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Les français au pôle Nord

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Après le retour.—La joie de Constant Guignard.—Du pain et point de dents.—Bientôt on pourra dire des rentes et pas de pain.—Sinistres appréhensions.—Encore la tempête.—Sous les iglous.—Provisions volées.—Désastres.—Punition exemplaire des larrons—Egorgement en masse.—Fuite de Pompon.—Famine.—Après avoir mangé les chiens et leurs peaux, on attaque les harnais.—Au moment de mourir de faim.

Contre toute vraisemblance, et même contre toute possibilité, le retour du capitaine, de ses quatre hommes et de ses chiens s'opéra sans incidents notables.

La route fut horriblement pénible, naturellement, et les fatigues écrasantes.

Mais le temps aidant, et surtout l'infinie bonne volonté des auxiliaires à deux et quatre pieds, les difficultés furent vaincues.

Du reste, malgré une parcimonie que le besoin rendait plus cruelle encore, le stock de vivres allait s'affaiblissant à chaque repas. Et la ration prélevée pour l'alimentation des gens et des bêtes allégeait d'autant le poids de l'embarcation redevenue traîneau.

La petite expédition polaire avait mis un peu plus de cinq jours, soit environ cent vingt à cent trente heures, pour atteindre le point où théoriquement se trouve l'axe de la rotation de la terre. Elle effectua son retour en six fois vingt-quatre heures, soit cent quarante-quatre heures.

Elle rallia donc, le 7 mai, à quatre heures après-midi, le quatre-vingt-huitième parallèle, et le campement où se trouvait l'équipage, après avoir traversé la terrible banquise paléocrystique une seconde fois.

On devine la réception enthousiaste qui fut faite aux nouveaux arrivants, comme si eux seuls s'étaient couverts de gloire, avaient bien mérité de la patrie et du monde savant; comme si la victoire définitivement remportée était leur œuvre exclusivement.

En quelques mots émus, le capitaine remercia son brave équipage de cet accueil réconfortant, rendit à chacun la justice qui lui était due, affirma qu'il n'était ni plus ni moins difficile de pousser cinquante lieues plus loin la marche en avant, que tous avaient également collaboré à la découverte du Pôle, et que tous par conséquent devaient participer aux honneurs et aux profits.

Un vivat retentissant accueille celle petite improvisation que tous ont écoutée avec une déférence affectueuse et une joie non dissimulée.

Invalides et bien portants ont quitté la tente pour souhaiter la bienvenue au chef qui, n'ayant pas vu ces pauvres camarades depuis onze jours, est frappé des ravages occasionnés par les privations et la maladie.

Mais la joie est un puissant palliatif à bien des maux; et si les figures sont blêmes, les torses efflanqués et les échines courbées, les yeux luisent, les bouches sourient, les cœurs battent.

En outre, comme vient de le dire incidemment le capitaine, il y aura dorénavant honneur et profits pour les membres de l'expédition française au pôle Nord.

Si un franc matelot du pays de France est sensible à l'honneur, il ne dédaigne pas non plus la rétribution des services qu'il rend de tout cœur, sans marchander.

Le capitaine de la Gallia a promis jadis une haute paye à ceux qui atteindraient d'abord le cercle polaire, puis le pôle Nord lui-même. Cette récompense, comme il vient d'être dit, sera comptée à tous, indistinctement.

Et dame! les pauvres mathurins si durement éprouvés sont dans l'allégresse.

Constant Guignard à peine remis du scorbut, traîne la patte, cligne des yeux, et frotte ses mains pleines de nodosités.

—Cré matin... ça me fait bènaise, de m' savouère un gentil morcieau d'pain pour mes vieux jours, dit-il au Parisien qui, la bienvenue souhaitée, tourmente déjà le gars normand.

—Du pain!... mais, malheureux... le scorbut t'a enlevé au moins deux douzaines de dents!...

—Voui!... voui!... blague donc, té, Parisien... si mon pain est trop dur, j' l'émietterai dans du bère...

—Et tu licheras à année faite à la santé du Pôle, vieux poivrot.

—P'utôt deux fois qu'eine!... le Pôle... ça sera mon ami...

«Et... comme ça... tu l'as vu, tè...

—Comme je te vois.

—Et sa physolomie... dis voir un peu comment qu'all' est.

—Figure-toi une baleine qui ne bouge ni pieds ni pattes et sort à mi-corps de l'eau...

—Bon!... après?

—Michel arrive... lui emmanche un coup de croc dans le flanc, ça fait p'ch!... ch!... ch!... et ça corne que ça empoisonne à cent brasses...

—Et pis après?...

—La baleine ou le Pôle, comme tu voudras, s'emplit d'eau, coule et puis plus rien... fini...

—Qué que tu m'dis là, tè?... Michel a tué le pôle Nord?...

—Paraîtrait, puisque t'hérites de lui...

—Du Pôle?...

—Dame!... ta haute paye... ta retraite... ta solde de rentier... ton pain... ton bère...

«Tout ça, mon vieux lascar, c'est l'héritage de ce pauvre défunt Pôle exproprié par nous de son domaine, et sabordé comme un vieux patachon d'eau salée.

«D'mande plutôt à Michel s'il ne l'a pas embroché, et raide!»

... Pendant ce colloque réaliste qui peut à peine dérider les malades retombés déjà dans leur atonie, le second, Berchou, après avoir remis le commandement au capitaine, lui rend compte de la situation.

Cette situation, déjà bien précaire lors du départ de l'officier pour le Pôle, s'est encore empirée. Aujourd'hui elle est absolument déplorable.

Bien qu'il eût pris dès le début l'initiative d'un rationnement rigoureux, surtout pour des hommes épuisés, le stock de vivres a diminué d'une façon alarmante.

Aujourd'hui qu'il faut continuer à servir aux malades la ration entière, la famine se dresse menaçante à très courte échéance.

—Mais la chasse... la pêche... observe le capitaine horriblement inquiet.

—Nulle!... complètement nulle, répond Berchou.

«Nous avons cru, sur la foi de relations offrant toutes les garanties d'authenticité, que les abords de la région polaire fourmillaient de gibiers aquatiques ou aériens.

«C'est le désert, capitaine!...

«Le désert, ou plutôt l'enfer de glaces.

«Malgré sa patience et son habileté de sauvage, Oûgiouk n'a rien capturé.

«Les chasseurs, notamment le docteur, n'ont relevé aucune trace, et rien ne nous arrive des régions méridionales, malgré l'élévation de la température.

«Capitaine, je suis inquiet... bien inquiet.

«Non pas pour moi, vous le savez; ni même pour nos pauvres marins dont la résignation est sublime...

«Mais songez donc, si après une réussite aussi splendide, vous alliez ne pas pouvoir profiter de la victoire!

«Si nous allions mourir ici... bêtement... faute de quelques milliers de rations, sans qu'on sache là-bas que vous avez vaincu l'Allemand... que les couleurs ont flotté au Pôle!...

—Nous n'en sommes pas encore là, mon brave Berchou, répond le capitaine ému de cette héroïque abnégation.

«L'essentiel est de tenir jusqu'au dégel qui ne peut tarder et alors avec les premières chaleurs afflueront les gibiers de toute sorte.

«Pense donc, nous sommes dans six heures au 8 mai!

—Le ciel vous entende, et nous prenne en pitié, capitaine!»


Dès le lendemain, les espérances du commandant de la Gallia reçurent un démenti formel.

Pour la première fois depuis longtemps le baromètre subit une lente et continuelle dépression. Le vent du Sud commence à s'élever; le vent maudit des neiges et des frimas, et le ciel peu à peu se couvre de gros nuages bas, gris, floconneux.

Pendant vingt heures la baisse barométrique est telle, que la pression n'est plus que de 72!

Bientôt le vent souffle avec une furie sans égale et la neige tombe en tourbillons épais, serrés, aveuglants. Subitement, le jour est devenu terne, blafard.

Du reste la neige s'abat avec une telle surabondance, qu'on ne voit plus à quatre mètres de soi.

Dès le premier moment, la tente, emportée par une rafale, disparaît derrière cette espèce de plaque en verre dépoli qui entoure les malheureux explorateurs.

Les voilà sans abri pour les malades qui frissonnent sous l'averse glacée, et se blottissent dans leurs sacs.

Le traîneau sur lequel est resté amarré le bateau qui a porté les cinq hommes au Pôle est culbuté, puis mis en pièces sur les roches de glace.

Il faut au plus vite, sous les ordres et d'après les plans d'Oûgiouk, élever à la hâte une hutte de neige, un iglou, comme disent les sauvages groenlandais.

C'est une sorte de hutte hémisphérique, très surabaissée, percée d'un trou par lequel on se glisse à quatre pattes dans l'intérieur.

Que de peines, de travaux, de fatigues et de mécomptes pour élever seulement deux iglous dans lesquels s'engouffrent pêle-mêle, harassés, courbaturés, mourant de soif et de faim, les hommes et les chiens.

