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Histoire parlementaire de France, Volume 2.: Recueil complet des discours prononcés dans les chambres de 1819 à 1848

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LXXVII



--Chambre des députés.--Séance du 31 mai 1836.--

En février 1836, le cabinet du 11 octobre 1832 s'était dissous. J'étais sorti du ministère de l'instruction publique. La commission du budget avait proposé, dans le budget de ce département, et sur les chapitres relatifs aux encouragements et souscriptions littéraires, des amendements que je crus devoir combattre, et qui furent rejetés.

M. Guizot.--Messieurs, votre commission vous fait sur ce chapitre deux propositions: l'une de le diviser en trois chapitres nouveaux qui deviendront l'objet d'un vote spécial; l'autre de déclarer, par un article additionnel, que désormais aucune distribution de livres ne pourra être faite qu'à des bibliothèques ou à des établissements publics; jamais à des particuliers.

J'ai quelques observations à soumettre à la Chambre sur ces deux amendements, particulièrement sur le second; quant au premier, je serai fort court.

Il n'est pas toujours sans inconvénients de multiplier, comme le propose votre commission, la spécialité des chapitres, surtout lorsque cette spécialité s'applique à des objets analogues et à des sommes très-peu considérables. La spécialité a évidemment pour objet, non pas d'introduire dans le budget et dans les comptes une classification parfaitement systématique, non pas de pousser l'analyse, la décomposition des dépenses aussi loin qu'on le pourrait, mais d'y apporter la clarté, de faire en sorte que la Chambre et ses commissions puissent en toute occasion se rendre un compte exact des dépenses publiques et de leur emploi. Quand ce but est atteint, quand la clarté est parfaite, quand la Chambre peut se rendre ce compte rigoureux, le but de la spécialité est atteint.

Un membre.--Non, le but n'est pas atteint.

M. Guizot.--Vous me répondrez. Je dis que lorsqu'il s'agit d'objets analogues et de sommes peu considérables, il n'y a pas de raison de pousser trop loin la spécialité; elle a l'inconvénient de lier les mains à l'administration dans des cas où il serait utile peut-être que l'administration fût libre. J'en donnerai à la Chambre un exemple pris dans le sujet particulier dont il s'agit. Des deux premiers articles du chapitre, l'un concerne les souscriptions aux ouvrages, l'autre les encouragements littéraires à donner aux personnes; le premier est de 134,000 francs, le second de 154,000 francs.

Il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer d'avance avec une parfaite précision l'emploi complet de ces sommes divisées en beaucoup de petites sommes, et de dire: il y aura tout juste pour 134,000 francs de souscriptions, pour 154,000 francs d'encouragements à des hommes de lettres. Il arrive souvent dans le courant de l'année, par des cas fortuits, que l'article des souscriptions est épuisé et qu'il reste quelques fonds vacants sur l'article des encouragements. Eh bien! il est utile alors que l'administration puisse reporter sur l'article des souscriptions le reste de fonds disponible sur celui des encouragements; car, après tout, dans l'un et l'autre cas, c'est d'encouragements littéraires qu'il s'agit. Eh bien! lorsque vous aurez complétement lié les mains à l'administration dans l'un et l'autre chapitre, rien de semblable ne pourra se faire, et les fonds en seront souvent beaucoup moins bien employés.

Je ne crois pas, messieurs, qu'il soit de l'intérêt public, ni même de l'intérêt de la Chambre en particulier, d'avoir ainsi d'avance une multitude de petites volontés pour se donner le plaisir de les imposer à l'administration. Il convient à la Chambre d'avoir de grandes volontés, de les avoir d'une manière énergique, efficace; mais comme elle n'est pas appelée à administrer, comme elle n'est propre, ni par ses commissions, ni par elle-même, à régler le détail des petites affaires, je crois qu'il y a un véritable inconvénient quand elle lie les mains à l'administration, et qu'elle l'empêche ainsi de faire le bien dans les cas où l'administration seule peut le faire.

Je ne pense donc pas qu'il y ait réellement utilité à séparer en deux chapitres les deux articles dont il s'agit. Je n'en dirai pas autant de l'un des subdivisions que votre commission propose d'introduire, de ce qui se rapporte aux sommes allouées par les Chambres pour la collection des documents inédits relatifs à l'histoire de France; il est clair qu'il s'agit là d'un travail tout à fait spécial, d'une entreprise distincte qui ne se lie point aux encouragements généraux pour les lettres. Je comprends qu'on en fasse l'objet d'un chapitre particulier; mais sur le reste, sans attacher une grande importance à ces observations, sans croire que le budget de l'instruction publique ait beaucoup à en souffrir, je pense qu'il serait mieux de laisser les choses comme elles sont, et les deux premiers articles confondus dans le même chapitre.

Je passe au second amendement proposé par votre commission. Il a plus d'importance.

Personne n'est plus éloigné que moi de contester les droits de la Chambre et leur étendue en matière de dépenses publiques. Malgré ce que j'avais l'honneur de dire tout à l'heure sur le peu de convenance pour les Chambres d'entrer dans une multitude de détails d'administration, la Chambre a certainement le droit de regarder à tout, de s'enquérir de tout, et de s'assurer que les dépenses publiques ont été faites conformément à leur destination et dans le véritable intérêt public.

Cependant, il y a ici, si je ne me trompe, de la part de la Chambre même et de ses commissions, quelques précautions à prendre, quelque réserve à apporter dans l'examen des actes de l'administration. Toutes les fois que la Chambre, pénètre dans des détails petits, minutieux, même quand ce sont des commissions qui s'y livrent avec tout le soin, tout le scrupule, qu'y ont apporté, par exemple, la commission du budget de l'instruction publique et son honorable rapporteur, il leur est très-difficile de bien apprécier les motifs de ces actes. Quand il s'agit d'actes considérables, généraux, les motifs se révèlent pour ainsi dire d'eux-mêmes; ils sont aisés à reconnaître. Mais quand il s'agit d'actes de détail, de petites affaires d'administration, les raisons des actes administratifs sont quelquefois difficiles à démêler. Ce sont des faits particuliers, et surtout lorsqu'on a eu aucune communication personnelle avec l'administrateur qui a agi, lorsqu'on n'a reçu de lui aucun renseignement sur les motifs qui ont pu déterminer tel ou tel acte, on peut aisément les ignorer ou s'y tromper. La Chambre et ses commissions peuvent ainsi être conduites à blâmer les actes sans en connaître les raisons, sans être à portée d'en bien juger. Je ne dis pas que cela leur arrive nécessairement; je dis que c'est un danger qu'elles courent, et auquel je crois qu'elles feront bien de regarder.

Il y en a un autre qui, je l'avoue, n'intéresse que l'administration et est complétement étranger à la Chambre. Il résulte d'une investigation très-minutieuse des actes administratifs et de la publicité qui lui est donnée avec l'autorité qui s'attache au nom de la Chambre et de ses commissions, il en résulte, dis-je, souvent des occasions fournies aux accusations; et (que la Chambre me passe cette expression), aux calomnies extérieures. Ce fait, je le sais parfaitement, ne peut, ne doit être, en aucune façon, imputé à la Chambre ni aux commissions, ni à leurs honorables rapporteurs; mais comme il y a là un mal réel, un véritable inconvénient, il importe, je crois, que les membres de cette Chambre et des commissions prennent garde de ne pas y donner légèrement matière ou prétexte.

