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Les grandes chroniques de France (6/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis en France

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[284] Mesmement que. Avec d'autant plus de raison que.

» Item, que, pour ce, en y a eu pluseurs de la duchié de Guyenne qui n'ont osé venir au service du roy, et aucuns qui y sont venus n'y vindrent pas si tost que le roy en eust besoin ; et en ce a esté le roy et ses subgiés grandement domagié et irréparablement.

» Item, que les gens du roy nostre sire estant devant Faye-la-Vigneuse où lesdites compaignies estoient, en entencion d'icelles compaignies combattre, le séneschal de Poitou, où autres gens ou officiers du prince firent commandement de par le prince à pluseurs seigneurs qui tiennent aucunes terres du prince, que il se partissent de d'avec les autres gens du roy nostre sire, et que, sur quanque il se pouvoient meffaire envers ledit prince, ne feussent avec les gens du roy nostre sire né mefféissent auxdites compaignies.

La quarte. » Que comme pluseurs gens de compaignies des terres et seigneuries du roy d'Angleterre et du prince fussent au royaume de France et iceluy gastassent et pillassent en faisant tous les maux et domaiges que l'en sauroit réciter, et pour résister à leur male volenté et iceux faire partir et widier le royaume de France où il estoient, les séneschaux de Thoulouse et de Carcassonne et autres officiers, vassaux et subgiés du roy de France, se fussent assemblés au lieu de Lisledieu au pouvoir du roy nostre sire, les gens et subgiés du prince confortèrent et aidièrent les dessusdis des compaignies par tele manière que les gens de la partie du roy de France furent desconfis, mors et pris, et lesdis séneschaux et pluseurs barons, vassaux et subgiés du roy menés et détenus prisonniers au povoir du prince et raençonnés, et les biens et pillages receus et receptés, et depuis furent mis les prisons à grans et excessives raençons ; et en ce a esté le roy de France et ses subgiés très grandement domagié.

» Item, que de réparer et adrécier les choses dessusdites fu le prince sommé et requis de par le roy de France et de par monseigneur le duc d'Anjou, et furent envoiés messages, lesquels firent lesdites requestes et baillèrent par escript audit prince ou à son chancelier pour luy et de son commandement.

» Item, que jasoit ce que le prince leur fist respondre qu'il estoit courroucié des domaiges qui estoient fais au royaume de France, et que il, quant il seroit retourné d'Espaigne, en feroit son adrecement, toutesvoies rien n'en fu fait en effet, si comme ces choses peuvent apparoir clerement par instrument publique fait et donné sus lesdites requestes et responses ; et a faillu que les officiers et subgiés du roy ou grant partie d'eux se raençonnassent très excessivement, et plus que faire ne deussent en guerre ouverte, et soustenissent pluseurs autres domaiges ; et doivent lesdis dommages estre restitués et réparés comme fais contre les alliances et traictié de la paix faite entre les deux roys.

» Item, et oultre les choses dessusdites, nouvellement est advenu que Gursomile[285] et autres capitaines desdites compaignies sont venus au royaume d'Angleterre à Londres et ailleurs, et là ont demouré et esté réceptés par pluseurs journées et y ont été rafreschis de chevaux, hernois, gens d'armes et archiers qu'il en ont menés et de toutes autres choses qu'il ont voulu avoir, et que plus est, dient aucuns qu'il ont esté au propre hostel du roy d'Angleterre receus et festoiés.

[285] Gursomile. Variante : Garsonailles.

La quinte. » Que comme par le traictié de la paix il soit dit, c'est assavoir au neuviesme article, que sé aucunes terres sont bailliées au roy d'Angleterre par le traictié de la paix, lesquelles ne furent autrefois des roys d'Angleterre, il les aura en l'estat que il estoient au temps dudit traictié ; et il soit ainsi que au temps de la paix et par avant, la royne Blanche tenoit paisiblement et prenoit par sa main la revenue de la commune paix de Rouergue au prix de dix mil livrées de terre ou rente ou environ ; et le prince ou ses subgiés pour luy détiennent et occupent de fait ladite commune paix de Rouergue, et ont levée par pluseurs années, né délivrer ne la veulent ; et toutesvoies la séneschaucie né la terre de Rouergue n'avoient onques esté au roy d'Angleterre avant ladite paix ; si soit ladite commune paix mise au délivre avec les arrérages qui en ont esté levé pour huit ans ou environ, qui montent pour chascun an dix mil livres ou environ.

La sixiesme. » Que comme par ledit traictié de la paix les souverainetés et ressors du roy nostre sire lui doivent demourer entièrement sans ce que le roy d'Angleterre en puisse ou doie user en aucune manière ; et il soit ainsi que le roy d'Angleterre et le prince son fils se sont efforciés et encore s'efforcent en pluseurs manières de user desdites souverainetés et ressors, si comme en Pontieu où il ont nouvellement ordené un siège d'appellacions pardevant le gouverneur de Pontieu, pour cognoistre des appellacions qui se feront du séneschal de Pontieu ; duquel séneschal l'en doit appeller sans moien au gouverneur du baillif d'Amiens et de là en Parlement à Paris, et ainsi il a esté fait de tous temps.

» Item, que le roy d'Angleterre, ses gens ou officiers pour luy, ont ordené en ladite conté de Pontieu, que quiconques appellera dudit séneschal, qu'il appelle audit gouverneur de Pontieu comme siège souverain et final ; et de fait ont donné ajournemens et rescrips en cause d'appel pardevant ledit gouverneur de Pontieu, en usurpant et entreprenant lesdites souverainetés et ressors.

» Item, cognoissent et s'efforcent de cognoistre des causes touchans les églyses cathédraux et autres églyses de fondacion royal, laquelle chose nul ne puet faire que le seigneur souverain tant seulement ; et généralment s'efforcent de tout leur povoir de entreprendre à user desdites souverainetés et ressors, tant en Guyenne en donnant ajournemens en cause d'appel que autrement, jasoit ce que faire ne le pevent né ne doivent : ainsois en puet user le roy de France seul et pour le tout comme dit est.

» Item, que veues et considérées les choses dessusdites, lesquelles sont venues de nouvel à la cognoissance du roy de France, il appert que le roy d'Angleterre et le prince doivent cesser de user desdites souverainetés et ressors, et que tout ce que fait en ont doit estre rappelé et mis au néant.

La septiesme. » Que comme ledit roy d'Angleterre et le prince son fils, soubs umbre et couleur dudit traictié de la paix, aient occupé et de fait détiennent et occupent pluseurs villes, chasteaux, terres et lieux, lesquels, par ledit traictié, ne leur doivent estre bailliés, né à eux appartenir né demourer ; et aussi aient lesdis roys d'Angleterre et prince, par eux, leur gens et officiers, fait et exercé pluseurs explois de seigneurie et de justice en pluseurs lieux où il ne le povoient faire né devoient ; ainsois en appartient la justice et seigneurie au roy de France ou à ses vassaux et subgiés, lesquelles occupacions et explois seront déclarés sé besoin est. Si se doivent lesdis roy d'Angleterre et prince cessier et délaissier desdites occupacions et explois, et tout ce qu'il ont fait doit estre rappelé du tout et mis au néant ; et avec ce rendre et restituer tout ce qu'il en ont pris, levé ou emporté par eux, leur gens ou officiers.

La huitiesme. » Que comme le roy de France ait fait et accompli tout ce à quoy il estoit tenu par le traictié pour avoir la quinte partie des hostaiges nobles qui sont en Angleterre, que ladite quinte partie luy soit délivrée ; et pour ce demande ceux dont les noms s'ensuivent : c'est assavoir le conte de Harecourt, le seigneur de Montmorency, le conte de Porcien et le sire de Roye. — Par le roy en son conseil ou assemblée tenue à Paris le onziesme jour du mois de may, l'an mil trois cent soixante-neuf[286]. »

[286] Le manuscrit de Charles V porte en marge l'observation suivante : No : Que pour l'ocasion des choses dessusdites recommença guerre entre les deux roys de France et d'Angleterre.

XXI.

Le mariage de monseigneur de Bourgoigne et de madame Marguerite, fille du conte de Flandres.

L'an mil trois cent soixante-neuf dessusdit, le dix-neuviesme jour du mois de juing, le mariage de monseigneur Phelippe, frère du roy de France et duc de Bourgoigne, et de Marguerite, fille de messire Loys conte de Flandres, fu fait et célébré en l'abbaye de Saint-Bavon de Gand par l'evesque de Tournay : et ot en ladite abbaye ce jour moult belle et notable feste. Et l'endemain, jour de mercredi, ledit duc de Bourgoigne donna à disner à toutes gens qui y vouldrent disner en l'abbaye de St-Père de Gand, en laquelle il estoit logié et en laquelle il estoit descendu le lundi précédent environ disner. Et jousta-l'en et fist-l'en moult belle feste le mardi, mercredi et jeudi ; et y furent le duc de Breban oncle dudit duc de Bourgoigne, et la duchesse de Breban, qui estoit tante de ladite Marguerite, duchesse de Bourgoigne ; et aussi avoit icelle Marguerite esté par avant femme du duc Phelippe de Bourgoigne, qui avoit esté trespassé l'an mil trois cent soixante-un, et ainsi fu duchesse de Bourgoigne deux fois. Et par le traictié de ce derrain mariage fait le dix-neuviesme jour de juin, comme dit est, les villes de Lille, de Douay et d'Orchies, avec les chastiaux et chastellenies et toutes les appartenances, furent bailliées audit conte lors de Flandres, par certaines manières et condicions, si comme par le traictié puet apparoir, dont la teneur ensuit :

XXII.

Le traictié du mariage.

