Les mystifications de Caillot-Duval: Choix de ses lettres les plus amusantes avec les réponses de ses victimes
II
A M. Le Cat, Procureur au présidial,
à Abbeville.
Caillot-Duval, débutant littéraire, demande des conseils à Le Cat, qu'il admire. Il lui offre l'examen d'un petit poème de vingt-quatre chants pour commencer et finit par lui faire espérer sa nomination d'académicien à Saint-Pétersbourg par la protection du Prince Kabardinski, auquel Le Cat, plein d'espoir, adresse aussitôt une Epitre en vers.
Le conte des Grelots, monsieur, l'analyse des eaux de Fruges [17] et nombre de chansons, d'épigrammes, de logogryphes et d'amphygouris, dont vous avez enrichi le journal littéraire de Nancy, m'ont donné la plus haute idée de vos talens, et m'ont prouvé que les vers et la prose vous étoient également familiers. Je ne puis différer plus long-temps le tribut d'éloges qui vous est dû, et l'hommage de ma reconnaissance pour le plaisir que vous m'avez fait éprouver. Que l'auteur de ce journal doit se trouver heureux d'avoir en vous un collaborateur aussi éclairé qu'infatigable!
Avec quelle douleur n'ai-je pas vu, à la fin du quarante-unième volume d'un ouvrage dont vous paroissez faire le cas qu'il mérite (les Contemporaines), une violente sortie [18] contre un opuscule de votre façon, que j'ai trouvé rempli de ce véritable sel attique, si rare de nos jours! Je veux parler de ce logogryphe que vous vous êtes permis, à si juste titre, sur le nom de M. Rétif (de la Bretonne): je suis étonné que cet auteur ait inspiré assez d'intérêt pour qu'on ait pu prendre ouvertement son parti.
Votre Voyage d'Elégie, inséré dans le dernier journal de Nancy, ne m'a point échappé: j'y ai reconnu ce folâtre enjouement qui caractérise toutes vos productions. Le nouveau trait lancé contre M. Rétif m'a paru piquant et ingénieux: j'ai été surtout enchanté de la préface, par les idées neuves et le sens moral qu'elle présente.
Si vos occupations vous permettent de me donner quelques momens, vos conseils ne pourront qu'être du plus grand secours à un jeune débutant dans la carrière des lettres.
J'ai l'honneur d'être, etc.—CAILLOT-DUVAL.
P. S. Je vais mettre la dernière main à un ouvrage sur lequel je serai enchanté d'avoir votre opinion.
Réponse
Abbeville, le 2 octobre 1785.
Je suis bien sensible, monsieur, à vos éloges; je vous prie d'en recevoir tous mes remercîments. Je sais cependant assez m'apprécier, pour être persuadé que je ne mérite point les choses flatteuses que vous m'écrivez. Je ne suis que médiocrement lettré, et mon état qui prend presque tout mon temps, m'ôte l'espoir d'acquérir plus de talent.
Quoique les ouvrages de M. Rétif me paroissent susceptibles de critique, à bien des égards, j'ai peut-être eu tort de lui déclarer la guerre. «C'est un méchant métier que celui de médire.»
Si vous cultivez les lettres, gardez-vous bien, monsieur, de labourer le champ ingrat de la satire; elle ne procure que des désagrémens.
Je verrai vos ouvrages avec plaisir, et vous dirai ce que j'en pense, sans déguisement.
J'ai l'honneur d'être, etc.—LE CAT.
P. S. Vous voudrez bien, à l'avenir, affranchir vos lettres.
Nancy, le 25 octobre 1785.
C'est au retour, monsieur, d'un petit voyage, que j'ai trouvé ici votre lettre du 2 qui m'attendoit. Je suis infiniment flatté de tout ce que vous me dites d'obligeant; je suis surtout enchanté de voir unie aux talens, cette modestie d'auteur, si rare aujourd'hui. Il seroit à désirer que tous les littérateurs du siècle suivissent un exemple aussi louable: nous verrions disparoître ces pamphlets, ces libelles injurieux, qui sont toujours le fruit d'un amour-propre déplacé. Alors régneroit cette douce harmonie, compagne du vrai mérite, qui parsemeroit de roses la carrière épineuse des lettres.
