Le château de Coucy
L'origine de Coucy-la-Ville (Codiciacum villa) en Laonnais, dans l'ancienne cité des Rémois, date certainement de l'époque gallo-romaine. Ce lieu est d'ailleurs situé à proximité de la voie romaine de Soissons à Saint-Quentin. La plus ancienne mention de Coucy ne remonte cependant qu'au IXe siècle: on la rencontre dans la Vie de saint Rémi, par Hincmar, qui fait remonter au temps de Clovis la donation de ce domaine à l'église de Reims [1]. Au début du siècle suivant, l'archevêque de Reims, Hervé, fit construire un château fort (municio), à l'extrémité de la colline allongée qui domine Coucy-la-Ville: ce fut l'origine de Coucy-le-Château [2].
Herbert II, comte de Vermandois, père de l'archevêque Hugues, ne tarda pas à s'en emparer. Après avoir été concédé comme fief à Anseau de Vitry, vassal de Boson, frère du roi Raoul (930), Coucy passa successivement à Bernard de Senlis et Thibaud le Tricheur, vassaux de Hugues le Grand, duc de France. C'est là que, selon Dudon de Saint-Quentin, le jeune duc de Normandie, Richard, fut caché par son fidèle Osmond, à la suite de son évasion de Laon (vers 944).
En 950, la garnison de Coucy qui, l'année précédente, avait passé au parti de l'archevêque de Reims, Artaud, revint à celui de Thibaud le Tricheur. Celui-ci s'établit solidement dans le donjon roman, et en confia la garde à son vassal Harduin. Les hommes d'armes du roi et de l'archevêque essayèrent en vain de l'en déloger. En 958, cependant, les partisans d'Artaud pénétrèrent par surprise à l'intérieur de la forteresse. Le châtelain Harduin se réfugia dans le donjon, déjà presque inexpugnable. Pour le réduire, il fallut que le roi vînt en personne l'assiéger, en compagnie d'Artaud et de bon nombre de comtes et d'évêques. Le siège dura deux semaines environ. Harduin donna ses neveux comme otages, et l'armée assiégeante se retira. Thibaud parvint cependant à y rentrer, on ne sait comment, quelque temps après, puisqu'en 964 nous le voyons consentir à rendre de nouveau Coucy à l'archevêque pour être absous de l'excommunication, mais il exigeait que Coucy fût inféodé à son fils Eudes Ier. Celui-ci mourut en 995, et on ignore entre les mains de qui passa l'héritage de Coucy.
Photo Neurdein.
LE CHATEAU DE COUCY
Vue prise au sud-ouest.
En 1059 paraît un certain Aubri de Coucy. On le trouve mentionné dans la charte d'Élinand, évêque de Laon, en faveur de Nogent (1059); dans les diplômes de Philippe Ier pour Saint-Médard de Soissons (1065) et l'église de Laon (1071); dans un acte du cartulaire de Notre-Dame de Paris (1067); enfin, dans une charte de Robert Courteheuse en faveur du Mont-Saint-Michel (1088). Le biographe de saint Arnoul, évêque de Soissons, fait allusion à des circonstances où Aubri de Coucy aurait été saisi par ses ennemis, traîné, garrotté, puis exilé et privé à jamais de son habitation ou domaine de Coucy. Un fait est certain, c'est sa présence en Angleterre, à la cour de Guillaume le Conquérant, où il était peut-être en exil; car, dans le Domesday-book, il est question d'une «terre d'Aubri de Coucy», située dans le comté d'York [3].
Après Aubri, on trouve, comme sire de Coucy, Enguerrand Ier, fils aîné de Dreux de Boves, dont la mère était de la famille comtale d'Amiens. Par son mariage avec Ade de Roucy, il devint seigneur de Marle et de La Fère. Devenu veuf, il enleva et épousa Sibylle, fille de Roger, comte de Château-Porcien, et femme du comte Godefroi de Namur. L'évêque de Laon, parent d'Enguerrand, ne l'excommunia pas; mais une guerre acharnée et féroce s'ensuivit entre les seigneurs de Coucy et de Namur. Ce dernier finit par se consoler en épousant Ermanson de Luxembourg.