« Traictié et accordé est par nous Pierre, evesque d'Aucerre, Gauchier, seigneur de Chasteillon, et maistre Arnaud de Corbie, au nom et pour le roy nostre sire, qui estions envoiés de par lui pour traictier du mariage de monseigneur le duc de Bourgoigne et madame Marguerite, fille monseigneur de Flandres, duchesse de Bourgoigne, par vertu de certaine commission et povoir à nous sur ce baillié de par le roy, d'une part ; et le conseil monseigneur le conte de Flandres, au nom et pour ledit conte, d'autre, en la manière qui s'ensuit. Premièrement pour sanctifier et faire raison à monseigneur de Flandres, tant de dix mil livrées de terre à héritaige qu'il demandoit au roy nostre sire par lettres du roy Jehan de bonne mémoire, son père darrenièrement trespassé que Dieu absoille, et par les siennes sur ce faites, et des arrérages d'icelles pour pluseurs années, comme de cent mil deniers d'or à l'escu, pour la récompensacion de sa monnoie de Clamecy, et pour le paiement de certaine quantité de gens d'armes tenues par lonc-temps à Gravelinghes ; nous, au nom du roy, pour faire raison audit monseigneur de Flandres de ladite demande, et pour le roy en acquitter vers luy, avons accordé que le roy donera et baillera, pour lesdites dix mil livrées de terre, en héritaige perpétuel, audit monseigneur de Flandres et à ses hoirs et successeurs, contes ou contesses de Flandres, les villes, chasteaux, chastellenies de Lille, de Douai et d'Orchies, et toutes leur appartenances, baillies, patronaiges, nobletés et appendances quelconques, que les prédécesseurs dudit monseigneur de Flandres, contes de Flandres, tenoient au temps que elles furent transportées ès prédécesseurs du roy, par la manière et condicions qui s'ensuivent : c'est assavoir que au cas que ledit monseigneur de Flandres n'aroit hoir masle de son corps en loyal mariage, lesdites villes, chasteaux et chastellenies appartenans et appendans quelconques, seront héritaige de madame la duchesse de Bourgoigne, sa fille, de ses hoirs masles procréés du corps dudit monseigneur le duc de Bourgoigne, et aussi des hoirs masles procréés et descendans en droite ligne et en loyal mariage de leurs dis hoirs masles ; et que au cas que ledit monseigneur de Flandres, en loyal mariage n'auroit hoir masle, né ladite madame la duchesse de Bourgoigne sa fille aussi n'auroit hoir masle procréé du corps dudit monseigneur le duc de Bourgoigne comme dessus est dit, et que ladite ligne en descendant des hoirs masles dudit monseigneur de Flandres et de ladite madame de Bourgoigne procréés dudit monseigneur de Bourgoigne, comme dit est, faudroit ; par quoy en aucun temps avenir la conté de Flandres eschéist à fille ou à autres hoirs masles et femelles : le roy et ses successeurs roys de France pourront en ce cas ravoir lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances, en baillant dix mil livrées de terres à héritaige par monnoie de Flandres courant le sixiesme jour du mois de novembre l'an mil trois cens cinquante-cinq, — c'est assavoir, le marc d'argent au marc de Troyes pour cent dix-huit sols parisis, — aux hoirs de monseigneur de Flandres, contes ou contesses de Flandres, assises en franc demaine bien et souffisaument ; c'est assavoir, les cinq mil livrées de terre dedens le royaume de France, entre la rivière de Somme et Flandres en descendant jusques à la mer ; et les autres cinq mil livrées de terre près des contés de Nevers ou de Rethel. Et au cas qu'il plaira au conte ou contesse de Flandres qui sera au temps du rachat, il aura pour les dis cinq mil livrées de terre dessus dis, qui se trouvent à seoir près des contés de Nevers ou de Rethel, comme dit est, argent. C'est assavoir pour le denier de rente, quinze deniers paiés à une fois monnoie de France[287], ou vint deniers paiés tout à une fois de ladite monnoie de Flandres, lequel qu'il plaira mieux au conte ou contesse de Flandres, qui sera au temps dudit rachat ; lequel rachat, sé ledit duc de Bourgoigne aloit de vie à trespassement, sans laissier hoir masle procréé de son corps et du corps de ladite duchesse, que Dieu ne veille, le roy né ses successeurs ne pourroient ce faire durant la vie de ladite duchesse de Bourgoigne, tant qu'elle se tendra de remarier, ou sé elle se marie de la volenté et assentement du roy nostre sire ou de ses successeurs roys de France ; et tenront les successeurs dudit conte de Flandres, contes ou contesses de Flandres les cinq mil livrées de terre qui seront assises entre la rivière de Somme, la conté de Flandres et la mer, comme dessus est dit, en un homaige avec la conté de Flandres, et en partie aussi noblement comme ladite conté de Flandres est et doit estre tenue de la couronne de France. Et avec ce, il tenront les autres cinq mil livrées de terre, qui seront assises, comme dit est, près desdis contés de Nevers ou de Rethel, à une foy et à un homaige à par luy aussi noblement comme celle desdites contés dont elles seront plus près assises est tenue de la couronne de France. Et lesdites villes, chasteaux, chastellenies de Lille, de Douai et d'Orchies, et toutes les appartenances et appendances d'icelles tenront ledit monseigneur de Flandres, ses hoirs masles, ladite duchesse de Bourgoigne, sa fille, ses hoirs masles, leur hoirs et successeurs contes et contesses de Flandres en un homaige et en pairie avec la conté de Flandres, et aussi noblement que ledit monseigneur de Flandres tient et doit tenir ladite conté de Flandres ; réservé au roy et à sesdis successeurs roys de France, le fié, ressort et souveraineté desdites villes, chasteaux, chastellenies de Lille, de Douay et d'Orchies, et des appartenances et dépendances d'icelles, et les drois royaux que les prédécesseurs du roy y avoient au temps que elles estoient ès mains des contes de Flandres, prédécesseurs dudit monseigneur de Flandres ; et aussi réservé au roy et à sesdis successeurs, roys de France, le rachat desdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances, au cas et par la manière et condicions dessusdis. Et ne seront tenus les hoirs dudit monseigneur de Flandres, contes ou contesses de Flandres, de baillier et rendre iceux chasteaux, villes, chastellenies, appartenances et appendances ès mains du roy ou de ses successeurs, roys de France, jusques à ce que lesdites dix mil livrées de terre parisis, monnoie de Flandres dessusdite, leur seront assises plainement en franc demaine et délivrées par la manière dessus déclarée, et qu'il en aient la paisible possession, réalment et de fait. Lesquelles villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances quelconques de Lille, de Douay et d'Orchies, le roy et ses successeurs, roys de France, seront tenus de deschargier de toutes charges et assignacions faites sur icelles, à héritaige, à vie, à terme ou autrement, et puis que elles furent bailliées à sesdis prédécesseurs roys de France ; et en prendra le roy nostre sire dès maintenant la charge sur luy et en acquittera et sera garant audit monseigneur de Flandres, ses hoirs et successeurs, vers tous ceux qui aucune chose luy en pourroient ou vouldroient demander ; sauf que sé aucunes rentes en sont aliénées en héritaige à églyse, depuis ledit temps, le roy sera tenu de en faire recompensacion audit monseigneur de Flandres en autre terre assise bien et souffisamment, entre la rivière de Somme et ladite conté de Flandres en franc demaine, près desdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances quelconques, tout en un hommaige avec ladite conté de Flandres ; ou le roy paiera audit monseigneur de Flandres pour mil livrées de terre par an, sé tant y a, vingt mil florins d'or frans de France pour une fois ; et sé plus ou moins y a, à l'avenant. Laquelle assiete ou paiement le roy fera parfaite et accomplie, comme dit est, audit monseigneur de Flandres dedens le jour de la feste saint Remy, en octobre prochain à venir au plus tart ; et de ce asseurera bien et souffisamment ledit monseigneur de Flandres par bons plaiges et souffisans, agréables audit conte et qui s'en feront débteurs principaux avant le mariage. Et pour ce que depuis que lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et dépendances vindrent ès mains de sesdis prédécesseurs roys de France, iceux prédécesseurs ont acquis le chastel et la terre de l'Escluse, emprès Douay, qui meuvent et sont d'ancienneté du fié et du ressort du chastel de Douay, le roy vouldra, promettra et consentira que ledit conte de Flandres et ses hoirs, par la manière dessusdite, en aient hommaige d'un homme héritier de la terre, et tout autel droit, ressort et souveraineté sur lesdis chastel et terre de l'Escluse, comme ses prédécesseurs, contes de Flandres y avoient, quant lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances de ville de Douay et d'Orchies estoient en leur mains, nonobstant que les prédécesseurs du roy aient acquis le demaine. Et sera tenu ledit conte de Flandres de faire derechief homaige au roy de la conté de Flandres et desdites villes, chasteaux, chastellenies de Lille, de Douay et d'Orchies, et des appartenances et appendances d'icelles adjointes à icelle conté, à tenir en un hommaige et en partie, comme dit est, en la manière que derrenièrement il fist hommaige au roy de la conté de Flandres. Et si asseurera ledit monseigneur de Flandres le roy, et obligera luy, ses hoirs et successeurs quelque part qu'il soient audit royaume, de rendre et baillier au roy et ses successeurs, roys de France, lesdis chasteaux, villes, chastellenies, appartenances et appendances de Lille, de Douay et d'Orchies, au cas que les condicions dessusdites avenroient, que Dieu ne veuille, et que on les racheteroit par la manière dessusdite. Et quant à ce, soumettra ledit conte soy, sesdis hoirs et successeurs et lesdis biens et terres de luy et d'eux à la juridicion et contrainte du roy et de ses successeurs, roys de France et de sa court, par lesquelles lesdis hoirs et successeurs seront contrains à ce et non autrement, ledit rachat premièrement fait par la manière que dessus est dit ; et les hoirs et successeurs dudit conte de Flandres aians premièrement, royalment et de fait la possession paisible de ladite récompensacion deuement faite et sans fraude. Et par espécial, vouldra ledit monseigneur de Flandres, sé ses hoirs estoient défaillans de rendre et baillier lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances de Lille, de Douay et d'Orchies et des appendances quelconques, que adont le roy et ses successeurs roys de France puissent, s'il leur plaisoit, saisir et arrester toutes leur terres dessusdites, et contraindre les hoirs dudit conte par toutes voies raisonnables, par sa jusridicion temporelle et non autrement, afin que lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et dépendances dessusdites luy feussent rendues. Et icelles rendues, le roy sera tenu de tantost oster et mettre au nient les arrests et saisines et tous empeschemens mis aux terres, biens et possessions dessusdites sans nul contredit, et en baillera ledit conte ses lettres. Et en oultre, baillera le roy audit conte de Flandres pour pluseurs grans sommes d'argent en quoy il est tenu à luy, pour les demandes dessusdites, deux cens mil deniers d'or francs de France, desquels le roy luy paiera cent mil francs huit jours avant ledit mariage ; et les autres cent mil francs luy fera le roy paier et délivrer en sa ville de Bruges, dedens deux ans après ledit mariage fait, à quatre termes et par quatre fois ; c'est assavoir : vint-cinq mil francs en la fin de demy an après ledit mariage, et après, de demy an en demy an à chascun terme vint-cinq mil : et de ce luy donra le roy ses lettres obligatoires et bons plaigemens et souffisans agréables audit conte de Flandres, qui de ce s'obligeront bien et souffisamment par lettres, en leur propres et privés noms et chascun pour le tout envers ledit conte de Flandres, s'aucune deffaute avoit au paiement desdis cent mil francs aux termes dessus déclarés ; et de ce donront bonnes lettres et souffisans, teles qui souffisent audit monseigneur de Flandres ; et par baillant royalment et de fait audit conte de Flandres lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances et la possession paisible d'icelles comme dessus est dit, le roy et ses successeurs roys de France et autres pour ce obligiés, sont et seront quictes envers luy et ses hoirs et successeurs des dix mil livrées de terre dessusdites. Et aussi par luy paiant, comme dit est, les deux cens mil francs, sera le roy quicte envers luy et sesdis successeurs de tous les arrérages d'icelles dix mil livres de rente et des dessusdis cent mil escus pour les gens d'armes qu'il tient à Gravelinghes et pour le reste de sa dite monnoie de Clamecy. Et sera tenu ledit monseigneur de Flandres rendre au roy toutes lettres qu'il a sur ces choses du roy Jehan, père du roy à présent, et de luy ou d'autres pour ce obligiés ; et dès maintenant veult que elles soient nulles, et jamais n'en pourront ledit conte né ses successeurs aucune chose demander au roy né à ses successeurs ou autres pour ce obligiés, comme dit est. Et avec ce promettra le roy audit monseigneur de Flandres que la possession desdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances quelconques de Lille, Douay et d'Orchies, il luy fera baillier et délivrer royalment et de fait, et luy paier plainement les premiers cent mil francs dessusdis, avant que le mariage se fasse en sainte églyse. Et iceluy mariage fait en sainte églyse, comme dit est, ladite duchesse de Bourgoigne demourra au pays de Flandres par un an après ledit mariage fait, ou par tant de temps d'iceluy an comme il plaira audit monseigneur de Flandres ; et voudra et consentira le roy pour luy, ses hoirs et successeurs, roys de France, que toutes lettres et munimens que il a ou puet avoir ou autres de par luy dudit monseigneur de Flandres ou de ses prédécesseurs audit pays de Flandres, touchans, en quelque manière que ce puisse être, le transport fait par ledit conte ou ses prédécesseurs aux prédécesseurs du roy, desdis chasteaux, villes et chastellenies de Lille, de Douay, d'Orchies, et des appartenances et appendances d'iceux quelconques, soient nulles et de nulle valeur, et dès maintenant les annullera et cassera et cognoistra et vouldra estre de nul effet, force ou vertu, soubs quelconque teneur que elles soient en tant comme elles puent ou pourront estre au temps avenir contraires ou préjudiciables aux choses dessusdites ou aucunes d'icelles ; et que d'icelle le roy né ses successeurs, né autres pour luy né pour sesdis hoirs et successeurs, ne se pourra aidier par quelque manière que ce soit à l'encontre desdites choses ou d'aucunes d'icelles. Toutes lesquelles choses dessusdites et chascunes d'icelles, en la manière que dessus elles sont déclarées de point en point, eue sur ce meure délibération avec pluseurs de son sang et autres de son conseil, le roy promettra pour luy et sesdis successeurs, et aussi pour ledit duc de Bourgoigne son frère, dont il se fera fort, en bonne foy, en loyauté et parole de roy, tenir, garder et accomplir de point en point sans enfraindre ; et que il né sesdis hoirs et successeurs, né aussi son dit frère le duc de Bourgoigne ne venront par eux né par autres, en aucun temps à venir à l'encontre ; et à ce s'obligera et sesdis hoirs et successeurs roys de France, loyaument et en bonne foy, sans fraude, nonobstant que lesdis chasteaux, villes et chastellenies de Lille, de Douay et d'Orchies, et les appartenances et appendances quelconques d'icelles feussent appliqués au demaine de la couronne de France ; et en et d'iceluy demaine aient esté et demouré par lonc temps, quelconques révocacions généraux ou espéciaux que le roy ou ses prédécesseurs aient fait, et que il ou ses dis hoirs et ses successeurs facent ou puissent faire au temps à venir par droit royal ou autrement des dons ou aliénacions fais ou à faire du demaine de ladite coronne de France, quelconques autres dons ou graces fais audit conte de Flandres ou sesdis prédécesseurs par les prédécesseurs dudit roy de France ou par luy-meisme ; que iceux autres dons ou graces ne soient spécifiés ou esclaircis ès lettres qu'il en donra ; et quelconques constitutions, édis, ordenances, coustumes, style ou usages de la court de France ou autres choses quelconques à ce contraires. Lesquels révocacions, constitucions, édis, ordenances, coustumes, styles ou usages et toutes autres choses, en tant comme il sont ou pourroient estre contraires ou préjudiciables aux choses dessusdites ou à aucunes d'icelles, le roy cassera, rappellera et mettra du tout au nient, pour luy, ses hoirs et successeurs par la teneur de ces lettres. Et pour les choses dessusdites faire et accomplir audit monseigneur de Flandres par la manière dessus déclarée, et pour baillier toutes lettres et seurtés à ce appartenans, d'un costé et d'autre, seront les gens du roy à Lille, au dimenche prochain avant la Penthecouste prochaine venir. Et toutes ces dites choses parfaites entièrement audit monseigneur de Flandres, il veut et consent dès maintenant en ce cas le mariage des dessusdis monseigneur le duc de Bourgoigne et de madite dame la duchesse de Bourgoigne sa fille ; et que dès lors en avant, on procède à la solempnisation dudit mariage, à tel jour qu'il plaira au roy et le plus brief qu'il pourra se faire bonnement. En tesmoin de ce, nous Pierre, evesque d'Aucerre, Gauthier, seigneur de Chasteillon, et Arnault de Corbie, pour la partie du roy, pour lequel nous nous faisons fors ; et nous Henry de Bevre, chastellain de Diquemme ; Bauduins, sire de Praet, et Roland, sire de Poukes, conseilliers monseigneur de Flandres pour sa partie, et pour lequel nous nous faisons fors, et qu'il promettra pour luy et pour madite dame de Bourgoigne, sa fille, de tenir et acomplir toutes les choses dessusdites et chascunes d'icelles, en tant comme elles touchent à eux et à chascun d'eux, avons plaqués nos seaux à ce présent traictié, lequel fu fait à Gand le jeudi douziesme jour du mois d'avril après Pasques, l'an de grace mil trois cens soixante-neuf. »

[287] C'étoit par conséquent un intérêt à six pour cent. Il me semble que dans l'opinion la plus répandue, l'intérêt de l'argent passoit pour être alors bien plus considérable. — Tout ce traité est méconnaissable dans les éditions précédentes.

XXIII.

Coment le duc de Lenclastre vint à Calais pour guerroier France ; et coment le duc de Bourgoingne et les François alèrent à Tourneham.

Le dimanche, quinziesme[288] jour de juillet, l'an mil trois cens soixante-neuf dessus dit, le roy parti de Paris et ala au giste à Saint-Denis pour aler à Rouen, et de là à Herefleu, pour veoir le navire que il avoit fait assembler pour faire passer en Angleterre : et avoit le roy ordené que monseigneur le duc de Bourgoigne, son frère, y passeroit, et avecques luy de bonnes gens d'armes, pour faire guerre au roy d'Angleterre en son pays, qui l'avoit commenciée. Mais assez tost après, le duc de Lenclastre, fils dudit roy d'Angleterre, passa à Calais et grant quantité de gens d'armes et de archiers avecques luy, et chevauchèrent jusques à Thérouenne et jusques à Aire et boutèrent les feux par le païs où il passèrent ; et pour celle cause, le roy de France qui estoit ès parties de Normendie, fu conseillié de envoier son dit frère le duc de Bourgoingne et les gens d'armes qui estoient devers luy ès parties où estoit ledit duc de Lenclastre. Si se traist ledit duc de Bourgoingne celle part, et approuchièrent les François des Anglois si près, que le vint-troisiesme jour du mois d'aoust ensuivant, ledit duc de Bourgoingne et sa compaignie se logièrent sur la montaigne de Tourneham, près d'Ardre ; et les Anglois furent logiés entre Guynes et Ardre, à une petite lieue des François ; et chascun jour y avoit des escarmuches. Et finablement, à l'entrée du mois de septembre, furent esleus de chascune des deux parties six chevaliers pour eslire une place en laquelle il se combattroient, et tousjours estoit le roy environ Rouen, et en celuy temps, le roy de Navarre qui longuement avoit demouré en Navarre, vint, par la mer, en Constantin, et envoia monseigneur Legier d'Orgesis et Guerart Mausergent devers le Roy de France, et luy fist savoir que il vendroit devers luy sé il luy plaisoit ; mais il avoit à luy faire aucunes requestes, lesquelles il diroit volentiers à aucuns du conseil du roy, sé il luy en vouloit aucuns envoier. Et pour ce, y envoia le roy le conte de Sarebruche, le doyen de Paris et maistre Pierre Blanchet. Et en ce temps le siège se leva que avoient mis devant Saint-Sauveur-le-Viconte le sire de Craon, le sire de Laval, le sire de Cliçon, et pluseurs autres chevaliers et écuiers de la partie du roy de France, pour ce que ledit Saint-Sauveur se tenoit pour messire Jehan de Chandos, Anglois, et que au chastel dudit Saint-Sauveur se estoient mis et retrais pluseurs gens de compaignie jusques au nombre de mil combattans ou de plus. Et la cause pourquoy se leva ledit siège, fu, si comme l'en disoit, pour ce que ledit sire de Cliçon s'en ala et enmena ses gens. Si ne demourèrent pas les autres si fors que il peussent tenir le siège. De laquelle chose le roy fu trop dolent, et manda au seigneur de Craon et aux autres qu'il retournassent audit siège.

[288] Quinziesme. Et non pas vint-cinquiesme, comme les éditions précédentes et beaucoup de manuscrits. Cette année-là, le 25 tomboit un mercredi.

XXIV.

Coment l'ost de Tourneham desloga, et de la prise de messire Hue de Chastillon, et le chastellain de Beauvais et pluseurs autres.

Le mercredi, deuxiesme jour de septembre ensuivant, de nuit, ledit duc de Bourgoingne qui, dès le vint-troisiesme jour d'aoust précédent, avoit esté logié sur le mont de Tourneham, près d'Ardre, devant le duc de Lenclastre, se desloga et tout son ost et s'en ala à Hesdin, dont moult de gens furent courrouciés, qui avoient espérance que il deust combattre audit duc de Lenclastre ; et en furent, tant ledit duc comme les autres François qui estoient en sa compaignie, moult blasmés de toutes gens ; car les François estoient meilleurs gens que les Anglois, et si estoient en forte place et avoient assez vivres. Et assez tost après le duc de Lenclastre et ses gens se délogièrent et chevauchièrent vers le païs de Caux et passèrent la rivière de Somme à la Blanquetaque, et alèrent jusques à Harfleu, en propos d'ardoir le navire du roy de France qui là estoit ; et ardirent en la conté de Eu grant foison du païs par où il passèrent. Et lors n'avoient esté encore ceux du païs de Caux domaigiés des guerres, comme les autres parties du royaume avoient esté. Si ne porent lesdis Anglois aucune chose meffaire à Harfleu né audit navire, et s'en retournèrent par la conté de Pontieu ; et au-dehors d'Abbeville prindrent monseigneur Hue de Chasteillon, maistre des arbalestriers, le chastellain de Beauvais et aucuns autres chevaliers, escuiers et bourgois de ladite ville qui estoient issus hors, et les emmenèrent à Calais.

