribution qu'ils ont apportée au fonds commun.

Il est impossible que l'honorable préopinant et tous les hommes qui ont administré n'aient pas été frappés de l'espèce de révolte qu'excite toujours cette irrégularité. Quand un homme meurt à cinquante-neuf ans, après vingt-neuf ans de service, après avoir versé une somme considérable dans la caisse de retenue, et que sa famille ne se trouve avoir aucune espèce de droit aux fonds par lui déposés, il en résulte une injustice qui choque, et à laquelle on a souvent été tenté de remédier par des allocations sur les fonds de l'État.

Je crois qu'il y a là un inconvénient d'autant plus grave qu'il s'applique à l'instruction primaire. Je prie la Chambre de remarquer que les traitements des instituteurs primaires sont très-faibles et presque tous égaux; en sorte que le système des retenues rendrait beaucoup moins dans l'instruction primaire que dans toute autre branche d'administration.

Dans les autres administrations, les traitements sont très-inégaux; il y en a de fort considérables, et les traitements considérables amènent des retenues considérables qui tournent au profit des petits traitements; mais en matière d'instruction primaire, tous les traitements sont très-faibles, en sorte que les retenues sont aussi très-faibles. L'injustice que je signalais tout à l'heure sera donc encore plus choquante dans l'instruction publique que dans toute autre administration.

Je crois que le système des caisses de retenue, dont le vice unique n'est pas dans les bouleversements politiques, et qui appelle presque inévitablement le secours des fonds de l'État, je crois, dis-je, qu'avant d'appliquer de nouveau ce système, avant de l'étendre à une administration nouvelle, il faut s'en rendre un compte plus rigoureux et plus complet qu'on ne l'a fait jusqu'à présent.

La Chambre n'ignore pas qu'une commission a été chargée d'examiner le système général des pensions, et de voir quelles modifications on pourrait y apporter. Il me paraît très-grave d'étendre le système des pensions à une classe d'hommes aussi considérable que celle des instituteurs primaires, au moment où l'on est frappé de tous les inconvénients qui sont résultés de ce système dans toutes les branches de l'administration et où l'on cherche le moyen de remédier à ces inconvénients.

Je prie la Chambre de remarquer, en outre, qu'on adoptant l'amendement qui vous est proposé, elle prendrait l'initiative d'une dépense que l'autre Chambre n'a pas jugé à propos de mettre à la charge de l'État. Cette observation ne me paraît pas sans quelque gravité.

J'ajouterai que l'honorable préopinant n'a peut-être pas assez compté, pour accroître les fonds des caisses d'épargne et de prévoyance, sur les legs et les donations que ne manqueront pas de faire les bienfaiteurs habituels de l'instruction primaire, et qui suppléeront à l'insuffisance de ces caisses.

Je ferai encore remarquer à la Chambre que le principe de l'économie obligée est aussi parfaitement juste en ce sens qu'il ne fait subir à aucun instituteur les chances du hasard. Il ne les soumet pas à cette loi des tontines qui, par elle-même, n'est pas très-morale. Chaque instituteur est soumis à une économie obligée, et lorsqu'il arrive au bout de sa carrière, on lui rend le produit de ses économies; personne, de cette manière, ne court de chance; personne ne profite du mal d'autrui; personne ne perd les fonds qu'il a versés dans la caisse.

Il est vrai que ce système n'atteint pas complétement le but que l'honorable préopinant voudrait atteindre. Mais si vous entriez dans le système qu'on voudrait y substituer, vous vous exposeriez à imposer à l'État des charges considérables, des charges de même nature que celles contre lesquelles on se récrie de toutes parts.

Je crois donc devoir persister dans le système du projet de loi.

M. le baron Silvestre de Sacy.--Il me semble qu'il manque quelque chose pour compléter les dispositions de cet article. On assujettit cette caisse de prévoyance à rendre, à l'instituteur que l'âge ou la maladie oblige de se retirer, les sommes déposées avec leur produit. Mais alors à quoi serviraient les dons et les legs qui pourront être faits à ces caisses? Quel en sera l'usage? car les caisses ayant reçu de tous les instituteurs leurs économies, ayant fait fructifier ces économies, à quoi s'appliquera cet excédant résultant des dons et legs qui auront été faits?

Je crois qu'il est très-heureux que la caisse ait cet excédant; elle sera par là à même d'ajouter quelque chose quand le cas l'exigera. Il me semble que la loi devrait prévoir, par quelques paroles, l'emploi qui devra être fait de l'excédant des fonds que la caisse aura reçus. Je n'ai rédigé aucun amendement à cet égard, mais ces réflexions se présentent naturellement.

M. le ministre de l'instruction publique.--L'observation de M. de Sacy est tout à fait fondée, mais je crois que la loi y a pourvu par le dernier paragraphe de l'article.

Je prie la Chambre de remarquer que notre intention a été de laisser le plus de latitude possible, aux donateurs et testateurs. Tel donateur, en faisant un legs à la caisse du département; stipulera que l'emploi de ce legs sera particulièrement affecté aux instituteurs ruraux, aux instituteurs de telle ville. Il faut leur laisser à cet égard la plus grande liberté. Quand il n'aura fait aucune disposition, dans ce cas le conseil général réglera l'emploi de ce legs, c'est-à-dire en fera la répartition entre les instituteurs. Il nous a paru que la loi ne pouvait régler d'avance et d'une manière générale l'emploi des dons et legs ainsi versés à la caisse d'épargne, et qu'il fallait laisser cet emploi à là variété des dispositions que le conseil général jugerait convenable de prendre. Si nous avions dit que les fonds seraient répartis au marc le franc entre tous les instituteurs du département, il en serait résulté de graves inconvénients: on aurait donné à des instituteurs plus qu'il n'était nécessaire de leur donner. Il vaut beaucoup mieux, lorsque le donateur ou le testateur n'a point fait de dispositions particulières, laisser au conseil général la liberté de répartir cet excédant de fonds entre les instituteurs, selon leurs besoins. Il faut, je crois, avoir cette confiance dans le bon sens du conseil général.

M. le baron Mounier ayant persisté dans son amendement en en développant les raisons, je repris la parole.

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je remercie M. le baron Mounier de m'avoir fourni l'occasion d'expliquer les paroles que j'ai eu l'honneur d'adresser à la Chambre. La Chambre peut se rappeler que je me suis exprimé avec beaucoup de doute et même de timidité à ce sujet.

Je suis parfaitement convaincu que le droit de la Chambre des pairs, en matière de dépenses, est entier. Je partage l'opinion du préopinant: je crois que l'initiative de toute loi d'impôt appartient à la Chambre des députés seule; mais que la Chambre des pairs conserve sur le budget de l'État, en matière de dépenses, la plénitude de ses droits. Cependant il est impossible de ne pas reconnaître, en fait, que depuis son existence, la Chambre des pairs a agi avec beaucoup de réserve à cet égard, et que toutes les fois qu'il s'est agi d'augmenter une dépense, quoiqu'elle eût complétement le droit de prendre l'initiative en cette matière, elle a pensé, non pas comme restriction constitutionnelle, mais comme convenance de conduite, que c'était particulièrement à la Chambre des députés qu'il appartient de prendre cette initiative.

Mon opinion et mes paroles ne vont point au delà; jamais je n'ai entendu contester à la Chambre des pairs aucun de ses droits; j'ai entendu simplement lui rappeler ses propres usages, sa propre conduite, et les convenances qu'elle a eu pleinement raison d'observer.

Quant au fond de la question, je me permettrai de faire observer à l'honorable préopinant que je n'ai pas émis, sur les caisses de retenue, toute l'opinion qu'il m'a prêtée. J'ai seulement dit que ces caisses de retenue s'étaient partout trouvées insuffisantes, quoiqu'on eût imposé une forte retenue et exigé des conditions rigoureuses pour l'admission aux pensions.

J'ai attribué cette insuffisance non-seulement aux convulsions politiques, mais à d'autre causes.

Dans tous les règlements relatifs aux caisses de retenue, en même temps qu'on a cru devoir exiger trente ans de service et soixante ans d'âge, on a tellement senti la rigueur de ces conditions et l'espèce d'injustice qui pouvait en résulter, qu'on a toujours ouvert une autre porte; on a toujours prévu le cas des infirmités contractées dans l'exercice des fonctions. Il n'y a personne, ayant administré, ayant fait partie du conseil d'État, qui ne sache combien de fois on fait usage de ce moyen. C'est là une des causses qui ont singulièrement aggravé la situation des caisses de retenue.

Je crois que si vous adoptiez le système des caisses de retenue, il serait à peu près impossible de ne pas admettre quelque chose de semblable. Si vous teniez rigoureusement aux trente ans de service et aux soixante ans d'âge, il en résulterait des injustices choquantes dans une multitude de cas.

On ne peut assimiler les pensions données sur les fonds généraux de l'État aux pensions données sur les fonds de retenue. Quand un militaire n'obtient aucune pension, il n'est pas considéré comme ayant rien perdu, attendu qu'il n'a rien donné sur son traitement. Il ne s'agit à son égard que d'une pension qui, à tort ou à raison, est considérée comme plus gratuite, comme une libéralité volontaire de la part de l'État envers le pensionnaire, et non pas comme le prix des retenues qui lui ont été faites.

Cette seule circonstance, qui fait considérer l'argent versé comme une sorte de propriété sur laquelle l'employé conserve des droits, fait aussi qu'on considère comme une injustice la perte de cet argent dont aucune partie ne revient à la famille de l'employé qui meurt avant d'avoir rempli les conditions exigées pour obtenir la pension. Cette injustice est inhérente au système de retenue et de tontine appliqué aux pensions. Je crois que la Chambre ne voudra pas donner à ce système une extension que nous avons voulu repousser par le projet de loi.

M. de Barante.--L'exception portée dans l'art. 15 de la Charte ne me paraît pas devoir s'appliquer à l'article en discussion. En effet, supposez qu'on adopte l'amendement de M. le baron Mounier, on ne voterait aucune espèce de dépense, on donnerait seulement la faculté à la législature de voter, le cas échéant, une dépense; conséquemment, ce pourrait être la Chambre des députés qui voterait la dépense.

Toutefois, je suis loin d'approuver l'amendement. Je demeure très-frappé des inconvénients des caisses de retenue: M. le ministre de l'instruction publique, par la manière dont il a discuté ce système, me dispense de dire ce que je dirais moins bien que lui.

Je crois que, sans adopter le système entier des caisses d'épargne et de prévoyance, il conviendrait de se rapprocher de ce système, en ce sens que chaque employé aurait son compte ouvert pour toutes les sommes par lui versées, et que la liquidation se ferait, non pas d'après la considération de ses infirmités ou d'après d'autres considérations auxquelles se prêtent plus ou moins facilement les liquidations, mais d'après les versements par lui faits. Dans tous les cas, je crois que, pour ne pas s'enchaîner d'avance, il conviendrait de retrancher les dernières lignes du troisième paragraphe, à partir de ces mots: «Le produit total».

M. le ministre de l'instruction publique.--Je ne verrais pas un grand inconvénient au retranchement proposé par le préopinant si le paragraphe n'avait eu précisément pour objet de rassurer complétement les instituteurs, leurs veuves ou héritiers, sur l'emploi qui serait fait de leurs retenues. La loi a voulu dire, pour donner toute sécurité aux instituteurs: au moment où vous sortirez de votre profession, après en avoir rempli toutes les conditions, tout ce que vous aurez versé, intérêt et capital, vous sera remis ou à vos héritiers.

Le retranchement de ce paragraphe leur donnerait, au contraire, de graves inquiétudes. N'oublions pas que nous agissons pour des hommes fort obscurs, qui ignorent ce qui se passe à vos séances, qui ignorent vos discussions, dont la plupart ignoreront peut-être la loi qui fixera leur droits, et que vous les inquiéteriez prodigieusement, si par un mot dans la loi, vous ne leur donniez pas les garanties qu'ils désirent.

M. le président.--Il y a deux amendements proposés: celui de M. le baron Mounier et celui de M. le baron de Barante.

Je mets aux voix l'amendement de M. Mounier.

L'amendement est rejeté.

M. le baron Mounier.--Je demande la division. J'aurai une observation à faire sur le premier paragraphe.

Les deux premiers paragraphes sont adoptés.

M. le baron Mounier.--Je demanderai à M. le ministre de l'instruction publique pourquoi l'on a retranché, dans la nouvelle rédaction de l'art. 15, la faculté donnée par la première rédaction de placer le montant de la retenue en rentes sur l'État?

M. le ministre de l'instruction publique.--Le gouvernement avait proposé de placer la retenue en rentes sur l'État; la Chambre des députés a demandé que la retenue fût placée aux comptes ouverts au trésor royal, pour la caisse d'épargne et de prévoyance. J'avais pensé qu'il était possible de faire ce que vient de demander l'honorable préopinant, c'est-à-dire de laisser l'alternative; mais en y réfléchissant, j'y ai vu des inconvénients. Cela ôtait aux instituteurs la pleine connaissance de l'emploi de leurs fonds. Ne suivant pas les opérations faites sur les rentes, ils n'auraient pas su si leurs retenues étaient placées en rentes ou aux comptes du trésor royal, et ils auraient pu en concevoir quelque inquiétude.

Un autre inconvénient, c'est que le placement en rentes sur l'État est sujet à des variations, ce qui ne peut convenir à des hommes qui, n'ayant qu'un très-petit capital, ont le plus grand intérêt à ce qu'il ne varie pas. Ces motifs m'ont déterminé à adopter l'amendement proposé par la Chambre des députés.

M. le baron Mounier.--Cette observation me satisfait complétement. Je demande seulement qu'on retranche ces mots: «D'après l'ordonnance du 3 juin 1829.»

Cet amendement est adopté.

M. le président.--Il y a un amendement de M. de Barante qui propose de retrancher les dernières lignes du 3e §.

L'amendement de M. de Barante est mis aux voix et rejeté.

M. le président.--Je mets aux voix le 4e paragraphe amendé par la commission.

M. le baron Sylvestre de Sacy.--Je ne vois pas quelle nécessité il y a d'insérer dans la loi que, dans aucun cas, l'État ne pourra venir au secours des caisses d'épargne. S'il survenait des circonstances qui rendissent cela convenable, pourquoi ne pourrait-on pas le faire? Il me semble donc qu'il serait beaucoup mieux de se borner à donner la faculté de recevoir les dons et legs, et de supprimer les deux premières lignes de l'article.

M. le ministre de l'instruction publique.--Je suis très-disposé à accueillir le retranchement proposé, et à admettre une plus grande latitude laissée à l'État pour les caisses départementales. Cependant je crois devoir faire observer à la Chambre qu'on n'a pas voulu interdire par là les dons de fonds pour les caisses d'épargne et de prévoyance; on a voulu seulement que ces dons ne fussent faits que par les départements et sur les fonds départementaux.

L'amendement de M. de Sacy fut rejeté.




--Chambre des pairs.--Séance du 28 mai 1833.--

Sur le 1er paragraphe de l'article 20, M. Aubernon proposa cet amendement: «Les comités s'assembleront au moins une fois par mois. Ils pourront être convoqués sur la demande d'un des inspecteurs de l'Université attaché à l'académie du ressort, ou de tout autre membre de l'Université délégué par le ministre de l'instruction publique qui assistera à la délibération».

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--L'intention du projet de loi a été précisément de ne point soulever les questions que M. Aubernon soulève par son amendement.

