Le féminisme français I: L'émancipation individuelle et sociale de la femme
III
A quoi bon insister? Les femmes les plus distinguées en conviennent. Si Mme de Staël s'est montrée trop sévère pour elle-même et pour son sexe en affirmant que «les femmes, n'ayant ni profondeur dans leurs aperçus ni suite dans leurs idées, ne peuvent avoir du génie,» Mme d'Agout nous a donné la note juste, la note vraie, en écrivant ceci: «L'humanité ne doit aux femmes aucune découverte signalée, pas même une invention utile. Non seulement dans les sciences et la philosophie elles ne paraissent qu'au second rang, mais encore dans les arts, pour lesquels elles sont bien douées, elles n'ont produit aucune oeuvre de maître. Dans ses plus brillantes manifestations l'esprit féminin n'a point atteint les hauts sommets de la pensée; il est pour ainsi dire resté à mi-côte 56.» De l'avis même de celles qui ont le plus honoré leur sexe, l'homme est donc en possession d'une puissance plus originale et plus inventive. Mais on voudra bien se rappeler que, si quelques hommes ont du génie, beaucoup plus de femmes ont de la beauté; et cela seul rétablit l'équilibre entre les sexes.
La grâce! voilà le don souverain des femmes. C'est par là qu'elles règnent véritablement sur les hommes. Leur charme est si prestigieux que nul n'y résiste. C'est par lui que notre force s'incline devant leur faiblesse. Schopenhauer, il est vrai, n'admettait point que la femme fût un bel animal: ce qui ne l'a pas empêché d'avoir du goût jusqu'à sa mort pour ce «disgracieux bipède». Mais il est plus facile de médire des femmes que de s'empêcher de les aimer. Les vrais misogynes, et j'entends par là ceux qui haïssent furieusement la femme, sont rares. Qu'on parle avec amertume d'une certaine sorte de femme, de celle qui se pose en indépendante et se dresse en révoltée, qu'on prenne même en aversion la femme pédante, la femme «précieuse»: rien de plus naturel. Mais ces restrictions admises, ou est l'homme incapable de goûter la grâce féminine? Entre l'admiration pathétique d'un Goethe qui aimait à proclamer «le culte de l'éternel féminin,» et l'inimitié méprisante d'un Schopenhauer pour le sexe «aux cheveux longs et à la raison courte,» il y a place pour l'estime et la tendresse. Et de fait, nous éprouvons tous, plus ou moins, le besoin de l'affection féminine.
Aussi M. Fouillée a-t-il eu raison d'écrire que la beauté pour la femme n'est pas seulement un don naturel, mais encore «une fonction et presque un devoir 57;» car, c'est à sa grâce que revient l'honneur d'entretenir au milieu des hommes le culte du beau, si comparable au feu sacré sur lequel veillaient perpétuellement les antiques vestales. Et lorsque la beauté est complétée par la bonté, lorsque la douceur du visage et l'harmonie des lignes revêtent et encadrent une belle âme, alors il est vrai de dire que la femme est la caresse de nos yeux et la joie de cette vie qu'elle console et embellit à la fois.
Non point que l'homme soit toujours affreux. La nature a souvent même avantagé le genre masculin. Dans la plupart des espèces animales et surtout parmi les oiseaux, le mâle surpasse ordinairement la femelle par l'élégance des formes, l'éclat du pelage ou le coloris des plumes. Platon et Aristote jugeaient même l'homme plus beau que la femme. Aujourd'hui, par contre, la beauté chez l'homme est si bien considérée comme un accessoire, qu'un joli garçon, dépourvu d'esprit et de talent, passe très justement pour un être insupportable. Notre langue lui applique même un mot déplaisant: elle l'appelle un «bellâtre». N'est-ce point aussi lorsque sa virilité s'effémine que l'homme, perdant le juste sentiment de sa propre valeur, préfère la grâce à la noblesse et la joliesse à la beauté? A vrai dire, le beau absolu ne s'incarne ni dans le sexe masculin, ni dans le sexe féminin. Le charme de l'un se complète par la force de l'autre: de là deux genres de beauté également nécessaires à l'idéal artistique et qui, par leur action réciproque, rapprochent les sexes, éveillent la sympathie et font naître l'amour.
En tout cas, nous ne saurions disputer à la femme la séduction de la douceur, l'attrait de la faiblesse, l'harmonie des proportions délicates, des lignes fines et souples. L'homme a le droit d'être laid; la femme, pas autant. Plus que lui, elle fait fonction de beauté; plus que nous, elle a le devoir d'être belle.
Génie et beauté sont deux privilèges augustes qui se ressemblent. Le génie est une floraison rarissime, dont nous ne pouvons dire d'où elle vient, où elle commence, où elle finit, et que nous sommes, par suite, bien empêchés de définir, un souffle d'en haut, une grâce de Dieu, une lumière incommunicable, dont l'homme aurait tort de triompher comme d'une qualité volontairement acquise et méritée. Telle la beauté, plus facile à sentir qu'à exprimer, qui rayonne, comme l'autre éclate, par un mystère de nature dont l'être de choix qui en bénéficie n'a point le droit de se glorifier. Certes, le travail ajoute aux dons reçus; il donne à la beauté plus de grâce et de séduction comme au génie plus de vigueur et d'éclat. Mais le fond de ces inestimables privilèges ne vient pas de nous. C'est un présent divin. Et voilà pourquoi l'humanité de tous les temps, éblouie par ce reflet des perfections idéales, s'incline involontairement devant les créatures de choix et de bénédiction en qui s'incarne le génie ou la beauté.
Tout cela nous confirme en l'idée que l'homme et la femme sont deux êtres complémentaires, dont les aptitudes distinctes contribuent à l'harmonie de l'ensemble. A elle seule, prise isolément, l'individualité des femmes,--pas plus que la nôtre, d'ailleurs,--ne formerait un tout complet; et Mme de Gasparin nous conseille avec raison de «voir en elle cette seconde moitié de l'homme sans laquelle ni l'un ni l'autre ne sauraient être parfaits.» Le sexe masculin est né pour la lutte, comme le féminin pour la paix. Le premier incarne l'effort et le travail; la second représente la tendresse et la consolation. L'homme et la femme sont donc bien les «deux moitiés de l'humanité»; et celle-ci ne saurait exister, se transmettre, se perpétuer et s'embellir sans leur collaboration. Si diverses que soient leur nature et leurs fonctions, la société ne se soutient, ne vit et ne progresse que par l'addition et la multiplication de ces deux facteurs originaux. Ne les séparons pas!
CHAPITRE IV
Psychologie du sexe féminin
SOMMAIRE
I.--Du tempérament féminin.--Impressionnabilité nerveuse et sensibilité affective.--La perception extérieure est-elle moins vive chez la femme que chez l'homme?--Sentiment, tendresse, amour.
II.--Vertus et faiblesses du sexe féminin.--Les femmes sont extrêmes en tout.--Pitié, dévouement, religion.--La femme criminelle.--Coquetterie et vanité.
III.--Petits sentiments et grandes passions.--La volonté de la femme est-elle plus impulsive que la nôtre?--Indécision ou obstination.--Le fort et le faible du sexe féminin.
J'ai induit du passé qu'il semblait difficile à la femme de s'élever aux sublimes créations du génie, et que la nature l'avait confinée jusqu'à nos jours au second rang de l'intellectualité,--l'homme ayant mérité par ses oeuvres d'occuper le premier. Cette question de préséance résolue, il est intéressant de rechercher pourquoi la femme a été empêchée jusqu'ici de se hausser au niveau de la pensée masculine et de disputer victorieusement à nos grands hommes la palme scientifique, artistique et littéraire. S'il se trouve que cette disparité tienne, comme nous l'avons affirmé, à sa complexion, à sa nature, à son tempérament, à sa constitution même, nous serons autorisé à conclure qu'à moins de refaire le monde,--ce qui dépasse les forces humaines,--l'égalité absolue des sexes, dans les fonctions et dans les oeuvres, est un leurre.
Ici donc, un peu de psychologie ne sera point déplacée. Et puisque d'un avis unanime, le tempérament intellectuel et moral est le reflet du tempérament physique, il est à prévoir que les différences de sexe se traduiront par des différences d'aptitude et d'inclination.
I
L'expérience de tous les temps atteste que la femme est plus impressionnable que l'homme; et par là, j'entends que la faculté d'être ému, la faculté de jouir et de souffrir, d'aimer ou de haïr, la faculté de s'ouvrir à la crainte ou au désir, au chagrin ou au plaisir, occupe une plus large place et joue un plus grand rôle dans sa vie que dans la nôtre. Bref, la sensibilité est son partage et le sentiment son triomphe. A tel point qu'Auguste Comte a pu dire du sexe féminin qu'il est, par excellence, le «sexe affectif».
Et cette sensibilité émotive ne va point, disent les physiologistes, sans une certaine insensibilité physique. M. Lombroso, notamment, affirme que la perception extérieure est moins vive chez la femme que chez l'homme. Maintes fois les médecins ont constaté que les femmes supportent mieux que nous les opérations chirurgicales. Dans une épidémie, leur attitude est admirable de courage et de sang-froid. Nul n'a plus de calme auprès des malades, plus de dextérité pour panser une blessure. Mais cette résistance à la douleur physique vient-elle d'une moindre sensibilité organique? Si la femme se raidit si fortement contre la souffrance, nous aurions tort peut-être d'en conclure qu'elle la ressent moins que nous. N'est-ce pas le propre des natures sensibles de réagir avec vigueur et promptitude contre les épreuves et les dangers? Plus l'action est violente, plus la réaction est énergique. Pour le moins, ce privilège des femmes à supporter la douleur corporelle est une heureuse précaution de la nature, la vie leur réservant d'innombrables occasions de souffrance. Et le professeur italien explique cette immunité relative du sexe féminin par ce fait que nos soeurs ont le goût moins développé, l'oreille moins délicate, l'odorat moins fin, l'oeil moins vif et le tact moins subtil que la généralité de leur frères.
Mais si les femmes sont douées de sens plus obtus,--ce dont je ne suis pas très convaincu,--nous ne pouvons, du moins, leur disputer le «record» de la sensibilité affective Tous les graphologues sont de cet avis: l'écriture féminine révèle une impressionnabilité très vive. Au fond, le tempérament de la femme est plus émotif que le nôtre. Il faut peu de chose pour la remuer, la troubler, l'ébranler jusqu'aux larmes. Par l'effet d'un système nerveux plus excitable, plus sensitif, plus vibrant que celui des hommes, elle est plus ouverte aux inquiétudes, aux tendresses, aux passions. La pitié a dans son âme des retentissements plus profonds et des prolongements plus durables. Elle se console moins vite que l'homme. Aussi la tradition populaire et artistique a personnifié la compassion, la piété, le dévouement, la charité, tous les plus beaux mouvements du coeur, sous les traits de la femme.
Ainsi, nous persistons à tenir la sensibilité affective pour la faculté dominante du sexe féminin. Que cette extrême émotivité vienne de l'instinct ou de l'habitude, de la constitution physique, de l'organisme, des nerfs ou d'une vie plus sédentaire, plus claustrale, plus oisive: peu importe. Scientifiquement parlant, c'est une naïveté, un non-sens, une absurdité, de rechercher ce qu'était la femme des premières générations humaines. Le tempérament actuel des femmes est leur tempérament naturel, puisqu'il a été acquis, reçu et transmis universellement pendant les siècles des siècles. L'habitude n'a-t-elle pas été définie avec raison «une seconde nature»? Et nous ne devons nous inquiéter que de celle-ci, dans l'impossibilité où nous sommes de connaître l'autre, la première, c'est-à-dire la constitution originelle de la femme primitive.
Or, la sensibilité affective explique toutes les manifestations du caractère féminin. C'est donc qu'elle les domine et les engendre.
D'abord, les femmes sont sentimentales; elles ont du goût pour les émotions et les effusions. Le coeur a une large part dans leurs décisions. Le sentiment exerce plus d'empire sur leurs jugements que sur les nôtres. Plus que les hommes, elles se décident par des raisons que la raison ne connaît pas. Ainsi de tous les genres littéraires, le roman est leur lecture préférée, parce qu'elles y trouvent un aliment à leur tendresse et à leur imagination. A celles qui aiment, un livre romanesque rend l'amour plus présent et plus vivant; à celles qui voudraient aimer, il donne de l'amour l'illusion touchante et le doux émoi. Les choses du coeur sont leur domaine de prédilection; c'est ce qui fait que les femmes sont aimantes. Elles aiment l'amour par-dessus toutes choses. Voyez l'enchaînement: la sensibilité est inséparable du sentiment, et le sentiment est inséparable des affections tendres. Aimer, voilà bien la grande affaire des femmes, le besoin le plus impérieux de leur âme et, en même temps, le principe de leurs grandeurs, l'amour étant la source où elles puisent toutes les forces du dévouement.
Non que le sexe fort soit aussi dépourvu de sensibilité affective qu'on se plaît à le répéter. Lacordaire écrivait un jour à une amie: «Vous me dites que les hommes vivent d'idées et les femmes de sentiments. Je n'admets pas cette distinction. Les hommes vivent aussi de sentiments, mais de sentiments quelquefois plus hauts que les vôtres; et c'est ce que vous appelez des idées, parce que ces idées embrassent un ordre plus universel que celui auquel vous vous attachez le plus souvent. Chère amie, on ne fait rien sans l'amour ici-bas; et soyez persuadée que, si nous n'avions que des idées, nous serions les plus impuissants du monde 58.» Mais, en général, bien qu'ils ne soient pas insensibles, les hommes n'en sont pas moins personnels et dominateurs. «Leur moi, a dit Mme Necker de Saussure, est plus fort que le nôtre.» La sensibilité des femmes s'épanche tout naturellement en amour. Aimer est le propre de leur coeur. C'est ce qui a fait dire souvent que, si l'amour est pour l'homme la joie de la vie, il est, pour la femme, la vie même. Et la femme y met plus de constance, plus de fidélité. Au lieu que l'homme épuise assez vite le charme d'un attachement, l'affection des femmes croît avec le malheur de celui qu'elles aiment, avec les sacrifices qu'elles lui font et le dévouement qu'elles lui prodiguent.
S'agit-il là d'une simple attraction de tempérament? d'une vulgaire impulsion des sens? Rarement, j'imagine. En général, la femme est moins accessible aux séductions de la beauté physique qu'aux attraits de la distinction morale et de l'élévation intellectuelle. Je parle, cela va sans dire, de la femme bien née. Si, au contraire, nous la supposons d'esprit léger et de coeur médiocre, il est à croire qu'elle marquera peu d'inclination pour les hommes supérieurs. Ses préférences iront à un brave garçon, ni trop intelligent, ni trop bête, pensant et parlant comme tout le monde, soignant sa mise, mettant bien sa cravate et portant élégamment la moustache et l'habit. Aidé d'un bon tailleur, ce monsieur quelconque sera considéré par certaines petites dames comme un pur chef-d'oeuvre; et pour peu qu'il soit, en plus, docile et complaisant, oh! alors, il deviendra l'idéal du bon mari. Point de doute que ce genre de femmes n'ait, pour le talent, le respect que Xantippe professait pour Socrate. Cette sorte d'infortune conjugale n'est pas rare. Que d'hommes de valeur ont souffert dans leur ménage! Mais on me dira peut-être qu'ils étaient insupportables et que l'instruction des femmes changera ce discord en unisson.
Il n'en est pas moins vrai que, dans la très grande majorité des cas, le sentiment qu'une femme ressent pour un homme, quel qu'il soit, est beaucoup plus pur, beaucoup moins hardi, beaucoup moins charnel que le nôtre; qu'elle l'entoure volontiers de mystère et le voile de pudeur, et qu'en imprégnant son amour d'une sorte de respect physique pour elle-même, elle incline l'homme qui la recherche à joindre l'estime à l'amour.
II
La sensibilité et la tendresse sont si véritablement fondamentales en la femme que tout ce qui fait sa force et sa faiblesse sort de là: ses vertus et ses fautes, ses élans de compassion et son appétit de sacrifice, ses emportements et ses violences sont des suites de son émotivité ardente. Elle représente le coeur avec ses qualités et ses défauts, tandis que l'homme personnifie plutôt la pensée froide et le raisonnement grave. C'est une passionnée qui ne fait rien à demi. Témoin la vivacité de ses affections, l'impétuosité de ses désirs, ses enthousiasmes et ses colères, l'ardeur qu'elle met dans la haine et dans l'amour, dans la vengeance et dans la fidélité, tout ce qui l'abaisse, tout ce qui l'élève. La mesure n'est pas son fait. Chez elle, toute chose prend vite un tour passionnel et démesuré. Comme l'a écrit Octave Feuillet, «elle rêve quelque chose de mieux que le bien et de pire que le mal.» Elle s'enflamme subitement. Ses passions sont explosives, parce qu'elle les chérit, les nourrit, parce qu'elle les «couve», pour rappeler le mot de Diderot.