Enguerrand Ier prit part à la première croisade avec son fils du premier lit, Thomas de Marle. Dans cette expédition, selon la légende, ne trouvant pas, au cours d'une surprise, sa bannière, il coupa un morceau de son manteau écarlate, fourré de pannes de vair, d'où l'origine du blason des Coucy, ainsi décrit par les anciens auteurs: Fascé de vair et de gueules de six pieces.
Au retour de la Terre sainte, Thomas épousa une parente dont la dot fut la seigneurie de Montaigu. Ses brigandages le rendirent odieux à son propre père, qui d'ailleurs sous l'influence de Sibylle, le croyait maintenant adultérin. Enguerrand assiégea Montaigu. Mais Thomas s'échappa, et, grâce à la protection royale, parvint à rentrer à Montaigu. Une horrible guerre d'extermination commença entre le père et le fils. Thomas soutint les habitants de Laon contre leur évêque, et ceux d'Amiens contre leur comte Enguerrand. Celui-ci offrit enfin, en 1113, la paix à son fils, qui l'aida à soumettre Amiens. Cela n'empêcha pas Sibylle de préparer une embuscade d'où Thomas s'échappa avec une blessure.
Les évêques réunis au Concile de Beauvais, en 1115, excommunièrent Thomas de Marle comme scélérat et ennemi du nom chrétien, à cause de sa cruauté. A quelque temps de là, ses protégés, les Laonnais révoltés étaient massacrés à Crécy par Louis le Gros.
L'année suivante, Enguerrand étant mort, Thomas lui succéda sans difficulté. Bientôt Louis le Gros vint assiéger le château de Coucy pour punir Thomas du rôle qu'il avait joué à Laon. Mais le rusé seigneur manifesta le plus grand repentir et promit de réparer tous les dommages par lui causés. Louis se retira, et, peu après, Thomas, malgré ses promesses, fit assassiner Henri de Chaumont, frère de Raoul, comte de Vermandois, qui lui disputait le comté d'Amiens, et il osa même arrêter des marchands munis d'un sauf-conduit royal. Louis le Gros, accompagné du comte de Vermandois, marcha immédiatement sur Coucy qui était considéré comme presque imprenable. Thomas commit la faute de leur tendre une embuscade: il y périt inopinément de la main même de Raoul de Vermandois (1130) [4].
Son fils, Enguerrand II, qui lui succéda, avait épousé Agnès de Beaugency, fille de Mahaut, la propre cousine du roi. Il s'efforça d'atténuer les conséquences des excès paternels, puis partit en 1146 pour la deuxième croisade, d'où il semble n'être point revenu; et son fils Raoul Ier qui eut pour femme Alix de Dreux, nièce de Louis VII, fit une fin semblable en Terre sainte.
C'est à l'époque de Raoul Ier qu'on rapporte généralement la légende du joli roman du Chastelain de Couci et de la dame de Faiel. Gaston Paris a montré [5] qu'il n'y avait rien d'historique dans l'aventure de ce sire de Fayel, qui aurait fait manger à sa femme le cœur de son amant, le châtelain de Coucy, Renaud. La légende du Cœur Mangé que la littérature populaire attribue maintenant au sire de Vergy, est bien antérieure au XIIe siècle. Il n'en reste pas moins vrai qu'il exista, vers 1198-1218, un gardien du château de Coucy ou «châtelain» appelé Renaud de Magny, jadis chanoine de Noyon, doué d'un très beau talent poétique, dont quelques-unes des chansons nous sont parvenues, grâce à Jakemes Sakesep, l'auteur du roman du Chastelain de Couci.
Enguerrand III, fils et successeur de Raoul Ier, assista à l'éclosion du mouvement communal déjà commencé sous son père en Soissonnais [6]. Sa minorité favorisa la création de la commune de Coucy, dont la charte datée de 1197 fut copiée sur celle de Laon. C'est le moment de l'apogée de la maison de Coucy, qui, par ses brillantes alliances, était arrivée à étendre au loin ses domaines. La reconstruction de l'enceinte de la ville et du château remonte à cette époque, mais elle ne fut pas faite d'un seul jet.