Dumas a repris ses fonctions de chef de cuisine, au grand regret de Courapied, dit Marche-à-Terre, fortement soupçonné de s'engraisser aux dépens de l'ordinaire.

Le brave Provençal se multiplie, installe une lampe à alcool heureusement échappée au désastre, emplit de neige le digesteur, prépare le café, popote un rata soigné pour les malades, songe ensuite aux hommes valides, puis à lui-même.

On est très mal sous l'abri tutélaire de l'iglou. La lampe, l'entassement des gens et des bêtes y développe une température chaude, nauséeuse, presque irrespirable.

Mais nul ne se plaint. Trop heureux d'être à couvert.

On ramasse les provisions enfouies sous la neige par le cyclone. Les chiens, guidés par leur odorat, en ont malheureusement trouvé la majeure partie, et dévoré le plus clair de la réserve avec leur avidité gloutonne de bêtes toujours inassouvies.

Il est trop tard pour récriminer, mais les matelots furieux jettent des regards de cannibales sur leurs camarades à quatre pattes jadis choyés, caressés, dorlotés comme des enfants.

Au dehors, l'ouragan fait rage sans qu'on puisse en présager la fin.

La région polaire ménage aux explorateurs de ces transformations d'autant plus cruelles qu'elles sont inattendues, et ramènent brutalement l'hiver arctique avec ses rigueurs, alors que l'époque de l'année, la clémence relative de la température semblent faire présager le printemps.

Cette troisième tempête de neige infiniment plus violente que celles dont ils ont précédemment subi l'assaut, dure huit jours entiers, sans un moment de rémission, c'est-à-dire jusqu'au 18 mai.

Le jour anniversaire de leur départ de France devait, dans la pensée de chacun, donner lieu à une petite fête en rapport avec la modicité de leurs moyens. Ce jour,—le 13 mai—amena une fatale découverte.

Les chiens, mis en goût par leur premier larcin, se sont ingéniés, depuis ce moment, avec leur flair et leur adresse d'animaux aux trois quarts sauvages, à renouveler leur bombance.

Ils ont merveilleusement réussi, en ce sens qu'après avoir trouvé le stock aux provisions, ils ont rongé les caisses, éventré les ballots, gaspillé autant qu'ils ont consommé, mais avec une telle ruse, une telle entente du pillage, une telle sournoiserie, qu'on se demande s'ils n'ont pas été aidés ou guidés par quelqu'un.

Mais non! chacun parmi les membres du vaillant équipage est incapable d'une telle félonie. On meurt de faim bravement, dignement, sans une plainte, mais nul ne songe à prolonger sa vie aux dépens de celle du camarade.

Cependant,... et Oûgiouk!... lui qui en sa qualité de sauvage n'a pas les mêmes motifs d'abnégation que les Français.

Oûgiouk est gras, luisant, bouffi de bien-être et de santé. En outre, le jour de la découverte du pillage il empoisonne l'alcool.

On lui demande s'il a faim. Pour la première fois peut-être il répond que non. S'il a soif, il répond:

—Tout à l'heure, j'aurais encore soif!

Plus de doute! Il s'empiffre de solide et de liquide aux dépens des malheureux qui ménagent avec une douloureuse parcimonie les dernières bribes de leur approvisionnement.

Sans penser à mal, Oûgiouk avoue qu'il a bu et mangé à sa soif comme à sa faim, et, sans avoir aucunement conscience de sa mauvaise action, déclare qu'il n'a jamais si bien vécu.

En dix jours, son estomac groenlandais, et les dix-neuf estomacs non moins groenlandais des chiens ont absorbé le plus clair des vivres!

Une preuve cependant qu'Oûgiouk est moins inconscient qu'il ne voudrait peut-être le faire croire, c'est que les ballots et les caisses régulièrement empilés sous une des chaloupes, n'ont pas été en apparence dérangés. Les ouvertures faites par la dent des chiens se trouvent habilement dissimulées par des lambeaux de fourrures et de prélarts, des effets hors d'usage, des boîtes à munitions, de façon à ce que l'amas conserve à peu près son aspect extérieur habituel.

Il devient presque évident que l'homme et les chiens sont complices.

Qu'il y ait ou non connivence, la catastrophe n'en est pas moins irréparable.

Aussi, quel triste anniversaire, au lieu du petit et bien maigre festival attendu.

En conséquence, comme il devenait impossible de nourrir les chiens, il fallut se résoudre à un pénible sacrifice, auquel les services qu'on était en droit d'attendre pour l'avenir des pauvres bêtes et l'amitié qu'on leur portait, malgré tout, enlevait toute idée de représailles.

Les vingt chiens furent condamnés à mort et exécutés par Dumas qui les saigna à blanc avec le coutelas professionnel.

Non pas tous, pourtant, car un seul échappa provisoirement au massacre ordonné par la plus cruelle nécessité.

On se demande sans doute pourquoi l'homonyme du grand Tartarin se servit de son tranche-lard et non pas de la carabine, et pourquoi on égorgeait comme des porcs et des moutons ces bons serviteurs, au lieu de les fusiller.

L'ordre du docteur était formel.

Comme on manquait de sang de phoque tout frais pour les scorbutiques et comme la condamnation des chiens allait faire couler une grande quantité de ce liquide plus précieux que la plupart des remèdes, il fut convenu que tous les malades sans exception, convalescents, gravement ou légèrement atteints, se gorgeraient de sang tout chaud.

Nul ne fit d'ailleurs d'observation, tant la fin terrible du pauvre Fritz, présente à tous les esprits, suffit à triompher des répugnances.

Plume-au-Vent, ancien capitaine des chiens, n'avait pu assister au massacre de ses subordonnés et amis, dont quelques-uns, on s'en souvient, étaient devenus de véritables chiens savants à une époque plus heureuse.

Il s'enfuit à travers la neige pour ne pas entendre les hurlements épouvantables des pauvres bêtes, et assister à l'agonie de ses favoris: Bélisaire, Cabos, Ramonat et Pompon.

Quand il revint, Dumas rouge comme un des exécuteurs de la Villette, venait de saisir Pompon qui, au lieu de résister, vagissait plaintivement, comme un enfant.

Le Parisien à cette vue ne put retenir une grosse larme et s'écria:

—Tonnerre de Dieu! je croyais le carnage fini!...

«Dumas... matelot... laisse-le aller... un moment... veux-tu?

—Eh!... Pécaïré! je ne demande pas mieux...

«Si tu savais comme ça me çavire de çouriner ces pauvres innocents...»

Pompon échappe à son bourreau, s'élance dans les bras du Parisien qui s'enfuit de nouveau, emportant l'animal épouvanté par le meurtre de ses congénères, et poursuivi par l'odeur de leur sang coagulé à sa fourrure.

Arrivé à une centaine de mètres du campement, Plume-au-Vent s'arrête au milieu de tourbillons de neige, dépose le chien sur le blanc tapis qui va s'épaississant, et dit à l'animal, comme s'il pouvait le comprendre:

—Tu sais, mon pauv' vieux, y a pus d'amis...

«T'as chapardé avec tes copains les vivres de campagne, et c'est un crime puni de mort.

«Y z'ont déjà sauté le pas... Si tu veux éviter qu'y t'en arrive autant, faut te cavaler, et raide!

«T'es malin comme un singe, débrouillard comme personne, la glace est ton pays... file!...

«Et surtout ne reviens jamais du côté de chez nous, si tu tiens pas à être boulotté.»

Il dit, embrasse Pompon sur son museau noir et luisant comme une truffe, étend le bras, et lui montrant d'un grand geste l'horizon saturé de neige, s'écrie:

—Allez!... Pompon... allez!...

Il dit: «Allez!... Pompon... allez!»

Contre toute prévision, l'animal, parti en hurlant lugubrement, n'était pas revenu à la date du 18 mai.

En revanche, ses congénères, dépouillés, vidés et exposés à la gelée, servaient à l'alimentation générale. Il n'est pas jusqu'à leurs intestins qui n'eussent été mis de côté, en prévision de disettes plus cruelles encore, où tout fait ventre, où l'homme abruti par la faim se repaît des substances les plus répugnantes et les plus incohérentes.

Ce moment est bien près d'arriver, car, en dépit du rationnement le plus sévère, de la parcimonie la plus minutieuse, les vivres touchent à leur fin.

Voici quel est d'ailleurs l'ordinaire des matelots tenus blottis sous l'abri fétide et suffoquant des iglous, ou huttes de neige.

Le matin, thé ou café sans sucre. Oûgiouk et les chiens s'en sont gavés et il n'en reste plus. Deux cents grammes par homme de viande de chien à moitié crue, et cinq centilitres d'eau-de-vie ou de rhum dans un quart d'eau chaude.

Ni biscuit, ni pemmican. Tout a été goulument dévoré.

A midi, deux cents grammes de chien bouilli pour donner l'illusion d'un potage, et un peu de graisse de phoque avalée toute chaude, avec une pincée de sel. C'est pour «faire du carbone», comme on disait jadis en plaisantant, et ménager la provision de spiritueux.

