← Retour

Le féminisme français II: L'émancipation politique et familiale de la femme

16px
100%

V

Pour calmer les appréhensions que la division des patrimoines éveille en notre esprit, on nous assure que la femme remettra souvent aux mains du mari l'administration de sa fortune, et qu'elle ne reprendra l'exercice de ses droits qu'autant que son mandataire aura perdu sa confiance.--Mais c'est en vain; car ces délégations et ces reprises de pouvoirs donneraient lieu à des marchandages, à des intimidations, à des discussions qui mettraient en péril la paix du ménage. Quel homme, un peu soucieux de sa dignité, consentirait à accepter une autorité aussi précaire? Le gouvernement d'un foyer ne doit pas être le prix des complaisances, des faiblesses et des capitulations. Consenti par intérêt comme une récompense, retiré par caprice comme une punition, il serait une cause d'abaissement pour la moralité conjugale.

Et puis (nous y revenons), ériger la séparation de biens en régime de droit commun, n'est-ce pas faire entendre qu'en règle générale le mari est un agent de désordre, un instrument de dissipation et de ruine? Et nous maintenons que cette généralisation outrageante est l'injustice même. Pourquoi imposer la séparation de biens aux femmes dont les maris sont laborieux, rangés, économes, bons travailleurs et bons administrateurs? Au surplus, la séparation de biens n'est pas un régime aussi simple qu'on l'imagine. Pour éviter que les meubles des époux se mêlent et se confondent en une masse indivise, un inventaire est nécessaire. Pense-t-on que les petites gens recourront à cette formalité coûteuse? Ce serait pure naïveté. Et à défaut d'un état estimatif qui les sépare et les individualise, les modestes patrimoines mobiliers de la femme et du mari deviendront chose commune aux yeux des tiers.

Il n'est que les ménages aisés qui soient à même de pratiquer la séparation de biens. Et ne croyez pas que la paix domestique puisse y gagner! Que si, en effet, la femme obtient la libre disposition de sa fortune, le mari conserve, de son côté, la libre disposition de la sienne. On ne veut pas, j'imagine, que celui-ci entretienne la famille à lui seul et trouve bon que sa douce moitié garde tout son bien pour elle. Du jour où les ressources provenant du travail et les économies amassées par l'épargne de l'un et de l'autre ne seront plus mises en commun, il faudra bien pourtant que les conjoints contribuent aux charges du ménage. A cet effet, un prélèvement sur leurs gains ou leurs revenus respectifs sera nécessaire pour faire vivre la maison. Sera-t-il d'un tiers? ou plus? ou moins? Quelle sera la forme ou la quotité de cette contribution? La fixerez-vous à forfait et immuablement pour tous les ménages? Ne craignez-vous point qu'elle soit trop faible pour les uns et trop forte pour les autres? En logique et en équité, elle devrait être proportionnée à la consistance, généralement inégale, de l'avoir respectif des époux; mais comment l'adapter aux variations incessantes, aux fluctuations inévitables de la fortune personnelle des conjoints? Et si l'un est riche et l'autre pauvre! Enfin croit-on que chacun paiera toujours sa quote-part avec régularité? Est-ce trop dire que ce règlement de compte soulèvera périodiquement des difficultés et des disputes sans nombre? Non, la séparation de biens n'est pas aussi simple qu'on le pense.

Tout cela nous confirme en cette idée qu'au lieu de séparer les époux en opposant leurs intérêts, il importe plutôt de resserrer leur union conjugale en resserrant leur union économique. Dans la classe laborieuse où l'on se marie sans contrat, la vie est inséparable du travail et de l'économie. C'est donc dissocier la vie commune que de séparer l'avoir masculin de l'avoir féminin. Si l'on veut perpétuer dans les ménages peu fortunés le sentiment de la prévoyance et de la solidarité, il convient d'assurer à l'activité et à l'épargne des deux époux un même stimulant, l'idée de communauté,--individua vitae consuetudo.

Au reste, depuis un siècle, sous l'influence des vieilles coutumes qui furent le berceau de notre communauté légale, nous nous sommes habitués à cette indivision, à cette mutualité des intérêts entre époux. Elle constitue historiquement notre régime national; elle est devenue la base de notre ordre familial; elle s'accorde le mieux avec nos traditions et nos moeurs. Elle constitue même un régime démocratique; car, si la séparation de biens et le régime dotal peuvent convenir aux classes riches ou aisées, la communauté des épargnes et des acquisitions sert mieux les intérêts des petites gens, en élargissant le crédit de la femme et du mari par la concentration des économies et la formation d'un pécule domestique.

Il demeure que, dans son acception populaire, la communauté légale est, comme l'a dit en excellents termes M. Goirand, «une sorte de mise en commun des ressources des époux en vue de satisfaire aux charges du ménage; c'est la constitution d'une sorte de patrimoine familial dans lequel le chef puise à son gré pour satisfaire aux besoins de chacun; c'est, au plus haut degré, la confusion, l'identification des intérêts entre les époux au profit de l'oeuvre commune 69.» Et par cela même qu'elle unit étroitement les intérêts pécuniaires des époux, la communauté a semblé à nos coutumes d'abord, à notre législation ensuite, le seul régime qui fût en harmonie parfaite avec le mariage dont c'est le propre d'unir deux personnes et deux vies. L'indivision des biens complète et parfait l'unité des vues et le rapprochement des âmes. Gardons, en l'amendant, notre vieux régime de communauté: tout compte fait, il nous sera utile et bienfaisant.

Note 69: (retour) Cité par M. Lucien Leduc dans La Femme devant le Parlement, p. 165.

Ce qui ne veut pas dire, hélas! que nos législateurs aient la sagesse de le conserver, même avec les corrections désirables que nous avons proposées plus haut ou que nous proposerons plus bas. S'il faut s'en affliger, peut-on en être surpris? L'individualisme envahit le monde: pourquoi n'usurperait-il pas le foyer? Nous luttons avec obstination contre le courant des mauvaises moeurs. Nous portons au vieux mariage français un attachement passionné. Nous croyons fermement que, sans l'esprit de communauté,--qui n'est que l'esprit de solidarité,--c'en est fait de l'esprit de famille. Et en même temps que certaines femmes l'attaquent furieusement en haine de l'autorité maritale, qualifiée par elles de «désordre public 70», des hommes se rencontrent, surtout dans la classe riche, qui s'en détournent peu à peu dans l'espoir de mieux secouer le joug de leurs femmes, dont le luxe immodéré dévore le patrimoine commun.

Note 70: (retour) Voir notamment le rapport déjà cité de Mme Oddo-Deflou.

Comment la séparation de biens, avec un tel concours d'alliés, ne l'emporterait-elle point sur la communauté, même adoucie et remaniée? Si donc une transformation doit s'opérer dans la loi qui gouverne les ménages français, nous souhaitons au moins qu'on substitue à la communauté actuelle, non pas la séparation toute seule, toute froide et toute nue, mais la communauté réduite aux «acquêts», qui entre de plus en plus dans les habitudes contractuelles des classes bourgeoises. En d'autres termes, il faut que les revenus des biens, les gains du travail et le produit des économies de chaque conjoint constitue l'avoir indivis du ménage. C'est notre dernière concession. Point de maison véritablement unie sans un lien, si minime soit-il, d'épargne, de coopération, de mutualité pécuniaire entre les époux.



CHAPITRE VI

Protection des salaires et des gains de l'épouse commune en biens


SOMMAIRE

I.--Projet de réforme.--Droit pour la femme de disposer de ses salaires et de ses gains.--Intervention nécessaire du tribunal.--Une amélioration facile a réaliser.

II.--Droit pour la femme de déposer ses économies a la Caisse d'épargne.--Innovation incomplète.--L'épouse doit avoir, a l'exclusion de l'époux, le droit de retirer ses dépôts.

III.--Abandon du foyer par le mari.--Droit pour la femme de saisir-arrêter les salaires de son homme.--Droit réciproque accordé au mari a l'encontre de la femme coupable.

IV.--Étrange revendication.--Le salariat conjugal.--Est-il possible et convenable de rémunérer le travail de la femme dans la famille?


Tandis que, d'une part, le régime dotal, soupçonneux et restrictif, semble fait pour les classes riches où la femme apporte une dot plus ou moins considérable qu'il a paru naturel de lui réserver, pourvu qu'elle en manifeste la volonté par une clause expresse de son contrat de mariage; tandis que, d'autre part, la communauté conventionnelle d'acquêts convient particulièrement aux classes moyennes de la bourgeoisie commerçante qui, privées de gros capitaux, associent surtout, en se mariant, leur travail, leur industrie et leurs économies à venir; en revanche, la communauté légale des biens est le régime le mieux approprié aux classes laborieuses, urbaines et rurales, ordinairement dénuées de fortune patrimoniale et pour lesquelles, avec un petit mobilier destiné à garnir le foyer naissant, la main-d'oeuvre quotidienne est la principale et souvent la seule source de revenus. C'est à bon droit qu'elle est devenue notre régime légal. Restons-lui fidèles; et si les protections actuellement établies en faveur de la femme commune en biens sont insuffisantes, tâchons de les accroître et de les perfectionner. Telle a été notre conclusion.

I

Or, en plus des améliorations déjà proposées, il en est une sur laquelle tous les féministes sont d'accord, et qui, à notre sentiment, mérite de passer sans retard dans nos lois. Une des personnalités les plus distinguées de l'enseignement juridique, M. Glasson, a pu dire que «si la législation du Code civil protège efficacement la femme lorsque le ménage possède une certaine fortune, elle n'est pas faite pour la femme de l'ouvrier 71.» Il convient donc de l'adapter équitablement aux intérêts des travailleurs.

Note 71: (retour) Le Code civil et la question ouvrière, p. 58.

La première mesure de protection à prendre au profit de la femme du peuple, honnête, courageuse et prévoyante, c'est de lui donner les moyens de défendre ses gains propres contre le gaspillage du mari. Tel est l'objet d'une proposition de loi en date du 9 juillet 1894, due à l'initiative de M. Goirand, député des Deux-Sèvres, et adoptée le 27 février 1896 par la Chambre des députés. En voici la disposition essentielle: «Quel que soit le régime adopté par les époux, la femme a le droit de recevoir sans le concours de son mari les sommes provenant de son travail personnel et d'en disposer librement.»

Ce projet ne substitue point la séparation de biens à la communauté. Il se borne à limiter le droit d'administration maritale et à conférer à la femme sur les fruits de son travail les mêmes droits que le mari exerce sur les autres biens de la communauté. Cette innovation ne fait donc point échec aux droits des tiers, puisqu'elle se contente de transporter à la femme sur ses bénéfices personnels les pouvoirs d'administration dont le mari mésuse pour le malheur de la famille. Elle mérite la plus entière approbation.

Mais comment la femme pourra-t-elle invoquer ce droit de libre disposition sur ses salaires propres et ses gains professionnels? L'admettrons-nous à les toucher de plein droit? ou bien l'obligerons-nous à solliciter de la justice l'autorisation de les recevoir? Dans le premier cas, sa prérogative sera légale; dans le second, elle sera judiciaire. La Chambre des députés s'est appropriée la première solution, qui est plus simple et plus rapide. Par contre, ceux qui pensent qu'il ne faut mettre le mari en suspicion, réduire ses droits et démembrer ses pouvoirs, qu'autant que la nécessité en est absolument démontrée, n'hésitent point à exiger l'intervention préalable du tribunal. Est-il possible de poser en principe que tous les maris sont d'abominables dissipateurs? C'est pourquoi deux maîtres éminents, MM. Jalabert et Glasson, font dépendre d'un jugement l'extension de la capacité féminine. Sans demander la séparation de biens, la femme devra donc obtenir de la justice le droit de toucher elle-même les produits de son travail, en prouvant que le mari met en péril, par son inconduite, les intérêts du ménage. Ainsi le droit de la femme est subordonné à la constatation d'un point de fait dont l'examen, pour être impartial, doit être confié nécessairement aux tribunaux.

J'inclinerais volontiers à cette solution s'il m'était démontré, qu'en ménageant les susceptibilités des maris, elle protège efficacement les intérêts des femmes. Malheureusement, l'épouse devra, pour faire siens ses gains professionnels, intenter une action en justice. Il lui faudra, dans tous les cas, si simplifiée que soit la procédure, si réduites que soient les dépenses et les lenteurs, obtenir des magistrats une séparation de biens partielle, une petite séparation judiciaire à l'usage des pauvres gens. C'est un procès à plaider, une lutte à soutenir, d'où peuvent surgir des conflits violents au foyer conjugal. Atténuez tant que vous voudrez les frais et les délais: vous ne supprimerez pas la mauvaise volonté du mari, vous ne sauvegarderez point la paix du ménage. Votre loi de protection,--qui est une loi de classe, une loi d'exception,--aura le défaut d'attendre que le mal soit déclaré pour y porter remède. Faisons mieux: prévenons l'abus et supprimons les procès.

Très bien, nous dit-on. Rien de plus aisé que d'organiser en faveur de l'ouvrière un système de préservation anticipée qui, laissé à la discrétion des parties intéressées, n'aura point la gravité d'une disposition légale séparant de plein droit les salaires et les gains de tous les époux français. A cette fin, M. le professeur Cauwès a proposé les mesures de précaution suivantes: avant le prononcé de l'union, sur l'interpellation de l'officier de l'état civil, la femme pourra déclarer que, bien que n'ayant point fait de contrat, elle entend se réserver la faculté de toucher elle-même le produit de son travail, à condition de contribuer pour sa part aux charges du ménage. L'acte de célébration mentionnera la réserve de la femme et l'acquiescement du mari, et sa publicité préviendra suffisamment les tiers. Dans la pensée de son auteur, ce procédé de défense préventive aurait pour avantage de réserver à la femme ses moyens d'existence, sans qu'il lui soit besoin de dresser à grands frais un contrat de mariage par-devant notaire 72.

Note 72: (retour) Paul Cauwès, De la protection des intérêts économiques de la femme mariée, pp. 17, 18 et suiv.

Nous objecterons simplement que cette déclaration de la femme risque de troubler, dès la première heure, l'harmonie du ménage, qu'inspirée par un désir d'indépendance ou par une pensée de défiance et d'hostilité vis-à-vis du futur mari, elle a le malheur d'éveiller et de consacrer les sentiments égoïstes des époux dès le premier jour de leur association conjugale. Sans doute, on peut répondre que ces précautions individualistes ne seront pas imposées par une loi impérative à toutes les unions, mais seulement abandonnées à la libre volonté des parties, et que la pensée étroite et jalouse qu'elles manifestent est la suite nécessaire de toute séparation de biens: ce qui n'a pas empêché le législateur de permettre aux époux de stipuler par contrat de mariage ce régime de division soupçonneuse. Pourquoi ce qui est permis en grand devant notaire ne serait-il pas licite, en petit, devant le maire, puisque cette demi-séparation contractuelle n'atteindrait que les salaires personnels et les bénéfices propres de la femme ouvrière?

Au fond, suivant nous, cette réforme n'aurait qu'un avantage assez minime: celui de rendre accessible aux classes pauvres le principe de la liberté des conventions. Et j'ai l'idée que la femme ouvrière repousserait presque toujours cette mesure de protection préventive, soit parce qu'à la veille des noces, en ce temps des illusions fraîches et vivaces, elle aura pleine confiance en l'honnêteté de son futur époux, soit parce qu'elle appréhendera que son fiancé ne prenne ses désirs d'indépendance pour une manifestation de méfiance prématurée, ou même pour une déclaration de guerre intempestive. Et à défaut de cette réserve faite expressément devant l'officier de l'état civil, sera-t-elle déchue du droit de réclamer plus tard, si l'inconduite du mari l'y contraint, la libre disposition des sommes provenant de son travail?

Si l'on veut protéger efficacement la femme et, en même temps, la dispenser de plaider, c'est-à-dire de mettre en mouvement l'appareil énorme, coûteux et lent de la justice humaine, il n'est que de lui accorder de plein droit, sans instance préalable, sans procès, sans jugement, le droit de toucher ses gains personnels, lorsque son intérêt lui conseillera de les sauvegarder contre les dilapidations de son mari. Cette solution, adoptée par la Chambre des députés, est la plus pratique, la plus franche, la plus économique. Nous faisons des voeux pour que le Sénat la consacre, à son tour, le plus tôt possible. Point besoin conséquemment d'ériger la séparation de biens, qui n'est que le divorce des patrimoines, en régime de droit commun. Une innovation plus modeste suffit: que la loi reconnaisse seulement à la femme le droit de toucher le produit de son travail et d'en disposer librement, et cette restriction apportée à la toute-puissance, parfois malfaisante, du mari, amendera suffisamment la situation pénible que le Code Napoléon a faite imprudemment à la femme ouvrière.

