Les trois mousquetaires, Volume 2 (of 2)
«Mon cousin, ma sœur et moi devinons très bien les rêves, et nous en avons même une peur affreuse; mais du vôtre, on pourra dire, je l’espère, tout songe est mensonge. Adieu! portez-vous bien, et faites que de temps en temps nous entendions parler de vous.
»AGLAÉ MICHON.»
—Et de quel rêve parle-t-elle? demanda le dragon, qui s’était approché pendant la lecture.
—Foui, te quel rêve? dit le Suisse.
—Eh pardieu! dit Aramis, c’est tout simple, d’un rêve que j’ai fait et que je lui ai raconté.
—Oh, foui, par Tieu! c’être tout simple de ragonter son rêfe, mais moi je ne rêfe chamais.
—Vous êtes fort heureux, dit Athos en se levant, et je voudrais bien pouvoir en dire autant que vous!
—Chamais! reprit le Suisse, enchanté qu’un homme comme Athos lui enviât quelque chose, chamais! chamais!
D’Artagnan, voyant qu’Athos se levait, en fit autant, prit son bras, et sortit.
Porthos et Aramis restèrent pour faire face aux quolibets du dragon et du Suisse.
Quant à Bazin, il alla se coucher sur une botte de paille; et comme il avait plus d’imagination que le Suisse, il rêva que M. Aramis, devenu pape, le coiffait d’un chapeau de cardinal.
Mais, comme nous l’avons dit, Bazin n’avait, par son heureux retour, enlevé qu’une partie de l’inquiétude qui aiguillonnait les quatre amis. Les jours de l’attente sont longs, et d’Artagnan surtout aurait parié que les jours avaient maintenant quarante-huit heures. Il oubliait les lenteurs obligées de la navigation, il s’exagérait la puissance de milady. Il prêtait à cette femme, qui lui apparaissait pareille à un démon, des auxiliaires surnaturels comme elle; il s’imaginait, au moindre bruit, qu’on venait l’arrêter, et qu’on ramenait Planchet pour le confronter avec lui et ses amis. Il y a plus: sa confiance, autrefois si grande dans le digne Picard, diminuait de jour en jour. Cette inquiétude était si grande, qu’elle gagnait Porthos et Aramis. Il n’y avait qu’Athos qui demeurât impassible, comme si aucun danger ne s’agitait autour de lui, et comme s’il respirait son atmosphère quotidienne.
Le seizième jour surtout, ces signes d’agitation étaient si visibles chez d’Artagnan et ses deux amis, qu’ils ne pouvaient rester en place, et qu’ils erraient comme des ombres sur le chemin par lequel devait revenir Planchet.
—Vraiment, leur disait Athos, vous n’êtes pas des hommes, mais des enfants, pour qu’une femme vous fasse si grand’peur! Et de quoi s’agit-il, après tout? D’être emprisonnés? Eh bien! mais on nous tirera de prison: on en a bien tiré madame Bonacieux. D’être décapités? mais tous les jours, dans la tranchée, nous allons joyeusement nous exposer à pis que cela, car un boulet peut nous casser la jambe, et je suis convaincu qu’un chirurgien nous fait plus souffrir en nous coupant la cuisse qu’un bourreau en nous coupant la tête. Attendez donc tranquilles; dans deux heures, dans quatre, dans six heures, au plus tard, Planchet sera ici: il a promis d’y être, et moi j’ai très grande foi aux promesses de Planchet, qui m’a l’air d’un fort brave garçon.
—Mais s’il n’arrive pas? dit d’Artagnan.
—Eh bien! s’il n’arrive pas, c’est qu’il aura été retardé, voilà tout. Il peut être tombé de cheval, il peut avoir fait une cabriole par-dessus le pont, il peut avoir couru si vite qu’il en ait attrapé une fluxion de poitrine. Eh! messieurs! faisons donc la part des événements. La vie est un chapelet de petites misères que le philosophe égrène en riant. Soyez philosophes comme moi, messieurs, mettez-vous à table et buvons; rien ne fait paraître l’avenir couleur de rose comme de le regarder à travers un verre de chambertin.
—C’est fort bien, répondit d’Artagnan; mais je suis las d’avoir à craindre, en buvant frais, que le vin ne sorte de la cave de milady.
—Vous êtes bien difficile, dit Athos, une si belle femme!
—Une femme de marque! dit Porthos avec son gros rire.
Athos tressaillit, passa la main sur son front pour en essuyer la sueur, et se leva à son tour avec un mouvement nerveux qu’il ne put réprimer.
Le jour s’écoula cependant, et le soir vint plus lentement, mais enfin il vint; les buvettes s’emplirent de chalands; Athos, qui avait empoché sa part du diamant, ne quittait plus le Parpaillot. Il avait trouvé dans M. de Busigny, qui, au reste, leur avait donné un dîner magnifique, un partner digne de lui. Ils jouaient donc ensemble, comme d’habitude, quand sept heures sonnèrent: on entendit passer les patrouilles qui allaient doubler les postes; à sept heures et demie la retraite sonna.
—Nous sommes perdus, dit d’Artagnan à l’oreille d’Athos.
—Vous voulez dire que nous avons perdu, dit tranquillement Athos en tirant quatre pistoles de sa poche et en les jetant sur la table. Allons, messieurs, continua-t-il, on bat la retraite, allons nous coucher.
Et Athos sortit du Parpaillot suivi de d’Artagnan. Aramis venait derrière donnant le bras à Porthos. Aramis mâchonnait des vers, et Porthos s’arrachait de temps en temps quelques poils des moustaches en signe de désespoir.
Mais voilà que tout à coup, dans l’obscurité, une ombre se dessine, dont la forme est familière à d’Artagnan, et qu’une voix bien connue lui dit:
—Monsieur, je vous apporte votre manteau, car il fait frais ce soir.
—Planchet! s’écria d’Artagnan ivre de joie.
—Planchet! répétèrent Porthos et Aramis.
—Eh bien! oui, Planchet, dit Athos, qu’y a-t-il d’étonnant à cela? Il avait promis d’être de retour à huit heures, et voilà huit heures qui sonnent. Bravo, Planchet, vous êtes un garçon de parole, et si jamais vous quittez votre maître, je vous garde une place à mon service.
—Oh! non, jamais, dit Planchet, jamais je ne quitterai M. d’Artagnan.
En même temps d’Artagnan sentit que Planchet lui glissait un billet dans la main.
D’Artagnan avait grande envie d’embrasser Planchet au retour comme il l’avait embrassé au départ; mais il eut peur que cette marque d’effusion, donnée à son laquais en pleine rue, ne parût extraordinaire à quelque passant, et il se contint.
—J’ai le billet, dit-il à Athos et à ses amis.
—C’est bien, dit Athos, entrons chez nous, et nous le lirons. Le billet brûlait la main de d’Artagnan: il voulait hâter le pas; mais Athos lui prit le bras et le passa sous le sien, et force fut au jeune homme de régler sa marche sur celle de son ami.
Enfin on entra dans la tente, on alluma une lampe, et tandis que Planchet se tenait sur la porte pour que les quatre amis ne fussent pas surpris, d’Artagnan, d’une main tremblante, brisa le cachet et ouvrit la lettre tant attendue.
Elle contenait une demi-ligne d’une écriture toute britannique et d’une concision toute spartiate:
«Thank you, be easy.»
Ce qui voulait dire: «Merci, soyez tranquille.»
Athos prit la lettre des mains de d’Artagnan, l’approcha de la lampe, y mit le feu, et ne la lâcha point qu’elle ne fût réduite en cendres.
Puis appelant Planchet:
—Maintenant, mon garçon, lui dit-il, tu peux réclamer tes sept cents livres, mais tu ne risquais pas grand’chose avec un billet comme celui-là.
—Ce n’est pas faute que j’aie inventé bien des moyens de le serrer, dit Planchet.
—Eh bien! dit d’Artagnan, conte-nous cela.
—Dame! c’est bien long, monsieur.
—Tu as raison, Planchet, dit Athos; d’ailleurs la retraite est battue, et nous serions remarqués en gardant de la lumière plus longtemps que les autres.
—Soit, dit d’Artagnan, couchons-nous. Dors bien, Planchet!
—Ma foi, monsieur! ce sera la première fois depuis seize jours.
—Et moi aussi! dit d’Artagnan.
—Et moi aussi! dit Porthos.
—Et moi aussi! dit Aramis.
—Eh bien! voulez-vous que je vous avoue la vérité! et moi aussi! dit Athos.
XIX
FATALITÉ
Cependant milady, ivre de colère, rugissant sur le pont du bâtiment comme une lionne qu’on embarque, avait été tentée de se jeter à la mer pour regagner la côte, car elle ne pouvait se faire à l’idée qu’elle avait été insultée par d’Artagnan et menacée par Athos, enfin qu’elle quittait la France sans se venger d’eux.
Bientôt cette idée était devenue tellement insupportable pour elle, qu’au risque de ce qui pouvait en arriver de terrible pour elle-même, elle avait supplié le capitaine de la jeter sur la côte: mais le capitaine, pressé d’échapper à sa fausse position, placé entre les croiseurs français et anglais, comme la chauve-souris entre les rats et les oiseaux, avait grand’hâte de regagner l’Angleterre, et refusa obstinément d’obéir à ce qu’il prenait pour un caprice de femme, promettant à sa passagère, qui au reste lui était particulièrement recommandée par le cardinal, de la jeter, si la mer et les Français le permettaient, dans un des ports de la Bretagne, soit à Lorient, soit à Brest; mais, en attendant, le vent était contraire, la mer mauvaise, on louvoyait et l’on courait des bordées. Neuf jours après la sortie de la Charente, milady, toute pâle de ses chagrins et de sa rage, voyait apparaître seulement les côtes bleuâtres du Finistère.
Elle calcula que pour traverser ce coin de la France et revenir près du cardinal il lui fallait au moins trois jours, ajoutez un jour pour le débarquement et cela faisait quatre; ajoutez ces quatre jours aux autres, c’était treize jours de perdus, treize jours pendant lesquels tant d’événements importants pouvaient se passer à Londres;—elle songea que sans aucun doute le cardinal serait furieux de son retour, et que par conséquent il serait plus disposé à écouter les plaintes qu’on porterait contre elle que les accusations qu’elle porterait contre les autres. Elle laissa donc passer Lorient et Brest sans insister près du capitaine, qui, de son côté, se garda bien de lui donner l’éveil. Milady continua donc sa route, et le jour même où Planchet s’embarquait de Portsmouth pour la France, la messagère de Son Éminence entrait triomphante dans le port.
