Les Robinsons basques
LE SIÈGE DE PAMPELUNE
Peu de jours après notre course a Ascain, je me retrouvai avec Eliézer chez son oncle dans ce vieux Bayonne si pittoresque où jadis aborda, au retour des Indes occidentales, l'une des caravelles de Christophe Colomb.
Pays de Robinsons, d'explorateurs, de pêcheurs, de corsaires, que n'as-tu ajouté cette devise à ton blason, lue sur un vieux pot anglais : « Les aventures sont pour les aventureux. »
J'attendais avec une certaine impatience la suite, à laquelle j'avais été convié, de la légende basque.
Le début du deuxième chant me surprit.
C'était une sorte de préambule, davantage un exposé qui semblait, plutôt que d'un poète, l'œuvre, eût-on parié, du copiste.
Quel copiste? Que, dans une langue non écrite, ou dont le graphique a disparu, il y ait quelques exceptions, soit! Il n'en est pas moins vrai que ce Juif aux yeux verts, affublé d'un prénom si extravagant, me donna un léger choc lorsque je l'entendis, comme on va le voir tout à l'heure, employer le mot curé dans sa traduction.
A la vérité, ce mot ne semble avoir que faire avec, je ne dis pas la religion, mais l'esprit d'une époque aussi reculée. Ce pouvait être une faute de goût de la part du neveu de Jacob Meyer, tout au moins une bizarrerie. Mais je dois prévenir les lecteurs, afin qu'ils ne me tiennent point pour un naïf, qu'à partir de cet instant, je fus assailli par le doute. Eliézer ne m'étonna pas moins que, dans la même séance, après avoir ouvert une parenthèse explicative que je n'ai pas consignée, mais qui avait trait au procédé d'Ondicola pour sélectionner la race eskuarienne, il prononça : « Et, d'ailleurs, la diplomatie est la science de l'amour. »
Allais-je me lever, faire éclater mon mépris, ou m'esquiver sans bonjour ni bonsoir? J'eus la sagesse de n'en rien faire.
Je remis à plus tard la clef d'or du mystère. Qu'importait son auteur véritable si l'œuvre continuait de me ravir, et ne faut-il pas, après tout, que toujours par quelqu'un le Robinson commence?
— En Labourd, en Soule, en Basse-Navarre, traduisit Eliézer qui semblait suivre le mot à mot du texte rapporté d'Aix, on vit, huit cents ans après la destruction de l'Eskualdunak, s'élever çà et là de jolies églises à triple clocher, adossées à leurs presbytères dont les jardins produisaient des légumes, des fruits, des lys blancs et des pois de senteur.
Ces paroisses naissantes vécurent longtemps en paix, mais les curés (sic) représentèrent à leurs brebis, capables de se transformer en lions, que le diable donnait depuis longtemps le siège à leurs frères basques d'Espagne.
On sait que ceux-ci avaient appris des Maures l'industrie du cuir et l'agriculture raisonnée, qu'ils avaient transmises à leurs parents restés en France quand ils les y allaient visiter. Mais ils ne furent pas longs à s'apercevoir que la race maudite de Mahomet, pleine de dissimulation, ne leur voulait que du mal. Et ce qui mit le comble à leur indignation, ce fut le martyre que de tels barbares infligèrent à la chrétienne Eurosie qui s'était refusée à épouser l'émir. Les Basques de France se portèrent au secours de leurs frères outragés et, les secondant, s'emparèrent de Pampelune.
Le texte de la légende, observa ici Eliézer, emploie le style lyrique dans le passage qui suit et qui a trait précisément à la prise de cette ville. Il y a même, dans la seconde partie, un essai que je crois devoir traduire en en respectant la prosodie.
Quand les descendants d'Iguskia et d'Ithargia arrivèrent sous Pampelune, le crépuscule était comme un grand oranger parfumé.
L'émir reposait dans son pavillon avec ses femmes couronnées de fleurs de grenadier. Le bourdonnement des guitares énervait leurs amours.
Ah! l'on te retrouve bien là, mollesse orientale dont Ondicola vint à bout lorsqu'il fit exploser son Eskualdunak d'or, après avoir lâché sur une terre incomparable un couple vierge!
Les fils d'Iguskia et d'Ithargia sont sous tes murs, ô Pampelune! Ils viennent enfin brûler les dieux qu'ils eussent adorés sans un maître audacieux qui anéantit son équipage avec lui.
Voici les principaux comtes basques : Arnaud de Macaye ; Sanche d'Espelette ; Ramoun de Tardets ; Bernard d'Iholdy ; Auger de Mauléon ; Ondicola d'Ascain.
Qu'ils ressemblent peu à ces païens, obèses la plupart, vautrés dans l'orgie, empêtrés dans leurs tuniques, gavés de confitures de roses!
Arnaud de Macaye descend de Zoardia, l'aîné de ceux qui avaient épousé les belles enfants dont l'une avait séduit le Zéphire à bord de l'Amodioa. Après avoir navigué au long des côtes, il est revenu dans son village au milieu de sa tribu. Et, avec ses mules, passant et repassant la frontière, il fait commerce d'huile et de vin.
— Où est, s'écrie-t-il, en avançant vers le rempart, l'émir, que je le crève comme une outre?
Arnaud de Macaye ne porte casque ni cuirasse, ni autre vêtement de guerre, mais le petit béret basque, le chamar, et un pantalon aussi léger qu'une feuille. Ses longs cils ombragent son regard :
Dans leur fureur vengeresse, ils étaient tellement sûrs de leur triomphe, ces comtes et leurs vassaux, qu'ils avaient demandé aux plus jolies filles basques de les accompagner.
Le choix ne fut point facile, elles sont légion. On en dut réduire le nombre et faire pleurer de doux yeux. Les favorisées partirent donc, le cœur léger.
Que l'on n'aille pas croire que ce fut pour bafouer la morale. Elles étaient honnêtes. Mais Arnaud, mais Sanche, mais Ramoun, mais Bernard, mais Auger, mais Ondicola d'Ascain avaient jugé que le plus dur supplice qu'ils puissent infliger à des mahométans enchaînés était de faire défiler devant eux ces beautés merveilleuses. Ce qu'ils firent. Et l'émir en mourut.
Je ne savais, tandis qu'Eliézer suspendait là cette partie de la légende basque, s'il me fallait éclater de rire ou me fâcher, ou garder mon calme. J'optai pour cette dernière attitude. Jacob Meyer, opinant du bonnet, applaudit cette fin du chant.