II

Toutefois cette réforme partielle en impliquerait une autre, non moins urgente. Maîtresse de ses salaires, la femme mariée le sera-t-elle de ses économies? La logique et la prudence le voudraient ainsi. D'où il suit que la femme, qui jouit maintenant de la faculté de se faire ouvrir un livret personnel par les Caisses d'épargne sans l'assistance de son mari, devrait avoir également, à l'exclusion de celui-ci, le droit de retirer les sommes qu'elle a précédemment déposées. Or, la loi du 9 avril 1881 n'a pas osé faire échec, sur ce point, au pouvoir marital. C'est une inconséquence fâcheuse.

Quel est aujourd'hui le droit d'une ménagère économe? Opérer des versements et reprendre ses dépôts sans l'assistance du mari. Mais il n'y a point là une extension de la capacité juridique de la femme mariée aussi large qu'on pourrait le croire, le mari conservant sur les apports effectués ses droits de chef de la société conjugale. La femme n'a donc pas la libre disposition de l'épargne dont elle a eu l'initiative méritoire. Veut-elle retirer son argent? L'article 6 de la loi de 1881 distingue: elle peut le faire sans le concours du mari; elle ne le peut pas contre son opposition. Et cette faculté de veto risque d'être, aux mains d'un homme peu scrupuleux, un moyen d'intimidation vexatoire ou même de spéculation malhonnête.

Bien plus, l'article 16 de la loi du 20 juillet 1895 a confirmé au mari le droit de toucher seul le montant du livret ouvert au nom de sa femme, si son régime matrimonial l'y autorise; et c'est le cas de la communauté légale qui, en l'absence de contrat de mariage, gouverne la plupart des ménages français. Conséquence: la femme commune en biens est libre de placer ses économies en son nom, et son seigneur et maître a le droit de les reprendre à volonté. Pour rester maîtresse de son livret, il faut que le mari en ignore l'existence. C'est inviter la femme à le lui celer. De fait, elle parvient souvent à se faire délivrer un carnet en son nom de jeune fille. Avait-elle besoin de cet encouragement à la dissimulation?

Singulier moyen de favoriser l'épargne et d'améliorer la condition des ouvrières! Voici une brave femme mariée à un ivrogne, à un paresseux, à un débauché: jour par jour et sou à sou, elle amasse l'argent du terme ou la réserve destinée à l'imprévu des mauvais jours. Qu'elle ne s'avise pas de porter son petit magot à la Caisse d'épargne: il n'y serait pas en sûreté. Son mari pourrait, avec la complicité de la loi, se l'approprier à tout instant. Est-il sage de condamner une femme à cacher ses laborieuses économies, sans possibilité d'en tirer le plus minime intérêt, pour les soustraire à la rapacité d'un époux indigne?

L'épargne du pauvre est sacrée. Les femmes ont raison de demander à la loi de la mieux défendre. Que leur servirait de pouvoir toucher leurs salaires, si elles n'ont pas le droit de toucher leurs économies? En cela, leurs revendications sont essentiellement conservatrices. Et nous les appuyons d'autant plus volontiers que plus souvent la femme du peuple fait preuve de vertus domestiques qui la placent bien au-dessus de la femme du monde. Autant la première sait épargner l'argent du ménage, autant la seconde excelle généralement à le dépenser. Mieux que personne, l'ouvrière réalise l'adage célèbre d'Aristote: «L'affaire de l'homme est d'acquérir, celle de la femme est de conserver.» La protéger, c'est à la fois défendre les enfants et sauvegarder la famille. Accordons-lui donc, à l'exclusion du mari, le droit de retirer librement les dépôts qu'elle a confiés à la Caisse d'épargne. On a souvent comparé celle-ci à une tirelire: n'est-il pas juste que la ménagère, qui l'a remplie, ait seule la faculté de l'ouvrir? Ne permettons pas au mari de s'en emparer, de la briser, de la vider. Ce qu'il faut constituer au profit de la femme du peuple, c'est un «pécule» inviolable.

Mais il reste entendu que les biens acquis par la femme avec ses gains personnels, comme aussi le total de ses économies particulières, continueront d'appartenir à la communauté. Si donc, entre mari et femme, nous admettons, dans une certaine mesure, la séparation des pouvoirs, nous ne voulons à aucun prix de la séparation des patrimoines. A ce propos, reconnaissons qu'en fait, eu égard aux formalités gênantes dont la pratique a entouré l'opposition maritale, le nombre des comptes ouverts aux femmes mariées par les Caisses d'épargne est devenu considérable, tandis que celui des remboursements obtenus par les maris est resté infime. Ajoutons enfin que la loi du 20 juillet 1886 sur la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse, et la loi du ler avril 1898 relative aux Sociétés de secours mutuels, ont permis à la femme d'effectuer des versements sans l'autorisation du mari. Elles nous sont un témoignage encourageant de l'état d'âme de nos législateurs, puisqu'elles nous les montrent désireux de protéger efficacement la femme ouvrière contre les dissipations d'un époux indigne.

III

Mais il est une faute maritale plus grave que l'inconduite et le gaspillage: c'est l'abandon. La laisserons-nous sans réparation? La commission parlementaire, chargée d'examiner la proposition de M. Goirand, ne l'a pas voulu. Elle a fait agréer par la Chambre des députés une disposition additionnelle, dont l'idée première appartient à MM. les professeurs Jalabert et Glasson. «En cas d'abandon par le mari du domicile conjugal, la femme peut obtenir du juge de paix l'autorisation de saisir-arrêter et de toucher des salaires ou des émoluments du mari une part en proportion de ses besoins et du nombre de ses enfants. Le même droit appartient au mari, en cas d'existence d'enfants, si la femme ne subvient pas spontanément, dans la mesure de ses facultés, aux charges du ménage.»

En cas d'abandon, le mari peut donc être partiellement destitué des droits qu'il a normalement sur ses gains personnels. Et pour permettre à la femme de les saisir sans trop de frais ni trop de lenteurs, le projet en question organise une procédure simple, expéditive et peu coûteuse. Nous ne ferons à ce projet qu'une critique. Il ne soumet le mari aux poursuites de la femme que dans le cas où il abandonne le domicile conjugal, tandis que la femme est exposée aux poursuites du mari dès qu'elle refuse de supporter sa part des charges du ménage. Cette distinction blesse le sentiment d'égalité. Que d'abord les déserteurs, mari ou femme, commettant même faute, subissent même traitement: c'est justice. Et ensuite pourquoi ne pas permettre à la femme de saisir-arrêter une portion des salaires du mari qui refuse de prendre sa part des charges de la famille? Les mêmes responsabilités appellent les mêmes sanctions; les mêmes défaillances exigent les mêmes corrections.

Qu'opposerait-on au droit de saisie-arrêt exercé par la femme?

En contractant mariage, l'homme s'impose le devoir de subvenir aux besoins de sa compagne, aux frais de nourriture, d'entretien et d'éducation des enfants. Que le mari vienne à manquer à ces obligations sacrées, qui lui sont imposées par les articles 203, 212 et 214 du Code civil, et la femme, dont les salaires sont ordinairement minimes, sera dans l'impossibilité d'y pourvoir. Est-ce que le Code civil ne doit pas contraindre l'homme, qui faillit à ses devoirs, à faire un emploi moral de ses gains? Par définition, la loi est la conscience de ceux qui n'en ont pas. En manquant d'ailleurs à ses obligations de chef de la famille, le mari coupable a volontairement abdiqué ses droits de chef de la communauté. On aurait tort de laisser le commandement à qui donne l'exemple de l'inconduite et de la lâcheté.

Qu'opposerait-on, maintenant, au droit de saisie-arrêt exercé par le mari?

Les époux se doivent mutuellement secours et assistance. Leurs devoirs sont réciproques. La femme doit contribuer, pour sa part, aux charges communes. Or, s'il y a des maris qui compromettent par leurs excès les ressources de la famille, il est des femmes qui ne se font point faute de les gaspiller par leurs folies. L'équité veut donc que l'homme et la femme ne puissent soustraire leur gain propre à sa destination ménagère, et que les deux époux aient pareillement le droit de se rappeler l'un et l'autre au premier devoir du mariage. La réciprocité est ici de stricte justice. On ne saurait armer la femme en désarmant le mari. Donnons donc à l'un et à l'autre même secours et même sanction.

Tout au plus doit-on restreindre, comme l'a fait la Chambre des députés, le droit de saisie-arrêt du mari au cas où il y a des enfants, pour ce motif qu'en l'absence de postérité, les salaires du mari suffisent généralement à son entretien, et qu'il serait contraire à la dignité de l'homme de réclamer, à son profit personnel, une part des salaires de la femme. En fait, le droit de saisie-arrêt sera souvent d'un exercice difficile. Comment atteindre l'époux coupable? Quel moyen de mettre la main sur les gains d'un mari qui se dérobe? Quel père oserait toucher sa part des profits d'une mère qui se vend?

IV

Sur tous les points qui précèdent, nous estimons que les revendications du féminisme sont d'une parfaite justice et d'une réalisation facile. Où le dissentiment commence entre lui et nous, c'est lorsqu'il oppose les époux l'un à l'autre, sans autre but que de séparer leurs intérêts pécuniaires au risque de désunir leurs coeurs et leurs vies. Si âpres sont, en de certains milieux, ces pensées de division et d'indépendance, que plusieurs Cercles d'études féministes ont mis à l'ordre du jour de leurs délibérations l'évaluation par la loi et la rémunération par le mari des travaux domestiques de la femme. Il ne s'agit plus de garantir à celle-ci les gains qu'elle réalise en dehors du ménage, mais de lui assurer le paiement des services ménagers qu'elle rend au père et aux enfants.

Cette idée est, sans contredit, la chose la plus neuve et la plus extravagante qui ait été proposée pour rajeunir et améliorer le mariage. Renchérissant sur la séparation de biens, jugée sans doute insuffisante, les congressistes de Londres ont discuté sérieusement, en 1899, «la question du salaire de la femme par le mari.» On a pu lire, en 1900, au programme de la Gauche féministe, un article ainsi conçu: «Évaluation du travail ménager de la femme.» Nous ne rions pas: «Le travail de la femme dans la famille doit être évalué.» Comment? Les uns prennent pour base «le taux des salaires professionnels, pour les différents travaux de la maison;» les autres parlent d'attribuer à la femme, en rétribution de ses fonctions ménagères, «la propriété exclusive de la moitié des objets mobiliers qui garnissent le foyer 73.» Mais cette évaluation est arbitraire, le travail de la femme variant en qualité et en quantité, selon la situation sociale du ménage. C'est pourquoi, jusqu'ici, la question a été ajournée, faute de solution pratique.

Note 73: (retour) La Fronde du 7 septembre 1900.

Je crois bien! Si vous indemnisez la femme de son travail domestique, refuserez-vous au mari toute récompense pour les besognes qu'il accomplit à la maison et pour les gains qu'il est seul, en bien des cas, à réaliser au dehors? Sinon, que deviendrait l'égalité? Conçoit-on qu'en plus du ménage qu'il soutient, l'homme soit obligé de payer sa femme comme une mercenaire? Nous avions cru jusqu'à ce jour que le travail industriel de l'homme et le travail ménager de la femme avaient pour destination commune de faire vivre la famille; que celui de l'épouse était la contre-partie et la compensation de celui de l'époux, avec cette différence que la ménagère fournit sa contribution en prestations manuelles, tandis que le mari verse à la communauté l'argent de ses gains professionnels.

Seulement, vous n'évaluerez jamais avec exactitude et, par suite, avec justice le travail de la femme dans son ménage. A vrai dire, lorsqu'une ouvrière remplit fidèlement ses devoirs d'épouse et de mère, lorsqu'elle sait pratiquer, à force d'économie, l'art difficile de partager un sou en quatre, son travail n'a pas de prix. Et j'ajoute que ce n'est pas à elle que la pensée serait jamais venue de s'en faire payer par son mari. D'autre part, il y a de mauvaises ménagères. Dédommagerez-vous le mari de ce qu'elles n'ont pas fait, ou bien le forcerez-vous à les rémunérer de ce qu'elles auraient dû faire? Toutes vos évaluations seront fautives, à moins que la femme ne soit payée par le mari à l'heure ou à la journée, comme la domestique gagée par le maître. Ce serait plus logique et plus simple. Mais quel amoindrissement du rôle de l'épouse et des fonctions augustes de la mère!

Franchement, je ne sais rien de plus fou et de plus dégradant que ce mercantilisme conjugal. S'imagine-t-on un mari qui abrite, habille et nourrit sa femme, obligé légalement, par surcroît, à la rémunérer de ses services quotidiens? A-t-on réfléchi qu'en ce cas la logique et l'équité réclameraient encore que Monsieur eût le droit et le pouvoir de forcer Madame à les lui rendre. «Puisque je paye, dira-t-il, servez-moi. Il m'en faut pour mon argent!» Ce serait la domesticité étendue au mariage. Et à ce régime de contrainte salariée, la femme aurait plus à perdre qu'à gagner. Car, si la loi actuelle oblige le mari à subvenir aux besoins de sa compagne, je ne sais aucun moyen légal de contraindre la femme à s'occuper convenablement de son ménage. Qu'elle engage une domestique incapable de faire la cuisine, qu'elle abandonne ses enfants à une nourrice grossière ou inhumaine, qu'elle coure les magasins ou pédale sur les grands chemins au lieu de surveiller son intérieur, le mari ne peut user que de persuasion pour la ramener à une plus juste conception de ses devoirs.

Et c'est au moment même où l'on dénonce si amèrement les mariages d'argent, qu'on nous propose de convertir les relations les plus sacrées, celles des mari et femme, celles des père et mère, en simple affaire commerciale! Voyez-vous deux époux tenant un compte-courant de leurs services réciproques et balançant avec ponctualité, l'un contre l'autre, leurs dépenses et leurs recettes? On ne songe pas qu'il est impossible de monnayer la tendresse et le dévouement, et que le dévouement qui ne se donne pas sans compter n'est plus le dévouement, et que l'amour qui se vend et s'achète au jour le jour n'est qu'une vile prostitution. Ne parlons donc pas de la rémunération des services que les époux se rendent réciproquement pour leur bien-être mutuel. Ce serait la ruine de toutes les vertus conjugales. Ne rabaissons point au niveau d'un calcul égoïste et d'un marchandage quotidien les innombrables devoirs domestiques, que mille et mille générations de femmes nobles et pures se sont honorées de remplir avec une tendre et courageuse abnégation. Si jamais ce genre de spéculation s'installait au foyer, l'affection en sortirait bien vite, chassée par les discussions de salaire. C'est corrompre le mariage que d'en faire une société marchande et de transformer deux époux solidaires en deux mercenaires rivaux et soupçonneux.

Le salariat de la femme n'est pas même la contre-façon misérable de la dot, puisque les apports des époux sont fixés, une fois pour toutes, avant le mariage et restituables à sa dissolution. Et puis, chose essentielle, la dot de la femme, comme le travail du mari, dont elle est l'équivalent et la compensation, est affectée, par définition, à un but commun qui est le soutien du ménage et l'éducation des enfants. Mais investir la femme d'un droit de créance destiné à la rémunérer de tous les soins dont elle condescend à entourer son mari et ses petits, c'est la regarder comme étrangère à la famille et créer, pour la durée du mariage, des intérêts contraires et des vues antagoniques là où toute législation bien inspirée doit tendre à fonder une étroite communauté d'efforts, de dévouement, de confiance et d'affection.

Revenons, pour conclure, aux réformes sérieuses. D'accord avec les différents groupes féministes, nous avons revendiqué, sous certaines conditions, pour la femme mariée: 1° le droit de disposer des salaires et des gains provenant de son travail; 2° le droit de retirer, à l'exclusion du mari, les économies qu'elle a déposées à la Caisse d'épargne; 3° le droit de saisir-arrêter, en certains cas, les salaires de l'époux coupable.

Mais ces réformes sont-elles suffisantes? Il arrive souvent, dans les ménages peu fortunés, que sans délaisser le foyer domestique, le mari plonge les siens dans la misère par son inconduite habituelle ou son ivresse incurable. En cet état des moeurs ouvrières, est-il admissible que l'époux indigne conserve intégralement ses droits et ses pouvoirs de chef de la famille? Cet ordre d'idées nous amène à la grosse question de l'incapacité légale de la femme mariée.