XXV.

De la venue de la duchesse de Bourgoingne à Paris.

Item, le mercredi vint-deuxiesme[289] jour de novembre mil trois cens soixante-neuf dessus dit, la duchesse de Bourgoingne, dont parlé est ci-dessus, entra à Paris, qui venoit de Flandres, et alèrent contre luy tous les prélas qui lors estoient à Paris, le cardinal de Beauvais, les nobles et grant nombre de bourgois de Paris, par le commendement du roy, et descendi en l'ostel du roy à St-Paul, là où elle fut reçue très honnorablement du roy et de la royne. Item, en celuy temps, le roy de France ordena de envoier gens en Angleterre, par le païs de Galles, et les y devoient conduire deux Galais, l'un appellé Yvain de Gales et l'autre Jaques Win, autrement le Poursivant d'amours, lesquels se disoient estre ennemis du roy d'Angleterre ; et deurent estre à Harfleu le sixiesme jour de décembre mil trois cens soixante-neuf dessus dit, pour entrer tantost en mer ; car le premier voyage que le roy avoit empris de faire par son frère le duc de Bourgoingne avoit esté roupt[290] par la chevauchiée qui fu faite à Tourneham, dont dessus est faite mencion.

[289] Vint-deuxiesme. Ou plutôt vint-et-uniesme.

[290] Roupt. Rompu.

XXVI.

De l'ordenance des finances faite pour soutenir le fait des guerres.

En celuy temps, le roy fist convocacion des gens d'églyse, des nobles et des bonnes villes de son royaume, pour estre à Paris le septiesme jour de décembre mil trois cens soixante-neuf dessus dit ; et leur fist exposer le fait de la guerre, à laquelle il ne povoit gouverner sans avoir finance de son peuple, et leur requist aide pour faire sa dite guerre. Et après pluseurs assemblées fu accordé que le roy aroit pour l'estat soustenir de luy, de la royne et de monseigneur le dauphin, son fils, l'imposicion de douze deniers pour livre et la gabelle du sel ; et si lèveroit-l'en pour la guerre un fouage de quatre francs pour chascun feu en ville fermée ; et en plat pays un franc et demi partout, le fort portant le foible. Et oultre, l'en paieroit pour chascune queue de vin que l'en vendroit en gros le treiziesme denier, si comme l'en avoit fait depuis la délivrance du roy Jehan ; et si paieroit-l'en le quatriesme denier du vin que l'en vendroit à broche. Et à Paris, l'en paieroit pour chascune queue de vin françois que l'en mettroit en la ville douze sols parisis, du vin de Bourgoigne vint-quatre sols parisis, et pour chascune queue de vin de Beaune et de St-Poursain trente-deux sols parisis ; et pour chascune vente en gros ou en broche, tant comme dit est de chascun desdis vins. Et quant il seront vendus en gros le acheteur paieroit, et sé il estoit vendu en broche le vendeur paieroit. Item, en celuy mois de décembre les dessusdis Galays qui estoient entrés en mer, dont dessus est faite mencion, retournèrent sans faire aucun exploit dedens dix jours ou douze après ce que il y furent entrés, et se excusèrent de leur retour sur fortune de mer qu'il avoient eue si comme il disoient ; et si cousta ce voyage au roy plus de cent mile francs.

XXVII.

Coment Montpellier fu baillié au roy de France par eschange.

ANNÉE 1370

Item, au mois de janvier ensuivant et en celuy de février, furent envoiés messaiges du roy de France au roy de Navarre qui estoit à Chierbourc, et du roy de Navarre au roy de France, pour traictier d'accort pour cause de Mantes et de Meullent que le roy de France tenoit et qui par avant avoient esté audit roy de Navarre ; et avoient esté prises par les gens du roy, si comme dessus est faite mencion. Et pour celle cause, furent pluseurs fois à Paris les roynes Jehanne et Blanche, tante et seur dudit roy de Navarre ; et finablement fu le traictié mis à fin, le vint-uniesme jour du moys de mars mil trois cens soixante-neuf dessus dit. Par lequel traictié ledit roy de Navarre dot avoir Montpellier et toute la baronnie et une grant somme d'argent ; et dot venir devers le roy pour luy faire homaige de toutes les terres que il tenoit de luy. Et envoia le roy de France à Chierbourc pardevers ledit roi de Navarre pour traictier avec luy de la somme, pour ce que il ne vouloit venir devers ledit roy de France sé il n'avoit hostaiges. Sé fu accordé que le duc de Berry, frère du roy de France, iroit à Evreux pour hostaige, et ledit roy de Navarre viendroit devers le roy de France pour faire sondit homaige ; mais le roy de Navarre avoit toujours ses messaiges en Angleterre, pour traictier avecques le roy d'Angleterre ; si delaoit tousjours sa venue devers le roy de France. Et ainsi delaia tousjours jusques environ la Magdalène ensuivant que le roy de France envoia derechief pardevers luy le conte de Sarebruche, qui autrefois y avoit esté. Et par tout le temps dessus dit depuis que la guerre estoit commenciée entre les roys de France et d'Angleterre guerroièrent par espécial au duchié de Guyenne, et recouvra le roy de France pluseurs villes et chasteaux.

Incidence. — Item, le vint-deuxiesme jour d'avril mil trois cens soixante-dix, fu assise la première pierre de la Bastide-St-Anthoine de Paris par Hugues Aubriot, lors prévost de Paris, qui la fist faire des deniers que le roy donna à la ville de Paris. Item, le mardi, seiziesme jour du moys de juillet mil trois cens soixante-dix dessus dit, à Paris devant le roy de France, en son hostel à Saint-Paul, fu fiancée madame Jehanne de France, fille du roy Phelippe qui trespassa l'an mil trois cens cinquante, et de la royne Blanche qui encore vivoit, à deux chevaliers de Arragon, procureurs et au nom de Jehan, ainsné fils du roy d'Arragon, duc de Gironne ; et avoient lesdis chevaliers demouré moult longuement à Paris pour celle cause, en poursuivant le traictié dudit mariage.

XXVIII.

Des dommages que les Anglois firent au royaume de France et entour Paris.

Item, en la fin du moys de juillet ensuivant, messire Robert Canole, messire Thomas de Granson, anglois, et en leur compaignie jusques au nombre de seize cens hommes d'armes ou environ et de deux mille cinq cens archiers, partirent de Calais pour le roy d'Angleterre et chevauchièrent vers Saint-Omer et de là à Arras et ardirent grant quantité des forsbours d'Arras et des blés qui estoient aux champs sur le pié ; et après alèrent devant Noyon par le Vermendoys et ardirent grant quantité de maisons. Mais il n'ardoient point ce que l'en vouloit raençonner[291], et après passèrent les rivières d'Oise et d'Aisne[292] (et alèrent devant Reims ; et après passèrent la rivière de Marne, vers Dormans, et alèrent jusques vers Troyes), et passèrent les rivières d'Aube et de Saine en alant à Saint-Florentin, et de là alèrent passer la rivière d'Yonne, vers Joigny, en ardant tousjours le païs (qui ne se vouloit raençonner. Et après passèrent par le Gastinois et descendirent par Chasteau-Landon, par Nemox[293] et par le païs) jusques à Corbueil et à Essonne. Et le dimenche, vint-deuxiesme jour de septembre[294] mil trois cens soixante-dix dessus dit, logièrent environ Mons et Ablon[295] et le païs environ. Item, le mardi ensuivant, vint-quatriesme[296] jour dudit moys, furent en bataille entre Ville-Juye et Paris. Et à Paris avoit bien douze cens hommes d'armes autres que de la ville aux gaiges du roy : et y ot celle journée des escarmouches devant Saint-Marcel et y perdirent lesdis Anglois environ six ou huit de leur gens. Et celle journée, lesdis Anglois mistrent le feu en grant foison de villes emprès Paris (comme Ville-Juye, Gentilly, Cachant, Arcueil et en l'ostel de Vincestre[297]), et fu conseillié au roy, pour le mieux, que il ne fussent pas lors combatus. Et celuy soir se alèrent lesdis Anglois logier à Anthoigny et environ, et le mercredi ensuivant se deslogièrent et se partirent pour aler vers Normendie, et après retournèrent dedens quatre jours ; et alèrent à Estampes, à Milly, et par la Beausse et Gastinois, faisans tousjours fais que ennemis doivent faire.

[291] Raençonner. Racheter.

[292] Les parenthèses indiquent les phrases passées dans les éditions précédentes.

[293] Nemox. Nemours.

[294] De septembre. Et non pas ensuivant, comme dans les éditions précédentes.

[295] Mons et Ablon. Tout près de Villeneuve-Saint-Georges.

[296] Vint-quatriesme. Et non pas vint-troisiesme, comme dans les éditions précédentes.

[297] Vincestre. Bicêtre.

Incidence. — Item, en celuy moys de septembre mil trois cens soixante-dix, pape Urbain qui estoit ès parties de Rome s'en parti, et se mist en mer en galies que le roy de France luy avoit envoiées par l'abbé de Fescamp et par un chevalier de France, appellé messire Jehan de Chambly dit le Haze. Et arriva à Marseille le dix-septiesme jour dudit moys de septembre, et assez tost après ala à Avignon. Et ainsi demoura au voyage que il avoit fait à Rome par trois ans quatre mois et dix-sept jours.

XXIX.

Coment monseigneur Bertran du Guesclin fu fait connestable de France.

Item, le mercredi second jour du mois d'octobre ensuivant, le roy de France fist connestable de France, vacant par la résinacion que avoit fait dudit office monseigneur Moreau de Fiennes qui par avant l'avoit esté, un chevalier breton, appellé messire Bertran du Guesclin, pour la vaillance dudit chevalier : car il estoit de mendre lignage que autre connestable qui par avant eust esté ; mais, par sa vaillance, il avoit acquises pluseurs grans terres et seigneuries : c'est assavoir, en France, la conté de Longueville que le roy de France luy avoit donnée ; et en Castelle, le roy Henry de Castelle luy avoit donné plus de dix mille livrées de terres. Et assez tost après ala en Anjou, où estoient les devant dis Canole et Granson qui avoient enforcié Vas, Rully[298] et autres lieux, et en combatti et desconfit en une route environ six cens : et y fu pris ledit messire Thomas de Granson. Et après, ala ledit messire Bertran à Vas et le prist par assaut et y furent mors et pris environ trois cens Anglois, et tantost ala à Rully ; mais ceux qui le tenoient s'en estoient partis tantost que il avoient sceu la prise de Vas, mais ledit connestable les suivit jusques à Versurre[299] et là ès forsbours les combatti et desconfit, et y furent bien trois cens mors et pris ; et prist la ville et après la laissa.

[298] Vas. Aujourd'hui Vaas, à plusieurs lieues de Pontvalain, le seul endroit dont parle Froissart dans cette circonstance. — Robert Canolle, suivant la chronique inédite du manuscrit 530, « avoit laissié pluseurs de ses gens en la forteresse de Vas, qui séoit sur la rivière du Loir, et à Rilly (aujourd'hui Ruillé) et au Louroux, lesquels il avoient de nouvel emperées. » (Fo 101.)

[299] Versurre. Variante : Bersurre.

XXX.

De la mort du pape Urbain, et de l'élection du pape Grégoire XI.

Item, le jeudi dix-neuviesme jour de décembre, environ heure de midi mil trois cens soixante-dix dessus dit, le pape Urbain qui nouvellement estoit desparti de Rome, trespassa de ce siècle en ladite ville d'Avignon. Et le dimenche, vint-neuviesme[300] jour dudit moys, entrèrent les cardinaux en conclave pour eslire pape. Et le lundi, trentiesme jour dudit mois de décembre, eslirent, ainsi comme par la voie du Saint-Esperit, messire Pierre Rogier, nommé le cardinal de Biaufort ; car il estoit fils du conte de Biaufort en Valée, et estoit neveu du pape Clément VI, qui l'avoit fait cardinal ; et estoit cardinal-diacre de l'aage de quarante ans ou environ : lequel contredit une pièce et ne vouloit accepter ladite éleccion. Finablement l'accepta et fu nommé Grégoire XI, et fu coroné aux Jacobins d'Avignon, le dimenche veille de la Passion ensuivant. Et messire Loys, duc d'Anjou, frère du roy de France, le mena des Jacobins jusques au Palais tout à pié et tenoit le cheval du pape par le frain. Item, par toute celle année furent des batailles pluseurs en divers lieux entre les François et les Anglois, et orent les François pluseurs victoires et furent presque tous ceux qui avoient esté devant Paris le temps d'esté précédent avecques messire Robert Canole, mors et pris par les François et ceux de leur partie, au païs du Maine, d'Anjou et de Bretaigne.

[300] Vint-neuviesme. Et non pas dix-neuviesme, comme dans les éditions précédentes.

XXXI.

De la nativité de madame Marie, fille du roy de France Charles-le-Quint, et de son baptisement.

Le jeudi, vint-septiesme jour de février ensuivant mil trois cens soixante-dix dessus dit, trois heures après mienuit et avoit la lune douze jours, fu née à Paris en l'ostel du roy emprès Saint-Pol, madame Marie, fille dudit roy Charles et de ladite dame royne Jehanne de Bourbon. Et fu l'endemain baptisée ès fons de l'églyse de Saint-Pol, et furent marraines madame Jehanne de France, fille du roy Phelippe qui avoit esté mort l'an mil trois cens cinquante, et la dame de Lebret, seur de ladite royne ; et monseigneur le daulphin, ainsné fils du roy et frère de ladite Marie, fu parrain.

XXXII.

De la mort madame Jehanne de Évreux, jadis royne de France et Navarre, et de son enterrement.

Le mardi, quart jour du moys de mars ensuivant mil trois cens soixante-dix dessus dit, mourut à Braye-Conte-Robert dame de bonne mémoire madame Jehanne d'Évreux, royne de France et de Navarre, qui avoit esté femme du roy Charles de France et de Navarre qui estoit trespassé l'an mil trois cens vint-sept. Et fu apportée à Saint-Anthoine, près de Paris, le samedi ensuivant huitiesme jour dudit moys. Et l'endemain, jour de dimenche, fu apportée sur un lit à descouvert fors d'un délié cuevrechief qu'elle avoit sur le visage, à Nostre-Dame-de-Paris, à heure de vespres. Et estoient les gens de Parlement qui tenoient le poile autour, et le prévost des marchans et les eschevins portoient un poile d'or sur six lances au-dessus du corps ; et le roy aloit après le corps, dès sa maison de Saint-Pol dont il issi par l'uys de la conciergerie dudit hostel, quant le corps passoit, jusques à Nostre-Dame-de-Paris : et là furent dites vigiles de mors le roy présent. Et l'endemain, jour de lundi, fu la messe chantée de Requiem en ladite églyse par l'evesque de Paris. Et tantost après ladite messe, le roy ala disner en l'ostel dudit evesque, et assez tost après disner fu porté ledit corps au lonc de la ville de Paris, par la manière que il avoit esté le jour précédent, le roy alant à pié aprés, jusqu'à la Bastide St-Denis ; et là monta à cheval, et convoia ledit corps jusques à Saint-Denis là où son obsèque fu fait l'endemain jour de mardi. Et par l'ordonnance de ladite royne, n'ot pour luminaire, en ladite églyse de Paris, que douze cierges, chascun de six livres de cire et autant à Saint-Denis, et douze torches pour convoier le corps de lieu en autre. Et le mercredi ensuivant, le roy luy fist faire son service en ladite églyse Saint-Denis à ses despens, et lors y ot très grant et notable luminaire. Et le jeudi ensuivant, quatorziesme jour dudit moys de mars, fu son cuer enterré aux frères Meneurs de Paris emprès le cuer de son mari le roy Charles.