Le ministre de l'instruction publique exerce son action, d'une part, par l'administration spéciale de l'instruction publique, formée des inspecteurs généraux, des recteurs, des inspecteurs d'académie, et d'autre part, par l'administration générale, formée des préfets, des sous-préfets, etc. La répartition des attributions entre ces deux hiérarchies de fonctionnaires est extrêmement difficile à faire.

Il y a des cas dans lesquels, évidemment, l'intervention des préfets et des sous-préfets est nécessaire: par exemple, toutes les fois qu'il s'agit de traiter avec les communes ou avec les conseils généraux de département, pour les dépenses qu'ils peuvent faire en faveur de l'instruction primaire.

Lorsqu'il s'agit, au contraire, du choix des instituteurs, du personnel proprement dit de l'instruction publique, de la direction de cette instruction, de la surveillance de l'enseignement et des méthodes, ce n'est plus à l'administration générale, aux préfets, aux sous-préfets, c'est à l'administration spéciale, c'est-à-dire, aux recteurs, aux inspecteurs, qu'appartiennent ces attributions. Mais, comme je l'ai déjà dit, la répartition des attributions entre l'administration générale et l'administration spéciale de l'instruction publique est très-difficile à faire; on serait obligé, pour la faire, d'entrer dans des détails qui appartiennent plus à un règlement d'administration qu'à la loi.

Cette loi a été rédigée dans l'intention de ne poser que des principes généraux, et de laisser les détails d'application, soit aux règlements généraux d'administration, soit à l'exécution journalière de la loi.

L'amendement de M. Aubernon aurait pour effet d'introduire dans la loi des questions que la loi n'a pas prétendu éluder, mais qu'elle n'a pas prétendu résoudre.

L'amendement d'ailleurs, s'il était adopté, rendrait nécessaires beaucoup d'autres amendements, car il faudrait dire dans chaque article quelle est la part d'attributions qui revient à l'administration spéciale de l'instruction publique, et la part qui revient à l'administration générale. Il en résulterait le remaniement d'un grand nombre d'articles, remaniement qui aurait, dans mon opinion, l'inconvénient de compliquer la loi, et, en la compliquant, de nuire à son exécution. Je crois que la Chambre doit rejeter l'amendement.

M. Aubernon retira son amendement.

Sur le 5e paragraphe de l'article 22, le comte de Montalivet proposa cet amendement: «Les instituteurs communaux doivent être institués par le ministre de l'instruction publique, ou, en son nom, par le fonctionnaire chargé de la direction supérieure de l'instruction publique dans chaque département. Dans les communes qui ont 3,000 âmes et au-dessus, ils sont nommés par le ministre de l'instruction publique, ainsi que dans les chefs-lieux d'arrondissement, quelle que soit leur population.»

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Tous les diplômes de bachelier, de licencié, tous les diplômes qui confèrent un état sont signés par le ministre. Les avoués, les huissiers, les notaires, sont obligés d'avoir la signature du roi. Cette institution par le roi ou par un de ses ministres est toujours dans la vue de relever le fonctionnaire à ses propres yeux.

Nous avons pensé de même que la signature du ministre de l'instruction publique relèverait aussi, aux yeux de l'instituteur, la dignité de sa profession, et qu'elle l'affranchirait, jusqu'à un certain point, dans sa propre pensée, des autorités locales qui le nomment.

Si j'ai bien entendu l'amendement, il propose une dérogation formelle aux principes de la loi. Il veut que ce soit le ministre de l'instruction publique qui nomme les instituteurs. Or, la loi pose en principe que les instituteurs sont présentés par le comité communal, et nommés par le comité d'arrondissement. Ce principe est très-sage; il convient en effet, que les instituteurs soient nommés sur les lieux et par les personnes qui les connaissent.

Sur de nouvelles observations de M. le comte de Montalivet, j'expliquai la portée de la rédaction primitive de ce paragraphe proposée par le gouvernement.

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--La rédaction primitive, proposée par le gouvernement, porte formellement que c'est le comité d'arrondissement qui nomme les instituteurs communaux, et que le ministre de l'instruction publique ne fait que les instituer. Il ne s'agit pas de réviser la nomination; il s'agit de conférer un caractère public aux instituteurs, au moyen de la signature d'un ministre.

M. de Montalivet retira son amendement.




--Chambre des députés.--Séance du 1er juin 1838.--

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Messieurs, conformément aux ordres du roi, nous avons l'honneur de vous présenter le projet de loi sur l'instruction primaire dont la Chambre s'est déjà occupée, et que la Chambre des pairs vient d'adopter; avec quelques amendements qui doivent être soumis à vos délibérations.

Déjà, messieurs, les votes d'un grand nombre de conseils généraux et de conseils municipaux ont, en quelque sorte, devancé l'adoption de ce projet. Les sommes allouées par les conseils généraux de département, pour l'instruction primaire en 1833; s'élèvent à 1,100,166 fr., et plusieurs ont formellement exprimé qu'ils votaient ces allocations dans l'espérance que la loi proposée serait bientôt en vigueur. Beaucoup de conseils municipaux ont également manifesté l'intention de faire, des que la loi serait rendue, et pour en seconder l'exécution, notamment en ce qui concerne l'instruction primaire supérieure, des sacrifices considérables. Je reçois presque chaque jour, à ce sujet, des demandes et des propositions qui attestent avec quel zèle l'administration sera soutenue par le pays dans l'accomplissement de cette tâche. De mon côté, je me suis déjà occupé de préparer les mesures et les instructions nécessaires pour assurer la prompte et complète exécution de la loi. Cette exécution exigera, soit de la part de l'administration spéciale de l'instruction publique, soit de la part de l'administration générale, des travaux assez longs et qui ne seront pas sans difficulté. Il s'agit de fonder, dans beaucoup de lieux, des établissements nouveaux. Des pouvoirs nouveaux eux-mêmes, et divers, seront appelés à y concourir. Il faudra que leurs attributions soient déterminées avec détail et précision, de telle sorte qu'au lieu de s'entraver mutuellement, ils marchent ensemble et sans embarras vers le même but. Leur action, dans les premiers temps surtout devra être soigneusement surveillée et dirigée, afin qu'ils s'engagent dans des voies conformes au véritable esprit de la loi. Une inspection étendue et attentive des écoles maintenant existantes sera nécessaire, non-seulement pour procurer à l'administration cette connaissance exacte de l'état actuel de l'instruction primaire qui doit la diriger dans ses travaux, mais encore, et surtout peut-être, pour faire pénétrer dans les campagnes comme dans les villes, au sein des familles comme dans l'esprit des instituteurs, une ferme confiance dans l'autorité supérieure, et le sentiment de sa bienveillance active. Enfin l'extension des écoles normales primaires, l'introduction, dans leur régime intérieur, des bons principes et des bonnes habitudes qui doivent former de bons maîtres, et la composition des traités ou livres élémentaires de tout genre nécessaires pour alimenter l'instruction à mesure qu'elle se répand, exigeront des soins particuliers, et une attention assidue à ne point perdre de temps, car l'oeuvre est longue et urgente à la fois.

Les préparatifs convenables sont faits, messieurs, pour que ces divers travaux commencent promptement et s'exécutent sans relâche. Nous n'attendons plus pour nous y livrer, et pour accomplir ainsi, en fait d'instruction populaire, cette promesse de la Charte à laquelle la Chambre s'est déjà si intimement associée, que l'adoption définitive du projet de loi qui vous est soumis. Nous l'espérons de voire patriotisme et de vos lumières.




--Chambre des députés.--Séance du 17 juin 1833.--

La nouvelle commission chargée par la Chambre des députés d'examiner les amendements adoptés par la Chambre des pairs, proposa elle-même, sur la composition et le rôle des divers comités appelés à la surveillance des écoles primaires, un nouvel amendement qui donna lieu à une longue discussion dans laquelle j'intervins en ces termes:

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je ne veux en aucune façon ni rengager ni continuer la discussion qui a déjà trop occupé la Chambre. Je lui dois une explication sur les motifs qui ont déterminé le gouvernement à adhérer à l'amendement de la commission, et qui me font persister dans cette adhésion.

Voici les questions qui ont été successivement posées dans votre commission.

Y aurai-t-il un comité local spécialement chargé de la surveillance des écoles?

Quelques membres dans la commission différaient d'abord d'opinion à cet égard; ils se sont ralliés à penser qu'un comité local et spécial convenait mieux.

Le curé ou le pasteur fera-t-il essentiellement partie de ce comité?

La commission, à l'unanimité, s'est ralliée à cette opinion. Mais, en même temps, quelques craintes restaient, dans l'esprit d'un grand nombre de membres, sur l'influence trop grande peut-être que le curé pourrait exercer dans ce comité; et alors s'est offert comme palliatif, comme moyen de diminuer cette influence, la translation au conseil municipal du droit de présentation d'un instituteur, ce qui était l'une des principales attributions du comité local. On a pensé que le comité n'étant dès lors chargé que de la surveillance de l'école, de l'inspection habituelle, de donner son avis et de provoquer la suspension de l'instituteur, il n'y avait pas à redouter l'influence excessive des curés.

J'ai adhéré et j'adhère encore à cet amendement, parce que je crois, d'un côté, qu'il faut rallier aux lois un aussi grand nombre d'esprits que possible, et, de l'autre, qu'il faut dissiper les craintes et les préventions qui peuvent s'élever dans des esprits sincères contre cet article de la loi.

Le principe qui a présidé à la rédaction de la loi sur l'instruction primaire, c'est précisément de n'admettre aucune opinion exclusive, de n'en pas faire une loi systématique, de lui concilier autant que possible toutes les influences, toutes les opinions. Eh bien! il est certain qu'un grand nombre de membres, convaincus d'ailleurs que l'influence du clergé n'est pas dangereuse dans l'instruction primaire, un grand nombre d'hommes sincères, amis de nos institutions, redoutent l'excès de cette influence, et sont préoccupés de craintes à cet égard. Il importe, dans l'intérêt de la loi sur l'instruction primaire, de dissiper ces craintes. L'amendement de la commission a été conçu dans ce dessein. Il est vrai que la loi qui en résulté est un peu moins logique, un peu moins systématique, un peu moins bien ordonnée que ne l'étaient le projet de loi primitif et l'amendement adopté par la Chambre des pairs; mais je tiens beaucoup plus à rallier à la loi un plus grand nombre d'esprits et à dissiper des craintes sincères, quoique mal fondées à mon avis, qu'à la rédaction systématique et à la très-bonne composition de la loi.

Je crois donc que, dans l'intérêt pratique qui doit nous animer tous pour le succès de le loi même, pour le succès de l'instruction primaire, il est utile d'adopter l'amendement de votre commission; il prouvera que le gouvernement n'a pas voulu donner au clergé une influence excessive, et que, en même temps qu'il a cru nécessaire de l'appeler dans les comités de l'instruction primaire; il a respecté les préventions qui existaient dans un grand nombre d'esprits.

Tel est le seul motif qui m'a décidé à adhérer à l'amendement de la commission. Je persiste dans cette adhésion.

M. Laurence.--M. le ministre vient de laisser tomber du haut de la tribune une parole qui qualifie de la manière la plus juste le résultat de la disposition sur laquelle vous avez à vous prononcer. Déjà l'intention de l'article qu'on s'est efforcé d'amender a été suffisamment expliquée par M. Étienne.

Sous cette disposition, en apparence si simple, se cachaient tant de périls que lui-même, en vous les signalant, à expliqué comment la commission, se défiant elle-même de l'introduction des curés et des pasteurs, avait cherché à paralyser l'effet de cette introduction c'est-à-dire que c'est au moment où l'ennemi allait entrer dans la place (Murmures) qu'on s'occupe de se défendre contre ses attaques. M. le ministre nous a avoué, comme M. Étienne, en termes aussi précis, quoique plus brièvement, que le mal existait dans toute sa profondeur, si bien qu'il a voulu y chercher un palliatif. (Mouvements divers.) Je prends acte de cette expression, dont, pour ma part, je proclame la justesse. Oui, il y a mal, mal volontaire, mais remédiable, puisque l'article n'est pas encore voté; et puisque l'on réclame un palliatif, nous pouvons, en rejetant l'article, rendre le remède inutile.

M. le ministre n'a pu s'empêcher de convenir que le projet demandé par la commission n'était pas parfaitement logique, qu'il était moins net, moins rationnel que celui de la Chambre des pairs. En effet, si le commentaire a manqué à cette disposition, le sens en a été facilement compris. En vérité, on se demande ce que sera la loi future. Ce sera sans contredit une loi bâtarde, mixte, équivoque, à laquelle je n'ose pas donner un nom, de peur de provoquer quelques réclamations; mais, comme tout parti moyen, elle a de grands inconvénients pour une assemblée de législateurs graves, comme doit être la nôtre. Qu'il y ait de la franchise, et que l'on dise sa pensée nettement et sans déguisement. Si on proclame qu'il y a mal, qu'on le dise avec franchise. Ne reculons pas devant notre propre système; il ne convient pas à un pouvoir de se déguiser.

M. le ministre de l'instruction publique.--Je n'ai que deux observations à faire sur ce que vient de dire le préopinant. Je n'ai pas reconnu qu'il y eût un mal dans la disposition dont il s'agit. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la présence des ecclésiastiques dans les comités d'instruction primaire est un mal. La Chambre sait bien que j'ai proclamé l'opinion contraire. Mais j'ai dit en même temps qu'il y avait un grand nombre d'hommes, amis sincères de l'instruction primaire et de nos institutions, qui éprouvaient à cet égard des méfiances, des préventions; que c'était pour aller au-devant de ces méfiances, pour guérir ces préventions, pour rallier ces hommes-là à la loi et à l'instruction primaire, que j'avais adopté l'amendement de la commission.

On qualifiera, si l'on veut, cette politique de politique de juste-milieu; je ne la répudie en aucune façon à ce titre: au contraire, je suis de ceux qui pensent que les lois ne sont pas faites pour l'amusement des philosophes, mais pour l'utilité des sociétés, et que la première condition de leur utilité c'est d'être acceptées par le plus grand nombre d'hommes sincères dans la société à laquelle elles sont destinées. Je crois que cette politique est raisonnable, et qu'elle doit présider à une loi d'instruction primaire comme à toute espèce d'autre loi.

Tel est, encore une fois, le motif qui m'a fait adhérer à l'amendement de la commission.

M. Jouffroy.--Je demande la priorité pour l'article de la Chambre des pairs.

M. Gaétan de La Rochefoucauld.--C'est contraire à nos usages.

M. le rapporteur.--Il y a en discussion le projet du gouvernement et l'amendement de la commission. L'amendement doit nécessairement avoir la priorité.

Plusieurs voix.--Le projet de la Chambre des pairs n'est pas celui du gouvernement.

M. le ministre de l'instruction publique.--Je demande la parole sur la position de la question. Le gouvernement, en présentant l'amendement de la Chambre des pairs, se l'est approprié, l'a fait sien. Par conséquent, il n'y a en discussion, quant à présent, que le projet du gouvernement et l'amendement de la commission.

M. Jouffroy.--Il y a donc alors deux projets de la commission.

M. Eschassériaux.--Ce n'est pas déroger aux usages suivis par la Chambre que de reprendre, à titre d'amendement, une disposition présentée et abandonnée par le gouvernement. Vous trouveriez de très-nombreux précédents de cette manière d'agir dans les discussions qui ont eu lieu à l'occasion de la loi municipale et de la loi départementale; il est arrivé souvent que l'on a opposé à l'amendement de la commission, et reproduit comme amendement, le projet primitif du gouvernement.

