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Les grandes chroniques de France (6/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis en France

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CY COMENCENT LES GESTES
DU ROY CHARLES
CINQUIESME
DU NOM.

I.

Coment Charles, ainsné fils du roy Jehan, qui trespassa en Angleterre, fu sacré et enoint a roy de France en l'églyse de Reims, et aussi fu la royne sa femme[232].

[232] Dans les plus anciennes leçons, la vie de Charles V n'est pas séparée de celle du roi Jean ; mais pour suivre la méthode la plus naturelle, nous avons, dans cette circonstance, préféré le système des autres manuscrits et des précédentes éditions.

L'an de grace mil trois cent soixante-quatre, le dimenche jour de la Trinité, qui fu le dix-neuviesme jour du moys de may, furent ledit roy Charles et madame Jehanne de Bourbon, sa femme, sacrés à Reims par monseigneur Jehan de Craon, lors arcevesque dudit lieu. Et furent audit sacre les evesques de Laon, de Beauvais, lors chancelier de France ; de Langres et de Noyon, pers de France ; et pluseurs autres prélas qui n'estoient pas pers : et barons Loys duc d'Anjou, et Phelippe duc de Touraine, et la contesse de Flandres, contesse d'Artois, pers de France ; le roy de Chypre, le duc de Bréban, frère de l'empereur et oncle dudit roy de France ; le duc de Lorraine, le duc de Bar et pluseurs autres barons qui n'estoient pas pers. Item, le mardi vint-huitiesme jour dudit moys de may, lesdis roy et royne de France, qui retournoient de leur sacre, entrèrent à Paris, c'est assavoir ledit roy environ heure de midy ; et ala droit à Nostre-Dame et de là retourna au Palais ; et environ nonne, la royne entra à Paris et ala droit au palais. Et avecques la royne estoient à cheval la duchesse d'Orléans, femme de Phelippe duc d'Orléans, oncle dudit roy ; la duchesse d'Anjou, femme dudit Loys duc d'Anjou, et Madame Marie, suer d'iceluy roy, laquelle n'avoit oncques esté mariée, et depuis fu femme du duc de Bar. Et menoit ladite royne, par le frain du cheval, monseigneur de Touraine qui aloit de pié, lequel monseigneur de Touraine estoit frère dudit roy. Et monseigneur le conte de Eu semblablement menoit madame d'Orléans ; monseigneur d'Estampes menoit madame d'Anjou, et monseigneur Loys de Chalon et le seigneur de Beaugieu menèrent ladite madame Marie. Et fist-l'en celuy jour grant disner au palais, là où furent tous les prélas qui estoient à Paris. Et après disner qui fu environ nonne, ot grant jouste en la court du palais et l'endemain aussi, et à tous les deux jours jousta le roy de Chypre et pluseurs autres ducs, contes et barons. Item, le vendredi, derrenier jour dudit moys de mai, l'an mil trois cens soixante-quatre dessus dit, ledit roy Charles octroia à monseigneur Phelippe, son plus jeune frère, la duchié de Bourgoigne, laquelle avoit esté requise par avant au roy Jehan, et l'en reçut celuy jour en sa foy et en son homaige. Et iceluy monseigneur Phelippe laissa au roy, son frère, la duchié de Touraine, que le roy Jehan, son père, luy avoit donnée l'an mil trois cent soixante.

II.

De la mort de Charles de Blois et desconfiture de ses gens, par monseigneur Jehan de Montfort.

Le dimenche, jour de la Saint-Michiel mil trois cens soixante-quatre dessus dit, combatirent devant le chastel d'Auroy[233], près de la cité de Nantes, monseigneur Charles de Blois, lors duc de Bretaigne de l'éritage de sa femme, d'une part ; et monseigneur Jehan de Montfort, d'autre part. Et avoit ledit monseigneur Charles, en sa compaignie, grant foison de François et de Bretons, qui avoient tenu et tenoient la partie du roy de France. Et ledit monseigneur Jehan de Montfort avoit Anglois et autres Bretons, qui avoient tenu la partie du roy d'Angleterre. Et fu ledit monseigneur Charles mort en ladite bataille, et ceux qui en sa compaignie estoient furent desconfis, la plus grant partie mors ou pris. Et depuis ladite bataille, ledit monseigneur Jehan de Montfort ne trouva audit païs de Bretaigne qui luy résistast ou féist aucune guerre. Jasoit ce que la duchesse, femme dudit monseigneur Charles, et duquel costé ladite duchié luy estoit escheue par la mort du duc Jehan, feust demourée en vie et estoit au païs.

[233] Auroy. Aujourd'hui Auray, petite ville du département du Morbihan.

III.

Du traictié qui fu entre monseigneur Jehan de Montfort et la duchesse, pour la duchié de Bretaigne.

ANNÉE 1365

L'an mil trois cens soixante-cinq, le douziesme jour du moys d'avril, monseigneur Jehan de Craon, lors arcevesque de Reims, et monseigneur Jehan le Maingre, dit Bouciquaut, lors mareschal de France, lesquels le roy de France Charles avoit envoiés audit païs de Bretaigne, pour traictier entre ladite duchesse et ledit monseigneur Jehan de Montfort, féirent et traictièrent accort entre lesdites parties par la manière qui s'ensuit. C'est assavoir que ladite duchié de Bretaigne, duquel vint ans par avant ou environ, la possession et l'estat avoit esté adjugié par le roy Phelippe et par arrest audit monseigneur Charles de Blois, à cause de sadite femme, demourroit en héritage perpétuel audit monseigneur Jehan de Montfort ; et ladite duchesse auroit pour luy et pour ses hoirs la conté de Pantevre[234], qui avoit esté propre héritaige de monseigneur Guy de Bretaigne, son père. Et si devoit avoir par ledit traictié la viconté de Limoges[235]. Et jà soit que ladite duchesse ne se consentist point en sa personne, mais seulement le sire de Beaumanoir et aucuns autres qu'elle avoit institué procureurs pour traictier, néantmoins fu tantost et sans délai la possession dudit duchié, et les villes, chasteaux et forteresses d'iceluy bailliées et délivrées réalment et de fait audit monseigneur Jehan de Montfort, dont moult de gens s'esmerveillièrent ; car ledit duchié avoit esté délivré par avant à ladite duchesse, comme dessus est dit, contre le père dudit monseigneur Jehan de Montfort.

[234] Pantevre. Penthièvre.

[235] La chronique inédite, qui met de côté la vicomté de Limoges, ajoute ici : La terre d'Avaugour.

Item, en celuy an, au moys de juing, fu fait et passé un accort du roy de France d'une part, et du roy de Navarre d'autre, de la guerre qu'il avoient commenciée, et pour laquelle ledit roy de France avoit fait prendre Mante et Meullent et la conté de Longueville. Par lequel accort le captal de Buech, qui de ladite guerre avoit esté pris comme dessus est dit, fu du tout délivre ; et par ledit accort devoient demourer perpétuelment au roy de France lesdites villes de Mante et de Meullent et ladite contée de Longueville, laquelle ledit roy de France avoit jà donnée à messire Bertran du Guesclin, pour la raençon dudit captal, lequel avoit esté prison dudit messire Bertran si comme dessus est dit. Et le roy de Navarre devoit avoir la ville et la baronnie de Montpellier, et pour ce, fu paix criée et publiée entre lesdis roys.

IV.

Coment messire Bertran du Guesclin mena hors de France pluseurs gens d'armes et pristrent la ville de Burgs en Espaigne.

En celuy temps, assez tost après, ledit monseigneur Bertran du Guesclin traicta avecques pluseurs gens de compaignie, Anglois, Gascoings, Bretons, Normans et d'autres nacions qui estoient au royaume de France et y tenoient pluseurs forteresses, aucunes dès le temps de la guerre du roy d'Angleterre, et les autres qui avoient esté occupées par lesdites compaignies depuis la paix faite entre les roys de France et d'Angleterre ; et moult avoient domaigié et domaigoient chascun jour ledit royaume de France. Et fist et pourchacia tant ledit messire Bertran que il laissièrent toutes les forteresses que il tenoient, et si accordèrent et promistrent que il iroient avecques luy contre les Sarrazins. Et pour celle cause, le pape Urbain fist grant ayde audit messire Bertran tant de florins que il luy bailla comme de deux dixmes que il luy octroia. Et partirent assez tost après ledit messire Bertran et pluseurs desdites compaignies, et alèrent au royaume d'Arragon, en l'aide dudit roy d'Arragon contre le roy de Castelle. Et assez tost après, entrèrent audit royaume de Castelle, et sans aucune résistence chevauchièrent par ledit royaume, et pristrent villes, cités, chasteaux et forteresses, sans ce que le roy Pierre de Castelle, qui lors en estoit roy, y méist aucune résistance. Et toutesvoies estoit ledit roy Pierre tenu un des plus puissans roys des Chrétiens, tant de puissance de gens comme de grans trésors ; car il avoit esté et estoit moult crueux et moult doubté tant de ses subgiés comme d'autres ; et pour ce, avoit assemblé grans trésors, tant des aydes qu'il avoit eues de ses subgiés comme des conquestes et finances qu'il avoit eues des roys de Garnade et de Bellemarine[236], lesquels il avoit subjugués et mis en son obéissance, et par espécial avoit tant fait que le roy de Garnade, qui estoit Sarrasin, estoit son homme et tenoit son royaume de luy ; et néantmoins, il ne résistoit point à ceux qui ainsi comme dit est, conquéroient son pays. Et tant chevauchièrent par ledit païs de Castelle que il furent la semaine péneuse l'an mil trois cens soixante-cinq dessus dit, devant la cité de Burgs, de laquelle se estoit tantost parti ledit roy Pierre que il avoit oïes les nouvelles de la venue desdites gens d'armes, et s'en estoit alé vers Tolète si comme l'en disoit. Et tantost se rendirent les habitans de ladite ville de Burgs à ceux de ladite compaignie desquels les noms s'ensuivent : Monseigneur le conte de la Marche, appellé monseigneur Jaques de Bourbon ; Henry d'Espaigne, conte de Tristemare, lequel estoit frère de père non légitime dudit roy Pierre de Castelle, et avoit iceluy Henry esté banni et exillié dudit royaume de Castelle ; et à son titre[237] aloient tous avecques luy, messire Bertran Du Guesclin dont dessus est faite mencion ; monseigneur Arnoul d'Odenehan, mareschal de France ; monseigneur Hue de Carvele[238], Anglois ; monseigneur Maurice de Trésiguidy, et pluseurs autres François, Bretons, Normans, Anglois, Gascoings, Arragonnoys et autres de pluseurs nations jusques au nombre de dix mil hommes d'armes de fait ou de plus, si comme l'en disoit ; lesquels entrèrent en ladite ville de Burgs et y tuèrent aucuns Juifs et Sarrasins, mais il ne meffirent point aux corps des Crestiens.

[236] Bellemarine. C'est-à-dire, comme nous l'avons précédemment expliqué sous l'année 1340, le souverain de Maroc, de la dynastie des Benmerini.

[237] A son titre. Sous son obéissance apparente.

[238] Carvele. La chronique inédite du no 530, qui le fait figurer à la bataille d'Auray, le nomme Cameley, et Froissart Caureley.

V.

Du coronement de Henry, roi d'Espaigne, et des messaiges que Jehan de Montfort envoia au roy de France et de la mort de messire Arnault de Cervole, dit Arceprestre.

ANNÉE 1366

L'an de grace mil trois cens soixante-six, le jour de Pasques, qui furent le cinquième jour d'avril, fu en ladite ville de Burgs coroné en roy de Castelle ledit Henry, frère dudit roy Pierre, de l'accort et consentement des autres seigneurs et capitaines desdites gens d'armes. Et après son coronement, il donna audit monseigneur Bertran la conté de Tristemare que il tenoit avant que il feust exillié du païs et le fist duc tant de Tristemare comme de la terre d'Esture[239].

[239] Estures. Asturies.

Item, environ ledit temps de Pasques, l'an dessus dit, monseigneur de Montfort, lors duc de Bretaigne, par le traictié que avoit fait l'arcevesque de Reims dont dessus est faite mencion, envoia à Paris devant le roy de France Charles, messaiges, c'est à savoir le seigneur de Cliçon, Breton, et monseigneur Guillaume le Latimier, Anglois, afin que le roy voulsist confermer ledit traictié fait par ledit arcevesque, et aussi que le roy lui prorogast le temps que autrefois luy avoit donné pour venir faire son homaige audit roy de France. Et fu accordé auxdis messaiges que il aroient confermaison dudit traictié et si orent en une chartre. Mais elle leur fu bailliée close et promistrent qu'elle ne seroit ouverte jusques à ce que ledit duc feust venu devers le roy faire son homaige tant dudit duchié comme de la conté de Montfort et des autres terres qu'il devoit tenir du roy. Et luy fu donné terme ès personnes desdis de Cliçon et Latimier ses procureurs, jusques à la Saint-Michiel ensuivant, pour venir faire son dit homaige devers le roy.

Item, en celuy an, environ la Trinité, messire Arnault de Cervole, dit l'Arceprestre, chevalier, qui tenoit grans compaignies au royaume de France, fu mis à mort par ceux desdites compaignies qui estoient avec lui, dont moult de gens furent joyeux et liés ; car il avoit esté au roy et encore estoit son homme[240] de pluseurs grans et notables villes, chasteaux, terres et forteresses que il tenoit de l'éritage de la dame de Chasteauvillain, sa femme et de ses enfans ; et aussi de l'éritage du seigneur de Leuroux, après la mort duquel ledit Arceprestre avoit espousé sa femme ; et après la mort de ladite femme il n'avoit voulu rendre lesdites terres et forteresses aux héritiers auxquels elles appartenoient ; jà soit ce que à aucuns d'iceux partie en eust esté adjugiée par arrest de parlement. Et encore avecques tout ce il et ses dites gens gastoyent tout le pays où il aloient, roboient, tuoient et prenoient à raençon toutes gens, et si luy avoit le roy par pluseurs fois fait baillier pluseurs et grans sommes de florins, et le pape aussi pour faire vidier lesdites compaignies hors dudit royaume ; et par plusieurs fois l'avoit promis et juré et si n'en avoit rien fait. Si ne fu pas merveilles sé l'en fu liés de sa mort. Et néantmoins tousjours demouroient lesdites compaignies au royaume, et y faisoient tous les maux que ennemis pevent faire, et y en avoit presque en toutes les parties du royaume excepté le païs de Picardie. Et aucune fois prenoient des forteresses et puis les rendoient par grans sommes de florins que l'en leur donnoit, et tantost en prenoient des autres, et ainsi l'avoient tousjours fait depuis l'an mil trois cens soixante-un, que il commencièrent à domaigier ainsi ledit royaume de France par manière de compaignies, et faisoient encore, nonobstant que le pape Urbain eust données sentences d'escomeniement contre tous ceux qui faisoient telles compaignies et contre leur aidans et confortans.

[240] Car il avoit esté, etc. N'y auroit-il pas une faute ici, et ne liroit-on pas mieux : « Car il avoit osté au roy et encore ostoit son homage… »

VI.

De la naissance de madame Jehanne, fille du roy de France, et de la victoire du roy Henry, et de la fuite du roy Pierre d'Espaigne.

Le dimenche septiesme jour de juing, entre tierce et midi, l'an mil trois cens soixante-six dessus dit, la royne de France, appellée Jehanne, fille du duc de Bourbon qui avoit esté mort en la bataille de Poitiers, et femme du roy Charles qui lors estoit, ot une fille au bois de Vincennes, laquelle fu baptisiée en la chapelle dudit bois de Vincennes, le jeudi ensuivant onziesme jour dudit moys, et fu appellée Jehanne ; et fu parein monseigneur Jehan, duc de Berry et d'Auvergne, frère dudit roy, et marraines les roynes Jehanne d'Évreux, qui avoit esté femme du roy Charles qui fu mort l'an mil trois cens vingt-sept, et Blanche de Navarre, qui avoit esté femme du roy Phelippe, qui mourut l'an mil trois cens cinquante en la ville de Nogent-le-Roy, et Marguerite, contesse d'Artois, mère du conte des Flandres Loys. Et si y furent grant foison de prélas qui estoient à Paris.