Item, le mercredi, dix-neuviesme jour dudit moys, furent les entrailles enterrées à Maubuisson, près de Pontoise, emprès celles de sondit mari ; le roy présent, comme par avant avoit esté.

XXXIII.

Coment le roy de France envoia hostaiges au roy de Navarre, avant que il voulsist venir pardevers luy à Vernon.

Quant le roy ot fait parfaire à Maubuisson le service de ladite royne Jehanne, il se parti de là pour aler à Vernon, là où le roy de Navarre devoit venir à luy si comme par avant avoit esté traictié par moult lonc-temps. Car le roy de France avoit, par pluseurs fois, envoié messaiges notables pardevers ledit roy de Navarre tant à Chierbourc comme à Évreux, et ledit roy de Navarre avoit envoié de ses gens pardevers le roy de France, et avoit ce traictié duré près de deux ans. Et finablement, le jour de la Nostre-Dame en mars, l'an mil trois cens soixante-dix dessus dit, et fu le jour de mardi, pour la conclusion dudit traictié, messire Bertran du Guesclin, connestable de France, parti à matin de Vernon où le roy estoit, pour mener certains hostaiges que le roy de Navarre devoit avoir, avant que il partist d'Évreux ; et avoit ledit connestable environ trois cens hommes d'armes avecques luy. Et furent lesdis hostaiges : messires Guillaume de Meleun, arcevesque de Sens, l'evesque de Laon, le seigneur de Montmorency, le conte de Porcien, le seigneur de Garencières, messire Guillaume de Dormans, le seigneur de Blainville mareschal de France, le sire de Blany, messire Jehan de Chastillon, Robert fils du conte de Saint-Pol, monseigneur Jehan de Vienne, messire Claudin de Harenvillier, chevaliers, et huit bourgois, quatre de Paris et quatre de Rouen. Lequel connestable mena tous les hostaiges dessus nommés à Évreux, lesquels ledit roy de Navarre receut honorablement, et tous les fist logier au chastel. Et après disner se parti en la compaignie dudit connestable, et fu environ soleil couchant à Vernon, et ala descendre au chastel auquel estoit le roy de France en un jardin, et là ala ledit roy de Navarre, et estoit le conte d'Estampes, son cousin germain, en sa compaignie. Et tantost que il vit le roy de France, il s'inclina et mist le genou près de terre, et après approcha plus près du roy, et lors se agenouilla, et le roy passa deux pas avant et le prist par le bras, en luy disant que bien fust-il venu : mais il ne le baisa point. Et tantost l'en apporta torches, vin et espices ; et quant il orent pris espices et beu, le roy de France le prist par la main et alèrent ensemble en la chambre du roy, en laquelle la table estoit mise pour soupper. Mais pour ce que ledit roy de Navarre ne souppoit point, il se retraist en la chambre qui estoit ordenée pour luy, et ledit conte d'Estampes en sa compaignie. Et quant le roy ot souppé, ils se traisrent en sa chambre vers luy ; si furent lors les deux roys moult longuement ensemble, seul à seul, et en parlant se agenouilla ledit roy de Navarre pluseurs fois, et ne savoient les regardans pourquoy. Et l'endemain, jour de mercredi, le jeudi et vendredi ensuivant, furent ensemble, mangièrent et burent et feirent tous leur parlemens seul à seul. Et le samedi ensuivant, vint-neuviesme jour dudit mois de mars, au matin, ledit roy de Navarre fist homaige lige audit roy de France de toutes les terres qu'il tenoit au royaume de France et luy promist porter foy, loyauté et obéissance envers tous et contre tous qui pevent vivre et mourir, lequel homaige il n'avoit encore fait depuis que ledit roy de France avoit esté roy. Si en furent moult de bonnes gens liés et joyeux ; car l'en doubtoit moult et avoit-l'en longuement doubté que ledit roy de Navarre ne se feist ennemi du roy de France ; mais lors il se monstrèrent très bons amis. Et celuy samedi se parti ledit roy de Navarre de Vernon, et s'en ala à Évreux ; et ledit connestable le convoia, si comme il avoit fait au venir devers le roy et ramena ledit connestable lesdis hostaiges.

XXXIV.

Coment le cardinal de Cantorbire fu envoié de par le pape en Angleterre, pour traictier de la paix d'entre les roys de France et d'Angleterre, et de la paix du roy de Navarre et du duc d'Anjou.

ANNÉE 1371

En celuy temps, le pape Grégoire envoia cardinaux légas pardevers le roy de France et d'Angleterre, pour traictier de paix entre eux ; c'est assavoir : un cardinal anglois appelé le cardinal de Cantorbire, et un François appellé le cardinal de Biauvais, lequel estoit chancellier de France. Et luy envoia le pape sa commission et son pouvoir en France, et celuy de Cantorbire se partit d'Avignon où le pape estoit et ala celuy de Biauvais qui estoit à Paris encontre celuy de Cantorbire, jusques à Melun là où il demourèrent trois ou quatre jours ; et puis vindrent ensemble à Paris et parlèrent au roy et luy distrent pourquoy le pape les envoioit pardevers lesdis roys. Et requirent au roy de France qu'il se voulsist consentir à bonne paix. Lequel, eue délibéracion avec son conseil, fist respondre que bonne paix vouldroit-il avoir, et sur ce, sans autre chose faire né plus procéder, après ce que ledit cardinal de Cantorbire ot demouré à Paris par aucuns jours et disné avec le roy, il se parti de Paris et s'en ala vers Calais ; et le conduisit tousjours, par le royaume de France, un chevalier appellé le Haze de Chambly, et le cardinal de Biauvais demoura à Paris.

Item, la veille de Penthecouste ensuivant, vint-quatriesme jour du moys de mai mil trois cens septante-un, ledit roy de Navarre vint à Paris devers le roy de France qui luy fist très grand chière ; et fu le jour de ladite Penthecouste vestu de robe pareille au roy de France et ot housse comme le roy avoit. Et fist le roy la paix dudit roy de Navarre et du duc d'Anjou frère du roy, car il n'estoient pas bien amis ; et demoura ledit roy de Navarre avec le roy toute la semaine, et fu moult festoié tant du roy comme de la royne.

Item, le mercredi vint-huitiesme jour de mai dessus dit, environ soleil levant, et avoit la lune quatorze jours, madame Marguerite, fille du conte de Flandres et femme de messire Phelippe, fils du roy Jehan de France et frère du roy Charles qui lors régnoit, et duc de Bourgoigne, ot un fils, en la ville de Dijon, qui fu appellé Jehan ; et fu baptisé le jeudi, jour du Saint-Sacrement, cinquiesme jour du moys de juin. Et le tint sur fons, messire Jehan duc de Berri, frère dudit duc de Bourgoigne, et messire Jean Rogier, evesque de Carpentras, que le pape Grégoire y avoit envoié pour tenir sur fons ledit enfant pour luy ; et messire Charles d'Alençon, arcevesque de Lyon le crestienna, et madame Marguerite, contesse d'Artois, ayole de ladite duchesse de Bourgoigne, fu marraine.

XXXV.

Coment le duc de Breban fu desconfit, et le duc de Guerle mort ; et du trespassement de madame Jehanne de France, fille du roy de France Phelippe.

Le vendredi, vint-deuxiesme jour du moys d'aoust mil trois cens septante-un dessus dit, fu la bataille entre le duc de Breban et ceux qui avecques luy estoient d'une part, et les ducs de Julliers et de Guerle et les leur d'autre part. Et fu ledit duc de Breban desconfit et pris, et le conte de Saint-Pol, qui avecques estoit, fu mors ; et moult d'autres de celle partie mors et pris ; et de l'autre partie, fu mors le duc de Guerle et pluseurs autres.

Item, le mardi seiziesme jour du moys de septembre ensuivant, environ heure de nonne, trespassa, à Besiers, madame Jehanne de France, qui avoit esté fille du roy Phelippe de France, laquelle l'en menoit en Arragon, pour estre mariée à l'ainsné fils du roy d'Arragon ; duquel et de elle le mariage avoit esté longuement traictié à Paris, et l'avoit fiancée par procureur à Paris, si comme dessus est escript. Et fu mise le mercredi ensuivant en dépost en l'églyse cathédrale de ladite ville de Besiers, et le jeudi ensuivant y fu son service fait.

Item, le samedi vint-uniesme jour de février mil trois cens septante-un dessus dit, messire Jehan de Dormans, cardinal nommé de Biauvais pour ce qu'il avoit esté evesque de Biauvais, lors chancellier de France, rendi au roy les seaulx de France, et laissa l'office de chancellerie ; et, par notable élection, fist le roy chancellier messire Guillaume de Dormans, chevalier, frère germain dudit cardinal de Biauvais. Et ainsi fu ledit cardinal de Biauvais chancellier de France depuis que il avoit esté fait cardinal trois ans et quatre mois ; quar il avoit esté cardinal le vint-deuxiesme jour de septembre mil trois cens soixante-huit, et avoit toujours esté chancellier depuis.

XXXVI.

De la nativité de monseigneur Loys, second fils du roy de France, et de son baptisement.

Le samedi, treiziesme jour de mars ensuivant, environ deux heures après minuit, et avoit la lune neuf jours, à Paris en l'ostel du Roy emprès Saint-Pol, fu né messire Loys, second fils du roy Charles, et fu baptisé ès fons dudit moustier de Saint-Pol, à très grant compaignie et solempnité, par messire Jean de Craon, lors arcevesque de Reims, le lundi ensuivant, environ midi ; et fu parrain, messire Loys, conte d'Estampes ; et madame d'Alençon, commère dudit conte, fu marraine.

Item, par celle saison, en pluseurs parties du païs de Guienne ot des besoignes entre les gens du roy de France et ceux du roy d'Angleterre. Et perdirent moult ceux du roy d'Angleterre, tant de leur gens comme de leur pays, et par espécial en Limosin. Car tout le païs de Limosin fu françois, et la ville de Limoges aussi, dedens le premier jour de juillet ensuivant.

XXXVII.

Coment l'abit et les livres des Turelupins furent ars en Grève et les Turelupins condamnés.

ANNÉE 1372

Le dimenche, quart jour dudit mois de juillet mil trois cens septante-deux, furent, en Grève à Paris, la secte, le abit et les livres des Turelupins, autrement només la compaignie de povreté, condempnés de hérésie par messire Mile de Dormans, lors evesque d'Angiers et vicaire de l'evesque de Paris et par l'inquisiteur des hérites. Et ce jour en furent deux condempnés : un homme qui estoit mort en la prison de l'evesque de Paris durant son procès, par l'espace de quinze jours ou environ avant ladite condempnacion ; et une femme appellée Péronne de Aubenton, autrement de Paris. Et ce dimenche furent ars audit lieu de Grève l'abit et les livres, et l'endemain, jour de lundi, furent ars en la place aux Pourceaux à Paris, ladite Péronne et ledit mort qui tousjours, depuis sa mort, avoit esté gardé en un tonnel plein de chaux.

XXXVIII.

Des nefs anglesches que François gaignièrent, et coment la ville de Poitiers se rendi françoise.

En celuy moys de juillet, le roy envoia en Poitou monseigneur Bertran du Guesclin, connestable de France, lequel y prist pluseurs forteresses ; et aussi la navire du roy de Castelle vint devant La Rochelle, et d'aventure rencontrèrent sur la mer environ trente-six nefs du roy d'Angleterre ; et se combattirent devant ladite ville de La Rochelle, et furent les Anglois desconfis et y furent pris le conte de Pennebroc, messire Guichart d'Angle et pluseurs autres que le roy anglois envoioit au païs pour le conforter, et gaignèrent moult grant finance les Espaignols avecques les prisonniers, dont il orent plus de huit vins ; et grant foison ot des mors desdis Anglois. Et assez tost après monseigneur le duc de Berri, frère du roy de France, et ledit connestable en sa compaignie, alèrent devant Poitiers et se rendi la ville à eux comme à messaiges du roy de France ; et se mistrent les habitans en l'obéissance dudit roy de France, et tantost assaillirent le chastel et le pristrent, et les Anglois qui estoient dedens.

Item, assez tost après, le captal de Busch, qui estoit lieutenant du roy d'Angleterre ès païs de Poitou et de Saintonge, se combatti à aucuns des gens du roy de France devant une ville appelée Soubise, et fu ledit captal desconfit et pris et pluseurs de sa compaignie. Si demourèrent les Anglois moult foibles sur le païs, et les gens du roy de France y estoient fors. Si y estoient le duc de Berri et le duc de Bourgoigne, frères du roy de France, et y eut foisons de gens d'armes avecques. Si chevauchièrent le païs et pristrent moult de villes et forteresses. Et vindrent le lundi, sixiesme jour de septembre l'an mil trois cens septante-deux dessus dit, devant La Rochelle et orent traictiés ensemble, et par avant aussi y en avoit eu. Et le mercredi ensuivant, huitiesme jour dudit moys, se mistrent ceux de ladite ville de la Rochelle en l'obéissance du roy de France, et entrèrent lesdis seigneurs de France dedens ladite ville à très grant joie de ceux de ladite ville. Et en iceluy moys de septembre se rendirent ceux de Angoulesme, ceux de Saintes, ceux de Saint-Jehan d'Angeli et pluseurs autres bonnes villes et forteresses.

XXXIX.

Coment ceux de Thouars et de Poitou se rendirent françois à messeigneurs les ducs de Berri et de Bourgoigne, et du siège qui fu devant Brest, l'an mil trois cens septante-trois.

ANNÉE 1373

Le jour de la Saint-André ensuivant, les ducs de Berri et de Bourgoigne, ledit connestable et grant foison de gens d'armes jusques au nombre de trois mil et plus, furent devant la ville de Thouars, qui encore se tenoit pour le roy d'Angleterre. Et attendirent lesdis ducs et connestable tout le jour devant ladite ville ; car traictié avoit esté par avant entre les gens du roy de France d'une part, et les nobles du païs de Poitou qui encore tenoient la part du roy anglois, d'autre, que sé les François estoient ledit jour de la Saint-André plus fors devant ladite ville de Thouars que les Anglois, que tous les Poitevins se mettroient en l'obéissance du roy de France. Et devant ladite ville de Thouars ne vint aucun ledit jour de Saint-André pour ledit roy anglois, et ainsi furent les François plus fors. Si se rendirent tous ceux de Poitou, nobles et autres, en l'obéissance du roy de France, excepté trois forteresses ; c'est assavoir : Mortaigne, Lusignan et Gensay[301], et firent tous les nobles homaige au duc de Berry à qui le roy de France avoit donné la conté de Poitiers à héritage, et le païs de Saintonge à vie tant seulement ; mais le roy retint La Rochelle. Et celle saison, le roy de France envoia pluseurs fois messaiges grans et notables par devers le duc de Bretaigne, que l'en sentoit moult favorable aux Anglois, et le fist le roy par pluseurs fois requérir que il féist son devoir vers luy, si comme tenu y estoit comme vassal et homme lige du roy et pair de France, et que il ne voulsist souffrir les Anglois entrer en son païs de Bretaigne, né les conforter en aucune manière : lequel duc respondoit toujours que ainsi le feroit. Et finablement dedens Pasques ensuivant qui furent mil trois cens septante-trois, ledit duc manda grant foison Anglois, et les fist venir en Bretaigne, dont tous ceux dudit païs, nobles et autres, furent moult courroucés, et distrent audit duc que il ne seroient jà Anglois ; car le roy de France estoit leur seigneur souverain ; et requistrent audit duc que il méist hors de son païs lesdis Anglois. Et pour ce que il ne le voult faire, mais se esforçoit de mettre lesdis Anglois ès villes et forteresses dudit païs, en mettant hors d'icelles les Bretons, et de fait en aucunes ainsi le fist ; pour ce, envoièrent devers le roy, leur seigneur souverain, afin que il y méist remède. Et pour ce, le roy y envoia sondit connestable, le seigneur de Cliçon et autres ; et quant ledit duc senti leur venue, il se parti du pays et ala en Angleterre. Si chevaucha ledit connestable par le païs de Bretaigne et se rendirent à luy, pour le roy de France, nobles, bonnes villes, gens d'églyse et tout le païs, tant de Bretaigne galot comme bretonnant, dedens le jour de la Saint-Jehan-Baptiste ensuivant, excepté seulement Brest, Auroy et Derval, et se mist ledit connestable à siège devant Brest ; et les seigneurs de Laval et de Cliçon devant Derval. Et ledit siège de Brest tenu par aucun temps, les Anglois qui estoient dedens firent un tel traictié que sé les Anglois n'estoient plus fors que les François, devant ledit lieu de Brest en la place commune, le sixiesme jour du moys d'aoust ensuivant il rendroient le chastel ; et de ce baillièrent douze hostaiges, desquels ledit connestable eslargi les six sur leur foy : et se redevoient rendre audit connestable huit jours devant ladite journée dudit sixiesme jour d'aoust, lesquels ne retournèrent point : à laquelle journée dudit sixiesme jour ledit connestable fu, et ot bien trois mil hommes d'armes avecques luy ; et jà soit que il y eut grant foison d'Anglois, il ne se osèrent combattre audit connestable, et si ne rendirent pas ledit lieu de Brest et laissièrent leur six hostaiges qui estoient demourés audit connestable.

