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Le père Huc et ses critiques

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II
CRITIQUES GÉOGRAPHIQUES

La réalité du voyage me paraissant suffisamment établie, il me reste à examiner la sincérité du récit.

C’est encore à Prjevalsky qu’il faut recourir ici. Nous allons passer en revue les unes après les autres les critiques qu’il adresse à Huc.

1o Dans la lettre citée plus haut, le Russe dit :

« Dans la contrée du Koukou Nor, Huc décrit un passage difficile à traverser ; il parle de douze bras du Boukhaïn-Gol, tandis qu’en fait cette rivière n’a en tout qu’un lit au point où la route du Thibet la traverse et ce lit n’a que quinze sagènes de large et de un à deux pieds de profondeur. »

Il répétait ensuite cette critique dans son ouvrage Mongolie et pays des Tangoutes, page 230.

« Après avoir traversé plusieurs petites rivières, nous rencontrâmes enfin le plus considérable des affluents du lac, le Boukhaïn-Gol, qui sort des montagnes du Nan-Chan, et a, suivant les Mongols, une longueur de quatre cents verstes. Dans son cours inférieur, au point où passe la route du Thibet, cette rivière est large d’environ cinquante sagènes, et partout guéable. Sa profondeur en certains endroits ne dépasse pas deux pieds et n’est jamais importante. Grand donc fut notre étonnement en nous rappelant la description que fait le Père Huc, de ce Boukhaïn-Gol et de sa terrible traversée des douze bras du fleuve avec la caravane qui se rendait à Lhaça. Le missionnaire nous raconte que tous ses compagnons estimèrent que leur passage s’était effectué avec beaucoup de chance, car un seul homme s’était cassé la jambe, et deux yaks seulement s’étaient noyés. Cependant, il n’existe qu’un seul bras au point où passe la route du Thibet ; encore n’est-il rempli qu’à l’époque des pluies. La rivière est toujours si basse qu’à peine un lièvre pourrait s’y noyer ; un pareil accident est inadmissible pour un animal aussi grand et aussi fort que le yak. Au mois de mars de l’année suivante nous séjournâmes un mois entier sur les rives du Boukhaïn-Gol que nous traversions souvent dix fois pendant une seule excursion de chasse et M. de Piltzoff et moi nous plaisantions souvent du récit écrit par le Père Huc. »

Ces plaisanteries n’avaient peut-être pas beaucoup de raison d’être. Prjevalsky, qui, il est vrai, en était alors à son premier voyage, semble ignorer de quelle manière, dans ces contrées, le lit d’une rivière peut se changer en vingt ans. S’il vivait encore, il trouverait avec raison très déplacées les plaisanteries que nous pourrions faire sur la prétendue largeur du Tarim[11] en amont d’Abdallah. Le lit du Boukhaïn-Gol n’eût-il pas subi de modifications, qu’on pourrait encore excuser le missionnaire.

[11] Fleuve que nous avons descendu jusqu’au Lob-Nor et que nous avons trouvé beaucoup moins large que du temps où Prjevalsky le visita.

Peut-être a-t-il fait une erreur de nom. — On a droit au surplus d’être plus sévère avec celui qui prétend enseigner l’exactitude aux autres ; or, dans ce cas particulier, Prjevalsky écrit en juin 1873 que le lit de cette rivière au point où on la traversait n’avait que quinze sagènes de large, et deux ans plus tard, à propos du même cours d’eau, il parle de cinquante sagènes.

Nous avons déjà vu (à propos de la durée du séjour du missionnaire à Kounboum) que Prjevalsky n’a pas la mémoire des chiffres.

2o Prjevalsky, même lettre :

« Immédiatement après avoir passé le Boukhaïn-Gol, on atteint la haute chaîne des monts au sud du Koukou Nor, dont Huc ne fait pas même mention. »

On peut supposer que Huc s’est engagé dans ces collines plus à l’ouest que Prjevalsky, puisque le missionnaire ne passa le Boukhaïn-Gol que six jours après son départ de Koukou Nor. C’est quelques jours après avoir traversé cette rivière que Huc rentre dans la région montagneuse nommée par Prjevalsky, Monts du sud du Koukou Kor… Huc ne fait pas de relevé géographique, mais dit ce qu’il voit. Du reste si Prjevalsky avait examiné son texte avec impartialité, il eût trouvé (p. 108) à propos du Toulain-Gol (que Prjevalsky place dans cette chaîne) la mention de « Collines rocheuses ». Huc n’insiste pas, mais c’est suffisant.