Toute la ville était agitée d’un mouvement extraordinaire,—quatre grands vaisseaux récemment achevés venaient d’être lancés à la mer;—debout sur la jetée, chamarré d’or, éblouissant, selon son habitude, de diamants et de pierreries, le feutre orné d’une plume blanche qui retombait sur son épaule, on voyait Buckingham entouré d’un état-major presque aussi brillant que lui.
C’était une de ces belles et rares journées d’hiver où l’Angleterre se souvient qu’il y a un soleil. L’astre pâli, mais cependant splendide encore, se couchait à l’horizon, empourprant à la fois le ciel et la mer de bandes de feu et jetant sur les tours et les vieilles maisons de la ville un dernier rayon d’or qui faisait étinceler les vitres comme le reflet d’un incendie. Milady, en respirant cet air de la mer plus vif et plus balsamique à l’approche de la terre, en contemplant toute la puissance de cette armée qu’elle devait combattre à elle seule—à elle femme—avec quelques sacs d’or, se compara mentalement à Judith, la terrible Juive, lorsqu’elle pénétra dans le camp des Assyriens et qu’elle vit la masse énorme de chars, de chevaux, d’hommes et d’armes qu’un geste de sa main devait dissiper comme un nuage de fumée.
On entra dans la rade; mais comme on s’apprêtait à y jeter l’ancre, un petit cutter formidablement armé s’approcha du bâtiment marchand, se donnant comme garde-côte, et fit mettre à la mer son canot, qui se dirigea vers l’échelle.—Ce canot renfermait un officier, un contremaître et huit rameurs;—l’officier seul monta à bord, où il fut reçu avec toute la déférence qu’inspire l’uniforme.
L’officier s’entretint quelques instants avec le patron, lui fit lire quelques papiers dont il était porteur, et, sur l’ordre du capitaine marchand, tout l’équipage du bâtiment, matelots et passagers, fut appelé sur le pont.
Lorsque cette espèce d’appel fut fait, l’officier s’enquit tout haut du point de départ du brick, de sa route, de ses atterrissements, et à toutes les questions le capitaine satisfit sans hésitation et sans difficulté.—Alors l’officier commença de passer la revue de toutes les personnes les unes après les autres, et, s’arrêtant à milady, la considéra avec un grand soin, mais sans lui adresser une seule parole. Puis il revint au capitaine, lui dit encore quelques mots; et, comme si c’eût été à lui désormais que le bâtiment dût obéir, il commanda une manœuvre que l’équipage exécuta aussitôt.—Alors le bâtiment se remit en route, toujours escorté du petit cutter, qui voguait bord à bord avec lui, menaçant son flanc de la bouche de ses six canons; tandis que la barque suivait dans le sillage du navire.
Pendant l’examen que l’officier avait fait de milady, milady, comme on le pense bien, l’avait de son côté dévoré du regard. Mais, quelque habitude que cette femme aux yeux de flamme eût de lire dans le cœur de ceux dont elle avait besoin de deviner les secrets, elle trouva cette fois un visage d’une impassibilité telle qu’aucune découverte ne suivit son investigation. L’officier qui s’était arrêté devant elle et qui l’avait silencieusement étudiée avec tant de soin pouvait être âgé de vingt-cinq à vingt-six ans, était blanc de visage avec des yeux bleu clair un peu enfoncés; sa bouche, fine et bien dessinée, demeurait immobile dans ses lignes correctes; son menton, vigoureusement accusé, dénotait cette force de volonté qui, dans le type vulgaire britannique, n’est ordinairement que de l’entêtement; un front un peu fuyant, comme il convient aux poètes, aux enthousiastes et aux soldats, était à peine ombragé d’une chevelure courte et clairsemée, qui, comme la barbe qui couvrait le bas de son visage, était d’une belle couleur châtain foncé.
Lorsqu’on entra dans le port, il faisait déjà nuit. La brume épaississait encore l’obscurité et formait autour des fanaux et des lanternes des jetées un cercle pareil à celui qui entoure la lune quand le temps menace de devenir pluvieux. L’air qu’on respirait était humide, froid, attristant. Milady, cette femme si forte, se sentait frissonner malgré elle.
L’officier se fit indiquer les paquets de milady, fit porter son bagage dans le canot; et lorsque cette opération fut faite, il l’invita à y descendre elle-même en lui présentant sa main.
Milady regarda cet homme et hésita.
—Qui êtes-vous, monsieur, demanda-t-elle, qui avez la bonté de vous occuper si particulièrement de moi?
—Vous devez le voir, madame, à mon uniforme; je suis officier de la marine anglaise, répondit le jeune homme.
—Mais enfin, est-ce l’habitude que les officiers de la marine anglaise se mettent aux ordres de leurs compatriotes lorsqu’elles abordent dans un port de la Grande-Bretagne, et poussent la galanterie jusqu’à les conduire à terre?
—Oui, milady, c’est l’habitude, non point par galanterie, mais par prudence, qu’en temps de guerre les étrangers soient conduits à une hôtellerie désignée, afin que jusqu’à parfaite information ils restent sous la surveillance du gouvernement.
Ces mots furent prononcés avec la politesse la plus exacte et le calme le plus parfait. Cependant ils n’eurent point le don de convaincre milady.
—Mais je ne suis pas étrangère, monsieur, dit-elle avec l’accent le plus pur qui ait jamais retenti de Portsmouth à Manchester, je me nomme lady Clarick, et cette mesure...
—Cette mesure est générale, milady, et vous tenteriez inutilement de vous y soustraire.
—Je vous suivrai donc, monsieur.
Et acceptant la main de l’officier, elle commença de descendre l’échelle au bas de laquelle l’attendait le canot. L’officier la suivit; un grand manteau était étendu à la poupe, l’officier la fit asseoir sur le manteau et s’assit près d’elle.
—Nagez, dit-il aux matelots.
Les huit rames retombèrent dans la mer, ne formant qu’un seul bruit, ne frappant qu’un seul coup, et le canot sembla voler sur la surface de l’eau.
Au bout de cinq minutes on touchait à terre.
L’officier sauta sur le quai et offrit la main à milady.
Une voiture attendait.
—Cette voiture est-elle pour nous? demanda milady.
—Oui, madame, répondit l’officier.
—L’hôtellerie est donc bien loin?
—A l’autre bout de la ville.
—Allons! dit milady.
Et elle monta résolument dans la voiture. L’officier veilla à ce que les paquets fussent soigneusement attachés derrière la caisse, et, cette opération terminée, prit sa place près de milady et ferma la portière.
Aussitôt, sans qu’aucun ordre fût donné et sans qu’on eût besoin de lui indiquer sa destination, le cocher partit au galop et s’enfonça dans les rues de la ville.
Une réception si étrange devait être pour milady une ample matière à réflexion; aussi, voyant que le jeune officier ne paraissait nullement disposé à lier conversation, elle s’accouda dans un angle de la voiture et passa les unes après les autres en revue toutes les suppositions qui se présentaient à son esprit.
Cependant, au bout d’un quart d’heure, étonnée de la longueur du chemin, elle se pencha vers la portière pour voir où on la conduisait. On n’apercevait plus de maisons, des arbres apparaissaient dans les ténèbres comme de grands fantômes noirs courant les uns après les autres.
Milady frissonna.
—Mais nous ne sommes plus dans la ville, monsieur, dit-elle.
Le jeune officier garda le silence.
—Je n’irai pas plus loin, si vous ne me dites pas où vous me conduisez; je vous en préviens, monsieur!
Cette menace n’obtint aucune réponse.
—Oh, c’est trop fort! s’écria milady, au secours! au secours!
Pas une voix ne répondit à la sienne; la voiture continua de rouler avec rapidité; l’officier semblait une statue.
Milady le regarda avec une de ces expressions terribles, particulières à son visage et qui manquaient si rarement leur effet; la colère faisait étinceler ses yeux dans l’ombre.
Le jeune homme resta impassible.
Milady voulut ouvrir la portière et se précipiter.
—Prenez garde, madame, dit froidement le jeune homme, vous vous tuerez en sautant.
Milady se rassit écumante; l’officier se pencha, la regarda à son tour et parut surpris de voir cette figure, si belle naguère, bouleversée par la rage et devenue presque hideuse. L’astucieuse créature comprit qu’elle se perdait en laissant voir ainsi dans son âme; elle rasséréna ses traits, et d’une voix gémissante:
—Au nom du ciel, monsieur! dites-moi si c’est à vous, si c’est à votre gouvernement, si c’est à un ennemi que je dois attribuer la violence que l’on me fait?
—On ne vous fait aucune violence, madame, et ce qui vous arrive est le résultat d’une mesure toute simple que nous sommes forcés de prendre avec tous ceux qui débarquent en Angleterre.
—Alors vous ne me connaissez pas, monsieur?
—C’est la première fois que j’ai l’honneur de vous voir.
—Et, sur votre honneur, vous n’avez aucun sujet de haine contre moi?
—Aucun, je vous le jure.
Il y avait tant de sérénité, de sang-froid, de douceur même dans la voix du jeune homme, que milady fut rassurée.
Enfin, après une heure de marche à peu près, la voiture s’arrêta devant une grille de fer qui fermait un chemin creux conduisant à un château sévère de forme, massif et isolé. Alors, comme les roues tournaient sur un sable fin, milady entendit un grave gémissement, qu’elle reconnut pour le bruit de la mer qui vient se briser sur une côte escarpée.
La voiture passa sous deux voûtes, et enfin s’arrêta dans une cour sombre et carrée; presque aussitôt la portière de la voiture s’ouvrit, le jeune homme sauta légèrement à terre et présenta sa main à milady, qui s’appuya dessus, et descendit à son tour avec assez de calme.
—Toujours est-il, dit milady, en regardant autour d’elle et en ramenant ses yeux sur le jeune officier avec le plus gracieux sourire, que je suis prisonnière; mais ce ne sera pas pour longtemps, j’en suis sûre, ajouta-t-elle, ma conscience et votre politesse, monsieur, m’en sont garants.
Si flatteur que fût le compliment, l’officier ne répondit rien; mais, tirant de sa ceinture un petit sifflet d’argent pareil à celui dont se servent les contremaîtres sur les bâtiments de guerre, il siffla trois fois, sur trois modulations différentes: alors plusieurs hommes parurent, dételèrent les chevaux fumants et emmenèrent la voiture sous une remise.
L’officier, toujours avec la même politesse calme, invita sa prisonnière à entrer dans la maison. Celle-ci, toujours avec son même visage souriant, lui prit le bras, et entra avec lui sous une porte basse et cintrée qui, par une voûte éclairée seulement au fond, conduisait à un escalier de pierre tournant autour d’une arête de pierre; puis on s’arrêta devant une porte massive qui, après l’introduction dans la serrure d’une clef que le jeune homme portait sur lui, roula lourdement sur ses gonds et donna ouverture à la chambre destinée à milady.
