La naissance et l'évanouissement de la matière
V
Nous allons aborder maintenant l’étude de la dématérialisation de la matière.
Des expériences fort nombreuses, et sur la valeur desquelles on ne discute plus, ont prouvé, comme je fus le premier à l’établir, que les atomes de la matière, considérés jadis comme très stables, peuvent se désagréger, soit spontanément, soit sous l’influence de causes diverses.
Les produits de cette dissociation sont identiques pour tous les corps, qu’ils soient engendrés par la cathode de l’ampoule de Crookes, par le rayonnement d’un métal sous l’action de la lumière, ou par la désagrégation de corps spontanément radio-actifs, tels que l’uranium, le thorium et le radium.
On peut donc, quand on veut étudier la dissociation de la matière, choisir les corps pour lesquels le phénomène se manifeste de la façon la plus intense, soit, par exemple, l’ampoule de Crookes où un métal formant cathode est excité par le courant électrique d’une bobine d’induction, soit, plus simplement, des composés très radio-actifs tels que les sels de thorium ou de radium. Des corps quelconques dissociés par la lumière ou autrement donnent d’ailleurs les mêmes résultats, mais la dissociation étant beaucoup plus faible, l’observation des phénomènes est plus difficile.
On constate que les produits divers de la dissociation de la matière actuellement connus peuvent se ranger dans les six classes suivantes : Emanations, Ions négatifs, Ions positifs, Électrons, Rayons X et Radiations analogues.
Il ne faudrait pas croire que ces substances représentent toutes les étapes de la dématérialisation de la matière. Celles dont l’existence est connue ne sont que des fragments d’une série probablement très longue.
La quantité des particules émises par les corps pendant leur dématérialisation varie suivant les corps. Elle serait, pour un gramme d’uranium et de thorium de 70.000 par seconde, et quant au radium de 100.000 milliards, d’après les calculs de divers observateurs.
En frappant les corps phosphorescents, les particules de matière dissociée les rendent lumineux. Sur cette propriété est fondé le spinthariscope, instrument qui rend visible pour les yeux les plus incrédules la dissociation permanente de la matière. Il consiste simplement en un écran de sulfure de zinc, au-dessus duquel se trouve une petite aiguille dont l’extrémité fut trempée dans une solution d’un corps spontanément dissociable. En regardant l’écran à la loupe, on voit jaillir sans interruption une pluie de petites étincelles produite par le choc des particules. Je possède un de ces instruments qui depuis 4 ans n’a cessé d’émettre une pluie d’étincelles provenant de la dissociation de 1/10 de milligramme de bromure de radium fixé à la pointe d’une aiguille.
Nous venons de parler des millions de corpuscules par seconde que peut émettre durant des siècles 1 gramme d’un corps radio-actif. De tels chiffres provoquent toujours une certaine défiance, parce que nous n’arrivons pas à nous représenter l’extraordinaire petitesse des éléments de la matière. Cette défiance disparaît quand on constate la susceptibilité de substances très ordinaires à demeurer pendant des années, sans subir aucune dissociation, le siège d’une émission de particules abondantes faciles à constater par l’odorat, mais inappréciable aux plus sensibles balances.
M. Berthelot s’est livré sur ce sujet à d’intéressantes recherches. Il essaya de déterminer la perte de poids que subissent des corps très odorants bien que fort peu volatils. L’odorat est d’une sensibilité infiniment supérieure à celle de la balance, puisque, pour certaines substances, telles que l’iodoforme, la présence de 1 centième de millionième de milligramme peut, suivant M. Berthelot, être facilement révélée.
Il est arrivé, après des recherches faites avec ce corps, à la conclusion que 1 gramme d’iodoforme perd seulement 1 centième de milligramme de son poids en une année, c’est-à-dire 1 milligramme en cent ans, bien qu’émettant sans cesse un flot de particules odorantes dans toutes les directions. M. Berthelot ajoute que si, au lieu d’iodoforme, on s’était servi de musc, les poids perdus auraient été beaucoup plus petits, « mille fois plus peut-être », ce qui ferait 100.000 ans pour la perte de 1 milligramme.
Les particules émises par la matière en se dissociant ont des vitesses de 30.000 à 300.000 kilomètres par seconde. Il peut sembler fort difficile de mesurer la vitesse de corps se mouvant avec une telle rapidité. Cette mesure est cependant très simple.
Un étroit faisceau de radiations obtenu par un moyen quelconque — avec un corps radio-actif, par exemple — est dirigé sur un écran susceptible de phosphorescence. En le frappant, il y produit une petite tache lumineuse.
Ce faisceau de particules étant électrisé est déviable par un champ magnétique. On peut donc l’infléchir au moyen d’un aimant. Le déplacement de la tache lumineuse sur l’écran phosphorescent indique la déviation que fait subir aux particules un champ magnétique d’intensité connue. La force nécessaire pour dévier d’une certaine quantité un projectile de masse connue permettant de déterminer la vitesse de ce dernier, on conçoit que de la déviation des particules il soit possible de déduire leur vitesse. Quand le pinceau de radiations contient des particules de vitesses différentes, elles tracent une ligne plus ou moins longue sur l’écran phosphorescent au lieu de se manifester par un simple point, et on peut ainsi calculer la vitesse de chacune d’elles.