Vous trouverez peut-être que mon style se ressent un peu des lieux communs de rhétorique: je sens qu'il n'est pas encore assez formé; vous me rendrez un vrai service de me dire ce que vous y aurez trouvé de défectueux! J'espère profiter de vos observations judicieuses. Je suis désolé de n'avoir pu mettre encore la dernière main à un petit poëme en vingt-quatre chants, que je soumettrai à votre censure; le titre en est: Amusements de la campagne (il faut vous dire que je l'aime beaucoup). J'y ai inséré tous les détails qui peuvent rendre ce tableau piquant; je n'ai passé sous silence aucun des jeux auxquels on s'y adonne; j'y ai même fait entrer les échecs, le domino et la dame polonaise, trois jeux que vous savez être de la plus haute antiquité. Si je ne craignois d'être trop long, je vous transcrirois ici l'épisode de la balançoire, dont j'ose croire que vous ne seriez pas mécontent, mais, réflexion faite, j'aime mieux vous envoyer l'ouvrage en entier, dès qu'il sera terminé. Je compte pouvoir le faire paroitre au mois de mars.
Dans une ville où il y a une académie, il semble qu'on devroit avoir quelques nouveautés en littérature; mais depuis plusieurs mois on est uniquement absorbé dans l'étude d'une science qui a occupé tout Paris, et sur laquelle je serois bien curieux de connoître votre opinion; vous me feriez plaisir de m'en parler un peu en détail, sur-tout du somnambulisme, qui me paroit être le nec plus ultrà de la science magnétique. Je ne vous en écrirai ouvertement que quand vous m'aurez fait part de votre façon de penser. Il a paru ici, à ce sujet, un petit ouvrage qui est devenu fort rare; il est intitulé: Correspondance de M. Mesmer [19]; si vous avez le désir de le connoître, je m'arrangerai pour vous le faire passer, franc de port, et dorénavant j'en userai de même pour mes lettres: je conçois que les littérateurs d'une certaine volée prennent leurs précautions, car, sans cela, ils seroient inondés d'un fatras de lettres, ce qui seroit aussi coûteux que désagréable.
J'ai l'honneur d'être, etc.—CAILLOT-DUVAL.
A M. Le Cat, à Abbeville.
Nancy, le 24 novembre 1785.
L'état de dépérissement et de marasme dans lequel je me trouve, monsieur, depuis 15 jours, m'oblige de me servir d'une main étrangère pour vous rappeler l'indulgence avec laquelle vous avez bien voulu répondre à ma lettre du 23 septembre: elle sembloit me promettre une correspondance suivie: à quoi dois-je donc attribuer le silence obstiné que vous gardez avec moi? Vos lettres eussent fait le charme de ma solitude: depuis mon arrivée dans cette ville je vois infiniment peu de monde, et absolument personne depuis trois semaines.
Mon poëme des Amusemens de la campagne est tout à fait fini; je vais l'envoyer à Paris, et je n'omettrai rien pour que la partie typographique soit bien soignée. Il y aura vingt-quatre gravures, une à chaque chant, et de plus le frontispice. Vous concevez que cet ouvrage m'entraîne dans de grands frais: mais j'espère en être dédommagé. Comme je ne veux pas cependant que vous attendiez deux et peut-être trois mois à avoir ce poëme, je vous en fais faire une copie (sans préjudice de l'exemplaire que je vous destine), et je compte qu'elle sera prête dans huit jours. Je pars pour Paris, si toutefois ma foible santé me le permet. Mon départ est fixé au 15 du mois prochain; et si, à cette époque, je n'ai pas reçu de vos nouvelles, j'attribuerai votre silence à la multiplicité de vos occupations, et je ne vous enverrai pas moins la copie de mon poëme; mais je me plais à croire que vous ne voudrez pas me laisser plus long temps dans l'inquiétude; d'ailleurs je vous avoue que je serois fort embarrassé pour vous faire passer mon manuscrit; la poste est une voie très-dispendieuse, et cependant si vous ne m'en indiquez pas une autre, je serai forcé de m'en servir, et dans ce cas je crains bien que le plaisir que vous éprouverez à me lire, ne vous dédommage pas des frais.
J'ai l'honneur d'être, etc.—CAILLOT-DUVAL.
P. S. Si vous avez quelque répugnance à suivre une correspondance qui pourroit vous devenir fastidieuse, faites-moi la grâce de me le marquer.
