← Retour

Les Robinsons basques

16px
100%

MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR

Ma cousine Eva, de Bayonne, Basquaise pure, comptait dix-neuf ans.

D'une forme joliment ronde, la joue rose, j'ai dit ailleurs que ses yeux étaient bleus. Elle possédait ce caractère épanoui qu'ont les petites filles sans dot.

Elle était née d'un officier du génie et, demeurée seule dès son bas âge avec sa mère, elle affectait des allures un peu trop libres dans le monde. C'est que les mamans, et je n'ai pas le courage de les en trop blâmer, lancent plutôt qu'elles ne retiennent une fille sans fortune à la conquête d'improbables maris.

Eva n'avait point à employer d'artifices pour connaître le succès, mais, hélas! comme il arrive aux plus charmantes de son espèce, elle voyait tour à tour ceux qui l'eussent volontiers épousée se décider plutôt pour des laiderons d'or.

De là, et bien qu'elle fût si jeune, une sorte de philosophie bonne enfant, faite d'un peu de scepticisme et de beaucoup de gaieté.

Eva jouait parfaitement la comédie, et je l'avais amenée, par exemple, dans une comédie d'Alfred de Musset que je lui avais fait répéter, à mettre en délire son auditoire.

Eva était Eva. Et, quand on nommait Eva, les vieux et jeunes salonniers, que Forain stigmatisait alors, se prenaient à sourire de la manière la plus admirative et la plus bébête.

J'invitais souvent Eva et sa mère à villégiaturer chez moi, en assez nombreuse compagnie.

Sans grand luxe, on se distrayait beaucoup. Les promenades à âne dans la vallée, des parties de pêche à la ligne sont tout ce qu'il y a de mieux. Nous composions aussi des charades animées où Eva excellait.

Un soir que nous nous livrions à cet amusement, je me plus à tirer de mon armoire la fameuse tunique nuptiale que j'avais fait couper et broder à Toulouse, et je priai Eva de s'en revêtir dans la coulisse de notre petite scène improvisée.

Ce fut un ravissement.

Si elle n'avait été ma cousine, je crois que je l'eusse demandée en mariage ce soir-là, tant cette vieille dentelle, parcourue par ce long narcisse, lui seyait.

Eva et ses compagnes se montrèrent fort curieuses de connaître l'origine de ce travail de fée. Et je leur appris, ce qui était la vérité, que je m'étais passé la coûteuse fantaisie de le faire exécuter à Toulouse, par des spécialistes hors de pair, sur un modèle proposé par une légende basque.

Ces petites se contentèrent d'admirer ce chef-d'œuvre, sans autrement se soucier de contrôler si, comme je le leur avais dit, les toutes premières Basquaises comparaissaient dans ce costume devant leurs époux enivrés.

Dans la huitaine qui suivit son exhibition, la tunique nuptiale fut à l'ordre du jour.

Et Eva, qui était la meilleure fille du monde, la plus franche et la plus sans façon, me prit à part pour me dire :

— Mon cousin, tu commets une vilaine action en cachant une aussi merveilleuse jupe dans un meuble, car tu peux bien penser que, si je me montrais une seule fois à Biarritz, l'ayant mise, tous mes admirateurs tomberaient à genoux en implorant ma main.

— Il est vrai, Eva, qu'en te voyant ainsi déguisée pour la charade, je me disais que la beauté des premières Basquaises, célébrée par la légende, eût pâli devant la tienne.

Elle éclata franchement de rire :

— Il se peut, après tout, fit-elle. Me faut-il donc insister beaucoup pour que je puisse me produire dans cet appareil devant un public, plus intéressant pour moi que celui que tu as convié ici?

— Je te remercie, dis-je sans me fâcher, de faire un si grand cas de mes hôtes.

— J'entends par « intéressant », reprit-elle, ce qui peut conduire au mariage une jeune fille.

— A la bonne heure! Voilà qui est net.

— Tu ne veux cependant point que je tourne mal?

— Non, car tu es trop bien faite pour cela.

— En ce cas, répondit-elle avec une délicieuse ellipse, remets-moi ce que je te demande.

— La tunique?

— Oui.

— Eh bien, soit ; mais à une condition.

— Celle que tu voudras.

— Eh bien! Eva, voici. J'ai résolu de monter, pour la fin de l'automne, aux grottes d'Isturitz, un spectacle impressionnant auquel je veux convier tout ce que notre pays compte de plus distingué. Il s'agit de faire représenter, de cette légende basque dont je t'ai parlé, l'acte qui m'engagea à confier l'exécution du vêtement à une vraie artiste. Tu es ma principale vedette. Tu joues le rôle d'une Robinsonne basque. Tu rends tous les hommes qui te verront ainsi fous de toi. Tu choisis qui t'agréera le mieux. Et je mets dans ta corbeille la tunique nuptiale.

— Tu es un bijou de poète, et me fais regretter presque de n'être que ta cousine, et de ne pouvoir t'aimer qu'en partie!

— Ce n'est pas tout, repris-je sans relever sa malice : il faudra t'exercer, et, dans le lieu même que j'ai choisi, à Isturitz.

— Cent fois plutôt qu'une, puisque la dentelle est à moi!

Chargement de la publicité...