Les mystifications de Caillot-Duval: Choix de ses lettres les plus amusantes avec les réponses de ses victimes
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A M. Berthelemot, confiseur, rue Vieille-Boucherie,
no 6, à Paris
(Conseils orthographiques, offre de poésies inédites pour bonbons, craintes manifestées au sujet des bonbons à bijoux et du bonbon d'amour. Le confiseur rassure Caillot-Duval et ne recule même pas devant les tragédies de son portefeuille «sucré». Le mot est heureux).
Nancy, le 11 janvier 1786.
Je ne vous cacherai pas, mon cher monsieur, que l'art de la confiturerie n'a jamais été porté si loin que de nos jours. Les sublimes découvertes dont vous enrichissez sans cesse cette partie si intéressante pour le palais, m'engagent à vous faire part de l'effet qu'a produit votre prospectus au cabinet littéraire de cette ville; mais comme je me pique aussi de réussir dans la partie littéraire de la sucrerie, je vais me permettre, à ce sujet, quelques réflexions que vous pardonnerez, à ce que j'espère, à un amateur zélé de tout ce qui concerne le pastillage, le papillotage (dont vous ne parlez pas) et le marronage.
D'abord, je vous avouerai franchement que je n'ai point l'honneur de connoître le Minautore, mais seulement le Minotaure et que le royaume de Crète ne s'écrit point comme une crête de coq. Dans les quatre bonbons de votre invention, le premier, dites-vous, amusera sans offenser, et divertira sans déplaire; ce ne sera pas là un grand miracle, et si le bonbon est nouveau, au moins son effet ne l'est-il pas; car s'il offense ou déplaît, il n'amusera, ni ne divertira.
Le bonbon d'Alger, qui rappellera un souvenir qui peut tourner au profit des malheureux, me feroit croire que son produit est destiné au soulagement des captifs; si cela est, je m'engage à en prendre jusqu'à la concurrence de trois livres de France, pour laquelle somme je compte en avoir au moins deux livres, le sucre étant fort diminué de prix depuis la paix. Pour que ce paquet m'arrive franc de port, vous pourrez le remettre à mon bon et respectable ami M. Barth, clerc de M. de la Reynière, avocat, place Louis-Quinze: comme nous avons un petit compte ensemble, il se fera un véritable plaisir de me faire cette légère avance. Vous me rendriez un service essentiel d'ajouter à ce petit envoi un recueil de vos devises, et une de vos pistaches à la portugaise que vous prétendez inimitables.
J'avois envoyé à M. Duval, rue des Lombards, un détail des différentes pièces qui composent mon porte-feuille sucré, telles que chansons, madrigaux, ballades, triolets, rondeaux, sonnets, élégies, idylles, stances, épigrammes; le tout en six langues. Je lui avois offert de plus deux tragédies, partagées en soixante-dix morceaux, et des airs de danses; il a accepté le tout pour l'année prochaine, ayant été, dit-il, prévenu trop tard pour celle-ci. Je vous avoue que j'ai de la peine à croire que les ouvrages, dans ce genre, de votre homme de lettres assez connu, soient comparables aux miens.
Votre idée de faire du Palais-Royal la capitale de Paris est assez heureuse: votre description du bonbon d'amour me fait craindre que vous n'y ayez inséré quelques ingrédiens propres à augmenter une passion déjà trop effrénée dans une jeunesse fougueuse.
J'ai vu avec admiration jusqu'où vous aviez poussé la confiturerie, vous l'avez étendue jusqu'aux chaînes d'or et aux bijoux; ils sont, dites-vous, renfermés dans de jolies surprises; j'ai été en effet très-surpris de cette nouvelle branche de commerce, inconnue jusqu'à ce jour dans les ateliers de vos confrères, dont le mécontentement éclatera tôt ou tard, malgré le plaisir que ces cadeaux font aux dames. Cette dernière phrase ne peut regarder que des concubines et des prostituées, et donneroit à penser que vous recevez indistinctement toutes sortes de personnes.
J'ai l'honneur d'être, etc.—CAILLOT-DUVAL.
Paris, 23 janvier 1786.
J'ai reçu, mon cher monsieur, l'honneur de la vôtre du 11 janvier, par laquelle je vois avec plaisir l'intérêt que vous prenez à l'art de la confiturerie, qui de tout temps a été portée au degré qu'elle exige; mais comme le palais augmente journellement de délicatesse, il est difficile d'enrichir cette partie au gré des amateurs.
Indistinctement me rappelez-vous l'effet qu'a produit mon prospectus au cabinet littéraire de votre ville j'ai tout lieu d'en être convaincu par la demande extraordinaire que vous me faites des objets y rappelés.
Je me permets un moment d'entretien sur les réflections obligeantes de votre zèle à retourner le pastillage, le papillotage et le marronage, que j'ai effectivement omis vu que cette partie est trop commune pour en faire un préambule.
Je ne m'étendrai point sur la décision du minotaure, qui à ce qui me paroît vous est plus connu que le minautore, je remet cette décision aux hommes de lettres ainsi que celle du royaume de Crète; je me bornerai seulement à vous satisfaire sur la délicatesse des objets que j'annonce en détruisant sans réflections vos soupçons sur mes quatre bonbons dont vous me parlez.
Le premier (ditte vous) n'amuse ni ne diverti, je le croit en effet pour de certaines personnes, mais du moins ne dégout-il point ceux qui en font usage.
Le second paroit vous être douteux à rappeller un souvenir au profit des malheureux captifs; si cela est (dite vous) vous vous engagerez formellement à en prendre jusqu'à la concurrence de 3 liv. de France; il paroit, mon cher monsieur, que vous êtes disposé à en rappeller un souvenir à tous vos amis, car pour le prix je pourrai vous en céder jusqu'à la concurrence d'une demi-livre.
Vous me demandez un recueille de mes devises ainsy que de mes pistaches portugaises que j'ai annoncées inimitable jusqua présent non par la forme, mais par la délicatesse, j'aurai soin de contenter vos desirs au moment du tirage de l'imprimeur.
J'espère que réciproquement vous voudrez bien me faire part des objets composant votre porte-feuille sucré, et surtout des deux tragédies partagées en soixante et dix morceaux, étant amateur d'en rapprocher le succès.
Nayez, s'il vous plait, aucune crainte sur mon bonbon d'amour, ce qui est renfermé naugmente nullement ni ne diminue la passion de la jeunesse, sa composition est aussi naturelle que sa forme.
Il paroit que vous avez été surpris sur la nouvelle branche de commerce d'étendre la confiturerie jusqu'aux chaînes de montres et bijoux d'or, inconnue, dites-vous, dans les atteliers de mes confrères; je ne connois aucun de mes confrères qui ait des atteliers; mais revenons à votre étonnement, cela ne doit pas vous paroitre plus extraordinaire que le genre dun homme de lettre qui forme ses réflections sur des objets qui lui sont inconnus.
Enfin, pour répondre à votre dernière phrase, vous ne devez point trouver ridicule que dans un magazin il y entre indistinctement toutes espèces de personnes sans que le marchand soit exposé au moindre soupçon, ainsy je me crois à l'abri de tout reproches à cet égard, voila mon cher monsieur à ce que jespère, de quoi contenter le desir de vos réflections pour ce moment, moffrant à vous satisfaire dans tous vos desirs avenir ayant l'honneur d'être très-parfaitement.—BERTHEL.....