Les mystifications de Caillot-Duval: Choix de ses lettres les plus amusantes avec les réponses de ses victimes
(Caillot-Duval, travesti en père éploré, le prie de faire chercher sa fille, enlevée par un hussard. Le magistrat fait honneur à la requête sans se dissimuler sa bouffonnerie. C'est un mystifié du devoir).
Paris, le 15 janvier 1786.
Ah! mon cher monsieur, vous connoissez la force des sentimens paternels, jugez de ma douleur: j'ai perdu le soutien de ma vieillesse, ce fruit du plus tendre amour; ma fille, en un mot, dégénérant de la vertu de ses pères, s'est laissée prendre aux grossières amorces d'un enseigne de hussards de l'électeur palatin. Ce malheureux jeune homme, n'écoutant qu'une aveugle passion, a ravi cette fleur précieuse qui, une fois partie, ne revient plus; cet infâme, au mépris de ses sermens, vient de l'abandonner: j'en ai la preuve et je crois qu'elle s'est réfugiée dans votre ville. Veuillez bien, par vos recherches, rendre la vie à un père infortuné: je sens... je sens que j'ai des entrailles de père; qu'elle revienne à moi, je lui pardonne. Enfin, mon cher monsieur, je compte sur vos soins; vos yeux d'Argus auront bientôt pénétré le mystère, et porteront dans mon âme un baume consolateur.
Pour rendre vos recherches plus faciles, voici le signalement de ma chère fille: elle est plutôt brune que blonde, les sourcils presque noirs, les yeux grands et bien fendus, le nez retroussé, la bouche petite, les dents blanches et le menton pointu; les joues vermeilles, la main potelée, le bras dodu, la gorge bien placée, une taille de nymphe, le pied chinois, le genou très droit, chose que vous savez être très rare dans une femme. J'ai de fortes raisons de croire qu'elle est chez quelque marchande de modes et qu'elle a changé de nom.
Je me repose entièrement sur vous, qui êtes ma seule espérance, le vrai consolateur de la veuve et de l'orphelin, et la fleur des lieutenans-généraux de police de notre hémisphère.
Recevez, mon cher monsieur, les assurances des sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc.—CAILLOT-DUVAL.
Réponse
Nancy, le 29 janvier 1786.
Malgré le style, j'ose dire comique, de votre lettre, monsieur, j'ai fait toutes les recherches qu'il m'a été possible pour tâcher de découvrir si mademoiselle votre fille s'étoit réfugiée dans notre ville; je crois pouvoir vous assurer que non: au moins est-il sûr qu'elle n'est chez aucune marchande de modes, où je n'ai trouvé personne qui ressemblât au portrait que vous m'en faites. Peut-être n'aura-t-elle fait que passer ici, et sera-t-elle allée plus loin, à Strasbourg, par exemple, qui, étant une fort grande ville, peut lui donner plus de facilités pour se tenir cachée. Je suis très-fâché, monsieur, de n'avoir pas de nouvelles plus satisfaisantes à vous donner; croyez que je n'ai pas épargné mes soins et mes peines.
J'ai l'honneur d'être très-parfaitement, monsieur, votre, etc.—URLON.