La fabrique de mariages, Vol. 6
VIII
— Temps de bras, temps de hanche, temps de ceinture
et temps de cou. —
Parfum de roses! tendres émanations des acacias en fleurs! douce odeur des violettes! arome poético-culinaire de l’oranger, du thym et de la vanille! enivrantes effluves de toutes sortes qui avez vos gammes comme les sons et les couleurs, ô belles jouissances de l’odorat délicat et sensuel!—La salle de Barbedor! voilà une cassolette!
Tout ce qui peut exaspérer le nerf olfactif était réuni dans cette vénérable enceinte: la fumée des pipes et des cigares, l’huile des quinquets, le cuir des bottes, le vin des haleines, l’ail des fils de la Provence, le caoutchouc des hommes riches et bien mis, la pommade des demoiselles, combinée avec l’eau de Cologne perfidement glissée dans leurs mouchoirs, la garance des militaires, et par-dessus tout la puissante transpiration des bonshommes!
Ils sont presque tous du Midi. Le Midi est la terre des parfums. Quand un fort-et-adroit, natif d’Arles ou de Sète, est en effervescence, approchez-vous, si vous avez du cœur.
Aucune plante, depuis le syringa jusqu’au basilic, aucun animal, depuis la civette jusqu’au putois, ne possède assurément une aussi vaillante odeur. C’est le comble! c’est le sublime! Avec un seul Hercule de Tarbes, distillé convenablement, on empoisonnerait l’atmosphère de Paris tout entier et de sa banlieue.
Or, ils étaient dix, ils étaient vingt, tous plus ou moins charabias, tous disant: Qui est-ceu? tous jurant tron de l’air, et nourris d’oignons depuis leur plus tendre enfance.
On avait lutté déjà. Ils étaient tous en sueur. Chaque pouce carré d’air valait un demi-boisseau de guano pour l’agriculture.—Mais on va chercher bien loin les engrais qu’on a sous la main.
Vous auriez pu couper l’atmosphère au couteau. C’était superbe, Un oiseau du bon Dieu y fût mort en trois minutes.—Niquet et Palaproie ouvraient leurs narines gourmandes, ces dames s’éventaient avec les cartes du restaurant Barbedor; nos lions respiraient en désespérés la fumée de leurs cigares et les gamins de la galerie frétillaient comme le goujon dans l’eau sale.
Chaque être organisé se réjouit quand il trouve le milieu qui lui est propre. L’atmosphère est pour beaucoup dans la passion que beaucoup de gens comme il faut nourrissent pour les assauts de force et d’adresse.
L’atmosphère et les mâles harmonies de l’orchestre Soufflard!
Vingt-quatre hommes de cuivre! quarante-huit poumons de cannibales! polkas de Pilodo, valses de Musard: musique faisant sur l’oreille le bon et salutaire effet de l’étrille sur la peau.
Ce sont les assaisonnements nécessaires de la lutte, du bâton, du chausson et de la canne. Sans ces condiments appropriés, les dandys, les artistes, les bourgeois, les demoiselles, les gamins et les militaires ne trouveraient nul charme à ce spectacle.
Voici, cependant, Jean-François Vaterlot qui s’avance sur la pointe du pied, au milieu d’applaudissements frénétiques. Il dandine agréablement son vaste abdomen et se pose au centre de l’arène pour faire l’annonce.
L’annonce, au premier abord, semble peu de chose; mais il n’y a pas de petit détail.
Barbedor a la bouche en cœur et le sourire aux lèvres,—et, cependant, un observateur habile découvrirait sur sa large face quelques signes d’inquiète préoccupation.
Barbedor salua trois fois avec une grâce mêlée de dignité.
—Messieurs, dit-il en s’adressant spécialement aux gentlemen de cinq francs,—je n’ignore pas qu’il est de mon devoir de faire le boniment d’usage ici présent à cette place, au début, sur le coup de huit heures sonnantes, tel que l’affiche annonce le début de la soirée... Il a fallu que le diable s’en mêle pour m’excuser, quoique j’espère que Casseur ne s’est pas rendu désagréable à la société.
Il y eut un bienveillant murmure à l’adresse de Casseur.
Barbedor continua:
—En foi de quoi, nous allons compliquer la séance par le jeu d’adresse promis expressément entre M. Malebranche, élève du fameux Soubeyrol, et le jeune Mustapha, quarteron de Madagascar, d’où la reine du pays l’estimait à sa juste valeur.
—Bravo, Vaterlot, bravo!
NIQUET: Est-il bête, ce gros-là!
PALAPROIE: Pour bête... ça y est!
UN RAPIN qui est venu là pour étudier le muscle: Un commissaire! un sergent de ville! un gendarme!
UN HOMME SANS COL DE CHEMISE, s’approchant: Qu’est-ce qu’il y a?
LE RAPIN: Un invalide et quart qui parlent d’assassiner Louis-Philippe!
NIQUET, au rapin, noblement: Vous proférez une imposture, blanc-bec!