[301] Gensay. Je crois que c'est aujourd'hui Janzé, à six lieues de Rennes.

XL.

De la naissance de madame Isabel, fille du roy, et comment le duc de Lenclastre vint en France.

Item, le samedi vint-troisiesme jour de juillet, mil trois cens septante-trois dessus dit, environ heure de midi, en l'ostel du roy emprès Saint-Pol à Paris, fu née madame Isabel, fille dudit roy Charles et de ladite royne Jehanne de Bourbon, et estoit la lune de quatre jours. Et l'endemain, jour de dimenche, après disner, fu baptisée en ladite églyse de Saint-Pol, par messire Jehan de Dormans, cardinal ; et fu parrain monseigneur le daulphin, ainsné fils desdis roy et royne ; et madame Marguerite, contesse de Flandres et d'Artois, et madame Isabel, duchesse de Bourbone mère de ladite royne, furent marraines.

Item, en celuy moys de juillet, Jehan, duc de Lenclastre, fils du roy d'Angleterre, et Jehan, conte de Montfort, celuy qui avoit esté duc de Bretaigne et qui alors se monstra bien manifestement ennemi du roy et du royaume, vindrent d'Angleterre à Calais, accompagniés de grant foison de gens d'armes et de archiers. Et après ce que il orent demouré par aucun temps à Calais et sur la Marche, il se mistrent à chevauchier droit à Hesdin et y demourèrent dedens le port par aucuns jours sans assaillir la ville né le chastel ; et après à Dorlens sans l'assaillir, et après à Beauquesne[302] et de là vers Corbie. Et passèrent la rivière de Somme et chevauchièrent à Roie en Vermendois et demourèrent en la ville sept jours, et ne porent prendre l'églyse qui estoit fort : si ardirent la ville et alèrent en Laonnois et à Vesly-sur-Aisne ; et moult ardirent de villes et aussi perdirent moult de leur gens : car en toutes places où les François qui les chevauchoient en trouvoient aucuns desroutés de leur batailles, il les desconfisoient, sans ce que les François y perdissent aucune chose, et si gaignièrent grant foison sur les Anglois ; et par espécial le vendredi, neuviesme jour de septembre à matin, messire Jehan de Vienne et sa compaignie en trouvèrent près de Ouchie[303], cinquante lances et vint archiers anglois, lesquels furent tous desconfis. Et là furent pris dix chevaliers de grant estat et vint-quatre escuiers, et tousjours chevauchièrent lesdis Anglois tant qu'il passèrent les rivières d'Oise, d'Aisne, de Marne et d'Aube, et chevauchièrent par la Champaigne et par la conté de Braine, droit vers Gié[304], et passèrent la rivière de Saine, et chevauchièrent droit à la rivière de Loire vers Martigny-les-Nonnains, et passèrent ladite rivière de Loire, et tousjours furent chevauchiés par le duc de Bourgoigne et autres gens du roy de France, et si près tenus que il avoient peu de vivres et ne pristrent aucune forteresse notable, et perdirent moult de leur gens et la plus grant partie de leur chevaux. Et depuis, passèrent lesdis Anglois la rivière de Cher et s'en alèrent à Bordeaux, mais il perdirent moult de leur gens, et estoient en tel estat qu'il y avoit plus de trois cens chevaliers à pié qui avoient laissiées leur armeures, les uns jetées en rivière, les autres les avoient despéciées pour ce que il ne les povoient porter, et afin que les François ne s'en peussent aidier ; et jà soit ce que ladite chevauchiée leur feust moult honorable, elle leur fu moult domageuse.

[302] Beauquesne. Aujourd'hui bourg du département de la Somme, à deux lieues de Doullens.

[303] Ouchie. La plupart des manuscrits et des éditions précédentes portent Orchies. Mais, d'après les indices itinéraires précédens, je crois que le manuscrit de Charles V est plus exact. Oulchy-le-Château est aujourd'hui bourg à cinq lieues de Soissons.

[304] Gié. Ou Gyé, village sur la Seine, près de Châteauvillain.

Item, le tiers jour de novembre ensuivant, mourut à Evreux madame Jehanne, seur du roy de France, et femme du roy de Navarre.

Item, le septiesme jour dudit moys de novembre, mourut à Avignon messire Estienne de Paris, cardinal dit de Paris. Item, audit mois de novembre, qui fu le lundi septiesme jour mil trois cens septante-trois devant dit, mourut à Paris messire Jehan de Dormans, cardinal de Biauvais, qui moult longuement avoit esté chancelier de France, et fu enterré aux Chartreux de Paris.

XLI.

Coment Jehan de Montfort vint de Bordeaux en Bretaigne, et se mist au fort de Auroy.

En l'entrée du moys de février ensuivant, messire Jehan de Montfort, qui avoit esté duc de Bretaigne et avoit chevauchié avecques le duc de Lenclastre, par la manière que dessus est escript, vint par mer de Bordeaux en Bretaigne, là où avoit encore trois forteresses qui se tenoient pour luy ; c'est assavoir : Derval, Brest et Auroy, en laquelle il vint descendre premièrement. Et là estoit sa femme, et amena des gens anglois avec luy. Et quant il y fu, il manda pluseurs de ceux de Bretaigne, gens d'églyse, nobles et autres pour aler audit lieu d'Auroy parler à luy ; et le roy de France qui oï nouvelles de ce envoia des gens audit païs de Bretaigne pour le conforter[305], et jà y estoient le connestable de France et le seigneur de Cliçon pour le roy.

[305] Le conforter. Sans doute pour fortifier son parti contre celui des Anglois et du duc de Bretagne.

Incidence des grandes rivières. Item, en celuy an mil trois cens septante-trois dessusdit, ès mois de janvier et de février, furent en France, par espécial ès rivières de Saine, de Marne, de Yonne, d'Oise et de Loire, la plus très grant inondacion d'yaues que l'homme qui vesquist lors eust onques veues ; et durèrent plus de deux mois. Et à Paris aloit-l'en par bastiaux par la rue Saint-Denis oultre la porte, et de la porte Saint-Anthoine jusques à Saint-Anthoine, et de la porte Saint-Honoré jusques au Rolle et à Nully. Et si estoit l'yaue jusques près des planchers des pons de Paris ; et entroit dedens la chapelle basse du palais, et toutes les maisons basses du palais estoient plaines d'yaue, et communelment les caves et celiers de Paris du costé devers grant pont. Et atachoit-l'en les bastiaux à la Croix-Hémon, qui est au-dessus de la place Maubert.

Item, au mois d'avril ensuivant, mil trois cens septante-quatre, et furent Pasques le secont jour d'iceluy mois, le duc de Lenclastre qui estoit à Bordiaux s'en parti par mer et ala en Angleterre à tout tant pou de gens qui luy estoient demourés ; et disoit-l'en que son père et le prince de Galles son frère ne luy avoient pas fait bonne chière, pour ce que il avoit si petitement exploitié en la chevauchiée que il avoit faite ; jà fust ce que elle eust esté la plus grant qui oncques eust esté faite en France par lesdis Anglois. Toutesvoies il avoit moult perdu de gens et de chevaux ; car il et sa route en avoient bien trait d'Angleterre trente mil chevaux et plus, et il n'en porent pas mettre à Bordiaux six mil, et bien avoit perdu le tiers de ses gens et plus.

XLII.

Coment la ville et chastel de La Rochelle furent prises.

ANNÉE 1374

Le jour de Penthecouste, qui fu le vint-uniesme jour de may l'an dessusdit, les trièves qui avoient esté prises par le connestable de France d'une part ; et le sire d'Aubeterre, le chanoine de Robesart et autres pour les Anglois d'autre part, faillirent. Et le vint-uniesme jour d'aoust mil trois cens septante-quatre dessusdit, la ville de La Riolle[306] fu rendue au duc d'Anjou, frère du roy de France, lequel estoit à siège devant ladite ville. Mais le chastel d'icelle ville ne luy fu pas lors rendu, et demoura ledit duc devant ledit chastel jusques au vint-huitiesme jour dudit mois d'aoust ; et lors fu fait un traictié entre luy et ceux qui tenoient ledit chastel pour le roy d'Angleterre, que sé ledit roy d'Angleterre ou l'un de ses fils n'estoient devant ledit chastel le huitiesme jour du mois de septembre ensuivant, si fors que il peussent lever le siège dudit duc d'Anjou, il rendroient le chastel audit duc. Si attendi iceluy duc jusques audit huitiesme jour de septembre, auquel jour né dedens iceluy ne comparut aucun pour ledit roy d'Angleterre ; si fu lors ledit chastel rendu au duc d'Anjou pour le roy de France, et ainsi ot la ville et le chastel.

[306] La Riolle. Le titre de ce chapitre porte bien La Rochelle, et les autres manuscrits aussi bien que les imprimés écrivent encore ici La Rochelle ; mais la leçon de Charles V porte La Riolle, et si l'on fait attention que les rubriques ou titres de chapitre sont toujours dans les manuscrits mis par un autre scribe, après l'exécution du volume, on avouera que la leçon que nous avons préférée est effectivement préférable. En effet, dans le chapitre XXXVIII, nous avons vu que La Rochelle étoit déjà redevenue françoise.

XLIII.

De l'assemblée qui fu à Bruges pour traictier de la paix entre les deux roys.

En celuy an mil trois cens septante-quatre dessusdit, furent envoiés de par le pape l'arcevesque de Ravenne et l'evesque de Carpentras, pour traictier de paix entre lesdis roys. Et en celuy an en karesme assemblèrent à Bruges devant lesdis messages du pape les gens desdis roys ; c'est assavoir : pour le roy de France, le duc de Bourgoigne son frère, l'evesque d'Amiens et pluseurs autres clers et chevaliers ; et pour le roy d'Angleterre, le duc de Lenclastre son fils, l'evesque de Londres et pluseurs autres clers et chevaliers. Et quant il orent esté par aucun temps en ladite ville de Bruges, aucuns de ceux du conseil du roy de France retournèrent à Paris pour luy rapporter aucunes choses parlées par les parties à Bruges sur lesdis traictiés. Et entre les autres choses rapportèrent que lesdis Anglois requerroient à grant instance avoir les ressors et souverainetés des terres que il devroient avoir par ledit traictié. Si assembla le roy de France grant conseil, tant des seigneurs de son sanc, comme prélas, nobles, clers, maistres en théologie et en décrés, et grant nombre d'autres sages qui, tous d'un accort après ce que tout leur ot esté dit et exposé, distrent au roy qu'il ne povoit né devoit laissier aucune chose de ses ressors et souverainetés ; et sé il le faisoit, ce seroit contre son serement et son honneur, et au détriment de son ame pour pluseurs causes et raisons que il luy distrent lors. Et ainsi fu respondu à ses gens qui estoient venus de Bruges par devers luy.

XLIV.

De la loi que le roy Charles-Quint ordena sur l'aagement des ainsnés fils des roys de France, et fu publiée en parlement de Paris.

ANNÉE 1375

[307]L'an de grace mil trois cens septante-cinq, le vint-uniesme jour de may, fu la loy que le roy Charles, lors roy de France, avoit faite sur l'aagement de son ainsné fils et des autres ainsnés fils des roys de France qui seroient à venir, publiée au parlement du roy à Paris en sa présence séant et tenant son parlement ; en la présence de monseigneur Charles, son ainsné fils, daulphin de Viennois, et monseigneur Loys, duc d'Anjou, frère dudit roy, et de grant nombre d'autres seigneurs de son sanc, prélas et autres gens d'églyse, l'université de Paris et pluseurs autres sages et notables, tant clers comme lais. Et est la loy telle, c'est assavoir : que l'ainsné fils du roy de France qui ores estoit et ceux qui pour le temps à venir seroient, tantost que il atteindroient le quatorziesme an de leur aage, pourroient recevoir leur sacre et coronement et leur homaiges, et faire tous autres fais qui à roy de France aagé appartiennent.

[307] On va voir ici dès la première phrase l'indication d'une nouvelle rédaction. Je remarquerai d'ailleurs que dans la leçon de Charles V que nous suivons de préférence, la dernière table des chapitres, placée en tête de la vie du roi Jean, s'arrête à l'indication de celui-ci. La suite n'a pas été récapitulée, et si l'observation que j'ai faite tout à l'heure sur les rubriques est judicieuse, il faut en conclure que le manuscrit de Charles V fut achevé long-temps après. Mais du point où nous sommes arrivés jusqu'à la fin, les chroniques furent-elles rédigées en une seule fois? Je ne le pense pas. Charles V, qui souhaitoit de montrer à l'empereur dans la grande histoire nationale la relation exacte de la réception qu'on lui avoit faite, laissa dans son exemplaire une lacune de plusieurs pages entre le chapitre XLIII et le récit du voyage de l'empereur. Ce fut plus tard que fut comblée cette lacune, mais certainement avant la mort de Charles V.

Item, le premier jour du mois de juing l'an dessusdit, la ville et chastel de Coignac furent rendus des Anglois à monseigneur Bertran du Guesclin, lors connestable de France, qui une pièce avoit esté à siège devant pour le roy de France ; par un tel traictié comme dessus est dit du chastel de La Riole.

Item, le tiers jour de juillet ensuivant, la ville et le chastel de St-Sauveur, en Constantin, que avoit tenu asségiée pour le roy de France messire Jehan de Vienne, amiral de France, et lesquels ville et chastel avoient esté tenus par ceux de la partie du roy d'Angleterre par l'espace de plus de vint ans, furent rendus aux gens du roy de France par un tel traictié comme avoient esté rendus le chastel de La Riole et Coignac, dont dessus est faite mencion.