Vous connoissez sans doute le poëme de l'harmonie imitative dont M. Piis [20] vient de nous régaler: je me suis permis une petite sortie sur ce poëme, que je n'ai trouvé ni harmonieux ni à imiter.
J'ose espérer que vous ne serez pas fâché d'apprendre que Sa Majesté l'Impératrice de toutes les Russies vient de m'envoyer la patente de membre de l'Académie impériale de Pétersbourg.
Réponse.
Abbeville, le 5 décembre 1785.
Votre dernière lettre, monsieur, me donne de vives inquiétudes sur votre santé; je hâte ma réponse pour vous prier de m'en donner des nouvelles, sans retard. Pour moi, j'allois mieux; mais la fièvre m'est revenue depuis quelques jours. Dans cette maudite saison, on a tant de peine à se rétablir! Je vous avouerai que vos reproches m'en ont fait; mais vous avez vu, par ma dernière, combien mes excuses ont été légitimes. Ce sera toujours un vrai plaisir pour moi que d'entretenir une correspondance suivie avec vous, et vous pouvez compter que quand il y aura du retard de ma part, ce ne sera jamais qu'aux événemens imprévus et à la multiplicité de mes occupations qu'il faudra l'attribuer.
Je brûle d'envie d'avoir votre poëme: vous voudrez bien faire remettre le manuscrit que vous me destinez à M. Marcotte, chez M. Brouet, procureur au parlement, rue Mazarine, à Paris: ce M. Marcotte a des occasions, toutes les semaines, pour Abbeville.
Recevez, je vous prie, mes sincères félicitations, sur la distinction flatteuse que l'Impératrice de Russie vient de vous accorder: je ne doute pas que votre poëme ne vous en procure, qui ne le seront pas moins. Quoique je ne soye d'aucun corps littéraire, et que je n'aye jamais fait de démarches à ce sujet, je ne vous dissimulerai pas que mon amour-propre seroit agréablement chatouillé, si je devenois académicien.
Je ne connois point le poëme de l'harmonie imitative, mais j'en ai toujours mal auguré. M. de Piis n'est rien moins que propre à ce genre, bien différent de celui de briller dans les vaudevilles. Ses petits opéras offrent souvent des tableaux ingénieux; il met beaucoup de gaieté dans ses ouvrages, mais on peut lui reprocher des calembours, de mauvaises pointes, et quelquefois une gravelure trop forte. Il ne faudroit pas moins qu'un Boileau pour nous donner un bon poëme sur l'harmonie imitative, et je ne doute pas que ce ne soit avec raison que vous n'ayez fait une sortie sur celui de M. de Piis.
J'ai l'honneur d'être, etc.—LE CAT.
A M. le Cat, à Abbeville.
Nancy, le 14 décembre 1785.
Je suis infiniment sensible, monsieur, à l'intérêt que vous voulez bien prendre à ma fâcheuse situation: il m'est encore impossible de me rendre à Paris, comme je croyois pouvoir le faire; je ne puis m'occuper de choses sérieuses, et c'est ce qui m'empêche de mettre la dernière main à mon poëme: ce qui me reste à faire seroit tout au plus l'ouvrage de quatre jours, si je me portois bien. Je vais envoyer à Paris, et faire remettre, à l'adresse que vous m'indiquez, la brochure sur le magnétisme, dont je vous ai parlé: je vous fais le sacrifice de mon exemplaire, car cet ouvrage est devenu introuvable. Je suis très-curieux de savoir ce que vous penserez de cette bagatelle; j'y ai trouvé de l'esprit, de la gaieté et des plaisanteries neuves; le style en est assez coulant, quoique concis; je pense que vous ne serez pas non plus mécontent de la partie typographique.