PALAPROIE: Ah! mais oui!
QUELQUES VOIX: Silence, la campagne d’Égypte!
NIQUET: On y était... avec honneur!
PALAPROIE: Attrape! dans le cinq cents!
MONTMORIN: Barbedor, vous parlez avec plus de facilité que l’année dernière.
FRÉMIAUX: Votre organe a gagné!
BEAUMONT: Vous êtes un orateur.
UN MEMBRE DE L’ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS (section de sculpture): Voyons ces torses!
QUELQUES CASQUETTES, à la galerie: Assez causé! le prince Albert de Madagascar!
BARBEDOR, aux dandys: Flatté comme toujours d’avoir su vous plaire... En foi de quoi, les susnommés vont avoir l’honneur de travailler sous vos yeux et... allez, la musique!
M. Malebranche, élève du fameux Soubeyrol, arriva en marchant sur les mains; Mustapha, quarteron, favori de la reine des Madécasses, se présenta en exécutant une série de sauts périlleux par le flanc à la manière indienne. Cela fit bien plaisir à la société.
Ils se mirent en garde. L’élève de Soubeyrol était un Spartacus de faubourg, blanc comme du lait et bâti à l’avenant. Mustapha avait un corps de chimpanzé et une figure d’alligator.
Barbedor s’écria avant de rentrer dans le vestiaire:
—Attention! c’est une belle partie... ces deux hommes ont du talent... Assez de musique!
Je crois bien qu’ils avaient du talent! Le Struensée malgache surtout. Quel favori! A peine la première poignée de main d’usage était-elle donnée et reçue, qu’il écrasa d’un coup de pied le nez étonné du faubourien.—Bravo!—Le faubourien voulut répliquer par un arrêt sur place; mais, ramassé aussitôt, il mordit la poussière aux applaudissements du public.
—Un peu plus de soin, Malebranche! dit Casseur sévèrement.
Malebranche obéit et fit un rouge à l’œil du Malgache. La couleur de ce sauvage Monaldeschi ne permettait pas qu’on lui fît un noir. Il poussa un rauque hurlement. Les nègres n’aiment pas à être battus, malgré tout ce que disent les abolitionnistes. Il porta deux coups de boxe, de pied ferme; puis, voltant avec une prodigieuse rapidité, il posa la main droite par terre et lança son pied gauche à l’oreille de Malebranche.
Celui-ci se fâcha, malgré le célèbre nom de philosophe qu’il avait l’honneur de porter. Il se rua sur Mustapha et parvint à lui incommoder l’autre œil.
Alors, tous les deux y allèrent de bon cœur, à la grande joie des casquettes et même des chapeaux doublés de blanche soie. La lutte se fit sérieuse. Coups de poing et coups de pied plurent comme grêle. Le faubourien rugissait comme un lion; le nègre montrait en grinçant la double rangée de ses dents de crocodile. C’était horrible à voir.
Bravo! Convenons d’une chose. Il n’y avait que Barbedor pour donner des satisfactions pareilles à ce public d’élite. Les autres directeurs escamotent l’affiche; Barbedor, au contraire, allait au delà des promesses de l’affiche.
Quel homme! et que son souvenir est resté profondément gravé dans le cœur de ceux qui aiment les torgnoles sincères!
Eh bien, le croiriez-vous? pendant que cette belle partie avait lieu, pendant que ces deux hommes de talent s’assommaient loyalement et de bonne loi, Barbedor était distrait, Barbedor songeait, Barbedor n’aurait pas su dire lequel de Malebranche ou de Mustapha avait reçu le plus d’atouts.
Il s’appuyait, mélancolique, au montant de la porte du vestiaire.
Jean Lagard l’observait du coin de l’œil.
On eût dit que la préoccupation de son oncle le gagnait. Il était inquiet, et plus d’une fois déjà, depuis que la séance était commencée, ses collègues l’avaient entendu grommeler:
—Il y a anguille sous roche!
Au moment où le Malgache et le faubourien s’entre-prodiguaient le plus généreusement les produits de leur industrie, Barbedor se sentit toucher l’épaule par derrière.
Il tressaillit. Dans la situation d’esprit où il était, le premier mouvement est toujours la frayeur.
—Qu’est-ce que tu as donc, papa? lui demanda Jean Lagard, dont les yeux perçants étaient fixés sur ses yeux.
Le cabaretier haussa les épaules avec mauvaise humeur.
—Ce n’est que toi! gronda-t-il.
—Et qui croyais-tu donc que c’était, papa, pour avoir si grand’peur? insista Jean.
—Moi, peur?...
—Papa, tu as mauvaise figure!... Tu n’es pas à ton affaire.
Barbedor essaya de sourire.
—Grand fou! murmura-t-il en rentrant dans son rôle.
Car, depuis quelque temps, il accablait son neveu de caresses.
—Je ne sais pas si je suis fou, papa, répliqua Jean,—mais tu as quelque chose.