Item, environ la nativité Saint-Jehan-Baptiste audit an mil trois cens soixante-six, vindrent nouvelles en France que ledit roy Henry de Castelle avoit conquesté tout le royaume de Castelle et toute la terre que avoit tenue le roy Pierre dudit royaume, et que iceluy roy Pierre s'en estoit foui l'en ne savoit quel part et avoit laissié tout son pays, lequel pays estoit tout en l'obéissance dudit roy Henry ; et ce fu chose tenue à moult grant merveille. Car ledit roy Pierre estoit tenu avant que lesdites compaignies entrassent en son païs le plus puissant roy des Crestiens, de terres, de subgiés et de grans trésors, et toutesvoies avoit esté tout son païs conquesté en moins de trois moys sans ce qu'il y eust nuls qui y méist aucune résistance ; et si estoit ledit roy Pierre tenu le plus hardi et le plus cruel roy des Crestiens. Si disoit-l'en communelment que ces choses là estoient avenues par vengence de Dieu ; car il avoit fait moult de maux et avoit gouverné par tyrannie, si n'estoit point amé de ses subgiés. Et entre ses autres mauvais fais il avoit mauvaisememt fait murdrir sa femme espousée, très bonne et très loyal créature, laquelle avoit esté fille du duc de Bourbon, qui mourut en la bataille de Poitiers là où le roy Jehan fu pris, et estoit seur de la royne de France qui lors estoit. Et pour ce que il savoit bien que ses subgiés le héoient, il ne se osa combattre, si perdi tout et s'en ala, si comme aucuns disoient lors, en terre de Sarrasins. Les autres disoient qu'il estoit alé vers le roy d'Angleterre et vers le prince de Galles et d'Aquitaine, fils dudit roy d'Angleterre, pour avoir aide et secours. Et assez tost après sot-l'en certainement en France que ledit roy Pierre estoit avecques le prince en Gascoigne et fist aliances avecques luy, et donna audit prince grant foison d'or et de riches joyaux, et pour ce, le prince luy promist que il luy aideroit à recouvrer son pays, et fist iceluy prince grant semonce de gens d'armes pour mener en Castelle, avecques ledit roy Pierre, et par plusieurs fois les contremanda.

VII.

De l'omaige que Jehan de Montfort fist au roy de France du duchié de Bretaigne, et coment la femme dudit Charles y renonça.

L'an dessus dit mil trois cens soixante-six, au mois de décembre, c'est assavoir le treiziesme jour, messire Jehan de Montfort, lors duc de Bretaigne, par le traictié dont dessus est faite mencion, fist l'omaige lige à Paris au roy de France Charles, du duchié de Bretaigne et de toutes les autres terres que il tenoit au royaume de France. Et se parti du roy en bonne grace et amour que l'un avoit à l'autre, si comme il sembloit ; et si luy fist le roy de beaux dons de joyaux et de chevaux. Et en celuy mesme temps la duchesse, femme du duc mort en la bataille dessus dite, ractefia, en sa personne, audit duc de Bretaigne, en la présence du roy et de son conseil, le traictié fait par le sire de Beaumanoir et les autres, ses procureurs dessus escrips, en renonçant audit duchié par la manière dont il avoit esté traictié, et requérant au roy que ainsi le confermast et prononçast en force et vertu d'arrest. Et ainsi fu fait et prononcié en la présence du roy et des deux parties, par messire Jehan de Dormans, lors evesque de Beauvais et chancelier de France. Item, le lundi, sixiesme jour dudit moys de décembre, madame Jehanne, fille dudit roy de France Charles, mourut à Paris en la Conciergerie, ostel du roy[241], lequel ostel est près de Saint-Pol. Et le mardi ensuivant fu enterrée en l'églyse Saint-Denis, en France.

[241] En la conciergerie, ostel du roy. Les éditions précédentes, qui pourtant deviennent à compter de ce règne moins grossièrement inexactes, portent seulement ici : En l'ostel du roy.

Item, au moys de février ensuivant, l'an mil trois cens soixante-six dessus dit, furent apportées nouvelles à Paris pardevers le roy de France Charles, que un sien chambellan, appellé messire Jehan de La Rivière, lequel estoit alé oultre-mer environ la nativité Saint-Jehan précédent, estoit trespassé de ce siècle à Fomagosce[242] au royaume de Chypre, environ la feste de Toussains précédent ; de laquelle mort le roy fut moult dolent, car il l'amoit moult. Et fu le corps enterré en la ville de Coste, en laquelle l'en dit que Sainte-Katherine fu née, et pour ce, luy fist faire ses obsèques moult solennels et notables en l'églyse Sainte-Katherine-du-Val-des-Écoliers, à Paris, le mercredi dix-septiesme jour dudit mois de février, les vigiles et le jeudi ensuivant la messe ; et y fu ledit roy présent et tous les prélas et officiers du roy estant à Paris. Et en celuy mesme moys de février furent apportées nouvelles en France que le cinquiesme jour du mois de décembre précédent, le roy de Chypre et pluseurs crestiens en sa compaignie, avoient pour la seconde fois prise la cité d'Alexandrie et la tenoient ; car l'autre fois que ledit roy de Chypre l'avoit prise l'an précédent, il l'avoit tantost laissiée, pour ce que il n'avoit pas assez gens pour la tenir. Et toutes voies ne fu ce pas vrai, car jà soit ce que ledit roy de Chypre féist moult grant armée et que avecques luy feussent grant quantité de crestiens de diverses nations, il ne se traist plus vers ladite ville d'Alexandrie, mais fu fait un traictié entre luy et le soudan, par lequel il orent une longue triève par certaine somme de florins que ledit soudan en donna audit roy de Chypre, si comme l'en disoit.

[242] Fomagosce. Famagouste.

Item, en ce dit moys de février mil trois cens soixante-six dessus dit, le prince de Galles qui, si comme l'en disoit, avoit receu grant somme de florins dudit roy Pierre de Castelle pour luy aidier, passa par le royaume de Navarre, accompagnié de grand nombre de gens d'armes, archiers et autres gens de pié, par traictié que il fist avecques ledit roy de Navarre, pour aler en Castelle contre ledit roy Henry. Et toutesvoies cuidoit ledit Henry que iceluy roy de Navarre feust alié avecques luy, et pour cela avoit donné grant somme de florins. Mais pour ce que ledit prince luy en donna aussi, il se consenti que ledit prince passast par son pays, et ainsi le fist et ledit roy Pierre avecques luy, et entra en Castelle ; dont le roy de Navarre acquist grant blasme et déshonneur.

VIII.

Coment le roy de Navarre se fist prendre par cautelle.

ANNÉE 1367

Item, le treiziesme jour du mois de mars ensuivant, un chevalier breton, appellé monseigneur Olivier de Mauny, prist ledit roy de Navarre assez près de Tudelle et l'enmena prisonnier au royaume d'Arragon, et se fist ledit roy de Navarre prendre par fraude, afin, si comme l'en disoit, que il ne passast avec ledit prince en Castelle. Et assez tost après, pluseurs Anglois et autres des gens dudit prince qui estoient passés en Castelle avec lui au royaume d'Arragon, pour ce que le roy d'Arragon estoit alié dudit roy Henry, assez tost après que il y furent entrés, les Arragonnois leur coururent sus et les desconfirent, et y fu mort un chevalier anglois, appelé messire Guillaume de Feleton, et pluseurs autres jusques au nombre de cinq cens et plus.

IX.

De la prise messire Bertrand du Guesclin et de pluseurs autres par les Anglois, etc.

En celuy an mil trois cent soixante-six, le samedi troisiesme jour du moys d'avril devant Pasques, et fu la veille du dimenche que l'on chante Judica, lesdis prince et roy Henry et leur bataille, se rencontrèrent assez près de St-Dominge[243] et se combattirent, et là fu ledit roy Henry desconfit et s'en parti de la bataille, et la plus grand partie des Castellains avecques luy. Et là furent pris messire Bertran du Guesclin ; monseigneur Arnoul d'Odenehan, maréchal de France ; Le Begue de Villaines et aucuns autres François et Bretons et aussi aucuns autres Arragonnois. Et assez tost après se traistrent lesdis prince et roy Pierre vers Burgs, et par traictié se rendirent ceux de dedens et se mistrent en l'obéissance dudit roy Pierre. Item, en celuy temps, ledit roy de Navarre qui avoit esté pris, comme dit est, par monseigneur Olivier de Mauny, fu délivré, et il bailla par ficcion, son fils en ostaige et trois chevaliers.

[243] Saint-Dominge. Cette bataille a pris encore le nom tantôt de Nadera, ou Najara, et tantôt de Navarette. Ce dernier a prévalu.

X.

Coment le pape Urbain entra en mer pour aler à Rome ; et de la dissencion de ceux de Viterbe contre ses gens, et de la bataille qui y fu.

L'an de grace mil trois cent soixante-sept, le derrenier jour d'avril, dont Pasques furent le dix-huitiesme jour dudit moys, pape Urbain parti d'Avignon pour aler à Rome, au très-grant desplaisir de tous les cardinaux ; et en demourèrent cinq qui n'alèrent pas lors avecques luy, mais il ne leur laissa né donna aucune puissance. Et ala à Marseille pour là entrer en mer, et y trouva pluseurs galies de Venise, de Gennes, de Secile et autres moult honorablement aournées de gens et paremens. Et entra sa personne en celle de Venise et ala droit à Viterbe, là où il demoura et tint sa cour environ quatre moys ; et par le temps que il estoit en la dite ville de Viterbe, c'est assavoir le       [244] l'an mil trois cent soixante-sept dessus dit, se mut une rumeur entre aucuns habitans d'icelle ville et aucuns familiers de cardinaux pour ce, si comme l'en disoit, que iceux familiers lavoient leur mains en la fontaine de la dicte ville. Et fu telle ladite rumeur que ceux de ladite ville s'armèrent et coururent sus aux cardinaux et à leur gens, et convint que aucuns desdis cardinaux se rendissent et laissassent le chappel rouge à aucuns desdis habitans pour leur sauver la vie. Et si allèrent devant le chastel de ladite ville au quel estoit le pape, mais il ne purent entrer. Et pour ce, le pape manda gens d'armes, et dedens trois jours en ot en ladite ville si largement, que le pape ot la seigneurie et puissance de fait ; si en fist prendre pluseurs et procéda à la pugnicion dudit fait, et en furent pluseurs mis à mort.

[244] Cet endroit est ainsi laissé en blanc dans le manuscrit de Charles V ; dans les autres, et dans les éditions précédentes, la date n'est pas même indiquée.

Item, au mois d'aoust ensuivant, l'an dessusdit, le prince de Galles qui estoit alé en Castelle, et le duc de Lencastre, son frère, qui pou orent exploitié fors seulement du fait de la bataille dont dessus est faite mencion au chapitre précédent, s'en retournèrent à Bordeaux et laissèrent ledit roy Pierre en Castelle, lequel n'avoit pas fait son devoir vers ledit prince. Car jasoit que iceluy prince feust là alé pour aidier audit Pierre et pour le remettre au pays dont il avoit esté chascié, il se parti après la bataille en laquelle ledit prince et ses gens avoient eu victoire ; et ne le vit puis ledit prince si comme l'en disoit, et demoura ledit Pierre en moult grant debte devers le prince pour cause de gaiges des gens d'armes que iceluy prince avoit menés avecques luy. Et tantost que le roy Henry, qui estoit venu au royaume de France après ce qu'il ot esté desconfi, comme dit est dessus, avoit demouré au pays de Carcassoys[245] et sa femme et pou de gens avecques luy, sot que ledit prince s'estoit parti de Castelle et les compaignies que il avoit menées avecques luy ; et aussi quant iceluy Henry ot sceu que la plus grant partie des gens dudit royaume de Castelle le recevroient volentiers sé il y aloit, il se mist en chemin pour y aler et prist le chemin par les montaignes de Forez : et jasoit ce que il eust pluseurs empeschemens, il entra audit pays de Castelle, le vint-septiesme jour du mois de septembre mil trois cens soixante-sept dessus dit : et premièrement en la cité de Calehorre, et de là ala à Burgs ; et fu receu audit pays de Castelle de toutes gens moult honnorablement, et luy fist-l'en toute obéissance comme à seigneur ; et ainsi ledit royaume de Castelle fu gaignié par Henry, et recouvré par Pierre, et regaignié par Henry, tout en un an et demi ou environ. Et depuis demourèrent les dictes compaignies, en Guyenne au païs dudit prince, jusques au moys de décembre ensuivant, que elles entrèrent en Auvergne et en Berry. Et en l'entrée du moys de février ensuivant, passèrent la rivière de Loire vers Marcigny-les-Nonnains[246], les uns à gué les autres sur un pont, et demourèrent en Maconnois par aucun temps. Et depuis entrèrent au duchié de Bourgoigne et le passèrent moult hastivement, car il trouvoient pou de vivres, pour ce que l'en avoit fait retraire tout ès forteresses, lesquelles estoient très-bien gardées par la bonne ordenance que messire Phelippe fils du roy de France Jehan, et frère du roy Charles lors duc de Bourgoigne, y avoit mise, tant de gens d'armes comme autrement. Et ne demourèrent audit pays de Bourgoigne que six ou sept jours, sans y prendre aucun fort ; et alèrent en Aucerrois et pristrent les moustiers de Cravent et de Vermanton, là où il trouvèrent grant foison vivres et autres biens ; et il leur estoit bien mestier, car la plus grant partie avoit esté sans mengier pain longuement, et estoient sans soulers. Et quant il furent rafreschis, il se divisèrent et passèrent aucuns la rivière de Yonne à Cravent, et entrèrent en Gastinois environ huit cens hommes d'armes anglois, mais il étoient bien dix mille personnes ou plus ; et les autres alèrent vers Troyes, qui estoient trop plus grant nombre, car il estoient plus de quatre mille combatans et de vint mille pillars et femmes ; et passèrent la rivière de Saine vers Saint-Sepulcre[247] et à Mery. Et après la rivière d'Aube, et alèrent vers Esparnay et assaillirent l'église de ladite ville d'Esparnay qui estoit fort, en laquelle estoient retrais les gens de la ville ; et pour ce qu'il ne la porent avoir par assault il la minèrent : et ceux qui estoient dedens sentirent que l'on minoit ladite église, il contreminèrent, et en cuidant ardoir la mine des ennemis, il ardirent leur contremine. Et convint que il se retraisissent en une tour. Et après parlementèrent auxdites compaignies et raençonèrent[248] leur corps et la ville d'ardoir parmy deux mil frans[249] que il leur baillièrent. Et demourèrent aucuns desdites compaignies en ladite ville d'Esparnay, et les autres passèrent oultre en diverses routes[250], les uns à Fimes, les autres à Coincy-l'Abbaie, et les autres à Ay[251] ; et assaillirent le moustier d'Ay qui estoit fort, auquel estoient les gens de ladite ville, et auquel moustier se boutèrent environ vint hommes d'armes pour secourir les bonnes gens qui estoient dedens. Et pour ce que lesdites compaignies virent que il ne pouvoient avoir ledit moustier par assault, il le minèrent et demourèrent longuement devant. Et cependant le roy faisoit toujours son mandement de gens pour les combatre ; et ceux qui avoient passé la rivière de Yonne à Cravent quant il orent esté bien avant au Gastinois la repassèrent à Pons-sur-Yonne, et alèrent passer Saine à Nogent-sur-Saine, et se traistrent vers les autres à Esparnay.

[245] Carcassoys. Ou Carcassez, le territoire de Carcassonne.