3o (Même lettre) :

« Il (Huc) ne parle pas du Baïan-Gol, ou rivière Tsaï-Dam, qui est vingt-deux fois plus large que le Boukhaïn-Gol et dont le passage, quand elle est non gelée (comme ce devait être quand il la traversa) est très difficile. »

Ici, Prjevalsky, qui, nous l’espérons pour lui, a fait ses critiques de souvenir, est trompé par sa mémoire ; Huc dit en effet (p. 209) :

« Le 15 novembre, nous quittâmes les magnifiques plaines du Koukou Nor, et arrivâmes chez les Mogols du Tsaï-Dam. A peine avions-nous franchi la rivière du même nom que le pays change d’aspect brusquement. »

Cette critique se trouve simplement réfutée par le fait.

4o Prjevalsky écrivait encore en 1875 :

« Huc dépeint la contrée du Tsaï-Dam comme une steppe aride, tandis qu’en réalité c’est un marais salé, couvert partout de roseaux de cinq à sept pieds de hauteur. »

Ici, je me contenterai de citer la description de Huc et celle de Prjevalsky lui-même dans son récit définitif :

(Huc, t. II, p. 209). « Le 15 novembre, nous quittâmes les magnifiques plaines de Koukou Nor et nous arrivâmes chez les Mongols de Tsaï-Dam. Aussitôt après avoir traversé la rivière de ce nom, le pays change brusquement d’aspect. La nature est triste et sauvage ; le terrain aride et pierreux semble porter avec peine quelques broussailles desséchées et imprégnées de salpêtre. La teinte morose et mélancolique semble avoir influé sur le caractère des habitants qui ont tous l’air d’avoir le spleen. Ils parlent très peu, et leur langage est si rude et si guttural que les Mongols étrangers ont souvent de la peine à les comprendre. Le sel gemme et le borax abondent sur ce sol aride, et presque entièrement dépourvu de bons pâturages. On pratique des creux de deux ou trois pieds de profondeurs, et le sel s’y rassemble, se cristallise, et se purifie de lui-même, sans que les hommes aient le moins du monde à s’en occuper.

» Le borax se recueille dans de petits réservoirs qui en sont entièrement remplis. Les Thibétains en emportent dans leur pays pour le vendre aux orfèvres qui s’en servent pour faciliter la fusion des métaux.

» Nous nous arrêtâmes pendant deux jours dans le pays des Tsaï-Dam. »

(Prjevalsky, p. 233). « La chaîne méridionale sert de ligne de démarcation accusée entre les steppes fertiles du lac Bleu et les déserts qui s’étendent dans le Tsaï-Dam et le Thibet. Effectivement, le versant septentrional de cette chaîne rappelle en tout les monts du Han-Sou ; il est couvert d’arbustes, de petits bois, bien arrosé et abondant en prairies. Au contraire, le versant du sud porte le cachet mongol ; ses pentes sont argileuses, en grande partie dénudées ou couvertes de genévriers arborescents ; les lits des rivières y sont desséchés et les pâturages n’existent pas. Tout annonce le désert qui se déploie au midi de ces montagnes et rappelle celui de l’Alachan.

» Sur un sol argileux et salin croît seulement le dirisson et le caldium gracile, la nitraria scholeri et l’on aperçoit des antilopes, ce qui dénote toujours une contrée des plus sauvages. On remarque ici le lac salé de Dalaï-Dabassou dont la circonférence a une quarantaine de verstes. D’excellents dépôts de sel y sont accumulés et forment une couche d’un pied d’épaisseur ; près des rivages, elle ne dépasse pas un pouce. Le sel est expédié à Donkir, et un fonctionnaire mongol est spécialement préposé à la surveillance de l’exploitation.