—Allons donc! protesta Vaterlot.
—Je n’aime pas à te voir ainsi, continua Jean Lagard,—parce que je me souviens et que je me méfie.
—Tape-t-il bien, ce Malebranche! fit Barbedor.
—Tu sais bien, papa, l’interrompit Lagard en le saisissant par le bras,—qu’avec moi, feintes, fausses attaques et remises ne servent à rien... Où as-tu été tout à l’heure?
—Bon! s’écria le cabaretier,—voilà que je te dois des comptes, à présent!
—Tu ne veux pas me dire?
—Non... Je ne peux donc plus avoir mes affaires, avec un établissement comme le mien!...
—N’y a pas d’affaires pour te forcer à quitter ton rang au moment de l’annonce.
—Paraît que si...
—Pourquoi n’a-t-on pas envoyé la stalle à mon cousin Vital?
—On l’a envoyée.
—C’est un faux!... il serait là!... Il me l’avait promis!... Et ma marraine, maman Carabosse, lui a-t-on envoyé son billet?
—Aussi vrai que Dieu est Dieu...
—Papa, c’est comme ça que tu parles chaque fois que tu vas mentir!... Fais attention à une chose: c’est que, s’il y a du Garnier sous jeu, ce n’est pas avec les amis que je vas me prendre!
Un tonnerre d’applaudissement lui coupa la parole.
Le faubourien, littéralement tatoué de coups par le nègre, avait fini par le saisir dans ses bras et faisait le tour de la salle en le brandissant au-dessus de sa tête. Le caïman, furieux, déchaussait sa machine et cherchait en vain à se dégager.
—La musique! cria Barbedor.
Sur l’honneur, les déchirants accords de l’orchestre Soufflard parurent douçâtres après ce qu’on venait de voir.
—L’ancien, dit Niquet en abordant Vaterlot,—nous sommes venus, nous deux Palaproie, voir vos bamboches avec notre argent... Vous ne nous remettez pas?... Nous avons trinqué ensemble avec Roger, là-bas, sur l’esplanade.
—Ah! mais oui! appuya l’adjudant, et c’était pas de la piquette.
—Payez-vous un verre de quelque chose? demanda franchement le sergent;—votre contrôle a mis la caisse à sec.
—Ça y est! fit Palaproie;—rien dans les mains, rien dans les poches.
Barbedor ne fut pas fâché de trouver quelqu’un sur qui décharger sa sourde colère.
—Qui m’a amené cette vieille paire de pique-assiettes! s’écria-t-il;—Casseur! mets-moi cela au dépôt des béquilles et parapluies!
—A moi, l’autorité! dit Niquet,—j’ai payé ma place, prix fort!
—A moi, l’armée! hurla plaintivement Palaproie:—au vieux drapeau insulté par les amis de l’étranger!
On ne sait pas comment ces choses se font. En un clin d’œil, tous les gamins de Paris étaient descendus de la galerie et entouraient la porte du vestiaire.
Certes, nous ne nous sentons pas de force à combattre en bloc tous les préjugés naïfs du peuple le plus spirituel de l’univers. Le Parisien jure par la gentillesse du gamin comme il s’attendrit sur l’honnêteté de l’Auvergnat, sur la fidélité du Savoyard, sur la vénérabilité de l’invalide. Ce sont là des proverbes aussi véridiques que la locution fameuse: fort comme un Turc! Bornons-nous à dire timidement qu’il est sage de ne point tenter l’Auvergnat, de surveiller le Savoyard et de tenir à distance le gamin et l’invalide.
L’invalide et le gamin surtout sont à redouter.
Niquet et Palaproie, se voyant soutenus par leurs alliés naturels, commencèrent un chant alterné à la façon des bergers arcadiens de Virgile.
Niquet éditait les outrages; Palaproie les approuvait par des ah! mais oui! et des ça y est! bien nourris.
—Quoi donc! fit Niquet en se retirant vainqueur;—voilà ce que c’est que de s’encanailler, comme on dit, et d’aller avec des personnes de basse classe! Si nous n’avions pas fréquenté le Roger, qui a été mis à la porte de chez l’homme qui entretenait sa fille, nous n’aurions pas fait la connaissance de monsieur!
—Voilà où en est l’histoire! murmura Frémiaux.—Mais quand donc Achille épouse-t-il son astre?
—On parle de le faire interdire, repartit M. de Beaumont;—et je ne sais plus qui m’a dit que le parquet s’occupait de madame de Sainte-Croix.
—Pas possible!
—Grévy est là dedans... surtout sa femme.
—Cette Béatrice était bien belle!... soupira Montmorin.
C’était comme une oraison funèbre.