D’un seul regard, la prisonnière embrassa l’appartement dans ses moindres détails.
C’était une chambre dont l’ameublement était à la fois propre à une prison et propre à une habitation d’homme libre; cependant des barreaux aux fenêtres et des verrous extérieurs à la porte décidaient le procès en faveur de la prison.
Un instant toute la force d’âme de cette créature l’abandonna; elle tomba sur un fauteuil, croisant les bras, baissant la tête, et s’attendant à chaque instant à voir entrer un juge pour l’interroger. Mais personne n’entra, que deux ou trois soldats de marine qui apportèrent les malles et les caisses, les déposèrent dans un coin et se retirèrent sans rien dire.
L’officier présidait à tous les détails avec le même calme que milady lui avait constamment vu, ne prononçant pas une parole lui-même, et se faisant obéir d’un geste de sa main ou d’un coup de son sifflet. On eût dit qu’entre cet homme et ses inférieurs la langue parlée n’existait pas ou était devenue inutile.
Enfin milady n’y put tenir plus longtemps, elle rompit le silence.
—Au nom du ciel, monsieur! s’écria-t-elle, que veut dire tout ce qui se passe? Fixez mes irrésolutions; j’ai du courage pour tout danger que je prévois, pour tout malheur que je comprends. Où suis-je et que suis-je ici? suis-je libre: pourquoi ces barreaux et ces portes? suis-je prisonnière: quel crime ai-je commis?
—Vous êtes ici dans l’appartement qui vous est destiné, madame. J’ai reçu l’ordre d’aller vous prendre en mer et de vous conduire en ce château: cet ordre, je l’ai accompli, je crois, avec toute la rigidité d’un soldat, mais aussi avec toute la courtoisie d’un gentilhomme. Là se termine, du moins jusqu’à présent, la charge que j’avais à remplir près de vous, le reste regarde une autre personne.
—Et cette autre personne, quelle est-elle? demanda milady; ne pouvez-vous me dire son nom?...
En ce moment on entendit par les escaliers un grand bruit d’éperons; quelques voix passèrent et s’éteignirent, et le bruit d’un pas isolé se rapprocha de la porte.
—Cette personne, la voici, madame, dit l’officier en démasquant le passage, et en se rangeant dans l’attitude du respect et de la soumission.
En même temps, la porte s’ouvrit; un homme parut sur le seuil de la porte.
Il était sans chapeau, portait l’épée au côté, et froissait un mouchoir entre ses doigts.
Milady crut reconnaître cette ombre dans l’ombre; elle s’appuya d’une main sur le bras de son fauteuil, et avança la tête comme pour aller au-devant d’une certitude.
Alors l’étranger s’avança lentement; et, à mesure qu’il s’avançait en entrant dans le cercle de lumière projeté par la lampe, milady se reculait involontairement.
Puis, lorsqu’elle n’eut plus aucun doute:
—Eh quoi! mon frère! s’écria-t-elle au comble de la stupeur, c’est vous?
—Oui, belle dame! répondit lord Winter en faisant un salut moitié courtois, moitié ironique, moi-même.
—Mais alors, ce château?
—Est à moi.
—Cette chambre?
—C’est la vôtre.
—Je suis donc votre prisonnière?
—A peu près.
—Mais c’est un abus affreux de la force!
—Pas de grands mots; asseyons-nous, et causons tranquillement, comme il convient de faire entre un frère et une sœur.
Puis, se retournant vers la porte, et voyant que le jeune officier attendait ses derniers ordres:
—C’est bien, dit-il, je vous remercie; maintenant, laissez-nous, monsieur Felton.
XX
ENTRE FRÈRE ET SŒUR
Pendant le temps que lord Winter mit à fermer la porte, à pousser un volet et à approcher un siège du fauteuil de sa belle-sœur, milady, rêveuse, plongea son regard dans les profondeurs de la possibilité, et découvrit toute la trame qu’elle n’avait pas même pu entrevoir, tant qu’elle ignorait en quelles mains elle était tombée. Elle connaissait son beau-frère pour un bon gentilhomme, franc chasseur, joueur intrépide, entreprenant près des femmes, mais d’une force au-dessous de la moyenne en intrigues. Comment avait-il pu découvrir son arrivée? la faire saisir? pourquoi la retenait-il?
Athos lui avait bien dit quelques mots qui prouvaient que la conversation qu’elle avait eue avec le cardinal était tombée dans des oreilles étrangères; mais elle ne pouvait admettre qu’il eût pu creuser une contre-mine si prompte et si hardie. Elle craignit bien plutôt que ses précédentes opérations en Angleterre n’eussent été découvertes. Buckingham pouvait avoir deviné que c’était elle qui avait coupé les deux ferrets, et se venger de cette petite trahison; mais Buckingham était incapable de se porter à aucun excès contre une femme, surtout si cette femme était censée avoir agi par un sentiment de jalousie.
Cette supposition lui parut la plus vraisemblable; il lui sembla qu’on voulait se venger du passé, et non aller au-devant de l’avenir. Toutefois, et en tout cas, elle s’applaudit d’être tombée entre les mains de son beau-frère, dont elle comptait avoir bon marché, plutôt qu’entre celles d’un ennemi direct et intelligent.
—Oui, causons, mon frère, dit-elle avec une espèce d’enjouement, décidée qu’elle était à tirer de la conversation, malgré toute la dissimulation que pourrait y apporter lord Winter, les éclaircissements dont elle avait besoin pour régler sa conduite à venir.
—Vous vous êtes donc décidée à revenir en Angleterre, dit lord Winter, malgré la résolution que vous m’aviez si souvent manifestée à Paris de ne jamais remettre les pieds sur le territoire de la Grande-Bretagne?
Milady répondit à une question par une autre question.
—Avant tout, dit-elle, apprenez-moi donc comment vous m’avez fait guetter assez sévèrement pour être d’avance prévenu non seulement de mon arrivée, mais, encore du jour, de l’heure et du port où j’arriverais.
Lord Winter adopta la même tactique que milady, pensant que puisque sa belle-sœur l’employait, ce devait être la bonne.
—Mais dites-moi, vous-même, ma chère sœur, reprit-il, ce que vous venez faire en Angleterre.
—Mais je viens vous voir, reprit milady, sans savoir combien elle aggravait, par cette réponse, les soupçons qu’avait fait naître dans l’esprit de son beau-frère la lettre de d’Artagnan, et voulant seulement capter la bienveillance de son auditeur par un mensonge.
—Ah! me voir? dit sournoisement de Winter.
—Sans doute, vous voir. Qu’y a-t-il d’étonnant à cela?
—Et vous n’avez pas, en venant en Angleterre, d’autre but que de me voir?
—Non.
—Ainsi, c’est pour moi seul que vous vous êtes donné la peine de traverser la Manche?
—Pour vous seul.
—Peste! quelle tendresse, ma sœur!
—Mais ne suis-je pas votre plus proche parente? demanda milady du ton de la plus touchante naïveté.
—Et même ma seule héritière, n’est-ce pas? dit à son tour lord Winter, en fixant ses yeux sur ceux de milady.
Quelque puissance qu’elle eût sur elle-même, milady ne put s’empêcher de tressaillir, et comme, en prononçant les dernières paroles qu’il avait dites, lord Winter avait posé la main sur le bras de sa sœur, ce tressaillement ne lui échappa point.
En effet, le coup était direct et profond, La première idée qui vint à l’esprit de milady fut qu’elle avait été trahie par Ketty, et que celle-ci avait raconté au baron cette aversion intéressée dont elle avait imprudemment laissé échapper des marques devant sa suivante; elle se rappela aussi la sortie furieuse et imprudente qu’elle avait faite contre d’Artagnan, lorsqu’il avait sauvé la vie de son beau-frère.
—Je ne comprends pas, milord, dit-elle pour gagner du temps et faire parler son adversaire. Que voulez-vous dire? et y a-t-il quelque sens inconnu caché sous vos paroles?
—Oh! mon Dieu, non, dit lord Winter avec une apparente bonhomie. Vous avez le désir de me voir, et vous venez en Angleterre; j’apprends ce désir, ou plutôt je me doute que vous l’éprouvez, et afin de vous épargner tous les ennuis d’une arrivée nocturne dans un port, toutes les fatigues d’un débarquement, j’envoie un de mes officiers au-devant de vous; je mets une voiture à ses ordres, et il vous amène ici dans ce château, dont je suis gouverneur, où je viens tous les jours, et où, pour que notre double désir de nous voir soit satisfait, je vous fais préparer une chambre. Qu’y a-t-il dans tout ce que je dis là de plus étonnant que dans ce que vous m’avez dit?
—Non, ce que je trouve d’étonnant, c’est que vous ayez été prévenu de mon arrivée.
—C’est cependant la chose la plus simple, ma chère sœur: n’avez-vous pas vu que le capitaine de votre petit bâtiment avait, en entrant dans la rade, envoyé en avant, et afin d’obtenir son entrée dans le port, un petit canot porteur de son livre de loch et de son registre d’équipage? Je suis commandant du port, on m’a apporté ce livre, j’y ai reconnu votre nom. Mon cœur m’a dit ce que vient de me confirmer votre bouche, c’est-à-dire dans quel but vous vous exposiez aux dangers d’une mer si périlleuse ou tout au moins si fatigante en ce moment, et j’ai envoyé mon cutter au-devant de vous. Vous savez le reste.
Milady comprit que lord Winter mentait et n’en fut que plus effrayée.
—Mon frère, continua-t-elle, n’est-ce pas milord Buckingham que je vis sur la jetée, le soir, en arrivant?
—Lui-même. Ah! je comprends que sa vue vous ait frappée, reprit lord Winter: vous venez d’un pays où l’on doit beaucoup s’occuper de lui, et je sais que ses armements contre la France préoccupent fort votre ami le cardinal.
—Mon ami le cardinal! s’écria milady, voyant que, sur ce point comme sur l’autre, lord Winter paraissait instruit de tout.
—N’est-il donc point votre ami? reprit négligemment le baron; ah! pardon, je le croyais; mais nous reviendrons à milord-duc plus tard, ne nous écartons point du tour tout sentimental qu’avait pris la conversation: vous veniez, disiez-vous, pour me voir?
—Oui.
—Eh bien! je vous ai répondu que vous seriez servie à souhait et que nous nous verrions tous les jours.
—Dois-je donc demeurer éternellement ici? demanda milady avec un certain effroi.
—Vous trouveriez-vous mal logée, ma sœur? demandez ce qui vous manque, et je m’empresserai de vous le faire donner.
—Mais je n’ai ni mes femmes, ni mes gens...
—Vous aurez tout cela, madame; dites-moi sur quel pied votre premier mari avait monté votre maison, quoique je ne sois que votre beau-frère, je vous la monterai sur un pied pareil.
