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Le château de Coucy

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II
BASSE-COUR DU CHATEAU

Le château occupe l'extrémité orientale du promontoire escarpé qui forme la défense naturelle de Coucy. Sa vaste basse-cour ou baille forme un hexagone irrégulier qui ne devait pas se relier comme aujourd'hui à l'enceinte de la ville. Au XIIIe siècle, un profond fossé creusé entre deux murs avec tours d'angle coupait le plateau en avant de la porte de la basse-cour. Cette porte était sans doute reliée par un viaduc entre deux ponts-levis à une porte de ville également flanquée de deux tours dont il ne reste plus trace. Si j'ai cru devoir restituer ce tracé sur le plan primitif de l'enceinte, c'est que des courtines aux deux bouts du fossé auraient rendu sa valeur défensive tout à fait illusoire. En outre, la plantation des tours d'angle nord-est et sud-est de la basse-cour prouve qu'elles étaient dégagées sur les trois quarts de leur circonférence, comme on le voit sur le plan d'Androuet du Cerceau. Les murs qui viennent buter contre leur parement sont relativement modernes. Il fallait fortifier la contrescarpe pour fermer la ville en face de l'entrée du château, sinon l'enceinte aurait été ouverte sur le front occidental.

Photo Lefèvre-Pontalis.
PORTE DE LA BASSE-COUR

Porte d'entrée.—La porte B de la basse-cour, flanquée de deux tours en ruines et désignée sous le nom de porte Maître-Odon, devait ressembler à la porte de Laon avant sa démolition par l'ingénieur Métezeau en 1652. C'est une œuvre de la première moitié du XIIIe siècle dont le plan primitif ne comportait peut-être pas des corps de garde aussi vastes. La longue voûte en berceau brisé du passage s'est effondrée: elle était soutenue par cinq doubleaux qui retombaient sur des corbeaux moulurés. Au revers, c'est-à-dire à l'ouest, un arc en tiers-point encore intact encadre la porte derrière la rainure d'une herse. Ses deux rangs de claveaux nus sont appareillés sous un cordon de fleurs à sept pétales qui accuse une période peu avancée du XIIIe siècle, comme le cavet des tailloirs. De chaque côté du passage, deux arcatures en tiers-point sans moulures s'appuient sur des pilastres de grès, mais au XIIIe siècle ces arcades aveugles étaient au nombre de quatre à droite et à gauche.

On voit encore une amorce du parement arrondi de la tour du sud. L'autre tour, éventrée par la mine, conserve sous une petite voûte en berceau brisé l'amorce d'une feuillure de porte qui donnait accès dans une salle ronde voûtée d'ogives en amande. En arrière, on pénètre à l'ouest dans un corps de garde par une porte dont le linteau repose sur deux consoles moulurées. Cette pièce qui communiquait avec la salle ronde de la tour est recouverte de deux voûtes d'ogives sans formerets dont le tore aminci repose sur des consoles mutilées. Deux doubleaux en tiers-point, ornés d'un filet entre deux boudins et reliés par une voûte en berceau brisé, séparent les deux croisées d'ogives pour éviter la retombée d'un arc dans l'axe des portes. Le corps de garde du sud est démoli, mais l'amorce de ses ogives et les corbeaux qui les soutiennent sont encore visibles.

Tours de la basse-cour.—Le côté nord de la basse-cour est beaucoup moins bien défendu que la face méridionale. En partant de la grosse tour nord-est du château, on rencontre d'abord une large brèche, puis le rempart garni de marques de tâcherons du XIIIe siècle forme un pan coupé percé d'une poterne. Au point où Androuet du Cerceau indique une tour d'angle dont je n'ai pu retrouver aucune trace, des corbeaux devaient soutenir une bretèche. Le mur à talus suit une ligne droite de 100 mètres: ses assises dépourvues de marques de tâcheron, se décrochent à l'extrémité occidentale en formant un angle obtus avec le rempart primitif. Il ne faut pas en conclure que le front nord fut presque entièrement reconstruit, car les marques de tâcheron font également défaut sur les tours du sud qui doivent être attribuées au XIIIe siècle. La tour d'angle nord-est A de la basse-cour était ronde, mais il n'en reste plus qu'un quart engagé dans un pan coupé moderne. Rebâtie au XIVe siècle sur son talus primitif, décollée par un coup de mine au XVIIe siècle, puis remaniée dans sa partie haute, elle n'offre plus aujourd'hui aucun intérêt.

