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Le château de Coucy

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III
DESCRIPTION DU CHATEAU

Date de la construction.—Viollet-le-Duc a voulu limiter la durée des travaux du château à cinq ans, de 1225 à 1230, d'après les profils et le caractère de la sculpture, mais cette hypothèse ne repose sur aucun fondement. A défaut de textes, la science archéologique permet de distinguer deux campagnes dans la construction de la basse-cour, et deux autres pour le château proprement dit. Je crois que le donjon fut élevé en dernier lieu avec la chapelle, aussitôt après l'achèvement de l'enceinte, comme le prouve le style avancé des figurines sculptées sur les consoles de la salle basse. Le profil des ogives des grosses tours, les clefs de voûte, les chapiteaux à crochets, portent l'empreinte du style en usage dans la première moitié du XIIIe siècle.

Un détail, qui a son importance, permet de rajeunir quelque peu la forteresse, c'est le bec des tailloirs qui n'était pas d'usage courant avant 1225 environ. Sans doute, on en voit des exemples précoces à la cathédrale de Soissons, dans la chapelle haute du croisillon sud, terminée au XIIIe siècle et dans le rond-point consacré en 1212, mais à Longpont, dont l'église abbatiale fut livrée au culte en 1227, le plan carré des tailloirs persiste. Par contre, à Royaumont où la dédicace de l'église eut lieu en 1235, les tailloirs du bas côté sud encore en place, présentent un bec caractéristique, comme dans les tours de Coucy. En outre, la corniche à crochets du donjon est identique à celle qui fut refaite au chevet de Notre-Dame de Paris vers 1240.

Il est donc probable que la période de grande activité des chantiers dut plutôt correspondre au second quart qu'au premier quart du XIIIe siècle. Ces observations techniques sont d'accord avec la tradition qui attribue à Enguerrand III l'honneur d'avoir construit le château, car le gros œuvre devait être terminé quand il mourut en 1242.

Nous sommes beaucoup mieux renseignés sur l'époque du remaniement des bâtiments d'habitation, grâce à un registre des comptes de la châtellenie de Coucy, commencé le 1er octobre 1386 et terminé le 30 septembre 1387 [19]. Ce précieux document, écrit de la main de Jean Plançon, receveur d'Enguerrand VII, a été récemment vendu par un libraire de Caen à M. Lucien Broche, archiviste départemental, qui l'a fait entrer dans les archives de l'Aisne.

Plusieurs mentions prouvent qu'on achevait à cette époque la salle des Preux et la salle des Preuses, après avoir exhaussé les courtines avec des pierres provenant des carrières de Neuville-sur-Margival et de Courval. La porterie et les bâtiments adossés au mur du nord furent sans doute également l'œuvre des architectes d'Enguerrand VII secondés par Jean de Cambrai et Robinet Carême, maîtres-maçons de Coucy. En tout cas, il faut rapporter à la campagne de 1386-1387 la cheminée du boudoir de la salle des Preuses, l'établissement d'un cachot, à l'ouest du grand cellier, pour «gesir Bonnifface et Guedon» [20], la restauration des arcades aveugles du premier étage, et le remplacement de la voûte de cette salle par un plancher dans la tour nord-ouest, la captation dans un réservoir de la source qui jaillit au pied de la chemise du donjon, la pose de conduits pour évacuer les eaux de la cuisine, les lambris du plafond de la galerie de la chambre aux Aigles et de l'oratoire voisin des «chambres neuves», la réparation des charpentes et de toutes les toitures avec des tuiles de Pinon, et la décoration du parloir contigu à la salle des Preuses par trois peintres de Paris. La note gaie est fournie par des dépenses de vitrerie causées par les ébats du singe d'Isabelle de Lorraine, femme d'Enguerrand VII [21]. Malgré l'opinion de Viollet-le-Duc, ces importants travaux ne doivent plus être attribués à Louis d'Orléans, qui se rendit acquéreur de la baronnie en 1400.

Plan et appareil.—Le château proprement dit forme un quadrilatère irrégulier, flanqué de quatre tours d'angle, et dominé par le château, qui s'élève au milieu de la face orientale. Le front nord mesure 92m,45, entre les tours; le côté ouest 35 mètres; la face du midi 50m,80; et le front est 88 mètres. C'est grâce à une vue cavalière dessinée par Androuet du Cerceau, avant 1576, que nous pouvons nous faire une idée de l'aspect du château à cette époque. Viollet-le-Duc s'est borné à tirer un heureux parti de cette perspective; mais il aurait dû prévenir ses lecteurs que son croquis représente le château non pas au XIIIe siècle, comme on se l'imagine, mais au XVIe siècle. En effet, vers 1250, je suis persuadé qu'il n'y avait aucun bâtiment au revers de la porte et du mur nord, mais seulement des arcades en tiers-point destinées à porter un large chemin de ronde. La cour, bordée par des logements à l'ouest et au sud où la chapelle faisait une saillie prononcée sur la grande salle, occupait donc une superficie plus grande au XIIIe siècle qu'au XVIe siècle.

La pierre calcaire, à gros grain parsemée de coquillages, qui a servi à construire le château, provient des carrières de la ville et du plateau. Certaines assises atteignent 1m,34 et même 1m,90; mais leur longueur moyenne est de 0m,80. L'épaisseur des lits varie de 0m,33 à 0m,40. Les dalles qui recouvrent des couloirs mesurent souvent 2 mètres de longueur et 1 mètre de largeur sur 40 centimètres d'épaisseur. J'ai relevé des linteaux épais de 0m,60, des claveaux de 0m,00, des murs de 3 à 5 mètres à la base des tours.