Enguerrand III eut quelques démêlés, pour des contestations obscures de droits de juridiction avec l'archevêque de Reims et surtout le chapitre de Laon, dont il arrêta le doyen en pleine cathédrale. En 1209, il prit part à l'expédition contre les Albigeois, et, en 1214, se signala à la bataille de Bouvines.
Par ses mariages successifs, il agrandit encore ses domaines. Eustache de Roucy lui apporta le comté de Roucy; Mahaut, fille d'Henri duc de Saxe, et sœur d'Otton IV, le comté de Perche; Marie de Montmirail, la vicomté de Meaux et la châtellenie de Cambrai. Ainsi parvenu au plus haut degré de la puissance, et enivré de ses immenses richesses, il aspira à devenir le maître du royaume. La minorité de Louis IX semblait justement lui offrir une occasion des plus favorables. Il complota avec les ennemis de Blanche de Castille l'enlèvement du jeune roi. On raconte même qu'il avait fait faire une couronne d'or et des ornements royaux pour s'en revêtir devant ses favoris [7]. Mais au bout de deux années d'intrigues et de sourdes menées, il se vit obligé de renoncer à ses projets ambitieux, et prêta serment de fidélité entre les mains du roi, qui feignit d'avoir ignoré ses desseins. Il mourut accidentellement d'une chute de cheval au passage d'un gué, en 1242.
L'aînée des filles d'Enguerrand III, Marie, épousa d'abord le roi d'Écosse Alexandre II, puis Jean de Brienne, grand bouteiller de France, fils puîné de Jean de Brienne, roi de Jérusalem. Son fils aîné, Raoul II, eut une fin prématurée. Il trouva la mort à la bataille de Mansourah (1250), en Égypte, où il avait suivi saint Louis. Il venait de sauver la vie au comte d'Artois, frère du roi.
Enguerrand IV recueillit la succession de son frère Raoul. Il se signala comme le digne héritier de Thomas de Marle. Sa cruauté à l'égard des gens de l'abbaye de Saint-Nicolas-au-Bois lui valut d'être jugé par le roi en personne. Peu s'en fallut qu'il ne fût exécuté. Enfin il s'en tira moyennant une énorme amende. Il vécut ensuite dans le calme, et, vers la fin de sa vie, répartit des aumônes entre les léproseries de ses domaines.
Comme il ne laissait pas d'enfants, ses deux sœurs, Marie de Coucy, l'aînée, puis la seconde, Alix, femme d'Arnoul III de Guines, lui succédèrent, l'une après l'autre, Marie de Coucy n'ayant pas eu d'héritiers.
Enguerrand V, fils d'Alix, est la tige de la seconde maison de Coucy. Élevé à la cour du roi d'Écosse, il épousa une parente de celui-ci, Chrétienne de Bailleul. Il porta toute sa vie les armes de Guines.
Son troisième fils, Guillaume, qui lui succéda en 1321, reprit le blason des Coucy. Il eut pour femme Isabeau, fille de Gui III de Châtillon, comte de Saint-Pol, grand bouteiller de France. La comtesse d'Eu, Jeanne de Guines, contestait alors à Enguerrand la possession même de Coucy, qu'elle revendiquait du chef de son père Baudoin, fils aîné d'Arnoul III, comte de Guines et d'Alix de Coucy. Ces prétentions amenèrent un procès qui dura dix-huit ans, et qui se termina en faveur de Guillaume dont la succession fut ainsi assurée à son fils Enguerrand VI. Ce puissant seigneur se maria en 1338 avec Catherine d'Autriche, fille de l'empereur Léopold et de Catherine de Savoie, alliance qui permit plus tard à son fils de briguer la couronne impériale.
La guerre de Cent Ans était à ses débuts. Dès l'année 1339, Coucy fut menacé par le roi d'Angleterre, Édouard III. Enguerrand VI se joignit au roi de France, son suzerain, pour lutter contre l'envahisseur. Il prit une part active aux expéditions contre Jean de Montfort et les Anglais, et perdit la vie à la bataille de Crécy (1346), ne laissant qu'un enfant en bas âge.