M. le ministre de l'instruction publique.--Je demande la permission de défendre ici les priviléges de la Chambre et de ses commissions. Il est d'usage constant dans la Chambre que lorsqu'une commission propose un amendement à un projet du gouvernement, cet amendement est mis aux voix avant le projet.

L'amendement de la commission, consenti par le gouvernement, fut adopté.



XLVI



--Chambre des pairs.--Séance du 16 février 1833.--

Le gouvernement avait présenté, le 10 décembre 1832, à la Chambre des pairs, un projet de loi relatif à l'état de siége. M. Allent en fit le rapport, le 5 janvier 1833, au nom de la commission chargée de l'examiner et qui y proposa de nombreux amendements. La discussion s'ouvrit, le 15 février, et dura trois jours, après lesquels le projet fut renvoyé à la commission qui n'en entretint plus la Chambre. Je pris la parole, le 16 février, dans ce débat, en réponse à M. le duc de Noailles.

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Messieurs, je remercie l'honorable orateur qui descend de la tribune de la modération de son langage; mais cette modération couvre la même pensée que celle qui a éclaté dans le discours du premier orateur que vous avez entendu dans la séance d'hier, le marquis de Dreux-Brézé. L'honorable préopinant n'a pas appelé le projet de loi que vous discutez liberticide, monstrueux; il ne s'est pas étonné qu'on ait osé venir le présenter à la Chambre; mais au fond, il l'a également accusé de détruire nos libertés constitutionnelles, de rouvrir la carrière des lois d'exception.

Ce n'est pas aux formes, c'est au fond que je m'attache. La pensée. Je le répète, est la même que celle que vous avez entendue dans la séance d'hier. J'avoue qu'il m'est impossible d'entendre exprimer une telle pensée sans la plus profonde surprise.

Je vous le demande, messieurs, quel gouvernement a jamais, je ne dirai pas souffert, mais accepté à ce point toutes les libertés, la liberté de tous ses adversaires? la liberté de la parole, la liberté de la presse, la liberté de l'action, journaux, souscriptions, associations, démarches de tout genre, tout a été permis, tout a été toléré, je dirais presque tout a été trouvé bon.

Il y a beaucoup de gens, messieurs, et de fort honnêtes gens, et des hommes de beaucoup de sens, qui reprochent au gouvernement d'être allé trop loin dans cette voie de tolérance, d'avoir trop supporté en fait de liberté. Je ne le pense pas; je suis de ceux qui croient qu'il a bien fait, et qu'il fera bien de continuer, et qu'il le peut, sans danger pour la société comme pour lui-même. Mais croyez-vous que, s'il l'eût voulu, il ne lui eût pas été facile de faire autrement? Avec un peu moins d'esprit de justice, un peu plus de complaisance et de laisser-aller pour les passions révolutionnaires, on eût volontiers passé au gouvernement de Juillet un peu de tyrannie; on lui eût volontiers permis de traiter un peu plus rudement qu'il ne l'a fait tels ou tels de ses ennemis. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait? Pourquoi s'est-il condamné à subir la liberté de tous? Parce que, de très-bonne heure et franchement, il s'est dévoué à la cause de l'ordre et de la justice; parce que, de très-bonne heure et franchement, il a repoussé l'alliance des passions révolutionnaires; parce qu'il a accepté, de très-bonne heure, la double mission des gouvernements de notre temps, le maintien de l'ordre et le respect des droits de tous.

Je n'ai pas besoin, messieurs, de rappeler à votre mémoire tous les faits qui se sont passés depuis deux ans. Il n'en est pas un seul, j'entends parmi les faits importants, dominants, parmi les faits qui caractérisent la marche et la conduite du pouvoir, il n'en est pas un qui ne prouve que le gouvernement de Juillet s'est imposé ce rigoureux devoir, et qu'il l'a accompli. Six semaines s'étaient à peine écoulées depuis la révolution de Juillet, qu'il ferma les clubs et proclama son droit de les fermer. Quelques mois après la fermeture des clubs, le procès des ministres se jugeait dans cette enceinte. Qu'a fait le gouvernement dans toute cette affaire? Ne s'est-il pas dévoué à la cause de l'ordre et de la justice? N'a-t-il pas protégé ses ennemis vaincus non-seulement contre les factieux, mais contre le préjugé public, le sentiment populaire? Peu après le jugement des ministres, un désordre déplorable, celui du 13 février, éclate dans Paris; le ministère tombe parce qu'il a été inhabile à le réprimer; un ministère nouveau se forme au nom de l'ordre; l'ordre était la mission du ministère du 13 mars, la mission de mon honorable, et je puis le dire, de mon illustre ami, M. Casimir Périer. (Très-bien! très-bien!) C'était sa mission de maintenir l'ordre en France, la paix en Europe, et cette mission il l'a glorieusement remplie. (Nouvelles marques d'adhésion.) Il a lutté pendant une année contre les principes anarchiques au dedans et au dehors, et pendant qu'il réussissait, il est mort, mort à la peine. Après sa mort, on a pu craindre que le système qu'il avait suivi ne fût affaibli, que le gouvernement ne chancelât dans cette voie. Une grande sédition a éclaté, et le courage n'a pas manqué aux ministres que M. Casimir Périer avait laissés après lui; le courage ne leur a pas manqué pour maintenir l'ordre dans Paris et venger la société attaquée.

A quelque époque, messieurs, que vous preniez le gouvernement de Juillet, dans tous ses grands actes, dans tous les grands événements de son histoire, vous verrez dominer partout ce caractère d'une lutte franchement acceptée dans l'intérêt de l'ordre public et de la liberté de tous. Sans doute, il y a eu dans cette lutte des hauts et des bas, des vicissitudes, des suspensions; il y a eu des fautes commises: c'est la condition des affaires de ce monde; mais la lutte n'en a pas moins été franchement acceptée, constamment soutenue et promptement reprise, quand elle avait paru un moment abandonnée. (Marques d'adhésion.)

Non-seulement la lutte a été soutenue, mais elle l'a été avec succès, avec un progrès continuel. J'ose croire que je ne me fais pas illusion. Je n'ignore pas que nous avons encore beaucoup à faire pour ressaisir toutes les conditions de l'ordre social, pour rasseoir la société ébranlée. Nous avons beaucoup à faire; cependant depuis deux ans beaucoup a été fait. Les émeutes sont mortes, les clubs sont morts, la propagande révolutionnaire est morte, l'esprit révolutionnaire, cet esprit de guerre aveugle qui semblait s'être emparé un moment de toute la nation, est mort; l'esprit de paix domine aujourd'hui dans la société tout entière. Ce sont là, je pense, des progrès réels, des progrès qui amèneront tous les autres.

J'irai plus loin, messieurs; je dirai que ce progrès a dépassé l'attente générale, et que là même réside une des difficultés contre lesquelles nous avons à lutter aujourd'hui.

Sous la Restauration, on pressentait dans l'avenir une révolution; une révolution semblait sans cesse suspendue sur nos têtes, tout le monde en parlait, tout le monde l'attendait, elle paraissait inévitable.

M. de Dreux-Brézé.--Ce n'est pas avant le ministère Polignac.

M. le ministre de l'instruction publique.--J'ignore si l'honorable membre qui m'interrompt n'a pas partagé ce pressentiment. Quant à moi, attaché pendant plusieurs années au gouvernement de la Restauration, et l'ayant servi loyalement et fidèlement, je déclare qu'il n'y a pas eu un moment où je n'aie entrevu dans l'avenir une révolution inévitable. Elle m'a toujours apparu comme un fantôme qui menaçait la Restauration et qui devait l'atteindre tôt ou tard. Eh bien! dans quelle disposition ce pressentiment général mettait-il les esprits? Ou pensait, on disait que, quand cette révolution éclaterait, l'esprit révolutionnaire, avec tous ses déplorables désordres, s'emparerait de notre société. J'ose dire, messieurs, que la révolution de Juillet a trompé en ceci l'attente générale. J'ose dire que ses conséquences, quelque ébranlement qu'elles aient pu imprimer à certaines parties de l'ordre social, sont restées bien au-dessous de ce qu'on redoutait. Qu'en résulte-t-il aujourd'hui? Les amis de l'ordre ne peuvent se persuader qu'il en soit ainsi. Ils ne peuvent se persuader que nous ne soyons pas menacés de plus grands maux que ceux que nous avons déjà soufferts; ils ne peuvent se persuader que, si le triomphe de l'esprit révolutionnaire n'a pas encore éclaté, ce triomphe ne soit pas imminent, et que nous n'ayons à en subir toutes les funestes conséquences. Au milieu de leur propre victoire, les amis de l'ordre sont pleins de doute sur les succès qui les attendent encore. Ils croient toujours voir devant eux ce bouleversement général, terrible, qu'ils ont si longtemps prévu. Ils se trompent, messieurs; l'esprit révolutionnaire, le désordre ne prévaudra pas dans notre France. Nous en avons pour garant non-seulement ce qui s'est passé depuis deux ans, mais la situation même du gouvernement que la révolution de Juillet a fondé. Messieurs, dans son dévouement à la cause de l'ordre et de la liberté de tous, ce gouvernement est sincère; la politique qu'il professe tout haut, c'est la politique qu'il veut dans le fond de son âme; c'est la politique qu'il pratique réellement. L'honorable orateur que vous venez d'entendre vous a parlé du mal qu'avait fait à la Restauration la défiance qui, pendant toute sa durée, s'était attachée à son nom, à sa personne, si je puis ainsi parler. Je vais plus loin, messieurs, et je dis que le défaut de sincérité a été le vice radical de la Restauration; elle avait une tendance contre-révolutionnaire au moment même où elle établissait le gouvernement constitutionnel. Par la déplorable influence d'un parti toujours près de la dominer, sa pensée cachée était contraire à sa politique extérieure. Je pourrais en appeler à une foule d'honorables membres de cette Chambre, qui ont lutté contre ce vice de la Restauration, qui, les uns comme ministres, les autres dans des situations différentes, ont essayé mille fois, tantôt de persuader à la Restauration qu'il fallait qu'elle fût sincère, que le pays le lui demandait et accueillerait sa sincérité, tantôt de se prémunir, à l'aide des Chambres et du pays, contre les mauvais effets de ce défaut de sincérité qu'ils ne réussissaient pas à guérir.

Cette lutte, messieurs, a fait notre honneur pendant quinze années; c'est dans cette lutte que nous avons conquis les libertés dont nous jouissons aujourd'hui. Mais enfin on a échoué dans la tentative; on n'a pu vaincre, on n'a pu enchaîner ce défaut de sincérité qui, je le répète, était le vice radical de la Restauration; elle a fini par un parjure; et au moment où le parjure a éclaté, elle a trouvé dans les rangs de l'opposition tous les hommes sages, tous les bons citoyens qui avaient fait effort pour l'arracher à ses mauvaises voies, et la rendre à la sincérité qui est aujourd'hui le premier devoir, la première condition de tous les gouvernements.

Je n'hésite pas à l'affirmer, messieurs, rien de pareil n'est à redouter du gouvernement actuel. Soit qu'il parle d'ordre, soit qu'il parle de liberté, il est également sincère; car l'alliance de l'ordre et de la liberté, c'est la condition de sa durée, c'est ce qui fait sa force et sa sûreté. C'est sous cette étoile, si je puis m'exprimer ainsi, qu'il est né et qu'il a grandi. Il a besoin de l'ordre pour protéger la liberté de tous et la sienne propre; il a besoin de la liberté de tous pour maintenir l'ordre. Si tous n'étaient pas libres, il tomberait lui-même aux mains d'une faction.

Je le répète donc, la sincérité est dans la situation, dans la nature du gouvernement fondé par la révolution de Juillet, soit qu'il défende l'ordre, soit qu'il défende la liberté. Tous les amis de cette double belle cause peuvent donc, sans embarras, sans méfiance, se rallier à lui, le soutenir, lui prêter force. J'ai quelquefois entendu dire qu'il fallait accepter le gouvernement actuel comme nécessaire, parce qu'il n'y en avait pas d'autre à lui substituer. Messieurs, le gouvernement de Juillet est nécessaire, parce qu'il est le seul qui puisse satisfaire au double besoin de la France, à ce besoin d'ordre et de liberté qui est la loi de notre société; il est le seul qui n'appartienne à aucun intérêt exclusif, à aucune faction, à aucun antécédent qui le lie; il est le seul qui soit libre et capable d'accepter toutes les conditions de notre société, le seul qui puisse faire triompher pleinement la bonne cause, la cause sociale. Certes, messieurs, c'est là une nécessité glorieuse et qu'on peut avouer hautement, et qui fait non-seulement la force, mais le mérite du gouvernement de Juillet. Non-seulement donc les amis de l'ordre, les hommes de bien et de sens peuvent se rallier sans crainte, sans méfiance, à ce gouvernement; mais c'est pour eux un devoir de probité politique comme un intérêt de situation; ils doivent se rallier à ce gouvernement dans l'intérêt de la bonne cause, que seul il peut soutenir et faire triompher. Que des factions se soulèvent contre lui, qu'elles s'agitent, qu'elles déclament, qu'elles mentent, rien de plus simple: il a dû s'y attendre. Mais pour les hommes étrangers aux factions, pour les hommes qui ne sont occupés que du bien du pays, c'est au gouvernement qu'ils doivent se rallier, c'est à lui qu'ils doivent prêter leur force; c'est auprès de lui et seulement auprès de lui qu'ils peuvent en trouver pour soutenir la lutte engagée aujourd'hui contre tant de mauvaises passions.

Messieurs, si le projet de loi que vous discutez est examiné sous l'empire de cette idée que le gouvernement de Juillet est sincère, nécessairement sincère dans la cause de l'ordre comme de la liberté, qu'il est également dévoué à l'une et à l'autre, qu'il ne peut séparer sa cause personnelle ni de l'une ni de l'autre, j'ose dire qu'alors ce projet vous apparaîtra sous un tout autre aspect. Entrez donc, messieurs, dans cette position; oubliez ces fureurs, ces hypocrisies de langage dont se servent les factions, et qui sont au-dessous d'une assemblée comme la vôtre, d'une assemblée éclairée, expérimentée, qui voit les choses de haut, dans le vrai et ne se laisse imposer par aucun mensonge, par aucune déclamation extérieure; écartez tout ce fracas menteur; voyez les choses comme elles sont, sans exagération, sans arrière-pensée, et vous réduirez bientôt à leur juste valeur ces reproches furieux, ces noms terribles qu'on prodigue au projet de loi.

Il y avait une législation sur l'état de siège. Nous ne l'avons pas faite, nous l'avons trouvée. Et ce n'était pas comme on l'a dit, une législation exceptionnelle; c'était le droit commun pour certaines classes de citoyens, pour certains cas prévus d'une manière permanente et déterminée par la loi.