Je ne dis pas cela, je le répète, pour contester, pour limiter en aucune façon les droits de la Chambre, ni leur étendue dans l'examen des dépenses publiques, mais uniquement pour montrer que, lorsqu'on pénètre dans les détails de l'administration, lorsqu'on étudie de petites questions, il est, vous me permettrez de le dire, il est du devoir de la Chambre et des commissions (car nous avons tous des devoirs) d'y apporter une réserve, une prudence, sans lesquelles le but légitime de ces investigations ne serait pas atteint.

J'entre maintenant dans l'examen des faits mêmes. Le chapitre dont il s'agit et le rapport de votre commission élèvent deux questions différentes: celle des souscriptions littéraires et celle de la distribution des ouvrages auxquels on a souscrit. Les observations de l'honorable rapporteur ont porté successivement sur les deux questions. Je les distinguerai comme lui.

Parlons d'abord des souscriptions.

Je mets sous les yeux de la Chambre l'état des souscriptions du ministère de l'instruction publique en 1834 et en 1835.

En 1834, il a été souscrit par le ministère de l'instruction publique à cent vingt-huit ouvrages, dont vingt et un grands ouvrages à planches, scientifiques ou littéraires, qui n'auraient probablement jamais pu être publiés sans son appui. Votre commission paraît penser que les souscriptions devraient être exclusivement réservées pour de tels ouvrages. Toute autre souscription lui semble abusive. Ainsi les vingt-et-un rands ouvrages que je viens d'indiquer, ou d'autres analogues, auraient absorbé, seuls, les fonds de 1834. J'en ai pensé autrement, messieurs; la Chambre jugera si je me suis trompé.

Voici pour quels autres ouvrages des souscriptions ont eu lieu.

D'abord pour trente-huit ouvrages relatifs à l'histoire de France, presque tous à l'histoire locale. La Chambre sait quelle activité ont prise depuis quelques années les travaux relatifs à l'histoire nationale. Tout le monde est d'accord de les encourager, non-seulement à Paris, mais surtout dans les localités. Or, le meilleur moyen, messieurs, de les encourager, c'est de ne pas les laisser mourir sur les lieux même où ils ont été faits. C'est cependant ce qui arriverait presque toujours s'ils n'étaient pas, de la part de l'administration centrale, l'objet d'un encouragement particulier, d'une souscription qui a lieu pour un petit nombre d'exemplaires. Je ne crois donc pas que les trente-huit ouvrages de ce genre encouragés en 1834 puissent être appelés un abus.

Viennent ensuite trente-trois ouvrages... Je demande pardon à la Chambre d'entrer dans ces détails; mais, comme ils ont été l'objet d'une critique minutieuse, il importe que la Chambre soit parfaitement instruite des faits, (Parlez! parlez!)

Viennent ensuite, disais-je, trente-trois ouvrages relatifs à l'enseignement des sciences et des lettres, et qui m'ont paru bons à répandre dans quelques établissements voués à l'instruction publique, ou à placer entre les mains de quelques hommes également voués à l'instruction publique et pour qui ils auraient été quelquefois chers à acheter. Cet encouragement, utile pour les auteurs de ces ouvrages, utile aussi là où ils ont été placés, ne saurait non plus, je crois, être qualifié d'abus.

Après ceux-là, viennent huit ouvrages bons à répandre dans les écoles primaires, et dix-huit ouvrages de science ou de littératures peu populaire, auxquels il a été souscrit pour quelques exemplaires, dans l'unique but d'encourager les auteurs. Quand il se fait de tels travaux, par exemple, des travaux curieux sur telle ou telle langue orientale, sur telles ou telles parties des connaissances humaines qui n'ont qu'un public si restreint que les frais de publication dépassent évidemment de beaucoup ce que le public peut faire pour les encourager et les soutenir, il est, je crois, du devoir d'une bonne administration de donner un encouragement aux auteurs et une marque d'intérêt à la science rare et difficile qui est l'objet de leurs livres.

Voilà, messieurs, la décomposition exacte des souscriptions de 1834. Ainsi, sur cent vingt-huit ouvrages, il y en a cent dix-huit dont la souscription est évidemment fondée sur des motifs graves et bons à mettre sous les yeux de la Chambre. Il n'en reste que dix dont la souscription ait été peut-être déterminée par des motifs moins, sérieux. Je n'ai pas, messieurs, la prétention qu'il ne se soit jamais introduit aucun laisser-aller, ou une complaisance un peu trop facile dans tel acte isolé et rare de l'administration. La Chambre et ses commissions ont grande raison de les remarquer et d'en avertir; mais j'ai la prétention de montrer que l'abus dont on a parlé n'a eu, à beaucoup près, ni l'étendue, ni l'importance qu'on a cru y voir, et que, parmi les ouvrages auxquels on a souscrit, le plus grand nombre, de beaucoup le plus grand nombre, méritaient tout à fait cet encouragement.

En 1835, la même marche a été suivie; il a été souscrit à quatre-vingt-quinze ouvrages, savoir: huit grands ouvrages scientifiques ou littéraires, trente-huit ouvrages relatifs à l'histoire de France, dix-neuf relatifs à l'enseignement des sciences et des lettres, un à répandre dans les écoles primaires et quatorze relatifs à des objets de science ou de littérature populaire, et en tout quatre-vingt-un. Je puis donc tirer, des faits de 1835, les mêmes conclusions auxquelles les faits de 1834 m'ont tout à l'heure amené.

Vous le voyez, messieurs, quant aux souscriptions l'emploi des fonds n'a point été fait sans réflexion et sans discernement. Il peut y avoir, il y a réellement plusieurs motifs de souscription; il ne faut pas les restreindre à un seul; il ne faut pas croire que les seuls ouvrages auxquels le gouvernement doive souscrire sont ceux qui ne pourraient s'exécuter sans lui. Les sciences et les lettres auraient un dommage réel à en souffrir.

Je passe à la deuxième question, à celle de la répartition des ouvrages auxquels il avait été souscrit. (Mouvement général d'attention.)

Messieurs, j'ai fait sur les distributions un travail analogue à celui que je viens de mettre sous les yeux de la Chambre relativement aux souscriptions.

En voici le résultat: En 1834, les cent vingt-huit ouvrages auxquels il avait été souscrit, et que je viens d'énumérer devant la Chambre, ont donné 3,347 exemplaires. Sur ce nombre, il en a été distribué 2,295 à des établissements publics, bibliothèques, collèges ou autres.

Je prie la Chambre de remarquer le chiffre: 2,295 sur 3,347; 457 exemplaires ont été accordés à des particuliers, il en reste en magasin 595; en tout, 3,347.

Je vais décomposer les 457 exemplaires distribués à des particuliers. Je demande à la Chambre, et je suis convaincu que la Chambre sera de mon avis, la permission d'écarter tous noms propres. Je ne crois pas qu'en aucune occasion, soit qu'il s'agisse de fonctions publiques, soit qu'il s'agisse d'autres faits, les noms propres doivent arriver à cette tribune. L'administration procède d'après des idées générales; ses actes sont discutés d'une manière générale; les simples individus et ce qui les concerne ne doivent jamais être mis ici en question. (Vive approbation.)