—Mon premier mari! s’écria milady en regardant lord Winter avec des yeux effarés.
—Oui, votre mari français; je ne parle pas de mon frère. Au reste, si vous l’avez oublié, comme il vit encore, je pourrais lui écrire et il me ferait passer des renseignements à ce sujet.
Une sueur froide passa sur le front de milady.
—Vous raillez, dit-elle d’une voix sourde.
—En ai-je l’air? demanda le baron en se relevant et en faisant un pas en arrière.
—Ou plutôt vous m’insultez, continua-t-elle en pressant de ses mains crispées les deux bras du fauteuil et en se soulevant sur ses poignets.
—Vous insulter, moi! dit lord Winter avec mépris; en vérité, madame, croyez-vous que ce soit possible?
—En vérité, monsieur, dit milady, vous êtes ou ivre ou insensé; sortez et envoyez-moi une femme.
—Des femmes sont bien indiscrètes, ma sœur! ne pourrais-je pas vous servir de suivante? de cette façon, tous nos secrets resteraient en famille.
—Insolent! s’écria milady.
Et, comme mue par un ressort, elle bondit sur le baron, qui l’attendait les bras croisés, mais une main cependant sur la garde de son épée.
—Eh! eh! dit-il, je sais que vous avez l’habitude d’assassiner les gens, mais je me défendrai, moi, je vous en préviens, fût-ce contre vous,
—Oh! vous avez raison, dit milady, et vous me faites l’effet d’être assez lâche pour porter la main sur une femme.
—Peut-être que oui; d’ailleurs j’aurais mon excuse: ma main ne serait pas la première main d’homme qui se serait posée sur vous, j’imagine.
Et le baron indiqua d’un geste lent et accusateur l’épaule gauche de milady, qu’il toucha presque du doigt.
Milady poussa un rugissement sourd, se recula jusque dans l’angle de la chambre, comme une panthère qui veut s’acculer pour s’élancer.
—Oh! rugissez tant que vous voudrez, s’écria lord Winter, mais n’essayez pas de mordre, car, je vous en préviens, la chose tournerait à votre préjudice: il n’y a pas ici de procureurs qui règlent d’avance les successions, il n’y a pas de chevalier errant qui vienne me chercher querelle pour la belle dame que je retiens prisonnière; mais je tiens tout prêts des juges qui disposeront d’une femme assez éhontée pour venir se glisser, bigame, dans le lit de lord Winter, mon frère aîné, et ces juges, je vous en préviens, vous enverront à un bourreau qui vous fera les deux épaules pareilles.
Il continua, mais avec une fureur croissante:
—Oui, je comprends, après avoir hérité de mon frère, il vous eût été doux d’hériter de moi; mais, sachez-le d’avance, vous pouvez me tuer ou me faire tuer, mes précautions sont prises: pas un penny de ce que je possède ne passera dans vos mains. N’êtes-vous pas déjà assez riche, vous qui possédez près d’un million, et ne pouviez-vous vous arrêter dans votre route fatale, si vous ne faisiez le mal que pour la jouissance infinie et suprême de le faire? Oh! tenez, je vous le dis, si la mémoire de mon frère ne m’était sacrée, vous iriez pourrir dans un cachot d’État ou rassasier à Tyburn la curiosité des matelots; je me tairai, mais vous, supportez tranquillement votre captivité; dans quinze ou vingt jours je pars pour La Rochelle avec l’armée; mais la veille de mon départ, un vaisseau viendra vous prendre, que je verrai partir, et qui vous conduira dans nos colonies du Sud; et, soyez tranquille, je vous adjoindrai un compagnon qui vous brûlera la cervelle à la première tentative que vous risquerez pour revenir ou en Angleterre ou sur le continent.
Milady écoutait avec une attention qui dilatait ses yeux enflammés.
—Oui, à cette heure, continua lord Winter, vous demeurerez dans ce château: les murailles en sont épaisses, les portes en sont fortes, les barreaux en sont solides; d’ailleurs votre fenêtre donne à pic sur la mer: les hommes de mon équipage, qui me sont dévoués à la vie et à la mort, montent la garde autour de cet appartement, et surveillent tous les passages qui conduisent à la cour; puis, arrivée à la cour, il vous resterait encore trois grilles à traverser. La consigne est précise: un pas, un geste, un mot qui simule une évasion, et l’on fait feu sur vous; si l’on vous tue, la justice anglaise m’aura, je l’espère, quelque obligation de lui avoir épargné de la besogne. Ah! vos traits reprennent leur calme, votre visage retrouve son assurance: Quinze jours, vingt jours, dites-vous, bah! d’ici là j’ai l’esprit inventif, il me viendra quelque idée; j’ai l’esprit infernal, et je trouverai quelque victime. D’ici à quinze jours, vous dites-vous, je serai hors d’ici. Ah! ah! essayez. L’officier qui commande seul ici en mon absence, vous l’avez vu, donc vous le connaissez déjà; il sait, comme vous voyez, observer une consigne, car vous n’êtes pas, je vous connais, venue de Portsmouth ici sans avoir essayé de le faire parler. Qu’en dites-vous? Une statue de marbre eût-elle été plus impassible et plus muette? Vous avez déjà essayé le pouvoir de vos séductions sur bien des hommes, et malheureusement vous avez toujours réussi; mais essayez sur celui-là, pardieu! si vous en venez à bout, je vous déclare le démon lui-même.
Il alla vers la porte et l’ouvrit brusquement.
—Qu’on appelle monsieur Felton, dit-il. Attendez encore un instant, et je vais vous recommander à lui.
Il se fit entre ces deux personnages un silence étrange, pendant lequel on entendit le bruit d’un pas lent et régulier, qui se rapprochait; bientôt, dans l’ombre du corridor, on vit se dessiner une forme humaine, et le jeune lieutenant avec lequel nous avons déjà fait connaissance s’arrêta sur le seuil, attendant les ordres du baron.
—Entrez, mon cher John, dit lord Winter, entrez et fermez la porte.
Le jeune officier entra.
—Maintenant, dit le baron, regardez cette femme: elle est jeune, elle est belle, elle a toutes les séductions de la terre, eh bien! c’est un monstre, qui, à vingt-cinq ans, s’est rendue coupable d’autant de crimes que vous pouvez en lire en un an dans les archives de nos tribunaux. Sa voix prévient en sa faveur, sa beauté sert d’appât aux victimes, son corps même paye ce qu’elle a promis, c’est une justice à lui rendre; elle essayera de vous séduire, peut-être même essayera-t-elle de vous tuer. Je vous ai tiré de la misère, Felton, je vous ai fait nommer lieutenant, je vous ai sauvé la vie une fois, vous savez à quelle occasion; je suis pour vous non seulement un protecteur, mais un ami; non seulement un bienfaiteur, mais un père; cette femme est revenue en Angleterre afin de conspirer contre ma vie; je tiens ce serpent entre mes mains; eh bien! je vous fais appeler et vous dis: Ami Felton, John, mon enfant, garde-moi et surtout garde-toi de cette femme; jure sur ton salut de la conserver pour le châtiment qu’elle a mérité. John Felton, je me fie à ta parole; John Felton, je crois à ta loyauté.
—Milord, dit le jeune officier, en chargeant son regard pur de toute la haine qu’il put trouver dans son cœur; milord, je vous jure qu’il sera fait comme vous désirez.
Milady reçut ce regard en victime résignée: il était impossible de voir une expression plus soumise et plus douce que celle qui régnait alors sur son beau visage. A peine si lord Winter lui-même reconnut la tigresse qu’un instant auparavant il s’apprêtait à combattre.
—Elle ne sortira jamais de cette chambre, entendez-vous, John, continua le baron; elle ne correspondra avec personne; elle ne parlera qu’à vous, si toutefois vous voulez bien lui faire l’honneur de lui adresser la parole.
—Il suffit, milord, j’ai juré.
—Et maintenant, madame, tâchez de faire la paix avec Dieu, car vous êtes jugée par les hommes.
Milady laissa tomber sa tête comme si elle se fût sentie écrasée par ce jugement. Lord Winter sortit en faisant un geste à Felton, qui sortit derrière lui et ferma la porte.
Un instant après on entendait dans le corridor le pas pesant d’un soldat de marine qui faisait sentinelle, sa hache à la ceinture et son mousquet à la main.
Milady demeura pendant quelques minutes dans la même position, car elle songea qu’on l’examinait peut-être par la serrure; puis lentement elle releva sa tête, qui avait repris une expression formidable de menace et de défi, courut écouter à la porte, regarda par la fenêtre, et revenant s’enterrer dans un vaste fauteuil, elle songea.
XXI
OFFICIER
Cependant le cardinal attendait des nouvelles d’Angleterre, mais aucune nouvelle n’arrivait, si ce n’est fâcheuse et menaçante.
Si bien que La Rochelle fut investie; si certain que pût paraître le succès, grâce aux précautions prises, et surtout à la digue qui ne laissait plus pénétrer aucune barque dans la ville assiégée, le blocus pouvait cependant durer longtemps encore. Et c’était un grand affront pour les armes du roi et une grande gêne pour M. le cardinal, qui n’avait plus, il est vrai, à brouiller Louis XIII avec Anne d’Autriche, la chose était faite, mais à raccommoder M. de Bassompierre, qui était brouillé avec le duc d’Angoulême.
Quant à Monsieur, qui avait commencé le siège, il laissait au cardinal le soin de l’achever.
La ville, malgré l’incroyable persévérance de son maire, avait tenté une espèce de mutinerie pour se rendre; le maire avait fait pendre les émeutiers. Cette exécution calma les plus mauvaises têtes, qui se décidèrent alors à se laisser mourir de faim. Cette mort leur paraissait toujours plus lente et moins sûre que le trépas par strangulation.
De leur côté, de temps en temps, les assiégeants prenaient des messagers que les Rochelais envoyaient à Buckingham ou des espions que Buckingham envoyait aux Rochelais. Dans l’un et l’autre cas le procès était vite fait. M. le cardinal disait ce seul mot: Pendu! On invitait le roi à venir voir la pendaison. Le roi venait languissamment, se mettait en bonne place pour contempler l’opération dans tous ses détails: cela le distrayait toujours un peu et lui faisait prendre le siège en patience, mais cela ne l’empêchait pas de s’ennuyer fort, de parler à tout moment de retourner à Paris; de sorte que si les messagers et les espions eussent fait défaut, Son Éminence, malgré toute son imagination, se fût trouvée fort embarrassée.