CHAPITRE VII

L'incapacité civile de la femme mariée


SOMMAIRE

I.--En quoi consiste cette incapacité légale?--Ses atténuations.--Sa raison d'être.--Vient-elle de l'inexpérience ou de l'infériorité du sexe féminin?

II.--Fondement rationnel.--Unité de direction dans le gouvernement de la famille.--Convient-il d'abolir l'incapacité civile de la femme mariée?

III.--Élargissement désirable de la capacité des femmes.--Suppression de l'autorisation maritale dans les cas de divorce, de séparation de corps et même de séparation de biens.--Un dernier voeu.--La puissance maritale est-elle une fonction inamovible?


L'égalité civile des deux sexes cesse dans les rapports conjugaux: en s'engageant dans les liens du mariage, la femme aliène une partie de ses droits et se soumet à une sorte d'incapacité temporaire. «Mais (c'est une remarque de Paul Gide) cette incapacité, si même elle mérite ce nom, n'est pas inhérente au sexe; elle n'a point sa cause dans la nature physique ou morale de la femme, mais dans la puissance maritale, c'est-à-dire dans un fait extérieur et accidentel 74

Note 74: (retour) Paul Gide, Étude sur la condition privée de la femme, p. 465.

I

En quoi consiste l'incapacité légale de la femme mariée? En ceci que la femme ne peut valablement procéder à des actes juridiques sans y être autorisée par son mari ou par la justice. Veut-elle intenter une action devant un tribunal ou y défendre, veut-elle conclure un acte extra-judiciaire, donner, aliéner, hypothéquer, acquérir à titre onéreux ou gratuit: la loi française exige, pour la validité de tous ces actes de la vie civile, «le concours du mari dans l'acte ou son consentement par écrit 75

Exceptionnellement, trois causes peuvent restreindre les prérogatives du mari et augmenter, plus ou moins, les droits de la femme. D'abord, celle-ci a pu se réserver expressément, dans son contrat de mariage, la gestion de son patrimoine personnel. Même en l'absence de cette clause, elle a pu obtenir contre l'époux dissipateur la séparation de biens judiciaire et rentrer dans l'administration de sa propre fortune. Enfin, elle a pu employer sa dot à des opérations commerciales, en vertu d'une autorisation générale qui lui restitue en matière de négoce sa pleine capacité civile 76.

Note 75: (retour) Code civil, articles 215, 217, 218, 219 et 1124.
Note 76: (retour) Code civil, articles 223, 1449, et 220.

Ajoutons que si, en principe, la femme est incapable de contracter sans autorisation du mari, elle n'est pas discrétionnairement abandonnée à l'autorité de son époux, puisqu'elle peut être habilitée par la justice au refus injustifié de ce dernier, et que, même pour certains actes qui impliquent une volonté entièrement libre et spontanée, tel que le testament, elle n'est soumise à aucune autorisation, ni maritale ni judiciaire. Il est donc difficile de voir dans la puissance du mari un droit d'omnipotence tyrannique.

Telle qu'elle a été organisée par le Code civil, l'incapacité légale de la femme mariée semble donc dériver du fait même du mariage. Elle commence et finit avec lui. Beaucoup en demandent la suppression. Si hardie que paraisse cette revendication, on voudra bien remarquer que l'autorisation et l'autorité du mari sont deux choses distinctes, que celle-ci est le principe de celle-là, et qu'on peut tendre à restreindre la première, qui ne concerne que les intérêts pécuniaires de la femme, sans abolir la seconde, qui s'exerce sur sa personne même. Une loi qui supprimerait absolument l'autorité maritale serait une loi de combat, tandis qu'une réforme qui s'en prend seulement à l'autorisation maritale peut être une réforme de progrès.

Au surplus, l'antique conception de l'incapacité de la femme mariée a lentement évolué, et ce n'est pas aujourd'hui un mince problème que de découvrir sa véritable raison d'être. Les motifs anciennement allégués ne nous suffisent plus. Et cela même atteste un grave changement dans les idées et les moeurs.

Dira-t-on que l'incapacité civile de l'épouse n'est qu'une suite de l'incapacité naturelle de la femme, de cette légèreté incorrigible, de cette inexpérience incurable,--imperitia aetatis et fragilitas sexus,--dont parlaient avec dédain nos vieux auteurs? Mais notre loi tient une fille majeure pour aussi capable qu'un homme adulte; et il serait inconvenant de prétendre que le mariage a le fâcheux effet de la dépouiller, du jour au lendemain, de sa liberté consciente et de sa volonté réfléchie, à tel point qu'il serait impossible à une femme de passer aujourd'hui, sans l'assistance de son mari, le même acte juridique que, fille, elle pouvait passer la veille en toute liberté.

Verra-t-on dans cette incapacité spéciale une conséquence de la dépendance nécessaire de la femme qui doit, en toute chose, obéir à son mari, seigneur et maître du ménage? Il est de fait que nos anciennes coutumes ne mettaient pas en doute la suprématie de l'époux et la subordination de l'épouse, et que cette idée traditionnelle de la prééminence du sexe masculin fut présente à l'esprit des législateurs de 1804. Portalis, le premier d'entre eux, se moque des «vaines disputes sur la préférence ou l'égalité des sexes 77.» Le Premier Consul n'aurait point manqué de leur rappeler, au besoin, qu'«un mari doit avoir un empire absolu sur les actions de sa femme.» On connaît de lui ce mot cruel: «Il faut que la femme sache qu'en sortant de la tutelle de sa famille, elle passe sous celle de son mari.» C'est l'esprit du vieux droit quiritaire. Mais comment expliquerons-nous que l'autorisation de la justice puisse suppléer parfois à l'autorisation du mari? Si l'incapacité de la femme mariée est un hommage rendu à la puissance maritale, on ne conçoit pas qu'un tribunal puisse en relever l'épouse contre le gré de l'époux. Dépendance ou fragilité du sexe, voilà qui ne satisfait guère l'esprit des modernes.

Note 77: (retour) Séance du Conseil d'État du 16 ventôse an XI. Locré, t. II, p. 396.

Portalis, d'ailleurs, ajoutait ceci: «L'obéissance de la femme est une suite nécessaire de la société conjugale, qui ne pourrait subsister, si l'un des époux n'était subordonné à l'autre.» Avant lui, Cambacérès avait pris soin d'expliquer que l'égalité de puissance et la diversité des opinions sur les plus petits détails entraveraient perpétuellement l'administration commune 78. Ici transparaît déjà l'esprit nouveau. La tendance actuelle incline à voir dans l'incapacité de la femme un moyen de prévenir les conflits de volonté par la prédominance du mari, naturellement désigné pour ce rôle d'arbitre souverain par sa connaissance des affaires et son expérience de la vie. L'autorisation maritale s'explique donc suffisamment par la nécessité d'assurer l'unité de direction dans la gestion des intérêts de la famille. Si donc l'épouse est incapable, ce n'est plus en considération de la suprématie de l'homme, ni en vue de l'inexpérience de la femme, mais en faveur du ménage et des enfants.

Note 78: (retour) Fenet, I, p. 156.

II

Il semble bien que nos législateurs soient entrés récemment dans ces vues. Une loi du 6 février 1893 a rendu à la femme séparée de corps sa pleine liberté civile. Jusqu'à cette époque, l'incapacité de l'épouse survivait à la séparation de corps qui relâche les liens du mariage sans les briser; il en résultait pour la femme l'obligation très humiliante et très dure de mendier l'autorisation et de subir la puissance d'un homme, auquel rien ne la rattachait plus, ni l'affection, ni l'intérêt. De là des scènes pénibles qui rendaient illusoire tout espoir de réconciliation,--sans compter que certains maris trafiquaient odieusement de leur autorisation nécessaire.

Afin de couper court à ces abus, le nouvel article 311 du Code civil a décidé que la séparation de corps a pour effet, comme le divorce, de «rendre à la femme le plein exercice de sa capacité civile, sans qu'elle ait besoin de recourir à l'autorisation de son mari ou de justice.» Cette solution nouvelle prouve assez que l'incapacité de la femme mariée dérive, aux yeux des modernes, non pas du mariage qui subsiste, mais de la vie commune qui est interrompue par la séparation de corps.

Comment, du reste, parler sérieusement aujourd'hui de la supériorité de l'homme et de l'infériorité de la femme? Sur dix maisons de petit commerce qui prospèrent, neuf le doivent à l'intelligente coopération de la femme. La prédominance du sexe fort s'est imposée d'abord; on l'a justifiée ensuite. Elle a commencé par être un fait; elle a fini par être un droit. Et ce droit lui-même s'est épuré. Il en a été du gouvernement domestique comme du gouvernement politique: leur fondement a varié. Présentement, l'autorité ne se légitime plus par l'intérêt de celui qui l'exerce, mais bien par l'utilité de celui qui la subit. Loin d'être un instrument de domination, la puissance du mari, comme celle du père, comme celle du «prince», est tenue pour un instrument de protection qui ne se justifie que par ses bienfaits.

Convient-il maintenant d'abolir radicalement l'incapacité de la femme mariée? En ce sens, M. Michelin, député de Paris, a déposé sur le bureau de la Chambre, le 27 octobre 1895, une proposition tendant à laisser aux époux le soin de régler souverainement leur capacité respective par une clause de leurs conventions matrimoniales. L'innovation serait grave, puisque l'article 1388 du Code civil interdit aux futurs époux de déroger par contrat de mariage aux «droits qui appartiennent au mari comme chef.»

Y a-t-il donc avantage à n'admettre la subordination d'un époux à l'autre, dans le gouvernement des intérêts pécuniaires, qu'autant qu'elle sera contractuelle, c'est-à-dire volontaire? Aucun. Voyez-vous des fiancés discutant leurs attributions hiérarchiques et leurs droits de prééminence avant d'entrer en ménage? Quelle pomme de discorde ou quel marché de dupe! Le plus épris sera toujours enclin à sacrifier ses intérêts et le plus habile toujours porté à défendre et à exagérer les siens. D'ailleurs il serait puéril de convier les futurs époux à régler préventivement leur puissance ou leur sujétion. Dès aujourd'hui, et malgré la loi, la division des pouvoirs ne se fait qu'après la cérémonie, tacitement, au cours du mariage, sans accord préalable. Car il ne suffit pas, on le sait, que le mari soit, de droit, le chef de la famille pour être, en fait, le maître obéi et incontesté.

En outre, nous tenons pour dangereux de dissocier par anticipation les intérêts des époux, en accordant à chacun d'eux, dans l'administration séparée de leur fortune, une indépendance absolue. Mieux vaut s'efforcer de ramener à l'unisson toutes les contrariétés possibles en exigeant, dans certains cas, le concours de leurs deux volontés. C'est pourquoi nous avons proposé plus haut que tout acte, qui intéresse gravement la fortune commune, soit consenti expressément par l'un et l'autre des époux.

III

En ce qui concerne spécialement l'autorisation maritale, puisqu'elle ne repose plus sur la suprématie du sexe fort ni sur l'imbécillité du sexe faible, nous ne voyons pas qu'elle soit sacrée, inéluctable, intangible. N'ayant qu'un but, qui est d'assurer l'unité de direction nécessaire à la bonne administration du ménage, le pouvoir qu'elle implique pourrait très bien être remis aux mains de la femme, lorsque celle-ci fait preuve de prudence et d'habileté. Il arrive souvent qu'une autorisation générale relève l'épouse commerçante de toute incapacité: pourquoi refuserait-on au mari la faculté d'habiliter sa femme aux actes de la vie civile, en lui donnant le mandat, au cours du mariage, de gérer la fortune commune et de diriger les affaires du ménage? On ne voit point que ce qui fonctionne si bien en matière commerciale puisse engendrer de moins heureuses conséquences en matière civile. Il conviendrait donc d'étendre les cas d'autorisation générale, en stipulant que celle-ci sera toujours révocable. Bien plus, lorsque le mari est absent ou interdit, la raison veut que la femme soit dispensée de toute autorisation préalable. Pourquoi entraver son action par la nécessité de recourir à l'autorisation supplétive du tribunal? Lorsqu'une femme fait preuve d'honnêteté et d'habileté, elle mérite un peu moins de défiante sollicitude et de gênante protection.

L'incapacité de la femme devrait même cesser totalement là où commence l'indignité du mari. Lorsque celui-ci est pourvu d'un conseil judiciaire, condamné à la prison, mis en faillite ou en liquidation, lorsqu'il déserte le foyer ou déshonore la famille, en tous ces cas de déchéance morale ou pénale, la femme devrait être relevée de son incapacité et placée à la tête du ménage. N'est-elle pas, par définition, le suppléant, le substitut de l'époux incapable ou indigne? On cite notamment des cas d'abandon monstrueux où le mari, ayant passé la frontière, se rit de la mère et des enfants, reste sourd à toutes les sommations et inaccessible à toutes les procédures. Quand le chef de la famille forfait à ses devoirs, la révocation est de rigueur. C'est une sorte de mauvais prince qu'il faut déposer au plus vite.

Enfin, il nous paraît que la séparation de biens judiciaire devrait conférer à la femme la même capacité que la séparation de corps. Pour justifier la différence que la loi du 6 février 1893 a maintenue, on allègue que la communauté d'existence disparaît dans la séparation de corps et subsiste dans la séparation de biens. Soit! Et pourtant, lorsqu'il s'agit d'une simple question d'ordre pécuniaire, n'est-il pas contradictoire de soumettre la femme séparée de biens, pour les actes de disposition qui excèdent ses pouvoirs d'administration, à l'autorisation d'un mari reconnu judiciairement incapable de diriger les affaires communes?

En un mot, sans abolir radicalement l'autorisation maritale, nous faisons des voeux pour l'élargissement de la capacité civile de la femme. Allons plus loin: est-ce assez de suspendre ou même de supprimer, dans certains cas limités l'autorisation maritale? Ne convient-il point de s'attaquer au principe d'où elle découle, c'est-à-dire à l'autorité maritale elle-même?

Pourquoi pas? Si la raison veut que, dans le mariage, l'homme ait le gouvernement des affaires et des personnes de la famille, elle n'exige point qu'il la garde, au préjudice de la mère et des enfants, quand il s'en montre indigne. En ce cas, l'intérêt de tous commande qu'on lui enlève la direction du foyer pour la transmettre à la femme. Lorsqu'un cocher heurte son attelage à toutes les bornes et verse sa voiture dans toutes les ornières, n'est-ce point prudence et sagesse de lui enlever les guides? On voudra bien remarquer qu'il ne s'agit plus seulement, dans notre pensée, de libérer l'épouse d'une suprématie malfaisante, mais de dépouiller le mari de tous les pouvoirs dont il mésuse, pour les confier expressément à la femme. Ce serait une petite révolution de palais que l'inconduite du «seigneur et maître» justifiera plus d'une fois. Quand un ministre gouverne mal, on le relève de ses fonctions, et l'administrateur déchu redevient un administré subalterne. Pourquoi l'époux incapable ou malhonnête ne subirait-il pas le même sort? La puissance maritale serait-elle donc une qualité intransmissible, une fonction inamovible? Soutiendrait-on, sous notre démocratie, que la puissance maritale est semblable à la puissance royale, dont les femmes étaient écartées par la loi salique?

Conformément à nos idées, une loi du 24 juillet 1889 a déclaré que l'autorité paternelle ne peut tourner, aux mains d'un père indigne, en mauvais traitements ni en spéculations infâmes. Après avoir protégé l'enfant, pourquoi ne point protéger la femme? On n'hésite plus aujourd'hui à transporter la puissance paternelle à la mère: pourquoi ne point transmettre la puissance maritale à l'épouse? L'autorité du mari est-elle plus sacrée que celle du père? Autre analogie: l'article 124 du Code civil permet à la femme, en cas d'absence de son mari, d'opter pour la continuation de la communauté et de prendre en mains l'administration des biens. Pourquoi un jugement de déchéance, prononcé contre le mari convaincu d'imbécillité ou d'indignité, ne pourrait-il pas investir la femme d'un même droit d'option et d'un même pouvoir de direction? 79 Le gouvernement du ménage doit appartenir au plus digne. Nous accorderions donc à la femme une action en déchéance de la puissance maritale contre l'époux coupable ou dément, avec faculté pour le juge de transmettre à la demanderesse tous les droits qui appartiennent au défendeur en sa qualité de chef de la famille.

