Les mains propres : $b Essai d'éducation sans dogme
CHAPITRE III
DE L’INSTRUCTION.
PRINCIPES ET MOYENS D’ACTION
Le Lycée. — Le Foyer. — La « Valise ». — Comment apprendre. — Le Choix d’un Métier.
Le Lycée.
A quoi sert de savoir ? Voici ce que nous répondions aux enfants : « A se rendre compte de ce qu’on voit. A être aussi fort qu’autrui dans la lutte. A s’assouplir l’esprit, à développer ses dons d’invention, qui serviront toujours, quoi qu’on fasse. A connaître en surface, quitte à creuser plus tard en profondeur sur certains points. A se parer, à se meubler l’esprit, à faire qu’on soit une bibliothèque pleine au lieu d’une bibliothèque vide. A jouir, par la compréhension, de tout ce qu’on perçoit. A s’éloigner de l’être primitif qui s’agite pour manger, dormir, mourir ».
De l’aveu même de certains pédagogues, le lycée est avant tout une garderie. Il permet aux parents de se décharger de l’instruction des enfants et de se débarrasser de leur présence.
Le lycée plaide timidement en faveur de son enseignement, qui assouplit l’esprit, qui donne le goût des idées générales. Mais il se justifie en réalité par la nécessité de préparer aux examens, de franchir ces obstacles de steeple-chase, ces haies dressées et sans cesse surélevées, dont on barre l’entrée de toute carrière.
L’examen est un tamisage nécessaire ? Il donne — au moins quant à la mémoire — le pas aux meilleurs ? Soit. Mais on sait bien que les programmes d’études sont surchargés pour accroître les difficultés des concours, pour rétrécir la maille du tamis, pour hausser la haie. Et on sait bien aussi que, pour un examen, on s’emplit la cervelle à refus, comme on emplit une éponge d’eau. L’examen passé, on presse l’éponge, on oublie tout.
Conséquence : les plus charmantes, les plus précieuses années de la vie, celles où l’on a déjà la compréhension, la sensibilité, sans avoir encore le souci, se passent dans une geôle. En moyenne, dix ans de détention. L’exigence n’est-elle pas démesurée avec le résultat, qu’il s’agisse de concours ou de culture générale ?
Non. Le rôle de garderie explique seul une si longue réclusion. Une intelligence d’adolescent, demeurée fraîche et neuve, absorberait en deux ou trois ans toutes ces indigestes matières qu’on mâchonne dix ans.
En réalité, il suffirait, depuis la cinquième jusqu’à la quinzième année, d’une demi-heure par jour de leçon pour posséder une culture suffisante.
Ensuite, si on veut forcer la porte d’écoles spéciales, de carrières à examens, il serait bien temps, pour un cerveau tout frais, d’assimiler pour un moment l’énorme fatras des programmes.
Et surtout, pas d’internat ! Même le provincial éloigné d’un lycée pourrait être placé dans un foyer ami, où il goûterait la vie de famille, où il éviterait l’affreuse promiscuité…
Oh ! non, pas d’internat. Pas de cette geôle où les enfants semblent faire dix ans de prison préventive pour tous les délits qu’ils commettront plus tard !
Pourquoi les parents internent-ils leurs enfants ? D’abord, je l’ai dit, par égoïsme, pour se libérer de surveillance et de souci. Par routine, parce que « ça se fait », pour imiter le voisin. Par ignorance, feinte ou vraie. La mère — car le père, lui, ne peut pas avoir oublié — la mère croit que l’interne travaille mieux loin des distractions, que le répétiteur se penche avec sollicitude sur son épaule, l’aide à résoudre les difficultés de sa tâche. Alors qu’en fait le pion prépare lui-même un examen et n’exige que le silence et la paix.
Et dans quel féroce petit monde jettent-ils ainsi leurs enfants ! Image réduite et déformée de l’humanité, où les instincts et les vices apparaissent à nu, sans ce vernis de politesse et de dignité que donnent aux hommes les années, sans ces souffles de pitié, d’enthousiasme, d’art, qui deviennent l’ornement de la vie. Rien ne lui manque, à ce monde de nains : ses meneurs, ses tyrans, ses banquiers, ses bretteurs, ses mouchards, ses filles…
L’internat français prépare de mauvais hommes. Ils ne peuvent pas connaître le tendre respect filial, puisqu’ils furent bannis du foyer de famille. Ils ne peuvent pas pleinement connaître le respect de soi, car de honteux souvenirs les font longtemps encore rougir d’eux-mêmes. Ils ne peuvent pas connaître le bienfait d’une vie intérieure, puisqu’ils ont vécu jusqu’à vingt ans dans l’ennui morne et malsain, loin du spectacle du monde.