Néanmoins le temps passait, les Rochelais ne se rendaient pas: le dernier espion que l’on avait pris était porteur d’une lettre. Cette lettre disait bien à Buckingham que la ville était à toute extrémité; mais, au lieu d’ajouter: «Si votre secours n’arrive pas avant quinze jours, nous nous rendrons,» elle ajoutait tout simplement: «Si votre secours n’arrive pas avant quinze jours, nous serons tous morts de faim quand il arrivera.»
Les Rochelais n’avaient donc espoir qu’en Buckingham. Buckingham était leur Messie. Il était évident que si un jour ils apprenaient d’une manière certaine qu’il ne fallait plus compter sur Buckingham, avec l’espoir leur courage tomberait.
Il attendait donc avec grande impatience des nouvelles d’Angleterre qui devaient annoncer que Buckingham ne viendrait pas.
La question d’emporter la ville de vive force, débattue souvent dans le conseil du roi, avait toujours été écartée; d’abord La Rochelle semblait imprenable, puis le cardinal, quoi qu’il eût dit, savait bien que l’horreur du sang répandu en cette rencontre, où Français devaient combattre contre Français, était un mouvement rétrograde de soixante ans imprimé à la politique, et le cardinal était à cette époque ce qu’on appelle aujourd’hui un homme de progrès. En effet, le sac de La Rochelle et l’assassinat de trois ou quatre mille huguenots qui se fussent fait tuer ressemblaient trop, en 1628, au massacre de la Saint-Barthélemy, en 1572; et puis, par-dessus tout cela, ce moyen extrême, auquel le roi, bon catholique, ne répugnait aucunement, venait toujours échouer contre cet argument des généraux assiégeants: La Rochelle est imprenable autrement que par la famine.
Le cardinal ne pouvait écarter de son esprit la crainte où le jetait sa terrible émissaire, car il avait compris, lui aussi, les proportions étranges de cette femme, tantôt serpent, tantôt lion. L’avait-elle trahi? était-elle morte? il la connaissait assez, en tous cas, pour savoir qu’en agissant pour lui ou contre lui, amie ou ennemie, elle ne demeurait pas inactive sans de grands empêchements; mais d’où venaient ces empêchements? C’était ce qu’il ne pouvait savoir.
Au reste, il comptait, et avec raison, sur milady: il avait deviné dans le passé de cette femme de ces choses terribles que son manteau rouge pouvait seul couvrir; et il sentait que, pour une cause ou pour une autre, cette femme lui était acquise, ne pouvant trouver qu’en lui un appui supérieur au danger qui la menaçait.
Il résolut donc de faire la guerre tout seul et de n’attendre tout succès étranger à lui que comme on attend une chance heureuse. Il continua de faire élever la fameuse digue qui devait affamer La Rochelle; en attendant, il jeta les yeux sur cette malheureuse ville, qui renfermait tant de misères profondes et tant d’héroïques vertus, et, se rappelant le mot de Louis XI, son prédécesseur politique, comme lui-même était le prédécesseur de Robespierre, il se rappela cette maxime du compère de Tristan: «Diviser pour régner.»
Henri IV, assiégeant Paris, faisait jeter par-dessus les murailles du pain et des vivres; le cardinal fit jeter des petits billets par lesquels il représentait aux Rochelais combien la conduite de leurs chefs était injuste, égoïste et barbare; ces chefs avaient du blé en abondance, et ne le partageaient pas; ils adoptaient pour maxime, car eux aussi avaient des maximes, que peu importait que les femmes, les enfants et les vieillards mourussent, pourvu que les hommes qui devaient défendre leurs murailles restassent forts et bien portants. Jusque-là, soit dévouement, soit impuissance de réagir contre elle, cette maxime, sans être généralement adoptée, était cependant passée de la théorie à la pratique; mais les billets vinrent y porter atteinte. Les billets rappelaient aux hommes que ces enfants, ces femmes, ces vieillards qu’on laissait mourir étaient leurs fils, leurs épouses et leurs pères; qu’il serait plus juste que chacun fût réduit à la misère commune, afin qu’une même position fît prendre des résolutions unanimes. Ces billets firent tout l’effet qu’en pouvait attendre celui qui les avait écrits, en ce qu’ils déterminèrent un grand nombre d’habitants à ouvrir des négociations particulières avec l’armée royale.
Mais au moment où le cardinal voyait déjà fructifier son moyen et s’applaudissait de l’avoir mis en usage, un habitant de La Rochelle, qui avait pu passer à travers les lignes royales, Dieu sait comment, tant était grande la surveillance de Bassompierre, de Schomberg et du duc d’Angoulême, surveillés eux-mêmes par le cardinal; un habitant de La Rochelle, disons-nous, entra dans la ville, venant de Portsmouth et disant qu’il avait vu une flotte magnifique prête à mettre à la voile avant huit jours. De plus, Buckingham annonçait au maire qu’enfin la grande ligue contre la France allait se déclarer, et que le royaume allait être envahi à la fois par les armées anglaises, impériales et espagnoles. Cette lettre fut lue publiquement sur toutes les places, on en afficha des copies aux angles des rues, et ceux-là mêmes qui avaient commencé d’ouvrir des négociations les interrompirent, résolus d’attendre ce secours si pompeusement annoncé.
Cette circonstance inattendue rendit à Richelieu ses inquiétudes premières, et le força malgré lui à tourner de nouveau les yeux de l’autre côté de la mer.
Pendant ce temps, exempte des inquiétudes de son seul et véritable chef, l’armée royale menait joyeuse vie, les vivres ne manquant pas au camp, ni l’argent non plus; tous les corps rivalisaient d’audace et de gaieté. Prendre des espions et les pendre, faire des expéditions hasardeuses sur la digue ou sur la mer, imaginer des folies, les exécuter froidement, tel était le passe-temps qui faisait trouver courts à l’armée ces jours si longs, non seulement pour les Rochelais, rongés par la famine et l’anxiété, mais encore pour le cardinal, qui les bloquait si vivement.
Quelquefois, quand le cardinal, toujours chevauchant comme le dernier gendarme de l’armée, promenait son regard pensif sur ces ouvrages, si lents au gré de son désir, qu’élevaient sous son ordre les ingénieurs qu’il faisait venir de tous les coins du royaume de France, s’il rencontrait un mousquetaire de la compagnie de Tréville, il s’approchait de lui et le regardait d’une façon singulière, et ne le reconnaissant pas pour un de nos quatre compagnons, il laissait aller ailleurs son regard profond et sa vaste pensée.
Un jour où, rongé d’un mortel ennui, sans espérance dans les négociations avec la ville, sans nouvelles d’Angleterre, le cardinal était sorti sans autre but que de sortir, accompagné seulement de Cahusac et de La Houdinière, longeant les grèves et mêlant l’immensité de ses rêves à l’immensité de l’Océan, il arriva au petit pas de son cheval sur une colline du haut de laquelle il aperçut derrière une haie, couchés sur le sable, au soleil si rare à cette époque de l’année, sept hommes entourés de bouteilles vides. Quatre de ces hommes étaient nos mousquetaires s’apprêtant à écouter la lecture d’une lettre que l’un d’eux venait de recevoir. Cette lettre était si importante, qu’elle avait fait abandonner sur un tambour des cartes et des dés.
Les trois autres s’occupaient à décoiffer une énorme dame-jeanne de vin de Collioure; c’étaient les laquais de ces messieurs.
Le cardinal, comme nous l’avons dit, était de sombre humeur, et rien, quand il était dans cette situation d’esprit, ne redoublait sa maussaderie comme la gaieté des autres. D’ailleurs il avait une préoccupation étrange, c’était de croire toujours que c’étaient les causes de sa tristesse à lui qui faisaient la gaieté des autres. Faisant signe à La Houdinière et à Cahusac de s’arrêter, il descendit de cheval et s’approcha de ces rieurs suspects, espérant qu’à l’aide du sable qui assourdissait ses pas, et de la haie qui voilait sa marche, il pourrait entendre quelques mots de cette conversation qui lui paraissait si intéressante; à dix pas de la haie seulement il reconnut le babil gascon, et comme il savait déjà que ces hommes étaient des mousquetaires, il ne douta pas que les trois autres ne fussent ceux qu’on appelait les inséparables, c’est-à-dire Athos, Porthos et Aramis.
On juge si son désir d’entendre la conversation s’augmenta de cette découverte; ses yeux prirent une expression étrange, et d’un pas de chat-tigre il s’avança vers la haie; mais il n’avait pu saisir encore que des syllabes vagues et sans aucun sens positif, lorsqu’un cri sonore et bref le fit tressaillir et attira l’attention des mousquetaires.
—Officier! cria Grimaud.
—Vous parlez, je crois, drôle, dit Athos se soulevant sur un coude et fascinant Grimaud de son regard flamboyant.
Aussi Grimaud n’ajouta-t-il point une parole, se contentant de tendre le doigt indicateur dans la direction de la haie et dénonçant par ce geste le cardinal et son escorte.
D’un seul bond les quatre mousquetaires furent sur pied et saluèrent avec respect.
Le cardinal semblait furieux.
—Il paraît qu’on se fait garder chez messieurs les mousquetaires! dit-il. Est-ce que l’Anglais vient par terre, ou serait-ce que les mousquetaires se regardent comme des officiers supérieurs?
—Monseigneur, répondit Athos, car au milieu de l’effroi général lui seul avait conservé le calme et le sang-froid qui ne le quittaient jamais; monseigneur, les mousquetaires, lorsqu’ils ne sont pas de service, ou que leur service est fini, boivent et jouent aux dés, et ils sont des officiers très supérieurs pour leurs laquais.
—Des laquais! grommela le cardinal, des laquais qui ont la consigne d’avertir leurs maîtres quand passe quelqu’un, ce ne sont point des laquais, ce sont des sentinelles.
—Son Éminence voit bien cependant que si nous n’avions point pris cette précaution, nous étions exposés à la laisser passer sans lui présenter nos respects et lui offrir nos remerciements pour la grâce qu’elle nous a faite de nous réunir. D’Artagnan, continua Athos, vous qui tout à l’heure demandiez cette occasion d’exprimer votre reconnaissance à monseigneur, la voici venue, profitez-en.
Ces mots furent prononcés avec ce flegme imperturbable qui distinguait Athos dans les heures du danger, et cette excessive politesse qui faisait de lui dans certains moments un roi plus majestueux que les rois de naissance.
D’Artagnan s’approcha et balbutia quelques paroles de remerciement, qui bientôt expirèrent sous les regards assombris du cardinal.
—N’importe, messieurs, continua le cardinal sans paraître le moins du monde détourné de son intention première par l’incident qu’Athos avait soulevé; n’importe, messieurs, je n’aime pas que de simples soldats, parce qu’ils ont l’avantage de servir dans un corps privilégié, fassent ainsi les grands seigneurs, et la discipline est la même pour eux que pour tout le monde.