C'est pourquoi les femmes sont si rarement capables de justice tranquille et impartiale. Exaltées, absolues, «elles sont toutes pleines d'affections et d'aversions sans fondement (c'est Fénelon qui parle), elles n'aperçoivent aucun défaut dans ce qu'elles estiment, ni aucune bonne qualité dans ce qu'elles méprisent.» Et le doux prélat de conclure: «Les femmes sont extrêmes en tout.» Eh oui! extrêmes dans le mal comme dans le bien, suivant l'adage: Optimi corruptio pessima. Elles poussent toute chose à outrance, la religion et l'irreligion, la chasteté et le libertinage, le renoncement et la vengeance, la compassion et la cruauté, l'amour et la haine surtout. Elles aiment et haïssent avec la même vigueur, avec le même bonheur. Les sentiments excessifs les attirent, les emportent et les roulent comme en un tourbillon. Les plus douces y penchent; les violentes s'y ruent. Ce sont, je le répète, des passionnées; et la passion ne se plaît guère aux coteaux modérés où habitent la prudente réflexion et la tranquille sagesse. C'est pourquoi il est à craindre que plus d'une ne se précipite, tête baissée, dans le féminisme «intégral» et, poussant son chemin jusqu'au bout, s'y enfonce, d'un trait, jusqu'en pleine extravagance, jusqu'en pleine immoralité.
Échauffée par la tendresse et par la passion, la sensibilité des femmes s'exalte ou s'exaspère, et se traduit conséquemment en bien ou en mal. Poursuivant notre analyse psychologique, il nous sera facile de prouver que toutes les qualités et tous les défauts de la femme viennent du coeur et des nerfs. Se dévouer est sa première nature, comme aimer est son premier mouvement. Généralement, sa volonté est plus désintéressée que la nôtre. A chaque instant, la maternité, qui sommeille au fond de ses entrailles, se réveille et se répand en sacrifices spontanés qui feront toujours d'elle la meilleure éducatrice. Il faut savoir s'oublier comme elle pour s'adonner utilement à la première formation intellectuelle et morale de l'enfance. Si bon professeur que nous la supposions, son coeur l'emportera toujours sur son esprit. Ne lui parlez pas de principes absolus, ni de raison pure: elle ne comprendra qu'à moitié. L'abstraction idéale la touche peu. Par contre, invoquez devant elle la pitié, l'amour, le pardon; faites appel à la sainte bonté; et de tout l'instinct maternel qui gonfle son âme, elle vous répondra en répandant sans compter les trésors de générosité dont son coeur est plein. Pour elle, toute justice sociale se ramène à un élan de sensibilité affectueuse, au don de soi-même. Tandis que l'homme cherche le règne du droit, la femme ne conçoit et ne poursuit que le règne de la grâce et de la charité. Pour conclure d'un mot, si l'homme vaut plus, la femme vaut mieux.
C'est pourquoi celles d'entre les femmes qui se laissent mordre au coeur par le démon révolutionnaire, sont portées vers le prolétariat militant moins par les formules et les systèmes d'école, que par un élan de vague commisération et d'inconsciente protestation contre la misère. Chez ces terribles femmes, l'esprit de révolte est un succédané de l'amour aveugle qu'elles portent aux petits, aux humbles, aux deshérités, aux victimes obscures de la vie et du monde. Lorsqu'elles se décident à la violence, c'est par un sursaut de pitié, par un emportement, par une explosion de toute leur sensibilité. Et nos discordes civiles nous ont appris les excès de fureur et de destruction dont elles sont capables. Mais, en général, la femme est plutôt pacifique, modérée, conservatrice. Au fond, la violence et le désordre lui répugnent. On a remarqué cent fois que ses goûts réguliers, son entente des affaires, son esprit d'exactitude et d'économie, la rendent éminemment propre à la gestion d'un patrimoine et à l'administration du foyer. A l'inverse de l'homme qui est travaillé par un incessant besoin d'acquérir, par une ambition inquiète d'arriver, de monter, de grandir, la femme se plaît à défendre et à garder la richesse amassée. Plus faible, plus fragile, plus sujette aux incapacités de travail, ayant la surveillance des enfants, le gouvernement du ménage, le soin de la table et le souci des approvisionnements, elle doit être plus accessible que l'homme à la peur de manquer, et elle fait bonne garde autour de l'actif familial.
C'est pourquoi, encore, elle est naturellement religieuse. «Élevez-nous des croyantes et non des raisonneuses, écrivait Napoléon à propos de l'établissement d'Écouen: la religion est, quoi qu'on en puisse dire, le plus sûr garant pour les mères et pour les maris.» Rien de plus facile, la femme inclinant d'elle-même aux choses de la foi. La critique, qui est un acte de méfiance et de destruction, l'offense et la trouble. Elle a besoin de paix, d'ordre, de confiance, de sécurité; et la religion, qu'elle se fait un peu à son image et qu'elle accommode doucement à ses goûts et à ses préférences, est toute de mansuétude et de miséricorde. Ses croyances, plus émues que raisonnées, se transforment aisément en dévotion sentimentale. Le coeur y a plus de part que l'esprit. Son Dieu est amour.
C'est pourquoi, enfin, la femme, étant plus tendre, plus retenue, plus pacifique et plus religieuse, est moins criminelle que l'homme. La maternité, d'ailleurs, est une école de douceur, de patience et de résignation, qui, en vouant la femme à la vie enfermée du foyer, la soustrait aux émotions, aux tentations, aux déviations de l'activité extérieure qui est la loi de l'homme.
Il est vrai que M. Lombroso tire prétexte de cette moindre criminalité pour rabaisser la femme. Comme le génie et la guerre, le crime est masculin. Les violences les plus désordonnées et les plus sanglantes honorent, paraît-il, infiniment notre sexe. A ce compte, il faudrait rendre grâce aux assassins du prestige dont ils entourent, à coups de revolver et à coups de couteau, notre très chère masculinité. Est-ce donc à cause du sang qu'il verse que l'homme a été proclamé le «roi de la nature»? On raconte qu'en fait de cruauté savante, le tigre nous surpasse: M. Lombroso s'en trouve-t-il humilié?
Pour revenir aux femmes, et bien que nous venions de leur faire honneur de mille et mille qualités, nous n'ignorons point qu'il en est d'insupportables. Les bonnes ne peuvent faire oublier les mauvaises et les pires. Il y a, d'abord, les nerveuses et les exaltées. D'ordinaire, leur faculté de pleurer est admirable. Certaines versent des larmes à volonté. D'autres sont rancunières et vindicatives. Beaucoup ont un fond de cruauté inconsciente qui éclate brusquement, soit pour défendre ceux qu'elles aiment, soit pour nuire à ceux qu'elles haïssent. Cette malignité féline,--comme l'impressionnabilité, d'ailleurs,--est un signe et un effet de leur faiblesse et de leur nervosité.
La femme, au surplus, n'est pas exempte d'égoïsme. L'amour de soi n'est-il pas notre fond naturel? Cette tendance inférieure est commune aux deux sexes. Ainsi le veut la loi universelle de la vie. Ne soyons pas surpris que Mme Guizot ait pu écrire que «les femmes ne s'intéressent aux choses que par rapport à elles-mêmes.» Mais l'égoïsme féminin procède surtout de la vanité. «Les filles, dit Fénelon, naissent avec un violent désir de plaire.» Tandis que l'orgueil est le vice dès forts, le péché des hommes, la vanité est le penchant des faibles, le péché des femmes. Si bien que Mme Necker de Saussure a pu en conclure que, chez les jeunes filles, «le désir de plaire l'emporte souvent sur la faculté d'aimer.» D'un mot, la femme est coquette.
Et qui oserait lui en faire un crime? Ayant pour destinée d'être aimée, plaire est un besoin de sa nature; ayant pour fonction d'adoucir et d'embellir la vie, plaire est une nécessité de sa condition; ayant pour partage de tempérer, de civiliser la brutalité masculine, plaire est son arme de combat, son instrument de règne, plaire est la condition même de sa souveraineté, plaire est le principe de toute sa force. Frapper et fixer les regards des hommes, attirer et retenir leurs hommages, émouvoir et enchaîner leur coeur, et, pour cela, cultiver, soigner, orner sa beauté, telle est l'ardente et incessante préoccupation du sexe féminin. C'est une vérité de fait, un lieu commun que les moralistes ont maintes fois mis à profit. Citons seulement ces deux pensées de La Rochefoucault: «La coquetterie est le fond de l'humeur des femmes.»--«Les femmes peuvent moins surmonter leur coquetterie que leur passion.» Ainsi, l'égoïsme féminin est fait surtout de vanité, et cette vanité se tourne naturellement en coquetterie, et cette coquetterie a pour but avoué ou inconscient de préparer les voies à l'amour; et nous voilà ramenés, par un détour, à cette sensibilité émotive qui est le commencement et la fin de la nature et de la vocation des femmes.
Seulement, il est permis de trouver que les femmes d'aujourd'hui sacrifient un peu trop au démon de la toilette. Dans toutes les conditions, le luxe fait rage. Petites et grandes dames veulent être mises à la dernière mode. Poussée à l'excès, la coquetterie démoralise la femme. De là, surtout dans les milieux mondains, ces natures sèches, froides, égoïstes, avides de plaisir et de jouissance. A toute époque, du reste, les femmes déplaisantes, acariâtres, hargneuses, n'ont pas été d'une extrême rareté. Malgré les influences attendrissantes de la maternité, il y a même, hélas! de méchantes mères. Les tribunaux ont trop souvent à s'occuper d'horribles mégères qui, non contentes de persécuter leur mari, martyrisent leurs enfants. Quand les nerfs l'emportent sur le coeur, il est fréquent que les femmes surpassent les hommes en férocité. Mais, dans une étude qui n'a en vue que le fort et le faible de la généralité des femmes, il convient de négliger les monstres.
III
Les effets composés de la sensibilité et de la tendresse, de la sympathie et de la vanité, semblent vouer la femme à l'agitation du coeur, au tourbillon des petits sentiments comme au tumulte des grandes passions, en l'excluant à peu près de la sphère sereine des calmes décisions et des hautes spéculations rationnelles. Nous allons voir, en effet, qu'au point de vue moral et intellectuel, la volonté et l'esprit des femmes sont tributaires de leur tempérament impressionnable et aimant.
Au sens propre du mot, la volonté est la subordination des impressions naturelles et des impulsions instinctives à une règle que l'on s'impose à soi-même. Elle est le contraire du caprice. Elle suppose la possession de soi, le contrôle de nos mobiles, le gouvernement de nos actes. C'est par l'empire exercé sur nous-mêmes, que la volonté nous élève à la dignité de personnes autonomes.
Si cette définition est exacte, la volonté de la femme est certainement plus faible que la nôtre. D'abord, elle est plus incertaine, plus agitée, plus changeante. Elle ne se fixe pas: elle hésite, elle tâtonne, elle flotte. Elle va et vient; elle sautille «comme les mouches»: ainsi parle Kant. Et si la femme manque de décision, ce n'est pas qu'elle manque de mobiles: elle en a trop! C'est une impulsive. Entre les impressions contraires qui l'assiègent, elle ne sait pas, elle ne peut pas choisir. La mobilité est son défaut dominant. Combien de femmes sont plus capables de caprices que de résolutions? Combien de femmes ont plus de velléités que de vouloir?
Même inconstance dans l'exécution. Jean-Paul Richter a dit: «L'homme est poussé par la passion, la femme par les passions; celui-là par un grand courant, celle-ci par des vents changeants.» Sa conduite est pleine de surprises, de retours, de contradictions. La suite dans les desseins, la fermeté, la patience dans l'action, lui font généralement défaut. Elle ébauche tout; elle n'achève rien. Elle se disperse entre mille travaux entrepris avec joie et abandonnés avec dégoût. Elle est d'humeur versatile. Elle ne sait pas attendre; elle se lasse vite. Son âme est en proie à une sorte d'équilibre instable.
Et lorsqu'elle se décide, il arrive souvent que sa résolution tourne en obstination. L'entêtement des femmes est passé en proverbe: «Vouloir corriger une femme, c'est vouloir blanchir une brique.» Toute nature molle et douce qui s'exaspère, devient finalement intraitable. L'opiniâtreté aveugle est soeur de la faiblesse et de l'impressionnabilité. Il faut une grande maîtrise de soi pour convenir de ses torts et sacrifier l'amour-propre à la raison.
Il suit de là que la femme est tantôt le jouet d'impulsions diverses qui l'agitent tumultueusement, tantôt la victime d'une impulsion véhémente qui la domine impérieusement. Ou l'indécision du caprice, ou le vertige de l'obstination. Un grand notaire de Paris me disait: «J'aime mieux traiter une affaire avec dix clients qu'avec deux clientes: on ne peut rien conclure avec les femmes.» Elles ne veulent pas assez, ou elles veulent trop. Et ces défauts contraires procèdent du même fond: l'extrême sensibilité. Ce qui le prouve bien, c'est que, chez les névrosées, cette inconstance fantasque et cet entêtement aveugle prennent tour à tour une telle acuité, que les psychologues ont pu les appeler «les maladies de la volonté».
Moins d'initiative dans les desseins, moins de rectitude dans les décisions, moins de fermeté dans l'action, moins de sang-froid et plus de nerfs, telles sont les manifestations caractéristiques du vouloir féminin, comparé au vouloir masculin,--sauf exception. Car, en ce domaine, nous savons beaucoup d'hommes qui sont femmes. Seulement, dégageant ici les tendances générales du sexe, nous sommes forcé de constater, avec les moralistes et les psychologues, que la volonté féminine est plus chancelante dans les cas ordinaires, mais aussi (et ces admirables qualités rétablissent l'équilibre) plus tendre, plus dévouée, plus agissante dans les circonstances graves de la vie. En effet, le sentiment affectif corrigeant l'impressionnabilité nerveuse, la femme sait lutter mieux que nous contre les épreuves de la mauvaise fortune. Facile à troubler dans les petites choses, elle redevient maîtresse d'elle-même dans les grandes. Bouleversée par une contrariété insignifiante, elle tient tête courageusement au malheur. Jetée hors d'elle-même par l'apparition d'une souris ou le contact d'une araignée, elle retrouve toute sa vaillance devant le péril qui menace les siens. Un coup d'épingle l'émeut jusqu'aux larmes, et les coups irréparables du sort lui font rarement perdre la tête. Une misère de rien l'ébranle, l'abat ou l'affole; une maladie, un deuil, une catastrophe réveille toutes les énergies de son âme. Soutenue par un grand sentiment, elle refoule victorieusement sa timidité et ses appréhensions. En deux mots, toutes ses faiblesses viennent des nerfs; toute sa grandeur, toute sa force vient du coeur. Décidément, la sensibilité affective forme bien la nature foncière de la femme.
CHAPITRE V
L'intellectualité féminine
SOMMAIRE
I.--Caractères prédominants de l'intelligence féminine: intuition, imagination, assimilation, imitation.
II.--Ce qui manque le plus aux femmes: un raisonnement ferme, les idées générales, le don d'abstraire et de synthétiser.
III.--D'un sexe a l'autre, il y a moins inégalité que diversité mentale.--Par ou l'intelligence féminine est reine: les graces de l'esprit et le sens du réel.
Impressionnable, sensible, aimante, dévouée, telle est la femme. Ambitieux, volontaire, actif, entreprenant, voilà l'homme. Ces disparités physiques et morales vont nous donner la clef des dissemblances intellectuelles qui séparent les deux sexes.
I
Si la femme est aussi intelligente que l'homme, elle ne l'est pas sûrement de même façon. Du moment que la sensibilité affective fait le fond de sa nature, il n'est pas possible qu'elle pense comme nous, qu'elle raisonne comme nous, qu'elle étudie et qu'elle apprenne comme nous. Et de fait, les caractères dominants de l'intelligence féminine sont, à un degré plus ou moins éminent, l'intuition, l'imagination, l'assimilation et l'imitation.
Et d'abord, toutes les femmes sont des intuitives. Ce que nous acquérons par l'étude, par la réflexion, par l'application, elles y parviennent généralement par une sorte de divination qui va droit à l'objet de la connaissance, d'un bond, d'un trait, sans effort, sans méthode, avec une sagacité, une promptitude, une sûreté admirables. Elles devinent autant qu'elles apprennent. Leur esprit est primesautier. Elles ont des «lumières naturelles»; c'est-à-dire une clairvoyance instinctive, une compréhension vive et spontanée des choses de l'âme, qui manquent à la plupart des hommes. Et cette souplesse, cette agilité, cette vision aiguë et directe leur vient, sans aucun doute, de leur impressionnabilité nerveuse et de leur émotivité affective. Tous les écrivains qui connaissent le mieux la femme, en conviennent. «C'est dans le coeur, a dit Lamartine, que Dieu a placé le génie des femmes.» Et complétant cette pensée, M. Paul Bourget a écrit ce mot profondément vrai: «Le sentiment peut tout faire entrer dans l'esprit d'une femme.» L'intuition! voilà donc la qualité maîtresse de l'intellectualité féminine.