Le soir, deux cents grammes de chien—pour varier—café, plus cinq centilitres de rhum ou d'eau-de-vie, dans un quart de litre d'eau chaude.

On se couche après ce misérable repas et on dort comme l'on peut, la faim au ventre, avec un démenti formel au proverbe: «Qui dort dîne.»

Les chiens, affreusement maigres depuis le rationnement, ne pesaient plus qu'un poids dérisoire, à peine vingt kilogrammes avec la peau et les os. Tout au plus si l'on trouvait sur leur pauvre carcasse dix kilogrammes de chair nette.

Malgré toute l'économie possible, il en était dévoré plus d'un par jour.

Les plus affamés parmi les matelots, où il y avait de gros mangeurs, s'offraient un supplément de ration en avalant les boyaux dont l'odeur soulevait le cœur aux plus délicats.

Ajoutez la promiscuité avec des malades, l'entassement sous des huttes trop étroites, l'impossibilité presque absolue de renouveler l'air, et vous aurez à peine l'idée du sort des malheureux qui se tordent, la faim au ventre, sous la rafale.

Le 18 mai la tempête s'apaisa peu à peu. Mais l'ouragan a semé sur les vieilles glaces une telle quantité de neige, que les infortunés Français se trouvent bloqués sous leurs iglous sans savoir de quel côté se diriger, ni comment sortir de l'amoncellement sous lequel tout disparaît.

Du reste, où aller, que tenter, alors que la famine assiège le fétide logis, que les provisions sont épuisées, que les moyens de transport font absolument défaut.

Le 19, le 20, le 21 et le 22 mai se passent dans un état d'angoisse morne, de résignation hébétée qui des malades gagne les plus valides.

En dépit de tout, le capitaine espère encore. Non pas l'intervention d'un secours étranger, car il est impossible que des Esquimaux viennent en pareil lieu. Mais il compte sur l'arrivée prochaine, formelle, de la saison chaude qui permettra une rapide envolée des hommes en bonne santé vers les lieux où doivent se rencontrer les gibiers polaires.

Alors le ravitaillement sera possible, ainsi que la mise en marche de la chaloupe restée en détresse à une distance minime, on s'en souvient.

Le 23 mai, la température est encore à −10°, et la neige restée pulvérulente s'envole au moindre souffle d'air.

Le 24, trois hommes, échauffés par l'usage exclusif de la viande de chien, sont atteints de dysenterie.

Les scorbutiques ne vont ni mieux ni plus mal. Mais leur faiblesse est extrême.

Le 25, on partage le dernier chien! Le 26, on furète partout à la recherche des bribes qui traînent sur le sol des iglous. Rogatons de tripes, morceaux de tendons avalés sans mâcher, raclures d'os, etc...

Le 27, la température augmente brusquement. Le thermomètre est à −3°. La glace craque partout, la neige se prend et mollit. On boit des grogs et les plus affamés commencent à attaquer les peaux de chiens. Le poil est raclé avec un couteau, et la peau est mise dans le digesteur avec de l'eau. Le cuir, à peine ramolli par deux heures d'ébullition, est grignoté en lanières. Pour ménager l'alcool, on se résout bientôt à les manger crues.

Le 28 mai, température à 0°. Mais il n'y a plus ni thé ni café.

Le docteur distribue à chaque homme une cuillerée de glycérine après chaque «repas»!...

Le 29, on voit passer une mouette, et l'on entend pépier un vol de bruants des neiges.

Les peaux de chiens sont dévorées... Il y a encore les attelages en cuir de phoque...

Les hommes, épuisés par cette lutte sans merci contre l'atroce famine, peuvent à peine se mouvoir.

Pâles, hagards, les yeux flambants de fièvre, les lèvres violettes, fendillées, suintant le sang, on dirait autant de spectres... de damnés errant sur l'enfer de glaces.

Désespéré, le capitaine interroge l'horizon, cherchant de l'œil un vol de canards, la silhouette balourde d'un ours, la masse fruste d'un phoque s'ébattant sur la glace.

Le dégel continue. L'eau ruisselle de tous côtés. Les iglous vont être inhabitables.

Dumas, Plume-au-Vent et Itourria, les plus robustes de tous, partent en découverte et reviennent bredouille après une course de six heures.

Ils se restaurent avec la moitié d'un harnais!... une tige de botte, et deux cuillerées de glycérine.

—Bah! dit le Parisien, qui se tient à peine debout, on repiquera demain.

Le 30, au lieu de «repiquer», le pauvre garçon a la fièvre, Dumas aussi, et le camarade également.

Il n'y a plus un homme valide! Le docteur, par devoir professionnel, se traîne près des malades... Le capitaine se prodigue à tous, distribuant les derniers débris de choses sans nom qu'on avale machinalement, avec la gloutonnerie de la brute, et qu'il a eu l'héroïsme de ménager, au détriment de sa santé, peut-être de sa vie.

Le 31 mai, ceux qui ont encore conservé une lueur d'espoir perdent toute confiance. Les outranciers de cette lutte suprême sentent que tout est fini.

Ils se couchent avec une résignation farouche, et attendent intrépidement la mort, sans un mot de récrimination, sans une plainte.

XII

Bruit étrange.—Manqué!—Pompon.—Chien gras et matelots maigres.—Découverte stupéfiante.—Ce que le Parisien appelle une carrière à viande.—A quoi Pompon a employé ses loisirs.—Le premier pot-au-feu.—Enfouis dans les stratifications paléocrystiques.—Les stellères.—Espèce éteinte.—La dérive.—En vue du cap Tchéliouskine.—Ovations.—Gallia victrix!

Le 31 mai, le dégel continue avec intensité. Le thermomètre est à +2°. Le soleil est radieux, l'azur du ciel splendide. Les hommes, prostrés douloureusement sous les iglous suintants et près de s'effondrer, mâchonnent leurs fourrures et apparaissent tout hâves, la peau noirâtre, charbonnée, laissant deviner les os du squelette.

Les malades ne font plus que haleter, rongés de fièvre, et occupés machinalement à recueillir, avec leurs lèvres tuméfiées, l'eau douce qui suinte le long de la paroi de l'iglou.

Leurs souffrances paraissent infiniment moins vives que celles des plus valides terrassés en pleine vigueur par la famine.

Un souffle rauque, multiple, entrecoupé comme celui qu'on entend dans les ambulances ou les salles d'hôpital, et qu'un gémissement traverse parfois, emplit les huttes croulantes.

Pour quelques-uns, l'agonie va commencer.

... Est-ce une illusion, un de ces bruits factices produits par la fièvre?... Il semble au capitaine allongé la tête au soleil, au dehors de l'iglou, qu'il entend, au loin, comme un hurlement affaibli par l'éloignement.

Un fauve... peut-être un ours!

Il n'y a pas d'erreur possible. Le bruit se rapproche, accompagné d'un galop rendu perceptible par la sonorité de la glace.

Le capitaine affaibli, se soutenant à peine, se lève en trébuchant et crie d'une voix rauque:

—Alerte!... aux armes!...

Le hurlement retentit plus près encore et frappe l'oreille de Dumas, qui saisit sa carabine.

Le lieutenant Vasseur et le Parisien avec un des Basques s'arment aussi, galvanisés par l'approche de cet animal, qui vient s'offrir à leurs coups.

Et chose, étonnante, montrant quels prodigieux ressorts possède la machine humaine, combien aussi est puissante la réaction du moral sur le physique, ces hommes, qui tout à l'heure pouvaient à peine se tenir debout, s'élancent hors de l'iglou, l'arme en arrêt, prêts à faire feu.

Au lieu d'un ours, ils aperçoivent, courant éperdument, un quadrupède de moyenne taille, plutôt petit que gros, singulièrement agile, et d'une couleur brune qui tranche fortement sur la neige aux trois quarts fondue.

L'animal se dirige vers les iglous en continuant ses cris, comparables à ceux d'un chien courant qui donne de la voix sur une piste.

A deux cents mètres environ, Dumas ajuste et fait feu.

Pour la première fois l'infaillible tireur, exténué par l'effroyable jeûne et brisé par la fièvre, manque son but.

La balle frappe non loin de l'animal et fait voler un éclat de glace.

Le lieutenant met en joue à son tour et manque également la bête qui pousse un long hurlement, et accourt de plus belle, en dépit des balles qui sifflent près d'elle et des coups de feu qui retentissent.

Dumas recharge son arme en un clin d'œil et jure, furieux de sa maladresse.

Mais le Parisien, dont la figure prend en un moment une expression d'étonnement et de joie indicibles, relève la carabine et s'écrie:

—Pompon!... mon pauvre chien...

A ce mot proféré, par une voix bien connue, l'animal qui n'est plus qu'à une centaine de mètres s'élance, franchit en quelques bonds flaques et fondrières, accourt, jappant, éperdu, la langue pendante, fou de joie et se jette sur son ancien maître qu'il étouffe de caresses.