Il fallut la force publique pour remettre en place Niquet, Palaproie et le gamin. Encore, la force publique eût-elle échoué à rétablir le silence, si l’orchestre Soufflard, déchaîné à propos, n’eût fait pleuvoir tout à coup cette averse de notes offensantes qui stupéfie.—Un homme d’esprit, du temps de Louis-Philippe, avait inventé les pompes contre l’émeute. C’est usé désormais. Essayez à l’occasion l’orchestre Soufflard, et vous verrez la révolution détaler en se bouchant les oreilles.
—M. Faydenier, déclama cependant Barbedor,—contre M. Mélussart, pour un assaut de canne... La société est priée d’y donner toute son attention, M. Mélussart venant de Bruxelles, où il a récolté une riche moisson de succès, et M. Mélussart ayant eu l’avantage de se donner en spectacle à Son Altesse royale le fils aîné de l’empereur de Russie.
—Altesse impériale, rectifia le rapin.
—Royale ou impériale, vous, là-bas, la chemise de l’été passé, riposta Vaterlot,—c’est inférieur, vu que c’est tous les deux des hommes de talent, distingués dans leur partie.—Pas de musique, vu l’heure avancée!
Que dire d’une assemblée qui n’eût pas applaudi à ces chaleureuses paroles!
L’absence de la musique fut surtout appréciée.
M. Faydenier et M. Mélussart entrèrent en scène d’un air noble. Ils avaient tous deux cette belle tenue des hommes de l’art qui ont longtemps manié la trique, pour employer l’expression un peu familière du métier. Ils se campèrent sur les jarrets, une main à la hanche, et prirent tous deux la garde de quarte pour saluer.
Le salut de la canne est long. Les gens qui s’y connaissent le savourent comme un dilettante déguste une sonate de Beethoven.
Puis les masques furent mis, et nos deux champions tombèrent en garde de tierce. L’air coupé siffla. Les deux cannes, frappées tour à tour, résonnèrent. Le sol trembla sous les appels. Tête-bleu! M. Faydenier eut le flanc sanglé par un coup franc qui lui ôta la respiration; mais M. Mélussart reçut un plein coup de tête, suivi, à court intervalle, d’un coup de fouet qui lui trancha la cuisse...
Mais trêve aux comparses. Le souverain public est las de s’amuser aux bagatelles de la porte. Il a prononcé son arrêt:
—Une belle en trois coups!
Puis cent voix à la fois:
—Jean Lagard! Jean Lagard!
Barbedor parut et dit avec émotion:
—Vous allez l’avoir... Je n’ai pas besoin de vous spécifier ce qu’il est... Les bonshommes qu’il va tordre sous vos yeux ont fait leurs preuves... Plantehoux, dit le Poteau de Béziers, Boichel, dit le Redoutable Auvergnat, Lenfant, dit le Toulousain Sans-Quartier, Muscamel, dit le Buffle de Carpentras sont tous des premiers sujets... et y a bien qui feraient une affiche avec un seul d’entre eux...
—C’est vrai! c’est vrai! approuva la partie équitable du public.
—Vous allez l’avoir! reprit Barbedor,—et, si vous ne l’avez pas eu plus tôt, c’est qu’il veut vous servir un plat de son métier... Il ne se contente pas d’affronter quatre hommes, il veut les tomber l’un après l’autre sans souffler, comme des capucins de cartes...
—Bravo! vivat! vivat!
—Parbleu! dit Niquet, qui était maintenant de l’opposition,—ils s’entendent!
—Ah! mais oui! soutint Palaproie.
Mais leur faible voix fut étouffée par l’enthousiasme général.
—Allez, la musique!
Si l’enthousiasme n’avait pas suffi, c’était là de quoi étouffer de bien autres bruits que les clameurs essoufflées de nos deux invalides.
Jean Lagard bondit dans l’arène, suivi de son premier antagoniste, l’illustre Plantehoux.
Jean était nu, comme c’est la coutume. Un étroit caleçon rayé rouge et noir lui serrait les reins. C’était la perfection de la structure humaine, et vous eussiez dit, quand il se posa immobile au milieu de l’arène, un marbre antique, échappé par miracle aux injures des siècles.
M. Plantehoux était beaucoup plus grand et beaucoup plus gros que Jean. Il présentait le type accompli de cette vulgaire vigueur qui émerveille nos foules en foire: bras volumineux et musclés brutalement, jambes pléthoriques, vastes épaules supportant un cou très-court, surmonté par une tête de batracien. En marchant, il faisait saillir ses pectoraux, et ses poignets, posés sur ses hanches, gonflaient par un effort coquet et caché ce bourrelet brachial dont les athlètes sont si fiers et dont le nom scientifique est tombé dans le ruisseau: les biceps.
En voyant ces deux hommes en face l’un de l’autre, tout profane eût parié pour M. Plantehoux. Mais il y avait peu de profanes chez Barbedor et ce fut Jean Lagard qui fut bruyamment acclamé.
Après quoi, on les vit se poser tous deux souriants et alertes, puis se tâter.
Se tâter, c’est chercher la prise.