Et l'intuition est soeur de l'imagination. C'est une des dispositions les plus générales et les plus séduisantes de la femme de rêver la vie. Don charmant et dangereux qui colore toutes choses d'un reflet de poésie et incline l'âme aux illusions vagabondes! On ne saura jamais ce qu'une tête féminine abrite de chimères. Êtres de sensibilité vive et de tendresse passionnée, il serait inconcevable que les femmes ne fussent pas romanesques. Leur imagination est d'autant plus éveillée que leur culture générale est moins fermement rationnelle. Mme de Lambert l'a remarqué: «Comme on n'occupe les femmes à rien de solide, cette faculté de leur esprit est souvent la seule qui travaille.» Où l'imagination règne, la raison est servante.
Les sentimentales surtout (elles sont légion) se laissent éblouir facilement par le vague rayonnement des feux follets qui peuplent leurs rêveries. Et pour peu que les nerfs s'en mêlent et que la santé fléchisse, l'imagination devient la folle maîtresse du logis, une «maîtresse d'erreur et de fausseté 59;» au lieu que, ramenée prudemment à la raison, elle dérobe seulement à nos regards les vulgarités de la vie, en jetant sur le réel la poudre d'or de ses rêves. Et cette charmante illusion est aux âmes féminines un réconfort et une consolation,--quand elle ne fait pas leur faiblesse. L'imagination est mère des grâces de l'esprit et des excentricités aventureuses. Elle a besoin d'être surveillée, car elle penche naturellement vers l'extravagance. Et lorsque la passion l'échauffe et l'exalte, elle se plaît aux sentiers escarpés qui avoisinent les abîmes. En tout cas, c'est par le chemin de l'imagination et de la sensibilité, c'est-à-dire par les nerfs et par le coeur (nous le disons sans malice) que «l'esprit vient aux filles».
A cela, point de mystère. Eu égard à sa sensibilité plus vibrante et plus éveillée, on conçoit que, plus précoce que l'homme par le corps, la femme le soit aussi par l'intelligence. De fait, les filles se développent plus vite et se forment plus tôt que les garçons. Il est banal de parler des étonnantes facilités d'assimilation des femmes. Elles ont de la mémoire, beaucoup de mémoire. Elles comprennent et elles retiennent avec une égale aisance. Leur faculté d'intuition se tourne, se complète et s'achève en accumulation. Elles ont sur nous cette évidente supériorité de pouvoir entasser, sans trop d'efforts, une quantité prodigieuse de détails. En vertu de leur tendance naturelle de réceptivité, elles sont douées très généralement d'une vivacité, d'une fidélité de souvenir telle, que leur cerveau nous figure une sorte de grenier d'abondance où tout se superpose et se conserve étonnamment. Il n'est pas rare qu'il devienne un vivant dictionnaire, un magasin général plein de faits, de noms, de dates, de notions éparses, de broutilles amoncelées. Voyez les aspirantes au brevet supérieur: elles en savent beaucoup plus que les garçons du même âge. Elles savent presque tout, à vrai dire, mais par les petits côtés, à fleur de terre, par la superficie des choses, sans rien creuser ni approfondir.
Tous les jurys d'examens sont d'accord pour reconnaître la primauté de la femme dans les épreuves où la mémoire joue le principal rôle. Le naturaliste Charles Vogt nous a fait, à ce sujet, une confidence intéressante: «Les étudiantes savent mieux que les étudiants. Seulement, dès que l'examinateur fait appel au raisonnement individuel, on ne lui répond plus. Cherche-t-il, au contraire, à rendre plus clair le sens de sa question, laisse-t-il échapper un mot qui se rattache à une partie du manuscrit de l'étudiante: crac! çà repart comme si l'on avait pressé le bouton d'un phonographe. Si les examens consistaient uniquement en réponses écrites ou verbales sur des sujets traités au cours, les étudiantes obtiendraient toujours de brillants succès! 60» De même, tous les professeurs sont unanimes à vanter l'empressement et l'application des jeunes filles qui suivent leurs cours. Elles entassent notes sur notes avec une ardeur fiévreuse; elles les dévorent et les absorbent en conscience. Ce sont des modèles d'exactitude, d'attention, d'avidité. En un mot, leur capacité de réception et d'emmagasinement est surprenante.
Aussi l'imitation est le triomphe des femmes. Est-ce tout profit pour elles? Pas précisément, l'imitation ayant du bon et du mauvais. D'une part, l'imitation est un instinct précieux pour l'enfance; car elle suppose une souplesse, une docilité, une plasticité, dont la première éducation peut tirer un parti merveilleux. Or, comme disait une femme d'expérience, «les filles singent mieux que les garçons.» De là, cette aptitude féminine à se modeler, à se régler sur autrui, à se prêter, à se plier aux milieux et aux circonstances; de là, cette promptitude à tout saisir, cette aisance à tout apprendre, à tout assimiler, à tout reproduire en perfection. On a observé que, lorsqu'une pièce de théâtre comporte un rôle de petit garçon, il n'est qu'une petite fille pour le bien jouer. Bref, le sexe féminin possède un remarquable talent de traduction, d'adaptation, d'interprétation. Dans le domaine de l'imitation, elle est inimitable.
Par malheur, l'imitation ne va point, d'autre part, sans l'acceptation plus ou moins aveugle des usages et des préjugés, sans l'asservissement de l'esprit à l'opinion et à la mode, sans l'absence d'invention, d'originalité, de profondeur. L'imitation est inséparable de la routine. Elle a l'exactitude et aussi la pâleur d'une copie. Elle est coutumière, inerte, froide. L'accent personnel lui manque. On n'y sent point courir la chaleur de la vie et la fièvre de la création. Mais combien d'hommes sont aussi pauvres de ressort et d'individualité? «Il y a dans ce monde si peu de voix et tant d'échos!» comme dit Goethe. Et c'est heureux, et c'est fatal; car l'imitation est une loi et une nécessité sociale. Avec une exquise modestie, Mme de Sévigné se comparait elle-même à une «bête de compagnie». Au vrai, l'humanité est moutonnière. Il semble pourtant que ce penchant soit plus inné chez les femmes que chez les hommes, parce qu'en elles la personnalité est moins forte, moins active, l'originalité plus languissante, plus effacée. D'un mot, les femmes sont moins créatrices que nous. Bonnes à tout, elles ne sont supérieures en rien,--même en cuisine. Mais oui! c'est comme j'ai l'honneur de vous le dire: si le sexe féminin fournit aujourd'hui de bonnes cuisinières, les maîtres de l'art sont des cuisiniers. Chose plus curieuse: les dames n'ont même pas le monopole des modes et des confections; nos élégantes préfèrent les couturiers aux couturières. Aux bonnes «faiseuses», nous pouvons opposer les grands «faiseurs».
L'absence d'individualisme créateur explique donc les facilités d'imitation qui distinguent le sexe féminin. Moins apte à inventer, il lui faut bien s'assimiler les découvertes des hommes, sans même que ses talents d'interprétation soient très enclins à la nouveauté. Ayant peu de goût pour la création, tout ce qui est neuf et hardi la déconcerte et l'effraye. De là son «misonéisme» conservateur et timoré. Que de femmes s'attachent passionnément aux vieilles choses! Combien sont esclaves des usages reçus! Elles ne sont guère accessibles qu'aux changements de la mode, dont les variations renouvellent et soutiennent leur beauté. Et encore, M. Lombroso observe que la plupart des nouveautés du luxe féminin ne sont que «des exhumations d'anciens costumes 61.»
II
Et pourtant les femmes sont curieuses; et la curiosité est le ressort de l'intelligence. Seulement, la curiosité féminine est de qualité un peu inférieure; elle s'applique aux menus détails de la vie; elle est courte et inutile; elle s'arrête à l'écorce des choses. Ce n'est pas cette curiosité large et ardente «qui fait les chercheurs et les savants,» comme dit Henri Marion, cet appétit insatiable de savoir, ce besoin de mieux connaître la vérité, de mieux déchiffrer l'énigme du monde, cette passion désintéressée de pénétrer, les uns après les autres, les secrets de la nature et du passé. Sans doute, les femmes sont, comme les hommes, des êtres de raison. Celle-ci, étant le régulateur de la pensée, appartient également aux deux sexes; mais elle est distribuée à chacun de différente façon. Et après avoir énuméré les caractères prédominants de l'intellectualité féminine, il nous paraît logique d'indiquer les traits saillants de l'intelligence masculine; et du même coup, nous aurons marqué les points faibles auxquels l'éducation des jeunes filles devra s'appliquer avec un soin particulier, pour les parfaire ou les corriger.
Or, il est trois choses qui font la grandeur de l'esprit humain: raisonner, abstraire, généraliser,--trois choses auxquelles l'intelligence des femmes a, pour l'instant, quelque peine à se hausser. Et cela même nous explique pourquoi les hommes ont, plus que les femmes, le don de la découverte et le génie de l'invention.
Le raisonnement féminin manque souvent de calme et de suite. Les femmes montrent peu de goût pour les longues et rigoureuses déductions. Au lieu que leur pensée s'avance méthodiquement du point de départ au point d'arrivée, en s'appuyant avec précaution sur la chaîne fortement tendue des idées intermédiaires, elle se jette souvent à droite ou à gauche du chemin, sous le heurt d'une impression soudaine, au risque de donner tête baissée dans le sophisme ou l'inconséquence. Ce n'est pas à des nerveuses et à des sentimentales qu'il faut demander la mesure, la patience, la lenteur calculée, la circonspection scrupuleuse, qui font les vigoureuses démonstrations et les solides jugements. Si vive est leur compréhension, qu'«elles sautent à pieds joints, comme dit encore Henri Marion, par-dessus les longues chaînes des raisons froides 62.»
Nonobstant cette précipitation, il arrive souvent qu'elles tombent juste, par un pur effet de divination. Mais la logique n'est point leur affaire. Même chez les plus cultivées, la perception intuitive l'emporte sur la raison raisonnante. Elles parlent bien; elles s'expliquent avec finesse, avec abondance. Seulement, leur controverse est moins pleine, moins serrée que celle des hommes. Elles ont rarement la sobriété du verbe masculin, la concision riche et forte de la pensée virile. Fénelon remarque malicieusement que «la plupart des femmes disent peu en beaucoup de paroles.» Ce n'est pas un compliment, mais c'est un fait. De là vient que les mieux douées réussissent assez mal dans le haut enseignement.
Il reste que, dans n'importe quelle discussion, le sexe féminin obéit, d'ordinaire, beaucoup plus à la vivacité d'un sentiment immédiat qu'à la tranquille lenteur d'un raisonnement. Faites l'expérience: rien n'est plus difficile que d'instituer avec une femme une controverse suivie sur un sujet donné. Rares sont celles qui savent raisonner. Vite leur esprit se dérobe ou s'égare, comme si la continuité d'un même thème et le lien ininterrompu d'une argumentation serrée leur étaient à charge. Et en fin de compte, neuf fois sur dix, elles trancheront le débat par une de ces raisons du coeur que la raison ne connaît point. En deux mots, que j'emprunte à Fontenelle, «elles convainquent moins, mais elles persuadent mieux.»
D'autre part, leur curiosité est moins portée vers les abstractions que vers les faits. C'est dire que la femme s'élève difficilement, dans le domaine de la pensée, aux conceptions vastes et superbes. Prompte à saisir ce qui est actuel et concret, elle se représente mal ce qui est spéculatif et impersonnel. Il semble que ses idées soient des états de conscience peu brillants et rarement nets, des lumières pâles et vagues qui n'éveillent qu'une sensation confuse: ce qui a fait dire que l'esprit féminin est moins clair et moins profond que celui des hommes. Quand une femme ouvre un journal, avez-vous remarqué que ses yeux vont droit aux faits divers? L'article de fond l'ennuie. Être de premier mouvement, imaginative et passionnée, elle cherche avidement un aliment, une pâture à sa sensibilité. C'est pourquoi elle préfère le concret à l'abstrait, c'est-à-dire ce qui frappe les sens, ce qui émeut le sentiment, à la vérité toute nue, à la pensée toute pure. Il lui répugne de séparer, d'extraire l'idée du réel. Elle ne reçoit des phénomènes de la nature ou de la vie que des impressions particulières, des sensations successives, qu'elle a mille peines à mettre en formules. Elle ne peut s'oublier elle-même pour regarder la vérité face à face. Ce qu'elle a vu, entendu, éprouvé, souffert ou aimé, enveloppe toutes ses conceptions d'un voile matériel. Elle donne un corps à toutes ses pensées. M. le professeur Ribot, voulant vérifier comment les femmes conçoivent les idées abstraites de cause et de nombre, a reconnu, d'après les réponses faites à son questionnaire, que ces concepts sont toujours associés, dans l'esprit féminin, à des objets particuliers, à des expériences personnelles, à des exemples concrets. Bref, leurs pensées sont inséparables du tangible, du réel.
Est-ce légèreté ou paresse d'esprit? Le ressort de leur entendement est-il trop faible? Pas précisément. C'est plutôt une affaire de nerfs et de coeur, la sensibilité affective expliquant toute la femme. Chez celle-ci, en effet, les idées se tournent naturellement en sentiments. Lorsqu'elle s'élève à la possession de la vérité, c'est par la force de l'amour plus souvent que par la force du raisonnement. Mme de Lambert nous l'accorde en ces termes: «L'action de l'esprit qui consiste à considérer un objet est bien moins parfaite dans les femmes, parce que le sentiment, qui les domine, les distrait et les entraîne.»
Aussi bien les femmes oublient trop fréquemment qu'une tête encyclopédique n'est pas nécessairement une tête scientifique. Faire oeuvre de savant, c'est mettre de la lumière et de l'ordre dans le chaos des observations et des expériences et, pour cela, ramener tous les détails éparpillés à des idées générales, remonter des effets aux causes et s'élever finalement du fait à la loi. En cela, il paraît bien que la femme ait manifesté de tout temps une certaine inaptitude intellectuelle. Autant le travail analytique lui va, autant l'effort synthétique lui pèse. Elle a toujours montré peu de goût pour les vues d'ensemble. Elle voit les choses par leurs petits côtés. Les grands horizons, les larges aspects lui échappent. Elle a peine à dominer un sujet à coordonner une matière.
Voici un jeu de patience; en le décomposant pièce par pièce, nous faisons de l'analyse,--et c'est une distraction même pour un enfant; en le recomposant morceau par morceau, nous faisons de la synthèse,--et ce travail de reconstruction méthodique ne va pas sans effort ni embarras. Or, les femmes sont moins douées que les hommes pour les recherches patientes et laborieuses. «L'attention prolongée les fatigue,» confesse Mme de Rémusat. Il leur coûte de s'appesantir longuement sur un même point. Elles aperçoivent vivement la superficie des choses prochaines, mais elles en percent, creusent, fouillent le fond malaisément. Au lieu de faire le tour d'une question, elles la saisissent d'un coup d'oeil. Si elles ont la clairvoyance rapide d'un instantané, elles manquent de pénétration et de profondeur. Et c'est pourquoi elles voient mieux les détails que les ensembles; et les maisons leur font oublier la ville; et les arbres les empêchent de s'élever à la contemplation de la forêt.
Moins que l'enfant, sans doute, mais plus que l'homme, la femme est incapable de concevoir avec ampleur et de manier avec force les idées générales. La perception des faits et l'analyse des détails conviennent mieux à son esprit que la haute compréhension des ensembles et les vigoureux efforts de la synthèse. Ce qui lui manque, au fond, c'est l'attention forte, persévérante, scrupuleuse, obstinée, qui élève la raison à sa plus haute puissance, à ce degré éminent où Buffon l'égalait au génie et où Newton lui attribuait ses merveilleuses découvertes. Être d'intuition vive et de premier mouvement, la femme se plaît surtout aux idées qu'on saisit vite. Alphonse de Gandolle nous déclare avoir plus d'une fois remarqué chez les femmes les plus instruites, «avec une faible indépendance d'opinion, l'horreur du doute par lequel toute recherche dans les sciences d'observation doit commencer et souvent finir 63.»