Item, en ce temps retournèrent de Bruges le duc de Bourgoigne et les conseilliers du roy de France, qui là estoient alés pour les traictiés d'entre les deux roys, et pou orent exploitié, fors de avoir et accorder trièves jusques au premier jour d'avril ensuivant : et ainsi furent lesdis traictiés continués jusques à la feste de Toussains ensuivant. A laquelle feste de Toussains retournèrent auxdis traictiés pour le roy de France messire Loys, duc d'Anjou, et messire Phelippe, duc de Bourgoigne, frères du roy de France, et pluseurs autres du conseil du roy, et alèrent à Saint-Omer. Et pour le roy d'Angleterre, alèrent à Bruges messire Jehan de Lenclastre et messire Hémon conte de Cantebruge, fils du roy d'Angleterre, et pluseurs autres de son conseil. Et par le moien desdis messages du pape, c'est assavoir : de l'arcevesque de Ravenne et de l'arcevesque de Rouen, qui par avant avoit esté evesque de Carpentras, furent d'accort lesdis traicteurs, tant d'une part comme d'autre, de eux assembler à Bruges comme par avant avoient fait ceux qui y avoient esté. Si alèrent lesdis frères du roy de France et ses autres gens qui estoient à Saint-Omer, à Bruges, et y entrèrent le samedi après Noël l'an dessusdit, et en ladite ville de Bruges demourèrent jusques environ Pasques ensuivant, et finablement s'en partirent sans traictié de paix final, mais il proroguèrent les trièves, et depuis aussi furent proroguées jusques au premier jour du mois d'avril mil trois cens septante-six, et Pasques furent le sixiesme jour dudit mois que l'en dit mil trois cens septante-sept. Et envoia assez tost après le roy de France ses messages à Bouloigne pour traictier, et les messages du roy d'Angleterre furent à Calais, et furent lesdites trièves proroguées de terme en terme, jusques à la Nativité Saint-Jean-Baptiste ensuivant, qui fu mil trois cens septante-sept dessusdit. Et aloient les deux arcevesques, messages du pape, de Bouloigne à Calais et de Calais à Bouloigne, en traictant entre les parties. Et finablement, jà feust ce que le roy de France feust par tous les lieux où il avoit guerre entre lesdis roys plus fort que les Anglois, que aussi, par la volenté de messeigneurs et la bonne diligence dudit roy de France, tout son fait se portast bien, et que en toutes choses il feust à son avantage et eust en ce temps moult grant navire sur la mer, tant de galées dont il avoit trente-cinq sur mer, comme de grant foison de barges, tout ledit navire garni de bonnes gens d'armes et de bons arbalestiers ; toutesvoies, pour l'amour de Dieu et le bien de paix, pour l'onneur et révérence du pape et de l'églyse, et pour compassion du peuple, il fist faire moult grans offres, par ses gens, aux gens dudit roy d'Angleterre, tant de grans terres et seigneuries que de monnoie, réservé tousjours à lui son homaige, son ressort et sa souveraineté ès terres que ledit roy d'Angleterre avoit au royaume de France, tant en celles que lors il occupoit de fait, comme en celles que le roy de France luy bailleroit par le traictié. Lesquelles gens dudit roy d'Angleterre ne acceptèrent né refusèrent lesdites offres, mais distrent que il rapporteroient ces choses par devers le roy d'Angleterre leur seigneur, et dedens le premier jour du moys d'aoust ensuivant, ou au plus tart dedens le jour de mi-aoust, il ou autres, pour le roy d'Angleterre, en feroient response en la ville de Bruges à ceux que le roy de France envoieroit pour cette cause. Et se partirent de Calais la veille de la Saint-Jehan et s'en alèrent en Angleterre : et les gens du roy de France s'en retournèrent à leur seigneur à Paris, et faillirent toutes trièves le jour de celle de Saint-Jehan. Et la veille d'icelle Saint-Jehan, mourut ledit roy d'Angleterre Edouard, lequel avoit longuement vescu et esté roy d'Angleterre environ cinquante deux ans.

XLV.

Coment Richart, fils du prince de Galles, fu fait roy d'Angleterre, ses oncles vivans.

ANNÉE 1377

Après, en celuy an mil trois cens septante-sept dessus dit, le seiziesme jour de juillet ensuivant, Richart, fils de feu Edouard prince de Galles, qui avoit esté ainsné fils du roy d'Angleterre et avoit esté mort avant ledit roy d'Angleterre, son père, et estoit de onze ans d'aage ou environ, fu couronné en roy d'Angleterre, en représentant la personne du prince son père. Et toutesvoies avoit laissié ledit roy d'Angleterre trois fils ; c'est assavoir : messire Jehan duc de Lenclastre, messire Hémon duc de Cantebruge, et messire Thomas dont moult gens avoient merveille : car la mère dudit roy Richart avoit esté mariée première fois au conte de Salebery, et avoit esté six ans en sa compaignie ; et depuis elle maintint que un chevalier d'Angleterre, appellé messire Thomas de Hollande, l'avoit fiancée avant ledit conte de Salebery, et l'avoit cogneue charnelment ; et pour ce ledit conte la laissa, et ledit chevalier l'espousa avec lequel elle fu longuement et en ot pluseurs enfans. Et après la mort dudit feu Thomas de Hollande, ledit prince de Galles, ainsné fils dudit roy d'Angleterre, espousa cette dame, vivant ledit conte de Salebery son premier mari ; et de ce mariage nasqui ledit Richart, qui fu fait roy d'Angleterre, comme dessus est dit, vivant encore ledit conte de Salebery.

XLVI.

Du grant effort de gens d'armes que le roy de France avoit sur les champs en cinq parties devisées.

Au moys de juillet ensuivant, le duc d'Anjou, frère du roy de France, et le connestable de France alèrent en Guyenne pour ledit roy de France, bien accompaigniés de gens d'armes et arbalestiers ; et si ot grant navire sur mer auquel avoit trente-cinq galées, et grant foison de barges et autres vaisseaux, lequel navire estoit fourni de gens d'armes et arbalestiers en grant nombre. Et avecques ce, en celle saison, tenoit le roy de France, en la frontière de Picardie, contre les Anglois qui estoient à Calais, à Guynes, à Ardre et ès autres forteresses qui se tenoient pour le roy d'Angleterre, grant foison de gens d'armes et arbalestiers. Et oultre ce, avoit pour ledit roy de France siège devant deux chastiaux qui se tenoient encore en Bretaigne pour messire Jehan de Montfort ; c'est assavoir : Brest et Auroy, et par tous les lieux dessus dis les gens du roy tenoient les champs. Et avecques ce, le duc de Berri, frère dudit roy de France, et le duc de Bourbon avecques luy estoient à siège devant une forteresse, en Auvergne, appellée Carlat, que gens de compaignie qui se tenoient de la partie des Anglois avoient occupée. Et ainsi le roy de France avoit telle puissance en cinq parties, que ses ennemis estoient partout les plus foibles. Et en vérité, de nulle mémoire d'homme n'avoit ce esté veu, né que le roy eust fait si grant fait et noble dont ci-après sera faite mencion. Et premièrement par ledit duc d'Anjou et ceux de sa compaignie en Pierregort, et autre part en Guyenne, furent prises grant nombre de forteresses, si comme ci-après est déclairié. Premièrement, au mois d'aoust, le tiers ou quart jour, se mist sur les champs ledit monseigneur le duc, en la duchié de Guyenne ès parties de Pierregort, en sa compaignie monseigneur Bertran du Guesclin, connestable de France ; monseigneur Loys de Sancerre, mareschal ; le seigneur de Coucy ; le seigneur de Montfort ; le seigneur de Montauban ; le sire de Rey ; messire Guy de Rochefort ; monseigneur Olivier de Mauny ; le sire de Monsteroys ; le seigneur d'Asse ; Le Besgue de Vilaines ; Ivain de Gales ; le sire de Chasteau-Giron[308] ; le sire de Bueil ; messire Pierre de Villiers grant maistre d'ostel du roy, et pluseurs autres seigneurs, jusques au nombre de seize cens hommes d'armes et cinq cens arbalestiers. Et se vint logier à Nantion[309] ; et d'ilec se parti pour venir devant un lieu appellé les Bernardières que tenoient les Anglois ; lesquels quant il sceurent sa venue se partirent dudit lieu et y boutèrent le feu. Et puis vint devant un chastel dudit pays de Pierregort, appellé Condac[310], que tenoient les Anglois, et l'assist et y fu environ quatre jours. Et puis luy fu rendu, lequel chastel monseigneur le duc fist abattre pour ce que les seigneurs dudit chastel avoient esté traistres, et estoient coustumiers de rober et pillier les païs voisins. (Et d'ilec, vint devant un autre fort chastel appellé Bordailles, et mist le siège devant et y fu environ six jours au siège, et puis luy fu rendu)[311]. Et vint à luy monseigneur Jehan de Bueil, lors séneschal de Beaucaire, qui pour ledit monseigneur le duc estoit demouré capitaine ès parties de Rouergue, de Quercin, d'Agenois, Bigorne, Basadois, et amena des gens que monseigneur d'Anjou luy avoit bailliés en gouvernement cinq cens hommes d'armes et deux cens arbalestiers. Et d'ilec se parti monseigneur d'Anjou aux gens[312] qu'il avoit par avant et ceux que Bueil luy avoit amenés, et vint devant Bergerac et assist ladite ville. Et pour icelle endomaigier et pour plus tost prendre, envoia monseigneur le duc ledit monseigneur Jehan de Bueil à la Riole, avec quatre cens hommes d'armes, pour amener les truyes et autres engins qui y estoient. Et monseigneur Thomas de Feleton, séneschal de Bordeaux, qui sceut que ledit Bueil estoit là alé, assembla tous les seigneurs de Gascoigne et autres que il peust assembler jusques au nombre de sept cens combattans, et se mist entre la Riole et Bergerac pour rencontrer ledit Bueil et ses gens ; et y en vindrent nouvelles audit monseigneur d'Anjou, qui tantost manda messire Pierre de Bueil, son mareschal, et luy dist qu'il préist trois ou quatre cens hommes d'armes et ses gens et alast à l'encontre de son frère pour le conforter. Si y ala et mena trois cens cinquante hommes d'armes, et estoient audit nombre messire Pierre de Bueil dessusdit, le Besgue-de-Villaines, Yvain de Galles, messire Gieffroy Fevrier, mareschal du connestable de France, messire Pierre de Mornay, mareschal de monseigneur Loys de Sancerre mareschal de France ; Thibaut du Pont, Juel Rolant et pluseurs autres notables chevaliers et escuiers, et se partirent de Bergerac le premier jour de septembre. Et celuy jour, près de la ville d'Aymet, trouvèrent les gens et coureux de monseigneur d'Anjou[313] les coureux dudit séneschal de Bordeaux, et furent pris aussi comme tous les coureux françois. Et incontinent qu'il se sceurent les uns près des autres il chevauchièrent d'une part et d'autre, si s'entr'encontrèrent ainsi comme à un quart de lieue d'Aymet, et descendirent à pié d'une part et d'autre, et se combattirent moult fort ; et par la grace de Dieu furent desconfis les Anglois, et furent ilec pris ledit séneschal de Bordeaux, les seigneurs de Lagoran[314], de Mussidan, de Duras, le sire de Rosan et pluseurs autres ; et y ot pluseurs des Anglois mors et noyés en une rivière qui près estoit, appellée le Drot. Et l'endemain se rendi ladite ville de Bergerac audit monseigneur d'Anjou qui y avoit esté à siège quinze jours ; et ainsi vint ladite ville en l'obéissance du roy de France. Et après ladite besoingne, messire Jehan de Bueil en amenant les engins chevaucha devant la ville d'Aymet qui se rendi, et ainsi fist la ville de Sauvetat.

[308] Les éditions imprimées portent Chasteau-Cheron. C'est par des erreurs de ce genre que les meilleures familles de France ont tant de peine à retrouver dans nos historiens les titres de leur ancienne illustration.

[309] Nantion. Ce doit être la petite ville de Nontron dans le Périgord, à dix lieues de Périgueux.

[310] Condac. Aujourd'hui village du département de la Charente, à demi-lieue de Ruffec.

[311] Ce qui est entre parenthèses a été omis dans les éditions précédentes. — Bourdeille, au-dessous de Nontron.

[312] Aux gens. Avec les gens.

[313] Coureux. Pour Coureurs. Dans le bon usage de l'ancienne langue françoise, on ne prononçoit pas les r finales dans les noms ni dans les verbes. Courri, allé, porteu, coureu, etc.

[314] Lagoran. Ou Langouiran, petite ville près de Castres.

XLVII.

Coment monseigneur le duc d'Anjou prist en Guienne pluseurs chasteaux et forteresses dont les noms s'ensuivent.

En celuy temps, monseigneur le duc d'Anjou estant devant Bergerac, monseigneur Berducat de Lebret vint à l'obéissance du roy avecques aucunes forteresces qu'il tenoit. Et de Bergerac se parti ledit monseigneur d'Anjou et ala devant Sainte-Foy, une grosse ville sur la rivière de Dourdogne ; et loga une nuit devant, et l'endemain se rendi, et puis ala devant Chasteillon[315] une grosse ville et chastel, assise sur la rivière de Dourdogne ; et mist le siège devant, et y fu par douze jours, ses truyes et ses engins fist drécier et gietter, et après ce qu'il orent domaigié la ville et le chastel, il se rendirent. Et ilec estant en son siège, envoia chevauchier ledit monseigneur d'Anjou ses gens devant une grande ville appelée Craon[316], laquelle se rendi. Et aussi envoia chevauchier monseigneur d'Anjou avec ses gens le sire de Coucy et le mareschal de Sancerre devant la Bourne et Saint-Million, et y ot de grans escarmouches. Et estant au siège devant Chasteillon, firent serment audit monseigneur d'Anjou, les seigneurs de Lagoran, Mussidan, Duras et de Rosan de estre desoremais bons et loyaus François, combien que assez tost après ne demoura guères que les seigneurs de Duras et de Rosan se parjurèrent et se tournèrent devers les Anglois, et s'en alèrent à Bordeaux. Après la prise de Chasteillon s'en ala logier monseigneur d'Anjou devant un chastel qui estoit de Lagoran, et l'endemain vint devant Sauveterre, en entencion de l'assaillir, laquelle se rendi et vint à l'obéissance du roy. Celuy jour, vint logier à un quart de lieue d'une grosse ville appellée Montsegur, laquelle se rendi l'endemain et vint à l'obéissance du roy. Et l'endemain se vint logier devant Cauderot[317] qui se rendi à luy ; d'ilec, vint devant Saint-Macaire et y mist le siège, et fist drécier huit truyes et deux engins ; mais dedans quatre jours se rendi la ville à luy, et la ville rendue, il fist drécier lesdis engins devant le chastel de Saint-Macaire, qui se rendi tantost après. Et ilec estant au siège, se rendi la ville de Langon. Et durant ledit siège, envoia chevauchier ledit duc d'Anjou aucuns de ses gens qui pristrent le chastel d'Andorte par assault ; et aussi ala chevauchier, du commandement de monseigneur d'Anjou, messire Olivier de Mauny[318] devant Lenduras et le prist.

[315] Chasteillon. Aujourd'hui Castillon, au-dessous de Saint-Emillion et de Libourne, que notre scribe va écrire La Bourne et Saint-Milion.

[316] Craon. Ou plutôt Creon, dans le pays Entre deux mers.

[317] Cauderot. Au-dessus de Saint-Macaire, sur la Garonne.

[318] Mauny. Variante : Cliçon. Ce doit être une faute de la plupart des manuscrits. Olivier de Clisson étoit alors en Bretagne.

XLVIII.

Coment pluseurs villes et chasteaux et forteresses se rendirent à monseigneur le duc d'Anjou.