Ce qu'on a appelé de tout temps une loi d'exception, c'est une loi temporaire qui déroge au droit permanent du pays. La loi sur l'état de siège n'avait rien de semblable; c'était, je le répète, le droit commun du pays, dans un certain nombre de cas déterminés; cette législation avait été constamment appliquée, elle existait en fait comme en droit. Sont survenues des circonstances où le gouvernement a cru devoir y recourir comme l'avaient fait les gouvernements précédents. Dans cette législation, une question particulière s'est élevée; elle a été portée devant la Cour de cassation. La Cour de cassation a décidé qu'une partie de cette législation, qui n'était pas exceptionnelle, je le répète, qui était le droit commun, devait être considérée comme abrogée. Le gouvernement ne pouvait prendre cette décision de lui-même; il l'a reçue de l'autorité judiciaire; il l'a respectée; à l'instant même, il s'y est rigoureusement conformé. Il a considéré à l'instant même cette disposition comme abolie. Mais comme il en résultait une lacune dans la législation, le gouvernement a pensé qu'il devait vous proposer de revoir cette législation et de la compléter. Les deux Chambres, dans leurs adresses, ont dit elles-mêmes que c'était un travail à faire; elles l'ont demandé. Le gouvernement a présenté la loi que vous discutez. Et qu'a fait le gouvernement dans cette loi? Il a formellement reconnu et proclamé, avec la Cour de cassation, que la disposition de l'ancienne législation de l'état de siége qui renvoyait les citoyens devant d'autres juges que leurs juges ordinaires était abolie. Cela fait, une lacune subsistait; le gouvernement a proposé quelques dispositions pour la remplir. Je n'entrerai pas dans le détail de ces dispositions; je ne discuterai pas leur mérite particulier; je dirai seulement que ce ne sont point des dispositions exceptionnelles, que ce n'est point là une loi d'exception; ce sont des mesures nouvelles substituées aux mesures beaucoup plus violentes de la législation antérieure. On petit trouver ces nouvelles mesures bonnes ou mauvaises; on peut les modifier, leur en substituer d'autres; mais elles n'ont en aucune façon le caractère d'une loi d'exception; elles ont pour unique objet de remplacer des dispositions beaucoup plus dures admises jusqu'à ce jour, et que le gouvernement lui-même vous proposé d'abroger.

Je ne pousserai pas plus loin cette discussion, messieurs; je ne veux qu'enlever au projet de loi ce caractère de loi d'exception, d'empiétement nouveau et inouï sur nos libertés qu'on a essayé de lui imprimer. Je ne donnerai pas, à la question de détail et aux dispositions dont il s'agit, plus d'importance qu'elles n'en ont réellement. Qu'elles soient adoptées ou modifiées, l'ordre et la liberté, et le gouvernement de Juillet n'en souffriront point; ils sont au-dessus de pareilles épreuves.

Encore quelques mots, messieurs; ce seront les derniers. On nous a dit: Acceptez les conséquences du gouvernement que vous avez fait. Messieurs, nous n'avons pas la prétention d'avoir fait le gouvernement de Juillet; il a été fait par une puissance bien supérieure à la nôtre et à celle des hommes: il a été fait par un arrêt de la Providence, exécuté par le bras du peuple français. (Bravo! bravo!) Voilà le véritable caractère de la révolution de Juillet; il y a eu arrêt d'en haut, exécution de cet arrêt par la justice du pays. Nous n'avons pas fait le gouvernement de Juillet; mais nous l'avons voulu, nous l'avons accepté; nous le voulons aujourd'hui comme le premier jour, et nous sommes aujourd'hui, comme le premier jour, fidèles aux principes qui ont triomphé désormais dans notre pays, aux principes que la France, pleine d'inexpérience et d'erreur, mais droite et sincère, avait proclamés en 1789. Elle a cherché pendant quarante ans, à travers toutes sortes d'épreuves et de réactions, la réalisation de ces principes, acceptant tantôt l'anarchie, tantôt le despotisme, dans l'espoir de trouver ce qu'elle cherchait. Elle l'a obtenu enfin par la révolution de Juillet. Elle a obtenu cette alliance de l'ordre et de la liberté, qui était le voeu de 1789. Et s'il m'est permis de parler des hommes qui ont pris quelque part à ce grand événement, je dirai que leur gloire est de l'avoir accepté franchement, de lui avoir donné, et dans la Charte de 1830 et dans la conduite du gouvernement depuis cette époque, une nouvelle sanction, un nouveau développement une nouvelle force; d'avoir été avec plus de mesure, et je crois qu'on peut le dire sans orgueil, avec plus de lumières, les légitimes héritiers de 1789, les enfants de la vraie pensée qui animait alors la France. Nous avons eu le bonheur de venir dans un temps plus calme; nous avons été exempts des illusions, des erreurs de nos pères; mais c'est la même pensée qui nous a animés, c'est la même pensée qui nous anime aujourd'hui, et le gouvernement que nous n'avons pas fait, mais que nous avons accepté, nous le défendrons contre les désordres de tout genre, contre tous les factieux, sous quelque drapeau qu'ils se présentent; et nous avons la ferme confiance qu'il triomphera des uns et des autres, et qu'il fondera définitivement cette alliance de l'ordre et de la liberté qui est son principe; il n'en a pas d'autre. (De nombreuses marques d'adhésion succèdent à cette improvisation.)



XLVII



--Chambre des députés.--Séance du 20 février 1833.--

La Chambre discutait le budget du ministère des affaires étrangères pour l'année 1833. Je pris la parole pour répondre à M. Mauguin.

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je ne retiendrai pas longtemps l'attention de la Chambre.

J'avoue que j'éprouve un extrême embarras pour répondre au discours que vous venez d'entendre; je n'y trouve que deux choses, deux idées que je parvienne à associer: la première, c'est l'éternelle question du système de la paix et du système de la guerre que nous agitons depuis deux ans et demi; j'avoue que, sur cette question-là, je n'ai nul goût à redire ce qui a été dit mille fois à la Chambre; je suis cependant prêt, si la Chambre le trouve bien, à recommencer les discussions que nous avons...

Au centre.--Non! non! C'est bien assez.

M. Mauguin.--Mais je n'ai pas posé cette question.

M. le ministre de l'instruction publique.--Je demande pardon à l'honorable orateur; c'est là la question qu'il a relevée, la question du système de la paix et du système de la guerre, la guerre offensive. L'honorable orateur a dit que les puissances de l'Europe avaient menacé la France, que l'invasion avait été à nos portes, que le système de la guerre offensive convenait à la France, que c'était à elle à prévenir l'Europe, que jamais la guerre défensive n'avait convenu à la France: je demande si ce n'est pas là la question.

M. Mauguin.--Voulez-vous me permettre de la rétablir?

M. le ministre de l'instruction publique.--Volontiers.

M. Mauguin.--Comme M. le ministre des affaires étrangères a dit hier à la tribune que les cabinets européens avaient reconnu sur-le-champ la Révolution française...

M. le ministre des affaires étrangères.--C'est un fait.

M. Mauguin.--Et comme il y avait eu, dans plusieurs discussions, des reproches faits à l'opposition d'avoir toujours demandé la guerre, j'ai expliqué la position antécédente; il y a eu à peu près dix minutes de mon discours employées à justifier l'opposition et à prouver que ses craintes avaient toujours été légitimes. C'est pour cela que j'ai cité divers discours des ministres, et en même temps les discours en réponse à l'adresse de la Chambre. Mais je n'ai pas, pour le moment, élevé la question de la paix ou de la guerre; car j'ai déclaré, au contraire, que, pour le moment, je crois à la paix.

Au centre.--Ah! ah! enfin!

M. Mauguin.--C'est évident, et je l'ai dit.

M. le ministre de l'instruction publique.--Comme j'avais l'honneur de le dire à la Chambre, la première partie du discours du préopinant n'était que le renouvellement du débat que nous agitons depuis deux ans et demi, débat sans intérêt aujourd'hui, puisque, comme en convient l'honorable préopinant, nous avons lieu maintenant de croire à la paix; puisque le débat est sans intérêt, je demanderai la permission de n'y pas rentrer. (Oui! oui!)

Quant à la seconde partie du débat de l'honorable orateur, qui se compose de considérations générales sur l'état actuel de l'Europe et sur les diverses combinaisons qui peuvent en sortir, j'avoue que j'éprouve encore un extrême embarras pour la saisir... (Exclamations aux extrémités) pour la ramener à des termes précis, discuter de vraies questions, et en tirer des résultats utiles pour la Chambre et pour le pays.

L'honorable orateur nous à représenté la Sainte-Alliance comme toujours également menaçante, comme embrassant l'Europe continentale tout entière, sauf la France; comme étant à nos portes du côté de l'Italie, à nos portés du côté du Rhin.

C'est l'état de l'Europe tel qu'il il été fait en 1815. Si on appelle Sainte-Alliance toutes les puissances européennes, sauf la France et l'Angleterre, c'est encore une question que nous avons débattue depuis deux ans et demi, et sur laquelle il faut recommencer.

Je ferai seulement observer à la Chambre qu'il n'est survenu dans l'état de l'Europe, depuis quinze ans, qu'un seul grand changement matériel: ce changement, c'est l'abolition du royaume des Pays-Bas.

Voix à droite et à gauche.--Et l'abolition du royaume de Pologne.

M. le ministre de l'instruction publique.--Je répète que le seul grand changement qui soit survenu dans l'état matériel de l'Europe depuis quinze ans, c'est l'abolition du royaume des Pays-Bas, et ce changement à été fait évidemment par l'influence de la France et l'avantage de la France; non pas dans l'intérêt de la Sainte-Alliance, mais dans l'intérêt de la politique française, de l'indépendance et de la force de nos frontières.

Il n'est donc pas exact de dire que nous n'avons rien gagné depuis 1815, et que la Sainte-Alliance est également à nos portes.

Quant à la Pologne, puisque le nom en a encore été prononcé, et j'avoue que c'est à mon extrême regret que je l'entends prononcer à la tribune, je dirai que la Pologne, lorsqu'elle s'est soulevée, n'existait pas. (Rumeurs négatives aux extrémités.) Elle s'est soulevée pour tâcher d'exister; mais auparavant la Pologne n'existait pas comme nation s'appartenant à elle-même. (Bruit.)

Si la Pologne eût eu sont existence indépendante, si elle eût formé un État séparé, se serait-elle soulevée? Évidemment, c'est pour arriver à un état tout autre que celui où elle était qu'elle s'est soulevée. Il est vrai qu'elle n'a pas réussi; il est vrai qu'avec un grand surcroît de douleur et d'infortune, elle est retombée dans une situation à peu près semblable à celle dans laquelle elle se trouvait. (Exclamations et murmures aux extrémités.)

Je répète qu'avec un grand surcroît de malheur et de douleur, la Pologne est retombée politiquement dans un état à peu près semblable... (Interruption des côtés extrêmes.)

Je voudrais autre chose que des interruptions. Je voudrais qu'on citât des faits, qu'on vint expliquer exactement, à cette tribune, quel était l'état de la Pologne avant la dernière insurrection.

Un membre à gauche.--M. Mauguin l'a expliqué.

M. le ministre de l'instruction publique.--Quant à moi, je n'ai entendu dans le discours que vient de prononcer M. Mauguin rien qui montrât que la Pologne était, il y a deux ans et demi, dans un état infiniment meilleur que celui dans lequel elle se trouve aujourd'hui.

M. de Rémusat.--La preuve, c'est qu'elle s'est soulevée.

M. Mauguin.--Je demanderai la parole pour répondre.

M. le ministre de l'instruction publique.--Je suis obligé de faire remarquer à la Chambre que je ne parle en aucune façon des souffrances individuelles, que je ne parle que de l'état politique du pays, de sa constitution comme nation indépendante et forte. Je dis que cette indépendance, cette constitution forte, la Pologne ne l'avait pas avant la dernière insurrection, qu'il n'est pas vrai qu'elle l'ait perdue et que son état soit politiquement changé autant que l'honorable membre l'a donné à entendre.

Je ne voulais tirer de tout cela aucune autre conclusion, sinon que l'état matériel de l'Europe n'est pas changé contre nous, changé à notre désavantage depuis 1830, comme l'honorable membre vous le disait tout à l'heure. Il n'y a eu, je le répète, qu'un grand changement, la destruction du royaume des Pays-Bas, et ce changement est à notre profit.

Il y en a eu un second, si l'on veut, c'est la révolution qui s'est faite dans l'intérieur de la Suisse... Eh bien! ce changement, c'est encore à notre profit qu'il s'est fait; c'est encore par notre influence et par l'affaiblissement de la Sainte-Alliance, qu'on vous présente comme toujours en progrès et comme marchant toujours sur nous de l'est à l'ouest.

Ainsi, sous le point de vue matériel, il n'y a eu d'autre changement en Europe que la destruction des Pays-Bas et la révolution intérieure de la Suisse.

Sous le point de vue moral, il est impossible de méconnaître que, depuis 1830, l'influence de la France, l'influence des idées constitutionnelles en Europe a toujours été croissante.

J'ose dire que c'est choquer le bon sens public, le bon sens européen que de dire que, depuis 1830, la Sainte-Alliance a gagné en force en Europe.

Il est incontestable que moralement elle a perdu, beaucoup perdu; que l'influence de la France, l'influence de nos idées, de nos institutions, a toujours été croissante, et que, bien que l'organisation matérielle de l'Europe ne soit pas changée, bien qu'elle soit restée à peu près la même, sauf les deux ou trois faits que je viens de rappeler à la Chambre, sous le point de vue moral l'état de l'Europe est complétement changé.

A partir de 1815, c'était en effet la Sainte-Alliance, c'était le système de réaction contre les idées constitutionnelles qui étaient en progrès; depuis 1830, c'est au contraire le système des idées constitutionnelles qui est en progrès; c'est à son profit que se font les transactions; c'est le système qu'on redoute, et qui est aujourd'hui la puissance prépondérante en Europe: si vous passez en revue tous les faits qui s'accomplissent chaque jour, si vous observez le langage qui se tient dans tous les États de l'Europe, vous verrez, sous la forme des paroles de l'espérance, vous verrez l'influence toujours croissante des idées constitutionnelles, des institutions françaises.

Voilà quels sont les véritables résultats de la révolution de Juillet et de la politique qu'elle a adoptée depuis son origine.

Sans bouleverser l'Europe, sans nous engager dans cette guerre générale qui aurait fait sans doute courir des risques aux gouvernements absolus, mais qui nous en aurait fait courir aussi à nous, car les risques se partagent dans une guerre, sans nous exposer aux chances de cette guerre générale, la bonne politique a suffi à étendre de jour en jour l'influence de la France, l'influence des idées et des institutions constitutionnelles. Tous les changements faits, soit dans l'ordre matériel, soit dans l'ordre moral, se sont faits au profit de la France, de ses idées et de ses institutions. Je le répète, le véritable et le seul résultat de la politique suivie depuis deux ans et demi, ce résultat est contraire aux paroles que l'honorable membre vient de faire entendre.

Je voudrais, je l'avoue, saisir avec plus de précision dans son discours des faits auxquels je pusse répondre; mais je n'y vois que ces deux faits sur lesquels j'appelle l'attention de la Chambre: tous les changements survenus en Europe dans l'ordre matériel ont été à notre profit; tous les changements survenus dans l'ordre moral, dans les États absolus comme dans les États libres, ont été aussi à notre profit. Les faits ont donc pleinement confirmé la politique suivie depuis deux ans et demi. Quant à l'avenir, quant à la possibilité d'événements lointains, quant à ces combinaisons si étendues dans lesquels l'esprit de l'honorable membre s'est complu en se répandant au loin, tout cela me paraît impossible à discuter. Si jamais de telles combinaisons se réalisaient, si du nord ou de l'ouest de véritables dangers menaçaient la France, la France serait là; elle y serait avec son gouvernement (Bruit aux extrémités); elle y serait avec autant de fermeté et de courage qu'elle a mis de prudence à ne pas aller au-devant des dangers qui ne venaient pas la chercher. Que le danger vienne, la France et le gouvernement de Juillet seront là; mais il est inutile d'aller se perdre dans des combinaisons si générales qu'il est impossible de les saisir. (Marques d'approbation prolongées.)