Note 79: (retour) Paul Cauwès, De la protection des intérêts économiques de la femme mariée, p. 20.

Confucius disait fort irrévérencieusement: «L'homme est à la femme ce que le soleil est à la lune. Il dirige et elle obéit; et c'est ainsi que règne l'harmonie.» D'accord. Mais lorsque le soleil brûle au lieu d'éclairer, n'est-il pas naturel qu'on lui préfère la douceur du clair de lune? C'est pourquoi toutes les fois que le gouvernement du mari devient stupide ou malfaisant, nous proposons de transporter ses pouvoirs aux mains plus sages et plus honnêtes de la maîtresse de maison. Il n'est point de règle humaine qui ne comporte des exceptions inévitables.

En dernière analyse, ce qu'il faut réprimer chez l'homme, c'est l'excès de pouvoir et l'abus du droit. Les esprits modérés nous feront peut-être l'honneur de convenir que les nombreux amendements, dont nous venons de les entretenir, atteignent ce but en relevant la capacité civile de la femme sans décapiter tous les maris de leurs prérogatives nécessaires. Quant aux féministes intransigeants, il est à croire qu'ils trouveront ces améliorations insignifiantes et parfaitement inutiles. Pourquoi s'attarder à des corrections de détail? A quoi bon retoucher notre loi matrimoniale? Le mal étant plus profond, le remède doit être plus radical. En 1900, tandis que la Gauche féministe discutait la question de la communauté légale, un congressiste, peu satisfait des demi-mesures proposées, fit remarquer qu'il était insuffisant de briser «quelques barreaux de cette prison qu'on appelle le mariage.» Couper seulement les liens qui nous entravent les pieds, en respectant ceux qui nous enchaînent la tête et les bras, est une préoccupation de naïf ou une besogne de poltron. C'est à l'institution matrimoniale elle-même que les esprits vraiment libres doivent, paraît-il, s'attaquer résolument. Et l'homme courageux, dont je parlais tout à l'heure, réclama l'abolition pure et simple du mariage. Suivons-le sur ce terrain.




LIVRE III

ÉMANCIPATION CONJUGALE DE LA FEMME




CHAPITRE I

L'amour conjugal


SOMMAIRE

I.--Traditions chrétiennes du mariage.--Son fondement: devoir ou plaisir?--Il ne doit se confondre ni avec la passion qui affole, ni avec le caprice qui passe.

II.--L'amour-passion: ses violences et ses déceptions.--Le mariage sans amour: son abaissement et ses tristesses.

III.--Instinct mutuel d'appropriation.--Rites solennels de célébration.--L'amour conjugal est monogame.--Que penser de l'indissolubilité du mariage?

IV.--C'est une garantie prise par les époux contre eux-mêmes.--L'accord des âmes ne se fait qu'a la longue.--Exemples pris dans la vie réelle.--A quand l'amour sans lien?


I

Le Livre fameux de Stuart Mill, l'Assujettissement de la femme, repose sur cet axiome que «le mariage est, à présent, le seul esclavage reconnu par les lois.» Cette parole a trouvé de l'écho un peu partout, même en France. On nous affirme que, d'après le Code civil, la femme est la servante du mari. Il y a deux lois dans notre loi, dit-on: l'une pour les hommes, l'autre pour les femmes.

Et notre société contemporaine accepte cette inégalité criante! A qui la faute, sinon à l'atavisme chrétien, à l'héritage obscur des ancêtres qui, prolongeant en nous leur vie morale, sentent et pensent, à notre insu, dans nos âmes ébranlées vainement d'un désir confus d'intégral affranchissement? Qui nous débarrassera de la servitude des idées religieuses? Après s'être émancipés du joug de la foi, les incroyants auront-ils le courage de s'affranchir des scrupules de la morale «sacramentelle» 80? Et de fait, un certain féminisme s'applique passionnément à déchristianiser l'institution matrimoniale.

Il nous semblait pourtant qu'en épurant et en sanctifiant le mariage, la religion du Christ n'avait point amoindri et maltraité la femme. Il est vrai que Jésus ne permet à ses fidèles ni la polygamie ni le divorce. On lit dans l'Évangile selon saint Mathieu: «Au commencement, Dieu a créé un homme et une femme, un seul couple. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme. Ils ne seront plus deux, mais une seule chair. Donc, que les hommes ne séparent point ce que Dieu a uni. Le mari qui abandonne sa femme pour en épouser une autre et la femme qui abandonne son mari pour en épouser un autre, commettent un adultère 81.» Cette parole a restitué au mariage, dans l'intérêt des deux époux, l'honneur et la sécurité.

Note 80: (retour) Joseph Renaud, La Faillite du mariage, p. 44.
Note 81: (retour) Saint Mathieu, XIX, 3-10.

Par ailleurs, en admettant même que le christianisme n'ait rien de divin, il faudrait reconnaître au moins qu'il a valu à la femme, en la personne de Marie, mère de Jésus de Nazareth, d'incomparables hommages et la glorification magnifique de la pureté féminine et de la dignité maternelle. Aussi Marie est devenue le modèle de la femme et la protectrice bénie de la famille chrétienne. Et s'autorisant de ce grand exemple, saint Paul a proclamé que «les femmes se sauveraient par leurs enfants 82

Note 82: (retour) Épître à Timothée, II, 15.

Plus tard, l'ancienne chevalerie, qui s'obligeait par serment à défendre le bon renom des dames, avait en particulière dévotion «la très douce Mère de Dieu». De là une littérature qu'on a justement appelée «marianique», où les chevaliers-poètes célébraient leur «chère Dame», la «benoîte» Vierge Marie. Mais on sait que ce culte de la femme ne fut pas toujours aussi mystique ni aussi épuré. Il n'en reste pas moins que ç'a été le grand honneur de l'Église de maintenir le droit de la femme à la liberté, au respect et à la vertu, à l'encontre de la corruption des moeurs et des passions sensuelles des princes. «Pendant tout le moyen âge, écrit le comte de Montalembert, le pontificat des Pères de la chrétienté se passa en luttes continuelles, afin de garder l'indissolubilité du mariage contre les prétentions déraisonnables des grands seigneurs féodaux.» Et ces luttes pourraient bien recommencer contre les partisans du libre amour et de la libre jouissance!

«Toutes les questions sur le droit des femmes, sur les relations entre maris et femmes, n'existent que pour les personnes qui ne voient dans le mariage qu'un plaisir.» Cette parole de Tolstoï jette sur les équivoques du «féminisme conjugal» une clarté directe et franche. Il y a un abîme entre le sensualisme, né du désir charnel, qui ne voit rien au-delà des joies de la possession, et l'esprit des noces légitimes qui assigne à l'union des corps et des âmes la préoccupation suprême des enfants à naître et de la famille à fonder. Tandis que la passion s'acharne exclusivement à la poursuite d'une sensation actuelle et fugitive, le mariage subordonne celle-ci à l'avenir de la race et au peuplement du foyer. En deux mots, on ne se marie pas seulement pour le plaisir, on ne se marie pas uniquement pour le présent. Le mariage ne doit se confondre, ni avec la passion sensuelle qui affole, ni avec la capricieuse amourette qui passe. Il veut plus de raison et aspire à plus de durée.

II

Et d'abord, il n'est pas désirable que la passion préside au mariage, parce que les sens y ont plus de part que le coeur. La passion, en effet, est fantasque et violente: elle ressemble à un orage. Elle fait même plus de blessures qu'elle ne cause de joies. Elle est absorbante, ombrageuse, inquiète, dominatrice; elle veut posséder l'objet aimé tout entier, sans que celui-ci ait le droit de retenir quoi que ce soit de lui-même; elle est jalouse des amis, des livres, des bêtes, auxquels le partenaire adoré--et persécuté--a le malheur de donner un peu de son coeur. Les femmes ne sont pas rares qui éprouvent cette fièvre d'amour. Ce sont des malades dangereuses. Quiconque est pris et serré dans l'étau d'une passion aveugle est un être à plaindre. S'il ne s'arme d'un courage surhumain pour secouer le joug qui l'étouffe, il tombera de défaillance en défaillance, de l'amour à la faiblesse, de la faiblesse à la lâcheté, jusqu'à l'abandonnement de soi-même, jusqu'à la dégradation de tout son être: c'est un suicide lent.

Que s'il veut réagir, se révolter, se reprendre, quelles luttes et quelles souffrances! Je ne voudrais pas souhaiter, même à un ennemi, le mariage d'une affection douce avec un amour-passion. C'est l'union de deux choses inconciliables. Liez une créature ardente et fébrile, tout feu, tout flamme, tout désir, avec une autre capable seulement de tendresse raisonnable, où entrent surtout la condescendance amicale et l'instinct protecteur, et vous aurez un ménage d'enfer. Sans doute, entre gens qui s'aiment d'une flamme égale et modérée, les disputes ne sont pas rares. Mais entre un amoureux fou et un amoureux sage, il y a discord mental, incompatibilité absolue, déchirement continuel. Ils vivent ensemble sans se comprendre, ils respirent le même air sans s'accommoder l'un à l'autre. Ce sont des étrangers qui couchent dans le même lit, sans pouvoir se communiquer leurs pensées, sans pouvoir connaître et goûter leur âme. De l'un à l'autre, point d'entente possible: ils s'enferment en eux-mêmes, se torturent, se martyrisent jusqu'au jour de la séparation inévitable. Ce qui fait que bon nombre de mariages d'inclination tournent mal, c'est précisément que la passion y préside exclusivement, soit d'un côté, soit de l'autre, ou même des deux à la fois; et la passion ne fonde rien de solide, parce qu'étant faite surtout de désir, elle est incohérente et folle. Je le répète: la passion est une fièvre délicieuse et pernicieuse, dont il est souvent plus facile de mourir que de guérir.

Non qu'il faille, grand Dieu! se marier sans amour. Ne laissons pas s'aggraver le discrédit où déchoit insensiblement le vrai, l'honnête, le pur amour, l'amour conjugal! Le mariage n'est pas seulement l'union de deux vies, de deux bourses, mais avant tout l'union de deux coeurs. Sinon, il ne mériterait pas d'être défendu. Se marier sans amour, quelle misère! Comme si l'amour n'était pas le sourire de la vie! Il n'est que son rayonnement pour éclairer la beauté des choses. Si tant de gens passent à côté des merveilles de l'univers sans les voir ni les sentir, n'est-ce point que leur âme solitaire ne s'est jamais éclairée de cette lumière intérieure, qui rend plus présentes et plus chères aux coeurs aimants les splendeurs de la nature et de la vie? Il suffit d'aimer pour trouver le ciel plus bleu, l'air plus léger, la terre plus clémente, plus parée, les hommes meilleurs et les femmes plus parfaites. Ayez le coeur en joie, et vous verrez le monde en fête. L'amour est un magicien charmant qui anime, colore, et embellit l'existence. Ne le bannissons point du mariage.

Mais cet amour doit être plus réfléchi que la passion, et plus sérieux qu'une amourette. A l'homme et à la femme qui veulent fonder une famille, il faut une affection mutuelle, profonde, solide. On ne se marie pas seulement pour soi, on se marie aussi pour l'autre. Sans réciprocité consentie et partagée, le mariage est lésionnaire et malheureux. On ne se marie pas davantage pour six mois ou pour six ans, mais pour toujours. Il s'agit là d'une liaison à vie, et non d'un caprice passager. Sans desseins de long avenir, sans promesses de durée, sans garanties de fidélité, le mariage est fragile et précaire. Enfin, avant toute autre considération, le mariage doit être contracté en vue des enfants à naître et du foyer à fonder. Cessons donc de le regarder comme le dénouement d'une intrigue habile ou le couronnement d'un simple désir. Qu'il ne soit ni la fin d'un long célibat pour les hommes, ni la fin d'un roman aventureux pour les femmes, ni surtout l'aboutissement et l'assouvissement de la passion pour les uns ou les autres! Le mariage est le commencement d'une famille; il lui faut des gages d'avenir et des assurances de perpétuité.

III

C'est pourquoi, peut-être, l'amour conjugal ne suppose pas seulement l'instinct de possession, mais encore l'instinct d'appropriation. Il faut que les époux se sentent bien l'un à l'autre, pour aujourd'hui et pour demain, sans réserve, sans partage, sans retour, et maintenant et toujours. Et ce sentiment de confiance et de sécurité doit être réciproque. Là est l'essence et l'honneur du mariage chrétien.

Autrefois l'homme cherchait à réaliser cette assurance par la force, à son profit exclusif. On sait que, dans les temps anciens, la femme fut généralement attribuée à l'homme par droit de conquête ou par droit d'achat. Butin vivant soumis aux violences du rapt ou proie charnelle exposée sur les marchés d'esclaves, elle dut subir servilement, durant de longs siècles, la loi du vainqueur ou de l'acquéreur devenu son souverain maître.

Aujourd'hui les deux époux se donnent et s'appartiennent l'un à l'autre. Qu'on ne s'offense point de ce langage: George Sand a écrit elle-même que «l'amour est un esclavage volontaire auquel la femme aspire par nature.» Et l'homme, pareillement. Quiconque est porté vers le mariage par des sentiments honnêtes, se sent las de son indépendance et prêt à aliéner une part de soi-même au profit de l'être aimé. C'est avec joie qu'il se donne et qu'il se lie. Et comme il ne s'agit point là d'une relation fortuite et brève, mais d'une convention à vie, les deux futurs conjoints ont une si pleine conscience de la gravité de l'acte décisif qui va les attacher l'un à l'autre, qu'ils aiment à l'entourer d'éclat et de splendeur. Ils sentent en même temps leur tendresse si supérieure aux caprices de l'instinct, ils voient si bien que leur mariage n'est pas seulement la conjonction de deux organismes, mais aussi l'union plus complète et plus durable de deux existences, qu'ils souhaitent de prendre à témoin de leur amour le ciel et la terre et de solenniser leur consentement par quelque noble consécration publique. Les rites qui, dans presque toutes les civilisations humaines, notifient et sanctionnent les noces légitimes de l'homme et de la femme, ne sont donc point une artificielle improvisation des lois civiles et religieuses; ils sont nés bien plutôt d'un entraînement spontané, d'une impulsion générale; et bien qu'ils aient été jadis avilis par des usages sacrilèges, ils ne sont pas moins l'expression d'un mouvement du coeur et d'un besoin de nature. Si l'on demande maintenant pourquoi les époux manifestent, en s'unissant, ce voeu d'unité et cette préoccupation de perpétuité qui sont de l'essence du mariage, nous tirerons du coeur humain lui-même une observation importante.

L'amour est monogame. Il ne se partage point; il se donne tout entier. Notre coeur est ainsi fait qu'il n'a jamais qu'une seule affection en un même moment. Il lui serait impossible de mener de front deux passions. L'amour est exclusif. Ce qui ne veut point dire que son objet ne puisse varier successivement. Seulement, quand un nouvel amour détrône et expulse le premier, celui-ci est comme effacé, annihilé, aboli. Il ne compte plus. Encore une fois, il est contre nature que deux affections également amoureuses puissent se juxtaposer en une même âme. L'amour véritable répugne au partage. Tout ou rien, voilà sa devise. Mais le coeur humain s'arrange très bien des affections successives. Il est volage. Et si troublants sont ses transports et si prestigieux ses artifices, qu'il se persuade naïvement que son amour actuel est son premier, son unique amour.

Nous montrerons plus loin que c'est le malheur du divorce de favoriser puissamment ces étranges illusions, et de servir de la sorte les fins de l'amour libre. Faites que les unions monogamiques puissent être librement dissoutes par consentement mutuel, au gré des parties intéressées, ainsi que se font déjà les divorces en divers pays du monde, et la famille stable d'aujourd'hui aura vécu. Alors tous les amants seront époux. Pour combien de temps? Cela dépendra de l'amour qui les unit. «Le mauvais de la famille actuelle, a-t-on dit, ce n'est pas la monogamie, qui est la forme la plus digne de l'union des sexes, mais plutôt la quasi-indissolubilité légale 83

Note 83: (retour) B. Malon, Le Socialisme intégral, t. I, chap. VII, p. 373.