L’internat… Abject temps, pétri de bassesses, et dont on reste tenté de détourner la tête… Enfance poisseuse, dont on passe toute l’existence à se laver…
Oh ! Ces années, de dix à vingt ans, ces années qui devraient être le jardin, la parure, comme le paradis de l’existence, où l’âme devrait éclore avec ravissement, tout apprendre, tout comprendre, avec surprise, avec extase, où les yeux devraient s’emplir de souvenirs ensoleillés, pendant que l’on est encore irresponsable et sans souci, déjà sensible et conscient, ces années où plus tard nos mélancolies devraient pouvoir butiner mille et mille images de délices, ces années, des mœurs caduques les ont injustement, inutilement encloses de hauts murs, sans lumière, sans visages et sans joie.
On a jugé commode de plaisanter et de tourner en chanson la détresse de l’enfant interné. On l’appelle potache et tout est dit. C’est une lourde faute. Il ne faut pas rire des chagrins puérils. S’ils paraissent plus petits que les soucis adultes, c’est qu’ils sont à la taille de l’enfant : mais ils l’emplissent tout entier. Il n’est point endurci contre la douleur, il n’est pas distrait d’une peine par d’autres peines, entraîné par la nécessité salutaire de continuer à vivre. Non. Son chagrin est grand comme lui. Et, quoi que lui réserve le destin, jamais il ne rencontrera de douleur aussi complète, aussi continue, aussi injuste.
On dit aussi : le lycée rend débrouillard, au contact d’autrui. Mais le jour où un garçon qui n’a pas été au lycée enfourche une bicyclette, où il prend son essor, se détermine, se renseigne, prend contact avec le monde, ce jour-là, sa bécane lui rend agréablement, à ce même point de vue, le même service que l’affreuse geôle du lycée.
On dit enfin : la dureté du lycée fait, en contraste, paraître ensuite la vie meilleure. Toujours cette notion du paradis. Souffrons sur terre, pour une récompense éternelle. N’est-il pas juste d’éviter d’abord la souffrance dans l’existence dont on a la certitude ? N’est-il pas juste d’éviter d’abord la souffrance à l’enfant, à l’adolescent ? Qui sait ce que lui réserve la vie ?
Le lycée développe l’esprit de ruse. On s’y dénonce. Pour ne pas être distancé dans une composition, on invente des trouvailles machiavéliques. Je sais un garçonnet qui, pour assurer sa supériorité et fort de sa mémoire, oubliait consciemment son livre afin que le professeur ne laissât de livres à personne. Merveilleuse école de probité ! Singulier effet de l’émulation, de la fameuse émulation, tant vantée, du : « Ote-toi de là que je m’y mette ! » Et faut-il tellement admirer l’usage des prix ? Récompenser la mémoire, l’intelligence, est-ce bien juste ? Ce sont des dons, comme la santé, la force. Or, on sourit du prix de gymnastique. Il faudrait s’entendre. Je conçois qu’on attache des valeurs différentes à chacun de ces avantages différents comme la vigueur, l’esprit, l’adresse, le talent. Mais l’injuste, c’est d’établir une nette ligne de démarcation entre les qualités physiques et les qualités intellectuelles, de considérer les premières comme un cadeau de la nature dont le destinataire n’est pas responsable, tandis qu’on lui fait des secondes un mérite, digne de récompense. Les unes et les autres sont pourtant également des dons.
Dans la pensée des hommes d’État, les deux grandes conquêtes sociales modernes sont la liberté et la solidarité.
Or, le jeune français est façonné, laminé successivement par le lycée et la caserne.
Au lycée, pendant dix ans, à l’âge le plus malléable, on lui répète : « Tâche d’être avant ton voisin. Tâche de prendre sa place. » S’il le dépasse, il est récompensé. S’il l’aide, il est puni. Admirable préparation à l’altruisme.
A la caserne, au nom de la discipline, on l’introduit dans une société toute opposée à celle où il évoluera plus tard. On lui inculque la notion du supérieur et de l’inférieur. On lui interdit d’agir et de penser par lui-même. Et cela à l’âge de sa formation morale.
Comment ce jeune homme pourra-t-il retrouver le sens de la liberté et celui de la solidarité, qu’on a successivement étouffés en lui ?
Le Foyer.
J’ai dit ce que je pense du lycée. L’idéal serait l’instruction par les parents, au moins jusqu’à la quinzième année. J’entends déjà leurs cris : « Ils n’ont pas le temps ». Ce n’est pas mon avis. Que chacun fasse son examen de conscience. Une demi-heure par jour suffirait largement. Qui ne perd pas une demi-heure ? Les femmes, en courses, en visites, en thés. Les hommes, au café, au jeu, ou chez leurs maîtresses. On peut toujours trouver une demi-heure.
Une autre objection se dresse, assez comique. Un jour, je disais à un de mes confrères, un écrivain très réputé, que j’avais entrepris l’instruction de mon fils. Il m’interrompit, ingénument :
— Mais alors, vous avez dû tout rapprendre ?
Le mot est à double fond. Creusez-le. Vous y trouverez tout le procès de l’instruction actuelle. Car enfin, si nous devons tout rapprendre pour instruire nos enfants, c’est donc que nous avons tout oublié. C’est donc que nos années de lycée ne nous ont servi à rien ?