» La plaine déserte dans laquelle s’étale ce lac salé a une largeur de trente verstes et se déploie au loin vers l’est. »

Comme on le voit, entre ces deux descriptions, il y a peu de différence. Le voyageur russe oubliait sa première lettre, lorsqu’il parlait ainsi en 1875, ou plutôt, il avait voulu, en 1873, faire allusion à une autre partie du Tsaï-Dam, peut-être la région septentrionale ; car dans les lignes que nous citons, on cherche en vain la mention de ces fameux roseaux dont l’omission est reprochée au missionnaire.

5o Ce qu’il (Huc) dit des gaz du Burkan-Boudda est douteux.

Prjevalsky, même lettre et livre, note p. 246 et 247 :

« Dans ses Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie et le Thibet, le Père Huc assure que l’on constate dans cette chaîne la présence d’un dégagement d’acide carbonique et raconte les souffrances que ce gaz fit endurer à toute sa caravane pendant le passage dans ces montagnes. Nous lisons le même récit dans la traduction de l’itinéraire chinois de Si-Ning à Lhaça (Bulletin de la Société impériale de géographie, 1873, ch. IX, p. 298 et 305). Dans vingt-trois localités de cette route, dit-il, on constate le Tchjan-tzi, c’est-à-dire des émanations nuisibles. Or, nous avons passé quatre-vingts jours sur le plateau du Thibet septentrional, et nulle part nous ne nous sommes aperçus de la présence de l’acide carbonique.

» Le malaise que l’on éprouve pendant l’ascension tient à la raréfaction de l’air sur une pareille altitude. C’est aussi la cause pour laquelle il est si difficile d’y faire du feu. Si, en effet, il existait là des dégagements d’acide carbonique, comment les bestiaux, ainsi que les bandes d’animaux sauvages pourraient-ils séjourner dans ces montagnes ? »

Reportons-nous au passage de Huc, t. II, p. 221 :

« La montagne Bourhan-Boudda présente cette particularité assez remarquable, c’est que ce gaz délétère ne se trouve que sur la partie qui regarde l’Est et le Nord ; de l’autre côté, l’air est pur et facilement respirable, il paraît que ces vapeurs pestilentielles ne sont autre chose que du gaz acide carbonique. Les attachés à l’ambassade nous dirent que lorsqu’il faisait du vent, les vapeurs se faisaient à peine sentir, mais qu’elles étaient très dangereuses lorsque le temps était calme et serein. Le gaz acide carbonique étant, comme on sait, plus pesant que l’air atmosphérique, doit se condenser à la surface du sol et y demeurer fixé jusqu’à ce qu’une grande agitation de l’air vienne le mettre en mouvement, le disséminer dans l’atmosphère et neutraliser ses effets. Quand nous franchîmes le Bourhan-Boudda, le temps était assez calme. Nous remarquâmes que lorsque nous nous couchions par terre, nous respirions avec beaucoup plus de difficultés. Si, au contraire, nous montions à cheval, l’influence du gaz se faisait à peine sentir. La présence de l’acide carbonique était cause qu’il était très difficile d’allumer du feu ; les argols brûlaient sans flamme et répandaient beaucoup de fumée.

» Maintenant, dire de quelle manière se formait ce gaz, d’où il venait, c’est ce qui nous est impossible. Nous ajouterons seulement, pour ceux qui aiment à chercher des explications dans les noms mêmes des choses, que Bourhan-Boudda signifie « cuisine de Bourhan ». Bourhan est, comme on sait, synonyme de Boudda. »

A première vue, il semble probable que les souffrances dont parle Huc tiennent à la raréfaction de l’air ; nous savons combien elle est pénible ; elle peut aller jusqu’à occasionner la mort (nous en avons eu un exemple dans notre voyage).

Comme nous le verrons plus loin, il est bien possible que Prjevalsky n’ait pas suivi exactement la même route que Huc. Dans les montagnes du Thibet, on trouve des sources chaudes, des émanations sulfureuses, des geysers ; pourquoi n’y aurait-il pas aussi, dans des contrées d’origine volcanique, des dégagements d’acide carbonique ?

N’oublions pas, d’ailleurs, que Huc n’a pas de connaissances scientifiques ; il a traduit le mot chinois T’on-tch’i (T’on, terre, et tch’i, exhalation) ou plutôt, ton tch’i (ton, empoisonné, et tch’i, vapeur) et cherche à lui donner une explication.

Les gens du Lob Nor nous ont signalé le même phénomène dans certains passages de l’Atltyn-Tagh : une exhalation mauvaise sortant de terre, et tuant bêtes et gens.