MARQUES DE TACHERONS DU XIIIe SIÈCLE

L'appareil est donc plus grand que dans les églises du XIIIe siècle. Les marques de tâcherons si nombreuses dans le château et si rares dans la basse-cour, présentent une soixantaine de types différents qui correspondent au nombre des tailleurs de pierre pour les parements. On peut distinguer du premier coup d'œil une assise du XIIIe siècle d'une pierre mise en place à la fin du XIVe siècle dans la salle des Preux ou dans la salle des Preuses; car les signes les plus anciens sont gravés très profondément.

Souterrains.—Il faudrait entreprendre des fouilles très coûteuses pour tracer le plan des souterrains qui facilitaient les communications entre les diverses parties du château et qui devaient permettre de prendre l'ennemi à revers au dehors de l'enceinte. L'architecte avait pris la précaution, comme on le fit plus tard à Pierrefonds, de n'en creuser aucun derrière la porte d'entrée, pour que les mineurs rencontrent un terre-plein. Au revers du mur nord de la cour, un escalier à vis du XIVe siècle, établi après coup, descend dans un souterrain du XIIIe siècle voûté en berceau qui se rétrécit près d'une rainure de herse et qui conduit à la cave circulaire de la tour nord-est. Cette galerie qui se continuait jadis à l'ouest était recoupée au bas de l'escalier par un autre souterrain partant de la courtine, comme l'indique une bouche d'aérage.

Sous la salle des Preux, à l'est, un bel escalier droit, encadré par des archivoltes en plein cintre qui forment un ressaut au-dessus de chaque marche, comme à l'entrée des caves de Pontoise, de Senlis, de Noyon, d'Elincourt-Sainte-Marguerite (Oise), et du château de Pierrefonds, conduit dans une cave encore intacte. Ses deux galeries parallèles, voûtées en berceau brisé, communiquent par des arcades en plein cintre, et dans la seconde une porte donne accès dans la salle basse de la tour sud-est. Vers la droite, les lits d'assises du parement ne se raccordent pas, mais l'identité des marques de tâcherons permet de conclure à une erreur d'appareil plutôt qu'à deux constructions d'âge différent. A l'extrémité occidentale, un escalier du XIVe siècle aboutit au rez-de-chaussée de la salle des Preuses. M. Colin, gardien du château, a trouvé d'autres amorces de souterrains qui s'enfoncent dans le sol aux deux extrémités de ces galeries, mais les caves des tours nord-ouest et sud-ouest n'étaient pas desservies par des couloirs inférieurs, car on n'y voit aucune trace de porte. Est-il besoin d'ajouter que les prétendus souterrains, qui auraient relié au château les abbayes de Nogent et de Prémontré, n'ont jamais existé que dans l'imagination des romanciers?

Porte d'entrée.—Un dessin d'Androuet du Cerceau donne une idée des défenses extérieures de la porte d'entrée. Pour franchir le fossé, large de vingt mètres, il fallait passer sous deux portes, en traversant un pont de bois à deux bascules qui reposait sur des massifs de maçonnerie et sur les piles de deux petits corps de garde isolés. En 1829, leurs débris furent enfouis sous le remblai actuel. Le parement extérieur de la porte est arraché, mais on voit encore de chaque côté les rainures des trois herses qui glissaient entre des arcs en tiers-point. Au XIIIe siècle, la porte était flanquée au revers de deux grandes arcades en tiers-point; celle de gauche encadre une archère; celle de droite, à mur plein, fut convertie en logement à l'époque moderne. Je suis persuadé que le corps de garde, désigné par la lettre H sur le plan de Viollet-le-Duc, et dont il reste les substructions, fut une addition de la fin du XIVe siècle, car il est évident que les piédroits, les écoinçons et les claveaux des arcades n'étaient pas destinés à être englobés dans un bâtiment quelconque. A son point de rencontre avec la chemise du donjon, le mur ne présente aucune trace de collage, mais au niveau du sol on voit la feuillure d'une porte relancée dans les assises primitives et l'ouverture d'une fosse d'aisances rectangulaire appliquée après coup contre le parement du fossé.

Androuet du Cerceau del.
LE CHATEAU EN 1576.
Vue prise à l'est.

A gauche de l'entrée, le sommier d'une branche d'ogives aux arêtes abattues vient s'incruster dans les claveaux de l'arcade aveugle, déjà signalée. Comme le profil de la nervure est identique à ceux des voûtes faites vers 1385, sous les salles des Preux et des Preuses, de l'est à l'ouest, il faut en conclure que le corps de garde carré, divisé par quatre piles centrales en neuf travées et recouvert de croisées d'ogives, avait été ajouté à la même époque. L'architecte du XIIIe siècle avait calculé que la porte de la basse-cour suffirait à tenir en échec l'assaillant. D'ailleurs l'ennemi qui aurait voulu forcer l'entrée du château se serait fait écraser par les projectiles lancés du haut du donjon et de la grosse tour nord-est. Il était donc inutile d'adopter la même disposition qu'à la porte de Laon, mais une chambre de manœuvre des herses devait s'élever au milieu de la courtine, défendue par une bretèche.

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