—Pompon!... mon toutou!... ma bonne bête, c'est donc toi, dit le jeune homme qui rit et pleure tout à la fois, pendant que le chien, jappant toujours, sautille de l'un à l'autre, puis retourne à son maître.

—Pécaïré! grogne Dumas attendri, quelle fichue idée il a eue de revenir, le pauvre...

«J'aurais mieux aimé un ours... Parce qu'un ours, il pèse huit cents kilos... et que ce mouçeron... il ne pèse pas cinquante livres...

«Et puis, ça va me çavirer de le tuer...

—Tuer Pompon!... jamais de la vie, s'écrie Plume-au-Vent indigné en saisissant le chien qui se blottit dans ses bras et lui lèche la figure.

—Il y a des malades qui agonisent, reprend doucement Dumas...

—Mais tu ne vois donc pas que Pompon est gras à lard...

—Oh! si... reprend le cuisinier d'un ton plein, de commisération.

«Trop gras, le pauvret!...

—S'il est si gras que ça, après nous avoir quittés depuis tantôt dix-sept jours, c'est qu'il a mangé.

—Cela me paraît juste, interrompt le lieutenant.

—Et s'il a mangé plus qu'à sa faim pour être en pareil état, reprend le Parisien, c'est qu'il a trouvé des vivres, ou qu'on lui en a donné.

Le capitaine s'est approché pendant ce rapide colloque, aussi vite que le lui permettaient ses jambes débilitées par un jeûne atroce.

—Tu as raison, garçon, dit-il à Plume-au-Vent.

«Et ton chien, guidé par son instinct et son amitié, n'est certainement pas revenu sans motif.

«Qui sait s'il ne nous apporte pas le salut!»

Cependant, le chien après avoir équitablement réparti ses caresses entre ses amis, pénètre dans les iglous, flaire les sacs, cherche, furette partout et ressort aussitôt.

—Il s'assure que personne ne manque à l'appel, continue Plume-au-Vent.

Sa ronde finie, le chien semble réfléchir, puis voyant que son maître ne lui donne pas une de ces petites friandises dont il était si généreux, même au temps de la plus dure détresse, prend son parti.

Il s'assied gravement sur son derrière, et pousse les deux ou trois cris qu'il lançait quand on lui demandait s'il avait faim.

—Ouap!... ouap!...

Puis après cette pantomime que le Parisien croit comprendre, l'intelligent animal enfile résolument la piste suivie pour venir aux iglous, et se retourne fréquemment pour voir si on l'accompagne.

—Lieutenant Vasseur, prenez avec vous Jean Itourria, Dumas et le Parisien, et suivez le chien...

—A vos ordres, capitaine, et puissions-nous revenir avec des secours.

«En route, camarades!

—Attendez encore un moment, reprend le capitaine qui, malgré sa prostration, conserve un sang-froid surprenant.

«Emmenez le dernier traîneau, et chargez-le avec une fourrure, un sac à dormir, vos armes, le digesteur qui nous est inutile faute de combustible, une hache, une scie et un couteau à glace.

«Chaussez vos bottes esquimaudes indispensables par ce temps de dégel, et partagez ce qui reste de tabac.

«Maintenant, une bonne poignée de main.

«Partez, mes amis, et n'oubliez pas que vous avez notre vie entre vos mains.»

Le chien qui précède la petite troupe, gambade et tient la tête. Il s'avance vers le Nord-Est, sans dévier d'une ligne et en suivant imperturbablement sa piste qui apparaît par place sur la neige à demi fondue.

Alors surtout les quatre compagnons constatent combien le capitaine a eu raison de leur faire emmener le traîneau qui ne pèse rien, ne retarde en aucune façon leur marche et transporte un matériel indispensable, sous le fardeau duquel eût succombé leur faiblesse.

La plus légère impulsion suffit à le faire avancer, car la voie est presque horizontale et assez praticable. Bien plus, quand l'un d'eux est fatigué, il peut, sans ajouter une surcharge notable, monter sur le traîneau, se reposer à l'aise, et récupérer de nouvelles forces.

Du Nord-Est, leur direction se modifie bientôt pour obliquer vers le Nord. Puis le chien, de plus en plus joyeux à mesure que le chemin parcouru augmente, se dirige franchement vers des collines de glace marquant le rebord occidental de la banquise paléocrystique.

Du reste, il n'y a pas d'erreur possible, tant les floebergs vert clair de la vieille muraille de glace tranchent avec les hummocks de formation plus récente, et presque incolores.

Les quatre compagnons marchent depuis six heures et n'avancent plus qu'au prix d'efforts surhumains.

—Courage! semble leur crier le chien qui hâte le pas, va en avant, revient en galopant et aboie comme pour les stimuler.

—Où diable! nous mène-t-il? ne cessent de répéter le lieutenant, le Basque et le Provençal.

—Là où il y a de quoi boulotter, soyez-en certains, répond invariablement le Parisien.

«Rappelez-vous comme il a eu tôt fait le tour de nos cabanes de neige, puis repiqué vers son mystérieux garde-manger, en voyant qu'il n'y avait rien à regratter chez nous.

«C'est un malin, que mon camarade Pompon.

Brusquement le chien qui vient de s'engager dans un sentier abrupt, impraticable au traîneau, disparaît entre des amas rocheux de glace bizarrement superposés.

Il revient bientôt tenant dans sa gueule un morceau d'une substance brunâtre, irrégulière, compacte, semblable à un copeau et dans laquelle sont profondément implantés ses crocs.

Plume-au-Vent s'empare de l'objet, en casse un fragment, sans difficulté, le porte à sa bouche, le croque, et s'écrie avec un intraduisible mouvement de stupeur comique:

—Mais cent douzaines de pétards de Brest... c'est de la viande gelée!...

—Pas possible!

—Goûtez plutôt, lieutenant, et toi aussi, cuisinier, et dis-moi si c'est pas là de la vraie bidoche, comme celle que nous conservions l'hiver.

—Ma parole, c'est vrai! s'écrie le lieutenant tout joyeux.

—Bon pour la marmite! opine gravement Dumas.

—Et même tout cru!... apprêté à la glace, renchérit le Basque, la joue dilatée par un morceau qu'il broie avec délices.

—Brave toutou! qui nous conduit à sa soute aux vivres! reprend Plume-au-Vent attendri.

Pompon, voyant le bon accueil fait par ses amis à ce premier morceau, est retourné. Ceux-ci lui emboîtent le pas et arrivent bientôt à une fissure profonde qui lézarde la base d'un floeberg colossal.

Le chien, occupé à gratter avec ses pattes la neige à demi fondue mêlée à la glace, retrouve une ouverture circulaire, large comme un tonneau, s'y engage, gratte de plus belle, et revient avec un nouveau bloc tellement gros qu'il peut à peine le traîner.

—Diable m'emporte! s'écrie joyeusement le Parisien, c'est une mine de viande, une carrière de Liebig... un Frigorifique à l'état de nature.

Le lieutenant, armé d'un couteau à glace, et Dumas d'une hache, découvrent le bord de la fissure, reconnaissent qu'elle s'étend sur un espace de plus de cent mètres, et que la même substance brune, cassante, à contexture de fibre musculaire, et surtout à saveur exquise de viande l'emplit sur une profondeur considérable.

Tout en travaillant, ils croquent à belles dents cette chair durcie par le froid, mais qui se ramollit très vite à la chaleur de la bouche et n'est pas coriace comme on pourrait le croire.

—Si nous faisions cuire un pot-au-feu, propose le Parisien la bouche pleine.

—Pas d'alcool! interrompit Dumas qui mastique avec fureur.

—Mais il y a là des tonnes de graisse! qui empêche d'alimenter la lampe avec cette graisse dans laquelle il n'y a qu'à planter, en guise de mèche, quelques pincées du poil de nos fourrures?

—Faites bouillir le pot-au-feu si bon vous semble, dit le lieutenant, mais chargeons au plus vite le traîneau, et retournons en hâte là-bas, près des camarades qui meurent de faim.

—Une idée, lieutenant, propose le Parisien.

«Comme nous voici déjà retapés à peu près, surtout quand nous aurons siroté chacun un quart de cette belle huile qui commence à couler, si nous mettions le pot-au-feu sur le traîneau, de façon à procurer en arrivant aux camarades la soupe et la bidoche toutes chaudes et prêtes à être boulottées.

—Adopté! répond l'officier qui empile sur le traîneau des blocs de viande et de suif concrétés.»

La restauration des hommes, le chargement du véhicule n'ont pas duré une heure.

Le lieutenant demande aux marins s'ils se sentent assez forts pour retourner au campement sans prendre de repos.

Fatigués!... Allons donc!... ils sont bien repus, la carrière de viande leur semble inépuisable, la joie d'une semblable trouvaille, l'intervention merveilleuse de Pompon, tout cela, comme le dit le Parisien, leur a si bien remis le cœur à l'épaule qu'ils ne demandent qu'à partir.

Les voici bientôt en route, poussant vivement le traîneau chargé à en craquer de viande glacée, et sur lequel trône, comme une divinité, le digesteur chauffé à la graisse et embaumant le pot-au-feu.