A ce compte, les femmes n'auraient pas même l'esprit scientifique, qui consiste à suspendre son jugement jusqu'à ce que la preuve soit faite, à chercher la vérité avec une impartialité absolue, sans se laisser émouvoir ou distraire par les conséquences possibles. Pour la plupart d'entre elles, la paix et la sécurité de la foi sont un besoin. Prises en général, elles aiment la philosophie et cette partie la plus élevée et la plus mystique de la philosophie qui s'appelle la théologie; mais Jules Simon émet cette restriction qu'«elles réussissent à la comprendre plutôt qu'à la juger.» Souvent elles s'élèvent par l'étude jusqu'à la raison qui conçoit, rarement jusqu'à la raison qui discute. Elles sont surtout d'admirables propagatrices. La marquise du Châtelet a répandu en France les découvertes de Newton; Mme de Staël a fait connaître l'Allemagne à l'Europe; Mme Clémence Royer a publié et vulgarisé l'oeuvre de Darwin. Interprètes intelligentes, disciples passionnées, «leur puissance, a dit M. Legouvé, semble s'arrêter où la création commence.»
Auguste Comte a tiré de là une conclusion sévère: «J'ai toujours trouvé partout, comme le trait constant du caractère féminin, une aptitude restreinte à la généralisation des rapports, à la persistance des déductions, comme à la prépondérance de la raison sur la passion. Les exemples sont trop fréquents pour que l'on puisse imputer cette différence à la diversité de l'éducation: j'ai trouvé, en effet, les mêmes résultats là où l'ensemble des influences tendait surtout à développer d'autres dispositions.» Monsieur «Tout-le-Monde» ne pense pas autrement: jamais il ne s'avisera de féliciter un homme d'avoir de la tête, ni une femme d'avoir du coeur. Cela est dans l'ordre. Mais parlant d'êtres supérieurs à leur sexe, il dira: «C'est un homme de coeur, c'est une femme de tête;» ce qui signifie que, dans l'opinion courante, la tendresse du sentiment est aussi rare chez les hommes qu'une forte raison chez les femmes.
III
Pour la solidité et la profondeur du raisonnement, pour les spéculations abstraites et les recherches laborieuses, pour la découverte et la démonstration des plus hautes vérités, pour la pensée philosophique, pour la construction et l'enrichissement de la science, il faut des mâles,--sauf exception, bien entendu! Car, nous le répétons, s'il est des hommes qui sont femmes, il y a des femmes qui sont hommes. Mais ici où nous n'avons d'autre but que d'indiquer les directions générales de l'esprit féminin, il nous est impossible de ne point remarquer que, dans l'ensemble, l'intelligence masculine est plus pleine et plus puissante, c'est-à-dire qu'elle pense, raisonne, généralise et invente avec plus d'ampleur et de maîtrise. En deux mots que j'emprunte à Fourier, l'intellectualité de l'homme appartient au «mode majeur», tandis que celle de la femme relève du «mode mineur».
De grâce, n'en triomphons point contre la femme! Il y a mille façons d'être intelligent. C'est ce qui fait qu'un classement hiérarchique des esprits est chose artificielle et vaine. A la vérité, hommes et femmes sont intelligents à leur manière. Parlons moins entre eux de supériorité ou d'infériorité que de simples différences. La femme est aussi intelligente que l'homme, mais elle l'est autrement. Et la solidité foncière qui lui manque est heureusement compensée par une souplesse de ton, par un charme de conversation, par une puissance de persuasion, auxquels il est donné à très peu d'hommes de prétendre. Pour le sentiment de l'élégance, pour une simplicité relevée de finesse piquante, pour une certaine fleur de délicatesse polie, la femme est reine. Elle a de l'esprit, dans le meilleur sens du mot. Et par là je n'entends pas l'ironie qui la déconcerte, l'effarouche et la blesse, mais cet esprit alerte et subtil qui est tout aisance, grâce, vivacité, diplomatie, qui saisit et reflète les moindres nuances, qui se fait comprendre à demi-mot, et que Bersot a défini «l'art de pénétrer les choses sans s'y empêtrer.»
Et puis, la femme a sur nous le précieux avantage de posséder un sens admirable des convenances et des disconvenances. Combien d'hommes, faussement réputés spirituels, jettent la plaisanterie à tort et à travers, sans tact, sans goût, avec la grimace goguenarde du singe ou la lourdeur du sanglier? La femme d'esprit montre plus de mesure et de légèreté. Elle évite les mots blessants, les ripostes aiguës, les allusions malséantes. Elle aime la plaisanterie délicate, joyeuse et voilée; elle affectionne les idées roses, au lieu que nous avons souvent l'âme sombre et le verbe amer.
Et à cette grâce spirituelle, le sexe féminin joint très généralement un sens merveilleux des conditions de la vie. Entre ces dons, point de contradiction. Peu soucieuse de s'envoler vers la haute spéculation, sensible au fait, à ce qui est immédiat et tangible, il est simple que la femme manifeste (à moins qu'une imagination dévergondée ne lui trouble la tête) un esprit pratique, juste et sûr. Au vrai, elle est souvent l'incarnation du bon sens. Sa timidité la met en garde contre les paradoxes, les utopies et les sophismes; sa modestie l'indispose contre les nouveautés hardies ou subversives. Pour ne point voir si haut ni si loin que l'oeil masculin, son regard saisit mieux peut-être les réalités qui l'entourent. Que de femmes d'intelligence moyenne sont d'utiles conseillères! C'est pour rendre hommage à ces précieuses qualités de tact et de conduite que les anciens avaient déifié la prudence sous les traits de Minerve.
Finalement, si la femme l'emporte sur l'homme par le sentiment affectif, l'homme prime la femme par l'intelligence créatrice. Et cette diversité d'aptitudes est providentielle. Destinée à porter dans ses flancs, à nourrir de son lait, à enfanter, à élever, à éduquer les petits des hommes, la femme doit être susceptible d'une vie intellectuelle moins intense et d'un effort cérébral moins prolongé. Et cette présomption,--que l'expérience a vérifiée,--n'a rien de désobligeant pour la femme, puisque la nature l'a faite plus riche de coeur et de grâce, afin de la rendre plus apte à la propagation et à l'embellissement de l'espèce. C'est une force physique et morale en disponibilité, moins destinée à s'épanouir pour elle-même que réservée pour l'oeuvre incessante du renouvellement de l'humanité.
Et cela même nous rappelle que le christianisme, qui honore la femme en la personne de Marie, subordonne toutefois la Vierge Mère à l'Homme-Dieu. En revanche, l'Église convie tous les fidèles sans distinction de sexe, à une instruction religieuse absolument égalitaire. Aux petits garçons et aux petites filles, elle distribue les mêmes leçons et enseigne le même catéchisme; aux hommes et aux femmes, elle prêche les mêmes commandements, le même Décalogue, le même Évangile. A tous, elle promet même destinée, elle assigne mêmes fins et réserve mêmes châtiments ou mêmes récompenses. Il n'est qu'un sacrement dont le catholicisme exclut les femmes,--le sacrement de l'Ordre,--signifiant par là que, si toute âme est appelée à recueillir et à goûter la lumière de la vérité, c'est le privilège de l'homme de la répandre sur le monde. Au prêtre seul sont confiés expressément le ministère du Verbe, et la garde des Tables de la Loi, et le droit de parler au nom de Dieu. Pourquoi ne verrions-nous pas dans cette primauté suprême un symbole de la vocation intellectuelle de l'homme?
CHAPITRE VI
Ce qu'il faut penser des oeuvres intellectuelles de la femme
SOMMAIRE
I.--Les arts de la femme: musique, peinture, sculpture, décoration.--L'imitation l'emporte sur l'invention.
II.--Les sciences naturelles et les sciences exactes.--Heureuses dispositions de la femme pour les unes et pour les autres.--L'esprit féminin semble plus réfractaire aux sciences morales.
III.--Et la littérature?--Supériorité de la femme dans la causerie et l'épitre.--Le style féminin.--A quoi tient l'infériorité des femmes poètes?
IV.--Hostilité croissante des femmes de lettres contre l'homme.--Action souveraine du public féminin sur la production artistique et littéraire.
V.--Il n'y a pas, d'homme a femme, identité ni même égalité de puissance mentale, mais seulement équivalence sociale.--Pourquoi leurs diversités intellectuelles sont harmoniques.
On connaît le fort et le faible de l'intellectualité féminine. Ses penchants naturels la portent moins vers l'invention que vers l'imitation. Où la réceptivité domine, l'originalité est faible. Les qualités mentales de la femme sont de celles qui font les bons disciples plutôt que les grands maîtres. On s'en convaincra mieux en la voyant à l'oeuvre dans les divers travaux de l'esprit. Ce chapitre sera donc le complément du précédent, son illustration par l'exemple, sa confirmation par le fait. De ce que les femmes ne réussissent qu'à demi dans les arts, les sciences et les lettres, en conclurons-nous qu'une sorte de fatalité naturelle les voue à la médiocrité des résultats, quelque culture qu'elles reçoivent, quelque application qu'elles y mettent? Loin de nous cette pensée décourageante. Encore qu'il paraisse très improbable que le sexe féminin détrône la production virile de sa primauté séculaire, nous n'aurons point l'outrecuidance de lui dire: «Tu iras jusqu'ici, et pas plus loin.» A défaut de justice, la prudence nous ferait un devoir de laisser «la porte entr'ouverte sur l'aveni 64.» Quand le progrès humain est en marche, il faut que tous le suivent. Peu importent ceux qui tiennent la tête, l'essentiel est de faire effort pour les rejoindre.
I
Bien que les femmes aient le sentiment et l'amour du beau, dès qu'elles prennent en main le pinceau, le crayon ou l'ébauchoir, elles n'arrivent guère qu'à réaliser le gracieux et le joli. Cherchez dans les musées les chefs-d'oeuvre signés d'un nom féminin: la liste en est brève. Par contre, le sexe féminin possède un remarquable talent d'assimilation, d'adaptation, d'interprétation. C'est pourquoi, dans les arts, la femme devient une excellente élève. Mais combien rarement elle se hausse à la maîtrise! C'est une observation souvent faite que, même dans les domaines de la parure et de la mode, l'homme l'emporte par ses créations et ses nouveautés. Voyez les femmes artistes et les femmes auteurs: il en est peu qui soient douées d'une réelle originalité de conception, de couleur, de facture. Elles adoptent un maître et pastichent adroitement son genre et son style.
De même, avec toute leur musique, les femmes pianistes ne comptent dans leurs rangs que des compositeurs de second ordre. Aux femmes peintres ne demandez point les larges effets, les touches hardies et vigoureuses: leurs préférences vont communément à l'aquarelle et à la miniature, aux natures mortes et aux fleurs, à tout ce qui exige la grâce et le fini du détail. En général, la main féminine n'excelle que dans les genres secondaires, parce qu'elle a plus de souplesse que de force. Malgré toute leur imagination, les femmes ont mille peines à s'élever jusqu'à la puissance créatrice. Le souffle leur manque. Elles ne sont pas de force. Et au lieu d'affirmer avec éclat un tempérament personnel, la plupart n'arrivent qu'à manifester avec grâce un talent d'emprunt.
Mais si, dans l'ordre esthétique, les femmes créent difficilement, par contre, elles copient en perfection. Combien sont admirables dans l'exécution d'un morceau de chant ou de piano? Nulle tâche ne leur convient mieux qu'un tableau à reproduire, un rôle à apprendre, une scène à jouer. Plus peut-être que le sexe masculin, elles fournissent au théâtre d'admirables artistes dramatiques, danseuses et cantatrices. Je n'aurai pas l'impertinence d'en conclure que les femmes sont naturellement plus comédiennes que nous, mais seulement, avec leur sympathique historien M. Ernest Legouvé, qu'elles sont douées d'«une facilité d'imitation qui se prête à merveille aux arts de l'interprétation.»
Et parmi ceux-ci, nous devons faire une place à part aux arts décoratifs, qui ne sont que la vulgarisation de l'esthétique, son adaptation à l'ameublement, à la céramique, à l'ornementation de nos intérieurs domestiques. En ce genre délicat où le sens et le goût de la parure sont de rigueur, beaucoup de jeunes filles font preuve d'un talent exquis.
II
On vient de voir que les femmes, malgré le goût qu'elles ont pour le beau, ne comptent qu'un petit nombre de représentants éminents dans la peinture, la sculpture et moins encore dans la musique et l'architecture. Sont-elles mieux douées pour la recherche scientifique? C'est douteux. Rares sont les découvertes et les inventions qui sont sorties d'une tête féminine. Et pourtant les femmes sont aptes à tout apprendre, à tout retenir; elles peuvent s'adonner avec succès aux mêmes études que l'homme; elles brillent même en tous les domaines où le rôle de la mémoire est prépondérant. Les menus détails des sciences naturelles ne les effraient ni ne les rebutent. Zoologie, botanique, géologie, physique, chimie, les étudiantes saisissent tout cela avec des facilités égales, sinon supérieures, à la moyenne des étudiants. A la fin de l'année 1900, deux jeunes filles ont, à notre Université de Rennes, remporté les deux premiers prix aux concours de l'École de pharmacie.
L'intelligence féminine n'est pas plus réfractaire aux sciences exactes. Guidée par de bonnes méthodes, elle raisonne avec sûreté sur les chiffres et les figures; elle apprend parfaitement la géométrie, l'algèbre, l'astronomie; elle ne recule même pas devant les mathématiques pures. Bon nombre de femmes supérieures y ont acquis un renom enviable. J'ai un fait à citer. A l'observatoire de Paris, les frères Henry ont entrepris l'inventaire du firmament et la carte photographique du ciel. Une fois les images obtenues, il faut reporter toutes les étoiles à leur place exacte et, pour cela, déterminer leur latitude et leur longitude sur la sphère astronomique, comme on l'a fait pour chaque ville sur les mappemondes que nous connaissons. Or, rapporte un témoin oculaire, «ces déterminations, qui nécessitent des mesures fort minutieuses et des calculs d'une complication et d'une précision extrêmes, sont confiées à six jeunes filles qui travaillent toute la journée sous la direction de Mlle Klumpke, dans un petit pavillon construit récemment; et leur compétence, leur assiduité, leur activité, font l'admiration de tout le personnel de l'Observatoire 65.
Voilà, certes, un bel et noble exemple. Mais les féministes auraient tort d'en triompher, cette exception brillante confirmant nos vues au lieu de les contredire. Nous avons reconnu aux femmes (le fait que nous venons de citer en est une nouvelle preuve) le goût de l'ordre, l'amour du détail, de grandes facilités de mémoire et d'accumulation. Elles sont minutieuses et obstinées. Nous savions encore qu'elles font d'admirables comptables. Comment s'étonner, après cela, qu'elles puissent faire parfois d'excellentes calculatrices? Les mathématiques ne sont point de nature à faire battre violemment leur coeur, à échauffer leur imagination, à émouvoir et à surexciter leur sensibilité. Par conséquent, leur vision reste nette et leur calcul exact.
En toutes les branches des études mathématiques, physiques ou naturelles, nous pouvons, dès maintenant, conjecturer que les étudiantes feront une concurrence redoutable aux étudiants. Non que la science des femmes doive l'emporter un jour sur la science des hommes. Encore qu'elles apprennent aussi bien que nous, les femmes sont moins capables de ces généralisations lentes et méthodiques, de ces recherches patientes et scrupuleuses, sans lesquelles l'esprit humain est impuissant à s'élever jusqu'à l'invention scientifique. Avec de bons maîtres, il est donné au cerveau féminin de s'assimiler aisément toutes les vérités, toutes les connaissances. Mais la pensée créatrice, inséparable sans doute de la puissance physique, sortira toujours des têtes masculines avec plus de vigueur et d'abondance. Il n'est donc pas à croire que les femmes parviennent jamais à nous arracher, en tous les genres, la primauté de la production intellectuelle et du génie souverain.
Où la faiblesse de l'esprit féminin s'accuse avec le plus de netteté, c'est dans le domaine des idées générales. De l'histoire les jeunes filles retiennent surtout les faits, les dates, les anecdotes, sans remonter aux causes, sans embrasser les ensembles. En morale, elles font appel à leurs souvenirs, aux leçons reçues, aux formules apprises. Elles acceptent l'enseignement du maître comme parole d'évangile. Elles reproduisent les jugements d'autrui ou émettent des arrêts avec précipitation. Elles ne brillent point par la patience et la prudence; elles ne savent pas se défier d'elles-mêmes. La critique les déconcerte; le doute les effraie. Elles n'ont pas l'esprit philosophique. Seulement, les plus fines, les plus femmes, se rattrapent sur la psychologie des sentiments, le coeur n'ayant point de secrets pour qui sait vivement sentir et aimer.