La preuve qu’on pourrait consacrer beaucoup moins de temps à l’instruction, c’est la somme énorme de connaissances que l’enfant encaisse dans ses toutes premières années. Songez qu’à sa cinquième année, il a tout appris, le nom de tout, la notion de tout, ce que le monde a mis des milliers d’années à savoir.
Pour diminuer le rôle de la mémoire, il faudrait que l’usage soit généralisé des précis, des vademecum, des lexiques, de ce qu’on appelle justement des aide-mémoire. Et qu’il n’y eût pas diminution à s’en servir.
Mais il y aurait diminution. Supposez un médecin qui tirerait un petit carnet de sa poche pour ordonner exactement des dosages. Il serait perdu. Et pourtant…
Dans le train, fin septembre, une mère, rentrant de vacances avec sa fillette aux joues claires et rebondies, aux jambes brunies, la santé sous la peau, disait avec une admirable et niaise résignation à ceux qui la complimentaient sur cette belle apparence : « Oui, mais elle aura perdu ses belles couleurs en janvier ». Et cependant elle la ramenait à Paris, pour le « Cours ».
Je suis persuadé que la plupart des enfants pourraient s’instruire avec le seul concours des livres — surtout si ces livres étaient conçus dans ce dessein. Malheureusement ces précis sont rares.
C’est une étrange illusion de la part des parents — d’autant plus inexplicable que les pères ont passé par le lycée et savent ce qu’il en est — que cette foi dans le pouvoir de la classe et de l’étude. Le professeur parle pour trente élèves. Il ne peut pas s’occuper de chacun d’eux. Écoute qui veut, comprend qui peut.
Mais, dira-t-on, l’élève de lycée est obligé de prendre des notes, de faire des devoirs, d’apprendre des leçons. Tandis qu’un enfant n’aura jamais la sagesse et la raison d’étudier seul dans les livres.
Double erreur. Nous savons bien que presque tout s’oublie, de ce qui fut appris sous le fouet de l’amour-propre ou la crainte de la punition. Et j’affirme aussi qu’un enfant s’instruira par le livre, le jour où, son goût se dessinant, il trouvera dans ses lectures des connaissances qui l’intéresseront, qu’il saura nécessaires à son futur métier. C’est une question de moment.
Pour les parents qui ne voudraient pas tirer leur science de leur propre fonds, les cours par correspondance seront un guide excellent. Certains manuels d’instruction au logis sont déjà conçus dans un esprit lucide et pratique.
Et, je le répète, je crois beaucoup à l’enseignement par le livre, pour celui qui s’intéresse à ce qu’il apprend. On peut approfondir, creuser un sujet, revenir en arrière, méditer, mûrir. On n’est pas talonné. Tandis qu’un professeur qui parle à trente élèves ne peut pas s’occuper de chacun d’eux. Il va, il va. Il sème. Tant pis si sa parole ne germe pas.
La Valise.
A quoi bon apprendre par cœur les propriétés théoriques du sulfure de baryum ? Qui se rappelle tout ce fatras ?
Il ne faut charger sa mémoire que d’un minimum nécessaire. D’une part, ce qu’il faut savoir dans la vie de relation, pour ne pas paraître ignorant, pour ne pas se nuire par le monde. D’autre part, les connaissances générales qui nous permettront de comprendre une science lorsque nous voudrons ensuite l’approfondir, par goût ou par nécessité.
Ce bagage indispensable, qu’on emporte partout avec soi, dans sa tête, c’est ce que nous appelions la Valise.
Les lourdes malles, les chapelières, tout le confort, le luxe et le superflu, ne font que suivre. Avec la valise, on n’est déplacé nulle part.
Il faut faire de la géographie à « coups de serpe ». Débiter dans le bloc terrestre de gros morceaux dont on saura la place et l’aspect. On étoilera la carte d’Europe de ses grandes villes. Et il suffira de connaître la figure et les noms de cette constellation.
En histoire, il suffit de pouvoir placer les événements dans leur siècle, afin de ne pas commettre une hérésie sensible.
En arithmétique, les quatre règles. Déjà, la racine carrée est un luxe. En géométrie, la notion et le calcul des surfaces et des solides simples.
En chimie, on ne s’embarrassera donc pas de ces réactions, descriptions de chaque corps, qu’on ânonne pour les examens.
On apprendra les généralités, sels, bases, acides, en en signalant le caractère transitoire, en les présentant comme des lois approchées, qui satisfont actuellement l’esprit.
Puis, quelques propriétés, utiles ou curieuses, de certains corps usuels.
En physique, les lois générales, illustrées autant que possible des exemples de la vie, du logis, de la science amusante.
En mythologie, en histoire générale, y compris l’histoire sainte, il faut un bagage mondain : savoir la signification des noms, des légendes qui prêtent aux allusions. Plus tard, si on s’y intéresse, il sera toujours temps de fouiller une époque.