XLVIII



--Chambre des députés.--Séance du 2 mars 1833.--

Dans le cours de l'année 1832, la France et l'Institut de France avaient perdu cinq hommes inégalement et diversement illustres, mais qui tous avaient grandement honoré leur patrie, et fait faire aux sciences qu'ils cultivaient de grands progrès. Champollion jeune était mort le 4 mars; Cuvier, le 13 mai; Abel Rémusat, le 3 juin; Saint-Martin, le 16 juillet; Chézy, le 3 septembre 1832. Le gouvernement présenta, par mon organe, à la Chambre des députés, un projet de loi destiné à leur rendre un hommage national et à assurer à leurs familles une modeste récompense de leurs travaux, M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Messieurs, le roi nous a ordonné de présenter à la Chambre deux projets de loi dont le caractère distinctif est de ne s'adresser qu'à ce sentiment de haute civilisation, à ce zèle pour le progrès des sciences qui forme aujourd'hui le lien commun de tous les esprits éclairés. Il s'agit de montrer que la reconnaissance du pays est assurée à ceux qui se dévouent avec constance et succès à de hautes et difficiles études; que cette reconnaissance honore leur mémoire, vient au secours de leurs familles, et recueille avec un soin tutélaire les restes de leurs travaux, et les monuments, même incomplets, de leurs découvertes. La sanction législative, attachée à de telles récompenses, en double l'éclat comme elle en garantit la durée; et notre gouvernement libre et national ne refusera point au talent supérieur ces nobles encouragements qu'il reçut, à diverses époques, de l'habile munificence des royautés absolues.

La mort, dans l'année destructive que nous venons de traverser, a frappé les sciences et l'érudition par la perte de cinq hommes inégalement célèbres, dont les travaux ou jetaient un grand éclat, ou offraient une rare et spéciale utilité: M. Cuvier, éminent à tant de titres; M. Champollion le jeune, M. Abel Rémusat; M. de Chézy et M. de Saint-Martin.

Les grands emplois de M. Cuvier, ses talents si variés et cette étendue de connaissances administratives qu'ont appréciée nos assemblées, ne l'empêchaient pas d'être, avant tout, l'homme de la science, de cette science qu'il a constamment enrichie de ses découvertes, servie de tous ses efforts, illustrée et popularisée par sa parole.

Au moment où sa perte soudaine retentit dans Paris, et frappa d'une véritable affliction les esprits péniblement distraits par tant d'autres deuils, un juste besoin d'exprimer le voeu public fit rendre une décision royale qui, par anticipation, accorda à la veuve de M. Cuvier, demeurée presque sans autre fortune que ce grand nom, une pension annuelle de 6,000 francs. Nous aurons l'honneur, messieurs, de vous proposer l'inscription législative de cette pension. Une autre mesure nous a paru également réclamée par le respect dû à la mémoire de cet homme illustre et par l'intérêt de la science.

Dans cette vie occupée par tant d'études diverses, M. Cuvier, qui rendait à la science une grande part de l'argent qu'il recevait de l'État, avait successivement formé une vaste et précieuse bibliothèque; un inventaire fait avec soin la porte à 17,505 volumes. L'étude favorite de M. Cuvier, l'histoire naturelle, y occupe nécessairement une grande place; mais, par le caractère même du génie de M. Cuvier qui embrassait à la fois, avec une netteté singulière et un ordre parfait, les connaissances les plus diverses, sa bibliothèque offre des genres fort opposés, sciences, mathématiques, histoire, législation, littérature, des collections rares et complètes d'ouvrages étrangers et nationaux.

L'ensemble de cette bibliothèque ainsi classée nous a paru mériter d'être acquis par l'État. Quelques dispositions testamentaires de M. Cuvier, relatives à diverses séries d'ouvrages, ont été l'objet de renonciations légales; la collection entière est libre; et la famille de M. Cuvier, ou l'ami, le collaborateur désigné par son choix, profiteront seuls du prix attaché à cette savante bibliothèque.

En l'acquérant aujourd'hui, messieurs, l'État, il faut le dire, ne fera que reconnaître un long acte de désintéressement, une rare générosité scientifique de M. Cuvier qui, pendant trente années, devenu le centre principal et l'un des promoteurs les plus actifs de la science, recevant de toutes les parties du monde et de tous les voyageurs célèbres des objets rares, de précieux échantillons de découvertes, n'a jamais formé de collections particulières, et a toujours versé les dons qu'on lui adressait dans le musée national; ce fait, messieurs, longtemps peu remarqué, doit être connu de la France.

Acquise à l'État, la bibliothèque de M. Cuvier recevrait une détermination déterminée. Les ouvrages sur l'histoire naturelle et les sciences accessoires seraient placés dans une salle particulière du Muséum, ornée de la statue de l'illustre professeur. Les livres français et étrangers sur la législation, la jurisprudence et toutes les parties de l'administration publique seraient attribués à la bibliothèque du conseil d'État. La collection si précieuse sur la législation de l'enseignement dans divers pays serait conservée dans la bibliothèque du ministère de l'instruction publique. Les savantes éditions d'auteurs classiques et le bon choix d'ouvrages littéraires que M. Cuvier avait réunis prendraient place dans la bibliothèque de l'École normale. L'empreinte d'un cachet particulier perpétuerait le souvenir de l'origine de ces dotations faites à la science, à l'instruction publique, à l'administration, au nom de l'homme qui les éclairait également.

Le crédit nécessaire pour cet objet, messieurs, ne serait pas fort élevé comparativement à l'importance de la collection, et au prix, aux soins qu'elle a coûtés. L'expertise détaillée des ouvrages, l'appréciation du surcroît de valeur qui résulte de l'ensemble, et quelques frais modiques d'exécution composeraient une somme totale de 72,500 fr. facile à justifier dans toutes ses parties. Je déposerai sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner cette bibliothèque et d'en constater la valeur.

Une autre disposition du même ordre, messieurs, qui n'est pas seulement un hommage à la science, mais un service, une précaution que la science réclame, vous est proposée dans le même projet de loi.

Le nom de M. Champollion, son entreprise de déchiffrer les pages si longtemps muettes de ce grand livre d'histoire écrit sur tous les monuments de l'Égypte, l'audace de ses promesses, la grandeur avouée des premiers résultats, son voyage, son retour avec tant de nouveaux trésors, sa mort prématurée, au milieu de la joie de sa découverte et pendant qu'il en disposait les matériaux, tout cela, messieurs, n'a pas besoin d'être redit devant vous, et vous a vivement intéressés, comme le public éclairé de l'Europe.

Mais cet intérêt même fait naître aussitôt une question. Les fruits du voyage de M. Champollion, les preuves nouvelles de sa grande découverte, les éléments comme les résultats de son travail ne seront-il pas mis à l'abri par l'État, acquis à la science et en partie publiés pour elle? La réponse ne saurait être douteuse. Ici, l'honneur accordé à M. Champollion est le seul moyen de lui susciter des successeurs, en livrant à leur émulation la voie où il était entré seul. Il n'est pas nécessaire d'indiquer où conduit cette voie et de mesurer le vaste champ que laissent encore à l'esprit humain les études orientales. D'autres peuples ont été amenés à favoriser ces études par des intérêts présents de politique et de conquête. Les efforts de la France, dans la même carrière, avec un but moins immédiat, ont une grandeur intellectuelle qui se suffit à elle-même et qui n'exclut pas d'autres résultats. Dans des vues de civilisation et de commerce, aussi bien que par zèle pour la science, la France ne doit pas détacher ses yeux de cet inépuisable Orient, qui commence à l'Égypte, pleine de notre gloire, qui confine à l'empire d'un puissant souverain de l'Europe, qui forme un second empire britannique au delà de l'Océan, et qui recèle encore une partie si précieuse de ses monuments dans cette Afrique, dont nous occupons maintenant les côtes. L'Égypte en particulier ne peut plus être désormais étrangère à la France; notre conquête passagère en avait rapporté un admirable tableau, où manquait seulement l'antique parole du peuple dont il retraçait les monuments. Il est beau qu'un Français ait retrouvé, ait entendu cette parole, et qu'il ait, à lui seul, achevé l'oeuvre de toute une expédition guerrière et savant. En cela, M. Champollion a travaillé doublement pour la gloire nationale; en même temps qu'il a doté notre érudition d'une immortelle découverte, il a complété un des grands faits de notre histoire.

Les travaux inédits qui préparaient ou qui constatent ce grand résultat ont été scrupuleusement examinés par une commission savante dont je dépose également le rapport sur le bureau de la Chambre. Il résulté de la déclaration de cet imposant jury que si, dans les manuscrits de M. Champollion, tout n'est pas également original et neuf, tout se rattache cependant à la même entreprise, tout appartient à la grande idée que M. Champollion a réalisée, parce qu'il en était possédé. Ainsi, grammaire et dictionnaire manuscrits de la langue copte, où il pressentait et cherchait l'antique idiome égyptien, incomparable collection de dessins rassemblés dans son voyage, et accompagnés des hiéroglyphes transcrits de sa main, recueil immense de notes et d'explications sur ces dessins; enfin, dernier résultat et texte même de la découverte, la grammaire égyptienne presque entièrement préparée pour l'impression, voilà, messieurs, ce qu'il a paru important de laisser réuni dans l'acquisition nationale qui vous est proposée.

Des précautions ultérieures détermineront l'emploi de ce dépôt dans le plus grand intérêt de la science. Quant à sa valeur, messieurs, il a paru qu'elle n'était pas appréciable par les règles ordinaires. La commission l'a pensé: il n'y a pas de prix connu pour une découverte. Le gouvernement a donc cru qu'il fallait, dans cette circonstance, ne considérer qu'une règle de justice générale, et évaluer, non les diverses parties du travail de M. Champollion, mais l'avantage que la famille devait attendre de son nom.

M. Champollion laisse une veuve et une fille en bas âge. Il a paru que l'État, en acquérant la pleine propriété des livres annotés, des dessins, des nombreuses transcriptions d'hiéroglyphes, de tous les manuscrits, pouvait y attacher un prix de 50,000 fr. qui serait l'unique héritage de sa fille. En même temps, messieurs, nous aurons l'honneur de vous proposer de faire inscrire au trésor une pension annuelle de 3,000 fr. au profit de Mme veuve Champollion. Cette justice semble due à la mémoire de l'homme illustre qui, par le travail excessif qu'attestent, au rapport de la commission, les résultats immenses de son rapide voyage, a certainement consumé sa vie et s'est sacrifié lui-même à sa découverte.

Le principe qui dicte cette proposition a paru devoir s'appliquer également aux veuves de trois autres orientalistes célèbres décédés dans la même année. Si l'éclat d'une immortelle découverte ne s'attache pas à leurs noms, ils n'en ont pas moins dévoué leur existence à de grands et mémorables travaux qui laissent leurs familles sans aucune fortune. On ne peut craindre que de telles occasions de munificence nationale se représentent souvent, et l'encouragement doit être d'autant plus remarquable qu'un plus grand coup vient de frapper ces études et les a privées de tant de soutiens à la fois.

La France possède, encore, il est vrai, dans un savant illustre et vénérable, l'homme que la plupart des hommes occupés en Europe des langues et de l'histoire orientales honorent comme leur guide et leur modèle, et près de lui restent encore quelques-uns de ses élèves. Mais les pertes que vient de faire parmi nous l'étude de l'Orient sont immenses et méritent un éclatant souvenir.

M. Abel Rémusat, doué de la plus ingénieuse pénétration et du jugement le plus sûr, avait, dès sa première jeunesse et sans secours, recommencé cette interprétation de la langue chinoise, interrompue et comme perdue pour la France depuis les grands travaux des missionnaires et de M. de Guignes, leur héritier. Esprit étendu et fort, faisant de la philologie un instrument pour les sciences morales, il avait, dans un ouvrage non terminé, mais admirable, porté la lumière sur les premiers établissements des peuples de la Tartarie et retrouvé leur histoire par leurs idiomes, pour l'intelligence de ce monde oriental dont les Chinois sont les plus antiques témoins. Créateur d'un nouvel enseignement au Collège de France, il en facilita le succès par des ouvrages élémentaires appréciés de tous les savants de l'Europe, et il servit dans ce genre à établir, au profit de la France, une supériorité qu'il convient à la France de rechercher en tout.

Ce que M. Abel Rémusat avait presque seul entrepris pour le chinois, M. de Chézy, avec moins de secours encore, l'entreprit et l'acheva pour la langue sanscrite, avant lui presque entièrement inconnue de l'érudition française. Par cet instinct opiniâtre et cette vive sagacité qui fait les grandes vocations savantes, il pénétra, sans maîtres et sans livres élémentaires, dans cette langue mystérieuse de l'Inde, que l'on apprend avec peine, à Calcutta même, des brahmes du pays conquis. Il donna, par ses savants travaux, à la France, un titre de gloire intellectuelle qui, ne se liant à aucune spéculation politique, semble plus rare et plus désintéressée.

Les travaux de M. de Saint-Martin sur la langue et l'histoire de l'Arménie, complétaient cette série d'efforts diriges vers l'Orient et qui, l'embrassant dans toute son étendue, promettaient d'y porter partout la lumière. M. de Saint-Martin a fait surtout servir aux progrès de cette grande science l'étude profonde qu'il avait faite d'un idiome trop peu cultivé. Esprit exact et pénétrant, il avait refait l'histoire d'une portion de l'antiquité classique d'après des textes inconnus ou inexpliqués avant lui. Sa mort laisse presque abandonnée une partie neuve et importante de la philologie orientale, d'où il avait extrait de si précieux résultats et vers laquelle les encouragements de l'État doivent appeler de nouveaux efforts.

Des trois savants que je viens de rappeler, deux sont morts sans fortune, et l'autre presque dans l'indigence. Il nous a paru, messieurs, que cette circonstance et les travaux qui honoraient leur vie motivaient, en faveur de la veuve de chacun d'eux, une pension annuelle de 3,000 fr.

Avec un petit nombre de récompenses ainsi décernées dans des occasions rares et solennelles, l'État assurera, messieurs, le progrès des hautes connaissances. Sans doute, des récompenses semblables pourraient s'appliquer à des succès obtenus dans d'autres branches de la littérature et des sciences: tout ce qui honore le pays mérite l'attention de ses représentants; mais des succès incontestés dans de difficiles études que ne soutient pas la faveur populaire ont surtout besoin d'encouragement. Attentive aux diverses parties de son domaine intellectuel, la France n'en doit laisser dépérir aucune; elle doit protéger les études nouvelles, favoriser les découvertes commencées, et veiller sur les progrès de la science comme sur un des éléments de la gloire nationale. L'Assemblée constituante décrétait, le 10 juillet: «Tout citoyen qui a servi, défendu, illustré, éclairé sa patrie, a des droits à la reconnaissance de la nation, et peut, suivant la nature et la durée de ces services, prétendre aux récompenses.» Soyons difficiles et réservés, messieurs, dans l'application de cette disposition; mais ne demeurons pas étrangers aux généreuses inspirations qui l'ont dictée. Une telle dépense, dont la législature tout entière est appelée à juger, coûtera bien peu, rapportera beaucoup, et attestera dignement l'esprit de notre époque».

PREMIER PROJET DE LOI.