Ce jeu a véritablement quelque chose de gracieux et de mystérieux. Rien dans ses préludes n’annonce les violences du dénoûment. Ils sont là, calmes et en apparence débonnaires. Leurs têtes amies se touchent. Leurs mains luttent si doucement, que vous croiriez à des caresses.
Mais, tout à coup, l’un d’eux a écarté d’un mouvement rapide les mains de son adversaire. Il a trouvé un passage: ses deux bras étreignent les reins de l’autre, qui se roidit, qui gémit, qui souffle et met tous ses efforts à ne pas perdre plante. C’est vif comme une explosion. Avant que vous ayez le temps de voir comment la chose est advenue, un des deux champions a mordu la poussière.
M. Plantehoux, dit le Poteau de Béziers, lutteur émérite, sachant sur le bout du doigt tous les coups possibles, n’avait qu’un soin: se garer. Il n’attaquait jamais et se retranchait dans sa prudente et savante défense.
Jean Lagard n’en était pas là. Jean Lagard avait à soutenir sa réputation éclatante. La défense lui était interdite. On attendait de lui l’attaque brave et dangereuse, qui livre toujours son homme. Noblesse oblige.
Jean Lagard, après deux ou trois minutes de prélude exécuté dans le grand style, ceintura M. Plantehoux, l’enleva de terre et le lança à trois pas. Plantehoux tomba sur le flanc gauche et dit:
—N’y est pas!
Jean sourit, se livra, fut ceinturé à son tour, se dégagea comme une anguille et laissa M. Plantehoux, terrassé sur le flanc droit.
—N’y est pas!
—Ça va venir, murmura Barbedor, qui oubliait toute préoccupation pour se livrer aux jouissances de son dilettantisme éclairé.
Jean vint bonnement se présenter de dos à M. Plantehoux, que la colère rendit écarlate. Plantehoux n’était pas sans savoir que cet insolent défi cachait une feinte; mais, en rassemblant toute sa force pour étouffer son homme, au moment où on l’enlève de terre, il n’y a pas de feinte qui tienne.
Chacun pouvait lire sur la figure de Plantehoux quel effort désespéré il allait tenter. Ses muscles se roidissaient par avance et les veines de son front se gonflaient.—Il opéra la prise en poussant un cri rauque. On entendit ses deux mains claquer en se rejoignant sur le ventre de Jean, qui fut enlevé de terre comme une plume et renversé si brutalement, que chacun craignit pour sa vie.
Mais Jean, souple comme un serpent, se retourna en l’air, sans lâcher le bras gauche de son antagoniste. Il retomba élégamment sur ses deux mains, et, voltant avec le bras de Plantehoux, emprisonné sous son aisselle comme dans un étau d’acier, il l’entraîna, vaincu, dans son mouvement de rotation et le coucha tout doucement sur les deux épaules.
—Il y est! il y est! il y est! cria la foule.
Plantehoux se releva, salua et s’enfuit, tandis que Jean Lagard, souriant aux applaudissements de la foule, disait avec bonhomie:
—Un petit temps de bras!
Dans la lutte, les différents coups se désignent par ce mot temps.
Barbedor s’essuya le front; car il peinait plus que les lutteurs en scène.
—Ah! nom d’un cœur! murmura-t-il,—quel amour!... Est-ce exécuté? Ça vaut-il l’argent?... M. Plantehoux est un premier sujet...
—A un autre, papa! dit Jean Lagard, qui frottait dans la sciure ses mains mouillées.
—Tu ne veux pas souffler un peu, neveu?...
—Reposez-vous, Jean, reposez-vous, dit le public.
—Pas besoin, répliqua Lagard;—envoyez!
—Hein!... fit Barbedor,—quel amour!... Avance, monsieur Boichel... Messieurs et dames, c’est M. Boichel, dit le Redoutable Auvergnat, homme de talent et beau lutteur... Tais-toi, la musique!
Avez-vous vu un tigre se raser et bondir? Ce Redoutable Auvergnat avait des allures de bête fauve. Loin d’avoir la pesanteur de ses compatriotes, il était bâti comme un Arabe: long corps, longues jambes, bras démesurés, peau de cuivre, abondamment velue, et que sa musculature, qui semblait un réseau de cordes, soulevait au moindre mouvement. De loin, il avait l’air d’une de ces études anatomiques qu’on nomme des écorchés. Ses tendons, rudement dégagés, semblaient en dehors de son épiderme.
Une barbe épaisse couvrait sa face basanée. Son front bas se montrait à peine entre ses cheveux crépus et ses sourcils hérissés, au-dessus desquels ses yeux brûlaient: deux charbons ardents.
M. Boichel était vierge de toute chute. On pouvait bien le renverser, mais jamais sur les deux épaules. Son agilité de chat sauvage le préservait toujours.
—Allons, vieux, lui dit jovialement Jean Lagard; faut pourtant y passer!