On n’oubliera pas d’emporter dans la valise la liste des locutions vicieuses — comme : « s’en rappeler » — afin de les éviter. Car il y a des gens qui vous jugent sévèrement sur ces fautes légères et l’on se déprécie démesurément à les employer.
La liste également des locutions étrangères, de langues mortes ou vivantes, qui courent dans la conversation et dont l’ignorance est gênante.
Il faudra connaître aussi, afin de ne pas se trouver en état d’infériorité, les types sortis des pièces et des romans et qui continuent de vivre dans la mémoire contemporaine : Giboyer, Mme Marneffe. De même les artistes qui ont créé un genre, au théâtre, et dont le nom est devenu synonyme de ce genre même : une Dugazon.
Comme hommes illustres — noms et œuvres — on fera un triage, en retenant ceux auxquels on fait fréquemment allusion dans la causerie et ceux qui sont dignes de mémoire.
Nous avions composé cinq cents cartes. Au recto, un nom. Au verso, le siècle, la profession, l’œuvre. Et une petite anecdote caractéristique, autant que possible. Le jeu consistait, lisant le recto, à connaître l’invisible verso. Cela s’appelait le Panthéon.
Dans un chapitre spécialement consacré aux principales lacunes de l’instruction officielle, on trouvera l’indication de quelques connaissances utiles à emporter dans « la Valise ».
Comment apprendre.
Il faut savoir attendre. Un adolescent, rouvrant un livre qu’il avait étudié avec ennui dans l’enfance, est surpris de s’apercevoir qu’il le comprend mieux, qu’il s’y attache.
Ainsi, il y a un âge, une maturité, où, pour chaque étude, l’intérêt et la compréhension sont à point.
La hâte où l’on est de bourrer les cerveaux de connaissances pour les examens, parce qu’il faut « être reçu », cette hâte a fait devancer l’âge propice. C’est pourquoi l’enfant ne retient rien de ce qu’il apprit trop tôt, dans l’écœurement.
Aussi, ne faut-il graver en lui que l’indispensable, l’A B C de tout et, pour le reste, attendre l’âge où s’éveillent l’intelligence et la curiosité, en une sorte de puberté de l’esprit.
Il y a un moment où votre petit garçon vous dit spontanément : « J’ai compris inversement proportionnel ! » On a bien fait de ne pas insister plus tôt. Il vient seulement d’être mûr pour cette idée.
Même pour les jeux — qui sont encore des enseignements — il faut savoir attendre. Il faut guetter le moment où ces jeux intéresseront les enfants, l’heure qui sonne.
Ainsi, j’avais acheté une petite presse et une casse d’imprimerie. Les enfants étaient trop petits pour s’en servir et s’en amuser. J’ai dû attendre dix ans ! Et puis, un beau jour, ils ont découvert leur imprimerie. Et il a fallu courir les magasins de Paris pour se procurer de l’encre, des rouleaux, sans attendre un instant de plus…
De même pour la photographie. J’en ai fait à leurs côtés pendant des années sans qu’ils y mordent. Et je ne les y incitais pas. Et l’heure aussi a sonné, et ç’a été le ravissement, la trouvaille, le grand zèle qu’on a seulement pour ce qu’on aime…
On n’insistera jamais trop sur cette idée : après avoir instruit l’enfant des connaissances à la base — la valise — il faut attendre, pour toute culture de luxe, que le goût s’en éveille. Comme on apprend vite et mieux, quand on a le désir de savoir, quand on sait pourquoi on apprend ! Voyez le cas de l’anglais. Le jour où des enfants expriment le désir de savoir cette langue, il suffit de leur faire suivre, par exemple, pendant deux mois les cours de Berlitz, à dose intensive, à deux leçons par jour. Puis une jeune anglaise vient s’installer deux saisons à leur foyer. Elle apprend le français, elle enseigne l’anglais. Ainsi, dans l’agrément, au bout de huit mois au total, ils parlent couramment l’anglais.
Quand il s’agit de fleurir, de parer l’enseignement de fond, il faut choisir, ou plutôt laisser choisir, guetter l’éveil des goûts.
Ainsi, de deux fillettes, également douées, l’une aura un penchant pour le dessin de modes, l’autre pour le précieux dessin japonais. Il faut alors suivre ce penchant, et l’accuser, l’affirmer.
La durée d’une leçon ne doit pas être de plus d’une demi-heure. Dans son étude sur l’Attention volontaire, Ribot évalue la durée totale de l’attention à une heure et il l’estime plus faible chez l’enfant, la femme, le vieillard.
D’ailleurs, la vie nous en donne un exemple frappant. Au théâtre, où l’on s’amuse — généralement — l’acte ne dure jamais plus de trois quarts d’heure. On a senti le besoin instinctif de ne pas demander plus à l’attention continue, fût-elle agréable.