Survinrent la captivité du roi Jean, les pillages anglais et leurs conséquences: la misère des campagnes avec la Jacquerie. Enguerrand VII, arrivé à l'âge d'homme, prit une sérieuse part à la répression et fit exécuter sans merci les factieux. Il fut envoyé peu après en otage en Angleterre, pour garantir le paiement de la rançon du roi Jean. Alors commença véritablement sa vie extraordinaire d'aventures, qui en font une des figures les plus attachantes du XIVe siècle. Il se fit si bien remarquer à la cour de Londres qu'Édouard III lui donna en mariage sa seconde fille, Isabelle; et Enguerrand ajouta ainsi aux domaines anglais, qui lui venaient de sa grand'mère Chrétienne de Bailleul, le comté de Bedford, en même temps qu'il obtenait la restitution du comté de Soissons, engagé pour sa rançon.
A son retour en France (1368), Enguerrand, trouvant ses domaines incultes, s'efforça d'y attirer les habitants d'alentour par l'octroi d'une charte collective d'affranchissement à un grand nombre de ses bourgs et villages, y compris Coucy.
Lorsque la guerre se ralluma avec l'Angleterre, il garda la plus stricte neutralité à cause de son mariage, et partit même en croisade contre les Visconti, tyrans de Milan excommuniés par le pape. En 1373, il tailla en pièces l'armée de Barnabo Visconti, près de Bologne, puis celle du fils de Galéas; et entreprit le siège de Plaisance avec le duc de Savoie. Une grave maladie de ce dernier contraignit Enguerrand à se retirer. Pendant ce temps, les Anglais de Robert Knoll avaient respecté les domaines de Coucy.
Sur ces entrefaites, l'empereur Léopold étant mort sans autre héritier que Catherine d'Autriche, Enguerrand tenta de revendiquer, les armes à la main, l'héritage de sa mère. A la tête d'une bande de mercenaires, secondé par un grand nombre de seigneurs français, et aidé des subsides fournis par le roi de France, il entreprit une expédition des plus hasardeuses qui échoua malheureusement. Cet insuccès l'amena, dit-on, à fonder l'Ordre de la Couronne, dont l'emblème était une couronne renversée,—allusion à ses droits méconnus.
A la mort d'Édouard III, il rompit tout lien avec l'Angleterre, où il renvoya sa femme Isabelle, ne gardant près de lui que sa fille aînée Marie. Sa seconde fille, Philippote, n'était jamais venue en France: elle épousa Robert de Veer, duc d'Irlande et comte d'Oxford, auquel elle apporta en dot les domaines anglais de son père. Dès lors, Enguerrand prit une part active à la lutte contre les Anglais, en Guyenne et en Normandie. Il refusa l'épée de connétable de Duguesclin, que Charles V lui offrait et l'engagea à la confier plutôt à Olivier de Clisson. Devenu gouverneur de Picardie, il donna la chasse aux troupes ennemies débarquées à Calais, en 1380.
Il assista, comme haut baron, au sacre de Charles VI, et fut chargé de conclure la paix avec le duc de Bretagne. A partir de ce moment, il s'affirma de plus en plus comme un habile diplomate: c'est lui qui traita avec les Maillotins et apaisa leur révolte, lui encore qui, après la bataille de Rosebeck, négocia le retour du roi dans Paris [8].
On le voit ensuite en Écosse, où il avait opéré une descente, avec l'amiral Jean de Vienne, pour ravager les frontières septentrionales de l'Angleterre.
Son gendre, Robert de Veer, duc d'Irlande, abandonnant sa femme, réussit à faire prononcer son divorce par le pape Urbain VI. Battu par les révoltés de Londres, qu'il avait tenté de soumettre, ce seigneur se réfugia en Hollande, d'où il ne craignit pas de se rendre à la cour de France. Enguerrand la quitta aussitôt, chargé d'une mission auprès du duc de Bretagne, à Vannes. Il y réussit si bien que non seulement il obtint la restitution à Olivier de Clisson de ses châteaux confisqués, mais encore l'hommage solennel rendu par le duc en personne au roi, à Paris même. Robert de Veer reçut l'ordre de quitter la France.
