La petite femme de la mer
III
LA CHANSON DE L’ÉPOUSÉE
Ma fille, mets ton linge le plus fin, — le boucher a tué hier l’agnel, l’agnel n’avait que peu de sang. — Rappelle-toi comme il gambadait dans le pré ! — Sa petite laine était blanche — comme la laine de Noël !
Le boucher, ma mère, a passé par la maison, — tous les agneaux sont morts. — Mon cœur aussi gambadait sur le chemin — par où arrivait là-bas le noir ami.
Elle va vers la porte et elle dit à celui qui vient : — Maintenant, ils ont mis mon cœur en croix comme l’agnel, — j’ai gardé pour toi trois gouttes de sang.
Je mettrai ma ceinture rouge — celle que tu me donnas aux Pâques dernières — et m’en irai vers ta mère comme un fils.
Ma mère, je suis venu à l’aube, — la maison était close, — j’ai repassé au soir, j’ai trouvé un homme sur la porte. — Un autre homme que moi a-t-il passé l’anneau — au doigt de mon amour ? — J’ai cueilli en m’en allant — une rose dans le cimetière. — Je l’arroserai avec les trois gouttes de ton sang.
Ma fille, accroche tes beaux pendants d’oreille, — les cavaliers font voler la poussière devant les portes. — Ce soir, un bel homme te ramènera — avec lui à sa ferme.
Ma mère, dites de quel homme vous voulez parler — afin que mon couteau frappe là où il doit frapper. — Je boirai à la bonde — comme une cuvée de bière — les jets fumants.
A présent j’ai vêtu le voile — et accroché les pendants d’oreille. — Dites au fossoyeur, ma mère, qu’il sonne le glas — comme si j’entrais sous la nef dans mon cercueil. — Et ensemble ils sont allés entre les aubépines vers les cloches. — Un des hommes dansait devant — en jouant de l’harmonica.
Ton sang, homme fourbe — qui m’as volé mon amour, criera vers les cloches — car mon couteau, je viens de l’aiguiser — sur ton cœur.