Il faut voir si l’enfant retient mieux par la mémoire des yeux ou la mémoire des sons, s’il est visuel ou auditif. Les visuels sont infiniment plus nombreux que les auditifs, d’ailleurs. Et c’est surtout par l’image qu’on devra frapper leur esprit. Le cinéma, quelle ressource ! Il n’est pas une connaissance élémentaire, pas une, qui ne puisse se dérouler en film. Je suis certain que l’écolier primaire apprendrait ainsi, à jamais, en huit jours, ce qu’il ânonne en huit ans.
Il faut éviter ce que nous appelions le ton « institutrice ». Je ne sais quoi d’aigre, d’impérieux, d’« en classe, mesdemoiselles », qu’on est tenté de prendre dès qu’il s’agit d’enseignement et qui rend d’avance la leçon maussade.
Il ne faut pas que cette demi-heure soit odieuse, grâce à d’âpres : « As-tu fait ta tâche ? » Il faut éviter de renforcer cette idée du travail-ennui. On ne doit pas river l’enfant à la table comme le bagnard à la chaîne. S’il est inattentif, fatigué, il faut pouvoir offrir paisiblement : « Veux-tu cesser ? »
Il faut divorcer le travail et l’ennui. C’est une union tellement admise, tellement étroite, que les enfants, lorsqu’on est parvenu à les instruire en les amusant, disent : « Ce n’est pas travailler, puisque ce n’est pas ennuyeux ». Quelle antique et terrible erreur !
Il faut faire impression sur l’enfant, et pour cela, le toucher, l’intéresser, l’amuser, piquer sa curiosité, frapper son imagination, émouvoir son cœur. Et il ne faut jamais l’ennuyer.
Rendons la science aimable, attrayante. Pour enseigner l’invention des ballons, par exemple, de vieilles estampes, de vieilles assiettes, fixeront mieux les souvenirs que de longs discours.
Pour amuser, on emploie des ruses. Ainsi, pour faire comprendre l’adaptation des organismes au milieu, on imagine un monde à 500 degrés, un monde de feu, où couleraient des fleuves d’étain, où pousseraient des plantes métalliques, où circuleraient des salamandres, où la vie aurait d’autres exigences que sur la terre.
On inventera une agriculture fantaisiste, où on ondulerait les champs pour leur donner plus de surface ; où on élèverait plusieurs étages de terre sur des charpentes métalliques, les plus bas pour la culture ombrée, les plus hauts pour la culture au soleil ; où on couperait les blés d’un seul coup, avec un fil rougi par l’électricité ; où on soutiendrait les épis, tentés de se coucher, par un treillage horizontal…
Il y a des vertiges qu’il est bon de donner, une sorte d’ivresse de l’imagination. Ainsi, songer que, peut-être, la terre n’est qu’un atome d’un monde énorme, qui lui-même n’est qu’une cellule dans l’infini… Ou bien, quelques personnes sont réunies dans un salon. Il faut se dire qu’il a existé, qu’il existe ou qu’il existera, sur un autre monde, une assemblée identique, où les mêmes personnes prononceront les mêmes paroles, feront les mêmes gestes. Pourquoi ? Parce que cette assemblée se compose d’un nombre fini de cellules. Et comme les cellules sont en nombre infini dans l’espace et le temps, elles ont réalisé et réaliseront à nouveau le groupement que représente cette assemblée. Et cette combinaison elle-même se renouvellera un nombre infini de fois…
Aux livres arides de physique, je préfère la « Science amusante », la science au foyer, ces petites expériences que certains auteurs ont réunies en série. Une fois que la curiosité est amorcée, il est temps d’évoquer les grandes et sèches lois générales. C’est une conclusion. D’ailleurs, n’est-on pas parti de l’expérience pour arriver aux lois ? Pourquoi ne pas suivre cette tendance naturelle ?
Ou bien on racontera des vies d’inventeurs. Il faut « s’amuser à faire de la physique ».
Pour les premiers éléments de chimie, comme pour la physique, il faut se placer au niveau de l’enfant, le frapper avec des expériences. Partir des petits faits de la vie, comme les mélanges réfrigérants, le vert-de-gris, la mousse du champagne, pour parvenir aux grandes lois générales.
Il faut, autant que possible, raconter des histoires. Que se rappelle une jeune fille à brevet de la chimie telle qu’elle l’a apprise ? Rien.
On ne répand pas assez les arts d’agrément, le dessin, la sculpture, le modelage. On ne fleurit pas assez la vie. Ces notions élémentaires devraient être diffusées, au lieu de rester le privilège d’une caste.
Ou alors, on a été à l’extrême. Exemple : Par mode, par convenance, par imitation, pour se donner un signe de richesse, on impose aux filles des séances énormes de piano. Et la plupart y touchent à peine, une fois mariées. Y a-t-il proportion entre les heures d’études et la joie qu’on en retirera ? Seules, celles qui sont douées devraient s’y consacrer. On devrait éviter cet excès. Pour pouvoir lire la musique, pour déchiffrer cette langue universelle et charmante, pour en connaître les éléments, l’écriture, il suffirait de s’entraîner d’abord, à l’âge des connaissances premières, sur un instrument simple, comme la cithare.