Je décompose donc en quelques classes les 457 exemplaires donnés à des particuliers.

J'ai trouvé établi, en arrivant au ministère de l'instruction publique, un usage qui existait également dans toutes les administrations ayant des distributions de ce genre à faire et qui remonte, non-seulement à la Restauration, mais à l'Empire, comme l'a fait remarquer M. le rapporteur. C'est que, pour tout ouvrage auquel l'administration souscrit, un exemplaire était donné au ministre et un autre au chef de la division des sciences et des lettres. Jusqu'en 1834, cet usage a été suivi partout. Je dirai tout à l'heure à la Chambre comment il a été réformé en partie l'année suivante.

Sur les 457 exemplaires donnés à des particuliers, 115 ont été donnés au ministre de l'instruction publique, 105 au chef de division.

Voilà donc déjà 220 exemplaires donnés en vertu d'un usage ancien et général. Quant aux autres, il en a été distribués 57 à des savants et à des hommes de lettres qui s'occupaient du sujet spécial de l'ouvrage, et à qui l'achat aurait pu être difficile et onéreux. Je crois qu'il est non-seulement naturel, mais que c'est un devoir, pour un ministre de l'instruction publique qui a des distributions de livres à faire, d'en placer quelques-uns entre les mains de ceux qui s'en servent et pour lesquels il serait difficile de les acquérir.

Vingt-six autres exemplaires ont été donnés à des hommes qui avaient rendu à l'instruction publique, soit par des travaux administratifs ou littéraires, soit de plusieurs autres manières, des services utiles et gratuits.

Les services gratuits, messieurs, se multiplient chaque jour dans l'administration, dans celle de l'instruction publique en particulier. Vous connaissez ce grand nombre de comités qui ont été appelés à concourir à l'exécution de la loi sur l'instruction primaire. Eh bien! il est naturel, quant au secrétaire, par exemple, du comité d'instruction primaire, dont les fonctions sont laborieuses quoiqu'elles soient sans indemnité, il est naturel, dis-je, que le ministre puisse, à titre de récompense et d'encouragement, lui donner quelques-uns des ouvrages dont il dispose.

Plus vous voudrez multiplier les services gratuits, plus vous serez naturellement conduits à répandre sur les hommes de qui vous les recevez, je ne dis pas une récompense, mais une marque de satisfaction, de sympathie, un remerciement, car ce n'est pas autre chose. Eh bien! c'est là ce qui a été fait pour un certain nombre de personnes, et ce qui, à moins que vous n'adoptiez l'amendement proposé par votre commission, devrait l'être davantage de jour en jour. Plus vous multiplierez les services gratuits, particulièrement dans l'instruction publique, plus vous trouverez nécessaire et honorable cette manière de leur témoigner votre satisfaction.

Sur 457 exemplaires, en voilà donc 303 dont la distribution se justifie pleinement par les motifs généraux que je viens de mettre sous les yeux de la Chambre. Il en reste 154 donnés à diverses personnes pour des motifs purement individuels, qu'il serait presque toujours facile de légitimer, mais qui ne peuvent pas être ramenés à des classes générales. Je répète à la Chambre que je n'ai pas la prétention qu'aucun laisser-aller, aucune complaisance ne se soit glissée ici; cela est toujours arrivé, cela arrivera toujours; mais je ne crois pas que ce soit une raison suffisante pour en interdire absolument le droit, comme le propose l'amendement de votre commission.

Voilà pour 1834. En 1835, la distribution a été faite de la même manière. Seulement, comme il y avait eu quelques réclamations sur les abus qui avaient pu s'introduire dans cette branche d'administration, comme un article de loi qui avait été porté dans le budget de 1835 portait qu'il fallait donner des motifs individuels quand on distribuait des ouvrages à des particuliers, j'ai supprimé dans le ministère de l'instruction publique l'usage ancien de donner un exemplaire de chaque ouvrage au chef de la division des sciences et des lettres; il a pu lui arriver de recevoir un exemplaire de quelques ouvrages, mais il n'a plus eu un exemplaire de tous. Les 95 ouvrages auquels on a souscrit en 1835, ont produit en totalité 1,727 exemplaires. Sur ces 1,727 exemplaires, 1,062 ont été donnés à des établissements publics, à des colléges, à des bibliothèques, à des sociétés savantes.

Comme l'honorable rapporteur pourrait remarquer quelque différence, s'il a fait un travail analogue, entre les chiffres que je cite et les siens, j'ai l'honneur de l'avertir que j'ai compris dans l'année 1835 ce qui s'est fait et distribué dans les premiers mois de 1836.

Je dis donc que sur 1,727 exemplaires, 1,062 ont été donnés à des établissements publics, à des colléges, à des bibliothèques et à des sociétés savantes; 191 seulement à des particuliers; il en reste 572 en magasin.

Vous voyez que déjà, en 1835, la proportion du nombre des ouvrages donnés à des établissements publics augmente beaucoup; les particuliers en ont reçu beaucoup moins. En voici le détail: 126 aux deux ministres de l'instruction publique qui se sont succédé en 1835 et dans les premiers mois de 1836; 4 seulement aux chefs de division; 21 pour services gratuits rendus à l'administration, 8 à des savants et hommes de lettres occupés du sujet de l'ouvrage, 33 à diverses personnes pour des motifs individuels non susceptibles de classement.

Voilà les faits exacts et complets. Voilà, pour les années 1834 et 1835, d'après quels principes l'administration a agi et dans les souscriptions et dans les distributions.

Eh bien! messieurs, l'amendement que votre commission vous propose ne tient aucun compte de ces faits, absolument aucun; il suppose qu'il ne peut y avoir qu'un seul motif de souscription, une seule espèce de distribution, qu'il ne peut jamais y avoir de bonnes raisons de souscrire à tout ouvrage qui n'est pas du genre de ces grands ouvrages que le gouvernement seul peut faire exécuter, jamais de distribuer des ouvrages à des particuliers.

Je crois pouvoir l'affirmer encore, messieurs; un tel amendement est en contradiction avec tous les faits que je viens d'exposer à la Chambre, et qui sont évidemment raisonnables et légitimes.

Je vais plus loin; je dis que cet amendement méconnaît, si l'on peut se servir de si grandes expressions dans une si petite question, méconnaît l'état actuel de la société. Il veut que tous les ouvrages soient distribués aux bibliothèques publiques. Mais, messieurs, autrefois les bibliothèques étaient attachées historiquement à des établissements savants, à des corporations savantes; ces établissements, ces corporations avaient des bibliothèques et les avaient faites; en sorte que, quand on plaçait des livres dans la bibliothèque de tels établissements, d'une congrégation de bénédictins, par exemple, on les mettait à coup sûr entre les mains de savants, d'hommes empressés et capables de s'en servir. La bibliothèque était née au milieu de la science, et c'était la science qui avait créé la bibliothèque. Aujourd'hui, il n'y a rien de semblable; la plupart des bibliothèques publiques ont été créées fortuitement, et point par la science, ni en vue de la science; il n'y avait dans les villes point de corps savants par qui et pour qui la bibliothèque fût faite; les villes ont recueilli les débris des bibliothèques savantes qui existaient dans leur voisinage; ainsi sont nées la plupart des bibliothèques municipales. Vous n'avez donc aujourd'hui point de savants tout formés à côté de toutes les bibliothèques, point de corporations savantes qui puissent se servir des livres que vous y placez.