Cependant Coucy se trouvait dépeuplé à la suite des guerres et des pillages ou incendies qu'elles avaient attirés. En 1388, Enguerrand fit décider, par le roi, que deux foires annuelles s'y tiendraient à la Saint-Nicolas d'été, et à celle d'hiver. Un grenier à sel y fut aussi établi.
Enguerrand paraît ensuite en Espagne où il conduit le fils du duc d'Anjou, fiancé de la fille de Jean Ier, roi d'Aragon; à Arezzo qu'il assiège pour Louis d'Anjou; à Gênes auprès du duc de Bourbon, chef de l'expédition contre les pirates des côtes barbaresques. Il prend part à la descente des Gênois en Afrique. En 1393, il est à la cour de Savoie, s'occupant avec ardeur d'aplanir les difficultés élevées au sujet de la régence de cet État, durant la minorité d'Amédée VIII. Deux ans plus tard, il est chargé des intérêts du duc d'Orléans auprès de la République de Gênes, qui cherchait un roi parmi les princes du sang.
L'entreprise capitale et la dernière de sa vie fut la croisade de Nicopolis. Il y accompagna le comte de Nevers, sur la demande instante de ses parents, à titre de guide et conseil. On sait comment, après une heureuse escarmouche d'Enguerrand, les Croisés furent taillés en pièces par l'armée du sultan Bajazet (28 septembre 1396). Enguerrand, fait prisonnier, fut reconnu par l'interprète picard Jacques de Heilly qui fut chargé de négocier en France le rachat des captifs. Aussitôt la nouvelle connue, le duc d'Orléans envoya Robert d'Esne pour obtenir la délivrance d'Henri de Bar et d'Enguerrand; mais Robert apprit à Vienne, en même temps, la maladie et la mort du célèbre baron qui venait d'expirer à Brousse le 18 février 1397. Jacques Wilay, de Saint-Gobain, ramena son cœur à l'abbaye de Villeneuve, près Nogent [9].
Avec lui finit l'histoire de cette fameuse maison de Coucy, alliée aux familles royales de France, d'Angleterre et d'Autriche, qui produisit un Enguerrand III et un Enguerrand VII. C'est à ces deux seigneurs, dont la vie marque les périodes brillantes de la dynastie, qu'il faut attribuer la construction et la restauration de leur magnifique château, dont la mâle architecture était le symbole de la puissance politique des sires de Coucy. Il ne nous reste malheureusement aucun compte d'Enguerrand III, mais les Archives de l'Aisne ont eu la bonne fortune de s'enrichir, l'année dernière, grâce à M. Broche, d'un registre des recettes et dépenses de la châtellenie en 1386-1387. A cette époque, Enguerrand VII, comme on le verra plus loin, avait déjà fait rebâtir la salle des Preux et la salle des Preuses. A l'occasion de la visite de Charles VI, qui eut lieu le 23 mars 1387, un jeu de paume fut établi dans la cour.
Les revenus de la seigneurie se composaient alors des droits féodaux, des produits du domaine, couvert de vignobles, de la pêche des viviers et des coupes de bois. Les divers chapitres de dépenses mentionnent les deux chapelains qui desservaient la chapelle des Onze mille Vierges et celle de la Madeleine, dans l'enceinte du château, l'affrètement d'un bateau qui transporta de Soissons à Rouen des approvisionnements de tout genre en vue d'une descente en Angleterre, projetée par Charles VI, le séjour de Guillaume de Verdun, astronome du châtelain, à Soissons, à l'hôtel du Mouton, les frais de déplacement d'Enguerrand VII à Dijon et à Soissons, et le carrosse amené de Lorraine par sa seconde femme, fille du duc Jean Ier.