Je vous remercie des éloges flatteurs dont vous m'honorez: si vous n'êtes membre d'aucun corps littéraire, c'est que vous n'avez fait aucune démarche pour cela; mais il est une manière d'en faire, qui ne peut offenser votre délicatesse, et qui réussira probablement. Je n'avois pas, à beaucoup près, autant de titres littéraires que vous pourriez en rassembler: si vous voulez essayer de ce que je vais vous dire, je suis persuadé que nous serons bientôt confrères. Je suis dans la plus grande intimité avec le prince Kabardinski, frère puîné du prince Héraclius, que vous connoissez sûrement de nom; c'est par son entremise que j'ai obtenu le titre flatteur dont je viens d'être décoré. Je puis compter assez sur son amitié pour être sûr qu'il ne refusera pas à mes sollicitations la même grâce pour un homme de lettres présenté par moi; en conséquence, je crois que, pour le disposer en votre faveur, vous devriez m'adresser, pour lui, une pièce de vers, dont voici le texte, en partie. Le prince est au mieux avec la Sémiramis du Nord; sa femme, qui est une Géorgienne, vient d'accoucher de cinq enfants mâles, ce dont il n'y a pas d'exemple [21]; ils vivent tous. La mère seule a conservé un léger frémissement dans les muscles zigomatiques, ce qui fait qu'elle a toujours l'air de rire. Les cinq enfants ont tous l'assurance d'une compagnie dans les volontaires de Crimée: voilà, si je ne me trompe, un canevas assez étendu. La forme de l'épître me paroît la plus convenable. Si vous avez quelques épigrammes neuves et fraîches, vous pourrez me les envoyer aussi: le prince aime beaucoup ce genre-là.
J'ai l'honneur d'être, etc.—CAILLOT-DUVAL.
Abbeville, le 28 décembre 1785.
Je n'ai reçu, Monsieur, que le 24 de ce mois votre lettre datée du 14: j'y vois avec peine que votre situation est toujours la même. Ménagez-vous extrêmement, surtout ne vous fatiguez point l'esprit par aucun travail littéraire. Le physique est tellement lié au moral, que, quand celui-là éprouve quelqu'affaissement, il faut laisser celui-ci dans le plus grand repos. Quels sont donc vos maux et les remèdes que vous leur opposez?
Le vif intérêt que je prends à vous est le motif de ma curiosité; j'ai été autrefois si long-temps souffrant et valétudinaire, que j'en suis presque devenu médecin; du moins ai-je fait quelques études dans l'art de guérir. Vous avez, je n'en doute pas, des gens très-instruits qui vous dirigent, mais il pourroit se faire que mes conseils vous fussent salutaires, et vous savez «qu'un sot quelquefois ouvre un avis important».
J'attends donc votre réponse à ce sujet sans retard. Comme je ne veux point vous priver de votre brochure sur le magnétisme, quand je l'aurai reçue et lue, je vous la ferai repasser, et même si votre voyage à Paris est encore différé pour quelque temps, je pourrai vous la remettre moi-même, car je crois me rendre dans cette capitale vers la fin du Carême, et ce me seroit un bien grand plaisir de vous y voir, et de trouver cette occasion de resserrer plus étroitement notre liaison, je n'ose vous dire notre amitié.
J'adopte avec le plus grand empressement le parti que vous m'offrez pour parvenir à une confraternité qui me seroit bien chère. Je sens comme vous que pour cela il faut que je rime en l'honneur du Prince, et que l'épître en ce cas est l'ouvrage le plus convenable; mais je vous avouerai que ce genre n'est pas le mien. Je n'ai fait dans ma vie que deux épîtres, encore sont-elles très-foibles; vous en avez pu voir une dans le journal de Nancy, adressée à M. l'intendant d'Amiens: il est vrai qu'elle y a parue très-défigurée, et avec des fautes typographiques inexcusables. L'auteur de ce journal paroit n'être guère soigneux de corriger les épreuves. Malgré mon inaptitude épistolaire, je vais faire mes efforts pour tirer de mon cerveau quelque chose qui ne soit pas tout à fait indigne d'être présenté au prince, et ne tarderai pas à vous l'adresser; en attendant, je vous envoie quelques fruits de mes loisirs, qui n'ont pas encore paru, à l'exception, cependant, des trois derniers morceaux, qui ont été insérés dans l'Année littéraire; presque tous sont dans le genre épigrammatique. Vous jugerez s'il n'en trouve qui puissent être montrés au prince. Je me recommande et m'en rapporte à vous sur les moyens d'obtenir son suffrage.
Je travaillois à une parodie en vers de Médée, tragédie dans laquelle il y aura beaucoup de caricatures sur plusieurs autres tragédies, lorsque la maladie que je viens d'essuyer, et qui a mis un retard considérable dans toutes mes affaires, m'a obligé de renoncer pour quelque temps à tout travail littéraire.—Recevez, je vous prie, les vœux sincères que je forme pour vous, et soyez persuadé que ce n'est point l'usage seul qui les dicte, mais bien des sentiments plus nobles et plus purs.— Je vous embrasse de tout mon cœur,et suis, etc. LE CAT.