6o Il (Huc) représente l’ascension des monts Chouga comme très raide, tandis que la chaîne a des versants faibles et propres à recevoir des rails d’un chemin de fer.

Reportons-nous encore au récit de Huc :

« Le mont Chouga, dit-il, étant peu escarpé du côté que nous gravissions, nous pûmes arriver au sommet au moment où l’aube commençait à blanchir. »

Ce qui rend la marche des missionnaires pénible, c’est une tourmente de neige dans laquelle ils sont pris.

7o Prjevalsky. Note, page 282 :

« Le col du Baïan-Khara-Oula est une montée douce et peu élevée, il est même possible de l’éviter en se dirigeant le long de la vallée de la Naptchitaï-Oulan-Mouren, comme nous le fîmes. Cependant le Père Huc dans sa narration dépeint le Baïan-Khara-Oula comme un massif présentant des difficultés presque insurmontables ; il assure qu’en certains endroits, il fut forcé de s’accrocher à la queue de son cheval, et de le frapper à coups de fouet pour le décider à gravir l’escarpement. » (Huc, Souvenir d’un voyage dans la Tartarie et le Thibet, t. II, pages 220-223.)

Huc ne parle pas de difficultés insurmontables : il désigne le Bayen-Kharat sous le nom de : « fameuse chaîne de montagnes qui se prolongent du Sud-Est au Nord-Ouest entre le Hoang-Ho et le Kincha-Kiang ». Il se souvient probablement de l’expression d’un voyageur chinois[12] :

[12] Cet ouvrage a été traduit par un missionnaire belge : Description de la Chine occidentale (mœurs et histoire), par un voyageur. Traduit du chinois par M. Gueluy, missionnaire.

« Non loin de la source du fleuve Hoang-Ho, on trouve le mont Bayen-Kharat ; le terrain y est très élevé et cette montagne n’a pas d’égale en hauteur ni au nord ni au sud. »

Comme pour les monts Chouga, Huc dit que la neige qui couvre la montagne rend la marche difficile.

« Nous nous mîmes donc, ajoute Huc, à escalader ces montagnes de neige, quelquefois à cheval, souvent à pied. Dans ce dernier cas, nous faisions passer devant nos animaux, et nous nous cramponnions à leur queue. »

Mais ce fait n’a rien au surplus qui indique une montée très difficile ; c’est un mode de marche souvent employé par les montagnards ; étant fatigués, nous ou nos hommes nous nous sommes fait traîner souvent par nos chevaux, même sur une route facile.

A propos des monts Bayen-Kharat on peut, du reste, se demander si Prjevalsky parlait de la même chaîne et du même passage que Huc. Les auteurs européens, pas plus que les chinois, ne sont d’accord sur la limite à laquelle la chaîne de ce nom doit cesser de le porter.

8o Prjevalsky, même lettre :

« Huc parle seulement d’avoir franchi le Mouroussou (c’est-à-dire le Yang-tse-Kiang supérieur) ; cependant la route de Lhaça longe les rives du Mouroussou jusqu’aux sources de ce fleuve dans le massif des Tan-la, sur une distance d’environ trois cent vingt kilomètres. »

Huc, serions-nous en droit de dire, aurait très bien pu, après avoir traversé le Mouroussou, en suivre la rive ; mais dans ce cas, en narrateur fidèle, il nous eût averti de sa route et du moment où il quittait la vallée du grand fleuve. Nous avons mieux à répondre. Prjevalsky parle de la route de Lhaça, il n’a pu approcher de cette ville, sans quoi les nombreux caravaniers lui auraient appris qu’il n’y a pas la route, mais bien de nombreuses routes de Lhaça. Les cartes de M. Dutreuil de Rhins, faites d’après les documents chinois des Thaï-Tsing, l’itinéraire communiqué par M. Devéria, ceux traduits en russe par M. Chechmaref, par M. Ouspenski, les notes des pundits, etc., nous montrent plusieurs gués sur le haut Mouroussou (au moins 5). Chacun suppose au moins un chemin différent ; d’un seul de ces gués se détachent jusqu’à trois routes pour Lhaça[13]. Évidemment nombre de ces itinéraires se rejoignent plus ou moins loin avant la ville sainte. En dehors de ceux qui sont suivis habituellement, une caravane peut modifier le sien selon la saison ; elle tient compte de la pluie ou de la neige, de la sécheresse et des autres conditions de température.