Ledit monseigneur d'Anjou estant au siège devant Saint-Macaire, se vindrent rendre et mettre en l'obéissance du roy les seigneurs de Bedos, monseigneur Avisant de Caumont ; le sire du Chastel-d'Andorte, les enfans de Saincte Aoys[319], eux, leur villes, chasteaux et forteresses dont il avoient grant nombre. Et ledit monseigneur d'Anjou, estant au siège dudit lieu de Saint-Macaire, luy vindrent nouvelles que les seigneurs de Duras et de Rosan s'estoient tournés Anglois. Et tantost comme il le sceut, combien qu'il eust ordené de mettre siège devant Cardillac, voiant la mauvaistié des dessus dis, il ala devant Duras le jour Saint-Denis, et incontinent qu'il y fust venu, il fist asségier la ville qui celuy jour ne fu pas assaillie, mais l'endemain il ordena à la faire assaillir. Lors les gens de la ville doubtans l'assault la rendirent. Et puis assist le siège devant le chastel de ladite ville que moult estoit fort, et fist drécier ses truyes et ses engins et canons, qui moult endomagièrent ledit chastel, et en la fin luy fu rendu ; et y fu trois sepmaines au siège. Et après ledit chastel ainsi rendu pour la saison d'hiver qui estoit venue et aussi pour ce que tous les chevaux se mouroient, ledit duc départi ses gens par establies pour la saison de hiver. Durant cette saison conquist, tant par force comme autrement, et mist en l'obéissance du roy ledit monseigneur d'Anjou moult d'autres grosses et bonnes villes comme Blaive, Mussidan et pluseurs autres forteresses que tenoient les seigneurs de Lagoran et Mussidan ; si que en celle saison conquesta jusques au nombre de six vint et quatorze que villes que chasteaux et autres grosses forteresces et notables.

[319] Saincte-Aoys. Variante : Sainte-Assise.

XLIX.

Coment ceux qui tenoient le chastel d'Auroy se rendirent à l'obéissance du roy de France, par le sire de Cliçon.

En celle meisme saison, c'est assavoir le jour de la mi-aoust ensuivant, ceux qui estoient au chastel d'Auroy en Bretaigne, devant lequel le sire de Cliçon estoit à siège, le rendirent audit seigneur de Cliçon pour le roy de France, et s'en alèrent en Angleterre. Et ainsi demoura toute la duchié de Bretaigne au roy de France, excepté seulement le chastel de Brest, devant lequel avoit bastides pour le roy de France, afin que ceux dudit chastel ne peussent saillir hors.

En celuy meismes temps, le navire du roy de France qui estoit sur la mer fut en Angleterre ; et prinstrent ceux qui estoient dedens la ville de la Rie bonne ville et grosse, et puis l'ardirent et la laissièrent. Et en celuy temps, envoia le roy le duc de Bourgoigne, son frère, le sire de Cliçon et pluseurs autres en la frontière de Calais avec ceux qui devant y estoient ; et le quatriesme jour de septembre, ledit duc et sa compaignie alèrent devant la ville de Ardre qui, le septiesme jour dudit moys, fut rendue audit duc pour le roy. Et ledit jour fu pris d'assault le chastel de Banelinguen, et la forteresce de la Planque, rendue audit duc pour le roy, et depuis aussi fu pris le chastel d'Andric. Et après se parti ledit duc et sa compaignie du païs de Picardie, car il n'y povoient plus besoingnier pour le temps qui fu trop pluvieux, mais il establirent gens d'armes et arbalestiers, pour garder lesdites forteresces qu'il avoient prises. Et toutesvoies les Anglois ne retournèrent point à Bruges à la mi-aoust mil trois cens septante-sept, pour faire les responses sur les offres qui leur avoient esté faites à Bouloigne, ainsi comme il avoient promis, si comme il fu dit par devant[320].

[320] En cet endroit, dans le manuscrit de Charles V, no 8395, un feuillet presqu'entièrement blanc sépare ce qui précède de ce qui suit, et la main du calligraphe change. C'est que, comme je l'ai dit plus haut, la rédaction du voyage de l'empereur fut faite dans le temps même de son séjour en France. Il est probable que les chapitres précédens ne furent faits que plus tard, et ne furent transcrits qu'après le récit du voyage dans notre exemplaire, que nous regardons comme le modèle de toutes les autres leçons. Ces dernières l'ont à compter d'ici grandement défiguré, comme nous le remarquerons.

L.

Coment Charles, empereur de Rome, escript au roy que il vouloit venir en France.

En celuy temps mil trois cens septante-sept, escript au roy l'empereur de Rome Charles, le quatriesme de ce nom, par lettres escriptes de sa main, et par deux messages par luy envoiés, l'un assés tost après l'autre, qu'il estoit ordené pour venir en France veoir le roy et faire certain pèlerinage où il avoit sa dévocion, de quoy le roy fu moult liés. Et pour ce que par lesdites lettres, il ne mandoit pas le temps de son venir né par quel part il entendoit à entrer au royaume, luy renvoia le roy de ses chevaucheurs pour luy en rapporter la certainneté ; lesquels luy rapportèrent que à l'entrée d'Alemaigne, en la duchiée de Luxembourg, il avoient trouvé le roy des Romains, fils dudit empereur jà venu audit lieu de Luxembourg, et estoit venu à petite compaignie en habit mesconnu, luy et ses gens estimés entour quarante chevaux. Et quant le roy fu de ce acertené, il se pensa que l'empereur ne feroit pas longue demeure après la venue de son fils que il avoit envoié devant. Si envoia hastivement à Rains et jusques à la ville de Mouson entrée de son royaume, et par où ledit empereur devoit venir en celles parties, les contes de Sarebruche et de Braine, ses conseilliers ; le sire de La Rivière, son premier chambellan, et messire Pierre de Chevreuse, maistre de son hostel, en leur compaignie, et autres de ses serviteurs, pour aler à l'encontre dudit empereur, et le recevoir honorablement à l'entrée du royaume. Et demourèrent lesdites gens du roy audit lieu de Mouson bien quinze jours ; auquel temps il n'orent nulles nouvelles dudit empereur, combien qu'il envoiassent audit lieu de Lucembourg, devers son fils, pour en savoir la certaineté, lequel semblablement leur fist savoir que nulle certaineté n'en savoit. Pour lesquelles choses le roy les remanda. Et assez tost après leur retour, vint un messaige de l'empereur au roy, et luy apporta lettres escriptes de sa main, èsquelles il se excusoit de sa demeure, pour certaines guerres qui estoient en aucunes parties d'Allemaigne, lesquelles il avoit desjà en partie et vouloit du tout mettre en paix, avant son département, et luy faisoit savoir que sans nulle faulte, il seroit huit jours devant Noël à Paris ; et que pour certaines causes et pour tenir plus brief et meilleur chemin, il avoit changié son propos de venir par Lucembourg, mais il venroit par Brebant, Hénau et Cambray ; et pour ce manda son fils estant à Lucembourg venir en Breban à luy, lequel le duc de Breban, son frère et la duchesse sa femme, avecques les bonnes gens du païs receurent moult honorablement. Et là, devoit venir à luy le conte de Flandres, lequel se parti de Gand pour cette cause, à tout quarante chevaliers en sa compaignie pour venir à Bruxelles ; et là furent pris les hostels pour luy. Mais quant il fu près de là, il s'escusa pour maladie qui luy survint. Pour ce, se envoia excuser par le chastelain de Diquemme et autres de ses gens, et s'en retourna en son païs sans veoir l'empereur. De là se parti ledit empereur et vint en Haynau, où il cuidoit trouver le duc Aubert, gouverneur de Haynau, lequel il avoit là mandé ; mais ledit duc estoit alé en Hollande, et pour ce n'y vint point ; et toutesvoies ala ledit empereur au Quesnoy où ses enfans estoient, et là demoura un jour et vit lesdis enfans.

LI.

Coment le roy de France envoia honnorables messaiges en la cité de Cambray, pour aler à l'encontre de l'empereur qui y devoit venir et le acompaignèrent très-honnorablement jusques dedens ladite ville, en laquelle il fu receu joieusement à processions ; et des paroles que l'empereur dit aux gens que le roy luy avoit envoiés.

En celuy temps, avoit le roy envoié ses messages à Cambray devers ledit empereur ; c'est assavoir, le seigneur de Coucy, les contes de Sarebruche et de Braine, le seigneur de La Rivière, Jehan Lemercier : et en leur compaignie avoit grant foison de chevaliers et d'escuiers en bonnes estoffes, vestus des livrées desdis seigneurs, et estoient bien trois cens chevaux. Et furent le mardi devant Noël, vint-deuxiesme jour de décembre, à Cambray un matin, et alèrent à l'encontre de l'empereur bien une lieue hors de Cambray ainsi acompaigniés, pour luy encontrer et accompaignier de par le roy ainsi honnorablement comme dessus est dit ; en luy disant que le roy le saluoit et avoit grant joie de sa venue et grant désir de luy veoir. Si les reçut moult gracieusement et en mercia moult le roy et eux de ce qu'il y estoient venus, en leur disant que mès qu'il fust venu à la ville, il parleroit à eux plus plainement. Et dont vint ledit empereur et approcha ladite ville de Cambray, et vinrent au-devant de luy l'evesque et les bourgois à bien deux cens chevaux et plus ; et le commun et arbalestiers de la ville estoient à l'entrée de la ville rengiés sans paremens, d'une part et d'autre en assez belle ordenance. Et l'empereur vint chevauchant sur un roncin gris, et vestu d'un mantel et chapperon de drap gris fourré de martres, et son fils, le roy des Romains, encoste luy chevauchant aussi avant comme luy ; et ainsi chevauchièrent jusques bien avant en ladite ville, et là encontrèrent l'evesque et les collèges à procession[321]. Si descendirent l'empereur et son fils et ainsi alèrent à pié jusques à l'églyse. Et après ce qu'il ot fait son oraison, il s'en ala en l'ostel de l'evesque, lequel estoit bien honnestement paré en sales et en chambres, et luy fist ledit evesque ses despens tant comme il fu à la ville. Et après disner envoya querre les gens du roy dessus escrips et leur dist publiquement et devant chascun que combien que il eust sa dévocion à monsieur Saint-Mor, venoit-il principalement pour veoir le roy, la royne et leur enfans, que il désiroit plus à veoir que créature du monde ; et que après ce que il l'auroit veu et parlé à luy, et qu'il luy auroit baillié son fils, le roy des Romains, pour estre tout sien, lequel il luy amenoit, quant Dieu le voudroit après prendre il prenroit la mort en bon gré, car il auroit acompli l'un de ses plus grans désirs. Et combien que lesdites gens du roy eussent sceu qu'il avoit entencion de estre à Noël à Saint-Quentin, il firent tant que il demoura audit lieu de Cambray, qui est sa ville et sa cité, en laquelle il povoit faire ses magnificences et estas impériaux ; et que au royaume de France n'eust point souffert le roy que ainsi en eust aucunement usé. Et pour ce que de coustume l'empereur dist la septiesme leçon à matines, revestu de ses habits et enseignes impériaux, il fu avisé, par les gens du roy, que au royaume ne le porroit-il faire, né souffert ne luy seroit. Si se consenti de bonne volenté de demourer audit Cambray pour faire son ordenance acoustumée en son empire.

[321] Cette procession est figurée dans le msc. de Charles V, fo 467, vo. Le costume de l'évêque est assez curieux.

LII.

Les noms des villes par où l'empereur passa depuis Cambray jusques à Senlis, et des nobles hommes qui lui furent à l'encontre.

L'endemain se party de Cambray ledit empereur, et vint au giste en une abbaye du royaume que l'on appelle le Mont St-Martin[322], et y disna le jour, et puis vint au giste à Saint-Quentin. Auquel lieu de Saint-Quentin les gens et officiers du roy, bourgois et habitans de ladite ville, vindrent à cheval à l'encontre de luy et le reçurent honorablement, en lui disant que bien fust-il venu en la ville du roy ; et luy firent grans présens de char, de poissons, de vins, de pains, de foins, d'avaine et de cires. Et est assavoir que en ladite ville et semblablement par toutes les autres villes où il a esté, tant en venant à Paris comme en son retour, il n'a esté receu en quelconque églyse à procession né cloches sonnans, né fait aucun signe de quelconque dominacion ou seigneurie ; si comme au roy ou à ceux qui ont la cause de luy appartiegne à estre fait en tout le royaume de France. Audit St-Quentin demoura ledit empereur un jour, et vint à Han au giste où les gens du roy qui au-devant estoient allés toujours le compaingnièrent ; et vindrent les gens de ladite ville de Han au-devant de luy, et lui firent la révérence si comme avoient fais ceux de Saint-Quentin ; et de là se parti l'endemain après boire et vint au giste à Noyon. Et au devant de luy vindrent à cheval l'evesque, chappitre et bourgois de ladite ville en grant et belle compaignie, et luy firent la révérence, en disant les paroles telles comme ceux de Saint-Quentin luy avoient dites, en disant que bien fust-il venu en la ville du roy ; et lui firent les présens comme dessus est dit. Et demoura en ladite ville deux jours, et visita l'abbaye de Saint-Eloy et le corps saint.

[322] Le Mont Saint-Martin. Aujourd'hui village sur la route et à mi-chemin de Cambray à Saint-Quentin.

Et le jeudi trente-et-uniesme et derrenier jour de décembre, se parti d'ilec après boire et vint au giste à Compiègne ; et au-devant de luy vindrent à une lieue de la ville les gens de ladite ville, en belle ordenance et bonne compaingnie bien jusques à deux cens chevaux. Et assez tost après vint, de par le roy, à l'encontre dudit empereur, le duc de Bourbon, frère de la royne de France, le conte d'Eu, cousin germain du roy, les evesques de Beauvais et de Paris, et pluseurs autres notables chevaliers et seigneurs en leur compaingnie, jusques au nombre de trois cens chevaliers et plus, vestus des robes dudit duc, lesquelles étoient de blanc et bleu mi-parti. Et luy dit le duc de Bourbon que le roy le saluoit et estoit bien lie de sa venue et que très-volontiers le verroit, et que là les avoit envoyés le roy pour le compaingnier. Et l'empereur venu en ladite ville et descendu en son hostel, le duc de Bourbon pria les seigneurs et chevaliers de l'ostel de l'empereur de venir souper avecques luy en son hostel, lesquels y alèrent ; et l'empereur, pour luy faire plus avant plaisir, luy envoya son fils le roy des Romains, en luy mandant que sé il feust en point qu'il se peust aidier, car de nouvel au partir de Noyon lui estoit prise sa goute dont il estoit si empeschié qu'il ne pouvoit aler, que luy en sa personne fust alé souper avecques luy. Et ledit duc de Bourbon festoya ledit roy et tous les autres, et donna à souper très grandement et largement, et y assembla et fist estre les dames qui estoient en la ville et environ. Et l'endemain, qui fu le vendredi premier jour de janvier, après ce qu'il ot disné à Compiègne, il vint en un curre, pour ce qu'il ne pooit chevauchier, à heure de vespres à Senlis : et au-devant de luy alèrent le baillif de ladite ville et les officiers du roy, et en leur compaingnie les gens de la ville, jusques au nombre de cent chevaux, en lui faisant la révérence et en luy disant qu'il fust le bien venu en la ville du roy.

LIII.

Comment messeigneurs les ducs de Berry et de Bourgoigne, frères du roy de France, acompaingniés de pluseurs nobles chevaliers, alèrent au devant de l'empereur pour luy acompaingnier à entrer en la cité de Senlis, et coment lesdis chevaliers et escuiers estoient noblement vestus d'une couleur.

ANNÉE 1378

Tantost après un petit d'espace, à une lieue de ladite ville au plus, vindrent à l'encontre dudit empereur de par le roy de France, messeigneurs ses frères, les ducs de Berry et de Bourgoigne, le conte de Harecourt, l'archevesque de Sens et l'evesque de Laon, et estoient lesdis seigneurs accompaingniés de chevaliers et d'escuiers vestus tous d'une robe, c'est assavoir : les chevaliers partis de veluyau noir et gris ; les escuiers, de soie pareil de couleur, et estoient bien cinq cens chevaux en leur compaingnie. Et dit le duc de Berry à l'empereur, de par le roy, que le roy le saluoit et avoit grant desir de le veoir, et les envoioit au devant de luy pour luy honnorer et accompaingnier à leur povoir, dont il mercia le roy et eux très grandement. Et quant il fu descendu à son hostel, jusques où il le convoièrent, il s'en retournèrent à leur hostels afin que il ne le grevassent, car il estoit moult malade et travaillié ; et les gens de la ville firent tels présens comme dessus est dit des autres villes.

