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Les Robinsons basques

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LES FIANÇAILLES DE ROLAND ET D'AUDE

Le lendemain matin, à l'heure du café au lait, je compris qu'Eliézer, inconscient du phénomène nocturne dont il avait été victime, avait récupéré vis-à-vis de moi toute sa discrète mais arrogante supériorité.

Je jubilais en moi-même de me trouver en possession du secret de l'oncle et du neveu, sans que ni l'un ni l'autre s'en doutât. Leur farce intéressée se retournait contre eux. J'avais, pour moi, tout à coup, ce que l'on pourrait nommer : les rieurs de l'invisible.

Par malice, et sachant bien ce qui me restait à faire, j'exagérai l'intérêt que j'avais pris au duo d'amour des Robinsons basques, je réclamai de connaître la suite de la légende, j'allai jusqu'à prétendre que la lecture donnée devant les grottes d'Isturitz ne m'avait point permis, la précédente nuit, de fermer les paupières. Je surpris, d'Eliézer à Jacob, des signes d'intelligence qui signifiaient : « Nous le tenons! »

Le premier de ces faquins, redoublant d'audace, me donna lieu d'espérer qu'il m'accorderait la faveur d'un nouveau chant qui célébrait un repas, dans une forêt des Aldudes, auquel auraient pris part Charlemagne, et Roland. Duquel chant il résultait que la fiancée de ce dernier, la belle Aude, n'aurait été qu'une Robinsonne du nom d'Alba, inhumée dans les grottes d'Isturitz.

On me tenait décidément pour un parfait idiot. Mais je me demandai dans quel but Eliézer semblait m'inviter à faire exécuter des fouilles dans le souterrain alors que son oncle avait tout intérêt à les pratiquer seul avec lui. Je compris assez vite qu'il en agissait avec une prévoyance fort habile : il ne voulait point que je m'étonnasse, s'il me prenait fantaisie d'aller quelque jour les observer dans leurs travaux, de les voir remuer le sol en divers endroits pour y rechercher, soi-disant, les tuniques nuptiales ou la momie de la belle Aude : en réalité pour mettre la main sur le trésor, quand ils se sauraient bien solitaires.

Donc je feignis de souhaiter avec ardeur qu'Eliézer me lût le nouveau passage lyrique, dont il remit la déclamation à quinzaine, évidemment pour la raison bien simple qu'il fallait qu'il le composât. Oncle, et neveu parurent tellement ravis de me voir dans cette disposition que, lorsqu'ils remontèrent en voiture pour rejoindre Bayonne, Jacob Meyer, en guise d'au revoir, fit le geste de se servir d'une clef. Je lui répondis par le plus prometteur des sourires.

Mais sitôt qu'ils eurent décampé, je n'hésitai point.

Je sellai un petit cheval et, en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, je me retrouvai devant les grottes d'Isturitz et, aussitôt, chez Salbaya.

— Mon ami, dis-je à celui-ci, vous êtes un butor mais l'homme le plus honnête que je sache. Vous possédez l'une des clefs du souterrain, moi l'autre, et nous sommes autorisés à y pénétrer. Je sais que vous feriez un très mauvais parti à quiconque tenterait de violer la consigne de M. Passerose. Mais, en supposant même que vous veilliez jour et nuit pour les en empêcher, apprenez que de très habiles malandrins qui guettent une occasion de retirer de la grotte un coffre plein d'or et de bijoux et de se l'approprier pourraient bien surprendre votre zèle. Ce trésor fut déposé durant la Révolution par un ancêtre de M. Passerose. Je n'aurai de tranquillité qu'il ne soit en sûreté chez vous en attendant que nous le puissions remettre, avec explications, à un ami qui en disposera selon les lois.

Le cerbère poussa le plus grossier juron du pays basque, fit mine de décrocher son fusil et me dit :

— Je suis sûr, monsieur, que ces voleurs que vous redoutez ne sont autres que ces deux députés qui sont venus ici avec vous.

— Comment! députés? demandai-je.

— Peut-être pas, reprit-il ; mais depuis que j'en ai vu deux pendant que je faisais mon service militaire, je me suis dit que j'en reconnaîtrais toujours l'espèce.

Il ne faut point sonder les arcanes, souvent profondes, du sentiment populaire.

— Eh bien! repris-je pour presser les choses, êtes-vous prêt à me suivre?

— Oui.

— En ce cas veuillez garer mon cheval et prendre des allumettes et des chandelles.