Par ailleurs, le droit leur semble peu accessible: c'est qu'il y faut apporter, plus qu'on ne le suppose, de l'esprit d'observation, de la logique, de la droiture, de la mesure. Les femmes ont tant de peine à être justes! Le peu qu'elles aient produit jusqu'à présent dans l'ordre juridique, manifeste une partialité véhémente sur tous les sujets où elles ont quelque intérêt d'amour-propre, et ne dépasse guère une honnête médiocrité pour le surplus. Je doute qu'elles fassent jamais d'équitables jurisconsultes. Et quant aux larges constructions des historiens, quant aux spéculations profondes des philosophes et aux vastes enquêtes des sociologues, si mince est aujourd'hui le bagage des femmes, qu'il est à leur conseiller de ne point nourrir, sur ces points, de trop grandes espérances d'avenir.
III
Et la littérature? Beaucoup de maîtres ont observé qu'en règle générale les filles ont plus d'aptitude pour les lettres que pour les sciences, l'imagination l'emportant, comme on l'a vu, sur toutes les autres facultés de l'esprit féminin.
En tout cas, les femmes nous surpassent sans contredit dans la causerie et l'épître, et en cela elles sont bien femmes. Plus aptes que les hommes à recevoir les impressions et à les retenir, il est naturel qu'elles se plaisent à les exprimer. De là cette facilité d'élocution, cette abondance de parole,--je n'ose dire ce bavardage,--qui se remarque dès le plus jeune âge. L'expérience atteste que les petites filles commencent à parler avant les petits garçons. L'aisance du langage est un don féminin. Les Chinois en ont fait un proverbe: «La langue est l'épée des femmes: elles ne la laissent jamais rouiller.» Et cette verbosité est fille de la sensibilité.
Impressionnables et loquaces, les femmes doivent, non seulement briller en conversation, mais encore exceller dans le style épistolaire, qui n'est qu'un monologue à bâtons rompus. Tandis que l'homme cherche l'ordre, vise à l'idée et rédige une lettre comme il composerait un mémoire, froidement, logiquement, la femme s'en tient aux faits qui l'ont émue, aux menus incidents de la vie qu'elle mène; et sa prolixité vagabonde et attendrie devient une grâce et un mérite. Lors même qu'une femme de talent ou d'esprit se mêle d'écrire une oeuvre de longue haleine, il lui est difficile de réagir contre le flux d'impressions et de mots qui emportent sa plume au hasard. Ici ses facilités se tournent en défauts. On a remarqué bien des fois que ses livres sont rarement d'une construction parfaite et d'une égalité soutenue. Ils valent moins par l'ensemble que par les détails, presque toujours gracieux et piquants, qui figurent alors de fines perles dispersées auxquelles manqueraient un lien et un écrin.
La vérité m'oblige même à constater,--j'en demande pardon aux femmes de lettres,--que notre forme littéraire ne leur est redevable d'aucune nouveauté, d'aucun progrès, d'aucun embellissement, d'aucun enrichissement, et que la conversation des femmes de salon a plus fait pour notre langue que tous les livres réunis des femmes auteurs. Il n'y a pas à protester: les femmes, en général, sont «médiocrement artistes». C'est le jugement de M. Jules Lemaître et j'y souscris. Qu'ont-elles donné au théâtre, à l'éloquence, à la philosophie? Quelles contributions ont-elles fournies à l'histoire, à la critique, à la poésie? Rien ou peu de chose. Supprimez même par la pensée toutes les femmes peintres, sculpteurs ou musiciens: l'art humain n'en sera point amoindri. Les meilleures oeuvres féminines sont des romans, des lettres et des mémoires. Et si précieux que nous tenions cet appoint, supprimez-le encore, sans excepter la production de George Sand et la correspondance de Mme de Sévigné: notre littérature s'en trouvera certainement appauvrie, mais sa forme n'en sera point diminuée, ni sa direction changée, ni sa marche ralentie, ni son évolution aucunement modifiée. Ce qui ne veut pas dire qu'on ait bien fait de fermer aux femmes l'entrée de la Société des gens de lettres ou de l'Académie française. Il en est, aujourd'hui encore, qui ne feraient point mauvaise figure à l'Institut. On peut être académicien, hélas! sans être immortel.
Chose curieuse: je ne sais aucun genre où les femmes aient marqué une plus incontestable médiocrité qu'en poésie. Et les femmes sont la poésie même, et par leur très vive façon de la sentir, et par leur charmante façon de l'inspirer. Elles ont l'instinct, le goût, la passion du beau, et elles ne savent guère l'exprimer. C'est un fait. Presque toutes ont de l'imagination et beaucoup s'efforcent de rimer. Combien y réussissent? Peu. Combien y excellent? Point. Elles font des vers honnêtes, péniblement, comme un bon rhétoricien improvise, avec application, d'honorables discours latins. Si elles nous ont donné parfois d'agréables versificateurs, elles n'ont pas fourni un seul grand poète. Voilà bien le plus curieux problème psychologique qui se puisse poser! La femme, que nous savons si sensible à la beauté qu'elle reflète, si facilement touchée par la grâce du langage, par l'harmonie d'un tableau, par les caresses de la musique ou par l'intrigue palpitante d'une oeuvre dramatique; la femme, que nous voyons tous les jours si impressionnable, si sentimentale, si profondément remuée par tout ce qui est grand, noble, tendre, passionné; la femme, cette sensitive d'esprit et de chair, manifeste pourtant une sorte d'inhabileté invincible à traduire les images supérieures, les visions de son imagination et les battements de son coeur. En un mot, la femme a plus de sensibilité que de littérature.
A ceux qui demanderont, maintenant, pourquoi les femmes auteurs et artistes atteignent si rarement à la perfection du style, à l'expression vraie, à la forme rare qui éclaire et qui émeut, à la «beauté absolue», je répondrai que, précisément, elles sentent toutes choses trop vivement, trop tumultueusement, pour les bien voir et les bien exprimer. «Lorsque les femmes sont véritablement sensibles, a dit Mme de Genlis, elles l'emportent sur les hommes par la délicatesse, dont ils ne sont pas susceptibles.» Au moral, oui: c'est entendu. Mais je ne puis acquiescer à la conséquence que Mme Louise Collet en tirait: «Nier leur talent d'écrire, affirmait-elle, c'est nier leur faculté de sentir, l'un dérivant naturellement de l'autre.» Il y a erreur. Sans doute, il faut à l'écrivain, au poète, à l'artiste, un coeur pour sentir, aussi bien qu'une tête pour concevoir; mais une certaine maîtrise de soi ne leur est pas moins nécessaire pour peindre ce qu'ils voient et pour exprimer ce qu'ils ressentent. Point d'oeuvre parfaite, sans de longs tête-à-tête avec la pensée créatrice, avec la forme rêvée, avec le dieu entrevu. Certes, quand l'idée vient, il faut la sentir, mais aussi la méditer. Et Mme d'Agoult nous fait ce charmant aveu: «Les femmes ne méditent guère. Elles se contentent d'entrevoir les idées sous leur forme la plus flottante et la plus indécise. Rien ne s'accuse, rien ne se fixe, dans les brumes dorées de leur fantaisie. Ce ne sont qu'apparitions rapides, vagues figures, contours aussitôt effacés. On dirait qu'elles n'ont nul souci de la vérité des choses, et que leur esprit n'a commerce qu'avec ces personnages énigmatiques de la scène grecque, qu'Aristophane appelle les célestes nuées, les divinités des oisifs 66.»
Et pourquoi ces rêveries évasives et ces songes nébuleux, sinon parce que les femmes, au lieu de maîtriser leurs émotions, s'abandonnent au flot jaillissant et capricieux de leur imagination? Si donc l'expression trahit généralement la pensée des femmes, c'est apparemment «qu'elles sont trop émues au moment où elles écrivent 67.» Ce jugement est encore de M. Jules Lemaître. Nous exprimerons la même idée en disant tout simplement que, pour bien écrire, les femmes ont l'âme trop pleine, le coeur trop gros et les pleurs trop faciles. Au moindre spectacle qui les charme, au moindre sentiment qui les touche, les voilà si profondément remuées que leurs yeux se mouillent et se voilent, leur main tremble,--et les mots viennent comme ils peuvent, sans précision, sans transparence, sans éclat. Or, pour peindre supérieurement quelque objet, ce n'est pas assez de l'entrevoir vaguement à travers les larmes. Quand le coeur bat trop fort, il n'est pas possible de s'élever à l'expression définitive, à l'impeccable beauté, sereine et pure. La violence désordonnée de la sensation trouble la limpidité du regard.
Et l'on s'en aperçoit au style de la plupart des femmes. Écoutons encore Mme d'Agoult: «Penser est pour un grand nombre de femmes un accident heureux, plutôt qu'un état permanent. Elles font, dans le domaine de l'idée, plutôt des invasions brillantes que de régulières entreprises et des établissements solides. Leur propre coeur est cette perfide Capoue qui les séduit et les retient souvent à deux pas de Rome.» Là est l'explication du peu d'invention des femmes. Ce qui prédomine en leurs âmes, c'est l'activité spontanée, avec son cortège de sentiments désordonnés et d'images surabondantes. Elles vibrent au moindre choc. Leur imagination est proche voisine des sensations; c'est une sorte de phosphorescence continue qui projette, sur le monde des idées, des lueurs incessantes, mais pâles et vagues. A l'invention poétique, il faut le rayonnement soudain de l'éclair. Et cette lumière souveraine ne s'obtient que par la coordination, par la concentration des efforts, par ces arrêts conscients de la pensée, qui constituent proprement la volonté créatrice. Chez les natures trop sensibles, l'imagination est en perpétuel mouvement; elle se disperse au hasard des impressions et des sentiments. Sa lumière se promène sur toutes choses, sans se fixer sur aucune. C'est donc parce que l'imagination féminine est si excitable et si jaillissante, qu'elle manque de vigueur et de fécondité.
IV
Il n'y a plus de doute: si les femmes ont tant de peine à exceller dans les lettres et dans les arts, et plus particulièrement dans la poésie, c'est qu'elles ont trop de sensibilité, trop de nerfs, trop de coeur; c'est, d'un mot, qu'elles sont femmes. Lors donc que Mme de Peyrebrune écrit à Mme de Bezobrazow: «Le germe est en nous bien vivant de la possibilité de création intellectuelle qui nous est déniée, et ce germe libéré retrouvera intacte sa germination interrompue 68,»--j'ai peur que cette femme distinguée ne s'abuse gravement. Est-il si facile de corriger son coeur, de réformer sa nature, de refaire son sexe? A emprunter même quelque chose de l'homme, nos fières novatrices ne risquent-elles point de perdre quelque chose de la femme? D'autant que les qualités dont leur sexe est le plus fier, c'est-à-dire la sensibilité et la tendresse, sont les causes mêmes de son peu d'originalité créatrice. Qu'elles veillent donc à ne point s'appauvrir du côté du coeur, en travaillant à s'enrichir avec intempérance du côté de l'esprit. Dieu nous préserve de la femme-homme, raidie et desséchée dans la poursuite d'une virilité insaisissable!
Par bonheur, rien ne permet de supposer que la femme de l'avenir puisse à ce point sortir d'elle-même qu'elle finisse par dépouiller à la longue ce qui l'individualise, et par acquérir en échange la vigueur et les formes d'intellectualité qui nous sont propres. Même dans le domaine littéraire qui leur est le plus favorable (on compte aujourd'hui plus de cinq cents femmes qui vivent de leur plume), le présent,--après le passé,--nous confirme en ce jugement, que l'homme tient la tête et a mille chances de la garder. Les femmes elles-mêmes y souscrivent comme d'instinct. Il est curieux de remarquer que, par un hommage inconscient à la supériorité littéraire de notre sexe, la plupart des femmes de lettres cachent leur identité sous un pseudonyme masculin. Serait-ce donc que la douceur de leur nom de jeune fille les afflige ou les blesse? Aucunement. Si elles s'emparent de nos prénoms, si elles usurpent nos marques de fabrique, si elles se font hommes par la signature, c'est moins pour se viriliser autant qu'elles peuvent, que pour allécher la clientèle. Elles ont vaguement conscience que les lectrices, autant que les lecteurs, ont une préférence marquée pour les productions de l'homme. Car, après tout, en exceptant quelques femmes de grand talent, il faut bien dire que, prise dans sa généralité, la littérature féminine est quelconque, fade, incolore, lorsqu'elle a le bonheur de n'être pas moutonnière et bêlante. Ne nous plaignons donc pas d'une concurrence déloyale qui n'est, au fond, que la reconnaissance involontaire de notre mérite littéraire.
Mais il paraît que cette faiblesse a trop duré. Déjà les femmes peintres et sculpteurs ont leurs expositions particulières. De même, les plus entreprenantes des femmes auteurs s'apprêtent à nous combattre à visage découvert sur le terrain du drame et du roman où, pour le dire en passant, notre sexe a fait preuve, jusqu'à ce jour, d'une écrasante supériorité. C'est un fait que la littérature féminine devient de plus en plus agressive. Le livre ne lui suffisant point, elle envahit la scène. Nous avons, par intermittence, des représentations féministes. Les femmes de lettres en sont très fières. A les entendre, cette innovation théâtrale était depuis longtemps désirée et impatiemment attendue. Comme si le répertoire moderne ne s'était jamais occupé du beau sexe! Où a-t-on vu que nos auteurs dramatiques aient négligé de plaider devant le grand public les thèses les plus hardies et les causes les plus aventureuses?
Seulement, il s'agit beaucoup moins d'étudier le caractère féminin et de le guérir, par le ridicule, de ses vanités et de ses travers, que de préparer activement l'émancipation du sexe. On se flatte de continuer par le théâtre ce qu'on a si bien commencé par le roman: l'abaissement de l'homme et la revanche de la femme. A-t-on remarqué suffisamment que, dans presque toutes les oeuvres des femmes auteurs, l'homme est réduit aux plus piteux rôles? Être faible et inconsistant, nature inerte et lâche, sans volonté, sans caractère, il ne joue partout qu'un personnage odieux ou fatigué. Combien plus mâles et plus vigoureuses sont les femmes de ces récits et de ces pièces! Que leur décision nette, leur fermeté résolue, leur ton impératif, sont bien faits pour nous humilier! Après avoir donné à l'homme une âme de femme, on ne manque point de prêter à la femme un coeur de mâle. Toutes les énergies, toutes les virilités abdiquées par le compagnon sont recueillies naturellement par la compagne. Des hommes efféminés et des femmes viriles, voilà bien, n'est-ce pas, toute notre société?
«C'est du parti pris!» direz-vous.--Soit! En cela pourtant, je ne puis m'empêcher de voir un système de représailles qu'il est facile d'expliquer. Comment nos romanciers et nos dramaturges ont-ils traité la femme depuis un quart de siècle? Soyez francs, et vous reconnaîtrez que naturalistes et psychologues ont rivalisé envers elle de mépris et de brutalité. Qu'elle soit du monde ou du peuple, bourgeoise ou artiste, nos maîtres écrivains l'ont-ils assez fouettée ou salie? Que sont les femmes de Dumas, de Zola, de Maupassant, de Bourget même? De pauvres créatures perverses, malades ou douloureuses, dont il faut se méfier comme de la peste. Et si, aujourd'hui, nos soeurs de lettres se retournent avec fureur vers le sexe fort, pour lui jeter au visage les gentillesses que vous savez, en vérité, ne faisons pas les étonnés: nous l'avons bien mérité. Nos romanciers ne voient nulle part l'honnête femme; par une rétorsion légitime, nos romancières ne veulent pas croire à l'honnête homme. Pour être justes, sachons reconnaître une bonne fois que, dans les drames de la passion, rien n'égale le mal que nous font les femmes, si ce n'est le mal que nous leur faisons.
L'esprit de la littérature féminine nous est donc manifestement hostile. Que donnera cette réaction? Des inepties ou des chefs-d'oeuvre? Tout ce qu'on peut dire pour l'instant, c'est qu'envisagée dans son ensemble, la forme littéraire des femmes auteurs ne s'est point sensiblement élevée au-dessus des oeuvres antérieures. Sans rabaisser en quoi que ce soit les écrivains gracieux ou brillants dont le sexe féminin s'honore aujourd'hui, on doit reconnaître que la maîtrise de la plume est encore aux mains des hommes; et j'ai l'idée qu'elle y restera.
Au surplus, les femmes auraient bien tort de s'affliger de cette infériorité. N'est-ce pas l'honneur de leur sexe d'inspirer tous les grands poèmes d'amour et de passion, toutes les oeuvres de grâce et de beauté? Là encore, il y a compensation. Jamais artiste n'eût peint ou façonné les merveilleuses figures qui peuplent nos musées, s'il n'eût trouvé dans la réalité les modèles vivants de l'éternel féminin. Qu'importe que la femme ait signé rarement un chef-d'oeuvre, puisqu'elle les a presque tous inspirés? Nos plus beaux ouvrages sont pleins de sa beauté. En nos livres, en nos drames, en nos vers, elle joue le principal rôle. Elle les suggère, elle les échauffe, elle les illumine. Et quand l'oeuvre est parue, elle la discute et la juge; elle en consacre le succès ou en détermine la chute. Il n'est pas d'homme qui, dans le secret de son coeur, n'aspire avidement à voir,--ne fût-ce qu'un jour,--son nom voltiger sur les lèvres des femmes.