[246] Marsigny-les-Nonnains. A peu de distance de Semur.

[247] Saint-Sépulcre. Peut-être Saint-Sulpice, entre Mery et Troyes.

[248] Raençonèrent. Rachetèrent.

[249] Deux mil frans. Environ cinquante mille francs d'aujourd'hui.

[250] En diverses routes. Dans les précédentes éditions, au lieu de ces mots, il y a : Adimeosdun. Et plus bas, au lieu de Fismes, elles ont mis à fleuves. Au lieu de Coincy, Coucy.

[251] Coincy, à deux lieues de Château-Thierry. — Tous les gastronomes connoissent la position du bourg d', entre la petite ville d'Avenay et celle d'Epernay. — On chercheroit vainement dans nos historiens modernes les précieux détails que nous trouvons ici. La raison en est simple : Froissart ne les donne pas.

XI.

Coment monseigneur Lyonnel, fils du roy d'Angleterre, vint à Paris, et de l'onneur que le roy de France et les barons luy firent.

ANNÉE 1368

L'an de grace mil trois cent soixante-huit, le dimenche jour de Quasimodo seiziesme jour d'avril, Pasques furent celuy an le neuviesme jour dudit mois, messire Lyonnel, duc de Clarence, second fils du roy d'Angleterre, entra à Paris et venoit d'Angleterre ; et aloit à Milan espouser la fille messire Galiache, l'un des seigneurs de Milan ; et alèrent jusques à Saint-Denys en France encontre ledit Lyonnel monseigneur Jehan, duc de Berry, et messire Phelippe, duc de Bourgoigne, frères germains du roy de France. Et le menèrent descendre droit au Louvre où ledit roy estoit, et laiens fu receu dudit roy moult honnorablement. Et ot laiens sa chambre moult bien parée et aournée ; et disna celuy jour et souppa au chastel du Louvre avecques le roy de France, qui aussi y estoit lors logié. Et l'endemain jour de lundi, ledit Lyonnel disna avecques la royne en l'ostel du roy près de Saint-Pol, là où elle estoit logiée, et y fist-l'en très grant feste. Et après disner, quant l'en ot dancié et joué, ledit Lyonnel et lesdis deux frères du roy qui tousjours le compaignoient, s'en retournèrent audit Louvre devers le roy et souppèrent avecques luy, et tousjours coucha ledit Lyonnel au Louvre. Et le mardi ensuivant, dix-huitiesme jour du moys d'avril dessus dit, lesdis ducs de Berry et de Bourgoigne donnèrent à disner et à soupper audit Lyonnel et à ses chevaliers et autres gens qui y vouldrent estre, en l'ostel d'Artois à Paris ; et alèrent au gesir au Louvre. Et le mercredi ensuivant, ledit Lyonnel disna et souppa avecques le roy et luy fist le roy moult de grans dons et à ses gens aussi, qui valoient, si comme l'en estimoit, vint mille florins et plus.

Item, le jeudi ensuivant, ledit Lyonnel se parti de Paris, et le fist le roy convoier par le conte de Tanquarville jusques à Sens, et par autres chevaliers jusques hors du royaume.

Et assez tost après, ceux qui estoient dedens le moustier d'Ay se rendirent et furent pris à raençon ; car il n'avoient plus de vivres dedens ledit moustier. Et demourèrent lesdites compaignies au Meucien[252] en divers logeys. C'est assavoir à Lisy, à Acy, à Fontaines-les-Nonnains et environ, jusques au vendredi douziesme jour de may, l'an mil trois cens soixante-huit dessusdit ; lequel jour se deslogièrent et s'en alèrent vers Chaalons, vers Vitry en Pertois et en celle marche ; et y firent moult de maux comme d'ardoir maisons, tuer gens, efforcier femmes et pluseurs autres maux. Et en celle marche demourèrent jusques environ le commencement du moys de juing, et parla-l'en à eux par pluseurs fois, afin que il partisissent du royaume ; mais il demandoient si grandes sommes de florins, c'est assavoir au moins quatorze cens mil frans d'or, que l'en n'y voult point entendre pour le roy, et partout celuy temps avoit le roy grant nombre de gens d'armes en pluseurs bonnes villes, comme Sens, Troyes et Chaalons, Provins et autres, èsquelles villes lesdites gens d'armes faisoient tant de excès et de maux que ce estoit pitié.

[252] Au Meucien. En Multien, pays de la Brie. Lisy-sur-Ourq, à trois lieues de Meaux. Acy-en-Multien, à sept lieues de Senlis.

Item, le vendredi neuviesme jour de juing mil trois cent soixante-huit dessusdit, lesdites compaignies qui s'estoient deslogiées de devant Vitry passèrent par assez près de Troyes et se alèrent logier vers Marigny[253] et au pays environ. Et lors estoit à Troyes le duc de Bourgoigne, mais il n'avoit pas gens pour combattre à eux : et s'en alèrent passer la rivière d'Yonne vers Aucerre, et alèrent vers Chastillon-sur-Louen, devant Montargis et par tout le Gastinois, droit vers Estampes. Mais il séjournèrent tant en Gastinois que il fu avant le quatriesme jour de juillet que il feussent environ Estampes ; et boutèrent les feux en pluseurs lieux et villes en leur chemin. Et pource que l'en disoit communelment que il venoient devant Paris, le roy manda gens d'armes à Paris. Et en celuy an meisme, la derrenière sepmaine de juin, le roy fist deux mareschaux nouveaux, c'est assavoir : Messire Loys de Sancerre et messire Mouton de Blainville. Car le mareschal Bouciquaut estoit mort, et messire Arnoul d'Odenehan avoit renoncié à l'office, et le roy luy avoit baillié l'oriflame. Et environ quinze jours devant, le roy avoit fait amiral de la mer messire François de Perilleux et en avoit osté le Baudrin de la Heuse.

[253] Marigny. Entre Troyes et Nogent-sur-Seine.

Item, le mardi quart jour de juillet, lesdites compaignies se logièrent à Estampes et à Estrichi[254]. Et y demourèrent jusques au dimenche ensuivant, neuviesme jour dudit moys, que se deslogièrent les Gascoins qui, si comme l'en disoit, se deffioient des Anglois et les Anglois d'eux ; et s'en alèrent à Baugency-sur-Loire, et les Anglois alèrent en Normendie et pristrent la ville de Vire : et y entrèrent de jour comme tous hommes de ville, armés dessous leur grosses robes, premièrement environ quarante ou soixante ; et quant il orent gaaigné la porte, leur grosses routes vindrent après, mais il ne pristrent pas le chastel ; car pluseurs de la dite ville se retraistrent dedens, qui bien le deffendirent et gardèrent ; et aussi fu-il assez tost après raffreschi de gens d'armes. Et environ quinze jours après, une partie desdis Anglois de compaignie, environ quatre cens ou cinq cens, s'en alèrent en Anjou et pristrent la ville de Chasteau-Gontier par la manière qu'il avoient prise Vire. Et lesdis Gascoins se tindrent bien trois sepmaines ou un moys en ladite ville de Baugency ; et pluseurs fois ala le seigneur de Lebret de par le roy de France par devers eux pour traictier, comme il vidassent le royaume de France ; et en espérance de certain traictié pourparlé et non passé entre eux, lesdis Gascoins passèrent la rivière de Loire par devers la Sauloigne ; et crut tant la rivière, assez tost après, que il ne la porent rappasser sans pont ; et ainsi demourèrent une pièce, en attendant la response dudit traictié que le seigneur de Lebret avoit porté devers le roy.

[254] Estrichi. Ou Estrechy.

XII.

Des appellacions que le conte d'Armignac et autres nobles firent contre le prince de Galles en France.

Environ celuy temps, le conte d'Armignac, le seigneur de Lebret, le conte de Pierregort et pluseurs autres barons et nobles du duchié de Guyenne, appelèrent du prince de Galles, duc de Guyenne, pour pluseurs griefs que il leur avoit fais ; et se traistrent devers le roy de France afin que il receust leur appellacions et donnast ajournement en cas d'appel. Et sur ce, ot ledit roy grant délibéracion ; et par le conseil que il ot, il leur octroia lesdis ajournemens, car il n'avoit encore faites aucunes renonciations aux ressors et souverainetés des terres par luy bailliées audit roy d'Angleterre ; jasoit ce que les termes feussent passés dedens lesquels devoient estre faites lesdites renonciations. Car le roy d'Angleterre avoit esté refusant et délayant de faire aucunes renonciations que il devoit faire ; lesquelles se devoient faire lors et par la manière que contenu est ès lettres desquelles la teneur est cy-après encorporée. Et toutesvoies, jusques à ce que lesdites renonciations feussent faites, lesdis ressors et souverainetés demouroient au roy de France par la manière que il les avoit avant ledit traictié ; mais il devoit surseoir de en user jusques à certain temps, si comme ès dites lettres est contenu, desquelles la teneur ensuit[255] :

[255] Voyez plus haut l'article XII du traité de Brétigny.

XIII.

Ci s'ensuit le contenu des lettres des renonciations que le roy d'Angleterre et le prince son fils devoient faire des terres qu'il tenoient ci nommées.

