La Franc-Maçonnerie en France
LA FRANC-MAÇONNERIE EN FRANCE
D’être né malin et de pousser souvent cette malice jusqu’à la gouaillerie, c’est peut-être en définitive une faiblesse pour notre peuple. Il y a deux catégories de Français : ceux qui croient à l’existence de la maçonnerie, et ceux qui n’y croient pas ; les premiers, d’ordinaire, rient de la maçonnerie, et les seconds rient des premiers. A l’abri de ce double éclat de gaieté, la « Veuve » et ses fils, depuis de longues années, poursuivent dans notre pays une besogne sérieuse, une tâche historique. L’heure est venue de la faire connaître. Prétendrait-on, par hasard, que les procédés mêmes avec lesquels s’écrit toute histoire, — consultation des « documents », juxtaposition des textes, exégèse des sous-entendus, — soient en l’espèce impuissants et même illégitimes ? Il semble bien que ce soit là l’opinion de la maçonnerie, puisque depuis 1896, le Grand Orient soustrait à la formalité du dépôt légal les comptes rendus des « convents » et des « ateliers[1] » ; et qu’ainsi les publications maçonniques, seules parmi tout ce qui s’imprime en France, échappent au contrôle du pouvoir et à la curiosité des érudits. Mais nous avons trop de confiance dans la vertu des méthodes historiques pour renoncer à soulever, en quelque mesure, le toit des « temples ». Au surplus, des circonstances toutes personnelles nous ont aisément consolé de l’inefficacité de nos recherches à la Bibliothèque nationale. Nous sommes à même de citer, dans les pages qui suivent, les Bulletins du Grand Orient de France depuis 1889 jusqu’au 1er août 1896[2] ; les Comptes rendus aux ateliers de la Fédération des travaux du Grand Orient, depuis le mois d’août 1896 jusqu’au début de 1899, et Les comptes rendus, aussi, de certains congrès régionaux. Les « ateliers du suprême conseil du rite écossais ancien » et ceux de la « grande loge symbolique écossaise » nous seront annuellement présentés, par leurs dignitaires, dans les banquets mêmes du Grand Orient ; quant à ceux du « rite de Mizraïm », ils sont assez épars pour que nous les puissions négliger[3]. Nous prodiguerons les citations : la langue, peut-être, en paraîtra nouvelle. Il y a, en effet, une langue maçonnique, comme il y a une ponctuation maçonnique : langue abstraite, éprise des termes généraux et dédaigneuse de la variété, visant plus à l’ampleur qu’à la richesse, détestant les vocables usuels, préférant, par exemple, au mot « banquet » l’expression, évidemment plus digne, de « travaux de mastication[4] », et s’exaltant souvent jusqu’à des effets de grandiloquence dont le « profane » demeure accablé. Cette langue, commune à toutes les loges, est un insigne instrument de nivellement intellectuel : le sot et l’homme d’esprit, dans la maçonnerie, disent à peu près les mêmes choses dans les mêmes termes ; soit par condescendance, soit par suite des nécessités de ce genre oratoire, les originalités s’effacent, et les talents personnels, en même temps qu’ils entrent en loge, entrent en sommeil. Ils sont captifs et victimes de la phraséologie qui leur est imposée et que nous aurons nous-mêmes à subir.
[1] Circulaire no 6 du 20 décembre 1896, citée dans le recueil : Constitution et Règlement général de la Fédération, 1898, p. 233.
[2] Nous désignerons le Bulletin par les lettres B. G. O., et les Comptes rendus par les lettres C. R. G. O.
[3] Sur les rapports de ces divers rites, voir B. G. O., sept. 1882, p. 283-368.
[4] B. G. O., sept. 1883, p. 654.