Qu'elles se consolent donc de ne point travailler comme nous, puisque nous ne pouvons travailler comme elles, puisque nos oeuvres nées de leur souvenir, de leur amour et des joies qu'il donne ou des souffrances qu'il inflige, ne vivent que par leur grâce et meurent de leur abandon. Elles ont mieux à faire que de peiner avec nous aux mêmes besognes et dans les mêmes sillons. C'est leur fonction sociale d'encourager les ouvriers de la pensée, et aussi de modérer leur zèle et leur ambition, en les rappelant au bon goût, à la beauté, à la bonté, à la douceur de vivre et à la joie d'aimer, en défendant les moeurs, les croyances, les traditions, tout ce qui fait la force d'un peuple, contre les hardiesses des chercheurs, contre les impatiences et les audaces des novateurs, contre cette fougue de progrès et cette fièvre de changement qui précipiteraient le monde en des voies dangereuses, si la souveraineté féminine n'était là pour en ralentir la marche ou en redresser le cours.
V
Au point où nous en sommes, plusieurs conclusions s'imposent.
D'abord, il n'y a pas entre l'homme et la femme identité de capacité intellectuelle, tout simplement parce que cette identité n'existe même pas entre les hommes. Les traits de l'esprit, comme ceux du visage, se diversifient à l'infini. Impossible de rencontrer, d'homme à homme ou de femme à femme, deux têtes qui se ressemblent exactement. Comment voulez-vous qu'au spirituel, le masculin et le féminin se confondent et s'identifient? Pour parler avec vraisemblance de l'identité intellectuelle des êtres humains, il faudrait préalablement les fondre en un seul type: ce qui est contre nature.
Il n'y a point davantage entre l'homme et la femme,--et ce second point me semble résulter de tout ce qui précède,--simple égalité de capacité intellectuelle, parce que, si éminents qu'on les suppose tous deux, leur valeur respective gardera toujours un cachet propre qui les distinguera l'un de l'autre, de même qu'un homme et une femme peuvent être beaux dans leur genre, sans pour cela qu'ils le soient de la même façon. Pour parler à bon droit d'égalité intellectuelle entre l'homme et la femme, il faudrait encore modifier à ce point la nature, que les deux sexes fussent ramenés à un seul. Autant refaire le monde! L'égalité vraie ne se conçoit que dans le domaine des mathématiques pures.
Mais s'il n'y a point, d'homme à femme, identité ni même égalité de puissance mentale, n'est-il pas au moins entre leurs deux sortes d'intelligence une équivalence sociale? Je suis tout disposé à le reconnaître. Bien que la capacité féminine soit autre que la capacité masculine, elle n'en est pas moins aussi nécessaire que la nôtre à la conservation intellectuelle de l'espèce et au progrès spirituel de la civilisation. Nous n'avons pas la tête mieux faite que les femmes, mais autrement. Dans son genre d'intellectualité, chacun des deux sexes vaut l'autre. Les hommes seraient réduits à rien sans l'intelligence féminine, et les femmes à zéro sans l'intelligence masculine. Socialement parlant, hommes et femmes donnent autant qu'ils reçoivent.
Oui, certes, il y a équivalence d'utilité intellectuelle entre les sexes. Seulement, cette équivalence même suppose chez l'un et chez l'autre une certaine diversité de dons, d'aptitudes et de facultés. A se trop ressembler, ils finiraient par se moins rechercher. C'est une remarque souvent faite que, dans la femme qu'il épouse, l'homme se plaît à trouver ce qui lui manque et ce qui le complète. Faites, par hypothèse, que la femme ne soit qu'une copie exacte et qu'un double exemplaire de l'homme: ils pourront se traiter en camarades. En époux? Jamais de la vie. La femme n'est pas un mâle imparfait, un homme arrêté dans son développement, et qu'il est urgent d'épanouir et de modeler à notre ressemblance. Elle est une créature autre, qui doit veiller à ne point gâter sa nature distinctive, à ne point affaiblir son cachet original, à ne point aliéner ses qualités propres. Pour que les sexes se désirent, se recherchent et s'allient, il faut qu'ils diffèrent.
Je n'entends point que ces dissemblances aillent jusqu'à l'antipathie, ni que ces disparités se creusent en incompatibilités irréconciliables. Il reste toutefois que le lien le plus cher et le plus fort qui puisse unir deux âmes, suppose moins deux natures semblables qui s'imitent et se copient servilement, que deux natures diverses qui s'enrichissent et s'achèvent mutuellement. Pour peu que l'homme s'effémine et que la femme se virilise, ils auront moins d'attrait, moins d'inclination et de condescendance l'un pour l'autre. L'amour est un échange dans lequel chaque époux donne ce qu'il a en trop pour obtenir ce qu'il a en moins. Si donc la femme pouvait se rendre pareille à l'homme, le monde perdrait quelque chose de sa variété féconde, et le doux amour risquerait d'en mourir. Michelet disait: «On a fait fort sottement de tout cela une question d'amour-propre. L'homme et la femme sont deux êtres incomplets et relatifs, n'étant que deux moitiés d'un tout.» Et il faut ajouter que c'est précisément à leurs qualités et à leurs insuffisances respectives, qu'ils doivent de s'attirer, de s'aimer, de s'unir pour engendrer la vie et perpétuer l'humanité.
Finalement,--et cette dernière réflexion est d'importance majeure,--l'«émancipation intellectuelle» des femmes autour de laquelle le féminisme mène si grand bruit, est une formule à double sens qu'il nous est impossible d'accepter au pied de la lettre. Veut-on dire par là que la femme d'aujourd'hui doit être d'un esprit plus cultivé que la femme d'autrefois? D'accord. Il serait étrange qu'elle n'eût point de part aux découvertes de la science et aux enrichissements incessants de la pensée moderne; que, pendant que l'homme progresse, elle s'attardât dans la médiocrité; qu'indifférente à tout ce qui se fait, s'invente et s'enseigne, elle fût incapable de se mêler à la conversation de son mari et de surveiller l'éducation de ses fils.
Que les femmes s'associent donc aux progrès intellectuels des hommes et, pour cela, que les jeunes filles soient plus solidement instruites et plus sérieusement éduquées: nous y souscrivons d'enthousiasme. Veut-on dire encore que l'instruction autoritaire du bon vieux temps ne suffit plus? C'est entendu. «Quand le progrès humain fait un pas, a dit Chateaubriand, il faut que tout marche avec lui.» Plus de ces disciplines routinières et coercitives, dont c'est le malheur de peser sur l'esprit au lieu de l'épanouir, de comprimer la personnalité au lieu de l'affermir. Toute contrainte qui déprime l'être, anémie la raison et débilite la volonté, a pour conséquence inévitable de vouer la jeunesse à l'abdication, à l'inertie, à une incurable indigence intellectuelle. Ce n'est pas au moment où s'élargit sans cesse le rôle de la femme, qu'il convient de mettre des lisières ou des entraves aux facultés de son esprit. Ce serait trop peu de lui enseigner le catéchisme, la guitare et la révérence. Le temps n'est plus où l'on pouvait lui interdire, comme à un enfant, la lecture de certains livres réputés trop graves pour sa petite cervelle. Tout ce que l'homme sait, la femme entend l'apprendre à ses risques et périls; et l'on peut croire qu'elle y réussira souvent. Que sa volonté soit donc faite et non pas la nôtre!
Mais pour que son accession à la plénitude de la connaissance lui apporte la force morale et l'élévation spirituelle, il serait fou d'affranchir sa raison et son coeur de toute direction tutélaire, de toute autorité laïque et religieuse. Puisque l'intelligence féminine est, moitié par nature, moitié par habitude, plus brillante que solide, plus rapide que sûre, plus fine que profonde, plus intuitive que raisonnée, puisqu'il importe de la prémunir contre les pièges que lui tendent l'imagination et la sensibilité, et les facilités même de sa mémoire et les impulsions aveugles de sa tendresse passionnée, ne parlons pas d'émancipation, mais d'éducation. Plus un être est faible, plus il doit être protégé contre lui-même. L'indépendance lui serait funeste. Il a besoin d'une règle, d'une discipline. Loin donc d'affranchir absolument l'intellectualité féminine, c'est à la former, à l'instruire, à l'élever, que doivent tendre tous les efforts de la pédagogie. En un mot, ce qu'il faut aux jeunes filles, c'est une forte culture. Laquelle? Nous le dirons à l'instant.
LIVRE IV
ÉMANCIPATION PÉDAGOGIQUE DE LA FEMME
CHAPITRE I
S'il convient de mieux instruire les filles
SOMMAIRE
I.--Le pour et le contre.--Double conception du rôle de la femme.
II.--Utilité d'une meilleure instruction de la femme pour elle-même, pour le mari et pour les enfants.
III.--Qu'est-ce qu'une jeune fille instruite?--Quelques opinions de femmes.--L'éducation féminine est trop souvent frivole et superficielle.
IV.--Il faut inculquer a la jeune fille des goûts plus sérieux et la mieux préparer aux devoirs de la vie et du mariage.--Avis d'éducateurs célèbres.
I
Cette question a le privilège de provoquer des adhésions enthousiastes et d'amères récriminations.
Semez, disent les idéalistes, semez l'instruction à pleines mains dans les intelligences féminines, et vous verrez bientôt lever la semence et grandir la moisson. C'est le fonds qui manque le moins. Pourquoi les hommes auraient-ils peur des savantes et des doctoresses? Comment le foyer conjugal pourrait-il en souffrir? La femme en est déjà la grâce et la joie: faites de plus qu'elle en soit la lumière et le bon conseil, et elle vivra en communion plus étroite avec son mari. Que de fois celui-ci s'est plaint de l'indifférence de sa compagne pour les connaissances qu'il possède, pour les études qu'il entreprend! Élevez-la donc à son niveau; et l'époux, enfin compris, encouragé dans ses ambitions, soutenu dans ses projets, assisté même en ses travaux, sera moins tenté de chercher au dehors l'appui ou la distraction qu'il trouvera chez lui. Sans compter que, peu à peu, par une infiltration lente et mystérieuse, les mères pourront transmettre à leurs enfants des dispositions cérébrales plus actives et plus puissantes; et le milieu social s'en trouvera surélevé, l'esprit français élargi et fortifié. S'il faut en croire le verbe sonore de M. Izoulet, on ne saurait s'imaginer de quelles délices l'épanouissement intellectuel de la femme enivrera la «spiritualité» de l'homme. «Supposez-les tous deux également, quoique diversement, développés au dedans: alors se consomme la communion des consciences; alors se multiplient, innombrablement, dans le jeu des affinités secrètes, les invisibles rencontres et les subtiles élections; alors, vraiment, le couple humain féconde par l'esprit la misère des heures et éternise la vie brève en y faisant sourdre l'infini 69.» Point de doute: ce sera le paradis des anges.
Erreur! protestent les misogynes. Gardez-vous bien d'ouvrir aux femmes les réservoirs de la science: elles s'y noieraient. L'appétit de savoir et l'orgueil de connaître leur feront tourner la tête. De quelle vanité dominatrice vos bachelières et vos doctoresses écraseront les redingotes environnantes! Nietzsche a mille fois raison de tenir l'émancipation intellectuelle de la femme pour «le déshonneur du genre mâle.» D'après lui, «le bonheur de l'homme s'appelle: je veux! tandis que le bonheur de la femme s'appelle: il veut!» Comparant l'âme de celle-ci à «une pellicule mouvante sur une eau peu profonde,» il tient l'obéissance pour le meilleur moyen de donner «une profondeur à sa surface.» Au reste, cet être superficiel et léger ne se relève que par l'enfantement. «La femme est une énigme dont la solution s'appelle maternité.» Hors de là, elle rapetisse à sa mesure tout ce qu'elle touche. C'est donc folie de l'instruire, afin de l'élever jusqu'à nous et d'en faire la confidente de notre idéal, l'âme de notre volonté, notre égale intellectuelle. Il n'est que temps, au contraire, de la rappeler à son rôle et de la remettre à sa place. Nietzsche a bien mérité de l'humanité lorsqu'il l'a définie: «Un chat, un oiseau, au meilleur cas, une nourrice 70.»
Convient-il donc de monopoliser la lumière et la science au profit des hommes, et de condamner les femmes à l'ignorance et à la frivolité? Loin de nous cette injustice et cette cruauté. Il ne nous paraît pas impossible que le sexe féminin croisse en hauteur et en largeur d'esprit sans oublier sa tâche maternelle, sans rien perdre de sa grâce et de sa douceur. «Vous êtes donc partisan, me dira-t-on, de l'instruction des femmes?»--Parfaitement; et je vais dire comment je la conçois.
Il est du rôle des femmes deux conceptions qui ne suffisent plus ni à leur âme, ni à notre raison. L'une est mondaine et futile: elle voit dans la femme un enfant capricieux et exquis, un joujou précieux et fragile, une créature délicieuse, mère de toutes les élégances, la joie de nos yeux, le repos de nos nerfs, une fleur de salon, dont la fonction est de distraire nos soirées, de décorer notre intérieur, d'embellir et d'égayer notre vie. L'oisiveté est sa loi. Elle est née pour le luxe et la coquetterie; et les jeux de l'amour sont ses péchés mignons. L'autre conception, celle des gens pratiques et rudes, est réfractaire à ces mignardises de boudoir. Rien de plus simple: la femme est, par destination naturelle, la maîtresse du logis. Qu'elle ne sorte point de son intérieur: les travaux d'aiguille et les soins du ménage doivent absorber tous ses instants. Elle est faite pour garder le foyer, diriger la maison, surveiller le pot-au-feu, raccommoder le linge et débarbouiller les mioches.
De ces deux façons pour l'homme de comprendre le rôle de la femme, la première dénote beaucoup d'orgueil et de fatuité, et la seconde, beaucoup d'égoïsme et de vulgarité. Toutes deux sont inacceptables. La femme ne doit être ni «bête de luxe», ni «bête de somme».
II
Dans l'intérêt de la race et dans l'intérêt de l'homme, il n'est ni bon ni sage que la femme s'attarde dans l'ignorance, la niaiserie et la futilité. On ne nous fera jamais croire qu'il est nécessaire au bonheur du mari et des enfants, que la mère languisse dans une complète indigence d'esprit. L'élévation de l'homme ne va point sans l'élévation correspondante de la femme, celle-ci partageant avec celui-là ses jours et ses nuits, ses joies et ses souffrances, ses désirs et ses rêves. Comment l'un vivrait-il dans la lumière, si l'autre s'obstine dans les ténèbres? Lorsque l'épouse est légère, vaine, sotte ou nulle, comment voulez-vous que l'homme soit heureux et les enfants bien doués?
Ce n'est pas qu'il soit besoin d'être lettrée ou artiste pour faire une épouse fidèle et une mère excellente. Si vous n'aimez pas une jeune fille peintre, violoniste ou doctoresse, rien, mon ami, ne vous oblige à l'épouser: le monde sera toujours plein de naïves bourgeoises et de simples et accortes héritières. Personne ne réclame la suppression des «petites oies blanches». Dieu nous garde d'aussi noirs desseins! Nous ne voulons même pas, pour la jeune fille, d'une instruction intégrale, d'une instruction égalitaire et obligatoire, qui en ferait une poupée savante ou une pédante chagrine et enlaidie: ce qui n'empêche qu'il y ait de sérieux avantages à élargir ses connaissances, à élever et à enrichir son esprit. On préparera de la sorte une compagne plus digne au mari et une directrice plus éclairée aux enfants.
Suivant l'expression de Michelet, la femme est surtout «productive par son influence sur l'homme, et dans la sphère de l'idée, et dans le réel.» Comment serait-il indifférent de cultiver son esprit, si l'on réfléchit que les fils, qui naîtront d'elle, seront formés de sa chair et de son sang, qu'elle les nourrira de son lait, qu'elle leur insufflera le meilleur d'elle-même, son âme et sa vie? Comment douterait-on qu'il ne fût utile d'élever et d'épanouir son intelligence, son jugement, sa raison, si l'on songe que, par le mariage, elle devient la compagne, le soutien, le conseil de son mari; qu'instruite, elle sera pour lui un guide et un réconfort; qu'ignorante, elle deviendra, faute de le comprendre, une cause de découragement et d'impuissance? Les femmes ne sont point une espèce isolée dont nous ne puissions recevoir aucune influence. Comme épouses et comme mères, elles sont mêlées à notre vie; et Dieu sait le pli profond et indélébile que leur contact journalier imprime à notre coeur et à notre esprit! Avec son admirable clairvoyance, Mme de Lambert nous prévient «qu'elles font le bonheur ou le malheur des hommes, qui toujours sentent le besoin de les avoir raisonnables; que c'est par elles que les maisons s'élèvent ou se détruisent, puisque l'éducation des enfants leur est confiée dans la première jeunesse, temps où les impressions sont plus vives et plus profondes.»