Les voici en route poussant le traîneau...

Tout en cheminant, ils cassent un morceau de chair, le sucent et le grignotent avec la sensualité de gens qui vivent depuis si longtemps avec la fringale au ventre, et se livrent aux commentaires les plus extravagants sur l'origine de cette trouvaille en elle-même invraisemblable.

Ils arrivent aux iglous après une course ininterrompue de douze heures, époumonnés, trempés de sueur, à bout de force, mais radieux comme il convient à des hommes apportant le salut à des frères d'infortune.

Il est temps, d'ailleurs, grand temps. Quelques heures plus tard, de nouveaux et cruels vides creusaient les rangs de l'équipage.

Les malades n'ont plus que le souffle, et quelques-uns, parmi ceux que le scorbut n'a pas atteints, délirent.

La faim est une maladie qui, fort heureusement, guérit très vite, et son unique remède opère instantanément.

Le Parisien a émis une idée vraiment triomphante, en profitant du retour pour faire bouillir le digesteur plein de viande et de neige.

Le potage n'a ni sel ni condiments, mais il embaume l'osmazôme, comme l'affirme le docteur en humant le bouillon dont la saveur délicieuse emplit les huttes.

Ainsi qu'il arrive toujours en pareil cas, les affamés réclament les aliments avec une avidité qui leur serait fatale si on leur obéissait.

Mais le docteur, qui, lui aussi, renaît à la vie, réglemente la distribution, afin de ne pas surcharger ces estomacs débilités par un long jeûne, et empêcher des congestions mortelles.

Au potage dosé convenablement, succède la viande administrée par rations successives; puis un sommeil bienfaisant, accompagné d'un peu de moiteur, engourdit pour quelques heures et les affamés et leur pourvoyeurs éreintés.

Quelques abois retentissants éveillent l'équipage. Pompon est là, triomphateur modeste et affectueux, réclamant pour le service rendu à ses maîtres une simple caresse, un mot d'amitié.

Jusqu'alors, nul n'a compris, dans l'incohérence de la fièvre et la souffrance atroce de la faim, comment et pourquoi le lieutenant Vasseur, Jean Itourria, Dumas et Plume-au-Vent, partis aux trois quarts morts, avec Pompon pour guide, revenaient avec vingt-cinq litres de bouillon, dix livres de viande cuite, et cent cinquante kilos de chair conservée par le froid.

On a avalé comme des animaux qui se repaissent, sans même entendre les explications de Plume-au-Vent, l'incorrigible bavard qui parle de viande fossile, de mine de viande, et embrouille la question au point de la rendre absolument incompréhensible.

Le lieutenant, plus ferré en manœuvre qu'en histoire naturelle, constate simplement le résultat, et affirme qu'il y a là-bas, dans l'épaisseur de la banquise, de la viande glacée pour nourrir un millier d'hommes pendant un an.

Le capitaine et le docteur, trop faibles encore pour examiner les échantillons rapportés, se contentent de sourire aux propos inouïs tenus par le Parisien aux matelots, notamment à Nick dit Bigorneau, Courapied dit Marche-à-Terre et Constant Guignard.

Grâce à l'instinct et à l'attachement de Pompon, l'abondance est revenue au misérable logis. L'expédition est abondamment pourvue de viande et de graisse; avec cela, on vit confortablement.

Quant au pourquoi et au comment de ce prodige, peut-être pourra-t-on l'expliquer scientifiquement aussitôt qu'on aura rallié la mine de viande.

Trente-six heures après, tout le monde était sur pied, même les scorbutiques.

Par un temps superbe, une température de +2° qui semble un printemps à des gens ayant supporté −50°, il fait bon cheminer sur une glace à peu près unie, vers la mystérieuse réserve que les propos des quatre visiteurs représentent comme inépuisable.

Les iglous, ou plutôt les ruines croulantes et ruisselantes indiquant à peine la place où fut le campement, sont définitivement abandonnés et, l'équipage tout entier s'avance, précédé de Pompon, tout fier de ses attributions de guide.

Les moins vigoureux sont couchés dans l'embarcation hissée sur le traîneau. Les plus solides poussent le véhicule qui glisse au milieu des flaques et sur les résidus de neige en fusion.

Un peu de gaîté semble revenue aux pauvres matelots si rudement éprouvés, car la famine est vaincue et l'espérance d'un lendemain assuré fait éclore comme un vague sourire sur ces visages que l'horrible scorbut et les tortures de la faim ont rendus méconnaissables.

De vrais squelettes ambulants, avec leur peau jaunâtre, parcheminée, collée aux os, leurs nez pincés, exsangues, et leurs bouches encore contractées par un rictus d'agonie.

N'étaient leurs yeux aux paupières flétries, charbonnées, luisant comme des escarboucles au fond des orbites, on dirait une procession macabre de fantômes d'explorateurs polaires, de damnés errant sans trêve à travers l'enfer de glace.

Le traîneau poussé d'une part, tiraillé de l'autre avec des ceintures de flanelle en guise de bricole,—les harnais en cuir de phoque ont été dévorés—avance cahin-caha, sans trop d'embardées, avec son chargement.

Une halte réparatrice de deux heures, un morceau de viande à moitié cuite, un quart de bouillon, et, friandise fort appréciée, une vaste lampée de graisse à l'état d'huile, amènent sur toutes ces faces de carême une expression de joyeuse humeur.

Il suffit de dix heures pour conduire, avec le traîneau, le matériel et les malades au colossal et mystérieux garde-manger dénommé par le Parisien la «carrière à viande».

Une nouvelle et plus complète inspection prouve que non seulement les premiers visiteurs n'ont pas exagéré la richesse de cet étrange gisement, mais encore que leur évaluation est bien au-dessous de la vérité. Deux ou trois lézardes, longues de cent mètres au moins, s'étendent à la base de plusieurs collines paléocrystiques, et s'enfoncent, à des profondeurs insondables, comme certains filons de tel ou tel minerai.

Il y a là de quoi subvenir au besoin d'une armée, tant est prodigieusement innombrable cet entassement de cadavres d'animaux empilés et gelés à fond, depuis une époque impossible à déterminer.

L'essentiel est qu'ils sont, grâce au froid, cet incomparable embaumeur, dans un état de conservation absolue, et qu'ils possèdent, comme au premier jour, toutes leurs qualités nutritives, toute leur saveur.

La tente ayant été emportée par la tempête, le capitaine fait creuser, à l'abri du vent du midi, et en pleine glace, une caverne spacieuse où les hommes, grâce à leurs fourrures et à leurs sacs à dormir, seront à merveille.

La mine de viande est à deux pas, il suffit de se baisser et d'en prendre à satiété.

Le docteur, de plus en plus intrigué à mesure que les forces lui reviennent grâce à l'ingestion de cette chair savoureuse, cherche avec la curiosité d'un savant, et la ténacité d'un homme obsédé bientôt de loisirs, le mot de cette énigme, et trouve enfin une solution à peu près satisfaisante.

D'abord, la détermination des animaux. Ils appartiennent tous à la même espèce, et, chose curieuse, à une espèce disparue depuis plus de soixante-dix ans.

Leur système dentaire fournit de prime abord une indication très précieuse, en ce sens qu'il est particulier à un animal très bien étudié en 1751 par le fameux naturaliste allemand Steller.

Les mâchoires, examinées par le docteur, portent seulement quatre dents, d'énormes molaires disposées deux en bas et deux en haut, avec une couronne très large, aplatie, sillonnée sur la table, de lames d'émail formant zigzags et chevrons brisés, comme les rainures d'une meule.

Ce système dentaire et l'épiderme réellement extraordinaire de ces bêtes lui font reconnaître le Stellère, appelé aussi Rhytina borealis, Manatus Stellerii, Stellerus borealis, etc., mammifère de l'ordre des cétacés, famille des herbivores.

L'épiderme est une sorte d'écorce rugueuse, épaisse de trois centimètres, composée de fibres et de tubes perpendiculaires à la peau et d'une extrême dureté.

Les stellères, dont les dimensions atteignent de trois mètres et demi à quatre mètres, pèsent environ trois mille kilogrammes, et portent des moustaches blanches de poils rigides longs de quinze à vingt centimètres.

Steller, qui les découvrit aux environs du Kamtchatka, assure qu'ils sont absolument inoffensifs, que leur chair est savoureuse et leur capture facile. Toutes choses suffisantes pour les rendre l'objet d'une poursuite acharnée, et produire leur anéantissement. De telle façon que, comme il a été dit ci-dessus, il n'en a pas été rencontré un seul depuis soixante-dix ans.

... D'où viennent ces centaines, ces milliers de cadavres de cétacés, empilés en un banc compact sous les assises de la vieille banquise paléocrystique! Quel cataclysme les a pris en pleine vie pour les rouler ainsi en troupe innombrable, les asphyxier en masse, les geler à fond dans leur fosse gigantesque et les ensevelir sous des milliers de quintaux de glace!