Article unique. Il est ouvert au ministre secrétaire d'État au département de l'instruction publique un crédit extraordinaire de cent vingt-deux mille cinq cents francs destinés à acquérir au nom et pour le compte de l'État:

1º La bibliothèque de feu M. le baron Cuvier, membre de la Chambre des pairs, conseiller d'État, membre du conseil royal de l'instruction publique, secrétaire perpétuel de l'Académie royale des sciences de l'Institut, membre de l'Académie française, associé libre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, professeur administrateur du Muséum d'histoire naturelle, professeur d'histoire naturelle au Collége de France, etc.;

2º Les manuscrits, dessins et livres annotés laissés par feu M. Champollion jeune, membre de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres de l'Institut, conservateur du musée royal égyptien, professeur d'archéologie au Collége de France, etc.

DEUXIÈME PROJET DE LOI.

Art. 1er. Il est accordé sur les fonds généraux:

1º A Mme Anne-Marie Coquet du Trazailé, veuve de M. le baron Cuvier, membre de la Chambre des pairs, conseiller d'État, membre du conseil royal de l'instruction publique, etc., etc., une pension de 6,000 fr.;

2º A Mme Rose Blanc, veuve de M. Champollion jeune, membre de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres de l'Institut, conservateur du musée royal égyptien, professeur d'archéologie au Collége de France, etc., une pension de 3,000 fr.;

3º A Mme Andrée-Jeanne-Jenny Lecamare, veuve de M. Abel Rémusat, membre de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres, conservateur-administrateur de la Bibliothèque royale, professeur des langues chinoise, tartare et mandchoue au Collége de France, membre de la commission administrative de l'École des chartes, une pension de 3,000 fr.;

4º A Mme Wilhelmine-Christiana de Klenecke, veuve de M. de Chézy, membre de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres de l'Institut, professeur de langue et littérature sanscrites au Collége de France, professeur de persan à l'École royale et spéciale des langues orientales vivantes, etc., une pension de 3,000 fr.;

5º A Mme..., veuve de M. de Saint-Martin, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres de l'Institut, etc., une pension de 3,000 fr.

Art. 2. Ces pensions seront inscrites sur le livre des pensions du trésor public et acquittées à partir du jour de la promulgation de la présente loi.

A mon grand regret, la commission, chargée par la Chambre des députés de l'examen de ce projet de loi, le réduisit aux articles qui concernaient MM. Cuvier et Champollion jeune et leurs veuves, décidant, par une idée mesquine et fausse, à mon avis, que MM. Abel Rémusat, Chézy et Saint-Martin n'étaient pas en possession d'un nom assez populaire pour être l'objet d'une récompense nationale. Elle divisa, de plus, le projet en deux lois qui furent adoptées sans discussion par les deux Chambres et promulguées le 24 avril 1833.



XLIX



--Chambre des députés.--Séance du 6 mars 1833--

Dans la discussion du projet de loi sur les crédits supplémentaires pour l'exercice 1833, M. Bavoux attaqua le conseil royal de l'instruction publique et l'École normale, pour laquelle un supplément de crédit de 3,000 francs était demandé. Je lui répondis:

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Je demande à la Chambre la permission de me renfermer étroitement dans la question particulière dont il s'agit. Je ne défendrai pas le conseil royal comme institution, je n'examinerai pas dans quel esprit il a été formé ni quels reproches lui ont été adressés: je vais me renfermer dans la question du crédit supplémentaire de 3,000 fr. demandé pour l'École normale.

Je crois que toute dépense qui se fonde sur la demande d'un crédit extraordinaire doit être utile et urgente.

La dépense se divise en deux parties: une portion, destinée à augmenter de douze le nombre des élèves de l'École normale, et une portion destinée à un supplément de traitement pour le conseiller de l'instruction publique chargé de la surveillance de l'École normale.

Quant à l'augmentation de douze élèves...

M. Bavoux.--Je n'ai point d'objection à faire là-dessus.

M. le ministre de l'instruction publique.--Permettez que je donne des explications. Depuis plusieurs années, on ressent le manque d'un certain nombre de professeurs, particulièrement pour les sciences physiques et mathématiques. Quarante-huit élèves de l'École normale ne fournissaient pas annuellement assez de professeurs pour les besoins de l'instruction publique. De plus, on a reconnu que deux années passées dans l'École normale n'étaient pas suffisantes pour donner aux élèves le degré d'instruction qui leur est nécessaire. Ainsi, d'une part on a augmenté le nombre des élèves, et de l'autre on a porté à quatre années, au lieu de deux, le temps qu'ils passent dans l'École normale. L'utilité de cette augmentation est fondée sur les besoins de l'instruction publique, besoins que vous pouvez, messieurs, avoir reconnus dans vos départements.

Mais comme l'année scolaire commence au 1er novembre, pour ne pas attendre une année, j'ai dû demander un supplément de crédit pour la fin de 1832. Ainsi, d'une part l'utilité de la dépense et de l'autre la nécessité d'un crédit extraordinaire ne peuvent être contestées.

Quant à la deuxième partie de la dépense, à l'allocation d'un supplément de traitement de 3,000 francs pour le conseiller de l'Université chargé de la surveillance de l'École normale, je demande à la Chambre la permission de rétablir quelques faits que le préopinant ne me paraît pas avoir exactement connus.

En 1814, avant la Restauration, l'École normale qui, aux termes du décret de 1808, devait avoir 300 élèves, n'en avait que 74. Pour ces 74 élèves, il y avait un conseiller titulaire de l'Université, recevant à ce titre un traitement de 10 ou 12,000 francs, je n'en suis pas bien sûr. Mais indépendamment de cette somme, M. Guéroult touchait 6,000 fr. comme chargé de la direction de l'École normale; il y avait de plus un directeur des études qui recevait 5,000 fr. de traitement; en sorte que la direction de l'École normale, à cette époque, coûtait 23,000 francs. En 1822, au moment où l'École normale a été supprimée par le triomphe de l'esprit jésuitique, dont elle était, dans l'instruction publique, le plus actif et le plus efficace adversaire, il y avait un chef particulier de l'École normale, logé dans l'établissement et recevant un traitement de 12,000 francs; il y avait de plus un préfet des études recevant 3,000 francs; en sorte que, à cette seconde époque, la direction de l'École normale coûtait 15,000 francs. Voici ce qu'elle coûte aujourd'hui. Elle a été réduite à un directeur des études, qui est l'un des maîtres de conférences, établi dans l'intérieur de l'École et vivant en commun avec les autres maîtres; il reçoit un traitement de 6,000 francs et un supplément de 3,000 francs, en sorte qu'elle ne coûte plus aujourd'hui que 9,000 francs. Vous voyez que la dépense de la direction de l'École normale a toujours été en diminuant.

Les faits ainsi rétablis, je conviens qu'il ne suffit pas que la dépense ait été en diminuant; il faut encore qu'elle soit nécessaire pour que l'administration de l'École porte les fruits qu'on a droit d'attendre d'elle. Je demande pardon à la Chambre si je l'arrête quelque temps sur cette question; mais il importe que je mette sous ses yeux quelques considérations.

Deux choses sont essentielles pour la bonne administration de l'École. Il faut qu'elle soit bien dirigée intérieurement, qu'elle ait à sa tête un homme vivant en commun avec les maîtres, animé du même esprit, soumis aux mêmes habitudes. C'est ce qui arrive aujourd'hui: le directeur des études est l'un des professeurs de l'École, donnant des leçons comme les autres, et recevant un supplément de traitement pour la direction de l'établissement. Il faut, en outre, que l'École normale ne soit pas isolée de la direction générale de l'instruction publique; il importe qu'elle soit soumise, non-seulement à cette surveillance générale, lointaine, exercée par les chefs de l'instruction publique, mais encore à une surveillance plus active qui empêche que l'esprit de corps ne domine dans l'intérieur de l'École; il faut, en un mot, que l'esprit qui l'anime, qui la vivifie, soit continuellement en rapport avec les lumières et le mouvement extérieur des idées.

C'est pour résoudre ce double problème que l'administration actuelle de l'École normale est constituée. Il y a un directeur intérieur, qui est l'un des maîtres de conférences, et l'un des conseillers de l'Université, qui s'est plus spécialement occupé de l'École normale, qui a le plus d'habitude commune avec les maîtres et avec les élèves. C'est ce lien qui a été établi par l'intervention de l'un des conseillers de l'Université, intervention fondée sur le décret constitutif de l'École normale, et qui se fait à beaucoup moins de frais qu'elle ne s'est jamais faite à aucune autre époque.

Il est vrai que, pendant un certain temps, de 1830 à 1832, cette surveillance habituelle n'a point existé; mais l'École normale ne s'est pas bien trouvée de cet état de choses. Je crois qu'elle a besoin d'être dans un rapport habituel avec l'administration générale de l'instruction publique.

Je crois avoir démontré que la dépense était non-seulement utile, mais encore urgente, et qu'ainsi la demande du crédit supplémentaire est pleinement justifiée.

Le crédit fut voté.

J'ai raconté dans mes Mémoires 2 l'incident qu'amena la révocation de M. Dubois, député de la Loire-Inférieure, comme inspecteur général de l'Université, à la suite d'un discours qu'il avait prononcé pour solliciter la révision des pensions accordées du 1er avril 1814 au 29 juillet 1830, et de l'attitude qu'il avait prise dans le débat qui s'éleva à ce sujet. Dans la séance de la Chambre des députés du 6 mars 1833, M. Odilon Barrot m'attaqua à raison de cette mesure qui fut l'objet d'un débat très-animé.

Note 2: (retour) Tome III, pages 197-201.

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Il y a ici une question de personnes et une question de principes. J'écarte la question de personnes: je ne suis pas de ceux qui ont besoin d'injurier leurs adversaires. (Mouvement.)

Ce n'est pas à l'honorable préopinant que j'adresse ce reproche; mais j'ai besoin de le dire, messieurs, je sais estimer, honorer mes adversaires au moment même où je me sépare d'eux le plus hautement. Il n'y a donc rien, dans ce que j'ai cru devoir faire à l'égard du fonctionnaire de l'Université dont il est question, rien qui lui soit moralement personnel. (Agitation aux extrémités.)

Voix au centre.--Écoutez! écoutez!

M. le ministre de l'instruction publique.--Il n'y a rien qui, dans ma pensée, porte atteinte à l'estime que j'ai toujours eue pour lui, et que je ressens aujourd'hui aussi bien qu'hier. Ce n'est donc que la question des principes qu'il s'agit d'examiner, des principes soit dans l'administration de l'instruction publique, soit dans l'administration de l'État en général.

Quant à l'administration de l'instruction publique, je dirai que cette sorte d'inamovibilité qui n'est pas formellement écrite dans les décrets et statuts constitutifs de l'Université, mais qui s'y rencontre implicitement dans plusieurs endroits, que cette inamovibilité se rapporte aux fonctions de l'enseignement et non pas aux fonctions administratives. Cette distinction, messieurs, est fondée sur le bon sens et la nature même des choses; je comprends très-bien qu'on attribue un certain caractère inamovible à l'enseignement, aux engagements contractés dans cette carrière et aux droits qu'ils consacrent; mais pour l'administration de l'instruction publique, qui est tout à fait distincte de l'enseignement, qui est matière de responsabilité politique pour le ministre, il est impossible que le caractère de l'inamovibilité y soit attaché, et cela est tellement impossible que, dans la pratique, il n'en a jamais été ainsi.

Je n'apporterai pas à cette tribune, messieurs, des exemples de professeurs destitués sans jugement, et, s'il y en avait, je serais le premier à les combattre, à les repousser comme indignes de cette administration. Mais quant aux fonctions administratives, soit de recteurs, soit de proviseurs, soit d'inspecteurs généraux ou d'inspecteurs d'académie, la pratique, la jurisprudence constante les ont considérées comme amovibles. Je demande à la Chambre la permission de mettre sous ses yeux quelques faits qui ne laisseront aucun doute sur ce point.

Voix diverses--Ce n'est pas là la question. (Interruption prolongée.)

M. le Président.--Si la discussion dégénère en interruptions, vous aurez une séance comme celle d'hier; vous ne pourrez vous en prendre qu'à vous seuls de la cause du désordre.

M. le ministre de l'instruction publique.--Rassurez-vous, messieurs, je ne cherche point à éluder la question politique, j'y reviendrai tout à l'heure; mais j'ai besoin pour moi-même, pour ma propre satisfaction, de démontrer à la Chambre que j'ai eu le droit légal de faire ce que j'ai fait... (Nouvelle interruption: Écoutez! écoutez!)

Les fonctionnaires administratifs de l'instruction publique sont les proviseurs de collége, les recteurs, les inspecteurs généraux et les inspecteurs d'académie. Le 23 mai 1831, un recteur a été mis à la retraite contre son gré; le 23 avril 1832, un inspecteur général a été également mis à la retraite contre son gré; le 29 octobre 1831, un, deux, trois, quatre, cinq inspecteurs d'académie ont été, les uns purement révoqués, les autres mis à la retraite contre leur aveu. Un proviseur du collége de Reims a été révoqué par arrêté du 12 octobre 1830. Ainsi, vous voyez que la jurisprudence presque constante de l'instruction publique a été que les fonctionnaires purement administratifs pouvaient être écartés. La responsabilité ministérielle l'exige impérieusement. j'ai donc eu le droit de faire ce que j'ai fait.

Je viens à la seconde question, dont vous a entretenus l'honorable préopinant.

Ce n'est plus une question d'Université, c'est une question de politique générale, d'administration générale de l'État. L'honorable préopinant m'a fait l'honneur de citer quelques phrases que j'ai écrites il y a déjà longues années. La cause que j'ai défendue alors, je la défends également aujourd'hui. La liberté du vote, du vote silencieux... (Vive interruption. Exclamations diverses) la liberté du vote, du vote personnel, soit de l'électeur, soit du député, je l'avoue complétement, Messieurs, les exemples ne manquent point, au dehors ni au dedans de cette Chambre, pour prouver que le gouvernement ne professe pas et ne pratique pas une autre doctrine. Les deux honorables membres sur lesquels a porté la mesure dont on parle ne sont pas les seuls qui aient attaqué les mesures du gouvernement, qui aient manifesté de l'opposition; ils sont cependant les seuls qui aient été frappés.

M. Dubois-Aymé.--Je l'ai été aussi.

M. le ministre de l'instruction publique.--Je parle de ce qui s'est passé hier. Ils sont les seuls qui aient été frappés. Le ministère est donc très-loin de professer que tous les fonctionnaires doivent lui inféoder leur vote.

M. Jollivet.--M. Dulong a été destitué, et il n'avait pas parlé! (Bruits divers.)

M. le Président.--M. Jollivet, vous n'avez pas le droit d'interrompre.

M. le ministre de l'instruction publique.--Je répète aux interrupteurs qu'il y a dans cette Chambre plusieurs députés fonctionnaires qui ont non-seulement voté, mais parlé avec une entière indépendance, et qui n'ont pas été atteints par une mesure semblable à celle dont il s'agit en ce moment.

Voix à gauche.--C'est un avertissement.

D'autres voix.--Ils le seront bientôt.

M. le ministre de l'instruction publique.--Il n'est donc pas exact de dire que tous les députés fonctionnaires inféodent leurs votes au ministère. Ce qui se passe ici, et la conduite du ministère lui-même, prouve évidemment le contraire.

Mais, messieurs, toutes choses dans ce monde sont des questions de plus ou de moins; toutes choses ont leur limite; et quand l'indépendance, la liberté du vote va, non-seulement jusqu'à l'opposition, l'opposition avouée, mais jusqu'à cette opposition qui porte sur le fond des principes, sur le système et la conduite générale du gouvernement, quand cette opposition, radicale quant au fond des choses, devient en même temps violente dans la forme, quand on en arrive à ce point, je dis que le gouvernement se doit à lui-même de ne pas souffrir que sa dignité soit blessée par cette hostilité dans ses propres rangs, par cette opposition radicale, systématique... (Rumeurs aux extrémités) portant sur le fond... (Interruption.)