Notre conviction est donc que, pour un homme instruit, le bonheur domestique est impossible avec une femme ignorante; et nous souscrivons à cette pensée de Miss Edgeworth que le charme et le prestige des femmes, «leurs moyens de plaire, leur capacité d'attacher pour la vie des hommes dignes de respect et d'amour, dépendent plus de la culture de l'intelligence que de toutes les institutions de la galanterie moderne 71.»
Est-il croyable, d'ailleurs, que l'homme puisse grandir en science et en raison sans que la femme cherche à le suivre et à l'imiter? Quoi de plus naturel que le progrès de l'instruction parmi les hommes ait piqué l'amour-propre des femmes? Aujourd'hui, elles nous somment de leur ouvrir plus libéralement nos grandes écoles pour devenir des épouses moins ignorantes et des mères plus cultivées: qu'avons-nous à répondre? Nous voyant mordre à belles dents aux fruits cueillis sur l'arbre de la science, l'envie est venue à la femme moderne d'y goûter à son tour: rien de plus logique et de plus humain. C'est la revanche de la gourmandise originelle. Succombant à d'imprudentes suggestions, Adam reçut jadis la pomme fatale des mains de notre première mère; et voici maintenant que, prêchant d'exemple, les hommes induisent les filles d'Ève en tentation d'avide curiosité. Ne soyons donc point surpris qu'elles réclament leur part des fruits de la science moderne. Il serait illogique de vouloir garder pour nous seuls toute la pomme; et elles ne le souffriraient pas.
Au surplus, l'instruction bien donnée et bien reçue ne va point sans un exhaussement et un affermissement de tout l'être humain, sans une ascension vers la lumière et la justice. La personnalité de la femme y trouvera son compte. Eu égard aux difficultés de vivre, le sexe féminin réclame de nouvelles occasions de travail. Nous avons beau examiner gravement les aptitudes intellectuelles et l'avenir scientifique de «la femme en soi,» cette discussion académique ne résout point le problème du pain quotidien, qui se pose chaque matin pour un grand nombre de nos soeurs les plus méritantes. Combien d'entre elles sont condamnées à gagner leur vie par un labeur indépendant? Or, j'ai établi, qu'en ce qui concerne la plupart des fonctions ordinaires actuellement remplies par les hommes, l'intelligence féminine vaut bien l'intelligence masculine. Encore est-il qu'elle a besoin, comme la nôtre, d'être instruite et cultivée. Ayant le devoir de travailler, il faut donc que les femmes aient les moyens de travailler. Ne nous moquons point de leurs formules pédantes: le «droit à la science» est tout simplement, pour les filles pauvres de la moyenne et de la petite bourgeoisie, le «droit à la vie». Si elles veulent s'instruire, c'est que beaucoup ont l'espoir de tirer profit de ce capital intellectuel. Au lieu de tendre la main à la communauté, n'est-il pas plus honorable de gagner le repas de chaque jour à la sueur de son front?
III
Que l'instruction soit donc largement départie aux femmes! Je ne trouve point risible qu'elles parlent l'anglais ou l'allemand, qu'elles s'occupent de physique et de chimie, de botanique et de géologie, ni même qu'elles lisent le latin ou traduisent le grec, si le coeur leur en dit. Et plus s'élèvera le niveau de leurs connaissances, moins elles seront portées à tirer vanité de leur science. Distinguant ce que Molière n'a pas distingué, nous concevons très bien aujourd'hui qu'une «femme savante» ne soit pas nécessairement une «précieuse ridicule».
A qui fera-t-on croire que, même dans les réunions les plus mondaines, l'instruction soit d'un secours inutile? Elle élève et aiguise le ton de la conversation. Quel plaisir d'interloquer son valseur par une habile pointe d'érudition! ou même de faire rougir de honte, par d'insidieuses questions d'histoire, quelque joli garçon plus familier avec le roi de pique qu'avec les rois de France! Le développement de l'instruction féminine multipliera peut-être un type de jeune fille, dont il m'a été donné de connaître quelques jolis exemplaires: un type très vivant, très attirant, très français, je veux dire une jeune fille ouverte et franche, loyale et fière, pure sans pruderie, libre sans licence, rieuse sans frivolité, qui n'a point peur de la vie et ne redoute ni le travail ni l'épreuve, ayant de la volonté et de la décision, très capable de se dévouer, de s'attacher à qui sait la comprendre et l'aimer, en deux mots, une jeune fille qui, unissant aux qualités charmantes de son sexe une raison haute et ferme, ne saurait manquer, suivant une gracieuse image de Tennyson, de s'harmoniser avec l'époux de son choix «comme une musique parfaite avec de nobles paroles.»
Mme de Rémusat ne voyait «aucun motif de traiter les femmes moins sérieusement que les hommes.» J'ajouterai, pour dire toute ma pensée, que je ne vois aucun motif de refuser à une femme intelligente les moyens d'apprendre ce qu'un homme intelligent doit savoir. Pourquoi lui dissimuler la vérité, si elle est capable de la connaître? N'ayez crainte que les femmes usent trop généralement des facilités de s'instruire que nous réclamons pour leur sexe: il y aura toujours de ces créatures languides et nonchalantes qui, suivant le mot de Mme de Souza, «passent leur vie à se dire trop jeunes pour savoir, jusqu'au jour où elles se croient trop vieilles pour apprendre.» Il est si doux de ne rien faire, que la paresse, qui compte tant de fidèles parmi les hommes, conservera bien assez de dévotes parmi les femmes. Qu'on se rassure: l'espèce ne se perdra point de ces oisives incultes, dont Mlle de Scudéry disait au XVIIe siècle, non sans malice, «qu'elles ne sont au monde que pour dormir, pour être grasses, pour être belles, pour ne rien faire et pour ne dire que des sottises! 72.»
Si tout de même les dames de cette sorte avaient une raison plus éclairée et une existence plus active, la société s'en trouverait-elle plus mal? Le nombre est grand des Françaises qui, pourvues de tous les agréments de leur sexe, n'en font qu'un usage frivole ou insuffisant. Ce n'est point qu'elles manquent de grâce et de goût. Elles s'habillent avec élégance; elles ont du charme, de l'imagination, de l'aisance. Bien que la conversation soit en déclin dans la plupart des salons, elles causent bien,--ou à peu près. De ce qu'il faut pour exceller dans cet art, elles ont au suprême degré la coquetterie et la finesse; il ne leur manque qu'une instruction, plus solide et plus sérieuse, que les familles et les maîtresses ont la faiblesse de sacrifier aux arts d'agrément, au chant, au piano, à la danse, à l'aquarelle, à ces petits talents agréables qui fleurissent l'esprit sans le mûrir et polissent les manières sans tremper le caractère ni fortifier la raison.
Loin de nous la pensée de bannir ces jolies choses de l'éducation des jeunes filles: elles sont la distraction, le sourire, l'embellissement et le luxe de la vie. Encore est-il que la culture des fleurs ne doit point nous faire oublier ou négliger la culture des fruits. A méconnaître cette règle majeure de toute éducation, les parents peuvent faire de leurs jeunes filles de gracieuses personnes, agréables à voir dans un salon, avides de plaire et de briller, bonnes musiciennes, excellentes valseuses, fières de leurs succès mondains, mais aussi de petites têtes folles, ne songeant qu'au plaisir et à la toilette, frivoles de goût, légères d'esprit, pauvres de coeur et de jugement.
«Mais elles vont au cours!» m'objectera-t-on.--Ne m'en parlez pas! L'instruction des jeunes filles consiste aujourd'hui à les promener à travers la science, sans ordre ni méthode, à toucher légèrement à toutes les questions pour leur permettre de parler superficiellement de tous les sujets, à introduire et à empiler dans leurs jeunes cervelles mille et mille notions confuses et indigestes, en un mot, à leur donner les apparences de l'instruction plus que la réalité du savoir et le discernement de la raison. On traite leur pauvre tête comme un vulgaire phonographe, comme une simple horloge à répétition, comme un mécanisme automatique, en la forçant à enregistrer fidèlement, à reproduire exactement tout ce qu'elle absorbe et emmagasine. Oubliant cette sage recommandation de Montaigne qu'«il ne faut pas attacher le savoir à l'âme, mais l'y incorporer,» qu'«il ne faut pas l'en arroser, mais l'en teindre,» on demande trop à leur mémoire qui est surmenée, persécutée, violentée. Et comme je comprends bien qu'après plusieurs années d'un traitement aussi féroce, nos jeunes filles de condition prennent l'étude en horreur et se jettent passionnément sur les chiffons et les romans! A cela, quel remède?
IV
Aujourd'hui l'objectif de l'instruction des jeunes filles doit être double: les élever plus fortement à la connaissance de la vérité, les préparer plus sérieusement aux devoirs de la vie. Ces deux choses se tiennent.
Voici ce que M. Alfred Mézières pense de la première: «En général, les jeunes filles françaises n'ont que trop de tendance à la frivolité, trop de goût naturel pour le succès, trop de désir de plaire. On devrait les préserver avec soin de la légèreté d'esprit qui est leur défaut capital, les habituer à réfléchir et à penser.» Oui; une pédagogie bien comprise se fera une loi d'élever, de fortifier leur esprit, de leur insuffler une âme plus grave, de leur inspirer la ferveur du travail et le souci de la réflexion. A cette fin, elle tâchera surtout de faire entrer dans la tête des jeunes filles (c'est un point sur lequel Mgr Dupanloup avait coutume d'insister) que «leur éducation n'est pas finie à dix-huit ans et que la première robe de bal n'a, pas plus que le diplôme de bachelier pour les jeunes gens, la vertu de donner à leur science son parfait développement 73.» Est-ce donc si difficile?
Je me refuse à croire que la légèreté féminine soit incurable. On calomnie le sexe faible en lui prêtant je ne sais quelle impuissance à s'instruire et à raisonner hors de ce qui est rubans, modes, chapeaux ou autres futilités mondaines. Il n'en est pas moins vrai que «ce qui leur manque le plus (c'est encore M. Mézières qui parle), ce sont les goûts sérieux. Il faut éveiller en elles l'amour de l'étude, leur faire lire et leur faire aimer les chefs-d'oeuvre de l'esprit humain, les dégoûter ainsi d'avance des productions frivoles dont notre littérature est inondée et, en les habituant aux lectures solides, leur inspirer le mépris de tout ce qui ne l'est pas 74.»
Faute de cultiver, d'éclairer, de redresser même le goût littéraire des femmes, le goût public ne saurait se former ou se maintenir, ce qui est beau et bon ne réussissant jamais sans elles. «Tout ce qui peut arracher les femmes à l'inutilité d'une existence mondaine ou misérable est un bien pour la patrie, un gage d'avenir 75.» A ces mots de Mme Edgar Quinet, nous ajouterons que détourner les femmes de la littérature légère ou vicieuse qui s'étale dans les livres et les journaux, est tout profit pour l'esprit national et la moralité publique, parce qu'en plus de la maternité physique, la femme est appelée à faire oeuvre de maternité morale, parce que ses fils selon la chair sont aussi les enfants de son âme et qu'elle leur transmet avec le sang, avec le lait, avec la vie, tous les germes de progrès, l'idée qui éclaire, l'amour qui enflamme et la vertu qui exalte et sanctifie l'humanité. On lit dans les «Lois» de Platon: «Les femmes ont une si grande influence sur les hommes que ce sont elles qui déterminent leur caractère. Partout où elles sont accoutumées à une vie molle et somptueuse, vous pouvez dire que les hommes sont corrompus et amollis.» Tâchons donc de les rendre sérieuses.
CHAPITRE II
Comment nous comprenons l'éducation moderne des jeunes filles
SOMMAIRE
I.--L'éducation des filles doit être conforme aux destinées de la femme.--Pourquoi?--Nos raisons.--Éduquer, c'est former une personne humaine.
II.--Culture «rationnelle».--A propos de l'enseignement secondaire des filles.--Voeu en faveur de l'instruction professionnelle.--Écueils à éviter: l'inflation des études et le surmenage des élèves.
III.--Culture «morale».--Après la formation de la raison, la formation de la conscience et de la volonté.--Menus propos de pédagogie féminine.--Idées nouvelles sur l'éducation des filles.--La «dogmatique de l'amour».--Nos scrupules.
IV.--Culture «sociale».--Esprit nouveau de l'éducation moderne des filles.--Ou est le devoir des heureuses de ce monde?--Vieilles objections: ce qu'on peut y répondre.
V.--Culture «religieuse».--L'ame des femmes et le besoin de croire.--Le domaine de la foi et le domaine de la science.--Si l'instruction est un danger pour la religion et la moralité des femmes.--A quelles conditions le savoir sera profitable a la piété et a la vertu des filles.
Après avoir rappelé sommairement le but élevé auquel doit tendre la pédagogie féminine, il importe, ne fût-ce que pour donner à nos idées plus de relief et de précision, d'indiquer les principes directeurs auxquels nous subordonnons l'éducation moderne des jeunes filles.
I
Quelle est, au voeu de la nature, la destinée normale de la femme?--Être épouse, être mère. De son organisme physique et de sa constitution mentale, de ses dons et de ses penchants, de ses qualités et de ses faiblesses, de l'impressionnabilité inquiète de ses nerfs comme de la chaude tendresse de son coeur, cette vocation suprême se dégage avec toute la clarté propre aux vérités universelles. La maternité? mais c'est le cri de son âme! Par la maternité, elle exerce la plénitude de sa fonction, elle utilise tous ses trésors de vie; par la maternité, elle goûte sagesse et bonheur, elle pratique devoir et vertu, elle épuise toutes les ivresses et toutes les sollicitudes de l'amour; par la maternité, elle est femme jusqu'au bout, jusqu'au sacrifice, jusqu'à l'immolation de son être aux fins éternelles de l'humanité.
Si déjà l'homme a pour destination sociale d'être époux et père, s'il ne remplit vraiment tout son rôle, s'il ne connaît à fond toute la vie qu'à la condition d'ouvrir son coeur aux joies, aux soucis, aux responsabilités de la famille,--que dirons-nous de la femme, que la nature a soumise à des fatalités plus nombreuses, à des servitudes plus dures, dans l'intérêt manifeste de la perpétuation de l'espèce? La maternité est sa raison d'être, sa raison d'aimer, sa raison de vivre.
De là, cette grave conséquence que l'éducation doit la préparer à cette vocation auguste, lui en faire comprendre la dignité, lui en faire chérir les devoirs. C'était l'avis de Mme de Staël: «Il faut élever la jeune fille avec la pensée constante qu'elle sera un jour la compagne de l'homme.» Et Marion ajoute avec force qu'une pédagogie, qui ne mettrait pas ce «lieu commun» au rang de ses principes, serait «extravagante ou criminelle» 76.
Mais, en fait, le mariage n'est point la destinée de toutes les femmes. Après la règle, l'exception. Ne se marie pas qui veut. Nos moeurs laissant à l'homme l'initiative des ouvertures et l'antériorité du choix, beaucoup de femmes sont condamnées à vivre et à vieillir solitaires. Et le célibat est, pour le plus grand nombre des filles, une source d'épreuves et de privations. Sans appui et sans gagne-pain, isolées, délaissées, déclassées, elles ont mille peines à se suffire à elles-mêmes, faute de moyens d'existence lucratifs et indépendants. Bien que, par nature et par destination, la femme soit vouée à la vie de famille et à la paix du foyer, il faut néanmoins que l'éducation lui permette de se faire, en cas de nécessité, une libre place au soleil. Là est, pour les vieilles filles, la dignité et le salut. Et combien de veuves, qui ont connu les douceurs de la fortune, tombent brusquement, démunies et désemparées, dans l'infériorité ou la misère? Les mettre à même de faire face aux éventualités les plus lourdes de l'existence par un travail indépendant et sûr, tel est le plus grand service que l'éducation puisse rendre à la généralité des femmes.
Et encore, avant d'être épouses et mères, elles sont femmes. Disons plus: en elles, comme en nous, les caractères généraux et les besoins communs de l'humanité priment les traits spéciaux et les tendances distinctives du sexe. Elles sont des personnes morales qui doivent être éduquées pour elles-mêmes, pour leur bien propre, pour leur honneur, pour leur bonheur. Si donc il convient de cultiver les dons originaux de la féminité, il importe de ne point négliger les attributs supérieurs de l'humanité, dont elles sont les membres vivants au même titre que les représentants du sexe masculin. C'est ce qui faisait dire à Fénelon que «la vertu n'est pas moins pour les femmes que pour les hommes,» et que, de ce chef, «elles sont la moitié du genre humain, rachetée du sang de Jésus-Christ et destinée à la vie éternelle.»