Monsieur, voici mon épître au prince Kabardinski. J'aurois bien désiré qu'elle fût plus digne de lui, mais j'ai fait tout ce que j'ai pu. Vous n'ignorez pas combien ce genre est difficile, et combien il est rare d'y obtenir des succès; il ne faut que du goût pour juger une épître, mais il faut être poëte pour en faire de bonnes, et c'est bien à cet égard que l'on peut dire: «La critique est aisée et l'art est difficile».
Au surplus, j'ose espérer que vous voudrez bien présenter au prince mon foible essai; muni de votre passeport, peut-être sera-t-il accueilli, et me procurera-t-il l'avantage de devenir votre confrère. Je viens d'obtenir l'assurance de la première place qui vaquera à l'académie d'Amiens, et ce seroit, lorsque j'en serois membre, une grande satisfaction de pouvoir vous y introduire. Quand votre poëme sur les Amusements de la campagne aura vu le jour, ce sera, je crois, le vrai moment d'agir à ce sujet: je vous indiquerai alors la marche qu'il faudra suivre.—Je n'ai pas encore reçu votre brochure sur le magnétisme; mandez-moi si vous l'avez fait remettre à l'adresse que je vous ai donnée, et sur-tout n'oubliez pas de m'instruire de l'état de votre santé.—J'ai l'honneur d'être, avec le plus sincère attachement, etc.—Le Cat.
Epître
A SON ALTESSE LE PRINCE KABARDINSKI
Daigne, ô Kabardinski! daigne agréer, l'hommage D'un rimeur sans éclat, mais vrai dans son langage Qui toujours méprisa le vil adulateur, Et du vice insolent fut le persécuteur; Qui préféra le pauvre, honnête en sa misère, Vertueux citoyen, tendre époux et bon père, Au grand enorgueilli; qui voit l'infortuné D'un œil indifférent au malheur condamné; A cet épais Midas, qui, fier de ses richesses, Ne prodigue son or qu'à d'infâmes maîtresses; Au philosophe altier, dont le système affreux Méconnoît tout, jusqu'à l'existence des dieux; Au poëte sans mœurs, dont la muse fangeuse Ne trempe ses pinceaux que dans une eau bourbeuse; A ce magnétiseur qui veut, avec les doigts, De Celse et de Galien surpasser les exploits; A cet auteur rongé des serpents de l'envie, Qui respire la rage avec la jalousie. S'il me falloit chanter ce peuple d'avortons, Ma Muse briseroit aussitôt ses crayons. Mais pour toi, prince aimable, alors que je te loue, Minerve m'applaudit, la Vérité m'avoue. Né d'antiques aïeux, frère d'Héraclius, Mais bien plus grand encor par tes propres vertus, Qu'il m'est doux de vanter ton nom et ta naissance, Ta magnanimité, ta noble bienfaisance! Qu'il m'est doux, en t'offrant mon respect et mes vœux, De pouvoir célébrer tes destins glorieux! D'apprendre à l'univers que du Nord l'héroïne, Que la Terreur du Turc, l'illustre Catherine, Voit en Kabardinski son ami, son soutien, Le père du soldat comme du citoyen. Cette auguste amitié est un éloge insigne: On ne peut l'obtenir à moins qu'on n'en soit digne. Mais quand la Vérité dirige mon pinceau, Quand le feu qui m'anime est pris à son flambeau, Je vois, parmi les faits qui forment ton histoire, Des faits que nos neveux pourront à peine croire, Lorsque Clio dira, dans la suite des temps, Que ton épouse un jour te donna cinq enfants, Cinq mâles, pleins de vie, et que leur souveraine Alors de chacun d'eux a fait un capitaine. Quand, par un monument des peuples révéré, Ce prodige inouï deviendra consacré, En admirant un trait si rare et si fameux, L'on marquera ta place au rang des demi-dieux. Tu réaliseras tous les exploits d'Hercule. Puisse, dans l'avenir, ce trop foible opuscule Prolonger sa durée, à l'abri de ton nom! Puisse-t-il, avoué du dieu de l'Hélicon, Près de toi reposer au temple de Mémoire! Un sort aussi flatteur suffiroit à ma gloire.
Le CAT, à Abbeville.