Et c'est en présence d'un tel fait qu'on veut interdire à l'administration de donner des livres aux particuliers, de se mettre, dans l'intérêt de la science, en relation avec les particuliers! On oublie donc que la science, l'étude sont individuelles, isolées aujourd'hui, comme tout le reste. Nous savons pourtant tous que, dans les départements, les hommes, par exemple, qui se dévouent aux études historiques, le font chacun pour son compte, parce que ce travail leur plaît, dans un but solitaire, sans appartenir à aucune congrégation savante. Trouverez-vous mauvais, étrange, que l'administration aille chercher ces hommes épars sur les divers points du territoire, qu'elle communique avec eux, les éclaire, les encourage? Quand un savant du Vivarais a écrit l'histoire de sa province, trouverez-vous étrange qu'on aille donner son ouvrage à un savant de la Normandie qui, lui aussi, s'occupe, dans son coin, de travaux analogues? Non, messieurs, il n'en saurait être ainsi; il faut au contraire, il faut en toute hâte porter au savant de la Normandie les lumières et l'ouvrage du savant du Vivarais, et ne pas restreindre la distribution aux établissements publics quand les établissements publics manquent.

Je pourrais étendre ces considérations et montrer par beaucoup d'autres encore que l'amendement de la commission ne tient pas un compte suffisant des faits, qu'il en méconnaît de considérables, et qu'au lieu de servir les intérêts de la science, il pourrait leur nuire. Je ne mets pas à ces observations plus d'importance qu'il ne convient. La science saura bien triompher de ces petites difficultés, et l'administration aussi. Elles ont fait leur chemin à travers des difficultés beaucoup plus grandes. Cependant il ne faut pas méconnaître les faits et croire qu'une disposition légale sera utile quand elle ne fera, au contraire, que gêner l'administration et la science. La publicité, la discussion annuelle, voilà les véritables garanties du bon emploi des fonds en pareille matière. Je crois que ces garanties suffisent et que celles qu'on veut y ajouter seraient des entraves et non des garanties. Sans y mettre donc une extrême importance, sans demander avec insistance le rejet formel de l'amendement, je crois devoir soutenir qu'il n'atteindra pas le but qu'on se propose, et qu'il ne servira en rien les intérêts des études, de la science, de la bonne administration et de la civilisation. (Mouvements divers.)



LXXVIII



--Chambre des députés.--Séance du 10 juin 1836.--

La commission du budget avait proposé, dans le budget du ministère de la guerre, des réductions sur les demandes d'hommes et d'argent faites, par le cabinet que présidait M. Thiers, pour l'Algérie. Je pris la parole pour combattre ces réductions et pour appuyer les propositions du gouvernement.

M. Guizot.--Messieurs, je ne veux pas occuper cette tribune par surprise, ni que la Chambre se puisse un moment tromper sur mon intention. L'honorable membre qui a bien voulu me céder son tour de parole était inscrit pour appuyer les réductions proposées par la commission; je les repousse; j'appuie les demandes d'hommes et d'argent faites par le gouvernement pour les possessions d'Afrique. (Très-bien! Mouvement.)

Encore une observation préliminaire.

Tout à l'heure, au milieu du tumulte, la Chambre me pardonnera cette expression, qui s'est élevé pendant que l'honorable M. Desjobert parlait, j'ai été sur le point de regretter d'avoir demandé hier à la Chambre de prolonger jusqu'à aujourd'hui cette discussion. (Mouvement.) Un désordre contraire à la liberté du débat, et qui n'a été arrêté que par la fermeté courageuse dont je remercie notre honorable président (Très-bien!), est un des incidents les plus fâcheux, les plus contraires, je ne dis pas seulement à la dignité de nos discussions, mais à l'efficacité de nos résolutions, qui se puissent élever dans cette enceinte. (Très-bien!)

L'an dernier, un honorable membre qui siège maintenant au banc des ministres, prit la parole avec beaucoup de développement pour provoquer l'abandon de nos possessions d'Afrique, pour soutenir par toutes sortes de raisons, les unes politiques, les autres matérielles, d'autres purement morales, que c'était une possession onéreuse et funeste à la France. Je montai à cette même tribune pour répondre à l'honorable M. Passy. Que la Chambre me permette de lui rappeler quelques mots que je crois de mon devoir d'adresser à M. Passy, avant de le combattre;

«Avant d'entrer dans la discussion, j'éprouve le besoin de remercier le préopinant de la sincérité courageuse avec laquelle il a exposé ici ses idées; il a donné un noble et rare exemple, en disant au pays, en dépit des passions du pays, ce qu'il a considéré comme la vérité et l'intérêt national. Bien loin donc de m'en plaindre, quoique je ne partage pas les idées de l'honorable préopinant, je l'en remercie, j'en félicite la Chambre, et je regarde une telle sincérité comme un véritable service, un service moral rendu au pays.» Et la Chambre me fit l'honneur d'approuver ces paroles.

Messieurs, ce qui était vrai et bon il y a un an est également vrai et bon aujourd'hui. Il est bon, il est honorable pour le pays que chaque membre de cette Chambre vienne ici, avec une entière sincérité, malgré les opinions, malgré les nobles passions du pays lui-même, dire ce qu'il croit être l'intérêt du pays. (Très-bien! très-bien!)

Je sais parfaitement que cette liberté, cette publicité, cette discussion continuelle ont des inconvénients; nous les avons éprouvés depuis six ans, en discutant des intérêts bien autrement graves, bien autrement délicats et qui pouvaient avoir des conséquences bien plus funestes que celles qui peuvent résulter d'un débat sur nos possessions d'Afrique. Pendant quelques années, nous avons traité ici de la paix et de la guerre avec les puissances de l'Europe entière, nous avons parlé de toute l'Europe, de ses intentions, de ses gouvernements, avec une entière liberté. Nous avons qualifié...Je dis nous, quoique ce soit de l'opposition que je parle, mais quand il s'agit de liberté de la tribune, l'opposition et nous, c'est une seule et même chose, un seul et même intérêt. (Nouvelles marques d'approbation.) Et je dis cela, non par un sentiment de pure générosité, de loyauté envers nos adversaires, mais parce que j'ai confiance, une ferme confiance dans la vertu de nos institutions. Malgré tous les périls de ces discussions, malgré l'inconvénient d'alarmer sans cesse les puissances qui nous entourent, nous avons depuis six ans réussi à maintenir, à affermir la paix. La vertu de nos institutions, la puissance de la majorité, l'évidence des intérêts nationaux ont triomphé de tous les inconvénients de la chaleur des débats.