En somme, qu'il s'agisse de l'homme ou de la femme, le but de l'éducation est le même, à savoir l'élévation de la personne humaine à toute la perfection dont elle est capable. Et cette éducation, nous avons trois raisons pour une de la donner pleinement à la femme: parce qu'elle est un être de chair et de sang, de raison et d'amour, un individu libre et responsable, un exemplaire de l'humanité pensante et souffrante, une personnalité morale qui doit être cultivée pour elle-même; parce qu'elle est destinée au rôle d'épouse et de mère, et qu'appelée à régler tout le détail des choses domestiques, elle ruine ou soutient les maisons, et qu'investie de la royauté du foyer, elle est le bon ou le mauvais génie de la famille; parce qu'enfin, ayant «la principale part aux bonnes ou aux mauvaises moeurs de presque tout le monde,» comme dit encore Fénelon, elles tiennent entre leurs mains la dignité, la moralité, l'avenir même de la société. Élever et fortifier la femme, élever et préparer la mère, de telle sorte qu'épouse, fille ou veuve, elle puisse tenir sa place utilement, honorablement, dans la famille et dans le monde, tel est le double but que nous assignons à l'éducation moderne des filles.
Il s'ensuit que les femmes doivent être élevées aussi bien que les hommes, et qu'a cette fin elles ne méritent ni dédain ni adulation; car le dédain les voue à l'ignorance et à la médiocrité, tandis que l'adulation se contente d'admirer en elles les dons brillants et futiles, les agréments superficiels et vains. Traitons-les donc avec respect, prenons-les au sérieux; fortifions leur faiblesse par une culture aussi complète que possible, par une éducation rationnelle, morale, sociale, religieuse. Ces quatre mots, qui résument tout notre programme pédagogique, ont besoin d'explication.
II
Premièrement, la culture de la femme doit être rationnelle. Autrement dit, nous voulons que l'instruction des jeunes filles soit appropriée aux fonctions de son sexe et aux devoirs de sa condition.
Qu'il faille mieux les instruire: tout le monde l'accorde. Les moins favorables s'y résignent avec mélancolie, comme à une fatalité inéluctable. Au nom de quel principe l'homme aurait-il le droit d'être moins ignorant que la femme? En fait, tout ce que nous pouvons savoir, la femme peut l'apprendre. Mais doit-on le lui enseigner de la même manière? Du tout, et pour bien des raisons: parce que ses aptitudes intellectuelles ne coïncident pas absolument avec les nôtres; parce que son organisme est plus délicat et sa sensibilité plus vive; parce que sa nature même la voue à un autre rôle dans la famille, à une autre place dans la société; parce qu'elle ne sert point de même façon les destinées de la race et les intérêts essentiels de l'humanité.
Toutes ces disparités de nature et de fonction entre l'homme et la femme s'opposent à l'uniformité des programmes, des études et des disciplines. Point d'enseignement efficace sans une correspondance sympathique entre l'instruction donnée et le sexe qui la reçoit. «Comme notre corps ne se nourrit pas de ce qu'il mange, mais de ce qu'il digère,» de même «on ne s'instruit pas avec ce qu'on apprend, mais avec ce qu'on s'assimile.» Et M. Ernest Legouvé induit de cette comparaison que «la femme a droit à être élevée aussi bien que l'homme, mais autrement que l'homme,» et que «même dans le cas où on leur enseignerait à tous deux la même chose, il faut la lui enseigner, à elle, différemment 77.» Il ne s'agit pas, bien entendu, de faire pour les filles une science moins exacte, une science édulcorée et fade, une science ad usum puellarum, mais seulement, comme l'a dit un maître en pédagogie, M. Gréard, «de leur rendre la vraie science plus accessible et plus assimilable, en la dégageant de tout ce qui n'est pas indispensable à l'éducation de l'esprit 78.» Y a-t-on réussi?
A peu près. Les jeunes filles ont maintenant des lycées, des collèges, des pensionnats séparés. On s'est efforcé de les préserver, autant que possible, des programmes encyclopédiques qui accablent les garçons. Elles ne sont pas, les heureuses créatures, hantées, poursuivies, étreintes par le cauchemar du baccalauréat. Plus souple et plus libre, leur instruction, répartie entre maîtres et maîtresses, a pour sanction des examens de fin d'études ni trop lourds ni trop faciles. Somme toute, l'enseignement secondaire spécial des jeunes filles, tel qu'il a été organisé par la loi du 21 décembre 1880, nous paraît judicieusement compris et dosé. On sait, d'ailleurs, s'il a réussi! Depuis sa création, l'effectif de sa clientèle n'a pas cessé de suivre une progression régulière; et il sert trop bien les desseins du féminisme pour qu'on puisse douter de son extension croissante.
Sans doute possible, l'enseignement secondaire des jeunes filles est entré dans nos moeurs. A tel point que Mme Marie du Sacré-Coeur a proposé, non sans éclat, de fonder à Paris, au centre des lumières, une École normale congréganiste rivale de celle de Sèvres, destinée à fournir aux couvents un personnel enseignant capable de lutter contre les établissements de l'État, auxquels «il ne manque humainement rien.» Mais l'ouvrage dans lequel ce dessein était exposé--Les Religieuses enseignantes et les Nécessités de l'Apostolat--a été mis à l'index par une décision de la Sacrée-Congrégation des évêques et réguliers en date du 27 mars 1899. Le Saint-Siège a préféré s'en remettre aux instituts religieux du soin de prendre «les moyens idoines qui leur permettront de répondre amplement aux désirs des familles et d'élever les jeunes filles à la culture qui convient aux femmes chrétiennes.» Il faut avouer que, si imparfait que puisse être l'enseignement congréganiste, l'innovation projetée avait le très grave inconvénient de détruire l'active émulation et la diversité féconde des communautés enseignantes de femmes, en leur imposant une même préparation, une même discipline scolaire, un même entraînement pédagogique. Peu soucieuse de suivre les errements de l'Université de France, l'Église n'a pas voulu soumettre ses oeuvres d'éducation à l'uniformité régimentaire.
Et là, précisément, est le vice de notre système d'enseignement officiel qui, rétréci par des vues trop étroites, ne convient qu'aux besoins et aux moyens d'un petit nombre de jeunes filles privilégiées. Fénelon a écrit que «le résultat d'une éducation bien entendue doit nous mettre à même de remplir avec intelligence les devoirs de notre état.» C'est une parole de pure sagesse. Or, quels sont les devoirs ordinaires d'une femme, sinon d'élever et d'instruire ses enfants, de diriger son intérieur, de surveiller ses domestiques, de calculer ses dépenses, de balancer ses comptes, bref, de gouverner sa maison avec ordre, prudence et économie? Cela étant, je me demande si nos pédagogues ne sacrifient pas aujourd'hui le nécessaire au superflu. Tels qui croiraient déroger en interrogeant une petite fille sur la consommation moyenne d'un ménage en beurre, sucre ou café, trouvent naturel de lui demander la quantité d'oxygène ou d'azote contenue dans le pain ou la betterave. Gardons-nous d'organiser le mandarinat féminin à côté du mandarinat masculin! Un régime aussi sot nous donnerait une jolie société: ni hommes ni femmes, tous diplômés.
Puisque l'instruction n'est pas une fin en soi, mais un moyen de mieux agir sur la vie, puisque le mariage et la maternité sont la destinée normale de la femme, puisqu'il lui appartient de créer le foyer où grandiront les générations nouvelles, il est un sujet féminin, par excellence, qu'il importerait de joindre à tous les degrés de l'enseignement des jeunes filles, c'est à savoir l'hygiène du logis, de la famille, de l'enfance, qui n'a encore, dans les programmes d'instruction, qu'une place tout à fait insuffisante. Serait-il donc si difficile de conduire nos demoiselles, une ou deux fois par semaine, à une crèche, à un refuge, pour les initier aux soins des nouveau-nés? Tenez pour assuré qu'elles aimeront mieux dorloter un poupon en chair et en os, qu'une poupée à ressorts et à falbalas.
Pourquoi même n'est-on pas entré résolument dans la voie de la différenciation et de la variété des enseignements? Pour qu'une femme puisse vivre, en cas de nécessité, du travail de ses mains, il serait urgent de développer l'enseignement professionnel sous toutes ses formes: 1º l'enseignement agricole, en multipliant les laiteries, les fromageries et les fermes modèles, en instituant de nouvelles écoles d'agriculture et d'horticulture; 2º l'enseignement industriel, en favorisant l'extension et le progrès des arts de la femme dans toutes les branches de la production manufacturière; 3º l'enseignement commercial, en mettant à la portée des jeunes filles les ressources d'une instruction réservée trop exclusivement aux jeunes gens dans nos Écoles de commerce récemment créées. Combien de femmes, ainsi armées par une instruction technique sagement appropriée à leur sexe, seraient capables de diriger, aux champs ou à la ville, avec autant d'habileté que de profit, un domaine, un atelier ou un négoce?
Sur ces points, tous les groupes féministes sont d'accord: l'enseignement spécial est encore à créer pour la femme. Les deux sexes devraient recevoir une instruction adaptée au milieu dans lequel ils sont appelés à vivre, une instruction agricole dans les campagnes, une instruction commerciale ou industrielle dans les agglomérations urbaines ou les centres manufacturiers. Depuis quelques années, les féministes de toutes nuances ont émis voeu sur voeu, afin de déterminer les pouvoirs publics à organiser et à multiplier au plus vite les écoles professionnelles de filles. Voilà de l'émancipation pédagogique saine et sage. Mais, sur ce point, l'État ne semble pas pressé de nous donner satisfaction. Ce n'est pas d'ailleurs un mince progrès à réaliser, puisque l'enseignement spécial des garçons,--et surtout l'enseignement agricole,--est lui-même manifestement insuffisant.
Dresser la jeune fille aux tâches sacrées de la maternité, à la bonne tenue du foyer, à l'hygiène savante de la maison, à la pratique habile d'un métier ou d'une profession, voilà déjà des points essentiels auxquels l'instruction actuelle ne fait pas la place éminente qu'ils méritent. Mais en prenant l'enseignement moderne des filles tel qu'il fonctionne aujourd'hui sous nos yeux, avec cette manie contagieuse du brevet supérieur qui en est la plaie inséparable, il n'est pas très difficile d'apercevoir qu'il penche en outre vers deux-écueils dont il faudrait, coûte que coûte, le garantir: j'ai nommé l'inflation des études et le surmenage des élèves.
Certes, il y aura toujours des jeunes filles de talent et d'esprit qui réclameront à bon droit une instruction soignée, une culture complète. S'il est peu raisonnable de vouloir instruire supérieurement toutes les femmes, il le serait moins encore d'interdire aux mieux douées les hautes spéculations de la pensée. Suivant le joli mot de M. Anatole France, «la science peut bien avoir, comme la religion, ses vierges et ses diaconesses 79.»
Par malheur, beaucoup de maîtresses ont le tort (cela est particulièrement vrai des congréganistes) de s'appliquer à faire de leurs élèves, par une culture intensive des plus artificielles, de petites personnes, complètes et universelles, des «natures éminemment besacières», comme eût dit Alfred de Musset, des cervelles richement meublées en apparence, médiocrement instruites en réalité. Chaque maison brûle d'inscrire sur son palmarès de fin d'année le plus grand nombre de brevetées qu'il est possible; et l'on gave, en conséquence, les pauvres petites pensionnaires! Cette maladie du diplôme commence à pervertir les études féminines, surtout dans les établissements religieux.
Cela même nous fait craindre que l'instruction des jeunes filles ne perde peu à peu l'incontestable supériorité qu'elle possède sur l'instruction des garçons. Ajoutons que, sans même qu'on élargisse officiellement les programmes, les maîtresses, religieuses ou laïques, se chargent trop souvent de les amplifier. C'est leur préoccupation--et leur plus grave défaut--de vouloir tout dire sur chaque question; et le malheur est qu'elles y réussissent parfois, tant leur parole coule avec aisance et fuit avec volubilité. Les femmes, en général, se dispersent, se traînent, se noient dans un flot d'explications électriques et torrentielles. D'où l'on a pu dire qu'elles sont moins bien douées que les hommes pour les oeuvres d'enseignement. Et de fait, la direction des écoles mixtes est confiée, presque partout, à des instituteurs, tandis que les classes enfantines sont laissées naturellement aux institutrices.
On pense bien que les féministes s'en plaignent. La Gauche du parti a émis le voeu «que l'enseignement à tous les degrés, y compris l'Université, fût confié aux deux sexes indistinctement 80.» Mais, pour enlever aux hommes les chaires qu'ils détiennent, ces dames ont un moyen plus décisif, qui est de professer mieux qu'ils ne font. Nous leur conseillerons donc de ne point aggraver ni alourdir l'enseignement secondaire des filles, dont les programmes et les méthodes nous semblent infiniment supérieurs à ceux de nos lycées de garçons. Après quoi, on verra, si elles y tiennent, à ouvrir aux plus dignes les chaires de nos Universités. En attendant, elles feront bien de se rappeler que l'office du maître est de solliciter, d'éveiller les esprits plutôt que de les bourrer,--l'instruction devant être subordonnée expressément à l'éducation.
Et c'est pourquoi nous la voulons rationnelle, c'est-à-dire non seulement appropriée aux devoirs des futures mères en même temps qu'à la condition sociale des jeunes filles, mais encore tournée judicieusement à l'amélioration intellectuelle de leur sexe, de manière à redresser les imperfections, à fortifier les faiblesses, à parfaire les insuffisances de l'esprit féminin.
Ainsi, nul ne conteste aux femmes la faculté de retenir; mais il ne faut pas qu'elles apprennent et répètent à vide, sans contrôle ni réflexion. Nul ne leur conteste l'imagination; mais il né faut pas que ce don d'invention aventureux se développe au détriment de la logique et de la raison. Non qu'elles soient incapables de généralisation; mais elles généralisent trop vite, sans méthode, sans patience, sans scrupule. Non qu'elles soient incapables de raisonner; mais elles raisonnent en hâte, sans correction, sans rigueur, sans prudence. Elles sont même capables de tout comprendre; mais leur intelligence est un peu courte, un peu sommaire, un peu superficielle. Bref, leur savoir n'est trop souvent que «de seconde main 81», ou, comme dit Mme de Maintenon, «elles ne savent qu'à demi.» Raison de plus pour les prémunir contre elles-mêmes. Se défier de soi, suspendre son jugement, peser le pour et le contre, travailler lentement, c'est à quoi la femme semble plus impropre que l'homme. Ce qu'il faut donc apprendre aux jeunes filles avant tout, c'est la logique, l'art de raisonner, l'art de réfléchir, moyennant quoi je ne serais pas surpris que la futilité des femmes se transformât en cette curiosité large et désintéressée qui fait les esprits fermes et les belles intelligences.
Quant à surmener nos écolières de gymnase comme on force la floraison d'une plante rare, je ne sais point d'exagération plus absurde et plus périlleuse. Mieux vaut pour le commun des mortels la libre croissance au grand air, qu'une culture savante distribuée avec excès dans l'atmosphère lourde des serres. Est-ce à dire que la robustesse du corps soit toujours une condition de puissance intellectuelle? Non; mille exemples prouvent que, chez les hommes, la débilité physique n'est pas un obstacle aux oeuvres de science et même de génie. Mais pourquoi charger les femmes d'un poids qui serait trop lourd au plus grand nombre? Ne les écrasons point sous prétexte de les instruire. «C'est la raison principale pour laquelle, au dire de Bossuet, on exclut les femmes des sciences, parce que, quand elles pourraient les acquérir, elles auraient trop de peine à les porter.»
A la vérité, le tempérament de la femme évolue plus rapidement que celui de l'homme. La transformation des filles est plus précoce et aussi plus accidentée que celle des garçons. A cette occasion, les hygiénistes et les médecins nous avertissent qu'il serait d'une fâcheuse imprudence de soumettre les étudiants et les étudiantes au même entraînement cérébral. Un professeur, qui a surveillé des milliers de jeunes filles, atteste l'extrême fréquence des absences motivées par leur santé 82. A pousser trop vivement leurs études, beaucoup se heurtent aux résistances de la nature qui se venge, parfois avec cruauté, de la violence qu'elles lui ont faite. On voudra bien ne pas perdre de vue ces deux écueils,--nous voulons dire l'inflation des programmes et le surmenage des élèves,--quand nous examinerons plus loin les systèmes d'«instruction et de coéducation intégrales», qui figurent au programmé de la Gauche féministe.