Pendant combien d'années, peut-être de siècles, l'indestructible banquise a-t-elle ainsi entraîné dans sa masse et fait errer au hasard des vents ou des courants ces gisements prodigieux, jusqu'au jour où la tempête les mit partiellement à découvert, et où l'instinct d'un chien famélique sut en tirer parti!

Autant demander comment et depuis combien de temps est mort le mammouth découvert en 1804 aux bouches de la Léna, et dont les Yakoutes, avec leurs chiens, dévorèrent les débris pendant deux ans!

Bien abrités dans la caverne de glace qui leur procure une habitation convenable, bien repus de viande et de graisse qui leur fournissent un aliment complet, satisfaits des explications et des hypothèses par lesquelles le docteur s'emploie à satisfaire leur curiosité, heureux de renaître chaque jour à la vie, quoique privés cependant de choses bien indispensables, les membres de l'expédition française voient l'été venir et attendent avec lui une débâcle possible.

Du reste, la perspective d'un second hivernage ne les effraierait pas outre mesure, puisque avec le couvert ils possèdent une surabondance de vivres telle qu'une ville entière pourrait s'alimenter au gisement des stellères.

Mais la vieille Isis polaire, après leur avoir fait payer assez cher la violation de son empire, en a décidé autrement.

La tempête qui a lézardé les collines de glace ou sont enfouis et conservés les cétacés, a détaché probablement de la banquise un fragment énorme sur lequel se trouvent les matelots et leur colossal approvisionnement.

Le capitaine s'en aperçoit à une particularité qui le comble de joie. La lourde carapace de glace, qui jadis décrivait un lent mouvement giratoire autour du Pôle, se met à dériver infiniment plus vite dans une direction presque rectiligne.

Elle descend vers les terres moscovites avec une rapidité atteignant et dépassant parfois celle de douze et quinze kilomètres par vingt-quatre heures.

... Trois lieues à trois lieues et demi, c'est peu sans doute. Mais cette singulière translation ayant duré pendant les mois de juin, juillet, août et septembre sans interruption, des terres apparurent enfin aux yeux des Français qui, sans se mouvoir, avaient ainsi parcouru environ treize à quatorze cents kilomètres.

Ces terres étaient celles du cap Tchéliouskine, situé par 77° 30′ de latitude Nord, et 102° 30′ de longitude Est.

Mais ce n'était pas tout de voir et même de toucher le sol russe. Le cap Tchéliouskine est éloigné, à vol d'oiseau, d'environ quatre-vingt-dix degrés de Pétersbourg, soit dix mille kilomètres ou deux mille cinq cents lieues! vingt-quatre degrés au moins, c'est-à-dire deux mille six cents kilomètres le séparent d'Irkoustk, chef-lieu du gouvernement de la Sibérie orientale.

Et l'hiver, en octobre, arrive à grands pas, sous cette latitude.

Seront-ils forcés de passer encore de longs mois sur le sol glacé de la toundra sibérienne, en attendant le printemps prochain. Devront-ils endurer un froid non moins rigoureux que celui du Pôle sur ces terres aussi désertes et désolées que celles où agonisèrent les compagnons de Greely, et succombèrent, hélas! ceux du capitaine de Long!

Leur bonne étoile leur fit apercevoir de loin une troupe d'hommes occupés à pêcher les phoques, assez nombreux dans une petite anse bien abritée contre les vents du large.

Ils abandonnèrent aussitôt l'immense glaçon flottant qu'une course aussi longue, sous le pâle soleil boréal, n'avait pas sensiblement diminué. Ils s'embarquèrent dans la chaloupe conservée précieusement sous un abri de glace, et abordèrent près des hommes stupéfaits.

C'étaient des pêcheurs Toungouses qui s'approvisionnaient pour la saison froide, et se préparaient à aller hiverner dans l'intérieur des terres, au village ou ostrog de Tagaïska, distant de quelque cinq cents kilomètres.

Les Toungouses leur offrirent la plus généreuse hospitalité, les pourvurent abondamment et, quand la saison du traînage fut arrivée, les emmenèrent avec eux à l'Ostrog.

A Tagaïska, situé au centre de la presqu'île de Taïmyr, le capitaine d'Ambrieux trouva, malgré l'effroyable désolation du lieu, des traîneaux, des chiens et des conducteurs.

Il put faire conduire son équipage à Schdanowski, sur la rivière Katanga, où il y a, jusqu'à l'hiver, un petit poste de cosaques commandé par un officier.

L'officier était à la veille de partir avec ses hommes pour la ville de Touroukansk, une misérable bourgade comptant à peine cinq cents habitants, et située sur l'Yenisseï, à neuf cents kilomètres environ de Schdanowski.

A Touroukansk commence la civilisation. Il y a quelques employés chargés d'administrer un district trois fois grand comme la France et peuplé de deux mille cinq cents habitants, la plupart Toungouses, Samoyèdes, Ostiaks et Yakoutes.

Mais la ville est du moins reliée tant bien que mal, plutôt mal que bien, à Yenisseï et à Krasnoïarsk par une route, ou plutôt une vague piste côtoyant la rive gauche du fleuve.

Ils s'arrêtèrent à peine à Touroukansk et arrivèrent, fin novembre, et par un froid terrible, à Krasnoïarsk qui communique télégraphiquement avec Pétersbourg et où passe la grande route, on pourrait dire l'unique route sibérienne, la Vladimirka.

Informé de leur arrivée, le gouvernement moscovite s'empressa de mettre à la disposition du capitaine un crédit considérable et les moyens de transport les plus rapides et les plus confortables.

Le 5 janvier 1889, l'équipage de la Gallia et son commandant arrivaient à Pétersbourg au milieu d'un enthousiasme indescriptible.

On était alors en pleine réaction anti-allemande; des bruits de guerre circulaient, et chacun parmi les sujets du Tzar était heureux de cette première et pacifique victoire d'un Français sur l'ennemi commun.

Aussi, les fêtes données aux conquérants du pôle Nord eurent-elles un éclat d'autant plus vif, que les Russes, ces incomparables metteurs en scène, faisaient de ce grand événement scientifique une affaire de nationalité. Ils trouvaient là une occasion de manifester leurs sentiments et certes, jamais depuis longtemps, démonstration ne fut plus flatteuse ni plus spontanée, ni plus complète.

On se souvient, à ce propos, de Sériakoff, ce voyageur russe, qui, au début de ce récit, fut jusqu'à un certain point la cause occasionnelle de l'expédition polaire.

Apprenant par les journaux l'arrivée des explorateurs français à Pétersbourg, il accourt, saute au cou du capitaine avec l'exubérance de son tempérament slave et s'écrie, tout d'une haleine:

—Victoire, mon cher d'Ambrieux!... Victoire sur toute la ligne.

«Victoire sur toute la ligne!...» s'écrie Sériakoff

«J'arrive de Londres... votre succès inouï, renversant, inespéré, a mis les cervelles à l'envers.

«Les Anglais sont enthousiasmés, et Dieu sait si John Bull a l'enthousiasme facile, pour ce qui n'est pas anglais.

«Mais, voilà! on se souvient que le projet de découvrir le Pôle est éclos là-bas, et on s'en fait gloire...

«Du reste, vous y avez des amis... de vrais gentlemen qui sont ravis sans la moindre arrière-pensée.

«... Bref! vous êtes le héros du jour... tant et si bien que la Société royale vous désigne d'emblée pour son lauréat!

«Oui, mon cher, il faut vous résoudre au rôle de triomphateur... en Angleterre, sans compter les ovations que vous recevrez dans votre patrie.

«J'ajouterai même, en homme bien informé, que par une attention, ma foi très délicate, la Société doit vous offrir une médaille commémorative dont l'exécution est déjà confiée au plus habile artiste du royaume...

«Et c'est très bien... Mais ce qui est mieux encore, ce sont les deux mots qu'elle portera en exergue... deux mots qui, tout en consacrant la victoire d'aujourd'hui, sont, je le souhaite ardemment, un pronostic pour l'avenir...

—Et ces mots sont?... demande enfin le capitaine qui jusqu'alors n'a pu placer une parole.

—... Gallia Victrix!...

NOTES:

[1] Ambiorix, roi des Gaulois Eburons, après avoir en plusieurs rencontres défait les lieutenants de César, Sabinus et Cotta, fut à son tour vaincu par César. Après une résistance désespérée, il se réfugia dans la forêt des Ardennes.

[2] Le colonibestyrere, dont le nom signifie à peu près pilote de colonie, est le gouverneur du district. De Julianeshaab jusqu'à Upernavik, le dernier point où l'on rencontre encore des civilisés, on compte dix districts, administrés chacun par leur colonibestyrere nommé par le gouvernement métropolitain.

[3] Le nom de Julianeshaab, signifie: Julie-Espérance. La triste bourgade, fondée il y a environ cent vingt-cinq ans, reçut ce nom en l'honneur de la reine de Danemarck, si bienfaisante à ses pauvres colons d'Amérique.