Il n’avait pas achevé, que Boichel lui nouait ses deux mains noires derrière la nuque. C’est le coup favori de ces lutteurs plus agiles que vigoureux qui cherchent à user, à fatiguer, à congestionner,—si l’on peut parler ainsi,—Hercule, plus lourd. Voyez le serpent aux prises avec le buffle...
Quand Boichel tenait, c’était pour tout de bon. Il était d’acier, ce chacal! Il avait une si terrible manière de secouer la nuque des gens qu’il voulait étourdir, qu’on se sentait venir la sueur froide à regarder cette lutte. Là-bas, dans le Midi, deux ou trois bonshommes étaient morts d’apoplexie sous sa main.
Cela fait bien dans les états de service d’un fort-et-adroit.
Jean Lagard avait donné sa tête bonnement. Il se laissait secouer avec une patience angélique. Ses cheveux allaient et venaient, fouettant tour à tour son visage et sa nuque; mais il n’avait pas l’air d’en éprouver beaucoup de gêne. Ses deux mains s’appuyaient contre ses cuisses, et il tournait tranquillement, suivant les furieuses évolutions de Boichel.
—Tu vas le décoller, coquin! dit Barbedor, qui n’avait plus un fil sec sur le dos.
—C’est de franc jeu! ripostèrent les amis de Boichel; chacun sa manière!
Boichel, se voyant soutenu, redoubla d’efforts. Il avait l’air d’un diable acharné après une âme en peine.
Jean Lagard se mit à rire.
—C’est drôle, dit-il, que rien ne peut me donner la migraine, à moi!
Vous jugez du succès de rire.
Boichel en devint littéralement enragé.
—La! la! fit Jean, ne nous emportons pas, ma poule... Tu commences à me gêner un petit peu.
Il se redressa brusquement, jetant son torse en arrière et ne prenant même pas la peine de retirer ses mains appuyées contre ses cuisses. Il souleva ainsi Boichel, suspendu par ses propres bras.
—De quel côté veux-tu tomber? lui demanda-t-il.
Boichel, râlant et grinçant, essayait de l’étrangler.
—Tu piques, la mouche! s’écria Jean.
Et, rabattant sa tête tout à coup, il pesa sur la poitrine de l’Auvergnat, qui s’en alla rouler tout au bout du tapis. Jean n’avait pas fait usage de ses mains.
Pendant que la salle éclatait en trépignements, Boichel se releva et se rua pour ressaisir sa proie: la tête de Jean. Il était tombé sur les reins, mais une seule de ses épaules avait touché le tapis.
Jean évita l’attaque en se jouant.
—Je n’en veux plus, dit-il, et je vas te punir par où tu as coutume de pécher.
Il s’élança à son tour, et, malgré les sauts prodigieux de l’Auvergnat, il le saisit par le cou. Alors commença une sorte de promenade circulaire. Boichel, se débattant comme un démon, et Jean, tranquille comme s’il eût fait les cent pas bras dessus bras dessous avec un ami, se mirent à tourner autour du tapis. Le bras de Jean maintenait sous presse la tête de Boichel.
Au commencement du troisième tour, Jean dit:
—Ce serait méchant de le faire languir.
Il pesa sur le cou en tournant sur lui-même et en faisant saillir brusquement sa hanche droite. Le corps de Boichel bascula sur cette hanche comme sur un pivot. Il resta un instant les jambes en l’air; puis il s’étendit sur le dos, en plein, comme un noyé à la Morgue.
Jean mit ses mains derrière son dos, sourit, salua et dit:
—Temps de hanche!
Boichel s’esquivait tout honteux.
—N’y a pas d’affront! lui dit Barbedor avec emphase; quand on est tombé par mon neveu, ça ne compte pas... Allez, la musique! Tonnerre du ciel! du tapage pour cinquante sous!
Jean Lagard fit un geste de souverain commandement aux musiciens, qui prenaient déjà leurs cuivres, et s’écria de sa bonne voix sonore et franche:
—A un autre!
—A un autre, puisqu’il le veut! répéta Barbedor. Vous feriez le tour du monde, mes amis, avant de rencontrer son pareil!
Frémiaux et les autres dandys adressaient au vainqueur des félicitations exprimées en termes techniques. De nos jours, un des grands mérites des jeunes sens à la mode est de connaître à fond tous les argots. Cela dispense de parler correctement le français, ce qui est bien commode.
—Messieurs, reprit Barbedor, j’ai l’avantage de vous annoncer M. Lenfant, dit le Toulousain Sans-Quartier, homme de talent et de résistance.
Lenfant était un grazioso, un favori. Il fit son entrée en franchissant à saute-mouton les vastes épaules de Jean-François Vaterlot. C’était un grand et beau gaillard, presque aussi bien proportionné que Jean lui-même. Il avait les bras et la poitrine criblés d’hiéroglyphes tracés au tatouage: des lyres, des cœurs, des canons croisés, des bonnets de la liberté, des drapeaux, des poignards, des grenades, des chiffres, des triangles maçonniques. C’était un véritable album que le corps de ce superbe garçon.