LIV.

Coment l'empereur vint de Senlis à Louvres, et l'y envoya le roy un curre et une littière noblement attelés, et de là vint à Saint-Denis en France.

Le samedi ensuivant, qui fu second jour de janvier, se parti de Senlis ledit empereur après boire, et vint au giste à Louvre, et vint à l'encontre de luy le duc de Bar que le roy y envoya, qui de nouveau depuis le département les frères du roy estoit venu vers luy ; et furent avec luy aucuns contes, banerés, chevaliers et escuiers, et là combien que ce soit ville plate, luy furent fais aussi grans et aussi honnorables présens comme ès villes dessus dites. Et l'endemain, qui fu dimanche troisiesme jour de janvier, se parti de Louvres après boire. Et pour ce que le roy avoit entendu qu'il estoit moult agrevé de la goute et ne pouvoit chevauchier et le charrier luy faisoit grevance, il luy envoya toute nuit, la nuit de samedi, un des curres de son corps noblement appareillié et de chevaux blans atelé, et la littière de son ainsné fils le daulphin de Vienne noblement appareilliée et attelée de deux mules et de deux coursiers pour venir dedens plus aisiement. De quoy ledit empereur fu moult lie, et en mercia moult le roy en son absence en recevant ledit curre et laditte littière des messages du roy ; et puis vint en ladite littière jusque à la ville de Saint-Denis bien acompaingnié de cent hommes à cheval des gens de ladite ville. Et assez tost après luy vindrent au dehors de ladite ville les arcevesques de Rains et de Rouen et de Sens ; les evesques de Laon, de Beauvais, de Paris, de Noyon, de Baieux, de Lisieux, de Meaux, d'Evreux, de Thérouenne et de Condon ; et l'abbé de Saint-Waast d'Arras, tous du conseil le roy, et luy firent la révérence, en disant que il fust le bien venu, et que le roy les avoit là envoiés pour le honnorer et le acompaingnier. Et luy venu à Saint-Denis, il fist descendre sa littière et porter icelle à bras, car pour sa maladie de goute dessus dite, il ne povoit aler à pié. Et pour ce, en icelle se fist porter en l'églyse Saint-Denis, devant le grant autel saint Loys où il fist son oroison dévotement. Et ainsi de là fu porté dedens ladite littière jusques en sa chambre, et là luy furent présentés, de par l'abbé, de grans poissons, de connins, de buefs, de moutons, de volaille et d'avoine, et habondance du vin, tant comme luy et ses gens en porent despendre. Et pareillement luy firent les gens de la ville de très grans présens ; et après ce que il se fu une grant pièce reposé, il se dementa de veoir les reliques de léans, et se fist porter au trésor en une chaière et là vit les reliques, les couronnes, joyaux, et s'y tint très longuement en y prenant très grant plaisir, si comme il sembloit à sa chière, par le rapport de ceux qui près de luy estoient. Et après ce qu'il fu reporté en sa chambre, lesdis frères du roy et aucuns des prélas qui estoient demourés prisrent congié de luy, et revindrent devers le roy à Paris, et il demoura tout le jour en ladite abbaye.

LV.

Coment l'empereur après ce qu'il ot veu les reliques Saint-Denis, tant ou trésor comme ailleurs, et visité les sépultures que il requist à veoir, se parti de Saint-Denis pour venir à Paris.

Le lundi ensuivant, quatriesme jour du mois de janvier, se leva l'empereur bien matin, pour ce que celuy jour il devoit venir à Paris ; si se fist porter en l'églyse de monseigneur saint Denis et devant les corps sains, et là fist ses dévocions, et se fist porter entour les chaces, et baisa les reliques, le chief, le clou et la couronne, et puis demanda à veoir les sépultures des roys, et par espécial du roy Charles et de la royne Jehanne sa femme, du roy Phelippe et de la royne Jehanne de Bourgoigne sa femme ; car il disoit que en leur hostel avoit esté norry en sa jeunesse et que moult de biens lui avoient fais. Et aussi volt-il veoir la sépulture du roy Jehan, et fist assembler l'abbé et le couvent et leur requist très affectueusement que il voulsistent Dieu prier pour ses bons seigneurs et dames qui gisoient là. Après se parti de l'église, et vint en sa chambre où il avoit esté par devant, et là vint de par le roy, c'est assavoir messires Bureau de la Rivière, son premier chambellan, et Colart de Tanques, escuier de son corps, et vinrent en la court devant les fenestres de sa chambre, et luy présentèrent, de par le roy, un bel destrier ensellé des armes de France bien et richement, et pareillement un bel coursier ; et autant et autels en présentèrent à son fils le roy des Romains. De quoy il mercia le roy grandement, et dit qu'il monteroit et entreroit dessus à Paris, combien que il luy fust bien grief pour cause de sa maladie : et pour ce les envoya devant à La Chappelle Saint-Denis, et jusques là se fist porter en la littière de la royne, qui pour ce luy avoit esté envoiée très-richement et noblement attelée et appareilliée. Et après ce qu'il ot beu, il se party de Saint-Denis en la littière, comme dit est ; et entre Saint-Denis et La Chappelle, vindrent à l'encontre de luy le prévost de Paris et le chevalier du guet, avecques très grant quantité de leur gens à cheval, vestus d'unes robes, et aussi y estoit le prévost des marchands, et les eschevins de la ville de Paris, et des bourgois bien montés et vestus de robes mi-parties de blanc et de violet : et estoient bien en nombre, en ladite place, de dix-huit cens à deux mile hommes, de quoy lesdis prévost et chevaliers, les eschevins et grant quantité de autres bourgois estoient montés sur beaux destriers et coursiers très noblement, et se misrent rengiés aux champs, selon le chemin, en très belle ordenance.

LVI.

Coment les prévos de Paris et des marchans et Chevalier du guet se despartirent d'avec le commun qui estoient rengiés sur les champs, et alèrent au devant de l'empereur pour luy faire révérence.

Lors se départirent d'avec les autres le prévost de Paris, le prévost des marchans et le Chevalier du guet, et se approchièrent de l'empereur, et porta le prévost de Paris les paroles en disant : « Très excellent prince, nous les officiers du roy à Paris, le prévost des marchans et les bourgois de la bonne ville, vous venons faire la révérence et nous offrir à faire vostre bon plaisir, car ainsi le veult le roy nostre seigneur, et le nous a commandé. » Et l'empereur en mercia le roy et eux moult gracieusement. Et lors lesdis prévos et échevins avec les bourgois vindrent ensemble jusques à Paris, et estoient bien en la compaingnie tant des officiers du roy comme des gens de la ville de Paris, quatre mille chevaux et plus. Et ainsi acompaingnié vint ledit empereur à la Chappelle Saint-Denis, et là se fist descendre de la littière de la royne en un hostel, et fu mis à cheval sur le destrier que le roy luy avoit envoié à Saint-Denis, lequel estoit morel[323] ; et semblablement monta le roy des Romains sur celui que le roy luy avoit envoié, lequel estoit pareillement morel. Et appenséement le roy de France les leur donna de celuy poil qui est plus loing et opposite du blanc, pour ce que ès coustumes de l'empire, les empereurs ont acoustumé d'entrer ès bonnes villes de leur empire et qui sont de leur seigneurie, sur cheval blanc, et ne vouloit pas le roy que en son royaume il le feist ainsi, affin qu'il n'y peust estre noté aucun signe de dominacion[324].

[323] Morel. Noir. On voit cette cavalcade dans le manuscrit de Charles V, fo 470, ro.

[324] Villaret a eu grand tort de traiter de petitesses ridicules toutes ces précautions cérémonieuses du roi de France. Dans les idées admises à la cour impériale et souvent même à celle de Rome, tous les rois chrétiens relevoient de l'empereur. Or, l'indépendance de la couronne de France ne permettoit pas de tolérer de pareilles prétentions.

LVII.

Coment le roy de France se parti de son palais pour aler à l'encontre de l'empereur son oncle.

En celuy mesme jour et heure, se parti le roy de France de son palais, monté sur un grant palefroy blanc, richement ensellé tout aux armes de France. Et estoit le roy vestu d'une cote hardie[325] d'escarlate vermeille et d'un mantel à fons de cuve fourré. Et avoit en sa teste un chappel à bec de la guise ancienne, brodé et couvert de perles très richement. Et en sa compaingnie estoient quatre ducs, c'est assavoir : de Berry, de Bourgoigne, de Bourbon et de Bar ; et les contes d'Eu, de Bouloigne, de Coucy, de Sarebruche, de Tancarville, de Sancerre, de Dampmartin, de Porcien, de Grantpré, de Siaume et de Braine ; et pluseurs autres grans seigneurs, banerés et autres chevaliers sans nombre et estimacion, et d'autres grans gentilshommes ; et si estoient des prélas tous ceux dessus escrips, qui alèrent au dehors de la porte Saint-Denis au devant de l'empereur, et estoient tous en chappes romaines par l'ordenance et commandement du roy ; et estoient grandement montés, et accompagnés de leurs chappelains et autres gens chascuns de leur robes. Et les seigneurs et princes dessus dis estoient montés sur grans chevaux moiens, plus haus que coursiers et grandement acompaingniés de chevaliers et d'escuiers, chascun des livrées de leur seigneurs. Et aussi avoit le roy ses officiers de tous estas, en très grant quantité, vestus chascun office d'unes robes ; c'est assavoir : chambellans, de deux paires de robes les unes de veluyau et les autres de deux escarlates parties ; les maistres d'ostel, de deux veluyaux inde et tenné ; et les chevaliers d'onneur, de veluyau vermeil ; les escuiers du corps et d'escuierie, de camocas bleu ; les huissiers d'armes, de deux camocas partis de bleu et rouge ; les officiers, panetiers, eschansons, varlès tranchans, vestus de deux satanins pallés de blanc et tenné ; et pareillement estoient les officiers du daulphin de Vienne, ainsné fils du roy ; et les queus et escuiers de cuisine vestus de houpellandes de soie et aumuces fourrées, à boutons de perles pardessus ; les varlès de chambre cinquante-deux, tous vestus d'unes robes d'un roié gris blanc contre noir ; les someliers vestus d'un roié gris blanc contre un drap noir. Les sergens d'armes, de cinquante à soixante, vestus d'unes robes de drap bleu et noir. Les someliers, d'un roié brun contre un vermeil ; et ainsi de tous les autres officiers, chascune office séparément d'unes robes. Et mist le roy à partir de la cour du palais, pour la multitude des gens à cheval qui y estoient, plus de demi-heure à issir hors. Et chevaucha parmi la ville en grant multitude de gens, droit le chemin de Saint-Denis, en passant par la porte et bastide de Saint-Denis. Et estoit l'ordenance des gens du roy si bien faite, que peu y avoit de presse au regart de la multitude de gens qui là estoient. Et devant aloient tous les chevaliers et escuiers, les arbalestriers de cheval et sergens d'armes. Et devant le roy estoit le mareschal de Blainville et escuiers de son corps, qui avoient deux espées à escharpe et les chappeaux de paremens. Et, sans moien[326], estoit devant luy le fils du roy de Navarre et les contes de Harcourt et de Tancarville, et par derrière ses huissiers d'armes. Et après, les quatre ducs dessus dis, et pluseurs autres contes et barons, et les prélas dessus nommés par ordenance venoient après, deux et deux.

[325] Cote hardie. Dans la miniature que nous avons mentionnée tout à l'heure, cette cote hardie paroît être un vêtement serré sous le manteau.

[326] Sans moien. Sans intermédiaire.

LVIII.

Coment le roy de France et l'empereur avec son fils, le roy des Romains, s'entrencontrèrent entre La Chappelle et le Moulin à vent, et de la révérence que il firent l'un à l'autre à l'assemblée.

Après ceux, aloient les arcevesques premiers, et les evesques après ; et après venoient les grans chevaux et palefrois du roy très richement ensellés, et les varlès les menoient en destre, montés sur autres roncins, vestus tous d'unes robes, et si avoient paremens de France en escharpe, en la manière acoustumée. Et le palefrenier du roy estoit devant les escuiers de corps, monté sur un grant coursier, et avoit le parement du roy, lequel estoit de veluyau et de brodeure ; les fleurs de lis pourfilées de perles en escharpe autour le col, ainsi comme il est acoustumé de porter. Et avec les sergens d'armes du roy estoient devant les deux trompettes du roy, à trompes d'argent et penonceaux de brodeure qui trompoient aucune fois, pour faire les gens avancier de chevauchier. Et ainsi chevaucha le roy de son palais jusques en mi-voie du Moulin à vent et de La Chappelle, que il s'entrencontrèrent luy et l'empereur ; et fu grant pièce avant que il pussent venir l'un à l'autre, pour la presse des gens qui y estoient. En laquelle encontre ledit empereur osta sa barrette et son chapperon, et aussi le roy ; et ne se volt le roy trop approchier de l'empereur, pour ce que son cheval ne fraiast à ses jambes où il avoit la goute ; mais prisrent les mains l'un de l'autre et s'entresaluèrent, en disant le roy à l'empereur que très bien fust-il venu et que il avoit eu grant désir de le veoir. Et passa outre le roy pour saluer le roy des Romains en la manière qu'il avoit fait l'empereur ; et puis retourna devers l'empereur et le fist mettre à dextre de luy, combien que l'empereur s'en excusast très-longuement et ne le vouloit faire ; et fist mettre à senestre emprès luy le roy des Romains. Et ainsi chevaucha le roy au milieu de l'empereur et de son fils tout le chemin, et tout au lonc de la ville de Paris jusques à son palais, par l'ordenance et en la manière qui s'ensuit :

LIX.

De la noble ordenance qui estoit quant le roy et l'empereur et son fils entrèrent à Paris.

Premièrement, fu par le roy ordené que les gens de la ville, pour ce qu'il estoient en trop grant quantité, demourassent aux champs sans entrer en la ville, jusques à tant que l'empereur, le roy et toutes leur gens fussent entrés et passés en la ville, et ainsi fu fait. Et aussi avoit le roy fait crier le jour devant, que nul ne fust tant hardi d'occuper le chemin de la grant rue en venant au palais de gens né de charroi, né ne se boujassent des places où il s'estoient mis pour veoir l'empereur, le roy et le roy des Romains passer.

Et de fait furent mis sergens, pour garder au bout des rues qui viennent sur le chemin de la grant rue, qui gardoient et deffendoient le peuple de passer. Et lors descendirent à pié trente des sergens d'armes, et prisrent le travers de la rue, alant devant les escuiers du corps du roy leur maces en leur poings, et leur espées garnies d'argent en escharpe[327]. Et pour ce que l'empereur avoit fait assavoir au roy, dès ce qu'il vint à Saint-Denis, que à son venir à Paris il ne vouloit avoir nul de ses gens auprès de luy, mais se mettoit en la garde et gouvernement du roy et de ses gens tels comme il les luy voudroit baillier, et prioit très fort le roy que il les luy voulsist tels baillier que bien le gardassent de presse ; et aussi qu'il pleust au roy ordener aucunes gens qui menassent ses gens devant au palais tous ensemble, laquelle chose le roy fist ; et les fist mener les premiers et conduire par le seigneur de Coucy, le conte de Sarebruche et le conte de Braine, qui continuelment avoient esté avec l'empereur puis qu'il estoit entré au royaume. Et pour la garde du corps de l'empereur ordena le roy six de ses chambellans et quatre de ses huissiers d'armes ; c'est assavoir : le seigneur de la Rivière, messire Charles de Poitiers, messire Guillaume des Bordes, messire Hutin de Vermelles, messire Jehan de Barguettes et le Barrois ; et autant en ordena le roy pour son corps : et au roy des Romains, quatre et deux huissiers d'armes, lesquels tous chambellans, chevaliers et huissiers d'armes descendirent aussi à pié, et se ordenèrent en la garde qui commise leur estoit en belle et bonne ordenance.

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