Enguerrand mort, sa fille aînée Marie, femme d'Henri de Bar, prit possession des domaines de son père, avec leurs nombreuses dépendances, parmi lesquelles le comté de Soissons. Mais une fille cadette, Isabeau, issue de son second mariage, et femme de Philippe de Nevers, réclama le partage et intenta un procès. Sur ces entrefaites, le frère du roi Charles VI, Louis duc d'Orléans, voyant la riche baronnie de Coucy entre les mains d'une femme, offrit à Marie de l'acheter. On négocia, et, le 15 novembre 1400, fut conclu l'acte de vente moyennant 400.000 francs, et l'abandon des revenus à titre viager; mais en réalité le duc ne paya jamais que 104.000 francs, comme M. Lacaille a pu l'établir. Marie de Coucy s'éteignit cinq ans plus tard. Sa sœur Isabeau, à qui un arrêt du Parlement avait adjugé la moitié de Coucy, Marle, La Fère et Origny, le quart de Montcornet et Pinon, avec le cinquième de Ham, décéda à son tour, en 1411, laissant une fille unique qui la suivit de près dans la tombe. Le fils de Marie de Coucy, Robert de Bar, demeuré seul héritier, poursuivit le duc d'Orléans en paiement d'une somme de 120.000 livres, restée due sur le prix de vente de la seigneurie. Une transaction intervint: le comte de Bar consentit à tenir quitte de sa dette le duc d'Orléans moyennant la restitution des châtellenies de La Fère et de Marle.
La partie de la baronnie qui ne fut pas réunie à la couronne, sous Louis XII, passa plus tard dans la maison de Luxembourg, puis dans celle de Bourbon, par les Vendôme et Alençon, et fut enfin réunie à la couronne par Henri IV.
Coucy était dès ce temps le siège d'une prévôté royale, transformée plus tard en bailliage, et d'une maîtrise des eaux et forêts ou gruerie. En matière judiciaire, les causes allaient en appel devant les présidiaux de Soissons et de Laon. Le duc d'Orléans obtint du roi, en 1405, l'érection de Coucy en pairie, pour lui et ses descendants.
La possession de ce magnifique domaine excita la convoitise du duc de Bourgogne et des maisons de Luxembourg et de Lorraine: ceux-ci le revendiquèrent, en vertu d'anciennes alliances. Ce fut une des causes de l'hostilité des Bourguignons contre les Armagnacs, partisans du duc d'Orléans.
Le duc d'Orléans périt assassiné en 1407, et ses enfants prirent les armes pour le venger. Aussitôt Charles VI, qui s'était montré favorable aux Bourguignons, prononça la confiscation du domaine de Coucy. Valeran de Luxembourg, comte de Saint-Pol, fut chargé d'aller l'occuper.
Celui-ci marcha sur Coucy, et y entra sans coup férir (1411); mais il ne put forcer le château où commandait Robert d'Esne. Malgré toutes les sommations, ce vaillant capitaine refusait opiniâtrement de se rendre, confiant dans la solidité des murailles et le courage de compagnons déterminés à tenir tant qu'il y aurait des vivres. Le comte de Saint-Pol fut obligé de commencer un siège en règle. Il employa, à cet effet, un procédé considéré alors comme une innovation, la mine. Des ouvriers liégeois furent chargés de pratiquer une galerie au-dessous de la tour de la porte basse du château ou porte Maître-Odon. Les chevaliers et hommes d'armes assiégeants descendaient à tour de rôle dans le souterrain, curieux de voir de près la nouveauté du jour. Or, il arriva qu'à l'endroit où la galerie passait sous les fondations de la muraille extérieure du château, on négligea de l'étayer suffisamment: tout à coup la voûte s'effondra sous le poids d'une portion de la base croulante de la tour, ensevelissant ouvriers et visiteurs. Et encores y sont-ils, ajoute le chroniqueur Juvénal des Ursins, en manière d'oraison funèbre des victimes [10].
L'affaissement d'une tour n'avança en rien le siège de la place qui dura encore trois mois. Enfin Robert d'Esne ne recevant aucun secours du dehors se trouva contraint de capituler. Ce succès valut au comte de Saint-Pol l'épée de connétable.
Deux années plus tard, Coucy fut restitué au duc d'Orléans, à la suite du traité de paix conclu avec le duc de Bourgogne. Mais, de nouveau, en 1419, la place fut livrée aux Bourguignons, cette fois de la façon la plus extraordinaire. Voici comment: Pierre de Saintrailles était gouverneur du château pour le dauphin. Ses serviteurs furent gagnés par les nombreux prisonniers bourguignons enfermés par La Hire dans le donjon. Sur leurs instances, ils dérobèrent les clefs de la tour et en ouvrirent les portes nuitamment. Les Bourguignons conduits par le fameux sire de Maucourt et Lionnel de Bournonville, se saisirent des premières armes venues et se précipitèrent au logis de Saintrailles, qu'ils égorgèrent avec ses sentinelles et mirent le poste hors d'état de nuire. En même temps des émissaires furent dépêchés au duc de Bourgogne pour appeler à l'aide. La Hire, stupéfait et furieux, à son retour d'une course dans le voisinage, ne put même pas essayer de rentrer dans le château, et dut bientôt se retirer devant les renforts bourguignons [11].