Jean et lui se donnèrent la main et dansèrent, avant de commencer, un petit bout de farandole.
Ils se prirent ensuite loyalement, bras de ci, bras de là, comme on fait dans les luttes bretonnes, où toute la partie d’escrime est supprimée pour ne laisser place qu’à la force pure.
Il était facile de voir que Lenfant était de taille à tenir tête à Jean Lagard. Ce fut, en effet, une lutte de beau style, sans échappées ni reculades. Jean, déjà un peu las, malgré sa puissante haleine, ne donna pas d’abord tous ses moyens. Il tomba deux fois sur les mains, tandis que Lenfant ne toucha terre qu’une fois. A la troisième reprise, les fanatiques de Jean ne savaient trop que penser.
—Cinquante louis pour Lenfant! proposa Montmorin.
Personne ne releva le gant et ce fut Lagard lui-même qui répondit:
—Tenus!
Lenfant, s’adressant à Montmorin, demanda:
—Qu’y aura-t-il pour moi?
—Moitié.
—Voyadioux! alors, nous allons la danser.
Le jeu se serra aussitôt des deux côtés, et Lenfant, favorisé par la chance, eut une excellente prise. Les pieds de Jean perdirent plante et il fut obligé de mettre ses deux mains sur la figure de son adversaire comme cela se fait en pareil cas.
Il y eut dans la salle un grand silence; parmi ce silence, on entendit la pluie qui tombait au dehors.
Et, tout à coup, une petite voix doucette s’éleva du côté de la rue Saint-Fiacre.
Elle chantait:
—Voilà le plaisir, mesdames, voilà le plaisir.
—Tiens, fit Niquet, maman Carabosse!
—Ça y est! ajouta Palaproie, fidèle comme l’acier.
—Et par un temps pareil! reprit le vieux sergent.
Barbedor, qui suivait d’un œil ardent la lutte, tressaillit de la tête aux pieds et changea de couleur.
Les mains de Jean Lagard quittèrent les joues de Lenfant. Il se prit à prêter l’oreille aussi attentivement que s’il eût été debout et tranquille sur ses pieds.
Lenfant, profitant du moment, le fit valser et le renversa selon l’art. Un grand cri s’éleva. Chacun crut à la défaite de Jean.
—Il y est! il y est! clamait-on déjà.
Mais Jean s’était retourné comme une carpe entre ciel et terre. Il tomba pour la troisième fois sur ses mains, et resta immobile, continuant à écouter.
On n’entendait plus que la pluie versant ses torrents. Le chant ne se renouvela point.
—Renonces-tu, Jean? demanda insolemment le Toulousain Sans-Quartier.
—Il en a assez pour une fois, dit Niquet.
Et Palaproie, enchanté:
—Ah! mais oui!
Barbedor s’avança.
—Es-tu blessé, neveu?
—On connaît la chose! dit Lenfant, dont l’impertinence allait croissant: c’est des échappements et des couleurs... S’il est blessé, faut que le médecin donne un certificat!
Jean fit un petit signe de tête et prononça:
—Non, je ne suis pas blessé.
—Alors, en avant! crièrent cent voix; on n’est pas ici pour dormir!
—Qu’il se lève ou qu’il renonce!
—Renonces-tu, Jean? renonces-tu?
—Non, répondit Jean très-froidement, je ne renonce pas... Mais écoutez voir un peu.
Il tendit l’oreille dans la direction de la rue Saint-Fiacre.
—Il veut acheter du plaisir! dit Niquet.
Quelques rires s’élevèrent. Jean se tourna vers son oncle en disant:
—J’avais donc bien entendu!
Barbedor haussa les épaules.
Jean était sur ses pieds.
—Brûlons ça! gronda-t-il;—je n’ai plus le temps de m’amuser!
Lenfant se présenta aussitôt de bonne grâce. D’un mouvement rapide comme l’éclair, Jean le saisit aux reins. A dater de cet instant, il n’y eut plus un pas de fait. La lutte eut lieu sur place. On vit d’abord disparaître le brutal sourire du Toulousain Sans-Quartier, qui fit un effort désespéré pour se retourner entre les bras de Jean et lui donner le temps de hancher; mais ces deux bras serrés autour de sa taille étaient comme un moule d’acier.
Jean ne fut même pas ébranlé.
La bouche de Lenfant s’entr’ouvrit; ses tempes battirent; ses jambes eurent un tremblement, et peu à peu l’angle de cambrure de ses reins se referma.
Le silence s’était rétabli si profond, qu’on entendait le tic tac de la pendule à poids, fixée au mur.
Lenfant roula ses yeux injectés de sang. Ses bras s’ouvrirent tout grands. Il poussa un cri de détresse. Jean le déposa sur le tapis comme un fardeau.
—Temps de ceinture! dit-il.
La bourse de Montmorin vint sonner à ses pieds, tandis qu’une salve épileptique d’applaudissements ébranlait les fondations du château de la Savate.