M. le Président.--J'invite la Chambre au silence dans l'intérêt de toutes les opinions.

M. le ministre de l'instruction publique.--Vous me répondrez, messieurs.

Je dis que lorsque l'opposition arrive à ce point de n'être plus simplement un acte d'indépendance et de liberté, mais d'être en même temps une déclaration de principes et d'intentions contraires aux principes et aux intentions du gouvernement, contraires à la conduite générale du gouvernement, je dis qu'alors il est impossible qu'un gouvernement qui veut faire les affaires du pays, qui veut les faire selon ses idées et sa conscience, supporte dans son sein une telle dissidence, principe funeste de désordre et de faiblesse, principe qui détruit la force vitale du gouvernement..., (Assentiment au centre) qui lui ôte la confiance au dehors, qui empêche ses amis de se rallier énergiquement autour de lui, qui détruit cette unité sans laquelle toute administration est impossible.

Ceci est tout simplement une question de bon sens et de loyauté pour chacun de nous.... (Exclamations dubitatives aux extrémités.) Oui, une question de bon sens et de loyauté, et j'en parle, non pas en théorie, mais par ma propre expérience. Puisque l'honorable préopinant a bien voulu rappeler quelques-unes de mes paroles en 1820, qu'il me soit permis de rappeler aussi que, à cette époque, je m'étais mis fortement en opposition, en opposition déclarée avec le système du gouvernement qui prévalait; et cela, messieurs, sans y être obligé, car je n'étais membre d'aucune Chambre; c'était pour la satisfaction personnelle de ma conscience, c'était l'expression libre et spontanée de mes opinions.

Eh bien! j'ai été écarté du gouvernement à cette époque; j'ai été destitué par le ministère d'alors; c'était tout simple, je l'ai trouvé tout simple, et je ne m'en suis ni plaint, ni étonné; j'ai trouvé naturel que le gouvernement qui suivait une ligne de conduite mauvaise, selon moi, une ligne de conduite que j'avais hautement proclamée mauvaise, j'ai trouvé naturel, dis-je, que ce gouvernement se séparât d'un fonctionnaire qui l'attaquait, qui faisait non-seulement acte de liberté, mais acte d'hostilité. On ne peut pas être à la fois dans la garnison de la place et dans l'armée des assiégeants. (Approbation aux sections intérieures.) Il est impossible de jouer à la fois les deux rôles... (Silence! Écoutez!)

Je reviendrai tout à l'heure à l'objection relevée par un des honorables interrupteurs. En attendant, je reste dans la question telle que je l'ai posée.

Je dis que c'est une question de bon sens et de loyauté.

Il choque le bon sens, en effet, qu'un gouvernement soit obligé de garder dans son sein des adversaires, des adversaires qui trouvent ses principes généraux mauvais, sa conduite générale mauvaise, qui veulent qu'il agisse d'après d'autres principes, qu'il marche dans une autre direction, qu'il tende vers un autre but, qu'il recherche d'autres alliances; je dis qu'un gouvernement qui se condamnerait à cette condition perdrait ses propres amis et n'acquerrait pas ses adversaires.

Au centre.--Oui, oui! C'est vrai! Très-bien!

M. le Ministre de l'instruction publique.--L'un des honorables membres qui m'interrompaient tout à l'heure m'a dit, m'a crié: «Mais vous proclamez l'incompatibilité des fonctions de député avec les emplois publics.»

Messieurs, ce n'est pas dans notre Chambre que cette question là se décide; c'est au dehors, dans les colléges électoraux; ce sont les électeurs qui en sont juges. (Rumeurs aux extrémités.) Quand les électeurs trouvent que les principes, la direction, la conduite de l'administration leur conviennent, ils envoient ici des hommes qui sont de cet avis. Que ces hommes deviennent ou ne deviennent pas fonctionnaires, peu importe; s'ils deviennent fonctionnaires, c'est que les électeurs ont voulu qu'ils marchassent dans cette direction, qu'ils suivissent ces principes. Si les électeurs sont d'un autre avis, ils n'envoient pas à la Chambre des hommes qui soient de l'avis de l'administration, mais des hommes d'un avis contraire, et l'administration est obligée de changer de principes. Il n'y a là rien que de très-simple.

Il ne résulte donc, de ce que j'ai l'honneur de dire à la Chambre, aucune incompatibilité entre les emplois publics et les fonctions de député; il en résulte seulement que chacun agit avec conscience, selon son opinion et se place dans la situation qui correspond à son opinion, au lieu de se placer dans une situation contraire.

Il s'agit donc de savoir si, dans le cas particulier qui nous occupe et a donné lieu à la mesure attaquée, les faits sont d'accord avec les principes que je viens d'exposer à la Chambre. Or, je ne puis m'empêcher de penser, et je le répète sans faire aucun tort, dans ma propre pensée, aux honorables membres qui ont été l'objet de cette mesure, je ne puis m'empêcher de penser qu'ils ont manifesté hier une opposition, une dissidence de principe, d'intention avec le gouvernement, une dissidence radicale quant au fond, et violente quant à la forme.

Au centre.--Oui! oui! (Bruit aux extrémités.)

M. le Ministre de l'instruction publique.--Je dis que la dissidence est radicale quant au fond. Et que voulez-vous de plus radical qu'une dissidence qui porte sur la Charte.... (Exclamations aux extrémités) sur le sens, sur la valeur de la constitution même de l'État?

On vous a dit hier à cette tribune, ce n'est pas l'honorable membre auquel je fais allusion qui l'a dit, mais ce sont les amis avec lesquels il vote, on vous a dit que vous aviez deux Chartes, une Charte aperçue et une Charte inaperçue, une Charte réfléchie et une Charte irréfléchie, une Charte de 1814 et une Charte de 1830.

Eh bien! nous, messieurs, nous croyons que nous n'avons qu'une Charte, qui n'a qu'une date, qui a été également réfléchie dans tous ses articles au moment où elle a été votée. Nous n'adoptons pas cette distinction entre des articles qui ont passé inaperçus et d'autres articles sur lesquels on a longuement délibéré; nous disons que tous les articles de la Charte sont de même date, de même valeur, qu'ils ont la même autorité, et qu'il est contraire à l'essence même de la Constitution de venir faire de telles distinctions.

Quand il y a différence d'opinion, de sentiment sur un point aussi fondamental, je vous le demande, n'est-ce pas là une dissidence radicale, une de ces dissidences qui permettent de s'estimer toujours, de s'honorer profondément, mais qui ne permettent pas de marcher et d'agir ensemble?

De la Constitution, je passe à ce qui regarde la politique habituelle du gouvernement. Quel est le système de l'administration actuelle? C'est le système du 13 mars; système, je me fais honneur de le dire, implanté dans cette Chambre par mon honorable et illustre ami, M. Casimir Périer...; (Approbation des centres) système adopté par la Chambre à cette époque, et qui, dans ma pensée, a sauvé le pays. (Nouvel assentiment aux bancs de la majorité.)

Ce système, ce n'est pas comme vous le disait hier l'honorable orateur qui m'a précédé à cette tribune, ce n'est pas un système de fusion aveugle entre les différents partis; il n'a pas la prétention de réunir toutes les pensées, toutes les intentions. Cela serait fort désirable sans doute, mais nous n'aspirons pas à un tel rêve. Ce que nous voulons, c'est la paix entre tous les intérêts paisibles; c'est la transaction continuelle, et de tous les moments, entre le présent et le passé; et quand je dis le passé, je parle de tous les passés de la France, de tous les passés depuis quarante ans; car il y en a eu beaucoup, messieurs, et de fort différents, et qui tous ont laissé des traces profondes dans notre pays.

Eh bien! notre système de politique, c'est de ne pas aller chaque jour remuer tous ces passés, fouiller partout le sol de la France, exhumer tout ce qu'on peut y trouver de ruines et de cadavres, pour les jeter sans cesse à la tête des générations actuelles. (Sensation.)

Nous ne voulons rien de semblable, messieurs; nous voulons que tous les passés soient, non pas oubliés, rien ne doit être oublié pour l'instruction des peuples, mais que la politique ne les prenne plus pour règle, qu'elle n'en tienne plus compte dans les lois, qu'elle ne fasse plus de différence entre telle et telle date, qu'elle ne donne pas aux uns des droits qu'elle conteste aux autres, qu'elle ne ménage pas les uns plus que les autres. Nous voulons une politique juste, une politique impartiale, une politique qui sache calmer les haines, étouffer les mauvais souvenirs... (Bravos aux sections intérieures), qui n'aille pas s'adresser continuellement à des passions que vous ne ranimerez pas puissamment, je vous en préviens, car elles sont, non pas mortes, mais vieillies, à des passions qui ne sont plus en état de s'emparer de la France, et de la lancer sur l'Europe comme elles l'ont fait une fois. Non, les passions révolutionnaires n'ont de puissance aujourd'hui que pour nous troubler, nous agiter, nous empêcher de faire le bien; elles ne peuvent plus nous inspirer cet enthousiasme, nous procurer cette gloire qu'elles nous ont donnés une fois. Tous les appels qu'on leur adresse sont impuissants pour leur faire produire des résultats énergiques et grands. Mais ces appels n'en font pas moins beaucoup de mal au pays, en entretenant dans les esprits une irritation, une méfiance réciproques qui divise les citoyens, empêche le gouvernement de s'affermir, et détruit tous les bons effets de cette transaction générale que nous appelons la Charte. Car, ne vous y trompez pas, messieurs, en 1830 comme en 1814, à quelque date que vous la preniez, dans quelques articles que vous la considériez, la Charte est une transaction, une grande transaction entre des principes anciens et des principes nouveaux, entre des intérêts anciens et des intérêts nouveaux, entre des faits anciens et des faits nouveaux. Ce caractère de transaction politique est le caractère dominant de la Charte, et c'est ce qui a fait de la Charte une ancre de salut, une arche de paix.

Les révolutions, messieurs, ne se terminent que par les transactions, par un accommodement général, légitime, entre tous les partis, entre tous les intérêts, entre toutes les idées. Ne croyez pas qu'il soit jamais arrivé à une révolution de se terminer par le triomphe complet, exclusif, d'un parti ou d'un système. Non, il n'y a jamais eu dans le monde de parti, de système qui fût assez raisonnable, assez juste pour que son triomphe complet et exclusif mît la paix dans la société. C'est pour cela qu'il faut une transaction après de longues agitations politiques, après de longues vicissitudes, une transaction qui fasse à tous une part, qui ménage tout le monde, qui prenne ce qu'il y a de juste et de raisonnable dans toutes les idées, dans tous les intérêts.

Voilà le véritable caractère de la Charte, et ce qui a fait sa force; en 1814 même, elle a été le triomphe du parti national, et, en même temps, elle a été une transaction, une pacification générale.

Eh bien! ce que nous avons voulu depuis 1830, mes amis et moi, puisqu'il est permis ici de parler des personnes, ce que nous avons voulu, c'est que la Charte ne perdît pas ce caractère, c'est que la Charte de 1830 fût aussi une arche de paix en France, une pacification générale et définitive. Ce que nous avons voulu, c'est que, en assurant, par une grande victoire, l'empire des principes et des intérêts nationaux que la Restauration avait si souvent attaqués, la Charte rendit cependant justice à tout le monde, ménageât tout le monde, ne semât nulle part le trouble et la méfiance, et ne fit aucun appel aux passions révolutionnaires, aux passions haineuses. (Mouvement d'adhésion.)

Voilà quelle a été notre politique, voilà quoi a été le système que nous avons défendu, système qui nous a paru en contradiction évidente avec la mesure proposée hier et soutenue par les honorables membres dont il s'agit.

Je ne veux pas, messieurs, revenir sur la discussion d'hier; je ne veux pas me donner un démenti à moi-même en réchauffant les passions dans cette assemblée et au dehors, en faisant appel à des souvenirs fâcheux; mais je ne puis m'empêcher de dire que la mesure proposée hier et qui tendait à une révision de toutes les pensions, pour atteindre et frapper certaines personnes qu'il fallait bien aller chercher parmi les autres pour les découvrir, car elles ne sont pas marquées au front et vous ne pouvez pas les reconnaître à la simple vue, je ne puis m'empêcher de dire que cette mesure devait avoir pour résultat de troubler cette paix publique, d'inquiéter ces intérêts maintenant à peu près tranquilles... (Légers murmures de doute aux extrémités) d'alarmer les existences, de méconnaître les droits acquis. C'est à cause de cela que nous nous sommes opposés à la mesure; c'est par là qu'elle nous a paru en contradiction directe, en hostilité évidente avec le système général de conduite et de principes que nous avons soutenu et pratiqué depuis la révolution de 1830.

Voilà pour le fond.

Quant à la forme, je n'ai rien à en dire, mais j'en appelle aux souvenirs de la Chambre; il nous a paru qu'elle était violente, contraire à la dignité du gouvernement, à la dignité du pouvoir qui, en même temps qu'il doit respecter les droits, la liberté, le caractère de ses adversaires, doit aussi se respecter et se faire respecter lui-même. (Adhésion des centres.) Messieurs, il n'y a pas de gouvernement sans respect; la force, la force même légale est loin de suffire au maintien de l'ordre dans la société; c'est le respect qui est le véritable ciment de la société, la véritable force du pouvoir. Il ne peut s'en passer; et quand on travaille à lui enlever cette force, quand on lui manque à ses propres yeux comme aux yeux du public, il se doit à lui-même de ressentir l'offense et d'en demander raison. (Mouvement très-prononcé d'assentiment.)

Comme marque d'improbation pour cette mesure, M. Odilon Barrot avait proposé, sur le crédit supplémentaire de 3,000 francs demandé pour l'École normale, une réduction de 500 francs qui fut rejetée.




--Chambre des députés.--Séance du 25 mars 1833.--

M. Bellaigue, député de l'Yonne, ayant demandé quelques explications sur la forme et les éléments du budget du ministère de l'instruction publique, je les donnai en ces termes:

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--J'ai lieu de m'étonner de la première observation qu'a faite l'honorable orateur. Le budget se divise en deux parties: l'une comprend le budget de l'Université, l'autre le budget du ministère de l'instruction publique proprement dit. L'Université, ayant des recettes spéciales, a un budget à part, comme la caisse des invalides de la marine, comme les autres établissements spéciaux. Ce budget est resté trop longtemps en dehors du contrôle des Chambres, mais il y est rentré depuis plusieurs années.

L'observation particulière du préopinant sur le traitement du ministre est fondée sur ce fait. L'administration des cultes était auparavant réunie à l'instruction publique; la moitié du traitement du ministre était supportée par l'Université, et l'autre par l'administration des cultes; mais l'administration des cultes ayant été distraite de ce département, le budget de l'Université a été appelé à supporter le traitement en entier. Il n'y a eu que mutation, il n'y a pas dépense de plus pour l'État.