Pour rendre la géographie attrayante, on peut partir du jardin, étendre la notion à la commune, au canton, à l’arrondissement, etc.
Pour l’histoire, cette méthode serait séduisante, de partir de la famille, de remonter aux grands-parents. Mais il faut y renoncer, car elle ne permettrait pas de suivre l’humanité pas à pas dans ses progrès, tandis que ces étapes et ces conquêtes sont sensibles quand on prend l’homme à ses origines connues. Naturellement, il faut ramener les guerres et les rois à leur importance réelle et rendre la place qu’ils méritent aux coutumes, aux découvertes, aux arts, aux grands mouvements de la pensée, à tout le labeur des hommes.
On pourrait apprendre l’histoire de France rien qu’avec une suite de romans comme ceux d’Alexandre Dumas, Erckmann-Chatrian, Paul Adam, les frères Margueritte. Cela ne serait pas exact, direz-vous ? Cela le serait tout autant que l’histoire toute sèche, surtout au point de vue de l’atmosphère générale des époques. Il suffit de se rendre compte que, sur un fait contemporain, il y a mystère ou désaccord, pour convenir que l’histoire, telle qu’elle nous est transmise, ne peut pas être exacte quant aux faits. Quand on est dans un événement, on est comme un alpiniste dans un nuage : on n’en voit pas les contours.
J’ai déjà montré quel enseignement on pouvait tirer, en matière d’éducation, d’un fait usuel comme la conduite d’une auto. La leçon est tout aussi attrayante, du point de vue de l’instruction. Songez que, d’instinct, l’enfant veut tout connaître, tout comprendre. Chaque jour, il se réveille avec un « pourquoi » ? et s’endort avec un « comment » ? Avec ses points d’interrogation, il entend crocheter tous les mystères, forcer tous les secrets. Vous voyez d’ici tout ce qu’une auto doit révéler à son ardente curiosité : « Pourquoi les gaz s’enflamment-ils ? Comment le moteur tourne-t-il ? » Chaque carter contient une énigme enclose dont il lui faut la clé. Et le changement de vitesse ? Et le différentiel ? Et les engrenages ? Si bien que pour apaiser cette fringale, c’est tout ensemble un peu d’électricité, de chimie et de mécanique qu’on doit lui servir…
Ce petit exemple concrète les deux grandes règles qui doivent présider à l’instruction. La première, passer du connu à l’inconnu. La seconde, rendre la leçon attrayante, la donner comme un aliment et non comme un médicament.
Choix d’un métier.
Le métier, c’est un compagnon qu’on retrouve chaque matin pour ne le quitter que le soir, toute la vie. Si on l’aime, cette vie en est embellie. Si on le déteste, elle en est empoisonnée.
Une profession ! Conforme aux goûts et aux aptitudes de chacun, elle lui vaudrait le robuste plaisir de produire un effort qui ne lui coûterait pas, la juste fierté de prospérer en raison même de cet effort.
Chez nous, à peine une poignée d’hommes ont le courage et l’énergie d’un tel choix, d’où dépend pourtant la couleur de la vie. Et la plupart, pour qui chaque heure de travail devient un fardeau, qui guettent, la montre à la main, l’instant de l’évasion quotidienne, se laissent mollement entraîner non seulement par le hasard, mais par d’absurdes préjugés.
Les exemples qui pourraient suggérer des préférences manquent aux enfants isolés par l’internat. Chacun de nous ne connaît qu’une profession, celle de son père. Il nous en éloigne volontiers parce qu’il en connaît les difficultés ou parce qu’il nous y juge inaptes. Et si l’un de nous, pourtant, manifeste du goût pour une carrière d’exception, la prudence paternelle l’en détourne encore.
Il faut apporter la même attention au choix d’un métier qu’au choix d’une compagne de vie.
Les parents qui choisissent pour leur enfant le métier qu’ils aiment et non celui qu’il aime, doivent bien se rendre compte qu’ils s’exposent à commettre un véritable crime. Ils usent de cette autorité redoutable, vestige de la loi romaine, qui donnait au père le droit de vie et de mort sur son fils.
Il faut guetter chez l’enfant, chez l’adolescent, l’éveil d’un goût. Cet éveil est souvent assez tardif. Mais qu’importe ? A quinze ans, un garçon peut préparer n’importe quel examen, franchir tous les obstacles placés au seuil des carrières privilégiées. Veut-il être médecin, marin, ingénieur, officier ? Pour aucune de ces professions, il n’y a encore de temps de perdu. Le garçon de quinze ans peut se mettre en course pour n’importe lequel de ces steeple-chase, même — on pourrait presque dire surtout — s’il n’y est pas entraîné par l’ânonnement de dix ans de classe. A la condition, bien entendu, qu’il ait le goût de la profession choisie, que son énergie soit tendue vers le but. Dans ces conditions, il aura le goût du travail même le plus ingrat, car il comprendra pourquoi il travaille.