Athos laissa le cardinal achever parfaitement sa phrase, et, s’inclinant en signe d’assentiment, il reprit à son tour:
—La discipline, monseigneur, n’a en aucune façon, je l’espère, été oubliée par nous. Nous ne sommes pas de service, et nous avons cru que, n’étant pas de service, nous pouvions disposer de notre temps comme bon nous semblait. Si nous sommes assez heureux pour que Son Éminence ait quelque ordre particulier à nous donner, nous sommes prêts à lui obéir. Monseigneur voit, continua Athos en fronçant le sourcil, car cette espèce d’interrogatoire commençait à l’impatienter, que, pour être prêts à la moindre alerte, nous sommes sortis avec nos armes.
Et il montra du doigt au cardinal les quatre mousquets en faisceau près du tambour sur lequel étaient les cartes et les dés.
—Que Votre Éminence veuille le croire, ajouta d’Artagnan, nous aurions été au-devant d’elle si nous avions pu supposer que c’était elle qui venait vers nous en si petite compagnie.
—Savez-vous de quoi vous avez l’air, toujours ensemble, comme vous voilà, armés comme vous êtes, et gardés par vos laquais? dit le cardinal, vous avez l’air de quatre conspirateurs.
—Oh! quant à ceci, monseigneur, c’est vrai, dit Athos, nous conspirons, comme Votre Éminence a pu le voir l’autre matin, seulement c’est contre les Rochelais.
—Eh! messieurs les politiques! reprit le cardinal en fronçant le sourcil à son tour, on trouverait peut-être dans vos cervelles le secret de bien des choses qui sont ignorées, si on pouvait y lire comme vous lisiez dans cette lettre que vous avez cachée quand vous m’avez vu venir.
Le rouge monta à la figure d’Athos, il fit un pas vers Son Éminence.
—On dirait que vous nous soupçonnez réellement, monseigneur, et que nous subissons un véritable interrogatoire; s’il en est ainsi, que Votre Éminence daigne s’expliquer, et nous saurons du moins à quoi nous en tenir.
—Et quand cela serait un interrogatoire, reprit le cardinal, d’autres que vous en ont subi, monsieur Athos, et y ont répondu.
—Aussi, monseigneur, ai-je dit à Votre Éminence qu’elle n’avait qu’à questionner, et que nous étions prêts à répondre.
—Quelle était cette lettre que vous alliez lire, monsieur Aramis, et que vous avez cachée?
—Une lettre de femme, monseigneur.
—Oh! je conçois, dit le cardinal, il faut être discret pour ces sortes de lettres; mais cependant on peut les montrer à un confesseur, et, vous le savez, j’ai reçu les ordres.
—Monseigneur, dit Athos avec un calme d’autant plus terrible qu’il jouait sa tête en faisant cette réponse, la lettre est d’une femme, mais elle n’est signée ni Marion de Lorme, ni madame d’Aiguillon.
Le cardinal devint pâle comme la mort, un éclair fauve sortit de ses yeux; il se retourna comme pour donner un ordre à Cahusac et à La Houdinière. Athos vit le mouvement; il fit un pas vers les mousquetons, sur lesquels les trois amis avaient les yeux fixés en hommes mal disposés à se laisser arrêter. Le cardinal était, lui, troisième; les mousquetaires, y compris les laquais, étaient sept: il jugea que la partie serait d’autant moins égale, qu’Athos et ses compagnons conspiraient réellement; et, par un de ces retours rapides qu’il tenait toujours à sa disposition, toute sa colère se fondit dans un sourire.
—Allons, allons! dit-il, vous êtes de braves jeunes gens, fiers au soleil, fidèles dans l’obscurité; il n’y a pas de mal à veiller sur soi quand on veille si bien sur les autres; messieurs, je n’ai point oublié la nuit où vous m’avez servi d’escorte pour aller au Colombier-Rouge; s’il y avait quelque danger à craindre sur la route que je vais suivre, je vous prierais de m’accompagner; mais, comme il n’y en a pas, restez où vous êtes, achevez vos bouteilles, votre partie et votre lettre. Adieu, messieurs.
Et, remontant sur son cheval, que Cahusac lui avait amené, il les salua de la main et s’éloigna.
Les quatre jeunes gens, debout et immobiles, le suivirent des yeux sans dire un seul mot jusqu’à ce qu’il eût disparu.
Puis ils se regardèrent.
Tous avaient la figure consternée, car, malgré l’adieu amical de Son Éminence, ils comprenaient que le cardinal s’en allait la rage dans le cœur.
Athos seul souriait d’un sourire puissant et dédaigneux.
Quand le cardinal fut hors de la portée de la voix et de la vue:
—Ce Grimaud a guetté bien tard! s’écria Porthos, qui avait grande envie de faire tomber sa mauvaise humeur sur quelqu’un.
Grimaud allait répondre pour s’excuser. Athos leva le doigt et Grimaud se tut.
—Auriez-vous rendu la lettre, Aramis? dit d’Artagnan.
—Moi, dit Aramis de sa voix la plus flûtée, j’étais décidé: s’il avait exigé que la lettre lui fût remise, je lui présentais la lettre d’une main, et de l’autre je lui passais mon épée au travers du corps.
—Je m’y attendais bien, dit Athos; voilà pourquoi je me suis jeté entre vous et lui. En vérité, cet homme est bien imprudent de parler ainsi à d’autres hommes; on dirait qu’il n’a jamais eu affaire qu’à des femmes et à des enfants.
—Mon cher Athos, dit d’Artagnan, je vous admire, mais cependant nous étions dans notre tort, après tout.
—Comment, dans notre tort! dit Athos. A qui donc cet air que nous respirons? A qui cet Océan sur lequel s’étendent nos regards? A qui ce sable sur lequel nous étions couchés? A qui cette lettre de votre maîtresse? Est-ce au cardinal? Sur mon honneur, cet homme se figure que le monde lui appartient; vous étiez là, balbutiant, stupéfait, anéanti; on eût dit que la Bastille se dressait devant vous et que la gigantesque Méduse vous changeait en pierre. Est-ce que c’est conspirer, voyons, que d’être amoureux? Vous êtes amoureux d’une femme que le cardinal a fait enfermer, vous voulez la tirer des mains du cardinal; c’est une partie que vous jouez avec Son Éminence: cette lettre c’est votre jeu; pourquoi montreriez-vous votre jeu à votre adversaire? cela ne se fait pas. Qu’il le devine, à la bonne heure! nous devinons bien le sien, nous!
—Au fait, dit d’Artagnan, c’est plein de sens, ce que vous dites là, Athos.
—En ce cas, qu’il ne soit plus question de ce qui vient de se passer, et qu’Aramis reprenne la lettre de sa cousine où M. le cardinal l’a interrompue.
Aramis tira la lettre de sa poche, les trois amis se rapprochèrent de lui, et les trois laquais se groupèrent de nouveau auprès de la dame-jeanne.
—Vous n’aviez lu qu’une ligne ou deux, dit d’Artagnan, reprenez donc la lettre à partir du commencement.
—Volontiers, dit Aramis.
«Mon cher cousin, je crois bien que je me déciderai à partir pour Stenay, où ma sœur a fait entrer notre petite servante dans le couvent des Carmélites; cette pauvre enfant s’est résignée, elle sait qu’elle ne peut vivre autre part sans que le salut de son âme soit en danger. Cependant, si les affaires de notre famille s’arrangent comme nous le désirons, je crois qu’elle courra le risque de se damner, et qu’elle reviendra près de ceux qu’elle regrette, d’autant plus qu’elle sait qu’on pense toujours à elle. En attendant, elle n’est pas trop malheureuse: tout ce qu’elle désire, c’est une lettre de son prétendu. Je sais bien que ces sortes de denrées passent difficilement par les grilles; mais, après tout, comme je vous en ai donné des preuves, mon cher cousin, je ne suis pas trop maladroite et je me chargerai de cette commission. Ma sœur vous remercie de votre bon et éternel souvenir. Elle a eu un instant de grande inquiétude; mais enfin elle est quelque peu rassurée maintenant, ayant envoyé son commis là-bas afin qu’il ne s’y passe rien d’imprévu.
»Adieu, mon cher cousin, donnez-nous de vos nouvelles le plus souvent que vous pourrez, c’est-à-dire toutes les fois que vous croirez pouvoir le faire sûrement.
»Je vous embrasse.
»MARIE MICHON.»
—Oh! que ne vous dois-je pas, Aramis! s’écria d’Artagnan. Chère Constance! j’ai donc enfin de ses nouvelles; elle vit, elle est en sûreté dans un couvent, elle est à Stenay! Où prenez-vous Stenay, Athos?
—Mais à quelques lieues de la frontière d’Alsace, en Lorraine; une fois le siège levé, nous pourrons aller faire un tour de ce côté.
—Et ce ne sera pas long, il faut l’espérer, dit Porthos, car on a, ce matin, pendu un espion, lequel a déclaré que les Rochelais en étaient aux cuirs de leurs souliers. En supposant qu’après avoir mangé le cuir ils mangent la semelle, je ne vois plus trop ce qui leur restera après, à moins de se manger les uns les autres.
—Pauvres sots! dit Athos en vidant un verre d’excellent vin de Bordeaux, qui, sans avoir à cette époque la réputation qu’il a aujourd’hui, ne la méritait pas moins; pauvres sots! comme si la religion catholique n’était pas la plus agréable des religions! C’est égal, reprit-il après avoir fait claquer sa langue contre son palais, ce sont de braves gens. Mais que diable faites-vous donc là, Aramis? continua Athos; vous serrez cette lettre dans votre poche?
—Oui, dit d’Artagnan, Athos a raison, il faut la brûler; qui sait si M. le cardinal n’a pas un secret pour interroger les cendres?
—Il doit en avoir un, dit Athos.
—Mais que voulez-vous faire de cette lettre? dit Porthos.
—Venez ici, Grimaud, dit Athos. Grimaud se leva et obéit.
—Pour vous punir d’avoir parlé sans permission, mon ami, vous allez manger ce morceau de papier; puis, pour vous récompenser du service que vous nous aurez rendu, vous boirez ensuite ce verre de vin; voici la lettre d’abord, mâchez avec énergie.
Grimaud sourit, et, les yeux fixés sur le verre qu’Athos venait de remplir bord à bord, il broya le papier et l’avala.
—Bravo, maître Grimaud! dit Athos, et maintenant prenez ceci; bien, je vous dispense de dire merci.
Grimaud avala silencieusement le verre de vin de Bordeaux, mais ses yeux levés au ciel parlaient, pendant tout le temps que dura cette douce occupation, un langage qui, pour être muet, n’en était pas moins expressif.