« Edouart, par la grace de Dieu, roy d'Angleterre, seigneur d'Irlande et d'Acquitaine, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Comme pour les discencions, débas et descors meus et espérés[256] à mouvoir entre nous et notre très cher frère le roy de France, certains traicteurs et procureurs de nous et de nostre très chier ainsné fils Edouard, prince de Galles, ayant à ce souffisant pouvoir et auctorité pour nous et pour luy et nostre royaume d'une part ; et certains autres traicteurs et procureurs de nostre dit frère et de nostre très chier neveu Charles, duc de Normendie et daulphin de Viennois, fils ainsné de nostre dit frère de France, ayant povoir et auctorité de son dit père en ceste partie, pour son père et pour luy, se feussent assemblés à Brétigny près de Chartres : auquel lieu fu parlé, traictié et accordé final paix ; et accordé, le huitiesme jour de mai derrenièrement passé, des traicteurs et procureurs de l'une et de l'autre partie, sur les discencions, débas, guerres et descors devant dis ; lesquels traictié et paix les procureurs de nous et de nostre dit fils, pour nous et pour luy, jurèrent aux sains évangiles tenir et garder, et après cela jurèrent nos dis fils et neveu au nom que dessus ; et depuis, nous et nostre dit frère l'avons confermé et juré solempnelment : parmy lequel accort, entre les autres choses, nostre frère et son fils devant dit sont tenus et ont promis bailler, délivrer et délaissier à nous, nos hoirs et successeurs à tousjours, les cités, contés, villes, chasteaux, forteresces, terres, revenues et autres choses qui s'ensuivent, avec ce que nous tenons en Guyenne et en Gascoigne ; à tenir et posséder perpétuelment à nous et à nos hoirs et successeurs ce que en demaine en demaine, et ce que en fié en fié, et par le temps et manière ci-après esclaircis : la cité, le chastel et la conté de Poitiers, et toute la terre et le pays de Poitou, ensemble le fieu de Thouart et la terre de Belleville ; la cité et le chastel de Xaintes, et toute la terre et le pays de Xaintonge par deçà et par delà la Charente, avecques la ville, chastel et forteresce de La Rochelle, et leur appartenances et appendances ; la conté, le chastel d'Agen et la terre et le pays d'Agenois ; la cité, le chastel et toute la conté de Pierregort, et la terre et le pays de Pierreguis ; la cité et le chastel de Lymoges et la terre et le pays de Lymosin ; la cité et le chastel de Caours et la terre et le pays de Caoursin ; la cité, le chastel et le pays de Tarbe et la terre et le pays et la conté de Bigorre ; la conté, la terre et le pays de Gaure ; la conté et le chastel d'Angoulesme et la conté et la terre et le pays d'Angoulesmois ; la cité et le chastel de Rodés et la terre et le pays de Rouergue. Et s'il y a aucuns seigneurs, comme le conte de Foix, le conte d'Armignac, le conte de Lille, le conte de Pierregort, le conte de Lymoges ou autres qui tiennent aucunes terres ou lieux dedens les mettes desdis lieux, il en feront homaige à nous et tous autres services et devoirs deus à cause de leur terres et lieux, en la manière qu'il les ont fais au temps passé : et tout ce que nous ou aucuns des roys d'Angleterre anciennement tindrent en la ville de Monstereul sur la mer et ès appartenances : — toute la conté de Pontieu tout entièrement, sauf et excepté que sé aucunes choses ont esté aliénées par les roys d'Angleterre qui ont esté pour le temps, de ladite conté et appartenances, et à autres personnes qui aux roys de France estoient tenus, nostre dit frère né ses successeurs ne seront pas tenus de les rendre à nous ; et sé lesdites aliénacions ont esté faites aux roys de France qui ont esté par le temps sans aucun moyen, et nostre dit frère le tiengne à présent en sa main, il les laissera à nous entièrement, excepté que sé les roys de France les ont eu par eschange ou autres terres, nous délivrerons ce que l'on a eu par eschange, ou nous laisserons à nostre dit frère les choses ainsi aliénées ; mais sé les roys d'Angleterre qui ont esté par le temps en avoient aliéné ou transporté aucunes choses en autres personnes que ès roys de France, et depuis il soient venus ès mains de nostre dit frère, ou par partage, nostre dit frère ne sera pas tenu de les rendre. Et aussi sé les choses dessusdites doivent homaige, nostre dit frère les baillera à autres qui en feront omaige à nous, et s'il ne doivent omaige, il nous baillera un tenant qui nous en fera le devoir dedens un an prochain après ce que nostre dit frère sera parti de Calais, — le chastel et la ville de Calais, le chastel, la ville et seigneurie de Merque, les villes, chasteaux et seigneuries de Sangate, Coulongne, Hammes, Wale et Oye avecques leur bois, marés, rivières, seigneuries, advoisons d'églyse et toutes autres appartenances et lieux entregisans dedens les mettes et bondes qui s'ensuivent : C'est assavoir deçà Calais jusques au fil de la rivière pardevant Gravelingues, et aussi par le fil de mesme la rivière tout entour l'angle, et aussi par la rivière qui va par delà poil et par meisme la rivière qui chiet au grant lay de Guynes jusques à Fretin et d'ilec par la valée entour la montaigne Calculi, encloant meisme la montaigne ; et aussi jusques à la mer, avec Sangate et toutes les appartenances ; le chastel et la ville et tout entièrement la conté de Guynes avecques toutes les terres, villes, chasteaux, forteresces, lieux, homes, homaiges, bois, forès, droitures d'icelles, aussi entièrement comme le conte de Guynes, derrain mort, les tint au temps qu'il ala de vie à trespassement ; — et obéiront les églyses et les bonnes gens estant dedens les limitations dudit conté de Guynes, de Calais et de Merque et des autres lieux dessusdis, à nous ainsi comme il obéissoient à nostre dit frère et au conte de Guynes qui fu pour le temps. Toutes lesquelles choses comprises en ce présent article et en l'article prochain précédent de Merque et de Calais, nous tendrons en demaine, excepté les héritages des églyses qui demourront auxdites églyses entièrement, quelque part qu'il soient assises ; et aussi excepté les héritages des autres gens du païs de Merque et de Calais, assis hors de la ville de Calais, jusques à la value de cent livres de terre par an de la monnoie courant au païs et au-dessoubs ; lesquels héritages leur demourront jusques à la value dessusdite et au-dessoubs ; mais les habitacions et héritages assis en ladite ville de Calais, avecques leur appartenances, demourront en demaine à nous pour ordener à nostre volenté ; et aussi demourront aux habitans en la terre, ville et conté de Guynes, toutes leur demaines entièrement et revendront plainement, sauf ce que est dit par avant des confrontations, mettes et bondes dessus dites en l'article de Calais, et toutes les isles adjacens aux villes, païs et lieux avant nommés, ensemble avecques toutes les autres isles, lesquelles nous tenrons au temps dudit traictié. Et eust esté pourparlé que nostre dit frère et son ainsné fils renonçassent aux ressors et souverainnetés et à tout droit qu'il pourroient avoir en toutes les choses dessusdites, et que nous les tenissions, comme voisin, sans ressort et souveraineté de nostre dit frère audit royaume de France, et que tout le droit que nostre dit frère avoit ès choses dessus dites, il nous cédast et transportast perpétuelment et à tousjours ; et aussi eust esté pourparlé que semblablement nous et nostre dit fils renoncissons expressément à toutes les choses qui ne doivent estre bailliées ou délivrées à nous par ledit traictié, et par espécial au nom et au droit de la couronne et du royaume de France, à omaige, souveraineté et demaine du duchié de Normendie, du duchié de Touraine, des contés d'Anjou et du Maine, et souveraineté et omaige du duchié de Bretaigne, à la souveraineté et omaige du conté et païs de Flandres, et à toutes autres demandes que nous faisons et faire pourrions pour quelque cause que ce soit, excepté les choses dessus dites qui doivent demourer et estre baillées à nous et à nos hoirs, et que nous leur transportassions, cessissons et délaisissions tous les droits que nous pourrions avoir en toutes les choses qui à nous (ne) doivent estre bailliées. — Sur lesquelles choses, après pluseurs altercacions eues sur ce, et par espécial pource que lesdites renonciacions ne se font pas de présent, avons finablement accordé avec nostre dit frère par la manière qui s'ensuit : c'est assavoir que nous et nostre dit ainsné fils renoncerons, et ferons et avons promis à faire les renonciations, transpors, cessions et délaissemens dessusdis, quant et si tost que nostre dit frère aura baillié à nous ou à nos gens espécialment de par nous députés, la cité et le chastel de Poitiers et toute la terre et le païs du Poitou, ensemble le fié de Thouart et la terre de Belleville ; la cité et le chastel d'Agen et toute la terre et le païs d'Agenois ; la cité et le chastel de Pierregort et toute la terre et le païs de Pierreguis ; la cité et le chastel de Caours et toute la terre et le païs de Caoursin ; la cité et le chastel de Lymoges et toute la terre et le païs de Lymosin ; et toute la conté de Gaure. Lesquelles choses nostre dit frère nous a promis à baillier ou à nos espéciaux députés dedens la feste de la Nativité Saint-Jehan-Baptiste sé il peut ; et tantost après ce, devant certaines personnes que nostre dit frère députera, nous et notre dit ainsné fils ferons en nostre royaume ycelles renonciations, transpors, cessions et délaissemens par foy et sairement, solempnelment, et d'icelles ferons bonnes lettres ouvertes, scellées de nostre grant seel, par la manière et forme comprise en nos autres lettres sur ce faites et que compris est audit traictié, lesquelles nous envoierons à la feste de l'Assomption Nostre-Dame prochain ensuivant, en l'églyse des Augustins à Bruges ; et les ferons baillier à ceux que nostre dit frère y envoiera lors pour les recevoir. Et sé dedens ladite feste saint Jehan-Baptiste, nostre dit frère ne povoit baillier les cités, chasteaux, villes, terres, païs, isles et lieux dessus prochainement nommés, il les doit baillier dedens la feste de Toussains prochaine venant en un an ; et icelles bailliées, ferons nous et nostre dit fils lesdites renonciations, transpors, cessions et délaissemens pardevant les gens qui seront députés par nostre dit frère, comme dit est, et en ferons lettres telles et par la manière dessusdite, et les ferons baillier à ses gens au jour de la feste saint Andrieu lors ensuivant, en ladite églyse des Augustins, à Bruges, par la manière dessus dite. Et aussi nous a promis nostre dit frère que il et son ainsné fils renonceront et feront semblables, lors et par la manière dessus dite, les renonciations, transpors, cessions et délaissemens accordés par ledit traictié à faire de sa partie, si comme dessus est dit ; et envoiera ses lettres patentes scellées de son grant seel auxdis lieux et termes pour les baillier aux gens qui de par nous y seront députés, semblablement comme dit est. Et aussi nous a promis et accordé nostre dit frère que luy et ses hoirs cesseront, jusques aux termes desdites renonciations dessus esclaircies, de user de souverainnetés et ressors en toutes les cités, contés, chasteaux, villes, terres, païs, isles et lieux que nous tenions au temps dudit traictié, lesquelles nous doivent demourer par ledit traictié, et ès autres qui, à cause desdites renonciations et dudit traictié, nous seront bailliées et doivent demourer à nous et nos hoirs, sans ce que nostre dit frère ou ses hoirs ou autres à cause de la couronne de France, jusques aux termes dessus esclaircis et iceux durans, puissent user d'aucuns services ou souverainneté, né demander subjecion sur nous, nos hoirs, nos subgiés d'icelles présens et avenir, né querelles ou appeaux en leur court recevoir, né rescrire icelles, né de jusridicion aucune user à cause des cités, contés, chasteaux, villes, terres, païs, isles et lieux prochains nommés. Et nous a aussi accordé nostre dit frère que nous né nos hoirs, né aucuns de nos subgiés, à cause desdites cités, chasteaux, villes, terres, païs, isles et lieux prochains avant dis, comme dit est, soient tenus né obligiés de le recognoistre nostre souverain, né de faire aucune subjeccion, service né devoir à luy né à ses hoirs né à la couronne de France, jusques aux termes des renonciations devant dites. Et aussi accordons et promettons à nostre dit frère que nous et nos hoirs cesserons de nous appeller et porter roys de France par lettres né autrement jusques aux termes dessus nommés, et iceux durans. Et combien que ès articles dudit accort et traictié de la paix en ces présentes lettres, ou autres dépendans desdis articles ou de ces présentes ou d'autres quelconques, que elles soient ou feussent, aucunes paroles ou fait aucun que nous ou nostre dit frère déissions ou féissions qui sentissent translacion ou renonciations taisibles ou expresses des ressors ou souverainnetés[257], est l'intencion de nous et de nostre dit frère que les avant dis souverainnetés et ressors que nostre dit frère se dit avoir ès dites terres qui nous seront bailliées, comme dit est, demourront en l'estat auquel elles sont à présent. Mais toutesvoies que il cessera de en user et de demander subjeccion par la manière dessus dite, jusques aux termes dessus esclaircis. Et aussi voulons et accordons à nostre dit frère que, après ce qu'il aura baillié lesdites cités, contés, chasteaux, villes, terres, païs, isles et lieux qu'il nous doit baillier parmy sa délivrance et renonciacions dessusdites ; et lesdites renonciations, transpors et cessions qui sont à faire de sa partie, pour luy et pour son ainsné fils, faites et envoiées auxdis jour et lieu à Bruges, lesdites lettres bailliées aux députés de par nous, que la renonciacion, transport, cession et délaissement à faire de nostre partie soient tenues pour faites ; et par habondant, nous renonçons dès lors par exprès au nom et au droit de la couronne du royaume de France, et à toutes les choses que nous devons renoncier par force dudit traictié, si avant comme proffitter pourra à nostre dit frère et à ses hoirs. Et voulons et accordons que, par ces présentes, ledit traictié de paix et accort fait entre nous et nostre dit frère, les subgiés, aliés et adhérens d'une partie et d'autre, ne soit, quant aux autres choses contenues en iceluy, empiré ou affebli en aucune manière ; mais voulons et nous plaist qu'il soient et demeurent en leur plaine force et vertu. Toutes lesquelles choses en ces présentes lettres escriptes, nous, roy d'Angleterre dessusdit, voulons, octroyons et promettons loyalment et en bonne foy et par nostre sairement fait sur le corps Dieu ès sains évangiles, tenir, garder, entériner et accomplir sans fraude et sans mal engin de nostre partie ; et à ce et pour ce faire, obligons à nostre dit frère de France, nous, nos hoirs et tous nos biens présens et avenir, en quelque lieu qu'il soient, renonçant par nostre dite foy et sairement à toutes exceptions de fraude, décevance, de crois pris et à prendre et à empétrer, dispensacion de pape ou d'autre au contraire ; laquelle sé empétrée estoit, nous voulons estre nulle et de nulle valeur, et que nous ne nous en puissions aidier, et aux drois disans que royaume ne pourra estre devisé, et général renonciacion non valoir fors en certaine manière, et à tout ce que nous pourrions proposer au contraire, en jugement ou dehors. En tesmoin desquelles choses, nous avons fait mettre nostre grant séel à ces présentes. Donné à nostre ville de Calais sous nostre grant séel, le vint-quatriesme jour d'octobre, l'an de grace mil trois cent soixante. »

[256] Espérés. C'est-à-dire : conjecturés, présumés.

[257] Dans plusieurs manuscrits, on voit écrit à la marge, de la main courante : Nota : Des ressors et souverainetés.

XIV.

Coment le roy ala à Tournay pour parler au conte de Flandres du mariage de sa fille et de Phelippe de Bourgoigne, frère dudit roy ; et de huit cardinaux que le pape fist.

En l'entrée du mois de septembre ensuivant, le roy parti de Paris pour aler à Tournay, là où il avoit mandé le conte de Flandres, le duc de Breban et le conte de Haynaut, en espérance de parfaire le mariage de messire Phelippe, duc de Bourgoigne, frère dudit roy, et de Marguerite fille dudit conte de Flandres, laquelle avoit par avant esté mariée à messire Phelippe duc de Bourgoigne, derrenier trespassé. Mais ledit conte de Flandres ne fu point à Tournay à la journée que le roy avoit entencion que il y feust, et se envoia excuser pour cause de maladie : et pour ce s'en retourna le roy à Paris sans autre chose faire dudit mariage. Mais madame Marguerite, contesse d'Artois et mère dudit conte de Flandres, qui estoit alée à Tournay pour celle cause, et qui moult vouloit et desiroit ledit mariage estre fait, ala par devers son dit fils à Malines, en poursuivant toujours la perfection et accomplissement dudit mariage. Item, le vendredi vint-deuxiesme jour du mois de septembre dessusdit, mil trois cent soixante-huit, le pape Urbain qui estoit à Monflacon[258] fist huit cardinaux ; c'est assavoir : le patriarche de Jérusalem, le patriarche d'Alexandrie, l'arcevesque de Cantorbire, anglois, l'arcevesque de Naples, messire Jehan de Dormans, evesque de Beauvais et chancelier de France, né de Dormans[259] sur la rivière de Marne ; monseigneur Estienne de Paris, evesque de Paris, né de Vitry auprès Paris sur la rivière de Saine, l'evesque de Castres et le prieur de Saint-Pierre de Rome. Et en vindrent les nouvelles certaines à Paris et les lettres de pluseurs cardinaux, le sixiesme jour du mois d'octobre ensuivant. Item, en la fin dudit mois de septembre, les Anglois de compaignie, qui estoient en la ville de[260] Chasteau de Vire, s'en partirent, pour certaine somme de florins que l'en leur donna, et s'en alèrent à Chasteau-Gontier par devers leur compaignons qui là estoient, et pristrent pluseurs forteresces environ, pour ce qu'il ne povoient tous estre logiés en ladite ville de Chasteau-Gontier.

[258] Montflacon. Montefiascone.

[259] Né de Dormans. Son tombeau est encore dans l'église de la petite ville de Dormans, entre Épernay et Château-Thierry.

[260] De. Peut-être faudroit-il lire : Et… Les éditions imprimées portent : Au chastel de la ville.

Item, en celui temps lesdis Gascoins de compaignie, qui avoient passé la rivière de Loire, comme dit est, alèrent en Touraine, et grant foison de gens d'armes du royaume de France, tant aux gaiges du roy comme sans gaiges alèrent après, en espérance de les combattre, jusques à une ville que l'en appelle Faye-les-Vigneuses[261], en laquelle se estoient retrais lesdis Gascoins ; et se tindrent lesdites gens d'armes devant ladite ville par aucuns jours, cuidans que iceux Gascoins deussent issir de ladite ville pour combattre : mais riens n'en firent, et pour ce se retraistrent lesdites gens d'armes de France en la ville de Lodun, et assez tost après se départirent, et lesdis Gascoins demourèrent en ladite ville de Faye.

[261] Aujourd'hui Faye-la-Vineuse, bourg du département d'Indre-et-Loire, à six lieues de Chinon.

Item, le jeudi vint-troisiesme jour du moys de novembre ensuivant, aucuns chevaliers et escuiers de la duchié de Bourgoigne, jusques au nombre de cinquante combatans ou environ, se combattirent à gens de compaignie qui estoient partis de la forteresce de Lez en Beaujeulais, et avoient chevauchié par la duchié de Bourgoigne jusques à Crevant, et s'en retournoient par la conté de Nevers ; et les dessusdis de Bourgoigne les suivirent jusques à une ville appellée Semelay[262], et là se combattirent à eux et les desconfirent. Et furent desdis des compaignies mors jusques au nombre de onze ou de douze, et environ quarante pris, et les autres s'enfouirent ; et si furent rescous grant foison de prisonniers que lesdis des compaignies avoient pris.

[262] Semelay. Aujourd'hui village du département de la Nièvre, à sept lieues de Château-Chinon.

XV.

De la Nativité de Charles, premier fils de Charles-le-Quint, roy de France.

Le dimenche tiers jour du mois de décembre, l'an mil trois cent soixante-huit dessusdit, premier jour de l'Avent Nostre-Seigneur, en la tierce heure après mienuit, la royne Jehanne, femme du roy Charles lors roy de France, ot son premier fils en l'ostel de emprès Saint-Pol de Paris ; et estoit la lune au signe de la Vierge en la seconde face dudit signe, et avoit la lune vint-trois jours. Duquel enfantement ledit roy et tout le peuple de France orent très grant joie, et non pas sans cause ; car onques ledit roy n'avoit eu aucun enfant masle. Et en rendi ledit roy graces à Dieu et à la vierge Marie. Et celui jour ala à Nostre-Dame de Paris, et fist chanter devant l'image de Nostre-Dame, à l'entrée du cuer, une belle messe de Nostre-Dame ; et l'endemain, au jour de lundi, ala à Saint-Denis en France en pélerinage, et fist donner aux ordres de Paris grant foison de florins jusques au nombre de trois mille florins et de plus.

Item, celuy jour de dimenche, messire Aymeri de Margnac, nouvel evesque de Paris, entra à Paris et fu apporté de Ste-Geneviève à Nostre-Dame, si comme il est acoustumé : et luy fist le roy sa feste et donna à disner au Louvre audit evesque et à tous ceux qui le acompaignièrent.

XVI.

De la solempnité du baptisement de Charles, fils du roy Charles le quint de ce nom.

Le mercredi ensuivant, sixiesme jour de décembre, l'an mil trois cent soixante-huit dessusdit, ledit fils du roy fu crestienné en l'églyse de Saint-Pol de Paris, environ heure de prime, par la manière qui ensuit. Et dès le jour de devant furent faites lices de mairien[263] en la rue, devant ladite églyse et aussi dedens ladite églyse environ les fons, pour mieux garder qu'il n'y eut trop presse de gens.

[263] Lices de mairien. Enceintes en bois.