Cette parole d'un socialiste modéré nous montre assez que, pour le moment, l'attribut du mariage le plus menacé est la perpétuité. Et pourtant le respect des liens matrimoniaux est de nécessité publique. Toute société est directement intéressée à la stabilité des familles; et le mariage indissoluble a précisément pour but de lui assurer la continuité, la durée, la solidité, sans lesquelles nul peuple ne saurait vivre et prospérer. Les liens volontaires qu'il consacre ne sont point faits pour les bons ménages qui se soutiendraient naturellement sans leur appui, mais pour les médiocres qui sont légion, et dont l'ébranlement et la dissolution jetteraient autour d'eux le scandale, le trouble et la confusion. Au fond, le mariage est une garantie que les époux prennent contre eux-mêmes dans l'intérêt des enfants et, conséquemment, dans l'intérêt de la société elle-même.

IV

A bien y réfléchir même, on ne tarde guère à se convaincre que tous les gens mariés ont besoin de cette «assurance» préventive. Je ne crois pas faire injure aux meilleurs ménages en affirmant qu'à la suite d'un froissement grave ou d'un désaccord passager, ils ont été tentés plus d'une fois, au fond du coeur, de se déprendre et de se désunir.

Supposons un mariage qui réunisse toutes les conditions de bonheur: est-on sûr qu'il sera heureux? Non. Les femmes se trompent qui lui demandent avidement, non pas seulement la sécurité, la dignité, mais encore la plénitude des joies terrestres. S'il faut mettre de l'amour dans le mariage, c'est à condition de n'en point chasser la raison et de songer à l'avenir autant qu'au présent, aux enfants autant qu'à soi-même. Pourquoi faut-il que beaucoup de jeunes filles soient élevées et entretenues dans cette idée que l'époux est fait pour leur donner la félicité, que leur béatitude dépend d'un homme, et que celui-ci doit réunir à cette fin toutes sortes de mérites introuvables? Avec les qualités qu'on exige du mari rêvé, un dieu ne serait pas capable de faire un époux sortable. Quand les femmes se persuaderont-elles qu'on ne réalise point à volonté le bonheur de qui que ce soit, même en l'aimant de tout son coeur, pour cette bonne raison que notre bonheur vient de nous-mêmes beaucoup plus que des autres?

En réalité, il n'est pas de ménage qui n'ait,--un peu plus tôt ou un peu plus tard,--ses préoccupations, ses tourments, ses épreuves. Les meilleurs époux ne sont mariés véritablement qu'après plusieurs années de vie commune, non exempte de froissements d'amour-propre. Les prémisses du mariage sont un trompe-l'oeil; la légendaire «lune de miel» n'est qu'une comédie galante qu'on se joue l'un à l'autre. L'harmonie de deux âmes ne s'improvise point. On peut s'aimer dès la première rencontre; on ne s'accorde qu'à la longue. Le coup de foudre peut rapprocher les coeurs; il ne fond point les caractères. L'«unisson» suppose un stage de concessions réciproques et de bienveillante condescendance.

Cela étant, est-ce trop dire que peu de ménages se condamneraient aux obligations du support mutuel, s'ils pouvaient, à tout instant, sortir du mariage par une porte largement ouverte sur le monde? En tout cas, à se croire et à se sentir liés pour la vie, il leur est plus facile de se plier aux devoirs de leur condition et d'acheter, au prix de quelques sacrifices préalables, un peu de paix et de bonheur pour l'avenir.

Voici, par exemple, une mère de famille entendue à tous les soins domestiques, appliquée à l'administration de son intérieur, tenant son rang avec dignité, sans effacement ni ostentation, respectée de tous et faisant honneur à son mari. Aux premiers temps de sa vie nouvelle, il lui est peut-être échappé dans l'ombre, sinon des larmes, du moins bien des soupirs. Mais à mesure que s'écoulent les jours et les années, à mesure que se forment plus de liens et que se nouent plus d'obligations, son âme s'ouvre mieux à la véritable conception des devoirs de ce monde; et pendant qu'elle se dépense pour le bonheur des siens et court, vigilante et affairée, d'un berceau à l'autre, elle se dit que les petites pensionnaires sont folles qui rêvent la vie tout en bleu ou tout en rose; que le seul moyen de couper court aux vaines imaginations, c'est de remplir simplement son devoir, et qu'on fait son bonheur sur la terre moins en cherchant sa félicité propre qu'en travaillant activement à celle des autres.

A ce propos, parlons un instant de la femme intelligente mariée à un mari vulgaire. C'est l'histoire de Mme Bovary; et ce que le chef-d'oeuvre de Flaubert a suscité de tentations dans l'âme aigrie des femmes qui se jugent supérieures à leur mari, les confesseurs pourraient seuls le dire! Afin de se libérer du contact journalier d'un lourdaud stupide, l'idée est venue plus d'une fois à ces vaniteuses de rompre leur chaîne, de fuir le foyer, d'abandonner les enfants. Puis la crise de révolte passée, quand la raison et la sagesse ont repris le dessus, quand l'esprit de devoir l'a emporté, Dieu aidant, sur l'esprit d'orgueil, elles se sont apaisées, assagies, et elles sont restées à la maison, l'âme triste, mais soumise et résignée.

Croyez-vous donc que, sans le lien matrimonial, elles ne seraient pas parties, préférant le libre amour à la vulgarité du devoir quotidien? Supprimez l'attache légale, et les époux rendus à leurs passions, à leurs caprices, à leurs faiblesses, se disperseront comme une gerbe déliée au premier vent d'orage. Et ce que je dis de la femme supérieure à son mari, je le dis pareillement du mari supérieur à sa femme. Ce second cas n'est pas plus rare que le premier. Croyez-vous que cet homme ne sente point, par instants, une furieuse envie de rompre les entraves d'une communauté pénible? Heureusement les attaches conjugales le retiennent; puis l'habitude l'apaise, le berce, l'endort. Et finalement, les enfants ont le bonheur de grandir entre le père et la mère.

En vérité, je le répète, il n'est peut-être pas un seul ménage, si bien assorti qu'on le suppose, qui, à de certains moments de contradiction et de mauvaise humeur, n'ait souhaité de revenir en arrière, regimbant sous le frein qui le lie. Mais on s'est fait lentement l'un à l'autre. Aux frottements de la vie commune, les aspérités se sont émoussées. Et peu à peu le mariage a rapproché, uni, mêlé, fondu si complètement les deux unités conjugales que, si différentes qu'elles fussent l'une de l'autre, elles ont fini par s'entendre, se concilier, s'harmoniser. La paix est faite. Quelque chose est passé de Lui en Elle et d'Elle en Lui. Ils ne peuvent plus se déprendre, se détacher sans souffrance. Cette fois ils sont bien mariés. Et la société compte une assise de plus: voilà le grand bienfait social du mariage!

Et maintenant, un temps viendra-t-il où les unions conjugales se formeront par pure affection, sans alliage d'orgueil, de caprice, d'égoïsme ou d'intérêt? Les ménages de colombes deviendront-ils une règle sans exception? Tourtereaux et tourterelles construiront-ils leurs nids sans le moindre calcul d'ambition, sans aucune préoccupation d'argent, sans nul souci du lendemain? L'humanité est-elle destinée à roucouler unanimement? Il n'en coûte rien de l'espérer. Ce jour-là seulement on pourra, sans inconvénient, émanciper la foi conjugale de toutes les chaînes de sûreté que les traditions, les moeurs et les lois ont forgées entre les époux. Plus de conjoints, tous amants!

On verra même bientôt que des hommes pressés, qui sont tout miel et tout amour,--j'ai suffisamment désigné les anarchistes et les socialistes,--voudraient dès maintenant libérer les époux de tout assujettissement respectif; car il faut bien reconnaître que l'humanité mettra quelque temps à s'élever à l'idéale perfection dont nous parlions tout à l'heure. Ces messieurs appréhendent qu'à serrer si fortement le lien civil des mariages, on ne brise le lien spontané des libres affections, et qu'en appesantissant sur nos épaules le joug des contraintes légales, on affaiblisse en nous l'attraction mystérieuse des âmes.

N'ayons cure de ces tendres scrupules. L'amour vrai ne souffre point des précautions prises pour en assurer la continuité. Il est inévitable qu'une société civilisée prenne des garanties en faveur des enfants et, pour cela, qu'elle mette chaque couple en garde contre lui-même, protégeant ainsi le mari et la femme contre l'inconstance et la fragilité de leurs propres sentiments. Oui, les sanctions légales et religieuses sont l'aveu de notre faiblesse, le soutien de notre infirmité; et tant que les pauvres humains resteront ce qu'ils sont, faillibles, capricieux et volages, il sera de nécessité sociale de mettre un peu chaque ménage sous les verrous. Attendons patiemment qu'ils soient devenus parfaits pour démolir les serrures.



CHAPITRE II

La réforme du mariage


SOMMAIRE

I.--Récriminations féministes contre les moeurs et contre les lois.--Sont-elles fondées?--La «loi de l'homme».--Exagérations dramatiques.

II.--Jugement porté sur l'oeuvre du Code civil.--S'il faut la détruire ou la perfectionner.--Améliorations désirables.

III.--Entraves excessives.--Ce que doit être l'intervention des parents.--Sommations dites «respectueuses».--Mariages improvisés.--Fiançailles trop courtes.

IV.--Une proposition extravagante.--Le «concubinat légal».


Il est d'habitude chez les féministes de récriminer amèrement contre le mariage. Leurs doléances sont de fait et de droit; elles accusent à la fois les moeurs et les lois. Nous les suivrons dans cette double argumentation lamentable.

I

L'histoire du mariage n'est, paraît-il, que le martyrologe des femmes. Quoi de plus navrant que la vie d'une femme malheureuse en ménage? Elle s'est mariée par coquetterie ou par amour, séduite par le brillant avenir d'un esprit fort ou seulement par l'élégance soignée d'un joli garçon. Son ignorance du monde ne lui permettait point d'apercevoir l'insignifiance de l'un ou l'égoïsme de l'autre; et elle s'est laissé prendre au miel des paroles caressantes et des prévenances attentives. Et une fois le mariage consommé, l'amoureux a disparu et le maître est resté. Plus de tendres propos, plus de douces fleurettes. Et après les désenchantements du coeur et les angoisses de la maternité, sont venus les soucis journaliers d'une vie médiocre, les regrets de l'indépendance perdue, les calculs étroits du ménage, mille combinaisons laborieuses pour «faire durer la livre de beurre un jour de plus ou payer la viande et le sucre quelques sous de moins.» Et la fraîche beauté de la jeune mariée s'en est allée et, avec elle, la paix, le contentement et la gaieté.

Qu'opposerons-nous à ce triste tableau, sinon qu'il serait injuste d'en conclure que tous les maris sont des tigres ou des ânes? On doit se dire, après tout, que les femmes mal mariées ne sont pas la majorité, même en France; que l'homme n'est pas toujours le tyran et qu'il est souvent la victime; que le cas n'est pas rare où la frivolité prodigue et la sécheresse cruelle d'une femme ont brisé et avili toute une existence masculine; qu'ils sont nombreux les commerçants, les employés, les fonctionnaires que pressent et assiègent les inquiétudes et les soucis du ménage à soutenir et du budget à équilibrer; bref, que la loi du travail s'impose à l'homme comme à la femme et que, pour mieux en supporter l'écrasant fardeau, il n'est que d'associer leurs vies et d'unir leurs forces et leurs dévouements. S'il y a des femmes malheureuses, il y a des maris qui souffrent tout autant. A qui la faute? Ces époux mal assortis devaient s'unir avec plus de circonspection.

«Vous en parlez d'un coeur léger, me dira-t-on. Vous oubliez que les infortunes de la femme sont aggravées et sanctionnées par les lois. Les hommes ayant fait le Code de leur seule autorité, il est inévitable qu'ils l'aient conçu et fabriqué à leur seul avantage. Au vrai, le Code Napoléon n'est pas la loi, mais leur loi.»

Rappelons-nous, en effet, la Loi de l'homme, cette pièce de M. Paul Hervieu qui a remporté un si beau succès auprès des dames: on ne saurait trouver un exemple plus curieux des inégalités et des injustices accumulées contre la femme par notre législation draconienne. Toute épouse qui n'a pas en main les preuves flagrantes et brutales requises pour assurer le divorce, est absolument désarmée. Que si, n'écoutant que sa dignité, elle se résigne à une séparation amiable, le mari peut s'y opposer et la contraindre au besoin à réintégrer le domicile conjugal. Donne-t-il son consentement: à défaut d'un contrat prudent, l'épouse qui s'éloigne n'a aucun moyen de reprendre sa dot. Et enfin, quand il s'agira de marier les enfants nés de cette triste union, en cas de dissentiment entre les époux séparés de fait et non de droit, l'acquiescement du père l'emportera sur le refus de la mère. Telles sont les infamies, nous dit-on, qui se peuvent commettre sous le couvert de la loi de l'homme, en un siècle qui se vante de sa civilisation. Le Code français livre la femme au mari pieds et poings liés. Et l'on prétend que le sexe fort ne s'est pas taillé la part du lion?

Nous répondrons que, n'en déplaise aux âmes dramatiques, tout cet assemblage d'énormités est accidentel et systématique. Qu'à la rigueur, une femme désolée de s'être mal mariée ou une fille navrée de ne point l'être, s'en prenne aux lois et à la société, la première du mauvais ménage qu'elle a fait, la seconde du bon ménage qu'elle aurait pu faire: rien de plus naturel. Au lieu de s'accuser soi-même, il est bien plus simple d'accuser tout le monde. Seulement, dans la vie réelle, ces cas sont de pures anomalies. Ce n'est point par les accidents qu'il faut juger d'une loi, mais par les situations communes et normales. Rien de plus simple et de plus injuste que d'imaginer des exceptions cruelles qui révoltent les coeurs tendres. Et puis, renversez les rôles, donnez à l'épouse la totalité des droits qui appartiennent présentement à l'époux: la tyrannie n'aura fait que changer de tête. Comme l'a dit M. Brunetière à M. Paul Hervieu lui-même, «si la Loi de la Femme se substituait à la Loi de l'Homme, que croyez-vous qu'il y eût de changé dans le monde 84

Note 84: (retour) Réponse au discours de réception de M. Paul Hervieu à l'Académie française.

II

En réalité, notre Code civil ne mérite ni la colère des uns, ni l'admiration des autres. Nous croyons même qu'il occupera dans l'histoire de la condition féminine un rang honorable. Avant lui, certains vieux auteurs poussaient la rudesse masculine jusqu'à déclarer la femme «battable», mais pour un juste motif et à condition de ne point l'estropier. En maintes coutumes, l'exhérédation des filles était partielle ou totale. D'ordinaire, les soeurs n'étaient point admises à partager l'héritage paternel avec leurs frères. Dans le droit féodal, la noblesse n'admettait pas qu'aux enfants, qui avaient même part dans leur affection, les parents pussent laisser même part dans leur succession. Les mâles étaient privilégiés. Ç'a été une des meilleures inspirations du Code de généraliser l'égalité roturière et de reconnaître aux filles, comme aux garçons, la plénitude de la capacité héréditaire, en n'accordant toutefois à l'un ou à l'autre époux survivant, mari ou femme, qu'une vocation subalterne que la loi du 9 mars 1891 a justement améliorée. En tout cas, notre législation successorale a tenu la balance égale entre les deux sexes. La loi réparatrice, que nous venons de citer, a même eu pour objet d'empêcher la veuve d'être plongée dans la misère par la mort du mari qui lui assurait, de son vivant, le luxe ou l'aisance.

Ce n'est pas une raison de soutenir que notre vieux Code civil est un monument intangible. Nous avons déjà reconnu que, dans les relations respectives des époux, il a exagéré les pouvoirs du mari sur la personne et sur les biens de la femme. Ses rédacteurs n'ont point échappé à l'esprit de l'époque et à l'influence de Napoléon, qui affirmait cavalièrement que «la femme est la propriété, de l'homme comme l'arbre à fruits est celle du jardinier.»

A ces exagérations de pouvoir, nous avons proposé d'importantes restrictions, convaincu que la civilisation d'un peuple se mesure au degré de justice et d'humanité dont la loi des hommes entoure la condition des femmes. Là ou la faiblesse est une cause de déchéance, on peut être sûr que le législateur, étouffant le cri de la pitié, n'a obéi qu'à son égoïsme; ce qui revient à dire que là où la femme est méprisée, l'homme lui-même est méprisable. «Rappelez-vous, disait Fouché à Mme Récamier, qu'il faut être douce quand on est faible.»--«Et qu'il faut être juste quand on est fort,» répliqua celle-ci. Ces deux paroles méritent de vivre dans la mémoire des hommes et des femmes.