—Et maintenant, dit Athos, à moins que M. le cardinal n’ait l’ingénieuse idée de faire ouvrir le ventre à Grimaud, je crois que nous pouvons être à peu près tranquilles.
Pendant ce temps, Son Éminence continuait sa promenade mélancolique en marronnant entre ses moustaches ce qu’il s’était déjà dit souvent:
—Décidément, il faut que ces quatre hommes soient à moi.
XXII
PREMIÈRE JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
Revenons à milady, qu’un regard jeté sur les côtes de France nous a fait perdre de vue un instant.
Nous la retrouverons dans la position désespérée où nous l’avons laissée, se creusant un abîme de sombres réflexions, sombre enfer à la porte duquel elle a presque laissé l’espérance: car pour la première fois elle doute, pour la première fois elle craint.
Dans deux occasions sa fortune lui a manqué, dans deux occasions elle s’est vue découverte et trahie, et dans ces deux occasions, c’est contre le génie fatal envoyé sans doute par le Seigneur pour la combattre qu’elle a échoué: d’Artagnan l’a vaincue, elle, cette invincible puissance du mal.
Il l’a abusée dans son amour, humiliée dans son orgueil, trompée dans son ambition, et maintenant voilà qu’il la perd dans sa fortune, qu’il l’atteint dans sa liberté, qu’il la menace même dans sa vie. Bien plus, il a levé un coin de son masque, cette égide dont elle se couvre et qui la rend si forte.
D’Artagnan a détourné de Buckingham, qu’elle hait, comme elle hait tout ce qu’elle a aimé, la tempête dont le menaçait Richelieu dans la personne de la reine. D’Artagnan s’est fait passer pour de Wardes, pour lequel elle avait une de ces fantaisies de tigresse, indomptables comme en ont les femmes de ce caractère. D’Artagnan connaît ce terrible secret qu’elle a juré que nul ne connaîtrait sans mourir. Enfin, au moment où elle vient d’obtenir un blanc-seing à l’aide duquel elle va se venger de son ennemi, le blanc-seing lui est arraché des mains et c’est d’Artagnan qui la tient prisonnière et qui va l’envoyer dans quelque immonde Botany-Bay, dans quelque Tyburn infâme de l’océan Indien.
Car tout cela lui vient de d’Artagnan sans doute; de qui viendraient tant de hontes amassées sur sa tête, sinon de lui? Lui seul a pu transmettre à lord Winter tous ces affreux secrets, qu’il a découverts les uns après les autres par suite de la fatalité. Il connaît son beau-frère, il lui aura écrit.
Que de haine elle distille! Là, immobile, et les yeux ardents et fixes dans son appartement désert, comme les éclats de ses rugissements sourds, qui parfois s’échappent avec sa respiration du fond de sa poitrine, accompagnent bien le bruit de la houle qui monte, gronde, mugit et vient se briser contre les rochers sur lesquels est bâti ce château sombre et orgueilleux! Comme, à la lueur des éclairs que sa colère orageuse fait briller dans son esprit, elle conçoit contre madame Bonacieux, contre Buckingham et surtout contre d’Artagnan, de magnifiques projets de vengeance, perdus dans les lointains de l’avenir!
Oui, mais pour se venger il faut être libre, et pour être libre, quand on est prisonnier, il faut percer un mur, desceller des barreaux, trouer un plancher, toutes entreprises que peut mener à bout un homme patient et fort, mais devant lesquelles doivent échouer les irritations fébriles d’une femme. D’ailleurs, pour faire tout cela il faut avoir le temps, des mois, des années; et elle... elle a dix ou douze jours, à ce que lui a dit lord Winter, son fraternel et terrible geôlier. Et cependant, si elle était un homme, elle tenterait tout cela, et peut-être réussirait-elle: pourquoi donc le ciel s’est-il ainsi trompé, en mettant cette âme virile dans ce corps frêle et délicat!
Aussi les premiers moments de la captivité ont-ils été terribles: mais quelques convulsions de rage qu’elle n’a pu surmonter ont payé sa dette de faiblesse féminine à la nature. Peu à peu elle a surmonté les éclats de sa folle colère, les frémissements nerveux qui ont agité son corps ont disparu, et maintenant elle est repliée sur elle-même comme un serpent fatigué qui se repose.
—Allons, allons, j’étais folle de m’emporter ainsi, dit-elle en plongeant dans la glace, qui reflète son regard brûlant par lequel elle semble s’interroger elle-même. Pas de violence, la violence est une preuve de faiblesse. D’abord je n’ai jamais réussi par ce moyen: peut-être, si j’usais de ma force contre des femmes, aurais-je chance de les trouver plus faibles encore que moi, et par conséquent de les vaincre; mais c’est contre des hommes que je lutte, et je ne suis qu’une femme pour eux. Luttons en femme, ma force est dans ma faiblesse.
Alors, comme pour se rendre compte à elle-même des changements qu’elle pouvait imposer à sa physionomie si expressive et si mobile, elle lui fit prendre à la fois toutes les expressions, depuis celle de la colère qui crispait ses traits, jusqu’à celle du plus doux, du plus affectueux et du plus séduisant sourire. Puis ses cheveux prirent successivement sous ses mains savantes les ondulations qu’elle crut pouvoir ajouter aux charmes de son visage. Enfin elle murmura, satisfaite d’elle-même:
—Allons, rien n’est perdu. Je suis toujours belle.
Il était huit heures du soir à peu près. Milady aperçut un lit; elle pensa qu’un repos de quelques heures rafraîchirait non seulement sa tête et ses idées, mais encore son teint. Cependant, avant de se coucher, une idée meilleure lui vint. Elle avait entendu parler de souper. Déjà elle était depuis une heure dans cette chambre, on ne pouvait tarder à lui apporter son repas. La prisonnière ne voulut pas perdre de temps, et elle résolut de faire, dès cette même soirée, quelque tentative pour sonder le terrain, en étudiant le caractère des gens auxquels sa garde était confiée.
Une lumière apparut sous la porte: cette lumière annonçait le retour de ses geôliers. Milady, qui s’était levée, se rejeta vivement sur son fauteuil, la tête renversée en arrière, ses beaux cheveux dénoués et épars, sa gorge demi-nue sous ses dentelles froissées, une main sur son cœur et l’autre pendante.
On ouvrit les verrous, la porte grinça sur ses gonds, des pas retentirent dans la chambre et s’approchèrent.
—Posez là cette table, dit une voix que la prisonnière reconnut pour celle de Felton.
L’ordre fut exécuté.
—Vous apporterez des flambeaux et ferez relever la sentinelle, continua Felton.
Et ce double ordre que donna aux mêmes individus le jeune lieutenant prouva à milady que ses serviteurs étaient les mêmes hommes que ses gardiens, c’est-à-dire des soldats.
Les ordres de Felton étaient, au reste, exécutés avec une silencieuse rapidité qui prouvait l’état florissant dans lequel il maintenait la discipline.
Enfin Felton, qui n’avait pas encore regardé milady, se retourna vers elle,
—Ah! ah! dit-il, elle dort, c’est bien: à son réveil elle soupera.
Et il fit quelques pas pour sortir.
—Mais, mon lieutenant, dit un soldat moins philosophe que son chef, et qui s’était approché de milady, cette femme ne dort pas.
—Comment, elle ne dort pas! dit Felton.
—Elle est évanouie; son visage est très pâle; j’ai beau écouter, je n’entends pas sa respiration.
—Vous avez raison, dit Felton, après avoir regardé milady, de la place où il se trouvait, sans faire un pas vers elle; allez prévenir lord Winter que sa prisonnière est évanouie, car je ne sais que faire, le cas n’ayant pas été prévu.
Le soldat sortit pour obéir aux ordres de son officier: Felton s’assit sur un fauteuil qui se trouvait par hasard près de la porte et attendit sans dire une parole, sans faire un geste. Milady possédait ce grand art, tant étudié par les femmes, de voir à travers ses longs cils sans avoir l’air d’ouvrir les paupières; elle aperçut Felton qui lui tournait le dos; elle continua de le regarder pendant dix minutes à peu près, et pendant ces dix minutes, l’impassible gardien ne se retourna pas une seule fois.
Elle songea alors que lord Winter allait venir et rendre, par sa présence, une nouvelle force à son geôlier: sa première épreuve était perdue, elle en prit son parti en femme qui compte sur ses ressources; en conséquence elle leva la tête, ouvrit les yeux et soupira faiblement.
A ce soupir, Felton se retourna enfin.
—Ah! vous voici réveillée, madame! dit-il, je n’ai donc plus affaire ici! Si vous avez besoin de quelque chose, vous sonnerez.
—Oh! mon Dieu, mon Dieu! que j’ai souffert! murmura milady avec cette voix harmonieuse qui, pareille à celle des enchanteresses antiques, charmait tous ceux qu’elle voulait perdre.
Et elle prit en se redressant sur son fauteuil une position plus gracieuse et plus abandonnée encore que celle qu’elle avait lorsqu’elle était couchée.
Felton se leva.
—Vous serez servie ainsi trois fois par jour, madame, dit-il: le matin à neuf heures, dans la journée une heure, et le soir à huit heures. Si cela ne vous convient pas, vous pouvez indiquer vos heures au lieu de celles que je vous propose, et sur ce point, on se conformera à vos désirs.
—Mais je vais donc rester toujours seule dans cette grande et triste chambre? demanda milady.
—Une femme des environs a été prévenue qui sera demain au château, et qui viendra toutes les fois que vous désirerez sa présence.
—Je vous rends grâce, monsieur, répondit humblement la prisonnière.
Felton fit un léger salut et se dirigea vers la porte. Au moment où il allait en franchir le seuil, lord Winter parut dans le corridor, suivi du soldat qui était allé lui porter la nouvelle de l’évanouissement de milady. Il tenait à la main un flacon de sels.
—Eh bien! qu’est-ce? et que se passe-t-il donc ici? dit-il d’une voix railleuse en voyant sa prisonnière debout et Felton prêt à sortir. Cette morte est-elle donc déjà ressuscitée? Pardieu, Felton, mon enfant, tu n’as donc pas vu qu’on te prenait pour un novice et qu’on te jouait le premier acte d’une comédie dont nous aurons sans doute le plaisir de suivre tous les développements?
—Je l’ai bien pensé, milord, dit Felton; mais enfin, comme la prisonnière est femme, après tout, j’ai voulu avoir pour elle les égards que tout homme bien né doit à une femme, sinon pour elle, du moins pour lui-même.
Milady frissonna par tout son corps. Ces paroles de Felton passaient comme une glace par toutes ses veines.
—Ainsi, reprit lord Winter en riant, ces beaux cheveux savamment étalés, cette peau blanche et ce langoureux regard ne t’ont pas encore séduit, cœur de pierre!