Il en arrivera de même à l'égard de nos possessions d'Afrique. Sans doute, il a pu y avoir des paroles excessives, des paroles imprudentes; des coeurs honorables, des intérêts légitimes ont pu être blessés par quelques mots qui sont tombés de cette tribune; mais l'opinion publique, la majorité prononcée de la Chambre sont là pour guérir ces blessures momentanées. Et puisqu'on a parlé de l'armée, puisqu'on a paru dire qu'il ne fallait pas parler de l'armée avec autant de liberté que nous en avons déployé en parlant de toutes les puissances de l'Europe, je dirai à mon tour que l'armée française aime, respecte tout comme vous, tout comme le peuple français, la liberté de la tribune (Très-bien! très-bien!) Je dirai que l'armée se sent honorée elle-même quand cette tribune est libre. Je dirai que nos soldats se sentiront, seront réellement honorés quand ils s'entendront recommander d'ici toutes les vertus, quand d'ici on leur parlera de modération, de douceur, de civilisation dans la guerre. Si on signale quelques désordres, quelques excès particuliers, ils sauront qu'on les signale pour faire sentir à l'armée tout entière qu'elle a des vertus civiques, des vertus humaines à déployer, aussi bien que des vertus militaires, et qu'elle est appelée à faire honorer partout, en Afrique comme en Europe, le nom français, aussi bien qu'à faire respecter la puissance française. (Très-bien! bravo!)

Ainsi, messieurs, toutes ces difficultés, tous ces embarras préliminaires écartés, j'aborde la question même.

Il y a une question qui n'existe plus, c'est celle de l'abandon ou de l'occupation de nos possessions d'Afrique. (Très-bien!)

Je dis que cette question n'existe plus: non-seulement elle a été constamment résolue dans le même sens à cette tribune, mais ce qui s'est passé depuis l'année dernière est la preuve la plus certaine qu'elle est irrévocablement résolue. Quand je vins dire l'an dernier à cette tribune que la France avait conquis Alger et qu'elle conserverait sa conquête, je répondais, comme j'avais l'honneur de le rappeler tout à l'heure à la Chambre, à un honorable membre, alors rapporteur de votre commission du budget, qui depuis a passé sur le banc des ministres. Il n'a point abandonné son opinion; j'estime trop son caractère pour le supposer; mais il n'a pu la faire passer avec lui dans le gouvernement. La conservation de nos possessions d'Afrique a subi cette épreuve que ses plus redoutables adversaires sont devenus membres du gouvernement et que l'opinion du gouvernement s'est de nouveau prononcée à cette tribune pour la conservation de nos possessions d'Afrique. Ce qui n'a pas été au pouvoir d'un membre du gouvernement, d'autres ne pourraient y parvenir. Aujourd'hui comme dans le passé, comme dans l'avenir, la conservation de nos possessions d'Afrique est une question vidée sur laquelle le débat est fermé. (Marques nombreuses d'assentiment.)

Puisque nous gardons l'Afrique, il faut la garder avec sécurité et dignité. Cela est évident.

Ces seuls mots, sécurité et dignité, excluent complètement, à mon avis, un système qui s'est produit plusieurs fois à cette tribune, qui est presque indiqué de nouveau par votre commission et que M. le président du conseil repoussait avec raison hier.

C'est le système de l'occupation purement militaire et intra muros d'un, deux ou trois points sur la côte.

Je ne sais pas ce qui aurait été possible, ce qui aurait été bon dans l'origine de la conquête. Il est clair qu'aujourd'hui un pareil système serait un véritable abandon, que la reculade serait évidente et d'un effet désastreux sur l'esprit des populations d'Afrique.

Il n'y a point ici d'analogie. Il ne faut pas nous parler de Gibraltar, de Malte et des possessions de ce genre que l'Angleterre occupe dans la Méditerranée. Du haut de Gibraltar l'Angleterre domine l'ouverture de la Méditerranée. Du haut de Malte, l'Angleterre domine le milieu de la Méditerranée. Mais que feriez-vous du haut d'Oran ou d'Alger? Vous ne domineriez rien, vous seriez en prison. (De toutes parts: C'est vrai!)

Les populations arabes vous entoureraient et vous emprisonneraient. Ainsi, au lieu d'avoir, comme l'Angleterre, ou la clef de la Méditerranée; ou un port admirable sur la Méditerranée, vous seriez dans une véritable prison. Un tel système ne supporte pas le moindre examen.

Reste donc, messieurs, la possession, la conservation du territoire africain que nous avons conquis. C'est ainsi que la question doit être posée. Eh bien! ainsi posée, y a-t-il ou n'y a-t-il pas deux systèmes de conduite, deux modes d'administration entre lesquels le gouvernement français soit appelé à choisir? Voilà la vraie question. Je la resserre à dessein dans ces limites, et c'est dans ces limites que je me propose de soumettre de courtes observations à la Chambre.

Je ne voudrais pas, messieurs, me servir du mot de système: c'est trop dire. La différence qui existe, au moins en commençant, entre les deux conduites qu'on peut tenir, je crois, à l'égard de nos possessions d'Afrique, n'est pas assez fondamentale, assez radicale pour qu'on puisse dire qu'il s'agit de deux systèmes en présence. Cependant je crois la différence réelle; et de même que deux lignes qui à l'origine sont presque parallèles, s'éloignent à mesure qu'elles se déploient, et avec l'aide de l'espace et du temps, peuvent conduire à des résultats fort contraires, quoique presque confondues à leur point de départ, de même deux conduites, deux modes d'administration, quoique très-semblables en apparence à leur origine, quoique entraînant les mêmes dépenses, exigeant les mêmes efforts, peuvent, dans l'avenir, différer essentiellement et avoir des conséquences, l'un utiles, l'autre contraires aux intérêts du pays.

Or, messieurs, il y a une conduite que je me permettrai d'appeler agitée, guerroyante, jalouse d'aller vite, d'aller loin, d'étendre brusquement, par la ruse ou par la force, la domination française, la domination officielle française, sur toutes les parties, sur toutes les tribus du territoire de l'ancienne régence.

Il y a une autre conduite moins inquiète, moins guerroyante, plus lente, plus pacifique, qui aurait pour objet d'établir fermement l'autorité, la possession française sur certaines parties du territoire, sur les parties appropriées aux premiers temps de notre occupation, et qui s'appliquant, de là, à entretenir de bonnes relations avec les indigènes, ne les inquiéterait pas immédiatement sur leur indépendance, ne leur ferait la guerre que par force, en cas d'absolue nécessité.

Eh bien! je crois que l'état de l'Afrique, l'état de la France, l'état de l'Europe, toutes les raisons imaginables repoussent la première conduite, la conduite guerroyante, agitée, et conseillent la conduite lente, pacifique, mesurée.