Je ne dis pas que la division du budget de l'instruction publique en deux parties ne soit pas dans le cas d'être changée; mais vous sentez que ce changement tient nécessairement à l'organisation générale de l'administration de l'instruction publique, qui doit être faite aussitôt que cela se pourra. J'ai déjà eu l'honneur d'annoncer que le gouvernement s'occupe de cet objet; il sera présenté sans aucun doute une loi sur l'administration de l'instruction publique; mais elle n'est pas aussi urgente que la loi sur l'instruction primaire, que nous avons présentée, ni que celle sur l'instruction secondaire que nous vous présenterons. J'ai été au plus pressé. Je suis loin de dire que ce mode d'administration ne soit pas susceptible de réforme; mais ce qui importe le plus dans l'intérêt public, c'est que les écoles soient nombreuses et bonnes, et que tous les besoins de l'enseignement soient satisfaits. C'est lorsque les réformes vraiment pressantes pour le public seront faites qu'une loi générale sur l'administration de l'instruction publique viendra consommer l'oeuvre.

La Chambre n'ignore pas que, toutes les fois qu'on a commencé par vouloir organiser l'administration, les établissements ont perdu beaucoup de temps. Il vaut mieux d'abord assurer les services publics; on pourra ensuite songer à une nouvelle organisation de l'administration centrale. Le gouvernement n'a nullement l'intention d'éluder aucune des promesses de la Charte; il entend les accomplir toutes pleinement, mais en suivant l'ordre dans lequel elles doivent être accomplies pour répondre aux besoins de la société.

Quant au fait particulier de l'administration centrale, je ferai remarquer à l'honorable préopinant que lorsqu'on a transféré une partie des bureaux du ministère des travaux publics au ministère de l'instruction publique, il en est résulté une augmentation de dépenses pour le chauffage des employés, qui ont été placés dans un nouveau local. J'ignore s'il y a eu, au ministère des travaux publics, une diminution sur la dépense du chauffage; ce qu'il y a de certain, c'est que les nouveaux employés qui ont été reportés à mon ministère doivent être chauffés et éclairés.

Dans la même séance, à l'occasion de la discussion du budget du ministère de l'instruction publique, M. Jouffroy, député du Doubs, revint sur l'incident de la révocation de M. Dubois, comme inspecteur général de l'instruction publique, et souleva la question des droits des membres de l'Université. Je lui répondis:

M. Guizot, ministre de l'instruction publique.--Quand cette question s'est élevée pour la première fois, quand j'ai été appelé à la traiter, j'ai le premier reconnu que les membres du corps enseignant avaient des droits, des droits que nul ne pouvait violer, et qui trouvaient, dans le régime de l'Université, leurs garanties. Pas plus aujourd'hui que l'autre jour, je ne conteste ces droits. Quand un membre de l'Université croit son droit méconnu ou violé, il y a pour lui des moyens légaux pour le réclamer. Tout droit d'un membre du corps enseignant trouve, dans ce corps même, des juges qui prononcent selon certaines formes et dans certaines limites. Il ne me viendrait pas en pensée, je ne dis pas d'empêcher, mais de trouver mauvais qu'un membre du corps enseignant, qui croit son droit méconnu, réclame ses garanties, les réclame dans les formes et par les moyens légaux. C'est le cas particulier dans lequel nous sommes aujourd'hui.

La question universitaire n'arrive donc pas naturellement devant la Chambre. Elle trouve ailleurs, dans le corps enseignant lui-même, dans le conseil présidé par le grand maître, ses juges légaux. C'est là qu'elle doit être portée, et l'honorable membre peut l'y porter.

Ce n'est donc pas sur la question universitaire que je retiendrai un moment l'attention de la Chambre, car, encore une fois, ce n'est pas ici qu'elle peut être vidée. Mais indépendamment de la question universitaire, il y a ici une question politique que je ne veux pas réveiller de manière à soulever une nouvelle irritation dans cette Chambre, mais dont il m'est impossible de ne pas dire quelques mots.

La distinction dont j'ai entretenu la Chambre entre les membres administratifs et les membres enseignants, je ne l'ai pas inventée; elle est écrite dans les décrets constitutifs de l'Université elle-même. Je n'examine pas quelles sont, aux termes de ces décrets, les conséquences qu'elle peut avoir; mais, quant à la distinction même, elle est écrite dans les décrets de l'Université.

Je lis dans l'article 29 du décret du 19 mars 1808, qui est constitutif:

«Les fonctionnaires de l'Université prendront rang entre eux dans l'ordre suivant, sur deux colonnes, l'une indiquant le rang de l'administration, l'autre celui de l'enseignement. Administration: grand-maître, chancelier, conseillers à vie, conseillers ordinaires, etc. Enseignement: les professeurs des facultés, les professeurs des lycées, les agrégés, les régents de collége, les maîtres d'étude, etc.»

Il y a plusieurs autres articles des décrets constitutifs dans lesquels je retrouverais la même distinction.

Quant à ses conséquences, lorsqu'il s'agit d'un acte purement universitaire, fait par un membre de l'Université dans ses fonctions d'instruction publique, que ce membre appartienne soit à l'administration, soit à l'enseignement, les formes suivant lesquelles il peut être suspendu, révoqué, rayé, sont déterminées par les décrets de l'Université.

Mais il s'agit ici de tout autre chose. Il n'est pas question d'actes universitaires, d'actes faits dans l'instruction publique, mais d'actes d'une toute autre nature. Lorsqu'un membre de l'Université commet un délit quelconque, un délit prévu au code pénal, il n'est pas justiciable du conseil de l'Université; il est, comme tous les autres citoyens, soumis à la juridiction des tribunaux ordinaires. La juridiction universitaire s'applique à tous les membres de l'Université, mais seulement pour les actes universitaires.

La question est donc de savoir si les membres de l'Université, dans leurs actes étrangers à l'instruction publique, dans leurs actes politiques, par exemple, sont soustraits aux conséquences de la responsabilité du ministre, par leur qualité de membres du corps enseignant; (M. Odilon Barrot: je demande la parole.)... c'est-à-dire, si les membres de l'Université, et particulièrement ceux qui administrent l'instruction publique, qui sont les yeux, les bras, les mains, les agents du ministre de l'instruction publique, sont complètement indépendants de lui, et soumis seulement à la juridiction du conseil de l'Université en toutes choses, dans leurs actes politiques comme dans leurs actes universitaires.

M. Dubois de Nantes.--Je demande la parole.

M. le Ministre.--Voilà la véritable question. Il s'agit de savoir si le privilége universitaire couvre les actes politiques aussi bien que les actes universitaires; si le ministre ne peut agir qu'avec le concours et sous l'approbation du conseil pour la direction générale et politique, comme pour les actes universitaires.

Je prie la Chambre de remarquer qu'on a cité un grand nombre de précédents; précédents qui s'appliquent pêle-mêle, il est vrai, à des administrateurs et à des professeurs de l'Université, révocations, destitutions, suspensions, dont beaucoup ont été fondées, non pas sur des motifs universitaires, non pas sur des délits universitaires, mais sur des motifs politiques, sur des délits politiques. (Murmures.) Je voulais dire sur des actes politiques. C'est par mégarde que j'ai dit le mot délits, je retire cette expression. (Mouvement.) Est-ce qu'il n'est jamais arrivé à aucun de vous, messieurs, de laisser échapper un mot qui ne rendît pas bien sa pensée? (Marques d'assentiment mêlées de quelques murmures.) Ceux à qui cela n'est jamais arrivé ont seuls le droit de se plaindre. Quant à moi, cela m'est arrivé quelquefois. Dernièrement, par exemple, je me suis servi du mot vote silencieux, qui ne répondait en aucune façon à ma pensée. (Hilarité aux extrémités.) Je ne crains pas de le dire, messieurs, l'ensemble de mes opinions et ma vie tout entière prouvent que ces mots ne répondaient pas à ma pensée. Ils me sont échappés comme un autre mot aurait pu échapper à chacun de vous. Je les retire aujourd'hui comme je viens de retirer le mot délit, qui ne rend point mon idée.

Je dis donc qu'il est arrivé très-fréquemment, beaucoup trop fréquemment dans l'Université, que les considérations, les motifs politiques, ont déterminé des destitutions, des révocations, des suspensions qui n'étaient nullement prévues par le code universitaire, qui ne rentraient pas dans la juridiction universitaire. C'est qu'en effet il y a là une force des choses à laquelle il est impossible d'échapper. Il est impossible que vous condamniez des ministres responsables, des ministres qui répondent de tous leurs agents, à subir des agents sur lesquels ils n'auraient pas une action indépendante. J'entends par agents les hommes par lesquels les ministres agissent, donnent leurs instructions, transmettent et font exécuter leurs ordres. Je comprends parfaitement comment, lorsqu'il s'agit d'actes purement universitaires, on a pu constituer, dans le sein même de l'Université, une juridiction qui connût de ces actes, et du concours de laquelle le grand-maître de l'Université ne pût se passer. Le grand-maître de l'Université, comme grand-maître, n'est pas responsable; il est seulement chargé de la bonne administration de l'Université. Mais le ministre de l'instruction publique, appelé devant les Chambres à répondre de la direction politique de l'instruction publique, est nécessairement responsable de ses agents. Or, il n'y a aucune responsabilité possible si le ministre n'a pas le pouvoir de les changer.

Aussi, qu'a fait le préopinant? Il a écarté la responsabilité du ministre; il vous a dit: «Vous n'avez pas besoin de la responsabilité ministérielle, vous avez ici d'autres garanties. Que voulez-vous? Que les affaires soient bien faites; eh bien! vous avez dans les institutions universitaires, dans la juridiction du conseil, dans les formes légales, des garanties suffisantes.»

Le préopinant a donc positivement écarté la responsabilité ministérielle, tant il a senti qu'avec les conditions qu'on voulait y attacher, elle n'existerait plus.

Messieurs, il n'est au pouvoir de personne de déclarer qu'un ministre qui est appelé tous les jours à justifier, non-seulement sa conduite personnelle, mais celle de tous ses agents, à venir répondre devant les Chambres, devant la France, de la direction générale et politique de l'instruction publique, de l'influence qu'elle exerce sur les générations futures, de déclarer, dis-je, que ce ministre peut être affranchi, dégagé de la responsabilité inhérente à ses fonctions, à sa situation.

Si on imposait au garde des sceaux de ne pouvoir révoquer un procureur général ou un substitut.... (Interruption aux extrémités.) ...permettez-moi, messieurs, de développer ma pensée, vous répondrez; s'il en était ainsi, dis-je, le garde des sceaux ne pourrait pas répondre de l'administration de la justice. Il faut qu'il soit libre dans ses rapports avec les agents directs par lesquels il agit, il exécute ses ordres. Le garde des sceaux a, il est vrai, auprès de lui, les juges qui sont complètement indépendants; mais les juges n'ont rien à démêler avec le garde des sceaux, ils prononcent sur des intérêts privés; les administrateurs, au contraire, c'est-à-dire les parquets, sont à la disposition du ministre parce qu'il répond de leurs actes.

Je reviens aux précédents universitaires, et la distinction est si réelle que je la retrouve dans un grand nombre de cas. Il est arrivé, par exemple, qu'un homme était à la fois recteur, c'est-à-dire administrateur de l'instruction publique dans une certaine circonscription territoriale, et en même temps professeur au sein d'une faculté de droit dans la ville dans laquelle il résidait. Pendant qu'il exerçait les fonctions de recteur, il n'exerçait pas celles de professeur. L'administration supérieure a trouvé qu'il était un mauvais recteur, qu'il agissait dans un sens politique tout autre que le sien, qu'elle n'était pas du tout avec lui en harmonie politique. Elle l'a écarté de ses fonctions de recteur, et l'a renvoyé à celles de professeur. Comme professeur, il ne pouvait être atteint que par la juridiction universitaire et dans des formes déterminées; mais comme recteur, il s'est trouvé placé sous l'empire de l'administration supérieure, sous la loi de la responsabilité de cette administration. L'exemple que je cite s'est renouvelé dans un grand nombre de cas. En voici un autre. Comme doyen, un professeur administre; il est dans la faculté le représentant du ministre, c'est par lui que les ordres du ministre s'accomplissent. Eh bien! comme doyen, il est révocable. Les révocations de ce genre sont nombreuses. L'homme révoqué reprend alors ses fonctions de professeur. (Bruits divers aux extrémités.)

Je prie donc la Chambre de remarquer cette différence fondamentale que, lorsqu'il s'agit d'actes universitaires, faits dans l'exercice des fonctions universitaires, quelles que soient les fonctions, je comprends qu'ils puissent appartenir à la juridiction universitaire, que toutes les formes, toutes les règles doivent être observées, que l'autorité du ministre ne s'applique pas à ces cas, indépendamment des formes universitaires. Mais lorsqu'il s'agit de politique et nullement d'actes universitaires, lorsqu'un homme paraît avec le caractère de représentant de l'autorité supérieure, comme agent général, comme agent politique, alors la question change, la responsabilité supérieure reprend tous ses droits. Il n'y a aucun moyen d'échapper à cette conséquence.

Pour les actes universitaires, messieurs, on peut se renfermer dans les décrets de l'Université, décrets qui n'ont pas prévu la responsabilité politique, le gouvernement représentatif, la discussion quotidienne; qui ne se sont inquiétés que de la constitution intérieure de l'Université même. Mais, quand une fois l'Université s'est trouvée en présence d'institutions libres, d'une discussion quotidienne, sous l'autorité d'un ministre responsable, il a bien fallu que de nouveaux principes pénétrassent dans l'institution, que certains membres de l'Université passassent dans une situation différente de celle où ils étaient auparavant.

C'est là, je ne veux pas dire le cas unique, mais une des causes qui ont amené ces nombreuses révocations, ces nombreuses destitutions, ces nombreuses suspensions dont on vous a entretenus. Il y en a beaucoup qui ont été des abus, des actes répréhensibles; mais il y en a beaucoup aussi qui étaient inévitables, qui étaient commandées par la force des choses, par l'empire de la situation politique et de la responsabilité politique du ministre placé à la tête de l'Université.

Et remarquez, je vous prie, que c'est précisément dans les moments où la politique a joué un grand rôle et exercé un grand empire, dans les moments de changement de gouvernement que la plupart de ces actes ont eu lieu. Je le répète, je suis fort loin de les défendre tous; il y en a eu de mauvais, de déraisonnables, déterminés par les passions du moment; mais il y en a eu de raisonnables, de légitimes, fondés sur la nécessité, sur ce que l'administration générale de l'instruction publique aurait été impossible sans ce pouvoir, sur ce que l'administrateur supérieur, commandé par la nature des choses, était obligé de faire entrer l'Université dans le domaine de la responsabilité politique.

C'est là toute la question. La responsabilité politique du ministre peut se trouver compromise par la conduite de ses agents. Il est donc impossible qu'il n'ait pas les moyens de mettre sa responsabilité à couvert. Et quand le Roi m'a fait l'honneur de me confier le département de l'instruction publique, si j'avais pensé que les recteurs, que les administrateurs, mes propres agents, mes agents directs et nécessaires, n'étaient pas sous mon autorité, qu'ils ne pouvaient être atteints que par une juridiction indépendante, que je pouvais, en un mot, être représenté sur tous les points de la France, par des hommes sur lesquels je n'aurais pas d'action propre et libre, j'en appelle à tous les hommes de sens, aurais-je pu, aurais-je dû accepter le pouvoir et la responsabilité politique à de telles conditions?

Je le répète: pour tout ce qui concerne les actes universitaires, les décrets de l'Université sont applicables; les garanties universitaires sont entières. Bien loin de les nier, je suis le premier à dire que toutes les fois qu'un membre de l'Université croit son droit violé, il est de son devoir d'user des moyens légaux pour revendiquer son droit. Mais quand il ne s'agit en aucune manière d'actes universitaires, quand il s'agit d'actes politiques, la responsabilité du ministre demeure entière: il n'y a de bonne administration possible qu'à cette condition.

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