Investis de fonctions également nécessaires à l'espèce, les époux doivent jouir, non pas de prérogatives identiques qui engendreraient la confusion, mais de droits équivalents qui assurent l'ordre dans la famille en donnant satisfaction à l'équité. Point d'égalité niveleuse, mais une juste «péréquation». Certains féministes, hélas! n'y songent guère. En 1896, dans son assemblée générale annuelle, la Ligue pour le Droit des femmes avait discuté les «divers modes de contrats de mariage,» et Mme Pognon, qui présidait, venait de formuler ainsi la conclusion: «Le Code est mauvais; donc il faut le brûler et en refaire un autre.»--«Non pas, réclama un assistant. Il faut le brûler et ne point le refaire.» Et la séance fut levée sur cette parole anarchique.

Il n'est donc pas superflu de recommander aux femmes de rester femmes, de ne point modifier, déformer, dénaturer leur sexe par des nouveautés malséantes, mais de s'appliquer simplement à améliorer le sort de celles qui peuvent souffrir d'une législation quelque peu vieillie, en corrigeant, en amendant, en complétant le Code civil, au lieu de le jeter au feu avec de grands gestes et de grandes phrases. Signalons à ce propos l'existence d'un «féminisme matrimonial» dont les vues sont dignes d'approbation. Mme Clotilde Dissard en a fort bien exprimé l'esprit dans la Revue féministe: «Nous pensons que la véritable unité sociale, c'est le couple humain. L'idéal que nous poursuivons, c'est l'organisation plus parfaite, plus achevée de la famille, la coopération plus harmonieuse de l'homme et de la femme à l'oeuvre commune, la division des fonctions suivant les aptitudes de chaque sexe, naturelles ou acquises par l'éducation.» Nous tâcherons de ne point oublier ce principe en étudiant les droits et les devoirs respectifs des époux.

III

Lorsqu'une institution n'est plus d'accord avec les moeurs, il faut, de toute nécessité, ou réformer les moeurs ou modifier l'institution. Recherchons d'abord les modifications susceptibles de rajeunir le vieux mariage monogame, quitte à rechercher, en finissant, si la réforme morale ne serait pas plus désirable et plus efficace que la réforme légale.

On se plaint de ce que certains mariages se concluent trop laborieusement, et que d'autres,--les plus nombreux,--s'improvisent trop légèrement: deux griefs qui ne manquent point de gravité.

On parle surtout de multiplier les facilités de se marier. Vous savez de quelles précautions la bourgeoisie française entoure le mariage de ses enfants. Il ne suffit point qu'un jeune homme et une jeune fille s'agréent mutuellement pour que l'union se fasse sans plus de cérémonie; il faut encore que les convenances de la famille soient satisfaites. Et celle-ci pèse avec soin les situations, les fortunes, les espérances, non moins que les qualités et les inclinations des personnes en cause. Chez nous, la jeune fille est l'objet de la sollicitude inquiète et jalouse de ses parents. Ne convient-il pas de la protéger contre les épouseurs avides qui rôdent sournoisement autour du cher trésor?

Rien de pareil en Amérique, du moins dans les classes moyennes. Jeunes gens et jeunes filles se fréquentent librement pour mieux se connaître; et comme ils n'ignorent rien de la vie, la famille ne se mêle pas de leurs petites affaires de coeur. Point de dot d'ailleurs à la charge des parents qui, ayant moins d'obligations envers leurs enfants, sont moins tentés de les accabler de leur sollicitude. C'est pourquoi le mariage est une opération toute simple qui ne regarde guère que les intéressés.

On ne se dit pas qu'une fois mariée, l'Américaine renonce difficilement à ses habitudes de club et de libre mouvement pour se vouer modestement aux soins du ménage. Indépendante elle reste après comme avant, malgré le sacrement. La vie domestique lui pèse. L'ouvrière elle-même, au dire de Mme Bentzon, exige de son mari qu'il s'occupe du «baby».

Mais, sans s'inquiéter de savoir si la Française émancipée copiera les gestes de ce joli modèle, on nous propose de libérer les justes noces des autorisations sévères qui en défendent l'accès. Un député en soutane, le bon abbé Lemire,--désireux d'amener au mariage un plus grand nombre de jeunes gens que les facilités de l'amour libre entraînent trop souvent vers les unions irrégulières,--s'emploie de son mieux à aplanir les obstacles et à émonder les formalités qui encombrent la cérémonie nuptiale. A quoi l'on pourrait objecter que, si complaisante que soit la loi, le mariage ne sera jamais aussi facile que le concubinage. Ceux qui aiment leurs aises répugneront toujours à se lier pour la vie, fût-ce avec accompagnement d'encens, de fleurs et de musique. Il ne faut pas, évidemment, que la célébration des unions légitimes soit hérissée de conditions trop difficultueuses. Par contre, à diminuer toutes les garanties de sagesse et de réflexion, on ne fera peut-être que permettre aux emballés de commettre plus facilement des sottises. La fondation d'une famille est un acte plus grave qu'une amourette. On ne saurait trop y réfléchir avant, si l'on ne veut pas trop le regretter après. Et les parents, qui ont charge d'âmes, ont bien le droit de dire leur mot en cette affaire. Pour favoriser le mariage, gardons-nous d'affaiblir l'esprit de famille. Ces réserves faites, nous reconnaissons volontiers que l'influence des parents gagnerait à s'interposer adroitement, sous forme d'observations affectueuses et insinuantes. La jeunesse est plus touchée d'une remontrance douce et tendre que d'une injonction tranchante et vexatoire.

Notre loi française s'est-elle conformée à ces vues conciliantes et diplomatiques? Dans l'article 148, qui est toujours en vigueur, le Code civil dispose que «le fils qui n'a pas atteint l'âge de vingt-cinq ans et la fille qui n'a pas atteint l'âge de vingt et un ans accomplis, ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère.» Et l'ancien texte des articles 151 et 152 ajoutait que, «depuis la majorité fixée par l'article 148 jusqu'à l'âge de trente ans pour les fils et de vingt-cinq ans accomplis pour les filles,» l'assentiment des père et mère doit être sollicité par trois «actes respectueux» renouvelés successivement de mois en mois. On voit que le Code Napoléon a pris soin d'édicter des mesures de protection plus longues pour les garçons que pour les filles, par appréhension probable (ô l'injurieuse inégalité!) de la coquetterie et de la séduction dangereuses du sexe féminin.

Nous n'hésitons pas à reconnaître que ces formalités préventives étaient véritablement trop sévères et trop minutieuses. La sagesse et l'habileté font une loi aux parents (nous y insistons) de n'exercer leur autorité que sous forme d'avis et de conseils. Dans les affaires de coeur, la persuasion vaut mieux que la contrainte. Lorsque l'opposition des père et mère va jusqu'au veto impératif, l'expérience démontre qu'elle fait plus de mal que de bien. Rien de plus pénible surtout que ces sommations ironiquement dénommées «respectueuses», qui équivalent à une déclaration de guerre et n'ajournent la rupture que pour la rendre définitive. Pourquoi ne pas les supprimer? La loi du 20 juin 1896 n'est pas allée jusque-là. Des trois actes respectueux, elle a maintenu le premier; et le nouvel article 151 stipule qu'un mois après, «il pourra être passé outre au mariage.»

La même loi de 1896 a introduit, par ailleurs, d'heureuses simplifications. On n'ignore point que la multiplicité des formalités exigées à la mairie, la nécessité des papiers à produire et des démarches et des publications à faire, créent, surtout pour la jeune fille du peuple et son fiancé, des difficultés inextricables dont ils trouvent plus simple de sortir en se passant du maire et du curé. Les membres de la Société de Saint-François Régis, qui s'occupe du mariage des indigents, en savent quelque chose: simplifier les formalités légales, c'est supprimer une des causes du concubinage. Notre législation matrimoniale a été faite pour la classe moyenne beaucoup plus que pour la classe pauvre. Dans le peuple, où l'on fait moins de façons pour se mettre en ménage, il est bon que le mariage soit facilement accessible. Pour les ouvriers et les ouvrières, dont la plupart des parents ne s'occupent guère, la production de certaines pièces est souvent gênante ou impossible. La loi du 20 juin 1896 a restreint les exigences formalistes du Code, en diminuant les actes à fournir pour le cas fréquent du prédécès des ascendants.

Ces simplifications ne sont pas du goût de tout le monde. «Qu'on les multiplie, nous dit-on, et nos enfants se marieront à la légère!»--A quoi je répliquerai que l'intervention impérieuse des parents n'est pas toujours, hélas! une garantie de clairvoyance et de réflexion. Dans la bourgeoisie, le mal vient surtout de ce que les fiançailles d'aujourd'hui ne sont plus dignes de ce nom. La période en est trop courte. Rarement la jeune fille est mise à même de choisir en pleine indépendance d'esprit, en pleine connaissance de cause. On la marie hâtivement. Et pourtant, plus de prudence avant assurerait plus de constance après. Et aussi plus de liberté consciente de la part de la fiancée entraînerait plus de reconnaissance affectueuse de la part du fiancé. Sans doute, il ne faut pas se flatter de supprimer tous les accidents conjugaux. Mais faisons-nous bien tout ce qu'il faut pour les réduire au minimum? Que d'unions improvisées! Que de mariages «bâclés»! Ce ne sont pas les visites aux parents, au notaire, au tapissier, qui permettent aux fiancés de s'étudier et de se connaître. En fait, quand arrive le jour des noces, trop d'époux s'ignorent l'un l'autre.

Et que de femmes en ont souffert! Pourquoi s'étonner que des protestations s'élèvent de toutes parts contre cet usage déraisonnable de notre société française, qui cloître et isole nos demoiselles à marier, et abrège, autant que possible, la préface si charmante et si instructive des fiançailles? Je ne puis qu'admirer une jeune fille qui, mettant le bonheur dans le devoir, dans la noblesse de la vie, dans les vraies affections,--car il n'est que là!--nourrit la prétention de se marier à son gré, c'est-à-dire d'épouser l'homme de son choix, et veut être aimée pour sa personne et non pour son argent, comme elle entend aimer son mari pour lui-même et non pour sa situation.

«C'est une tête romanesque,» diront les gens pratiques.--Mon Dieu! les âmes élevées et tendres ont presque toujours un grain de poésie--ou de folie, comme on voudra. Où est la femme généreuse et fière qui ne soit un peu romanesque? Une jeune fille sentimentale n'est pas nécessairement chimérique. Elle veut un homme à son goût: c'est son droit. Donnons-lui donc le moyen de le choisir et le temps de l'étudier, et pour cela prolongeons les fiançailles, qui sont le prologue nécessaire des mariages sérieux.

IV

Ces retouches et ces corrections ne suffisent point à l'esprit novateur qui tourmente ou affole un trop grand nombre de nos contemporains. C'est ainsi que des hommes ont réclamé la création d'un «concubinat légal.» Il faut dire quelques mots de cette étrange proposition.

Et d'abord, on a parlé de créer à côté du mariage, pour ceux qui trouvent cette union trop rigide et trop gênante, une sorte d'union parallèle, un type légal plus simple et plus souple, quelque chose comme l'ancien «concubinat» des Romains. On se flatte, par cette restauration d'une institution païenne, de régulariser, de légaliser, de relever dans l'opinion publique, le concubinage mal famé qui fleurit dans l'atmosphère malsaine des mauvaises moeurs parisiennes.

Disons tout de suite que cette expérience n'a pas tourné précisément à l'honneur de l'ancienne Rome. Puis, la reconstitution de cette espèce de sous-mariage ne me paraît pas d'esprit très démocratique. Fractionner l'institution conjugale, c'est appeler forcément la comparaison entre le mariage d'en haut et le mariage d'en bas. Les Romains n'ont jamais traité avec la même faveur la concubine et la matrone. Il y aura le mariage des honnêtes gens et celui des autres. Enfin à quoi bon investir ce dernier d'une sanction légale? Nous savons le peu de considération dont le faux ménage est entouré: on le tolère, on le plaint, beaucoup lui jettent l'anathème. A coup sûr, ce n'est pas l'estampille de l'État qui le réhabilitera dans l'esprit des Français.

J'estime pourtant que, parmi ces unions irrégulières, contractées sans l'intervention des autorités religieuse et civile, il en est qui méritent le respect. De longues années de vie commune et de fidélité réciproque ont lié si fortement ces unions libres, qu'il ne leur manque plus que le sceau officiel du mariage légal. Mais alors ces faux ménages auraient tort de se plaindre des privilèges attachés à l'union régulière. Libre à eux d'en solliciter la consécration. Pourquoi refuseraient-ils d'élever leurs enfants naturels à la dignité d'enfants légitimes? Pourquoi hésiteraient-ils â se reconnaître pour mari et femme devant le représentant de la loi? De deux choses l'une: si le mariage leur fait envie, qu'ils se marient. Le mariage civil n'a rien qui puisse effrayer une conscience incrédule. Que si, au contraire, le mariage leur répugne, rien ne les force à s'unir devant M. le Maire. Accessible à tous, le mariage n'est obligatoire pour personne. Les récriminations des mécontents n'ont donc pas la moindre raison d'être. Cherchons autre chose.



CHAPITRE III

Du devoir de fidélité et des sanctions de l'adultère


SOMMAIRE

I.--Rôle de l'Église et de l'État.--Mariage civil et mariage religieux.--Qu'est-ce que l'union libre?

II.--Ce qu'il faut penser du devoir de fidélité.--Répression du délit d'adultère: inégalité de traitement au préjudice de la femme et à l'avantage du mari.--Théorie des deux morales.

III.--Identité des fautes selon la conscience.--Conséquences sociales différentes.--Convient-il d'égaliser les peines?

IV.--A propos de l'article 324.--S'il est vrai que le mari puisse tuer impunément la femme adultère.--Suppression désirable de l'excuse édictée au profit du mari.

V.--Autres modifications pénales en faveur de la jeune fille du peuple.--La question de la prostitution.--Réforme légale et réforme morale.


I

Une fois l'union décidée et toutes ses conditions de validité remplies, l'Église et l'État ne doivent apporter à sa célébration ni entraves ni lenteurs. La solennité du mariage civil et religieux gagnerait même à être plus simple, plus recueillie, plus égalitaire. Le prêtre et le maire ne sont, après tout, que des témoins enregistreurs. Les théologiens n'enseignent-ils pas que les futurs époux s'administrent l'un à l'autre le sacrement de mariage, en échangeant devant l'autel l'expression publique de leur consentement irrévocable? A ce compte, le prêtre, qui bénit les mariés, ne noue pas de ses mains les liens conjugaux: il en proclame seulement, au nom du Christ, l'inviolabilité et l'indissolubilité; il reçoit et atteste les promesses échangées; il solennise et sanctifie le pacte conclu.

Même rôle extrinsèque de la part du représentant de l'État. Il sanctionne la volonté qu'on lui déclare; il consacre l'engagement qu'il reçoit; il régularise, il légalise, il socialise (c'est le mot propre) le mariage consenti par les époux. L'union civile--comme l'union religieuse, d'ailleurs,--est une garantie prise par la société contre la faiblesse et l'inconstance humaines, en vue de la consolidation de la famille et de la filiation des enfants.

De là deux conséquences fort importantes: d'une part, l'État ne peut s'abstenir d'interposer son autorité dans la législation des mariages; et d'autre part, cette intervention de la puissance publique n'est obligatoire pour personne.

Que l'État ne puisse se désintéresser du mariage sans abdiquer le premier de ses devoirs sociaux, c'est ce qui éclate aux yeux de tous ceux qui tiennent le foyer familial pour le nid de l'enfant, pour le véritable berceau de l'humanité, pour la pierre angulaire de l'édifice social. On peut trouver qu'à cette intervention l'État met trop de formes et trop de temps; on peut souhaiter qu'à la célébration devant le maire il substitue quelque déclaration précise, reçue et authentiquée par l'officier de l'état civil, dans le genre des déclarations de naissance et de décès; mais on ne saurait supprimer la légalisation, la socialisation des mariages, sans jeter l'incertitude et la confusion dans la constitution des familles, ce qui est le plus grand mal social qui se puisse imaginer.

Si, en revanche, deux êtres veulent s'unir sans l'assistance de l'État--ou de l'Église,--c'est leur droit. Les mariés ne vont point demander au maire la permission de se marier. Libre à eux de légaliser, ou non, leur union devant l'autorité civile; libre à eux de solenniser, ou non, leur union devant le prêtre, le pasteur ou le rabbin: sauf à supporter, eux et leurs enfants, toutes les conséquences sociales de leur abstention. L'amour est libre.