Premièrement : devant ledit enfant ot deux cens varlès qui portoient deux cens torches, qui tous demourèrent en ladite rue, tenant lesdites torches ardans excepté seulement vint-six qui entrèrent dedens ledit moustier. Et après estoit messire Hue de Chasteillon, seigneur de Dampierre, maistre des arbalestiers, qui portoit un cierge en sa main, et le conte de Tanquarville si portoit une couppe en laquelle estoit le sel, et avoit une touaille en son col dont ledit sel estoit couvert. Et après estoit la royne Jehanne d'Evreux qui portoit ledit enfant sur ses bras ; et monseigneur Charles, seigneur de Montmorenci, et monseigneur Charles, conte de Dampmartin, estoit d'encoste luy ; et ainsi issirent dudit hostel du roy de Saint-Pol, par la porte qui est au plus près de ladite églyse. Et tantost après ledit enfant, estoient le duc d'Orliens, oncle du roy, le duc de Berry, le duc de Bourbon, frère de la royne, et pluseurs autres grans seigneurs et dames ; la royne Jehanne, la duchesse d'Orliens sa fille, la contesse de Harecourt et la dame de Lebret, suers de la royne, lesquelles estoient bien parées en couronnes et en joyaux : et après pluseurs autres dames et damoiselles bien parées et bien aournées[264]. Et ainsi fu apporté ledit enfant jusques à la grant porte de ladite églyse de Saint-Pol, à laquelle porte estoient, qui attendoient ledit enfant, le cardinal de Beauvais, chancelier de France, qui ledit enfant crestienna ; et le cardinal de Paris en sa chappe de drap sans autres aournemens, et les arcevesques de Lyon et de Sens, et les evesques d'Evreux, de Coustances, de Troyes, d'Arras, de Meaux, de Beauvais, de Noyon et de Paris ; et les abbés de St-Denis, de Saint-Germain-des-Prés, de Sainte-Geneviève, de Saint-Victor, de Saint-Magloire, tous en mitres et en crosses et tous furent au crestiennement. Et le tint sur les fons ledit seigneur de Montmorency, et fu appellé Charles, pour lesdis seigneur de Montmorency et conte de Dampmartin, qui ce meisme nom avoient. Et après fu reporté ledit enfant audit hostel de Saint-Pol par le cimetière de ladite églyse et par un huys par lequel l'on entroit audit hostel, pour la presse qui estoit devant ladite églyse[265]. Et celuy jour, fist le roy faire une donnée[266] en la couture Ste-Katherine, de huit parisis à chascune personne qui voult aler à ladite donnée, et y ot si grant presse que pluseurs femmes furent mortes en ladite presse. Item, celuy mercredi après vespres, ledit cardinal de Paris partist de ladite ville pour aler à Rome devers le pape, et prist congié du roy au Louvre ; et le convoièrent jusques hors de Paris les ducs de Berry et de Bourgoigne, frères dudit roy, et aussi fist le cardinal de Beauvais et pluseurs autres prélas qui estoient en ladite ville de Paris ; et s'en ala au giste à Charenton. Item, le vendredi, jour de la Purificacion Nostre-Dame, audit an mil trois cent soixante-huit, messire Guillaume de Meleun, lors arcevesque de Sens par bulle du pape à luy sur ce envoiée, présenta et bailla audit cardinal de Beauvais, chancelier de France, le chappel rouge au chastel du Louvre emprès Paris, en la présence du roy Charles, après la messe, emprès l'autel de la chappelle dudit chastel.

[264] Le tableau de cette procession, fort exact du moins pour les premiers personnages jusqu'au comte de Dammartin inclusivement, se reconnoît dans une miniature du manuscrit de Charles V, fo 446, vo. Montfaucon n'a pas connu ce précieux volume, comme j'ai eu déjà l'occasion de le remarquer sous le règne du roi Jean.

[265] Aujourd'hui l'on ne prendroit pas un détour aussi déplaisant, et nos sergens de ville feroient bonne raison de cette presse.

[266] Une donnée. Un don.

Item, le dimenche ensuivant, quatriesme jour du mois de février l'an dessus dit, la royne releva de sa gésine de son dit fils, auquel le roy avoit donné le nom de Daulphin de Viennois ; et pour ce estoit appellé monseigneur le daulphin. Et eut grant feste auxdites relevailles à disner et après disner de dancier et d'autres esbatemens.

Item, en celuy temps, en divers jours, se rendirent aux gens du roy de France pluseurs villes et forteresces du duchié de Guyenne, qui par avant estoient subgiés du roy d'Angleterre ; et aderèrent aux appellacions que avoient faites le conte d'Armignac, le conte de Pierregort, le seigneur de Lebret et pluseurs autres du pays de Guyenne contre le prince de Galles, ainsné fils du roy d'Angleterre et duc de Guyenne. Et en ce temps ledit prince accoucha malade d'une moult grave maladie et devint ydropite. Et pour les causes devant dites, le roy d'Angleterre envoia des Anglois de son pays et un sien autre fils appellé monseigneur Hémon[267] au pays de Guyenne. Car pour occasion desdites appellacions, se ensivit guerre entre lesdis roy et ses enfans contre lesdis appellans.

[267] Hemon. Edmond.

XVII.

De la desconfiture de la bataille du roy Pierre d'Espaigne, et coment il mourust.

En l'an dessus dit mil trois cent soixante-huit, le quatorziesme jour du mois de mars, le roy Henry et le roy Pierre de Castelle, desquels chascun tenoit grant partie du royaume de Castelle, se combattirent assez près de Sebille[268] la Grant, et estoient avec ledit Henry pluseurs François et Bretons tenant la partie du roy de France ; et avecques ledit Pierre estoient pluseurs Castellains et Sarrasins. Et fu iceluy Pierre desconfit et très grant foison de ses gens mors. Et il s'enfoui en un chastel qui estoit assez près du lieu de bataille, et fu suivi par le roy et par ses gens qui se mistrent entour le chastel. Et iceluy Pierre, cuidant eschapper, traicta à aucuns de ceux de la partie de Henry qui estoient hors dudit chastel, lesquels le revelèrent audit Henry. Et fu iceluy Henry à l'encontre dudit Pierre ou ses gens pour luy, et pristrent ledit Pierre au partir dudit chastel, et luy fist ledit Henry couper la teste le vint-deuxiesme jour dudit mois. Si fu-l'en lié en France de ceste aventure, car ledit Henry avoit tousjours tenu et encore tenoit la partie de France, et le roy Pierre estoit alié aux Anglois : toutesvoies estoient frères lesdis Henry et Pierre ; mais Pierre estoit légitime et Henry non, si comme l'en disoit. Et demoura le royaume tout enterin[269] audit Henry, et certainement moult de gens tenoient que ce fust avenu audit Pierre pour ce qu'il estoit très mauvais homme et avoit murdri mauvaisement et traytreusement sa bonne femme espousée, fille du duc de Bourbon et seur de la royne de France.

[268] Sebille. Séville.

[269] Enterin. Entier.

XVIII.

De la confirmacion du mariage de messire Phelippe duc de Bourgoigne et de la fille au conte de Flandres, et coment Abbeville en Pontieu et pluseurs autres villes se rendirent au roy de France.

ANNÉE 1369

L'an de grace mil trois cens soixante-neuf, le samedi après Pasques, qui fu le septiesme jour d'avril, car Pasques furent celui an le premier jour d'avril, le mariage qui longuement avoit esté traictié de messire Phelippe, frère du roy de France Charles, et duc de Bourgoigne, et de Marguerite fille de messire Loys conte de Flandres, fu passé et accordé par certaine manière et condicion dont mencion sera faite ci-après, après ce que la cronique fera mencion de la solempnisacion dudit mariage en sainte église.

Item, le dimenche vint-neuviesme jour dudit moys d'avril l'an dessus dit, la ville d'Abbeville en Pontieu se rendi aux gens du roy de France ; c'est assavoir à messire Hue de Chastillon, maistre des arbalestiers dudit roy, pour et au nom dudit roy, comme à leur souverain seigneur. Et celuy jour se rendi la ville de Rue[270]. Et celle sepmaine se rendirent pareillement toutes les villes, chasteaux et forteresses de la conté de Pontieu que le roy d'Angleterre tenoit, par telle manière que ledit roy de France ot par ses gens la possession de ladite conté en dix jours après ce que ladite ville d'Abbeville se fu rendue ; excepté une forteresse appellée Noyelle[271], laquelle n'estoit pas du demaine de ladite conté, mais en estoit tenue en fief ; et le demaine estoit à la contesse d'Aubemarle, à laquelle contesse les gens du roy d'Angleterre l'avoient ostée : et la tindrent messire Nicole Stauroure et autres Anglois qui estoient dedens. Et les causes pour lesquelles le roy de France fist prendre ladite conté et les autres terres assises en Guyenne qui se mistrent en l'obéissance du roy de France, et par avant estoient au roy d'Angleterre, seront ci-après escriptes.

[270] Rue. Petite ville de Picardie, à six lieues d'Abbeville.

[271] Noyelle. Aujourd'hui Noyelles-sur-Mer, bourg du département de la Somme, à quatre lieues d'Abbeville.

Item, le second jour de mai, l'an dessus dit, se présentèrent en parlement contre Edouart prince de Galles et duc de Guyenne, le conte d'Armignac, messire Jean d'Armignac, le seigneur de Lebret, et pluseurs autres nobles, consuls, consulas et communautés du duchié de Guyenne, lesquels avoient appellé dudit duc de Guyenne.

XIX.

Du parlement que le roy tint pour le fait des appellacions, et dont mencion est faite.

Le mercredi neuviesme[272] jour dudit moys de mai, veille de l'Ascencion l'an dessus dit, le roy de France Charles fu en la chambre de parlement, en la manière que le roy de France y a acoustumé de estre, et la royne Jehanne assise d'encoste le roy, et le cardinal de Beauvais chancelier de France au-dessus, au lieu auquel siet le premier président. Et de ce renc séoient les arcevesques de Rains, de Sens et de Tours, et pluseurs evesques jusques au nombre de quinze ; et pluseurs abbés et autres gens d'église envoiés à celle convocacion séoient ès bas bans et par terre. Et au renc où séoient les lays de parlement, séoient les ducs d'Orléans et de Bourgoigne, le conte d'Alençon, le conte d'Eu et le conte d'Etampes, tous des Fleurs de lis, et pluseurs autres nobles ; et aussi avoit en ladite chambre gens des bonnes villes envoyés en ladite assemblée, et d'autres si grant nombre que toute la chambre estoit pleine. Et là fist dire et exposer le roy par ledit cardinal, et après par messire Guillaume de Dormans, frère dudit cardinal, coment il avoit esté requis par lesdis appellans du duchié de Guyenne, de recevoir leur appelacions dont dessus est faite mencion, et coment il avoit esté conseillié de les recevoir, et que il ne les povoit né devoit refuser, et pour ce les avoit reçues, et donné ajournement aux appellans contre ledit prince ; coment, pour celle cause et pour autres, le roy d'Angleterre avoit envoié par devers le roy de France, et coment le roy de France avoit envoié en Angleterre les contes de Tanquarville et de Salebruche, messire Guillaume de Dormans et le doyen de Paris. Et fist dire le roy par ledit messire Guillaume de Dormans les responses que il avoit faites audit roy d'Angleterre sur ses dites requestes, et aussi les requestes que il luy avoient faites pour le roy de France, et la response que avoit fait sur tout le conseil du roy d'Angleterre, tout en la forme et manière que escript sera ci-après. Et fu dit par la bouche du roy à tous que sé il véoient que il eust fait chose que il ne deust, que il le déissent et il corrigeroit ce que il avoit fait[273], car il n'y avoit faite chose que bien ne se peust adrecier sé deffaut ou trop avoit fait ; et fu di à tous, tant par le roy comme par ledit cardinal, que chascun y pensast et que le vendredi ensuivant refeussent bien matin en ladite chambre pour dire leur avis sur ce.

[272] Le mercredi neuviesme. Et non pas le mardi vint-uniesme, avec les éditions précédentes et plusieurs manuscrits. Cette année-là, le vingt-un mai tomboit un lundi, et le neuf étoit bien un mercredi, comme le porte la leçon de Charles V.

[273] Voilà un exemple remarquable de l'absolutisme de notre ancienne monarchie.

Item, le jeudi ensuivant, jour de l'Ascension à relevée, le roy, la royne Jehanne et grant nombre des conseilliers du roy, tous les prélas et les nobles refurent assemblés en ladite chambre de parlement, et dist le roy et fist dire par le cardinal et par messire Guillaume de Dormans son frère, les causes pour lesquelles il avoit receu les appeaux fais du prince et de ses officiers, par lesdis conte d'Armignac, seigneur de Lebret et leur adhérens. Et dist lors le roy que il vouloit avoir leur conseil et avis, se il avoit en aucune chose failli ou erré : lesquels tous d'un accort, chascun par sa bouche, respondirent que le roy avoit raisonnablement fait ce que il avoit fait, et ne le devoit né povoit reffuser, et que sé le roy d'Angleterre faisoit guerre pour celle cause, induement la feroit et sans raison. Item, le vendredi matin ensuivant, onziesme jour dudit moys de mai, le roy, ladite royne, les prélas, les nobles, les bonnes villes refurent assemblés en ladite chambre de parlement, et furent tous d'accort par la manière que avoient esté les autres le jour précédent à relevée ; et après furent leues les responses qui avoient esté avisées à faire au roy d'Angleterre sur la bille[274] ou cédule qui avoit esté bailliée ès gens du roy de France en Angleterre, lesquelles responses furent approuvées de tous ceux de ladite assemblée. Et si fu ordené que le roy les envoieroit en Angleterre au conseil du roy d'Angletere, et ainsi fu fait.

[274] Bille. Et non bulle, comme les éditions précédentes. C'est encore aujourd'hui le mot anglois bill.


Cy après s'ensuyvent les escriptures qui furent leues devant le roy, et premièrement la bille ou cédule qui fu apportée d'Angleterre. C'est la teneur de la bille ou cédule bailliée par le roi d'Angleterre ou son conseil aus messages derrenièrement envoiés en Angleterre par le roy de France, et est ladite bille ou cédule signée de maistre Jehan de Brankette, secrétaire dudit roy d'Angleterre.

XX.

La teneur de la lettre du roy d'Angleterre.