Le duc de Bourgogne ne profita guère du coup d'audace de l'«écorcheur» Maucourt, puisqu'il fut assassiné avant même la fin de l'année. La Hire et Poton de Saintrailles rentrèrent dans Coucy à quelque temps de là. En 1423, le comte de Suffolk vint assiéger la place, s'en rendit maître et la livra à Jean de Luxembourg, comte de Saint-Pol, un des plus chauds partisans des Anglais. A la mort de ce dernier (1440), le véritable propriétaire de Coucy, Charles d'Orléans, qui était retenu prisonnier en Angleterre, depuis Azincourt, pensa pouvoir acheter sa rançon en offrant au duc de Bourgogne la baronnie de Coucy avec celle de La Fère-en-Tardenois et le comté de Soissons, moyennant 45.600 écus d'or. Charles VII s'entremit, et pour faciliter, avec la conclusion du marché, le retour du duc d'Orléans, il renonça formellement et définitivement à ses droits de quint et de requint sur ces seigneuries. Les propositions durent être agréées de part et d'autre, car Charles d'Orléans revint en France cette année même.
La terre de Coucy apparaît cependant dans des actes, de peu postérieurs, comme dépendant à nouveau de la maison d'Orléans, sans qu'on sache au juste comment. Le duc Charles mourut en 1465, et son fils Louis d'Orléans disputa la régence à Anne de Beaujeu. Tandis qu'il était vaincu et fait prisonnier à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier (1487), Pierre d'Urfé, grand écuyer de France, se présenta devant Coucy avec les troupes royales et s'en empara au bout de huit jours. Quelques années s'écoulèrent. Le duc d'Orléans se réconcilia avec Charles VIII, obtint restitution de la place, qu'il réunit au domaine de la couronne en devenant roi sous le nom de Louis XII (1498). Sa fille, Claude de France, reçut la baronnie en apanage, lors de son union avec François d'Angoulême (1514). Un an après, nouveau retour au domaine royal, à l'avènement de François Ier.
La forteresse de Coucy fut, de bonne heure, une des places convoitées par les Calvinistes. Dès 1567, ils s'en emparèrent et y établirent leur point d'appui. Henri III la fit bientôt reprendre et la donna, avec ses dépendances, en apanage à Diane de France ou de Valois, duchesse d'Angoulême sa fille naturelle (1576).
Les troupes royales l'occupaient pendant la Ligue, et s'élançaient à l'improviste de son château sur les partisans de la sainte union, par exemple sur les habitants de Mons-en-Laonnais, devenus de véritables bandits, ou sur ceux de Monampteuil. Puis, subitement, sans raison apparente, la ville de Coucy se déclara pour la Ligue. Le sieur de Lameth, commandant ligueur de la place de Coucy, finit, en 1594, par faire sa soumission au roi et lui remit le château.
Occupé au siège de Laon, Henri IV ne trouva l'hospitalité, pour Gabrielle d'Estrées, qu'à Coucy, chez le maire où elle mit au monde le duc de Vendôme le 7 juin 1594.
En 1615, les princes et les grands, mécontents du gouvernement de Marie de Médicis, s'emparèrent de cette forte position, voisine de Paris. La cour négocia avec eux et parvint à leur faire déposer les armes. Ils tirèrent prétexte de l'arrestation du prince de Condé pour reprendre Coucy, l'année suivante, et s'y maintinrent jusqu'à la mort du maréchal d'Ancre (1617).
Diane de France, apanagiste de Coucy, mourut en 1619, et son domaine fut donné à François de Valois, second fils du duc d'Angoulême, qui mourut lui-même, en 1622, sans postérité. En 1645, Louis XIV engagea Coucy à Roger de Longueval, moyennant plusieurs milliers de livres.