Mais bien des gens disent : « Mon fils n’a pas d’aptitude, il n’a de goût pour rien ». Il faut provoquer l’éclosion du goût, le révéler à l’enfant lui-même, épier le moindre petit germe et, désormais, le cultiver et le renforcer.
Si l’enfant marque un penchant pour la mécanique, faites-lui visiter des usines, donnez-lui un petit outillage. S’il se plaît à la culture, mettez-le en contact avec les paysans, avec leurs labeurs, faites-lui sentir la belle et noble indépendance qu’assurent les travaux de la terre. Et ainsi, encouragez la moindre prédilection.
Cet éveil de la préférence peut tenir à des causes si subtiles, et si lointaines. N’a-t-on pas dit cent fois l’influence de la panoplie sur la vocation militaire ? Il y aurait beaucoup à dire sur cette question du métier d’officier. Il est juste de le remettre à son plan. Les événements prouveront peut-être que l’officier de réserve et de territoriale, qui était dans la vie ingénieur, épicier ou financier, court absolument les mêmes risques que l’officier de carrière. Il ne faut donc pas laisser à ce dernier le monopole de l’héroïsme et du sacrifice, car ce serait dénier d’avance aux autres ces mêmes qualités d’abnégation. Et il y a tant d’officiers malheureux dans leur métier… En vérité, pour rester équitables, il faudrait mettre aux mains des enfants des panoplies de tout. Des costumes d’alpiniste, de facteur, d’explorateur, d’aviateur, de chauffeur, de marin. Au moins, on ne fausserait pas leur choix.
Et, quoi qu’on en ait dit sur ce puéril sujet, je suis d’avis de proscrire les soldats de plomb. Car il attise chez l’enfant le goût de la guerre, il en montre la face attrayante, sans lui en laisser soupçonner les deuils irréparables, les indicibles horreurs. C’est une génération de plus qui se trouve ainsi préparée à l’accepter sans révolte, d’avance, sans l’envisager sous son jour véritable, en n’en voyant que la pompe, le défilé, tout ce qui séduit et flatte en nous un vieil instinct barbare.
D’innombrables jeunes hommes, faute de préférences spontanées ou suggérées, se laissent aussi hypnotiser par l’administration. Elle les éblouit. C’est le soleil sur l’horizon vide. Être fonctionnaire ou ne pas être. Pour eux, voilà la question. Avoir un petit titre, un petit fixe, un petit travail, une petite sécurité, une petite retraite, voilà le rêve. Et de belles énergies se calcinent, tombent en cendres, devant le disque flamboyant. Il étend ses rayons sur les campagnes comme sur les villes : plus de moissons, d’autant plus hautes que le sillon fut plus profond. Mais une bonne petite place bien sûre d’homme d’équipe. Quand un vieux paysan dit : « Mon fils est sur les chemins de fer », il se découvre en tremblant. Peut-être son gars lave-t-il les cabinets, mais il a une casquette.
Toute administration d’apparence puissante et stable draine des centaines d’intelligences, bientôt enlisées dans une besogne machinale, également payée quel que soit l’effort et récompensée au tour de bête. Un chef de bureau n’a qu’un mérite : avoir vécu jusqu’à l’âge d’être chef de bureau.
Encore grisée par le bienfait récent de l’instruction pour tous, la masse prétend en tirer argent, au lieu de la considérer comme un ornement nécessaire. C’est une sorte de vêtement de l’esprit : elle veut le vendre.
« Il faut vivre, dit-on. On n’a pas le choix. » Eh bien, si, on avait le choix, mais on se l’est fermé. Par cette fascination néfaste du titre et du fixe, par un faux orgueil de « jouer au monsieur », on s’est interdit les entreprises audacieuses et les libres et jolis métiers d’artisan.
Avoir un titre ! Autre frénésie passagère qui souffle sur tout le pays. Il faut une ligne à mettre sur une carte de visite. Le préjugé nobiliaire n’est pas éteint, — tant s’en faut — et déjà la vanité en a engendré un autre qui, obéissant aussi à la grande loi de vulgarisation, est infiniment plus vaste que le précédent. Peut-on présenter « Monsieur un tel, qui est bon, énergique, et juste » ? Non. Il lui faut un titre, partout, en toutes circonstances. A tel point qu’il se nuit s’il n’en a pas. Et plus ce titre est incompris, plus il impose. Une hiérarchie nouvelle s’est donc établie. Au-dessus du petit titre pour tous — commis ou employé d’administration, — brille le titre de choix, le titre prestigieux. Une formalité redoutable le délivre : les examens.