« A la révérence nostre Seigneur, et pour bonne paix garder, nourrir et maintenir à perpétuité, entre le roy d'Angleterre, son royaume, ses terres et subgiés, et pour espargnier effusion de sanc crestien, et aussi pour bien de tout le commun peuple ; si est avis au conseil le roy d'Angleterre que toutes les demandes, contencions, débas et questions meus et demenés par entre les deux roys et autres à cause de eux, puis la paix derrenièrement faite, se mettront en ordenance et bon appointement d'estre finablement bien appaisiés, et ladite paix bien tenue et gardée par entre eux à tousjours, parmi l'acomplissement des choses dessoubs escriptes. Et premièrement que là où les messages de France, pour appaisier tous les débas de la terre de Belleville et de toutes autres terres contencieuses entre les deux roys, ont offert au roy d'Angleterre la commune paix[275] de Rouergue, le chastel de la Roche-sur-Yon, la conté de la Marche et la terre du conte d'Estampes en Aquitaine ; voirs est que ladite commune de Rouergue, par mandement du roy de France a esté bailliée et livrée au roy d'Angleterre par la paix, et ainsi le tient-il et possède à présent ; si semble audit conseil que elle lui devra demourer à perpétuité sans y estre mis aucun empeschement ; et semble aussi que ledit chastel de la Roche-sur-Yon qui est notoirement assis dedens la terre et le pays de Poitou, lui devra aussi demourer par ladite paix. Et quant à la conté de la Marche et la terre d'Estampes, le roy d'Angleterre ou son conseil n'ont aucune cognoissance de la value ; mais le roy envoiera pour s'en informer, et sé lesdites terres soient de si convenable value que il pourront auques recompenser ladite terre de Belleville, selon l'intencion du traictié de la paix, le conseil pense bien que le roy se tiendra assez près de les recevoir, au cas que la terre de Belleville ne se pourra rendre en aucune manière en propre substance. Et supposé que ladite conté de La Marche et les terres d'Estampes ne soient notablement de ladite value, si pense tous dis le conseil du roy que le roy de France y ordenera d'autres terres, en ce cas, dont le roy d'Angleterre se tendra content de ladite terre de Belleville, en accomplissant quant à ce le traictié de la paix, et aussi les autres terres et lieux qui restent encore à baillier et délivrer au pays d'Aquitaine soient bailliées ou suffisant recompensation pour ycelles, dont le roy se pourra tenir content. Et quant aux hommaiges et fiefs de Cayeux, Huppi, Vergies, Araines et autres qui restent encore à baillier en Pontieu, et aussi la ville de Monstereul sur la mer, et oultre ce, l'angle qui est, par exprès, compris dedens les mettes et landes de Calais et de Merk, semble audit conseil que toutes lesdites choses tant évidemment appartiennent au roy, et dont il a bonne et clère cognoissance selon le fait et l'intencion de la paix susdite, que il ne les devra par nulle voie laissier. Et oultre ce, ledit conseil s'en est parfondement pourpensé parmerveillant[276] très entièrement comment le roy de France a receu ou voulu recevoir les appeaux du conte d'Armignac, du sire de Lebret et de leur adhérens et complis, actendu qu'il estoit et est tenu et obligié par ladite paix d'avoir baillié et délivré audit roy d'Angleterre ou à ses députés, toutes les terres comprises ès lettres avecques la clause : c'est assavoir ; et, icelles délivrées et baillées, tantost avoir renoncié expressement aux ressors et souverainetés ; et cependant avoir sursis de user de souveraineté et de ressort ès terres dessus dites, et de recevoir aucunes appellacions et de rescrire à icelles, si comme ces choses et autres sont assez clèrement comprises ès lectres devant dites. Si à partant sursis le roy de France, tant que en ença, de user desdites souverainetés et ressors ; et est tout vray que le conte d'Armignac et le sire de Lebret et tous les autres vassaux et subgiés des seigneuries et terres en Aquitaine en ont fait hommaige lige au roy d'Angleterre, comme à seigneur souverain et lige, et encontre toutes les personnes qui pourront vivre et mourir ; et depuis il ont fait aussi hommaige au prince, retenu et réservé par exprès la souveraineté et le ressort au roy d'Angleterre. Dont par lesdites causes et autres raisonnables, semble au conseil le roy d'Angleterre, que considéré la forme de ladite paix que tant estoit honorable et proffitable au royaume de France et à toute crestienté, que la réception desdites appellacions n'a mie esté bien faite né passée si ordencement né à si bonne affeccion et amour comme il devoit avoir esté fait de raison, parmy le fait et entencion de la paix et les aliances affermées entre eux. Ains semblent estre moult préjudiciables et contraires à l'honneur et à l'estat du roy et de son fils le prince et de toute la maison d'Angleterre, et pourra estre évident matière de rébellion des subgiés, et aussi donner très-grant occasion d'enfraindre la paix, sé bon remède n'y soit mis sur ce plus hastivement. Et comme le roy d'Angleterre s'en est tousdis depuis la paix déporté de soy appeller ou porter roy de France par lectres ou autrement, par mesme la manière, le roy de France s'en déust avoir déporté de user de souveraineté et ressort avant touchiés. Néantmoins au cas que le roy de France vueille amiablement reparer et redrecier lesdis actemptas et remettre lesdis appellans arrière en la vraie obéissance dudit roy d'Angleterre, et faire expressément les renonciations et délaissement des souverainetés et ressort accordés à faire de sa partie, et en envoie ses lectres au roy d'Angleterre par fourme de ladite paix, laquelle chose si est proprement la substance et effet de ladite paix, et sans laquelle elle ne se pourra aucunement tenir ; adonques pense bien ledit conseil que le roy d'Angleterre fera les renonciacions à faire de sa partie, et sur ce envoiera ses lectres au roy de France en quanque il est tenu à faire, selon la forme de la paix dessus dite. »

[275] La plupart des manuscrits portent la commune et pays de Rouergue ; mais on doit préférer la leçon de Charles V et celle du manuscrit de Jean, duc de Berry, no 8302.

[276] Parmerveillant. S'esmerveillant fort.

(C'est la response que fait le roy de France en son conseil aux poins et articles contenus en la bille ou cédule dessus escripte. — Premièrement à ce qui est contenu au commencement de ladite cédule que à la révérence de Dieu, la paix autrefois faite entre les roys pourroit prendre et recevoir bon appointement sé les choses que ledit roy d'Angleterre requiert par ladite cédule lui estoient faites et accomplies et que par ce pourroit estre eschevée très-grant effusion de sanc crestien et bonne paix gardée entre lesdis roys.)

« Que le roy de France a toujours voulu et encore veult tenir et garder ladite paix, né onques ne fist né fera le contraire, au cas que le roy d'Angleterre la tendra de sa partie ; et ce a bien apparu au roy d'Angleterre pour ce qui luy a esté dit et offert derrenièrement par lesdis messages du roy de France, et encore pourra apparoir clerement à tout homme, par ce qui sera touchié brièvement ci-après. Et semble que le roy d'Angleterre et son conseil, sauve leur grace, ne veulent pas que ladite paix reçoive bon appointement ; car les choses qu'il requièrent sont desraisonnables, et en la plus grant partie contre le traictié de la paix. Et n'est tenu le roy de France de les faire par raison né par ladite paix ; et, selon raison, qui veult aucune chose il doit prendre et eslire moiens et causes raisonnables pour y venir et pour avoir et obtenir raisonnablement ce qu'il requiert, autrement on puet dire et tenir par raison qu'il ne la veult pas ; et à la vérité ledit roy de France eust plus chier que le roy d'Angleterre offrist et requerist telles choses et si raisonnables comme il déust faire pour la paix. »

(Item, à ce qui est contenu au premier article de ladite cédulle, faisant mencion de la terre de Belleville et autres contencieuses, et des offres faites par le roy de France pour icelles terres contencieuses.)

« Qu'il est vérité que le roy de France par sesdis messages fist offrir audit roy d'Angleterre, pour le debat de la terre de Belleville et pour toutes autres contencieuses, tant de Picardie comme d'ailleurs dont ledit roy d'Angleterre faisoit ou povoit faire demande à cause du traictié de la paix, et pour la délivrance de tous les hostaiges nobles, la revenue de la commune paix de Rouergue, de laquelle le roy de France fait demande ; de la ville et le chastel de la Roche-sur-Yon, la conté de La Marche, et la terre que monseigneur d'Estampes a en Poitou, à cause de madame sa femme ; lesquelles choses sont très-nobles et de très-grant valeur : et ceste offre faisoit le roy de France, pour avoir paix audit roy d'Angleterre, et pour oster toutes matières de débas et de questions ; car le roy de France n'i estoit né est en riens tenus, ainçois tient et tout son conseil que ledit roy d'Angleterre n'a cause né raison de faire les demandes qu'il fait de la terre de Belleville et autres contencieuses. Et a tousjours offert le roy de France que le pape et l'église de Rome, à qui les parties se sont soubmises de tout l'accomplissement de la paix par foy et sairement, cognoisse et détermine du débat desdites terres contencieuses, veu ledit traictié et oyes les parties sommièrement et de plain. Ou sé le roy d'Angleterre veult que les commissions soient renouvelées aux commissaires autrefois esleus des parties, sur le débat desdites terres ou à autres, encore plaist-il au roy de France ; nonobstant que le roy d'Angleterre, ses commissaires et procureurs aient esté négligens de procéder, et que par leur négligence le roy de France en peust et deust avoir grant proffit, et auroit plus chier le roy que la vérité fu sceue de son fait et de ses deffenses et qu'il en fust jugié, que ce que le roy d'Angleterre preist lesdites terres offertes pour lesdites terres contencieuses : lesquelles offres le roy d'Angleterre et son conseil ont toutes reffusées, et dient qu'il sont bien informés et acertenés qu'il ont bon droit et qu'il n'en prendront aucuns juges ; et ainsi veulent estre juges en leur cause, laquelle chose est contre toute raison. »

(Et quant à ce que le roy d'Angleterre ou son conseil dient audit article qu'il tient ladite commune paix de Rouergue et en a possession, et luy a esté bailliée par le traictié de la paix.)

« Que ledit roy d'Angleterre tient de fait ladite commune paix de Rouergue soubs umbre du pays de Rouergue qui luy a esté baillié, jasoit ce que icelle commune paix ne luy doive appartenir. Et pour ce en fait le roy de France demande, et en veult estre jugié comme dessus ; et pareillement, de la Roche-sur-Yon dit le roy de France que elle ne doit pas appartenir au roy d'Angleterre, et en veult estre jugié comme dessus. »

(Et quant à ce que dit le roy d'Angleterre ou son conseil audit article, qu'il s'informera de la valeur de ladite terre de Belleville, et la prendra, et s'il y a à parfaire, il tient que le roy de France y parfera.)

« Que ladite conté de La Marche et les terres dudit conté d'Estampes n'ont pas été offertes pour ladite terre de Belleville, mais pour toutes les terres contencieuses, et la délivrance des hostaiges nobles, avec ladite commune paix de la Roche-sur-Yon, et pour paix avoir, comme dit est. Car lesdites terres de La Marche et d'Estampes sont plus nobles et valent plus que ne fait ladite terre de Belleville. Et si tient le roy de France qu'il a bailliée ladite terre de Belleville, ainsi comme faire le deust par la paix, et en veult estre jugié comme dit est ; et touteffois avoit fait offrir pour ladite terre de Belleville, la conté de La Marche pour paix avoir, et ledit roy d'Angleterre ne l'a pas voulu faire. »

(Et quant à ce que contenu est audit article que le roy de France baille audit roy d'Angleterre les autres terres et lieux qui restent encore à baillier au pays d'Aquitaine ou souffisant recompensacion pour iceux, dont ledit roy d'Angleterre soit content.)

« Que le roy de France tient que il a baillié audit roy d'Angleterre tout ce que baillier luy doit en demaine au pays d'Aquitaine par le traictié de la paix ; et s'il y avoit quelque chose à baillier, il a tousjours offert à faire ; mais ledit roy d'Angleterre et le prince son fils occupent et s'efforcent de occuper pluseurs lieux, terres et seigneuries qui ne leur doivent point appartenir par ladite paix. Sur quoy le roy de France a tousjours offert que bonnes personnes soient esleues des parties qui en sachent la vérité, et le roy de France en fera et tendra tout ce qui sera trouvé qu'il en devra faire ; ou que le pape et l'église de Rome en cognoissent comme dessus. »

(Item, quant au second article de ladite bille ou cédule faisant mencion des hommaiges et fiefs de Cayeux, Huppi, Vergies et autres qui restent encore à baillier en Pontieu, Monstereul sur la mer et la terre de l'angle, lesquelles choses ledit roy d'Angleterre dit à luy appartenir si évidemment par ladite paix qu'il ne s'en doit en aucune manière délaissier.)

« Que des choses dessus dites a ledit roy d'Angleterre fait demande au roy de France, et aussi a le roy de France de pluseurs autres choses fait demande audit roy d'Angleterre par devant certains commissaires esleus des parties. Et ont les commissaires esleus de la partie du roy de France et son procureur comparu à toutes les journées et offert à procéder. Mais par la négligence et deffaut des commissaires esleus dudit roy d'Angleterre a esté le temps de ladite commission expiré et failli, et touteffois ont les messages du roy de France envoiés derrenièrement en Angleterre, requis et offert au roy d'Angleterre et à son conseil que ladite commission fust renouvelée, nonobstant leur négligence, aux premiers commissaires ou à autres ; ou que le pape et l'église de Rome en cogneussent, considéré la submission dessus dite. Lesquelles choses ledit roy d'Angleterre et son conseil ont reffusées, en disant qu'ils n'en prendront aucun juge, et qu'il sont bien acertenés de leur droit, laquelle chose appert évidemment inique et contre raison de leur partie, et puet apparoir clèrement à tout homme que le roy de France leur a offert toute raison. »

(Item, quant au tiers et derrenier article de ladite bille ou cédule, auquel est contenu que le conseil au roy d'Angleterre a parfondément pourpensé en merveillant très-entièrement comment le roy de France a receu ou voulu recevoir les appeaux du conte d'Armignac, de sire de Lebret et de leur adhérens, considéré que par le traictié de la paix, il devoit baillier au roy d'Angleterre certaines terres, et, après ce renoncier aus souverainetés et ressors, et cependant devoit surseoir de user de souveraineté et de ressort, et de recevoir aucunes appellacions, et partant en a le roy de France sursis de user jusques à présent.)

« Que le roy d'Angleterre et son conseil ne se doivent point merveillier de ce que le roy de France a receu les appellacions dessus dites ; car par le traictié de la paix, le roy Jehan, dont Dieu ait l'ame, avoit promis de surseoir à user desdites souverainetés et ressors jusques à certain temps ; c'est assavoir jusques à la saint Andrieu qui fu l'an soixante-un, si comme par le traictié de ladite paix puet apparoir, et par espécial en une lettre en laquelle est contenue la clause : c'est assavoir. Et ne pouvoit reffuser lesdites appellacions, veues les sommacions et requestes d'iceux appellans, qu'il ne leur fausist de justice et qu'il ne péchast mortelment, veu ledit traictié de paix. Et ainsi l'a trouvé le roy de France en tout son conseil, eue sur ce meure délibération par pluseurs fois, si comme les messages du roy de France l'ont plus plainement dit audit roy d'Angleterre et à son conseil, de bouche. Et sé le roy de France s'est déporté par aucun temps de user desdites souverainetés, depuis le temps dessus dit qu'il le povoit faire, de tant il a fait plus grant courtoisie au roy d'Angleterre. Né il n'avoit pas esté autrefois sommé d'autres appellans par la manière qu'il a esté à ceste fois par ledit conte d'Armignac et autres appellans ; et pour bien de paix l'a dissimulé par aucun temps et tant comme il a peu bonnement ; jasoit ce que faire le peust, comme dit est dessus. »

(Et quant à ce que contenu est audit article que ledit conte d'Armignac, le sire de Lebret et autres subgiés d'Aquitaine, ont fait hommaige lige au roy d'Angleterre comme à seigneur souverain et lige contre toute personne qui puisse venir et morir. Et au prince ont fait hommaige, sauve et réservé la souveraineté au roy d'Angleterre.)

« Que le conte d'Armignac et le sire de Lebret, sauve la grace des proposans, ne le dient pas ainsi. Ainsois ont dit au roy que en faisant hommaige au prince, il distrent expressément que il le luy faisoient selon ce que la teneur du traictié l'en portoit, et réservé à eux leur privilèges, franchises et libertés anciennes si avant et par la manière que leur prédécesseurs les avoient eus et en avoient joï ès temps passés. Et ce est trop bien à présumer, car ès lettres et mandement que le roy de France fist aux subgiés de Guyenne de faire obéissance au roy d'Angleterre estoient par exprès retenues et réservées les souverainetés et ressors au roy de France, si comme par l'inspeccion desdis mandemens puet apparoir ; et sé ladite réservation n'y feust, si y estoit-elle entendue de raison, puisque le roy de France ne transportoit pas exprès icelles souverainetés ; et sé ledit conte d'Armignac ou autre l'avoit fait autrement, si ne vaudroit-il né ne se pourroit soustenir, né le roy d'Angleterre ne les poroit recevoir par la manière qu'il maintient, que ce ne fust contre le traictié de la paix ; et aussi ne faisoit le prince. Et en ce faisant ont clerement et notoirement entrepris sur la souveraineté du roy de France, et si ont-il en pluseurs autres manières, car par ledit traictié de la paix en la clause : C'est assavoir, lesdites souverainetés et ressors demeurent au roy de France en tel estat comme elles estoient au temps du traictié de la paix, sans ce que elles puissent estre dictes ou réputées transportées au roy d'Angleterre par lettres quelconques comprises audit traictié, ou autres données ou à donner par dit né par fait quelconques, sé le roy de France n'y renonce expressément ; laquelle chose il ne fist oncques ; ainsois requiert ledit roy d'Angleterre et son conseil par ladite bille que le roy de France fasse lesdites renonciacions. »

(Et quant à ce que contenu est audit tiers article, qu'il semble au conseil dudit roy d'Angleterre que la réception desdites appellacions n'a pas esté bien faite né ordenéement, né en gardant la paix et amour telle comme elle doit estre par ledit traictié et par les aliances faites entre les deux roys.)