Que veulent donc les partisans de l' «union libre»? Faire du libre amour une règle normale, alors qu'il n'est présentement qu'une exception assez mal vue, une condition irrégulière qui ne va pas sans discrédit, sans infériorité, aux yeux de l'opinion et de la loi, puisque les amants sont flétris du nom de «concubins» et leurs enfants «naturels» placés au-dessous des enfants légitimes. L'union libre est donc la négation du mariage légal. Dans cette doctrine, l'État n'a rien à voir dans le rapprochement des sexes. Que les gens se marient à l'église, au temple ou à la synagogue, si le coeur leur en dit, ces «singeries» sont sans conséquence; car il est à espérer que le progrès des lumières triomphera aisément des préjugés stupides et des superstitions aveugles. Mais la puissance publique ne doit pas appliquer aux choses du coeur son appareil coercitif. Songez donc: réglementer l'amour, c'est le tuer.

La «sécularisation» du mariage, dont tant de libres-penseurs se félicitent, n'a fait qu'aggraver l'asservissement des mariés, en alourdissant leurs chaînes de tout le poids des sanctions légales. Il est urgent de les briser. Plus de procédure pour s'unir, plus de procédure pour se désunir. Toutes les conséquences juridiques du mariage civil doivent disparaître,--et le devoir de soumission de la part de la femme, et le devoir de protection de la part de l'homme, et le devoir de fidélité que le Code impose à l'un et à l'autre. Plus d'obligations, plus de pénalités, plus de chaînes, plus de verrous. Tous les enfants seront «naturels». Cessant d'être un délit, l'adultère cessera d'être punissable. Et l'union des parents, libérée de toute contrainte sociale, durera ce que dure l'amour, ce que dure l'immortelle ou la rose, l'espace d'une vie ou d'un matin. Laissez faire l'instinct; laissez faire la nature. Pour être heureux, le «commerce» des sexes ne veut point d'entraves. On voit que l'union libre est une application imprévue du libre-échange.

II

Pour l'instant, la première condition du mariage monogame est la fidélité. Le Christianisme en a fait un devoir de conscience pour les époux, et les Codes français l'ont érigée en obligation légale qui comporte, comme nous le verrons tout à l'heure, deux ordres de sanctions: une sanction civile et une sanction pénale. Dans le système de l'union libre, au contraire, l'adultère est considéré comme la chose la plus logique et la plus naturelle du monde. L'amour étant le seul lien des époux, lorsque le coeur se refroidit et que l'indifférence ou la satiété l'envahit, on se trompe, on se quitte, et tout est dit. Pour des amants aussi peu liés l'un à l'autre, la fidélité conjugale n'est pas gênante.

Il faut même avouer que le relâchement des moeurs a introduit dans certains milieux les pires tolérances.

C'est pourquoi les sceptiques et les viveurs ne s'effraient plus guère du mariage. Ils le trouvent acceptable, parce qu'il est fréquemment «irrégulier» et que l'adultère en est devenu la «soupape de sûreté». Ils chanteraient volontiers les bienfaits de l'infidélité respective des époux. N'est-ce pas elle qui a fait du mariage,--surtout à Paris,--«une simple courbette, une convenance, une formalité de dix-huitième importance et facilement négligeable?» C'est le poète Jean Lorrain qui parle avec ce joyeux détachement. Son idée est qu'il faut supprimer le mariage dans la capitale, où «l'on ne s'épouse plus,» et le conserver pour la province qui ne peut vivre que dans ce «guêpier».

En somme, remarquent les mondains et les célibataires, si le mariage règne officiellement, l'union libre nous gouverne officieusement. Est-ce donc une si terrible prison qu'une association qui, bien que légale et sacramentelle, ouvre ses portes avec la plus extrême facilité? En sort qui veut, et quand il veut, et comme il veut. Les ménages à trois ou à quatre sont des merveilles de condescendance mutuelle et de sociabilité charitable. «A quoi bon démolir la Bastille? conclut d'un air narquois M. Émile Gebhart; le mariage n'est pas gênant 85

Note 85: (retour) Lettres citées par M. Joseph Renaud, op. cit., p. 79-80.

Tel n'est pas l'avis des femmes. A les entendre, toute la législation de l'adultère serait entachée d'une monstrueuse partialité, et, de ce chef, les risques que le mariage fait courir à l'épouse seraient bien plus graves que ceux qu'il fait courir au mari. Que faut-il penser de ces doléances? Un examen sommaire de nos lois civiles et pénales nous permettra d'indiquer les inégalités commises, les améliorations réalisées et de peser finalement le pour et le contre des réformes proposées.

Le Code Napoléon déclare que «les époux se doivent mutuellement fidélité.» Et pourtant, il n'y a pas longtemps que, dans les procès en séparation de corps pour cause d'adultère, la femme ne pouvait invoquer l'infidélité du mari que s'il avait installé sa complice dans la maison commune, sans que la même restriction fût admise en faveur de l'épouse. La loi du 27 juillet 1884, corrigeant l'ancien article 230 du Code civil, a rétabli l'égalité civile entre les conjoints, en édictant que «la femme pourra demander le divorce pour l'adultère du mari,» sans plus exiger que celui-ci ait entretenu sa concubine au domicile conjugal. Et il en va de même pour la séparation de corps.

Mais si l'égalité est rentrée dans la loi civile, l'inégalité persiste dans la loi criminelle. En effet, d'après les articles 337 et 339 du Code pénal, les deux époux coupables du délit d'adultère ne sont pas soumis à la même sanction, la femme étant traitée pour la même faute plus sévèrement que le mari. En cela, on peut relever deux inégalités pour une: inégalité dans les conditions du délit, puisque l'infidélité de la femme est punissable, en quelque endroit qu'elle ait été commise et lors même qu'elle serait restée à l'état de fait isolé,--tandis que le mari, qui manque à la foi jurée, n'est incriminé qu'autant qu'il a entretenu des relations suivies avec sa complice et qu'il l'a introduite au foyer domestique; inégalité dans la peine encourue, puisque le mari n'est passible que d'une amende, alors que la femme peut être condamnée à la prison.

Pourquoi cette double iniquité? dira-t-on. En admettant même que l'adultère mérite une répression pénale, parce qu'il n'atteint pas seulement l'époux trompé, mais aussi l'ordre familial inséparable de l'ordre public, il est incompréhensible que la loi distingue deux sortes d'adultère, l'adultère de l'homme et l'adultère de la femme, et qu'il châtie le second plus durement que le premier. Comme si les mêmes devoirs ne comportaient pas les mêmes sanctions! Notre Code pénal admet-il donc deux morales? Voilà bien, dit-on, cette législation bottée et éperonnée, édictée par les forts au détriment des faibles!

III

Gardons-nous de toute exagération.

Je suis de ceux qui pensent qu'au point de vue de la conscience, ce qui est mal de la part de la femme l'est aussi de la part de l'homme, et réciproquement. J'estime qu'il n'y a point deux morales, l'une pour le sexe faible, l'autre pour le sexe fort, ou, plus clairement, que la morale, comme la justice, doit être la même pour les deux moitiés de l'humanité; que ce qui est bien ou mal, honnête ou malhonnête, ne peut varier suivant les sexes; que ce qui est faute pour l'un doit être faute pour l'autre; qu'en un mot, comme l'a écrit M. Jules Bois, «il n'y a pas de péché exclusivement féminin.» Une seule morale pour les deux sexes, voilà la vérité. Mais le monde est loin de l'accepter. Que de gens ont des trésors d'indulgence pour la femme médisante, coquette ou menteuse, tandis que ces jolis défauts sont tenus chez les hommes pour des vices déshonorants! Par contre, toute faiblesse de coeur avouée ou affichée fait déchoir la femme mariée et lui enlève le droit au respect et à la considération, tandis que l'homme à bonnes fortunes se fait gloire de ses conquêtes, c'est-à-dire de sa dégradation.

Cette double morale, fort à la mode dans les milieux mondains, est un outrage à la logique et à l'honnêteté. Aussi n'hésitons-nous pas à reconnaître que les conditions constitutives du délit d'adultère devraient être les mêmes pour les deux époux, l'introduction du complice dans la maison commune devenant, pour l'un et pour l'autre, une simple aggravation de l'offense commise. Mais si l'infraction à la loi morale est aussi grave de la part de l'époux que de la part de l'épouse, est-il également vrai de dire que le dommage social et aussi le dommage individuel sont identiques, soit que la femme trompe son mari, soit que le mari trompe sa femme? Nous avons sur ce point des doutes et des scrupules. Ce n'est pas sans raison que le Code pénal réprime inégalement l'adultère de l'un et l'adultère de l'autre. En tout cas, certains écrivains féministes ont le plus grand tort de regarder l'adultère de la femme comme une faiblesse sans conséquence.

N'admettant point l'identité des fonctions, comment pourrions-nous admettre, en deux situations dont les conséquences diffèrent, l'identité des sanctions et l'identité des peines? A quelque indulgence que l'on soit enclin, il est bien difficile de ne pas traiter l'épouse infidèle comme une sorte de voleuse domestique, qui introduit un sang étranger dans la famille. Et d'autre part, si l'adultère est, devant la conscience, un égal délit pour les deux sexes, est-il si difficile de soutenir que le préjudice domestique et la souffrance morale, qui en proviennent, pèsent plus douloureusement sur l'homme que sur la femme?

On va crier, j'en suis sûr, à l'égoïsme et à la partialité. Il est naturel, dira-t-on, que le vigneron s'acharne à défendre sa vigne. Permettez: je ne réclame aucun privilège masculin. Le mari qui trompe sa femme est aussi coupable, moralement parlant, que la femme qui trompe son mari. Mais il est de fait que la faute de celle-ci a des suites dommageables plus blessantes et plus irréparables que la faute de celui-là. Et cela étant, on conçoit que le législateur, qui s'inspire plutôt de l'intérêt social que de la morale pure, en ait tenu compte dans ses pénalités.

«L'homme, qui fait les lois, écrit M. Jean Grave, n'a eu garde d'oublier de les faire à son avantage 86.»--Il n'est point d'objection plus courante. Tous les jours les femmes nous accusent d'avoir confectionné les Codes à notre image et à notre profit. Quelle ingratitude! De par la loi civile, l'époux assume la paternité des enfants nés au cours du mariage. Et cette obligation onéreuse n'a pour fondement qu'un acte de foi aveugle en la fidélité de sa faillible «moitié». C'est une lettre de crédit qu'il endosse, les yeux fermés, quel que soit le nombre des échéances; un blanc-seing qu'il souscrit, en se réservant seulement, pour certains cas limitativement énumérés par la loi, le droit de désavouer les abus trop criants que sa femme pourrait en faire. De quel côté est la confiance?

Note 86: (retour) l La Société future, p. 338.

Mais voyez la suite. Mariée au dernier des hommes, l'épouse la plus vertueuse n'est pas entourée seulement de la compassion, de la sympathie et du respect des honnêtes gens; elle a une assurance qui lui est la meilleure des consolations et la plus douce des joies: elle peut se dire, en embrassant ses enfants, qu'ils sont véritablement siens, parce qu'elle est sûre qu'ils sont bien d'elle, la chair de sa chair, le sang de son sang, l'âme de son âme.

A une infidèle, au contraire, l'honnête homme, en plus de toutes les dérisions auxquelles il est en butte (car le mari trompé n'est en notre société que risible et ridicule), est condamné à douter de la légitimité de sa postérité. Cet enfant qui porte son nom, et dont la loi lui attribue la paternité, est-il de lui ou d'un autre? Fondé ou non, ce soupçon est pour une âme droite la plus atroce des tortures. Et rien ne peut le détruire. Toutes les protestations de la femme coupable sont impuissantes à rendre la sécurité de l'affection à un coeur dans lequel un pareil doute est entré. Puisqu'elle a menti une fois à toutes ses promesses, pourquoi ne mentirait-elle pas encore et toujours? Et ce soupçon cuisant risque de détacher un père de ses véritables enfants, en brisant une à une toutes les fibres de l'amour paternel. D'un mot, la femme adultère risque d'introduire l'enfant d'un autre parmi les enfants du mari. Et du même coup l'unité de l'a famille est brisée.

J'entends bien que la femme adultère n'eût point failli sans le concours d'un homme dont elle est souvent la victime. C'est l'évidence même. Aussi le Code pénal a-t-il fait preuve de clairvoyance et de sage raison en frappant plus sévèrement l'amant de l'épouse que la concubine du mari. D'après l'article 338, le complice de la femme encourt une pénalité plus forte que la femme elle-même. Et cela est juste; car, dans l'état de nos moeurs, le complice de la femme est presque toujours l'auteur de sa chute. A l'inverse, l'article 339 n'édicte aucune peine contre la complice du mari. Et cela encore est équitable,--la concubine, que le mari a installée dans la maison conjugale, n'étant le plus souvent qu'une fille séduite. Voilà donc deux inégalités favorables au sexe féminin: ne sont-elles pas la compensation des inégalités favorables à l'homme?

Somme toute, l'adultère est un délit social. Mais comme sa répression ne va point sans bruit ni scandale, la loi, dans l'intérêt des familles, s'est déchargée du soin des poursuites sur l'époux offensé; et celui-ci n'en abuse point. Quant à savoir si les pénalités encourues doivent être les mêmes pour l'un et pour l'autre des époux coupables, nous consentirions finalement, dans une pensée de condescendance et d'union, à les égaliser sous forme d'amende plutôt que de prison, bien qu'une peine plus sévère puisse (nous le maintenons) se justifier contre la femme adultère, et par l'atteinte plus grave qu'elle porte à la famille, et par la souffrance plus cruelle qu'elle inflige au mari?

Et l'inégalité fameuse de l'article 324? Nous y arrivons.

IV

Nombreux sont les littérateurs qui professent une indulgente pitié pour la femme adultère. Le «Tue-la!» d'Alexandre Dumas fils leur crève le coeur. Sans égard pour les services que le grand dramaturge a rendus plus tard à la cause de leur émancipation, des femmes auteurs se sont jetées sur lui comme des furies. Sans traiter à fond ce problème délicat dont les aspects sont infinis, nous nous arrêterons seulement à la question la plus actuelle et la plus chaudement discutée du droit inter-conjugal,--sans la prendre au tragique,--à celle qui nous paraît le mieux refléter, pour l'instant, les préjugés excessifs des femmes et les résistances déraisonnables des hommes.

C'est une opinion très accréditée dans le public que le Code autorise positivement les maris à occire leurs femmes, quand elles se conduisent mal, et refuse méchamment aux femmes le droit de supprimer leurs maris, quand ils manquent à leur devoir. Un socialiste sentimental, Benoît Malon, l'affirme expressément: «Surprise en flagrant délit d'adultère, la femme peut être tuée impunément 87.» Mme Marie Dronsart elle-même semble croire que notre Code pénal autorise «le mari à tuer sa femme dans certains cas» et que «l'assassinat légal est resté inscrit dans notre loi au profit des hommes 88

Note 87: (retour) Le Socialisme intégral, t. I, chap. VII, p. 359.
Note 88: (retour) La Mouvement féministe. Le Correspondant du 10 octobre 1896, p. 130.

Disons tout de suite que nos lois ne s'ont pas coupables d'une aussi excessive partialité. Le préjugé populaire est venu d'un certain article 324 du Code pénal où une excuse légale est accordée aux maris qui, surprenant leur femme en flagrant délit dans la maison conjugale, poussent jusqu'au meurtre l'expression de leur surprise et de leur mécontentement. Ce texte n'assure point l'impunité, mais l'indulgence au coupable. Et cette indulgence n'est point plénière, mais partielle; elle abaisse la peine sans supprimer la répression. Nos législateurs de 1810 ont pensé qu'un accès de fureur, aussi explicable, méritait quelque compassion et diminuait la gravité du crime sans décharger complètement l'inculpé.

Mais si la femme, dans une situation identique, se débarrasse de son mari par un mauvais coup, le Code pénal refuse de l'excuser. Elle n'est point admise à invoquer les transports d'une colère invincible, afin d'innocenter la brusquerie de son premier mouvement. Pourquoi cette inégalité de traitement? Serait-ce que, mû par un scrupule de galant homme, le législateur s'est refusé à croire que la douceur inaltérable des femmes fût capable d'emportement subit et de vivacité mortelle? Toujours est-il que, dans le cas de flagrant délit d'adultère constaté dans la maison conjugale, le mari outragé qui tue sa femme est excusable, tandis que la femme outragée qui tue son mari ne l'est point. Nous prions encore une fois les âmes sensibles de retenir que cette excuse atténue seulement le crime, sans l'effacer, et mitigé conséquemment la peine, sans la supprimer.