Quant à l'Afrique, je n'entrerai pas dans de longs détails; après tout ce que vous avez entendu, il est clair que nos possessions sont là couvertes de populations liées entre elles par l'identité d'origine, de religion, de moeurs, de langage, et naturellement liguées contre nous; de populations guerrières et qui peuvent le devenir bien plus encore, qui le deviennent davantage tous les jours; de populations qu'on ne peut, en aucune manière, assimiler ni aux Indiens de l'Amérique du Nord, ni aux Indous de l'Asie qui ont été conquis et domptés par la domination anglaise. Rien de semblable ne peut se passer en Afrique. La race arabe ne ressemble ni à la race rouge de l'Amérique du Nord, ni à la race jaune de l'Asie; elle est dans des conditions différentes; elle vous opposera une résistance bien plus énergique, bien plus organisée. N'imaginez pas non plus messieurs, que vous prendrez purement et simplement la place des Turcs, et que, parce que les Turcs ont réussi à étendre partout leur domination, vous réussirez comme eux. Je crains que cette analogie ne trompe beaucoup de bons esprits, et qu'elle ne courre le risque d'entraîner le gouvernement dans une mauvaise voie. Il y avait entre les Turcs et les Arabes une similitude de religion, de moeurs, d'origine, qui se prêtait à la domination d'un peuple sur l'autre: il y avait encore les habitudes de violence et de barbarie des Turcs dans leurs moyens d'administration; violence, barbarie que vous ne voulez pas, que vous ne devez pas employer. Ce qu'on vous a dit tout à l'heure sur la nécessité de respecter la législation du pays, ses usages, ses moeurs, tout cela est vrai, je ne le conteste pas. Cependant, sachez bien que toutes les fois qu'en vertu de ces moeurs et de ces usages, il se commettra en Afrique quelques-uns de ces actes que nous appelons excès, violence, désordre, cela retentira à Paris; vous aurez les débats que vous venez d'avoir; Paris n'est pas Constantinople. Quand à Alger, à Bone ou ailleurs, il se commettait de pareils excès, Constantinople ne s'en inquiétait pas, elle laissait faire, Paris s'en inquiétera, et il aura raison; c'est l'honneur de Paris, l'honneur de la France, de ne pas pouvoir souffrir, même en récits, de pareilles violences dans un pays où flotte notre drapeau, où nous commandons. Gardez-vous bien d'interdire ces débats, de les bannir; ils sont honorables pour la Chambre, pour le pays; ils entretiennent la force de votre civilisation, de vos moeurs, de vos lois; et c'est à ce prix, c'est à l'aide d'une telle impulsion que vous ferez pénétrer vos lois, vos moeurs, votre civilisation dans cette terre que vous occupez et à qui vous les devez. (Très-bien! très-bien!)

Encore une dernière circonstance de l'Afrique, qui est importante et qu'on a peut-être trop oubliée: il est vrai que l'ancienne régence, par les différents pachaliks qu'elle contenait, tenait encore par un lien à l'empire turc; mais enfin, l'indépendance étant à peu près complète, le gouvernement turc ne s'inquiétait guère de ce qui se passait en Afrique; il n'y avait pas de responsabilité politique du gouvernement turc à la régence d'Alger. Vous êtes dans une situation différente; vous n'avez pas en Afrique des deys qui se perpétuent par eux-mêmes; l'Afrique est gouvernée de Paris par les ministres du roi des Français, par le vote des Chambres, en sorte que la responsabilité en pèse sur le gouvernement du roi, sur la Chambre, sur vous tous, et que, puisque nous en répondons, c'est par nous-mêmes, c'est d'après nos propres idées, nos propres sentiments que nous devons régir ce pays. (Très-bien!)

Si je regarde la France, je trouve que le système de guerre, le système d'extension rapide et par voie de conquête, n'est pas moins contraire aux habitudes de la France et à notre situation en France qu'aux habitudes de l'Afrique et à la situation de ces peuples.

Un tel système entraîne nécessairement une masse de dépenses, de désordres, de violences, de souffrances, qui n'est pas compatible avec l'état actuel de nos moeurs et avec nos institutions. Il est très-vrai que le gouvernement représentatif, quoiqu'il ne soit pas étranger aux grandes choses, quoiqu'il ait fait de grandes choses et qu'il puisse, en fait de grandeur, se mettre à côté de tout autre gouvernement dans le passé aussi bien que dans le présent, il est très-vrai que le gouvernement représentatif ne sacrifie pas le présent à l'avenir; il est très-vrai qu'il ne se livre pas à des entreprises lointaines, autant que les gouvernements absolus; il est très-vrai qu'il est plus réservé, plus lent, par cela seul que la responsabilité y joue un rôle énorme. Ne demandez donc pas au gouvernement représentatif de fonder des colonies aux mêmes conditions que l'ont fait les gouvernements absolus. Les colonies des États-Unis ont coûté tout autant, peut-être même plus d'argent, plus de désordres et de sang que n'en coûteraient aujourd'hui des colonies en Afrique ou ailleurs. Mais cela se pouvait alors, cela ne se pourrait plus aujourd'hui. N'entreprenez pas ce que vous ne mèneriez pas jusqu'au bout. Vous vous plaignez avec raison de l'incertitude qui pèse sur nos idées et nos résolutions à l'égard de nos possessions d'Afrique. Si vous entrez dans un système qui choque nos sentiments et nos moeurs, un système tel que la bouche de vos meilleurs citoyens, de vos hommes les plus éclairés, vienne répandre sans cesse des doutes sur l'utilité, sur la légitimité de votre conduite, vous ne mènerez pas un tel système jusqu'au bout, et loin d'avoir réussi, vous tomberez dans la faiblesse parce que les voix qui s'élèveront, même dans votre sein, contre les résultats d'un tel système, ces voix-là vous frapperont d'impuissance.

J'ajouterai un seul mot sur l'Europe. Vous ne pouvez douter que notre belle position sur la Méditerranée ne soit un sujet d'inquiétude jalouse pour de certaines puissances. Vous ne pouvez douter qu'en particulier, à l'égard de nos possessions en Afrique, il n'y ait de secrètes pensées, je dirai volontiers de secrètes menées, qui ont pour objet de nuire à la sécurité de notre possession. Vous ne pouvez douter qu'il ne doive y avoir des efforts tentés pour reformer autour de nos possessions d'Afrique les confédérations arabes, la puissance turque, pour semer autour de nous des ennemis et des obstacles. Ce n'est pas une raison pour abandonner nos possessions d'Afrique, puisque au contraire cela prouve l'importance qu'elles ont aux yeux des puissances jalouses; mais c'est une raison pour nous d'agir avec une grande réserve, avec une grande prudence; vous aurez naturellement beaucoup de difficultés; n'y ajoutez donc pas vous-mêmes; ne prêtez donc pas le flanc plus qu'il ne faut à ces jalousies naturelles, inévitables; vous êtes condamnés en Afrique à être plus prudents, plus réservés, plus patients que partout ailleurs, puisque vous y êtes l'objet d'une inquiétude jalouse et peut-être de quelque chose de plus que de la jalousie.