Durant la Fronde, Hébert, gouverneur de Coucy, devint suspect à Mazarin. Sommé de remettre la place au maréchal d'Estrées, gouverneur de Laon, il répondit qu'il la tenait directement du roi. Sur ce refus, d'Estrées eut ordre de faire avancer des troupes et d'investir la place. Le sieur de Manicamp, gouverneur de La Fère, s'étant joint à lui avec six pièces de canon amenées de La Fère et Péronne, le siège commença le 10 mai 1652. L'artillerie ouvrit une large brèche dans les murs. Les assiégés tinrent encore quelque temps dans la ville et ne se retirèrent derrière l'enceinte du château que le 19. Trois jours après, les troupes lorraines arrivèrent au secours d'Hébert, et leur cavalerie ayant défait un régiment d'assiégeants, ceux-ci se retirèrent en désordre, abandonnant la ville aux Frondeurs.
Les habitants de Coucy ne tardèrent pas toutefois à se soumettre au roi. Le cardinal Mazarin chargea Clément Métezeau, l'ingénieur qui avait dirigé le siège de La Rochelle et probablement aussi son fils de démanteler les fortifications du château, en vertu d'un ordre royal daté du 11 septembre 1652 [12]. Ils firent sauter à coups de mine les portes d'entrée de la basse-cour et du château, la chemise du donjon, les voûtes d'ogives de ses trois salles, mais l'explosion ne produisit que trois lézardes dans l'énorme cylindre. Ils rendirent inhabitables les tours d'angle, tous les corps de logis, et les ruines furent dès lors exploitées comme une carrière. Le tremblement de terre de 1692 acheva l'œuvre de la mine.
En 1673, Louis XIV donna Coucy, avec Folembray, en apanage à Philippe de France, duc d'Orléans, pour lui et ses descendants mâles, qui depuis lors portèrent le titre de sires de Coucy. La chapelle de la Madeleine, qui avait été épargnée dans le château, fut désaffectée, et ses revenus attribués à l'Hôtel-Dieu.
Pendant la Révolution, le tribunal du district de Chauny fut établi à Coucy, dont le dernier seigneur fut Louis-Philippe-Joseph d'Orléans. Coucy-la-Ville prit le nom de Coucy-la-Vallée, et Coucy-le-Château celui de Coucy-la-Montagne. Le château, dont la grosse tour servit de prison aux malfaiteurs arrêtés dans les forêts voisines, devint un bien national. Attribué à l'Hôtel-Dieu de Coucy, qui continua à laisser les habitants de la ville et des environs arracher les parements des murs, moyennant une redevance de 3 francs par charrette de pierres, il fut racheté en 1829, par le duc d'Orléans, au prix de 6.000 francs. Son architecte, M. Malpièce, combla le fossé devant la porte, et fit boucher les trois lézardes du donjon, mais ce travail était tout à fait insuffisant.
En 1856, quand l'Etat devint propriétaire du château, la commission des Monuments historiques, sur l'initiative de Viollet-le-Duc, prit en main le sauvetage des ruines de Coucy. Le donjon, qui menaçait de s'écrouler, fut chaîné par deux cercles de fer, à la hauteur des corbeaux, et recouvert d'une toiture; on reprit ses lézardes avec le plus grand soin. Le déblaiement du fossé dallé, de la poterne qui passe sous la chemise, de la chapelle, des soubassements des deux grandes salles se poursuivit méthodiquement, en ramenant au jour les débris de sculpture qui forment le musée lapidaire.
L'imagination du voyageur moderne, en visitant les ruines d'un antique château féodal, se plaît au récit des légendes qui animent les vieux murs croulants. A défaut du roman de son châtelain, qui n'a aucun fondement sérieux et se rapporte plutôt au château de Fayel, Coucy a du moins l'histoire vraie, merveilleuse et souvent romanesque de ses seigneurs d'antan, dont on connaît la devise présomptueuse, mais justifiée:
Roi ne suis
Ne prince, ne duc, ne comte aussi,
Je suis le sire de Coucy.
Ph. Lauer.