Vous pensez bien que cette solution boiteuse n'est pas faite pour plaire aux féministes. A quoi bon représenter la justice avec une balance à la main, s'il faut qu'elle ait deux poids et deux mesures? Comprend-on une loi qui, pour le même fait, se montre douce à l'époux et inexorable à l'épouse? Un homme offensé tue sa femme, et le Code prend en compassion les transports de sa jalousie. Une femme outragée tue son mari, et le sang versé retombera sur sa tête sans la plus minime atténuation. En d'autres termes, pour qui sait lire entre les textes, l'indignation meurtrière de l'homme est digne d'indulgence, tandis que l'indignation homicide de la femme est indigne de pitié. Serait-ce que la vie de Monsieur est plus précieuse que celle de Madame? Serions-nous moins humains que nos ancêtres qui permettaient au mari de battre et de châtier sa femme, mais raisonnablement, «pourvu que ce fût sans mort et sans mutilation?»

Il n'y a point deux morales. Ou la même excuse pour les deux époux, ou aucune excuse pour personne. C'est au dernier parti que s'est rangé, en 1895, le groupe austère de la «Solidarité des femmes,» en demandant à la Chambre, par voie de pétition, d'abroger purement et simplement l'article 324 du Code pénal. Ces dames auraient pu réclamer, à titre de réciprocité, le bénéfice de l'excuse légale pour la mise à mort du mari coupable; mais cette égalité compatissante ne convenait point à ces femmes héroïques. Elles tiennent pour intempestives toutes brutalités mortelles; elles invitent les conjoints mal mariés à s'en tenir au divorce. «Ne vous tuez plus. A quoi bon? Séparez-vous. Pourquoi le vitriol, le poignard ou le revolver, quand il est si simple de rompre le lien conjugal?» Le malheur est que la colère ne raisonne point, et qu'en dépit du divorce les crimes passionnels ne diminuent guère.

Qu'on efface donc le privilège de l'article 324! Point d'excuse pour les femmes, plus d'excuse pour les hommes. C'est justice. Mais qu'on ne s'y trompe pas: le châtiment de l'adultère n'en sera aucunement aggravé. Dès maintenant nos jurés acquittent tout le monde. Sans distinction entre les deux sexes, sans distinction entre les mariages légitimes et les unions irrégulières, le meurtrier, qui s'est emporté contre son conjoint jusqu'au crime, leur paraît digne de la plus entière absolution. Dès qu'un homme ou une femme a supprimé ou endommagé gravement son prochain sous le coup d'émotions vives, dites passionnelles, ils se refusent à condamner le coupable. Rien de plus démoralisant que ce parti pris d'innocenter quiconque tue par amour déçu. C'est à se demander si, dans les relations des sexes, la vie humaine ne sera pas livrée à la discrétion des passions d'autrui. Verrons-nous l'homicide accepté par les moeurs comme le moyen le plus naturel de vider les querelles des mauvais ou des faux ménages? Mais n'accusons pas trop notre jury: le meurtre par jalousie ou par vengeance de coeur n'a-t-il pas été célébré, encouragé, glorifié dans les livres et les journaux?

Pour en revenir à l'excuse ouverte aux maris par l'article 324, on fera bien de la supprimer. Elle ne sert à rien. Cela fait, on ne pourra plus répéter que les hommes ont, de par la loi, le privilège énorme de se venger sur leurs femmes des trahisons et des offenses graves qu'elles leur infligent. La répression ne sera pas plus sévère pour les uns que pour les autres, grâce à l'universelle faiblesse du jury qui s'étend indistinctement aux coupables des deux sexes; et, les féministes auront la joie d'avoir réalisé, en un point, l'égalité de droit entre les époux.

Convenons, en effet, pour conclure, que la différence de situation faite aux époux par l'article 324 est inexplicable. En admettant que les conséquences de leur adultère soient différentes (ce qui peut légitimer, au point de vue social, une différence de pénalité), il est certain que, dans les rapports des conjoints, l'offense étant aussi grave et l'indignation aussi naturelle d'un côté que de l'autre, l'excuse devrait être la même. Et pourtant, on apprendra avec surprise, et peut-être avec tristesse, que la Commission parlementaire, chargée d'examiner la pétition dont j'ai parlé plus haut, a eu la cruauté de refuser au sexe faible l'égalité pénale qu'il réclame à si bon droit. Nos députés tiennent à l'excuse de faveur écrite dans l'article 324. On voit bien que les femmes ne sont pas électeurs!

V

Ne quittons pas le Code pénal sans nous associer à deux réformes faciles que M. le comte d'Haussonville a proposées dans l'intérêt de la jeune fille du peuple, et sans nous expliquer sur la question délicate de la prostitution, que le féminisme soulève avec instance et discute avec âpreté.

D'une part, il conviendrait de mettre d'accord le Code civil et le Code pénal. La jeune fille, à qui le premier défend de prendre un mari avant quinze ans, peut, d'après le second, prendre un amant à partir de treize ans. L'attentat sur un enfant n'est puni qu'au-dessous de cet âge; au-dessus de treize ans,--le cas de violence excepté,--le consentement de la victime est présumé: ce qui a fait dire à M. d'Haussonville que la jeune fille réputée «inapte à être épouse» par la loi civile est tenue pour «apte à être amante» par la loi pénale. Il serait donc logique et prudent de modifier l'article 331 du Code pénal, et de prolonger jusqu'à l'âge de quinze ans les mesures de défense en faveur de la jeune fille du peuple, pour mieux la protéger, s'il est possible, contre la brutalité masculine et les grossesses prématurées 89.

Note 89: (retour) Comte d'Haussonville, Salaires et misères de femmes, p. XII-XIII.

D'autre part, l'excitation des mineures à la débauche est insuffisamment réprimée par notre législation actuelle. Nous voulons parler surtout du trafic odieux qui consiste à raccoler les jeunes filles pour les livrer à la prostitution en pays étranger. D'après la jurisprudence, cette exploitation abominable, qu'on a justement flétrie du nom de «traite des blanches», ne tomberait pas sous le coup de l'article 354 du Code pénal. Rien de plus simple et de plus urgent que de frapper, par un texte plus large et plus sévère, tous ceux qui favorisent «le commerce de la prostitution» 90.

Note 90: (retour) Comte d'Haussonville, eod. op., p. XIV.

Nos mauvaises moeurs appellent ici une observation d'ordre plus général.

Au premier rang des droits de la femme, il faut placer, sans contredit, le droit au respect, non seulement parce qu'il est le principe de tous les autres, mais encore parce qu'il est la reconnaissance de la personnalité et de la dignité féminines. Or, ce droit primordial, les femmes honnêtes de Paris et des grandes villes ne l'ont pas toujours. Je veux dire que, dans la capitale surtout, l'ouvrière, cette fée travailleuse qui dépense chaque jour tant d'activité, de courage et d'intelligence, n'a pas la liberté d'aller et de venir, de se rendre à l'atelier et de rentrer chez elle sans être suivie ou accostée par les désoeuvrés et les fainéants, outragée, souillée par les propositions où les plaisanteries des viveurs de haut ou de bas étage. Oui, ce qui manque à la Parisienne (toutes celles qu'importunent les passants, bourgeoises ou couturières, vous le diront), c'est le respect. Car la galanterie, lorsqu'elle est grossière et vile, est une injure à l'honnêteté des femmes, une provocation à l'inconduite et au désordre. Ce n'est vraiment pas assez de purger les trottoirs des filles de joie qui les encombrent à de certaines heures, il faudrait faire une chasse impitoyable aux débauchés de toute condition sociale qui poursuivent les jeunes filles, à la sortie des ateliers, de leurs malpropretés cyniques.

Nous devrions être sans pitié pour les insulteurs de femmes.

A plus forte raison, nous ne voulons point de la liberté pour la débauche, que celle-ci vienne de l'homme ou de la femme. Expliquons-nous plus clairement.

L'abolition de la prostitution réglementée est un sujet pénible, sur lequel femmes «nouvelles» aiment à s'étendre en vitupérations indignées. Nous ne les blâmerons pas de cet acte de courage. «La réglementation de la prostitution, écrit l'une d'elles,--et non des moindres,--avec ses bastilles, ses hôpitaux-prisons, sa mise hors la loi des plus pauvres, des plus misérables d'entre nous, n'est-elle pas le dernier et le plus solide maillon qui rive encore l'Ève nouvelle à l'esclavage ancien 91

Note 91: (retour) Rapport lu par Mme Avril de Sainte-Croix au Congrès de la Condition et des Droits de la femme. La Fronde du 7 septembre 1900.

Phrases en moins, il nous semble que cette question est d'une extrême simplicité, et qu'il est assez facile, grâce à une distinction qui s'impose, de l'éclaircir et même de la résoudre. Cette question, en effet, a deux faces: elle intéresse à la fois la morale et l'hygiène. En ces matières délicates, on voudra bien nous comprendre à demi-mot.

Au point de vue moral, nous admettons que «le fait de prostitution privée ne relève que de la conscience et ne constitue pas un délit 92»; que frapper la prostituée sans inquiéter le prostituant, c'est frapper souvent la victime sans atteindre le complice; que l'intervention de l'État, à l'effet de garantir la qualité de la chose livrée, supprime du même coup la liberté de la femme et la responsabilité de l'homme, et que c'est un outrage à l'unité de la morale que de tolérer chez celui-ci ce que l'on réprime chez celle-là,--la malheureuse qui se vend ayant souvent, à la différence du mâle qui l'achète, l'excuse de la misère et de la faim.

Note 92: (retour) Voeu exprimé en 1900 par le Congrès des OEuvres et Institutions féminines.

En conclurons-nous, comme le font les Congrès féministes, que «toutes les mesures d'exception à l'égard de la femme doivent être abrogées en matière de moeurs?» Dans ce système, le rôle de l'État consisterait seulement à ouvrir «des dispensaires gratuits et accessibles à tous, où, chaque jour, les filles pourraient venir, si bon leur semble, demander au médecin un bulletin de santé 93

Note 93: (retour) Rapport déjà cité. La Fronde du 8 septembre 1900.

Malheureusement, il n'est pas permis à l'État de se désintéresser du grave danger que les prostituées font courir à la santé publique. Nous applaudissons d'avance à toutes les mesures susceptibles de diminuer cette cause de contamination. Que l'on punisse donc sévèrement le proxénétisme! Que l'on refrène impitoyablement la traite des blanches! Mais toutes ces précautions n'empêcheront pas la prostituée de constituer un péril public. La question de morale ne doit pas nous faire oublier la question de salubrité. Or, la police sanitaire rentre, au premier chef, parmi les attributions de l'État. Lorsqu'il s'agit de lutter contre les progrès de la peste ou du choléra, il n'est pas d'objection qui tienne contre les mesures coercitives jugées nécessaires pour arrêter l'invasion du fléau. Alors le salut de la communauté l'emporte sur toutes les considérations de liberté individuelle. Laisserez-vous donc les prostituées empoisonner librement les agglomérations urbaines?

On nous dit que la visite médicale n'offre aucune garantie décisive, qu'elle n'est pas un remède sûr à la contagion. Peut-être; mais si elle ne supprime pas le mal, elle le diminue. Dès qu'un enfant est atteint de la diphtérie, on l'isole, sans le guérir toujours. Ce point, d'ailleurs, regarde les médecins et les hygiénistes; et il en est peu qui soient hostiles à la réglementation. Au Congrès de 1900, Mme la doctoresse Edwards Pilliet, chargée d'étudier la prostitution au point de vue de l'hygiène, a fait la déclaration très loyale que voici: «Comme médecin, je ne peux pas penser qu'on ne doive pas supprimer de la circulation quelqu'un qui est atteint d'une maladie contagieuse. Je n'ai donc pu conclure comme femme sur ce qui m'était imposé comme médecin.»

Il n'y a vraiment qu'un moyen de supprimer la réglementation, c'est de supprimer la prostitution. On trouvera sans doute que ce remède héroïque est au-dessus des forces morales de l'humanité. Il appartient donc à l'État d'améliorer, d'adoucir, d'alléger, autant que possible, les mesures douloureuses de préservation publique auxquelles sont astreintes les filles perdues. Quant à les abolir, l'intérêt général s'y oppose.

En tout cas, on voudra bien retenir qu'en réglementant la prostitution, l'État n'agit pas en moraliste, mais en hygiéniste soucieux des fonctions de sécurité qui lui incombent, et qu'en séquestrant une femme jugée dangereuse pour la santé publique, il n'entend nullement punir une faute, mais seulement conjurer un fléau qui est la conséquence--et aussi le châtiment--- du désordre et de la débauche. D'où il suit que, si l'expérience venait à démontrer que la prostitution libérée n'est pas plus périlleuse pour la société que la prostitution réglementée, il faudrait abolir la «police des moeurs»; mais, en l'état des choses, et après enquête auprès des spécialistes, il ne nous paraît pas que cette preuve soit faite.

Toutefois, en admettant qu'il soit impossible d'émanciper la prostitution, ne pourrait-on pas la soumettre à une surveillance efficace, sans assujettir les malheureuses qui la subissent à un internement innommable? Les forteresses, où elles sont casernées dans les villes, jouissent d'une «tolérance» que toute âme honnête doit juger intolérable. Le christianisme a relevé la femme de son ancien abaissement et lui a donné la royauté domestique. En condamnant la polygamie, il l'a arrachée à la réclusion et à la servitude. Or, la prostitution embastillée est un reste de la débauche païenne. Pourquoi n'essaierions-nous pas d'en purger nos lois et nos moeurs? Est-il donc impossible de libérer les prostituées de la claustration abominable que l'on sait, sans qu'il soit besoin d'affranchir la prostitution du contrôle policier qu'exige la santé publique? A tout le moins, ayons plus de compassion pour la femme tombée et plus de sévérité pour son complice et son séducteur!

Il résulte de tout ce qui précède que notre législation est susceptible de nombreuses améliorations. Mais ne croyons pas qu'à elles seules elles puissent tout sauver. Veut-on, pour finir, connaître notre conviction intime: c'est que les meilleures réformes ne parviendront à relever le mariage que si, en même temps, nous relevons nos moeurs. Et comme il nous semble démontré par ailleurs que le relâchement continu du lien matrimonial, en précipitant la ruine de la famille et l'abaissement du pays, entraînerait dans sa chute tout ce qui fait la force et la dignité de la femme, il reste que, sous peine de déchéance, nous devons nous corriger nous-mêmes.

Aux maux du mariage, il n'y a qu'un remède: l'idée du devoir. Et surtout exerçons notre esprit de réforme, non pas aux dépens du mariage, mais en faveur du mariage. Le véritable intérêt de la femme, comme celui de l'enfant, comme celui de la société tout entière, n'est point dans l'abolition, mais dans la régénération du mariage. L'institution est admirable; c'est nous qui l'avons déformée ou pervertie. Maintenons intangible son principe qui est l'unité: Duo in unum! Ce qu'il faut modifier, ce sont les habitudes du mariage moderne. Sachons le débarrasser de cette enveloppe parasite qui l'étouffe; pour se renouveler, il a besoin, comme le platane, de changer d'écorce. Tel, en effet, qu'il se pratique aujourd'hui, le mariage ne répond plus à l'esprit de son institution. Beaucoup n'y associent que deux égoïsmes au lieu de deux loyales et courageuses volontés. C'est un merveilleux instrument de vertu et de vie dont nous nous servons mal. N'attaquons pas le mariage, mais la façon dont on se marie en France. Ne lui imputons pas les fautes qui viennent de nos propres défaillances. Certains maris, dont l'honnêteté ne vaut pas cher, émettent l'outrecuidante prétention que la femme leur doit la fidélité sans pouvoir l'exiger en retour. A ce compte, l'épouse ne serait pas seulement l'inférieure, mais la victime de l'homme. C'est le contre-pied de l'idéal conjugal.

Soyons plus justes, plus moraux, plus chastes, si nous voulons demeurer dignes du vieux mariage chrétien qui a fait la force et l'honneur de nos pères. Réformer les lois, c'est bien; réformer nos moeurs, c'est mieux. Point de législation efficace, si la moralité ne la soutient et ne la vivifie. Pour un peuple, la vertu est une promesse d'avenir et un gage de succès et de grandeur. Marchons-nous vers cet idéal?

Chargement de la publicité...