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La naissance et l'évanouissement de la matière

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VII

Nous avons dit que la matière se composait de petits éléments animés d’une vertigineuse vitesse qui, sous des influences diverses ou même spontanément, s’échappent dans l’atmosphère, comme la pierre que ne retient plus la main du frondeur.

Il est bien évident que, pour engendrer de pareilles vitesses, il faut des forces colossales. Je fus ainsi conduit à admettre que la matière était le siège d’une énergie jadis insoupçonnée, à laquelle j’ai donné le nom d’énergie intra-atomique. Cette dernière est, nous le verrons bientôt, l’origine de toutes les autres forces, la chaleur solaire et l’électricité notamment.

Elle diffère de toutes les énergies que nous connaissons par sa concentration très grande, par sa prodigieuse puissance et par la stabilité des équilibres qu’elle peut former. Si, au lieu de réussir à dissocier seulement des millièmes de milligramme de matière, comme on le fait maintenant, on pouvait en dissocier quelques kilogrammes, nous posséderions une source d’énergie auprès de laquelle toute la provision de houille que nos mines contiennent représenterait un insignifiant total.

C’est en raison de la grandeur de l’énergie intra-atomique que les phénomènes radio-actifs se manifestent avec l’intensité observée. C’est elle qui produit l’émission de particules douées d’une immense vitesse, la pénétration des corps matériels, l’apparition des rayons X, etc.

L’universalité dans la nature de l’énergie intra-atomique est un de ses caractères le plus faciles à constater. On reconnaît son existence partout, maintenant qu’on trouve partout de la radio-activité.

Les équilibres qu’elle forme sont très stables, puisque la matière se dissocie si faiblement que pendant longtemps on put la croire indestructible. Ce sont, d’ailleurs, les effets produits sur nos sens par ces équilibres stables que nous appelons la matière. Les autres formes d’énergie, lumière, électricité, etc., sont caractérisées par des équilibres très instables.

Nous avons été naturellement conduits à essayer de mesurer la grandeur de l’énergie intra-atomique. Les chiffres obtenus sont immensément supérieurs à tous ceux donnés par les réactions chimiques antérieurement connues, la combustion de la houille, par exemple.

Prenons une pièce de cuivre de 1 centime, pesant, comme on le sait, 1 gramme, et supposons qu’en exagérant la rapidité de sa dissociation nous puissions arriver à la dématérialiser entièrement.

L’énergie cinétique possédée par un corps en mouvement, étant égale à la moitié du produit de sa masse par le carré de sa vitesse, un calcul élémentaire donne la puissance que représenteraient les particules de ce gramme de matière animées de la vitesse constatée pendant la dissociation des corps. Elle est égale à 510 milliards de kilogrammètres, chiffre qui correspond à environ 6 milliards 800 millions de chevaux-vapeur. Cette quantité d’énergie serait suffisante pour faire parcourir à un train de marchandises 4 fois la circonférence du globe. Pour faire effectuer avec du charbon ce trajet au même train il faudrait en dépenser pour 68.000 francs. Ce chiffre de 68.000 francs représente donc la valeur marchande de l’énergie intra-atomique contenue dans une pièce de 1 centime.

Sous quelles formes l’énergie intra-atomique peut-elle exister dans la matière ? Comment des forces si colossales peuvent-elles être concentrées dans des particules si petites ?

L’idée d’une telle concentration semble, au premier abord, inexplicable, parce que notre expérience usuelle montre la grandeur de puissance mécanique toujours associée à la dimension des appareils qui la produisent. Une machine d’une puissance de mille chevaux par exemple possède un volume considérable. Par association d’idées nous sommes conduits à croire que la grandeur de l’énergie mécanique implique la grandeur des appareils qui la produisent.

C’est là une illusion pure résultant de l’infériorité de nos systèmes mécaniques et facile à détruire par de très simples calculs. Une des plus élémentaires formules de la dynamique montre que l’on peut accroître à volonté l’énergie d’un corps de grandeur constante, en accroissant simplement sa vitesse. On peut donc concevoir une machine théorique formée simplement d’une tête d’épingle tournant dans le chaton d’une bague, et qui, malgré sa petitesse, posséderait, grâce à sa force giratoire, une puissance mécanique égale à celle de plusieurs milliers de locomotives.

Nous avons appris aujourd’hui à dissocier la matière, mais seulement en quantité extrêmement faible. Il est cependant permis d’espérer que la science de l’avenir trouvera moyen de la désagréger plus complètement. Elle aura alors à sa disposition une source immense de forces. Je suis déjà arrivé, par des moyens fort simples, à obliger des corps très stables à devenir, à surface égale, quarante fois plus radio-actifs que des substances spontanément dissociables, telles que l’uranium.

Les résultats à obtenir dans cet ordre de recherches seraient en vérité immenses. Dissocier facilement la matière mettrait à notre disposition une source infinie d’énergie et rendrait inutile l’extraction de la houille, dont la provision s’épuise rapidement. Le savant qui trouvera le moyen de libérer économiquement les forces que contient la matière changera presque instantanément la face du monde. Une source illimitée d’énergie étant gratuitement à la disposition de l’homme, il n’aurait plus à se la procurer par un dur travail.


Cette dissociation de l’énergie intra-atomique, concentrée dans la matière dès le commencement des choses, explique l’origine des forces de l’univers. Aux époques lointaines du chaos de notre système solaire, dont les nébuleuses montrent une confuse image, l’éther s’est lentement condensé. Ses tourbillons localisés, formant probablement les éléments primitifs de la matière, ont accumulé par la vitesse croissante de leur rotation l’énergie intra-atomique dont nous constatons l’existence. A la phase de condensation succéda plus tard une phase de dissociation. Notre univers est entré dans un nouveau cycle, l’énergie lentement accumulée dans l’atome a commencé de se dégager par suite de sa dissociation. La chaleur solaire, d’où dérivent la plupart des énergies que nous utilisons, représente une des plus importantes manifestations de cette dissociation.

Ainsi donc le soleil, générateur de la plupart des énergies terrestres, ne fait que dépenser les forces lentement accumulées par la matière à l’époque où, dans les nuages primitifs d’éther, les atomes emmagasinèrent les énergies qu’ils devaient restituer un jour.

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