Jean Lagard tendit la main à son adversaire et lui dit en montrant la bourse:
—Moitié pour toi!
Puis, s’adressant à Barbedor:
—J’ai besoin de sortir, dit-il;—faut remettre la dernière lutte à la fin de la soirée.
—C’est impossible, répliqua Vaterlot, qui baissa les yeux après l’avoir regardé avec défiance;—l’annonce est faite, et c’est toi-même qui l’as voulu.
Jean lui mit la main sur l’épaule.
—Papa, dit-il, c’est moi aussi qui t’ai promis que tu ne me tromperais plus qu’une fois... Il y a quelque chose... Vital n’est pas ici... j’ai entendu la voix de ma marraine.
Barbedor fit signe à la musique, et les vingt-quatre cuivres se mirent aussitôt à hurler.
Figurez-vous bien que ces cuivres aiment leur lamentable état. Leur plus grande peine est de se taire.
Mais il fallait bien se taire quand Lagard avait fantaisie de parler.
—La paix! cria-t-il d’une voix qui éclata comme un coup de tonnerre;—apportez-moi le Buffle! J’ai de l’ouvrage, ce soir, et je veux finir ici tout de suite... Bonjour, Muscamel! mon vieux, je vais te faire un temps de tête, pour le bouquet.
D’habitude, MM. les lutteurs sont muets. Jean Lagard avait des priviléges.
M. Muscamel, dit le Buffle de Carpentras, méritait incontestablement son surnom. Il était plus lourd que Plantehoux, et, contre l’ordinaire des forts-et-adroits, ses muscles énormes avaient une riche doublure d’embonpoint. Son crâne, aplati comme la tête d’une grosse couleuvre, et son cou de taureau semblaient le mettre complétement à l’abri du coup annoncé par Jean Lagard.
—Va pour la tête, dit-il en frottant ses mains dans la sciure;—moi, je ferai comme je pourrai.
Il salua et se campa. C’était un obscène athlète: obèse et blafard de peau, seins de nourrice, ventre de Silène.
L’idée d’essayer le temps de tête contre une pareille masse devait sembler extravagante.
Mais Jean Lagard était pressé.
Il se présenta de face, comme s’il eût voulu escarmoucher un peu avant la bataille; ses deux pieds frappèrent à la fois le sol; sa main toucha la grosse épaule du Buffle. Le Buffle n’avait plus rien devant lui; Jean Lagard venait de le franchir comme un cheval à la voltige.
Avant que le lourd colosse pût se retourner, Jean avait noué ses deux mains autour de son cou.
—C’est le diable! dirent les forts-et-adroits avec une profonde admiration.
Ils formaient tous galerie,—nus sous leurs paletots,—devant la porte du vestiaire.
—C’est un cœur! rectifia Barbedor attendri.
Jean s’arc-bouta comme le meunier qui va soulever une somme de blé.
—Chut! fit-on de toutes parts;—silence! silence!
Le silence eut lieu.
Au milieu de ce silence, et comme on voyait déjà surgir les muscles de Jean combinant son effort, un cri faible vint du dehors.
C’était du côté des terrains. Une voix de femme, une voix brisée avait dit:
—Jean Lagard! au secours!
Tout le corps de Jean se détendit. Le Buffle, profitant de ce répit et réagissant tout à coup, l’enleva à deux pieds de terre.
—Bravo, le Buffle!
Mais Jean, pâle comme la mort, désormais, parvint à toucher le tapis de la pointe de l’orteil. Ce fut assez et ce fut foudroyant. Jean poussa ce gémissement profond du boulanger qui bat la pâte. Il mit un genou en terre. Le corps pesant du Buffle, décrivant une circonférence complète dont sa tête était le centre, bascula irrésistiblement et vint tomber sur le tapis avec une épouvantable violence.
Les applaudissements furent remplacés, cette fois, par un grand murmure de stupeur.
Mais on n’était pas au bout.
—Je suis libre, maintenant! s’écria Jean Lagard, qui se redressa de toute sa hauteur.
—Que vas-tu faire?... murmura Barbedor, dont le visage exprimait l’épouvante.
Au pied de l’un des poteaux se trouvaient quatre ou cinq poids de cinquante destinés à l’exécution des tours de force promis.
—Tu vas voir, papa! répondit Jean Lagard.
Il saisit un poids de chaque main et s’élança vers une des fenêtres qui donnaient sur les marais. La foule, épouvantée, se déchira pour lui faire une large voie.
—Arrêtez-le! criait Vaterlot, qui s’élançait pour le rejoindre.
Les deux poids de cinquante, lancés à tour de bras, brisèrent en mille pièces le châssis de la croisée.
Par la brèche ouverte, Jean Lagard se rua au dehors, nu et ruisselant de sueur sous la pluie battante.
Barbedor arriva pour le voir disparaître dans la nuit, en même temps qu’un cri plus faible venait des marais:
—Jean Lagard! au secours! au secours!