Vous le voyez, messieurs, je n'entre dans aucun fait particulier; je les écarte tous, comme l'a fait hier M. le président du conseil. Je n'examine la question que dans ses traits généraux; il résulte évidemment, à mon avis, que le meilleur système, c'est celui que j'avais eu l'honneur d'indiquer l'année dernière à cette tribune, et que les résolutions du gouvernement du roi avaient ensuite sanctionné; ce système consiste à se fortifier, à s'établir bien solidement dans certaines parties du territoire, au lieu de promener promptement et par force la souveraineté française sur toutes les parties du territoire; à entretenir les meilleures relations possibles, les plus pacifiques possibles avec les indigènes, sans les inquiéter tous sur leur indépendance, sans inquiéter les divers chefs sur la petite portion de souveraineté à laquelle ils prétendent. Je sais, messieurs, qu'il n'est pas toujours aisé de se maintenir sur cette ligne, qu'il est facile d'être entraîné du système tranquille au système agressif et de la paix à la guerre; c'est là une pente périlleuse pour le gouvernement; c'est à lui de se défendre contre ce péril; il faut qu'il se défende des séductions militaires, des séductions de souveraineté complète et prompte; il faut qu'en matière d'expéditions, de promenades guerrières, il ne fasse que celles qui sont indispensables pour la sécurité, pour la dignité. Mais, cela convenu, messieurs, que la Chambre ne s'y trompe pas, elle doit se montrer très-large sur les moyens qu'on demande en hommes et en argent pour faire réussir l'établissement d'Afrique. Ce à quoi il faut qu'elle tienne par une volonté forte et simple, c'est à l'exécution fidèle et ferme de la conduite qu'elle aura adoptée, qu'elle aura reconnue une fois bonne; qu'elle fasse servir son influence sur le gouvernement à le défendre contre les entraînements auxquels il est exposé; c'est à cela que la Chambre doit employer son influence. Quoi qu'il arrive, elle sera responsable de notre conduite et de la destinée de nos possessions d'Afrique. Si l'on échoue, faute de moyens, la Chambre en sera responsable; on dira qu'elle n'a pas su soutenir l'administration. Si l'on échouait par précipitation, par esprit inquiet, agressif, on s'en prendrait également à la Chambre; on dirait qu'elle n'a pas su contrôler et contenir l'administration. Il faut que la Chambre soutienne et contienne; il faut qu'elle soit très-large et très-ferme en même temps. Pour mon compte, je vote sans réduction tout ce que demande le gouvernement pour nos possessions d'Afrique, et en même temps je conjure le gouvernement et la Chambre de bien considérer notre situation et la pente sur laquelle nous sommes placés. Il n'y a encore aucun parti fâcheux irrévocablement pris, aucune faute décisive; mais nous sommes, je le répète, sur une pente périlleuse; nous pourrions y être entraînés.

M. le président du conseil.--Je demande la parole.

M. Guizot.--La Chambre peut beaucoup pour avertir et retenir le gouvernement; je la conjure d'y employer toute sa sagesse.

Après le discours de M. Thiers et ses observations sur quelques-unes des paroles que je venais de prononcer, je remontai à la tribune:

M. Guizot.--Moi aussi, messieurs, je n'ai que quelques mots à dire; il y en a un qui me presse; je n'ai jamais eu et n'aurai jamais, à cette tribune, la prétention de donner des leçons à personne. Les paroles qui descendent de cette tribune ne sont point des leçons, nous y disons tous notre avis avec une entière liberté; c'est notre avis, rien de plus. (Approbation marquée.)

J'ai trouvé qu'en effet, dans le discours prononcé hier par mon honorable ami M. Duvergier de Hauranne, discours inspiré par un sentiment moral profond, et une raison très-éclairée, il y avait quelques paroles imprudentes; j'en dirai autant du discours prononcé tout à l'heure par l'honorable M. Desjobert.

Je l'ai dit comme je le pense; mais j'ai dit en même temps, et parce que je voulais exprimer toute ma pensée, que je rendais un éclatant hommage au noble zèle qui a animé ces honorables membres. Quand ils sont venus entretenir la Chambre de ce qu'ils regardaient comme un mal, un grand mal, un mal moral quelquefois pour je pays, je leur en ai su, je leur en sais un gré infini, et si j'ai trouvé dans quelques-unes de leurs paroles quelque imprudence, si j'ai regretté quelques mots, je me hâte de dire ou plutôt de répéter que je les remercie, pour l'honneur de mon pays, de leurs discours tout entiers.

Dans une occasion semblable et bien mémorable, messieurs, dans la Chambre des communes, à propos de l'abolition de la traite des nègres, M. Pitt, alors premier ministre, qui se connaissait, je crois, en fait de pouvoir, et qui n'était pas disposé à trouver bon qu'on parlât mal de son pays, M. Pitt, en entendant plusieurs membres de la chambre des Communes s'écrier, lorsqu'on racontait les atrocités commises par des Anglais sur les vaisseaux négriers: «Assez! assez!» M. Pitt se leva et dit: «Non, ce n'est pas assez; tant qu'il se commettra sur un seul vaisseau anglais un seul acte semblable, ce ne serait pas trop de tous les cris de la Chambre des communes tout entière pour en effacer le souvenir.» (Profonde sensation.)

Voilà quel fut, dans cette occasion, le cri du premier ministre anglais, cri honorable pour lui, pour la Chambre des communes, pour le pays tout entier.

Je reviens à la question. M. le président du conseil a raison; tous les faits qui se sont accomplis en Afrique, et à raison desquels on demande des suppléments d'hommes et d'argent, ont eu lieu sous l'administration de l'ancien cabinet. La même part de responsabilité qui appartient, à raison de ces faits, à M. le président du conseil, m'appartient également; je ne la répudie pas plus que lui. Mais je n'en suis point embarrassé. M. le président du conseil ne pense certainement pas que j'entretiendrai la Chambre de ce qui a pu se passer dans l'intérieur du conseil. Je dirai donc, sans parler en aucune façon ni du conseil, ni de ses délibérations intérieures, qu'après le débat de l'année dernière, après les instructions données à M. le gouverneur de nos possessions d'Afrique, il me parut plus d'une fois, pendant que j'avais l'honneur de siéger dans les conseils de la couronne, que l'esprit de ces instructions n'était pas parfaitement saisi, parfaitement suivi. Non-seulement j'eus pour mon compte cette impression, mais je crois me rappeler qu'il y eut certains actes, certaines dépêches de l'administration, qui furent inspirés par la même idée, par la crainte que l'esprit des instructions données au gouverneur de nos possessions d'Afrique n'eût pas été parfaitement compris et parfaitement suivi dans leur exécution. Je dis là un fait qui est, je n'en doute pas, aussi présent à la mémoire de M. le président du conseil qu'à la mienne....

M. le maréchal Clauzel.--Je demande la parole. (Mouvement de curiosité.)

M. Guizot.--Aujourd'hui je n'ai fait autre chose que porter à cette tribune le sentiment que j'avais alors; si j'avais continué à siéger dans le conseil du prince, il est probable que je n'aurais pas porté à cette tribune l'expression de ce sentiment, et qu'elle aurait trouvé sa place ailleurs; il est probable que j'aurais employé, pour exprimer mon opinion et pour la faire prévaloir, les moyens qui auraient été à ma disposition. Ayant changé de situation, siégeant aujourd'hui dans ce grand conseil du pays et du roi qui s'appelle la Chambre des députés, j'ai cru et je croirai toujours de mon devoir d'y dire mon avis, comme je le disais dans le conseil de la couronne, avec la même réserve et dans la même intention; dans l'unique dessein, non pas de donner une leçon aux ministres du roi, pas plus qu'à aucun de mes collègues, mais de m'acquitter de mon devoir et de concourir, selon ma situation et mes lumières, au gouvernement du pays; car, messieurs, ne perdez jamais de vue cette pensée: vous êtes une portion éminente du gouvernement du pays; la responsabilité qui pèse sur le gouvernement pèse sur vous. Vos conseils ont tant de poids, vos résolutions sont si décisives que vous ne pouvez échapper à cette responsabilité. C'est donc pour chacun de nous un devoir de faire tout ce que nous pouvons pour maintenir le gouvernement dans une ligne conforme aux intérêts de la France. Voilà ce que j'ai fait, rien de moins, rien de plus. Je remercie M. le président du conseil des assurances de prudence et de réserve qu'il nous a données quant à l'administration de l'Afrique. Je ne demandais pas davantage et je n'attendais pas moins de son excellent esprit et de sa sagacité. (Mouvement universel et très-prononcé d'approbation.)