« Que, sauve la grace des proposans, ladite réception d'appellacions a bien et duement esté faite, né le roy de France ne le povoit né devoit refuser, comme dit est dessus ; et en ce n'a rien fait contre la paix, mais selon la forme et teneur d'icelle. »

(Et quant à ce que contenu est audit article que ladite réception d'appellacions est faite en grant injure et vitupère de la maison d'Angleterre et pourra estre occasion de grant rébellion des subgiés et aussi d'enfraindre ladite paix, se remède n'y est mis briefment.)

« Que, en ce faisant, le roy de France n'a fait né voulu faire aucune injure au roy d'Angleterre né à autres. Car les choses qui sont faites deuement par justice et selon raison et exécucion de droit ne peuvent causer injure né deshonneur. Et aussi ladite réception d'appellacions ne donne aucune occasion de rebellion aux subgiés ; ainsois donne occasion d'obéissance. Car appellacion est remède et bénéfice de droit, et pour garder les subgiés d'oppression et pour oster toute voie de fait. Et aussi le roy de France, en ce faisant, n'a donné aucune occasion d'enfraindre la paix parce que dit est, né par ce né autrement n'en voudroit donner cause né occasion. »

(Et quant à ce que contenu est audit article que le roy d'Angleterre s'est bien desporté de soi appeler et porter pour roy de France, et que aussi bien se peust estre desporté le roy de France de recevoir lesdites appellacions.)

« Que ces deux choses sont trop despareilles ; car soy appeler et nommer roy de France regarde la volenté et intérest seulement dudit roy d'Angleterre, mais recevoir les appellacions ou non ne regarde mie seulement l'intérest du souverain ; ainsois regarde principalement l'intérest des subgiés appelans, afin qu'il soient pourveus contre les oppressions des seigneurs demainiers, et pourveu à la requeste et instance des appelans. Et comme astraint à faire justice a receu le roy de France lesdites appellacions, donné rescript à icelles, et fait ce que seigneur souverain puet et doit faire en tel cas par justice et par raison, et n'a en rien usé par voie de fait. »

(Et quant à ce que contenu est en la fin dudit article que sé le roy veult réparer les attemptas et remettre les appelans en l'obéissance dudit roy d'Angleterre et faire les renonciations qui sont à faire de sa partie et ycelles envoie au roy d'Angleterre par ses lettres ouvertes, le conseil du roy d'Angleterre pense que le roy d'Angleterre fera celles que faire devra par le traictié de la paix.)

« Que, sauve la grace des proposans, l'offre des conclusions dessusdites n'est pas raisonnable par pluseurs raisons : La première, car le roy de France n'a fait aucuns attemptas contre ladite paix en recevant lesdites appellacions ; ainsois a fait ce qu'il povoit et devoit faire pour ladite paix : et aussi par ladite appellacion, les appelans sont exemps dudit roy d'Angleterre et du prince son fils et demeurent en l'obéissance du roy de France ; et ainsi il n'est tenu de les remettre en l'obéissance du roy d'Angleterre ou du prince, s'il n'estoit premièrement cogneu des appellacions et qu'il feust dit et jugié que il eussent mal appelé, au quel cas le roy de France feroit ce qu'il devroit, ainsi comme il l'a accoustumé de faire en cas semblable. La seconde raison : car le roy de France, par le traictié de la paix, n'est tenu de renoncier premièrement né avant que le roy d'Angleterre ; né premièrement ne doit pas envoier ses lettres : ainsois il y a certaine forme autre qu'il n'est contenu en l'offre du roy d'Angleterre dessus esclaircie. La tierce raison : que le roy d'Angleterre n'offre pas à faire les renonciations qui sont à faire de sa partie, supposé que le roy de France les féist de sa partie ; ainsois dit le conseil du roy d'Angleterre qu'il pense que le roy d'Angleterre les feroit, laquelle chose ne souffist pas, considéré la forme du traictié de la paix. La quarte raison : car le roy d'Angleterre n'offre pas à envoier les personnes devant lesquelles le roy de France devroit faire lesdites renonciations ; et aussi ne requiert pas que le roy de France luy envoie personnes devant lesquelles il les fera, lesquelles choses il convenist par le traictié de paix. La quinte raison : car le roy d'Angleterre par ladite bille ou cédulle veult que le roy de France luy délivre certaines terres, lesquelles, par le traictié de la paix, ne regardent en rien le fait des renonciations, si comme Monstereul sur la mer, les quatre homaiges dessusdis, la terre de l'angle et pluseurs autres, lesquelles ledit roy d'Angleterre veult avoir pour ce qu'il dit qu'il y a droit et qu'il en est bien enformé ; et le roy de France dit que elles ne doivent point appartenir au roy d'Angleterre par le traictié de la paix : et n'en veult point estre juge en sa cause, ainsois en veult estre jugié par le pape et l'églyse de Rome, à qui les parties se sont soubmises, ou par commissaires esleus ou à eslire des parties, ainsi comme autrefois a esté fait. La sixte raison : car le roy d'Angleterre, par ladite bille ou cédulle, veult que le roy de France luy baille lesdites terres et luy face formelment et clerement tout ce qu'il requiert ; et il offre en général à faire au roy de France ce que faire devra, laquelle chose cherroit en cognoissance de cause, et est obscure et incertaine ; car aux requestes du roy de France n'a fait né voulu faire le roy d'Angleterre né son conseil aucune particulière né certaine response, jasoit ce que pluseurs fois luy ait esté requis. Parquoy puet apparoir clerement et très évidemment que les responses, offres, conclusions et autres choses contenues en ladite bille ou cédulle, sauve la grace des opposans, ne sont mie raisonnablement baillées ou proposées, espécialment par la forme et manière comprise en ladite bille ou cédulle. Et quant le roy d'Angleterre et son conseil vouldront requérir ou offrir aucunes choses raisonnables et selon la forme de la paix ; et aussi feront et vouldront faire de leur partie ce qu'il doivent faire sur les requestes que le roy de France leur a fait faire par ses dis messages envoiés darrenièrement en Angleterre, tant sur le fait du widement des compaignies et sur les dommaiges qu'il ont fait au royaume de France, comme sur les autres choses touchant le traictié de la paix, le roy de France fera très volentiers ce que faire devra de sa partie.

» Item, dit le roy de France et son conseil, afin qu'il appère à tout homme que tout ce qu'il a fait a esté fait bien et duement, et par voie de justice, et sans faire aucune chose contre la paix ; que, par le traictié de la paix et par ce que dit est dessus appert évidemment que les souverainetés et ressors des terres bailliées par la paix au roy d'Angleterre en demaine et aussi de celles qui lui doivent demourer par la paix appartiennent et demeurent au roy de France en tel estat comme elles estoient au temps de ladite paix, puisqu'il n'y a renoncié. Et ainsi le dit clèrement la clause : c'est assavoir. Et aussi est-il certain et appert par ladite bille ou cédulle et par la confession du roy d'Angleterre et de son conseil que le roy de France n'y a point renoncié. Et par icelle bille ou cédulle il requièrent que le roy de France face les renonciations auxdites souverainetés et ressors, ce que il ne requéissent pas sé il y eust renoncié, et par conséquent en povoit et puet user, passé le terme de ladite surséance qui duroit jusques à ladite feste St-Andrieu, l'an soixante-un.

» Item, que, ce nonobstant, le roy d'Angleterre et le prince son fils, ont entrepris et actempté contre icelles souverainetés et ressors en plusieurs manières, et se sont efforciés d'icelles approprier et attribuer à eux, et icelles dénier et empeschier au roy de France auquel seul et pour le tout elles appartenoient et appartiennent comme est dit dessus. Premièrement le roy d'Angleterre et son gouverneur-général de Pontieu, qui est pardessus tous les officiers de Pontieu et lequel le roy d'Angleterre ne peut désavouer, a ordené et publié audit Pontieu que tous ceux qui appelleroient du séneschal de Pontieu audit gouverneur comme à siège souverain et derrain, duquel l'en ne puist partir sé non par proposition d'erreurs comme on fait en parlement, et après ladite ordenance a donné pluseurs ajournemens pardevant luy et ceux qui avecques luy seroient aux appellans des sentences au jugement dudit séneschal ; duquel séneschal de tout temps on doit et est accoutumé d'appeller au baillif d'Amiens sans moien[277] : et ce ont fait ledit gouverneur, le trésorier de Pontieu et autres officiers dudit Pontieu, de l'autorité et volenté dudit roy d'Angleterre et de son conseil d'Angleterre, né autrement ne l'eussent osé faire né si grant chose entreprendre. Et aussi est venu à la connoissance dudit roy d'Angleterre et de son conseil, et l'ont souffert et consenti expressément ou taisiblement ; et aussi ne puet ledit gouverneur estre désavoué comme dit est selon raison, la coustume, et usaige et commune observance de la court souveraine, espécialment en fait de justice et en ce qui puet cheoir en administration et gouvernement de païs.

[277] Sans moyen. Sans intermédiaire.

» Item, que lesdis gouverneur et trésorier de Pontieu, considérans qu'il ne povoient par raison né devoient entreprendre ledit ressort, s'efforcièrent d'enduire les subgiés de Pontieu à ce qu'il voulsissent requérir que ledit ressort leur feust baillié comme souverain et final, sans plus ressortir au roy de France né à sa court de parlement ; et firent assembler à Abbeville, en l'églyse de Saint-Pierre, les gens d'églyse, les nobles et les bonnes villes de Pontieu, et leur baillièrent ou firent baillier une requeste ou supplicacion contenant que lesdis subgiés requéroient et supplioient avoir ledit ressort par devers ledit gouverneur ; et avoit en icelle supplicacion pluseurs queues pour y mettre les seaux desdites gens d'églyse, nobles et bonnes villes, et leur requéroit-on que ainsi le voulsissent faire : mais lesdis subgiés, comme bien avisés et conseilliés, respondirent d'un commun assentiment qu'il n'en requéroient riens et qu'il ne savoient pas que le roy de France eust renoncié à ses souverainetés et ressors, né qu'il les eust transportés au roy d'Angleterre ; et que sur ce, ledit roy d'Angleterre et son conseil féissent ce que bon leur sembleroit. Et d'icelle supplicacion sera bien monstrée la copie sé mestier est ; et estoit icelle supplicacion getée et ordenée par le conseil du roy d'Angleterre, et contenoit, contre vérité, que le roy de France n'avoit audit pays de Pontieu aucune souveraineté, et que la seigneurie d'iceluy païs estoit toute séparée du royaume de France.

» Item, que, ce nonobstant, ledit gouverneur ordena ledit ressort, iceluy fist publier, et en a usé et donné pluseurs ajournemens en cause d'appel, comme dit est dessus, et en entreprenant lesdites souverainetés et en eux efforçant d'icelles attribuer à eux, contre raison, et contre la teneur de ladite paix.

» Item, que ledit roy d'Angleterre, lesdis gouverneur et trésorier ont requis et fait requérir à pluseurs nobles et subgiés dudit Pontieu qu'il feissent seremens d'estre avec le roy d'Angleterre contre toutes personnes qui pevent vivre et mourir, le roy de France ou autres. Et en y a pluseurs qui l'ont fait ainsi par doubtance, si comme l'en dit, et à ceux qui ne le voulurent faire en saisissent leur terres et leur fiefs, et tient-on communelment que Ringois[278] d'Abbeville a esté mort pour ce qu'il ne voult faire ledit serement contre le roy de France ; et fu mené en Angleterre, et après ce qu'il a esté longuement prisonnier détenu, sans lui vouloir ouvrir voie de droit né à ses amis qui le poursuivoient, on l'a fait saillir des dunes du chastel de Douvre en la mer.

[278] Ringois. Variante : Aingois.

» Item, que par icelle meisme manière l'a fait et s'est efforcié de faire ledit roy d'Angleterre et aussi le prince son fils, au païs de Guyenne, en prenant leur homaiges ; et ainsi le confessent-il et est contenu en ladite bille du conte d'Armignac et du sire de Lebret, qu'il ont fait leur homaige au roy d'Angleterre comme seigneur souverain ; et que ainsi l'ont reçu le roy d'Angleterre et le prince son fils.

» Item, que ledit roy d'Angleterre et le prince son fils, tant en Pontieu comme en Guyenne, ont occupé et occupent de fait la seigneurie et connoissance des causes touchant les églyses cathédraux et autres églyses de fondation royale, de ce que icelles églyses tiennent soubs eux ; et toutesvoies icelles églyses sont de la souveraineté et ressort du roy de France seul et pour le tout, né oncques n'y renonça comme dit est dessus. Et supposé que le roy ait mandé par ses lettres à aucunes villes, seigneurs ou païs qu'il obéissent au roy d'Angleterre par la manière qu'il ont fait au temps aux roys de France, c'est à entendre comme à seigneur en demaine, et selon la forme de la paix laquelle est contenue par exprès en la clause : c'est à savoir, que les souverainetés et ressors des païs bailliés en demaine au roy d'Angleterre au royaume de France, demeurent au roy de France en l'état que elles estoient au temps de la paix, sans ce que elles puissent estre dites ou transportées au roy d'Angleterre par lettres contenues au traictié de la paix, né autres données ou à donner par dit, par fait né autrement par quelconque manière que ce soit, jusques à ce que le roy de France y ait renoncié expressément et bailliées ses lettres ouvertes au roy d'Angleterre ; laquelle chose il ne fist oncques.

» Item, que ledit prince a pris ou fait prendre et mettre en prison maistre Bernart Palot et monseigneur Jehan de Chaponnal, commis ou députés, de par le roy de France ou de par son séneschal à Toulouse, à présenter audit prince les lettres du roy de France ; par lesquelles ledit prince estoit adjourné, en cause d'appel, pardevant le roy ou sa court de parlement à Paris, à l'instance et requeste dudit conte d'Armignac ; et les a détenus prisonniers pour lonc-temps, et encore détient en très grand contempt et mesprisement du roy et de sa souveraineté[279], et en actemptant et entreprenant contre icelles souverainetés.

[279] Le manuscrit de Charles V porte sur la marge, à côté de ces mots : No. Que il les fist morir. — Bernard Palot étoit un docteur, juge du roi à Toulouse, comme on le verra vers la fin de l'année 1377.

» Item, que ledit prince, au contempt de ladite appellacion, fait guerre ouverte contre ledit conte d'Armignac et ses adhérens, et procède contre ledit conte et contre iceux par voie de guerre et de fait le plus efforcément qu'il puet ; et font mourir et mettre à mort tous les appellans qu'il trouvent et leur adhérens. Et en ce faisant n'est pas doute qu'il fait guerre contre le roy de France, considéré que lesdis apellans, par ladite appellacion et durant icelle, sont exemps dudit prince et sont en l'obéissance, sauve-garde et proteccion du roy ; et ne leur puet ledit prince meffaire qu'il ne mefface au roi de France et à sa souveraineté.

» Item, que le roy d'Angleterre, en la guerre entreprise et rebellion dessus dite, soustient et a soustenu, conforté et aidié ledit prince son fils, et luy a envoié et envoie tous les jours gens d'armes et archiers pour faire guerre auxdis appellans, et par conséquent ne puet désavouer le fait dudit prince son fils.

» Item, que le roy d'Angleterre et le prince son fils ont pris à leur soldées et gaiges pluseurs gens de compaignies, ennemis du roy et du royaume de France, pour faire guerre contre lesdis appellans, en aidant et confortant iceux et en les receptant en leur terres et seigneuries. Laquelle chose il ne pevent faire par les aliances des deux roys, et une partie desdites compaignies font demourer au royaume de France à Chastel-Gontier et ailleurs, pour iceluy royaume grever et domaigier.