Il mit à l'abri ma monture et, en outre de ce dont je lui avais dit de se munir, il emporta une grosse botte de paille sur son dos.

— Allons! fit-il, mais la grotte est étendue.

— N'ayez crainte : je connais l'emplacement du trésor.

Je me souvenais, au plus juste, des mesures et indications à moi fournies par Eliézer durant son état d'hypnose, et j'avais emporté un décamètre que nous eûmes à peine besoin d'utiliser.

Nous partons, et nous voilà. Feu de paille, d'abord. La gorge m'en cuit encore, si âcre en était la fumée.

Les reflets se propagent, si bien qu'il ne nous faut que trois minutes pour apercevoir, à quelque soixante mètres de l'ouverture de la grotte, un rocher isolé des autres et servant, je l'eusse parié, à recouvrir une excavation. L'on eût dit d'un de ces monolithes, si adroitement modelés par les érosions, qu'une main d'enfant suffit à les faire basculer. Or Salbaya n'avait pas des doigts de rossignol, et, d'une poussée de ses paumes, il envoie le roc rouler à dix pas. Nous nous penchons sur les ténèbres béantes où nous distinguons bientôt, à peu de profondeur, le coffre défoncé, d'un bois pourri par l'humidité d'un siècle, et qui laisse scintiller, à la lueur de nos flambeaux de suif, les métaux, les escarboucles, les diamants et autres pierres des mille et une nuits.

— Je vous attends ici, dis-je à mon homme. Allez jusqu'à chez vous et m'en rapportez une solide corbeille.

Heureux de songer qu'il allait pouvoir donner une marque nouvelle de son dévouement et de sa probité, il part en courant et revient avec un panier convenable.

Je n'ai nulle difficulté à plonger les bras dans cette masse précieuse, je fais jaillir de ce filon, dans une ombre à la Rembrandt, les regards longtemps retenus de ces joyaux prisonniers. Nous emplissons le panier, Salbaya va le vider chez lui, en lieu sûr, revient, le charge à nouveau, repart, et ainsi de suite jusqu'à sept fois. Il ne reste plus dans la fosse que la carcasse vermoulue de la caisse, que nous enlevons aussi, car l'inspiration de ce à quoi je vais l'utiliser m'est soufflée par le génie de la grotte. Il n'a pas fallu trois heures pour que le rocher soit remis en place, la trace de notre passage effacée, la magnifique fortune dans la maison du gardien qui, en découvrant le vaste amphithéâtre de ses mâchoires, prononça :

— Ma joie eût été complète (et il me montrait encore son arme à feu), si je les avais descendus tous les deux.

L'ombre de la colline d'Isturitz s'étendait jusqu'à nous, je songeais à nos ancêtres de l'âge de pierre qui ne furent peut-être pas tous des Robinsons venus d'Asie sur une galère enchantée, mais qui, à fréquenter l'ours des cavernes, en avaient pris quelques usages, à l'espingole près.

Je fis part à M. Passerose, le lendemain, en une longue lettre, de tant de fantastiques péripéties.

La découverte est de trop d'importance, lui mandais-je, pour que vous ne hâtiez point votre retour, calmant ainsi l'impatience qu'ont de vous revoir vos amis. Les ailes bleues et légères des montagnes de Hasparren, de Macaye et d'Isturitz valent bien les coiffes de vos sphinx stupides, dont l'énigme cependant demeure plus difficile à déchiffrer que ne le fut celle de votre grotte. Les fruits de pierre précieuse, d'or et d'argent de ce nouveau verger d'Aladin vous attendent chez ce brave Salbaya.

Je fis part encore à M. Passerose de circonstances qui ne sont pas relatées ici, parce qu'elles n'ont pas trait à cette histoire.

Ma signature apposée, il ne me restait plus qu'à me distraire en m'amusant du prochain, ce qui est le meilleur passe-temps et le plus varié du poète.

Je partis deux jours après pour Toulouse, où les brodeuses sont expertes, et je commandai à l'une d'elles une longue et fine tunique, tout au long de laquelle je fis broder un gigantesque narcisse que voulut bien dessiner pour moi Charles Lacoste lui-même. J'avais écrit aux Meyer que je m'absentais, sans plus, ajoutant toutefois que je n'aspirais qu'à revenir bien vite, plus désireux que jamais d'entendre, d'Eliézer, le repas de Charlemagne au pays basque.

Je crois, terminai-je, que vous finirez l'un et l'autre par charmer la roche d'Isturitz, émules d'Orphée aux enfers.

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