[4] C'est du reste un fait observé fréquemment sur les paquebots faisant la traversée d'Amérique. Par le travers de Terre-Neuve, les mâts sortent à moitié du brouillard, pendant que la partie inférieure du navire demeure invisible.

[5] Le vaillant officier, aujourd'hui général, fut un des rares survivants. Des dix-neuf hommes que comptait la mission au départ, treize périrent après d'effroyables privations.

[6] Combustible fossile analogue à la houille, mais de formation postérieure au terrain houiller.

[7] A la fonderie de Ruelle, on commande électriquement à distance des machines-outils, perceuses.

[8] Voir la description au chapitre II de la première partie.

[9] Viande séchée réduite en farine et incorporée à de la graisse.

[10] Il n'est pas rare de voir des cubes atteignant parfois mille, quinze cents et deux mille mètres de côté.

[11] Ce sont des ancres de moindres dimensions que celles de bossoir ou de veille. On les transporte dans des chaloupes et on les mouille au lieu indiqué pour procurer un point fixe sur lequel un navire peut se haler, se touer ou éviter.

[12] Le lieutenant Tyson écrit textuellement: «J'affirme que les phoques aiment la musique et restent volontiers sans bouger pour entendre une voix ou un son qui leur plaît...»

[13] J'emprunte à M. Charles Rabot, l'éminent explorateur des régions arctiques, cette citation qui affirme l'opinion que j'ai exprimée jadis après le désastre de la Jeannette. Je suis heureux de m'être rencontré avec notre vaillant compatriote, dont les beaux travaux et la haute compétence sont justement admirés et appréciés. L. B.

TABLE DES MATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE

LA ROUTE DU POLE

I
Congrès international.—Entre géographes.—A propos des explorations polaires.—Russe, Anglais, Allemand et Français.—Grands voyages et grands voyageurs.—Un patriote.—Défi.—Lutte pacifique.—Pour la patrie!
 
II
Avant l'appareillage.—Le capitaine d'Ambrieux.—Pour la patrie!—Un brave.—Descendant des Gaulois.—Construction de la Gallia.—Equipement d'un navire.—Matériel que comporte une expédition polaire.—Soins minutieux donnés à l'approvisionnement et à l'habillement.—Equipage bigarré mais irréprochable.—Tous Français.—Instant solennel.—Départ.
 
III
Le premier iceberg.—Enthousiasme du docteur pour les terres boréales.—Plume-au-Vent apprend ce que c'est que le Pôle.—Constant Guignard craint de ne pas trouver le cercle polaire.—A travers la brume.—Première escale.—Un pilote comme on en voit peu.—Julianeshaab.
 
IV
Faux dégel.—A propos de bottes.—Course de chiens.—Superbe culbute.—Le fouet groenlandais.—Six lieues à l'heure.—Comment on coupe une oreille.—Maître à bord.—Le capitaine des chiens.—Glaces partout.—La gaieté ne se dément pas.—Pilote des glaces.—Pack.—Floe.—La Glace du Milieu et les Eaux du Nord.—Le passage septentrional.—Alerte.
 
V
Chute d'une montagne de glace.—Broyé ou submergé.—Un homme à la mer!—Héroïsme joyeux.—La récompense d'un brave.—Possessions danoises.—A travers la brume.—Dans le «Nid de Pie».—Regrets d'un pêcheur de baleines.—Toujours en avant!—Le comble de la misère humaine.—Près de pénétrer dans le cimetière des navires.
 
VI
Dans la passe.—Route barrée.—En avant!—Premier assaut.—Victoire.—Désespoir d'un Vatel arctique.—Un homme dans la sauce.—Pas de déjeuner.—Plume-au-Vent voudrait faire baigner Dumas, dit Tartarin, dans la marmite de l'équipage.—Les deux principales routes du Pôle.—Pourquoi la Gallia a pris celle du détroit de Smith.—Contradictions.
 
VII
La goélette arrêtée par les glaces.—Une idée du capitaine.—Beaucoup d'efforts et un peu de dynamite.—Formidable explosion.—Voie libre.—Est-ce un homme, est-ce un ours?—Trois ours et un homme.—Poursuite.—Manqué!—Où le docteur trouve son maître et n'est pas jaloux.—Les exploits d'un cuisinier.—Digne de son illustre homonyme le grand Tartarin.—Montagne de viande fraîche.
 
VIII
Histoire d'Oûgiouk.—Comment on déshabille un ours polaire.—Capacité d'un estomac groenlandais.—Un amateur de tripes.—Symphonie de blanc et de bleu.—La tempête.—Déviations de la boussole.—A Port-Foulque.—Forêts en miniature.—A terre.—Tentative malheureuse d'un cocher improvisé.—Des effets d'une morue sèche sur un attelage récalcitrant.—Un ours blessé.
 
IX
Plaie ancienne.—Le projectile.—Emotion du capitaine en reconnaissant une balle de fusil Mauser.—Fantaisie gastronomique.—Ingestion d'un gilet de flanelle.—Marque en caractères allemands.—Départ précipité.—Difficiles manœuvres.—Fatigues surhumaines.—Les docks provisoires.—Les gaietés d'un équipage courbaturé.—Venise est le pays des glaces.—Dans le canal de Kennedy.—Un pavillon flotte sur Fort-Conger!
 
X
L'expédition Greely.—Déplorable parcimonie.—Seuls.—Pavillon allemand.—Le salut.—Gaule et Germanie.—Le capitaine Vogel.—Pourquoi la Germania est en avance d'une année.—Savants et industriels.—Exploration et pêche à la baleine.—En enfants perdus.—Toujours en avant!—Approvisionnement de charbon.—Traces du passage de Pregel.—Pourquoi la Gallia oblique vers l'Est.—Le tombeau du capitaine Hall.
 
XI
Au point où jamais vaisseau n'est parvenu.—La mer Paléocrystique de sir Georges Nares.—Conclusions prématurées.—Vérité aujourd'hui, erreur demain.—La mer des vieilles glaces n'existe plus.—Le second pack.—La goélette arrêtée par la banquise.—En traîneau.—Pour transporter les provisions, mais non les hommes.—Bain qui eût pu être mortel.—Quitte pour la peur.—Hygiène arctique.
 
XII
Histoire du Normand qui fait porter à ses moutons des lunettes vertes.—Après six jours de marche.—Les traces du lieutenant Lockwood.—Document allemand.—Encore Pregel.—Pour une avance de deux cents mètres.—La voie du retour.—Pas de passage!—Aboiements dans le lointain.—Halt!... wer-da!...—La Germania.—La fête du 14 juillet sur la banquise.—Comment Plume-au-Vent perdit des illusions et gagna un sobriquet.

DEUXIÈME PARTIE

L'HIVERNAGE AU PAYS DU FROID

I
Lumière sans chaleur.—Comment le capitaine veut couper la banquise.—La scie.—Une découverte française.—Transport des forces par l'électricité.—La réversibilité des machines dynamo-électriques.—Organisation de l'appareil.—Les quinze premiers mètres.—En conseil.—Encore la dynamite.—Rudes labeurs.—Fureur d'un Alsacien.—Deux intrus.—Proposition des officiers de la Germania.—Refus formel.
 
II
L'équipage français furieux de tirer les marrons du feu.—Sans-gêne allemand.—Ruse de guerre.—Pris au piège.—Abaissement de la température.—Pronostics fâcheux d'un hiver précoce.—Engelures.—Remède primitif et infaillible.—Expédition de chasse.—Meute sauvage.—Massacre.—Les bœufs musqués.—Moutons géants.—La curée chaude.—Abondance de vivres frais.—Heureux retour.
 
III
Prisonniers dans les glaces.—Approches de l'hiver polaire.—Bombardement pacifique.—Falaise de glace.—Aménagement intérieur.—Programme d'existence.—L'ordinaire des hivernants.—Comment s'entretient la chaleur animale.—Faisons du carbone.—Aliments respiratoires.—Ne jamais absorber de neige.—Première étoile.—Que sera l'hiver 1887?—Menaces.—La tempête.—En péril.—Attente passive.
 
IV
Après la tempête.—Mystère.—Le pack dérive.—Constant Guignard perd de l'argent.—Alarmes.—Il faut distraire les hivernants.—Un peu de météorologie.—Halos, parhélies et parasélènes.—A propos de l'arc-en-ciel.—Meute en liberté.—Promenade quotidienne.—Ce que le Parisien entend par faire: «Iapp!... iapp!...»—La patrouille.—Chiens savants
 
V
Encore et toujours la dérive.—Comment Plume-au-Vent interprète l'histoire.—Imprudence.—Congestion.—Constant Guignard perd son nez, mais retrouve sa prime.—Surveillez vos nez!—Effet du froid sur les verres de lunettes.—La corvée de glace et le tonneau du porteur d'eau.—Le garde-manger en plein air.—Solitude.—Alertes.—Quitte pour la peur.—Nouvelles incartades du pack.
 