[13] Itinéraire de la Chine, par le Père Palladins.

Non seulement du Koukou Nor à Lhaça il y a plusieurs routes, mais un travail plus approfondi montrerait que le plus souvent les caravanes ne suivent pas la rive du Mouroussou ; c’est du moins la conclusion qui semble indiquée par les travaux de M. Dutreuil de Rhins. Cette comparaison des cartes et des itinéraires est ici inutile ; qu’il suffise au lecteur de savoir que les routes allant à Lhaça sont nombreuses, que, par conséquent, dans cette partie des hauts plateaux on n’a guère le droit de reprocher au Père Huc l’omission de tel ou tel fait géographique, lorsqu’on n’est pas bien sûr de l’itinéraire qu’il a suivi.

D’ailleurs, si Huc avait commis quelque omission. Prjevalsky serait certes un des voyageurs le moins en droit de lui en faire un reproche. Il arrive plus d’une fois au Russe de changer ou de supprimer des noms déjà connus, et cela volontairement, pour donner un caractère de découverte à certaines parties de son itinéraire.

« Cette suppression (des données acquises avant Prjevalsky) est admissible sur la carte d’un itinéraire quand celui-ci est éloigné de toutes données acquises antérieurement, mais non quand ces données sont très rapprochées de l’itinéraire, et même devraient s’y trouver si on en supprimait ou on changeait le nom. » (Dutreuil de Rhins en parlant des cartes de Prjevalsky).

C’est au Mouroussou que s’arrêtent les critiques géographiques adressées par Prjevalsky au Père Huc. Le voyageur russe, n’ayant que trois cents roubles d’argent, n’osa pousser plus loin. Peut-être regretta-t-il, quelques années plus tard, lorsqu’il atteignit la frontière du Thibet, et arriva à douze jours de Lhaça, de n’avoir pas été plus hardi dans son premier voyage ; peut-être alors rendit-il justice au mérite des deux missionnaires français ! Quoi qu’il en soit, il ne les attaqua plus.

En somme, pour qui les examine sérieusement, ces critiques grandissent le Père Huc au lieu de le diminuer. Dans l’insistance que met le voyageur russe à trouver le missionnaire dans l’erreur, on sent une pointe de jalousie ; c’est chez Prjevalsky, le sentiment d’une grande œuvre accomplie par un autre sur son propre terrain, le regret de n’avoir pu en faire autant ; deux simples missionnaires ont fait mieux que l’officier ; il ne peut le leur pardonner. Il n’ose plus discuter la réalité même du voyage comme dans les premiers temps, mais il s’attaque à l’importance du résultat au point de vue des connaissances données sur un pays inconnu. Pendant quelque temps il a voyagé dans les mêmes contrées que Huc ; le Russe ne semble alors préoccupé que de tourner, de parti-pris, tout ce qu’il voit contre le missionnaire. Pour cela, tout moyen lui est bon ; il ne craint pas de se contredire lui-même, de dénaturer le texte de son prédécesseur, de feindre d’en oublier une partie ; malgré ces procédés, il arrive à peine à montrer que Huc pas plus qu’un autre voyageur n’a été infaillible. Il ne le diminue pas, mais il se diminue lui-même ; il fait tort à sa propre réputation de voyageur sérieux et savant. En parlant de Huc il est partial ; il a bien soin de ne pas dire lorsqu’il se trouve d’accord avec lui et encore moins lorsqu’il lui fait des emprunts. D’autres ont fait pour le général russe la comparaison entre son œuvre et celle de Huc et c’est au savant M. Ney Élias que nous empruntons la conclusion suivante :

« Des routes faites par les voyageurs précédents, celle de Huc coïncide avec celle du capitaine Prjevalsky plus qu’aucune autre dont j’aie entendu parler et, en dépit des critiques précédentes plutôt sévères, on doit après avoir fait certaines réserves pour des différences d’oreilles, de circonstances de voyage, regarder le récit précédent (de Prjevalsky) comme une confirmation plutôt qu’autre chose de son (Huc) récit. »

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