Le château de Coucy
La ville de Coucy, fièrement campée sur un promontoire qui domine la vallée de la Lette, affluent de l'Oise, occupe une position stratégique de premier ordre aux confins du Soissonnais et du Laonnais. Son enceinte du XIIIe siècle encore intacte, flanquée de vingt-huit tours en y comprenant celles du château et de sa basse-cour, ne présentait qu'un point faible correspondant au plateau dont l'axe est occupé par la route de Laon. Cette raison suffit à expliquer la valeur défensive exceptionnelle de la porte de Laon qui jouait le même rôle que la porte Saint-Nazaire à Carcassonne. Viollet-le-Duc, qui en a décrit les ingénieuses dispositions avec le plus grand soin l'attribue avec raison à une époque un peu antérieure à celle du château [13].
Porte de Laon.—Au XIIIe siècle, cette porte était précédée d'une barbacane en demi-lune où les routes de Laon et de Chauny venaient se réunir en passant chacune entre deux tours pour aboutir à un viaduc coudé [14] qui traversait une tour ronde isolée devant l'entrée de la porte. Cette tour fut remplacée en 1551 par un bastion pentagonal qui coûta la somme de 2.331 livres [15]. De nouvelles galeries de contre-mine dont le plan est très compliqué vinrent alors se souder à celles du XIIIe siècle. Un couloir voûté qui passe entre les anciennes piles du viaduc primitif permet d'y pénétrer, mais au XIIIe siècle ce passage aboutissait à deux ponts à bascule destinés aux défenseurs qui voulaient passer dans l'intérieur de la barbacane sans faire ouvrir la grande porte.
Viollet-le-Duc del.
PORTE DE LAON
Coupe transversale.
Le plan de la porte se compose d'un rectangle flanqué de deux tours en hémicycle du côté extérieur. Un long passage voûté en berceau brisé et précédé d'un pont-levis donnait accès dans la ville. Deux archères s'ouvraient sur ce couloir du côté de l'orient et débouchaient dans la salle ronde inférieure des tours, éclairée par deux autres ouvertures du même genre. A l'autre extrémité, plus large, un couloir coudé pour dissimuler le nombre des défenseurs aboutissait de chaque côté à un corps de garde carré en ruines surmonté d'un plafond de bois [16] comme toutes les autres salles et chauffé par une cheminée. Au-dessus de ces deux pièces et du passage, une grande salle longue de 22 mètres et large de 8 mètres pouvait servir à loger les hommes du poste. Elle était éclairée à l'ouest par cinq fenêtres à linteau recoupées par un meneau vertical: on y montait par deux escaliers à vis [17].
Chaque tour ronde était divisée en quatre étages non voûtés au-dessus d'une cave sans aération. Les archères encore intactes très longues et très étroites à l'extérieur se chevauchaient pour ne pas affaiblir les murs épais de 5 mètres à la base. A l'intérieur, elles sont encadrées sous des arcs en tiers-point. La chambre qui renfermait le treuil des deux herses se trouvait au-dessus du passage entre les deux tours et le pont-levis se manœuvrait plus haut dans le même axe. On voit encore une sablière courbée sur les corbeaux profilés en quart de rond qui dominent l'entrée. C'est un débris des hourds en bois qui contournaient le sommet des tours sous leur toit conique, suivant la disposition adoptée également par le constructeur du château, mais comme les marques de tâcherons diffèrent, il est évident que la porte et le château ne furent pas élevés par les mêmes ouvriers.
A droite de la porte de Laon, on remarque une grosse tour ronde qu'on peut visiter en traversant le jardin du commandant Mangard toujours aimable pour les archéologues. Elle fut ajoutée au XIIIe siècle de chaque côté d'un rempart déjà bâti, car la salle du rez-de-chaussée est coupée en deux par un mur de refend à talus extérieur. Du côté de la ville, une salle carrée voûtée en berceau avec marques de tâcherons communique par une porte avec un hémicycle recouvert de six branches d'ogives aux angles abattus. Plus loin, à l'angle nord-est de l'enceinte, se trouve la tour éventrée par la mine pendant le siège de 1652.
Deux autres portes donnaient accès dans la ville. Au sud, la porte de Soissons, s'ouvre dans un angle rentrant sous un arc brisé au pied d'une grosse tour ronde. Au nord-ouest, une porte moderne a remplacé l'ancienne porte de Chauny ou de Gommeron aujourd'hui bouchée et flanquée d'une petite tour. Des marques de tâcherons profondément gravées comme celles du château sont visibles sur certaines parties de l'enceinte, mais elles font défaut sur d'autres murs sans qu'on puisse conclure à un remaniement. L'épaisseur des remparts atteint 10 à 12 mètres à droite et à gauche de la porte de Laon, mais comme plusieurs salles sont comblées ou murées, il est difficile de dater ces renforcements successifs qui sont indiqués par des hachures sur le plan de la ville.
Toute la ville de Coucy est bâtie sur des caves à plusieurs étages qui sont d'anciennes carrières aménagées par les habitants. Celles qui se trouvent dans le voisinage de la grande place aboutissaient au puits principal pour pouvoir puiser de l'eau en temps de guerre. Une galerie creusée par le maréchal d'Estrées après la brèche du siège de 1652 traverse la ville depuis la porte de Laon jusqu'au château. Elle vient se relier à celle qui passe sous la partie nord de la basse-cour dont M. Colin, gardien du château, a reconnu l'existence. Une autre galerie transversale coupait le plateau en avant de la basse-cour.
Il faut encore signaler une grande maison du XIIIe siècle près de la porte de Soissons, des maisons qui se distinguent par leurs pignons en gradins comme celles des villages du Soissonnais, une maison voisine de l'hôtel de la Pomme d'Or dont les linteaux de fenêtres sont décorés de motifs du style flamboyant et l'hôtel du gouverneur qui renferme d'intéressantes collections et des souvenirs de Gabrielle d'Estrées.
Église.—L'église du XIIe siècle fut presque entièrement rebâtie au XIIIe, puis au XVIe siècle. La nef gothique comprenait trois larges travées dont il reste deux piles à huit colonnes du XIIIe siècle, mais au XVIe siècle les grandes arcades, les voûtes d'ogives à liernes et tiercerons et les bas côtés furent reconstruits. On subdivisa les anciennes travées par des piles ondulées très minces dont deux furent remplacées par un support rectangulaire à l'époque moderne. Le chœur à cinq pans du XIIIe siècle fut revoûté d'ogives au XVIe siècle, comme le carré du transept dont les piles d'angle sont du XIIIe siècle sauf les chapiteaux. Il faut attribuer à la même époque d'élégants fonts baptismaux en marbre noir dont la cuve octogone ornée de masques et de feuillages repose sur huit colonnettes.
La partie centrale de la façade est une œuvre remarquable de la seconde moitié du XIIe siècle. Six colonnettes soutiennent le portail en plein cintre: l'une de ses voussures ornée de palmettes et de fruits d'arum encadre un tympan moderne. Au-dessus de la fenêtre qui s'ouvre dans l'axe de la nef, six arcatures trilobées et un oculus tréflé entouré de bâtons rompus décorent le pignon.