Au sud-est, une tour ronde C du XIIIe siècle s'élevait à l'angle de la baille, en face de celle qui est encore engagée dans le mur de la ville, mais le coup de mine qui en a détruit la moitié a fait incliner l'autre. La brèche fut murée plus tard et défendue par une échauguette sans caractère. A la suite, le rempart du XIIIe siècle se distingue par ses tours rondes antérieures à celles du château et plus rapprochées que celles de la ville. Elles sont au nombre de cinq jusqu'au retour d'angle de l'enceinte: leurs étroites archères forment à l'extérieur de longues fentes dans le parement, mais leur couronnement a disparu.

Photo Lefèvre-Pontalis.
TOURS DE LA BASSE-COUR

A l'angle sud-est de la basse-cour, on a creusé vainement jusqu'aux fondations, en 1865, pour découvrir les restes des gens de guerre du comte de Saint-Paul, enfouis dans une galerie de mine en 1411. En partant de ce point, on pénètre d'abord dans une salle ronde de la seconde tour D. Sa voûte d'ogives aux arêtes abattues est très grossière: la clef se compose d'une pierre carrée au lieu d'être taillée en croix. Les nervures viennent s'engager dans le mur au niveau des retombées. Trois archères recouvertes de linteaux en saillie les uns sur les autres éclairent la pièce. On monte au second étage recouvert d'un plancher par un escalier qui suit la courbe de la tour.

La troisième tour E, qui remonte également au premier quart du XIIIe siècle, ne diffère de la précédente que par deux grandes arcatures en plein cintre soutenues par des pilastres au revers du mur intérieur. Les ogives plates de la voûte aux angles abattus et les archères à linteau sont du même type, mais les marches de l'escalier courbe portent sur un chanfrein qui se décroche, comme dans le donjon. La tour suivante F conserve sa voûte d'ogives et quatre archères, mais dans la quatrième, désignée sur le plan par la lettre G, les nervures de même profil, à clef cruciforme, retombent sur des culots moulurés. Les archères plus hautes et plus larges sont surmontées de cinq linteaux. Un escalier à vis conduit au second étage. Il est donc certain que les murs de la baille furent bâtis en allant de l'est à l'ouest. Les trois premières tours intactes sont les plus anciennes de toute l'enceinte.

La porte de la sixième tour H, qui défend l'angle sud-ouest de la basse-cour, est amortie par un tympan monolithe sous un arc de décharge en plein cintre. Les deux étages reliés par un escalier à vis étaient voûtés d'ogives retombant sur des consoles moulurées. L'épaisseur des murs atteint 2m,35. Les quatre archères à linteau du second étage où l'on pouvait accéder directement par une porte et une échelle sont surmontées d'un arc de décharge, ce qui indique un nouveau progrès. Après cette tour très saillante, le mur de la baille fait un coude pour rejoindre la grosse tour sud-est du château. Ce front est défendu par deux tours.

La septième tour I n'a pas le même plan que les précédentes, car la salle basse voûtée d'ogives a la forme d'un hémicycle fermé par un mur droit. On y entre par une porte à linteau tréflé dont l'arc de décharge est en plein cintre. Un escalier à vis dessert le second étage dont la porte sur la cour et les archères présentent la même disposition que dans la tour H.

Entre cette tour et la suivante J dont la voûte d'ogives et l'escalier à vis sont en ruines s'ouvre une poterne en tiers-point précédée d'une archivolte en plein cintre. A côté, deux arcs de décharge plus ou moins enterrés sont surmontés de deux rainures qui semblent destinées à recevoir les bras d'un pont-levis intérieur. La tour K, tombée dans le fossé, devait ressembler à toutes celles du front sud de la basse-cour. Plus loin, après une autre poterne, le mur de la baille vient rejoindre la courtine qui relie la grosse tour sud-est du château à la chemise du donjon.

Chapelle romane.—La basse-cour renferme, au sud de l'allée centrale, un puits [18], et près de la maison du gardien les fondations d'une chapelle romane. Sa nef unique et son transept flanqué de deux absidioles arrondies n'étaient pas voûtés; mais l'abside en hémicycle, dépourvue de contreforts, était recouverte d'un cul de four précédé d'une voûte en berceau. On voit la trace de deux arcatures de chaque côté du chœur dans la partie droite. La base de l'une de leurs colonnes, encore intacte, et celle des six colonnettes du portail de la façade, permettent d'attribuer cette chapelle au XIIe siècle et non pas au XIe siècle, comme Viollet-le-Duc le prétend. Cette date se trouve confirmée par les fragments d'une corniche garnie de palmettes, semblable à celle de l'église de Berzy-le-Sec, près de Soissons, et par les débris d'une croix de pignon formée de cercles découpés à jour, comme à Bruyères-sous-Laon. Trois chapiteaux à crochets, du XIIIe siècle, retrouvés dans les fouilles, et posés sur une pile d'angle, sont peut-être des témoins d'un remaniement exécuté dans cette chapelle, au XIIIe siècle.

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