VI
Effets du froid.—Son action déprimante sur les hommes.—Debout au quart.—Célébration du jour de l'an.—Un programme séduisant.—Représentation de jour donnée pendant la nuit.—Ne pas confondre midi avec minuit.—Assaut d'armes.—Guignard et son Sosie.—Chiens savants.—Boniment.—Les prouesses de Dumas.—Les Deux Aveugles.—Succès inouï.—La Vieille-Alsace.—Espérance.
 
VII
Inaction forcée.—Brûlure par congélation.—Le plus grand froid de l'année.—Souffrances des chiens.—La maladie groenlandaise.—Premières victimes.—Courant circulaire.—La goélette revenue à son point de départ.—Aurores boréales.—Observations tirées de leur apparition.—Les crépuscules polaires.—Retour du soleil.—Phénomène de réfraction.—Premières tempêtes.—Nouveaux périls.—Situation critique de la Gallia.
 
VIII
Fractionnement des vivres. Trois dépôts sur le pack.—En prévision d'un désastre.—Abnégation.—Temps affreux.—A propos d'un ours blessé.—Allemands et Français.—Collision évitée.—La retraite!—Bredouilles.—Encore l'ouragan.—Transes mortelles.—Agonie d'un navire.—Chute d'un mât.—Sauvée!—Signal involontaire.—Désastre.—Commencement de débâcle.—Perte de la Germania.
 
IX
Sombres pronostics.—Premiers oiseaux.—Constant Guignard la perle des factionnaires.—Epître, à la pointe d'une baïonnette.—Poulet non comestible.—Entrevue.—Les deux rivaux en présence.—Proposition inattendue.—Meinherr Pregel ne dégèle pas.—Où l'Allemand parle d'affaires et le Français d'honneur.—Entre gens qui ne se comprennent pas.—Le bout de l'oreille.—Moment psychologique.—Les marins ont une tradition.—Fière réplique.
 
X
Logique allemande.—Quelques petits mensonges diplomatiques.—Indignation généreuse du maître d'équipage.—Energique résolution.—Derniers préparatifs.—Suprême ressource.—La flottille halée sur les glaces.—Devant les eaux libres.—Pillards.—Lugubre besogne.—Occlusion des panneaux.—Dernier salut.—Pavillon cloué au grand mât.—Encore un regard.—L'explosion.

TROISIÈME PARTIE

L'ENFER DE GLACE

I
Ce que devient une goutte de rosée.—Rupture d'un glacier.—Comment se forment les icebergs.—Le cap vers le Nord.—La route quand même!—Une rue d'eau à travers la banquise.—Par 84° de latitude.—Tout va bien, très bien, trop bien.—Terre en vue.—Les pôles du froid.—Pourquoi l'hypothèse d'une température moins rude et peut-être d'une mer libre.—Guénic, très intrigué d'apprendre qu'il y a quatre pôles dans l'hémisphère Nord.
 
II
Complexité de la question polaire.—A travers les canaux.—Ni entièrement libre, ni tout à fait captive.—Douceur de la température.—Conquête d'un degré.—Par 84° 3′ Nord.—Ecueil par l'avant!—Abordage.—L'écueil est de chair et d'os.—Bataille contre une troupe de morses.—Péril imminent.—Plus de peur que de mal.—Capture.—Deux grands chefs.
 
III
Vers la mystérieuse Polynnie.—Signes de printemps.—Les oiseaux arctiques font leur apparition.—Soupe au lait!—Par 87° de latitude Nord!—Quelques nuages dans un beau ciel.—Fâcheux pronostics.—En quête d'un abri.—Le halo.—Tempête.—Vent du Sud, vent de glace.—Pourquoi les oiseaux remontaient vers le Nord.—Bloqués sous la neige.—Reprise de l'hiver.—Froids terribles.—Après quatre heures d'angoisses.—La mer gelée à l'horizon.
 
IV
A propos des traîneaux.—Remorquage par les hommes ou par les chiens.—Avantages et inconvénients.—Costume de travail.—Le Parisien se compare à un hanneton englué dans du goudron.—Traction mixte.—Hommes et chiens attelés simultanément.—Et la chaloupe?—Départ des numéros 1, 2 et 3.—Comment on se sert d'une ancre à jet.—«Qui veut aller loin ménage sa monture.»
 
V
Le mercure encore gelé!—Imprudence.—Tourment de la soif.—Ingestion de neige.—Fureur du second.—L'existence d'un cuisinier polaire.—Préparation du dîner.—La halte.—«Un pot trop guetté ne bout jamais.»—Mélanges incohérents.—Au pays des rêves.—Sous la tente.—Réveil.—Maux de gorge.—Ophtalmies légères.—Encore les lunettes vertes.—A 87° 30′ du pôle
 
VI
Fatale imprudence.—Conséquences très alarmantes.—Nouvelle et plus grave maladie du mécanicien Fritz.—Le scorbut!—Terribles pronostics. —Emotion.—Malades d'ophtalmie.—Energie.—Encore une victime de scorbut.—Nick prédisposé.—Nouvel ouragan de neige.—La configuration des glaces.—Modifications importantes.—Nouvelles chaînes de hummocks.—Horizon menaçant.
 
VII
A l'affût.—Mort d'un phoque.—Saignée.—Remède au scorbut.—Deux nouveaux malades.—Hypothèse au sujet des glaces polaires.—Voie presque impraticable.—L'état de Fritz empire.—Agonie et mort d'un patriote.—Funérailles.—Suprême résolution.—Il faut se séparer.—Matériel plus léger.—L'expédition définitive.—Choix de ceux qui doivent y participer.—Départ.
 
VIII
Recommandations dernières, puis séparation.—Rude voyage.—Splendeurs inutiles.—Toujours la ligne courbe.—Tours de force d'acrobates.—Submergés dans la neige.—Une épave au loin.—Un cairn par 89°.—Angoisses.—Document allemand.—Traces de l'expédition anglaise du commandant Nares.—L'écrit du lieutenant Markham.—La dérive de la mer Paléocrystique.—Subite élévation de température
 
IX
Le froid diminue.—Encore un obstacle vaincu.—Nouveau souvenir au pays du soleil.—La mer!... La mer!...—Le traîneau est à son tour porté.—En bateau.—A quinze heures du Pôle.—Entrain magnifique.—Coup de sonde.—Stupéfaction.—Un fond de vingt-cinq mètres.—Brusquement le fond tombe à deux cents mètres.—Les idées du Basque Michel.—Tout dérive, le bateau, les glaces, la mer elle-même.
 
X
1er mai 1888.—Ecueil.—Au pôle Nord.—L'unique manifestation de la vie organique est un cadavre de baleine.—Vaines recherches.—Où déposer le procès-verbal de découverte?—Quelle preuve donner, plus tard!—La «nuit» au Pôle.—Immobilité des êtres et des choses.—A propos de la rotation terrestre.—Le jour et la nuit de six mois.—La voie du retour.
 
XI
Après le retour.—La joie de Constant Guignard.—Du pain et point de dents.—Bientôt on pourra dire des rentes et pas de pain.—Sinistres appréhensions.—Encore la tempête.—Sous les iglous.—Provisions volées.—Désastres.—Punition exemplaire des larrons.—Egorgement en masse.—Fuite de Pompon.—Famine.—Après avoir mangé les chiens et leurs peaux, on attaque les harnais.—Au moment de mourir de faim.
 
XII
Bruit étrange.—Manqué!—Pompon.—Chiens gras et matelots maigres.—Découverte stupéfiante.—Ce que le Parisien appelle une carrière à viande.—A quoi Pompon a employé ses loisirs.—Le premier pot-au-feu.—Enfouis dans les stratifications paléocrystiques.—Les stellères.—Espèce éteinte.—La dérive.—En vue du cap Tchéliouskine.—Ovations.—Gallia victrix!

EVREUX, IMPRIMERIE CHARLES HÉRISSEY

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EVREUX, IMPRIMERIE CHARLES HÉRISSEY

Note sur la transcription

  • Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe et la ponctuation d'origine ont été conservées sauf dans les cas suivants:
    Pak Pack (les packs ou la banquise de glace)
    paloeocrystique et palæocrystique paléocrystique (forme dominante dans le texte)
    Cape Schacktleton Cape Shackleton (p. 71)
    glyceria arctaca glyceria arctica (p. 112)
    Greeley Greely
    Lockvood et Lockwod Lockwood
    Port-Foulk et Port-Foulke Port-Foulque
    Prégel Pregel
    Upernavick et Upernawick Upernavik
    Wogel Vogel
     
  • Autres corrections:
    mal sain malsain (p. 103, le foie de l'ours est très malsain)
    avoir la précaution avoir pris la précaution (p. 243)
    tyran Samos tyran de Samos (p. 245)
    Guignard Plume-au-Vent (p. 370, Guignard est le matelot de Plume-au-Vent. Voir pp. 95, 160, 263, 361)
    l'opinion juste milieu l'opinion du juste milieu (p. 374)
    exprimable inexprimable (p. 423, un inexprimable regard d'affection et de regret)
     
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