FIN DU TOME DEUXIÈME.



TABLE DES MATIÈRES
DU TOME DEUXIÈME.


DISCOURS.

XLV.--Exposé du projet des motifs de loi sur l'instruction primaire présenté à la Chambre des députés le 2 janvier 1833. (Chambre des députés, séance du 2 janvier 1833).

Séance du 29 avril 1833.

Séance du 30 avril 1833.

Séance du 2 mai 1833.

Séance du 3 mai 1833.

Chambre des pairs, séance du 6 mai 1833.

--séance du 27 mai 1833.

--séance du 28 mai 1833.

Chambre des députés, séance du 1er juin 1833.

--séance du 17 juin 1833.

XLVI.--Discussion sur un projet de loi relatif à l'état de siège. (Chambre des pairs, séance du 16 février 1833.)

XLVII.--Discussion du budget du ministère des affaires étrangères pour 1833. (Chambre des députés, séance du 20 février 1833.)

XLVIII.--Proposition d'un projet de loi sur des récompenses nationales pour les familles de MM. Cuvier, Champollion jeune, Abel Rémusat, Saint-Martin, Chézy, morts dans le cours de l'année 1832. (Chambre des députés, séance du 2 mars 1833.)

XLIX.--Discussion du projet de loi sur les crédits supplémentaires pour l'exercice 1833. (Chambre des députés, séance du 6 mars 1833.)

Séance du 25 mars 1833.

L.--Débat relatif à la rétribution universitaire. (Chambre des députés, séance du 18 avril 1833.)

LI.--Explications relatives aux bourses dans les divers établissements communaux d'instruction publique. (Chambre des députés, séance du 13 mai 1833.)

LII.--Discussion sur le projet de loi relatif à la garantie de l'emprunt grec. (Chambre des députés, séance du 20 avril 1833.)

LIII.--Discussion du budget du ministère de l'instruction publique. (Chambre des députés, séance du 29 mai 1833.)

LIV.--Discussion du budget du ministère de la marine. Débat relatif à l'expédition dans les eaux du Tage et à la capture de la flotte portugaise. (Chambre des députés, séance du 11 juin 1833.)

LV.--Discussion de l'adresse de 1834. (Chambre des députés, séance du 3 janvier 1834.)

Séance du 6 janvier 1834.

LVI.--Débat sur l'étendue, les conditions et les formes du droit d'interpellation. (Chambre des députés, séance du 5 mars 1834.)

LVII.--Discussion du projet de loi sur les associations. (Chambre des députés, séance du 12 mars 1834.)

Séance du 21 mars 1834.

LVIII.--Discussion du budget du ministère de l'instruction publique. (Chambre des députés, séance du 8 mai 1834.)

Séance du 9 mai 1834.

Même séance.

Séance du 10 mai 1834.

LIX.--Discussion du projet de loi relatif aux détenteurs d'armes et munitions de guerre. (Chambre des députés, séance du 14 mai 1834.) 271

LX.--Discussion de l'adresse de la Chambre des pairs pour l'ouverture de la session de 1835. (Chambre des pairs, séance du 9 août 1834.)

LXI.--Explications relatives aux crises ministérielles survenues dans le dernier semestre de 1834. (Chambre des députés, séance du 5 décembre 1834.)

Séance du 6 décembre 1834.

LXII.--Débat sur le projet de loi relatif au crédit extraordinaire demandé pour la construction d'une salle des séances judiciaires de la cour des pairs. (Chambre des députés, séance du 30 décembre 1834.)

LXIII.--Continuation du même débat. (Chambre des députés, séance du 2 janvier 1835.)

LXIV.--Interpellations sur les causes de la crise ministérielle survenue à la fin de février 1835. (Chambre des députés, séance du 11 mars 1835.)

LXV.--Nouvelles interpellations sur les causes de la crise ministérielle survenue à la fin de février 1835. (Chambre des députés, séance du 14 mars 1835.)

LXVI.--Discussion du projet de loi relatif à la responsabilité des ministres et des autres agents du pouvoir. (Chambre des députés, séance du 17 mars 1835.)

LXVII.--Discussion du projet de loi relatif à la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir. (Chambre des députés, séance du 25 mars 1835.)

LXVIII.--Débat relatif à la réélection du général Sébastiani appelé de l'ambassade de Naples à celle de Londres. (Chambre des députés, séance du 8 avril 1835.)

LXIX.--Discussion du projet de loi pour l'exécution du traité du 14 juillet 1831, par lequel la France se reconnaissait débitrice des États-Unis d'Amérique pour une somme de vingt-cinq millions. (Chambre des députés, séance du 11 avril 1835.)

Séance du 17 avril 1835

LXX.--Discussion du budget du ministère de la guerre. Débat relatif à l'admission des élèves de l'École polytechnique dans l'instruction publique. (Chambre des députés, séance du 18 mai 1835.)

LXXI.--Discussion du budget du ministère de l'instruction publique. Débat concernant les études classiques littéraires et les études scientifiques. (Chambre des députés, séance du 29 mai 1835.)

LXXII.--Discussion du projet de loi pour l'exécution du traité du 14 juillet 1831, par lequel la France se reconnaissait débitrice des États-Unis d'Amérique pour une somme de vingt-cinq millions. (Chambre des pairs, séance du 11 juin 1835.)

LXXIII.--Discussion du projet de loi sur le mode de procéder du jury en matière criminelle. (Chambre des députés, séance du 17 août 1835.)

LXXIV.--Discussion du projet de loi sur la peine de la détention dans la déportation. (Chambre des députés, séance du 20 août 1835.)

LXXV.--Discussion du projet de loi sur la presse. (Chambre des députés, séance du 28 août 1835.)

LXXVI.--Discussion des fonds secrets demandés par le cabinet du 22 février 1836. (Chambre des députés, séance du 24 mars 1836.)

LXXVII.--Discussion sur les encouragements et souscriptions littéraires dans le budget du ministère de l'instruction publique. (Chambre des députés, séance du 31 mai 1836).

LXXVIII.--Discussion sur les affaires de l'Algérie. (Chambre des députés, séance du 10 juin 1836).

FIN DE LA TABLE DU TOME DEUXIEME.




PARIS.--IMPRIMÉ CHEZ BONAVENTURE ET DUCESSOIS, 55, QUAI DES AUGUSTINS.



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