» Item, que en ce faisant monstrent-il clèrement que il ont lesdites compaignies soustenues, aidiées et confortées au temps passé, et que elles sont et ont bien esté en leur commandement, et qu'il avoient bien la puissance de les empeschier à entrer au royaume de France et de les faire widier et mettre hors s'il leur eust pleu ; ainsi comme tenus y estoient par lesdites aliances.

» Item, qu'il n'est pas doubte que en ce faisant, il ont fait contre les bulles et les procès du pape, et en encourant les peines et sentences contenues en icelles, puisqu'il se aident et se sont aidiés desdites compaignies et icelles confortées et aidiées contre le royaume de France, et aussi puisque ils les povoient retraire dudit royaume et il ne l'ont fait, et par spécial leur subgiés nés de leur terres et seigneuries. Et ainsi sont par lesdites bulles et procès tous leur subgiés et vassaux quittes et absous de tous homaiges et seremens èsquiels il leur estoient tenus et astrains, et puet le roy de France assigner et mettre en sa main toutes les terres, seigneuries qu'il tiennent en demaine au royaume de France.

» Item, que darrenièrement ont les gens du roy d'Angleterre chevauchié en Pontieu par manière de guerre, et bouté feux en la maison du seigneur de Chastillon, et fait pluseurs autres choses par voie de fait et de guerre contre droit et les seremens devant fais.

» Item, que en ce faisant, il appert clèrement que lesdis roy d'Angleterre et prince ont commencié à procéder contre le roy de France par voie de guerre et de fait, en venant et en enfraignant icelle ; et en pluseurs autres manières ont entrepris sur le roy de France et sur son royaume et contre ses souverainetés, lesquelles choses et explois seroient trop lonc à reciter. Et par les rebellions, désobéissances, actemptas, mesprisemens et abus dessus dis, ont tant meffait lesdis roy d'Angleterre et prince envers le roy de France et sa souveraineté, qu'il puet et luy loit[280] par raison et par bonne justice assigner et mettre en sa main tous les demaines que lesdis roy d'Angleterre et prince ont au royaume de France, tant en païs coustumier comme en païs de droit escript. Et s'il y a aucuns subgiés ou autres habitans ou demourans en iceux demaines, le roy leur puet requérir que il obéissent à luy et à ses gens en ce faisant, et il y sont tenus d'obéir comme à leur seigneur souverain. Et s'il y a aucuns subgiés ou autres qui en ce fassent désobéissance ou rebellion, le roy de France les puet, sans offence de justice, faire par sa puissance et par main armée venir à obéissance, et faire tant que la force soit sienne ; et en ce, ne peut-on dire ou noter voie de guerre ou de fait, mais que droite et bonne justice ; né par ce on ne puet dire que le roy ait commencié guerre né fait contre la paix en aucune manière.

[280] Luy loit. Lui est loisible.

» Item, que pour les causes dessus dites et à la conservacion de ses souverainetés et en usant d'icelle, a le roy de France assigné et mis en sa main comme seigneur souverain aucunes villes et lieux qui estoient du demaine du roy d'Angleterre : et où il a trouvé obéissance, il y a mis gens de par luy, pour icelles villes et lieux tenir et garder en sa main ; et où il a trouvé désobéissance, il les y contraint par sa puissance et par la manière qui luy loit à faire. Et ainsi le peut-il faire et continuer, s'il lui plaist, par tous les autres lieux et demaines que lesdis roy d'Angleterre et prince ont au royaume de France, et en la souveraineté d'icelui.

» Et par ce que dit est dessus, puet apparoir clèrement à tout homme que tout ce que le roy de France a fait tant en Pontieu comme en Guyenne sur les demaines que le roy d'Angleterre y tenoit, il l'a fait par voie de justice et de raison, et ainsi comme il luy loisoit à faire comme à seigneur souverain ; et n'a en rien procédé par voie de guerre né de fait ; et que le roy d'Angleterre et le prince son fils ont procédé desraisonnablement et par voie de fait, et commencié la guerre contre le roy de France et ses subgiés, et en venant par pluseurs fois et par pluseurs manières contre le traictié de la paix.

» Et pour ce que plus clèrement appère l'entendement des choses dessus dites, et pour monstrer les justificacions du roy de France en ces choses, s'ensuivent ci-après aucunes requestes que le roy de France luy deut faire par le traictié de la paix, et lesquelles les messaiges du roy de France dessus dis ont faites audit roy d'Angleterre ; mais iceluy roy d'Angleterre né son conseil n'y ont fait né voulu faire response.

La première. » Comme audit traictié entre les autres choses est contenu au vint-septiesme et au vint-huitiesme articles et sur ce faites lettres des deux roys, que le roy d'Angleterre est tenu de faire widier et délivrer, à ses propres coux et frais, toutes les forteresses prises et occupées par luy, par ses subgiés, adhérens ou aliés au royaume de France, en quelque partie que ce soit, excepté celles du duchié de Bretaigne et des païs et terres qui doivent appartenir et demourer audit roy d'Angleterre, et le devoit avoir fait dedens la Chandeleur qui fu l'an mil trois cens soixante ; et en icelles lettres sont nommées par exprès lesdites forteresses occupées audit royaume ou grant partie d'icelles. Item, que ledit roy d'Angleterre ne fit widier né délivrer lesdites forteresses dedens ledit terme de la Chandeleur. Item, que celles qui furent widiées après ladite Chandeleur, ou grant partie d'icelles, ne l'ont point esté par ledit roy d'Angleterre né à ses frais né despens, comme faire le devoit ; ainsois l'ont été aux frais et despens du roy et de ses subgiés et des païs où lesdites forteresses étoient assises. Item, que aucunes des forteresses ne furent oncques délivrées, ainsois ont toujours esté occupées et encores sont par ledit roy d'Angleterre ou par ses subgiés ou aliés, c'est assavoir la Roche-de-Pesay[281] ; et toutesvoies ladite Roche-de-Pesay est par exprès nommée audit traictié entre les forteresses qui devoient être widiées et délivrées au païs de Tourraine. Item, par la faute dudit widement, ceux qui demourèrent ès dites forteresses pour ledit roy d'Angleterre ont pillié, gasté et destruit le païs pour le temps qu'il y ont esté, et aussi durement où pou s'en failloit comme il faisoient durant la guerre, levé nouvelles raençons et fait tout le mal qu'il povoient. Item, que par ce a convenu que les païs où lesdites forteresses estoient aient acheté lesdis fors[282] à grans sommes de deniers, pour ce que le roy d'Angleterre ne les faisoit pas widier, nonobstant qu'il en feust pluseurs fois sommé et requis ; et jà soit ce que le roy de France eust fait de sa partie ce que faire devoit pour ledit widement : et seront bailliées, toutesvoies que besoin sera, par déclaration, les forteresses rachetées aux despens du roy et du pays. Item, que en ces choses le roy et ses subgiés ont esté domaigiés jusques à très grans sommes aussi comme inestimables, à déclarer quant temps sera, et desquelles choses le roy doit estre desdommaigié par le roy d'Angleterre. »

[281] La Roche de Pesay. Aujourd'hui Laroche-Posay, sur les limites de la Touraine et du Poitou.

[282] Fors. Forteresses.

La seconde. » Comme entre les deux roys par ledit traictié de la paix, soient faites et passées alliance contre toutes personnes, excepté le pape et le saint-siège de Rome et l'empereur qui est à présent, pour eux, leur enfans, leur hoirs et successeurs, leur royaumes, terres et subgiés quelconques ; et entre les autres choses soit contenu en icelles alliances, que le roy d'Angleterre ne soufferra aucun de ses subgiés né autres quelconques aler né entrer au royaume de France, né en autre terre du roy, ses enfans, hoirs ou successeurs, pour y faire guerre, domaige ou offense aucune, à gaige, à service d'autrui né autrement, par quelconque manière ou cause que ce soit ; ainsois les empeschera ou destourbera de tout son pouvoir, et les ennemis ou malveillans du roy au royaume de France ne receptera en son royaume ou aucunes de ses terres, né aide ou confort ne leur fera ; et sé aucun de ses subgiés faisoient le contraire, ou aussi une guerre villaine ou domaige au roy ou au royaume de France, par ses successeurs ou subgiés il les pourroit ou feroit pugnir si grandement qu'il seroit example à tous autres ; et de tout son pouvoir feroit réparer et adressier tous les domages, actemptas ou entreprises fais à l'encontre ; et sé il faisoit, procuroit ou souffroit sciemment le contraire estre fait, il vouloit encourir les peines contenues ès-dites alliances.

» Item, qu'il n'est pas doubte que par lesdites alliances le roy d'Angleterre estoit et est tenu et obligié à destourber et empeschier de tout son povoir et procurer et faire diligence par deffenses, inhibicions et de toutes autres manières qu'il poroit, que aucun de ses subgiés n'entrast au royaume de France pour y faire guerre ou domaige par manière de compaignies à service ou gaiges d'autruy, ou autrement par quelconque cause que ce soit ; et aussi il estoit et est obligié s'il faisoit le contraire de faire réparer et adressier les seurprises ou actemptas fais par ses subgiés, laquelle chose il devoit faire en les contraingnant à widier le royaume de France, et faisant redressier les domaiges qu'il avoient fais : autrement les actemptas ne seroient pas adressiés né réparés.

» Item, que selon lesdites alliances puisque le roy d'Angleterre estoit tenu de destourber et empeschier que ses subgiés n'entrassent au royaume de France pour y faire guerre, par semblable voie et par plus forte il estoit tenu, s'il y entroient ou faisoient guerre, de les faire widier et retraire dudit royaume.

» Item, que par exprès il est retenu ès-dites alliances, comme dit est dessus, que ledit roy d'Angleterre ne soufferra point le contraire sciemment ; lesquelles paroles emportent que sé il le scet et vient à sa connoissance, qu'il les fera widier et les empeschera de tout son pouvoir, autrement il se soufferroit sciemment et seroit contre lesdites alliances et promesses.

» Item, que par lesdites alliances, ledit roy d'Angleterre est tenu à trois choses : premièrement de non souffrir les subgiés faire guerre ou domaige au royaume de France ; secondement il est tenu de les destourber ou empeschier ; et tiercement il est tenu sé il font le contraire de réparer et adressier leur entreprise et actemptas, et par conséquent de les faire widier du royaume de France, comme dit est dessus, soit qu'il soient entrés par manière de compaignies à service ou gaiges d'autrui, ou autrement : et aussi doit rendre et restablir ou faire rendre et restablir tous les domaiges que le roy, son royaume et ses subgiés ont eu et soustenu pour celle cause, et aussi ne les doit récepter, né à iceux prester conseil, confort ou aide en aucune manière.

» Item, que par lesdites alliances, ledit roy d'Angleterre est obligié de faire les choses dessus dites de tout son povoir, lesquelles paroles sont à entendre civilement et raisonnablement et de tel povoir que le roy d'Angleterre a sur ses subgiés ; c'est assavoir, qu'il leur doit mander et commander qu'il wident le royaume, et sé ils n'obéissent à ses commandemens il les y doit contraindre par sa puissance et main armée et ce emportent les paroles : de tout son povoir, lesquelles sont à entendre cum effectu.

» Item, que, ce nonobstant, les subgiés du roy d'Angleterre et du prince, tant d'Angleterre comme de Guyenne, ont esté au royaume de France, tant par manière de compaignies comme autrement, et y ont fait guerre et tous les domaiges, excès et maléfices que l'en pourroit dire né desclairer, et ont esté pour la grant partie du temps depuis le traictié de la paix, et encores y sont à présent et ont esté dès la derrenière venue par l'espace d'un an continuellement et plus, sans en partir ; tous ou la plus grant partie subgiés et des terres et de l'obéissance dudit roy d'Angleterre et du prince son fils ; et y ont fait et y font de jour en jour domaiges et excès irréparables et aussi comme inestimables[283], et grant partie des pillages portés, réceptés et vendus en Guyenne.

[283] La fin de cet alinéa et le suivant ont été omis dans les éditions précédentes.

» Item, que il est venu à la connoissance dudit roy d'Angleterre, que lesdites compaignies estoient au royaume, et l'en a le roy de France, par pluseurs fois, sommé et requis qu'il les voulsist faire widier et partir du royaume de France et faire reparer les domaiges et actemptas que fais avoient ; laquelle chose le roy d'Angleterre et le prince n'ont pas fait, jà soit ce que faire le peussent et deussent selon le traictié de la paix.

» Item, que supposé que ledit roy d'Angleterre leur ait fait faire aucuns commandemens de bouche de widier le royaume, ce ne doit pas souffire ; car puisqu'il n'obéissent à ses commandemens, il les doit contraindre de fait, autrement il ne faisoit pas bien son devoir né son povoir.

» Item, que ledit roy d'Angleterre, tant pour lesdites alliances comme par une lettre appellée exécutoire passée à Calais, doit punir les dessus dis, ses subgiés, qui feront guerre ou domaige audit royaume de France pour quelconque cause que ce soit comme traistres, et en la manière qu'il est acoustumé à faire en crime de lèse majesté s'il les puet appréhender, ou bannir de son royaume s'il sont absens, et leur biens ou terres confisquer, sans iceux jamais récepter en son royaume, s'il ne se partent du royaume de France, dedens un mois après ce que il en auront esté sommés et requis par aucun des gens dudit roy d'Angleterre ou autre personne publique ; de quoi rien n'a esté fais, ainsois sont et viennent pluseurs d'iceux par le royaume d'Angleterre et par Guyenne, et aussi joyssent de leurs biens paisiblement.

» Item, que pour les choses dessus dites et occasion d'icelles, le roy de France a esté domaigié irréparablement et ses subgiés jusques à sommes ainsi comme inestimables, et desquelles choses le roy de France doit estre desdomaigié par le roy d'Angleterre et lesquelles choses seront bien esclaircies et montrées.

» Item, et avecques ce, fasse le roy d'Angleterre royalment et de fait widier les gens des compaignies qui sont au royaume de France, spécialment ceux qui sont de ses terres et seigneuries et du prince son fils ; et que de ce fasse tout son povoir par la manière que contenu est èsdites alliances. Et plaise au roy d'Angleterre dire aux messaiges du roy de France à cette fois ce qui l'en plaira faire ; car le roy de France tient que le roy d'Angleterre y est tenu par le traictié de la paix et par lesdites alliances. »

La tierce. » Que comme esdites aliances, entre les autres choses soit convenu que sé aucun des deux roys requiert l'autre en son ayde, celui qui ainsi sera requis aidera le requérant et luy donra tout le bon conseil qu'il pourra aux despens du requérant : et il soit ainsi que ledit roy de France ait fait requérir le roy d'Angleterre par ses messaiges qui y furent derrenièrement qu'il voulsist mander et commander à ses subgiés que sé le roy de France les requéroit de luy servir contre les compaignies à ses despens qu'il luy aidassent, et que aussi voulsist mander au prince son fils que il commandast à ses subgiés de Guienne ; et mesmement[284] qu'il y en avoit aucuns qui estoient ses hommes et le devoient servir contre autres personnes que contre le roy d'Angleterre ou ses enfans. Laquelle requeste fu plainement reffusée auxdis messaiges du roy, soubs couleur que le conseil dudit roy d'Angleterre disoit que le roy d'Angleterre avoit à faire de gens d'armes ou doubtoit d'en avoir à faire prochainement, et aussi disoit-il du prince. Sur quoy leur fu requis que il baillassent lesdis mandemens à leur subgiés de servir le roy à ses despens, comme dit est, au cas que ledit roy d'Angleterre ou le prince ne les manderoient ou embesogneroient pour fait de guerre qui leur survenist ; laquelle chose leur fu encore refusée. Et toutesvoies ledit roy d'Angleterre né aussi ledit prince n'avoient né depuis n'eurent aucune guerre pour laquelle il embesognassent ceux que le roy de France requéroit à avoir en son service à ses despens.

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