Noblesse d’examens ! Moins arbitraire que l’ancienne, mais non moins despotique, et dont les Universités, les Écoles, dispensent chaque année, par milliers, les parchemins nécessaires. De même que nos ancêtres portaient la hache de pierre sur l’épaule ou l’épée au flanc, nous portons des diplômes dans nos poches. Ce sont nos armes à nous, nos armes de papier. Une vieille dame demandait un jour devant moi, en parlant d’un jeune garçon : « Est-il reçu ? » Elle ignorait profondément à quelle carrière il se destinait. Mais un vague instinct l’avertissait qu’aujourd’hui tout adolescent doit « être reçu ».
Combien a-t-on vu de ces jeunes gens qui, sans vocation, par vanité, parfois cédant même à l’attrait de quelques avantages d’ordre militaire, décident ainsi de toute leur vie et se laissent prendre par l’engrenage, souvent écrasant, des concours. Car, eût-on passé d’un quart de siècle l’âge des examens, on ne peut songer sans un battement de cœur à ces épreuves féroces. Vraiment, elles provoquent des émotions physiques trop violentes pour d’aussi tendres organismes en pleine formation, affaiblis par un labeur démesuré.
Il y aura lieu de se préoccuper de plus en plus d’une profession pour les filles. La question des métiers de femme prendra sans doute une importance croissante. Pour moi, c’est une erreur de faire faire aux femmes la même chose qu’aux hommes. La femme ne doit pas viser à être l’égale de l’homme, mais son équivalente.
La répartition des métiers est à refaire de fond en comble. Une révision s’impose. Il est ridicule qu’un gaillard bien râblé vende des gants aux dames. Il est odieux qu’il y ait des porteuses de pain. Il faudrait remettre les noms de tous les métiers dans une grande corbeille et recommencer logiquement la distribution entre les deux sexes.
Afin que les adolescents ne soient pas poussés tous vers les mêmes professions, afin d’élargir leur choix, il serait bon de montrer ce qu’il y a d’inconséquent et souvent de stupide dans la hiérarchie des métiers, telle qu’elle s’est installée dans l’estime publique.
Car cette hiérarchie existe. On en a une preuve curieuse dans la rédaction des lettres mortuaires. Dans l’énumération de la famille, on fait figurer les titres des officiers, des magistrats, et on se garde bien de mentionner les industriels, les commerçants, les agriculteurs, les ingénieurs même.
Par quelle lente stratification de préjugés cette hiérarchie s’est-elle établie ?
Les professions les plus honorées sont-elles les plus périlleuses ? Non. Car les tables de mortalité nous apprennent que le pourcentage le plus élevé dans la paix est atteint par les couvreurs et les vidangeurs.
Celles qui ont exigé le plus de travail préalable ? Non. Car le professeur de lycée, qui a passé par Normale supérieure et fourni un labeur écrasant, ne vient pas en tête de liste.
Celles qui exigent le plus de désintéressement ? Non. Car les fonctionnaires, également peu payés, ne jouissent pas d’un prestige culminant.
Les plus fructueuses ? Non. Car on n’estime pas spécialement les financiers.
Les plus puissantes ? Non. Car les hommes armés du plus vaste pouvoir sont les journalistes et les policiers.
Tant de raisons complexes ont joué dans ce classement ! Il y a des carrières qui furent brillantes dans le passé et qui gardent un éclat persistant : la carrière diplomatique, bien que ses mœurs soient surannées, son rôle, hélas ! souvent vain et parfois dangereux.
Puis il y a des titres qui inspirent d’autant plus de respect qu’on les comprend moins : Conseiller référendaire à la Cour des Comptes.
D’autres préjugés viennent d’un passé plus lointain. Si le commerce ne jouit pas de plus d’estime, c’est peut-être qu’il était exercé dans les anciennes civilisations par des esclaves.
Enfin, la vieille supériorité de l’âme sur le corps a exalté démesurément le travail de l’esprit et rejeté dans l’ombre le métier manuel.
Qu’en conclure ? Que cette hiérarchie s’est assise sous cent influences complexes, illogiques, et qu’il faut puiser, dans le sentiment de cette incohérence, la force de s’affranchir de ses décrets.
Une preuve de l’injustice des préventions contre les métiers manuels : au début de l’automobile, le milliardaire qui conduisait lui-même réparait la panne. Il se mettait du cambouis jusqu’au coude, jusque dans les cheveux, il trifouillait sa voiture jusqu’aux entrailles, et il ne trouvait à cette besogne rien de déshonorant ni de pénible.
Il faut bien se rendre compte de l’importance et de la nécessité de l’apprentissage. C’est lui qui nous fait profiter de tout l’acquit des générations qui nous ont précédés.
Ce serait folie de vouloir s’en affranchir. L’amateur le plus habile, livré à ses seules ressources, ne parviendra jamais à faire un assemblage aussi correct que celui d’un modeste menuisier de village.
Il y a quelque chose de touchant dans cette pensée qu’en quelques mois, quelques semaines, un humble artisan nous verse le trésor des connaissances patiemment acquises par nos ancêtres depuis des milliers d’années.