—Non, milord, répondit l’impassible jeune homme, et croyez-moi bien, il faut plus que des manèges et des coquetteries de femmes pour me corrompre.
—En ce cas, mon brave lieutenant, laissons milady chercher autre chose et allons souper: ah! sois tranquille, elle a l’imagination féconde, et le second acte de la comédie ne tardera pas à suivre le premier.
Et à ces mots lord Winter passa son bras sous celui de Felton et l’emmena en riant.
—Oh! je trouverai bien ce qu’il te faut, murmura milady entre ses dents; sois tranquille, pauvre moine manqué, pauvre soldat converti qui t’es taillé ton uniforme dans un froc.
—A propos, reprit de Winter en s’arrêtant sur le seuil de la porte, il ne faut pas, milady, que cet échec vous ôte l’appétit. Tâtez de ce poulet et de ces poissons que je n’ai pas fait empoisonner, sur l’honneur. Je m’accommode assez de mon cuisinier, et comme il ne doit pas hériter de moi, j’ai en lui pleine et entière confiance. Faites comme moi. Adieu, chère sœur! à votre prochain évanouissement.
C’était tout ce que pouvait supporter milady: et lorsqu’elle se vit seule, une nouvelle crise de désespoir la prit; elle jeta les yeux sur la table, vit briller un couteau, s’élança et le saisit; mais son désappointement fut cruel; la lame en était ronde et d’argent flexible.
Un éclat de rire retentit derrière la porte mal fermée, et la porte se rouvrit.
—Ah! ah! s’écria lord Winter; ah! ah! ah! vois-tu bien, mon brave Felton, vois-tu ce que je t’avais dit: ce couteau, c’était pour toi; mon enfant, elle t’aurait tué: vois-tu, c’est un de ses travers, de se débarrasser ainsi, d’une façon ou de l’autre, des gens qui la gênent. Si je t’eusse écouté, le couteau eût été pointu et d’acier: alors plus de Felton, elle t’aurait égorgé et, après toi, tout le monde. Vois donc, John, comme elle sait bien tenir son couteau.
En effet, milady tenait encore l’arme offensive dans sa main crispée, mais ces derniers mots, cette suprême insulte, détendirent ses mains, ses forces et jusqu’à sa volonté.
Le couteau tomba par terre.
—Vous avez raison, milord, dit Felton avec un accent de profond dégoût qui retentit jusqu’au fond du cœur de milady, vous avez raison, et c’est moi qui avais tort.
Et tous deux sortirent de nouveau.
Mais cette fois, milady prêta une oreille plus attentive que la première fois, et elle entendit leurs pas s’éloigner et s’éteindre dans le fond du corridor.
—Je suis perdue, murmura-t-elle, me voilà au pouvoir de gens sur lesquels je n’aurai pas plus de prise que sur des statues de bronze ou de granit; ils me savent par cœur et sont cuirassés contre toutes mes armes. Il est cependant impossible que cela finisse comme ils l’ont décidé.
En effet, comme l’indiquait cette dernière réflexion et ce retour instinctif à l’espérance, dans cette âme profonde, la crainte et les sentiments faibles ne surnageaient pas longtemps. Milady se mit à table, mangea de plusieurs mets, but un peu de vin d’Espagne; elle sentit revenir toute sa résolution et tout son courage.
Avant de se coucher elle avait déjà commenté, analysé, retourné sous toutes leurs faces, examiné sous tous les points, les paroles, les pas, les gestes, les signes et jusqu’au silence de ses interlocuteurs, et de ce commentaire, de cette analyse, de cet examen, il était résulté que Felton était, à tout prendre, le plus vulnérable de ses deux persécuteurs.
Un mot surtout revenait continuellement à l’esprit de la prisonnière:
—Si je t’eusse écouté, avait dit lord Winter à Felton.
Donc Felton avait parlé en sa faveur, puisque lord Winter n’avait pas voulu écouter Felton.
—Faible ou forte, répétait milady, cet homme a donc une lueur de pitié dans son âme; de cette lueur je ferai un incendie qui le dévorera. Quant à l’autre, il me connaît, il me craint et sait ce qu’il a à attendre de moi si jamais je m’échappe de ses mains, il est donc inutile de rien tenter sur lui. Mais Felton, c’est autre chose, c’est un jeune homme naïf, pur et qui semble vertueux: celui-là il y a moyen de le prendre.
Et milady se coucha et s’endormit le sourire sur les lèvres; quelqu’un qui l’eût vue dormant eût cru voir une jeune fille rêvant à la couronne de fleurs qu’elle devait mettre sur son front à la prochaine fête.
XXIII
DEUXIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
Milady rêvait qu’elle tenait enfin d’Artagnan, qu’elle assistait à son supplice, et c’était la vue de son sang odieux, coulant sous la hache du bourreau, qui dessinait le charmant sourire sur ses lèvres.
Elle dormait comme dort un prisonnier bercé par sa première espérance.
Le lendemain, lorsqu’on entra dans sa chambre, elle était encore au lit. Felton se tenait dans le corridor: il amenait la femme dont on avait parlé la veille, et qui venait d’arriver; cette femme entra et s’approcha du lit de milady en lui offrant ses services.
Milady était habituellement pâle, son teint pouvait donc tromper une personne qui la voyait pour la première fois.
—J’ai la fièvre, dit-elle; je n’ai pas dormi un seul instant pendant toute cette longue nuit, je souffre horriblement: serez-vous plus humaine qu’on ne l’a été hier avec moi? Tout ce que je demande, au reste, c’est la permission de rester couchée.
—Voulez-vous qu’on appelle un médecin? dit la femme.
Felton écoutait ce dialogue sans dire une parole.
Milady réfléchissait que plus on l’entourerait de monde, plus elle aurait de monde à apitoyer, et plus la surveillance de lord Winter redoublerait; d’ailleurs le médecin pourrait déclarer que la maladie était feinte et milady, après avoir perdu la première partie, ne voulait pas perdre la seconde.
—Aller chercher un médecin, dit-elle, à quoi bon! ces Messieurs ont déclaré hier que mon mal était une comédie, il en serait sans doute de même aujourd’hui; car depuis hier soir on a eu le temps de prévenir le docteur.
—Alors, dit Felton impatienté, dites vous-même, madame, quel traitement vous voulez suivre.
—Eh! le sais-je, moi, mon Dieu! je sens que je souffre, voilà tout; que l’on me donne ce que l’on voudra, peu m’importe.
—Allez chercher lord Winter, dit Felton fatigué de ces plaintes éternelles.
—Oh, non, non! s’écria milady, non, monsieur, ne l’appelez pas, je vous en conjure, je suis bien, je n’ai besoin de rien, ne l’appelez pas.
Elle mit une véhémence si prodigieuse, une éloquence si entraînante dans cette exclamation, que Felton, entraîné, fit quelques pas dans la chambre.
—Il est venu, pensa milady.
—Cependant, madame, dit Felton, si vous souffrez réellement, on enverra chercher un médecin, et si vous nous trompez, eh bien! ce sera tant pis pour vous, mais du moins, de notre côté, nous n’aurons rien à nous reprocher.
Milady ne répondit point; mais renversant sa belle tête sur son oreiller, elle fondit en larmes et éclata en sanglots.
Felton la regarda un instant avec son impassibilité ordinaire; puis, voyant que la crise menaçait de se prolonger, il sortit; la femme le suivit. Lord Winter ne parut pas.
—Je crois que je commence à voir clair, murmura milady avec une joie sauvage en s’ensevelissant sous les draps pour cacher à tous ceux qui pourraient l’épier cet élan de satisfaction intérieure.
Deux heures s’écoulèrent.
—Maintenant il est temps que la maladie cesse, dit-elle: levons-nous et obtenons quelque succès dès aujourd’hui; je n’ai que dix jours, et ce soir il y en aura deux d’écoulés.
En entrant, le matin, dans la chambre de milady, on lui avait apporté son déjeuner; or elle avait pensé qu’on ne tarderait pas à venir enlever la table, et qu’en ce moment elle reverrait Felton.
Milady ne se trompait pas: Felton reparut, et, sans faire attention si milady avait ou non touché au repas, fit un signe pour qu’on emportât hors de la chambre la table, que l’on avait apportée toute servie.
Felton resta le dernier, il tenait un livre à la main.
Milady, couchée dans un fauteuil près de la cheminée, belle, pâle et résignée, semblait une vierge sainte attendant le martyre.
Felton s’approcha d’elle et dit:
—Lord Winter, qui est catholique comme vous, madame, a pensé que la privation des rites et des cérémonies de votre religion peut vous être pénible; il consent donc à ce que vous lisiez chaque jour l’ordinaire de votre messe, et voici un livre qui en contient le rituel.
A l’air dont Felton déposa ce livre sur la petite table près de laquelle était milady, au ton dont il prononça ces deux mots votre messe, au sourire dédaigneux dont il les accompagna, milady leva la tête et regarda plus attentivement l’officier.
Alors, à cette coiffure sévère, à ce costume d’une simplicité exagérée, à ce front poli comme du marbre, mais dur et impénétrable comme lui, elle reconnut un de ces sombres puritains qu’elle avait rencontrés si souvent tant à la cour du roi Jacques qu’à celle du roi de France, où, malgré le souvenir de la Saint-Barthélemy, ils venaient parfois chercher un refuge. Elle eut donc une de ces inspirations subites comme les gens de génie seuls en reçoivent dans les grandes crises, dans les moments suprêmes qui doivent décider de leur fortune ou de leur vie. Ces deux mots, votre messe, et un simple coup d’œil jeté sur Felton, lui avaient en effet révélé toute l’importance de la réponse qu’elle allait faire. Mais avec cette rapidité d’intelligence qui lui était particulière, cette réponse toute formulée se présenta sur ses lèvres:
—Moi! dit-elle avec un accent de dédain monté à l’unisson de celui qu’elle avait remarqué dans la voix du jeune officier, moi, monsieur, ma messe! lord Winter, le catholique corrompu, sait bien que je ne suis pas de sa religion, et c’est un piège qu’il veut me tendre!
—Et de quelle religion êtes-vous donc, madame? demanda Felton.
—Je le dirai, s’écria milady avec une exaltation feinte, le jour où j’aurai assez souffert pour ma foi.
Le regard de Felton découvrit à milady toute l’étendue de l’espace qu’elle venait de s’ouvrir par cette seule parole.
Cependant le jeune officier demeura muet et immobile, son regard seul avait parlé.
—Je suis aux mains de mes ennemis, continua-t-elle avec ce ton d’enthousiasme qu’elle savait familier aux puritains; eh bien! que mon Dieu me sauve ou que je périsse pour mon Dieu! voilà la réponse que je vous prie de faire à lord Winter. Et quant à ce livre, ajouta-t-elle en montrant le rituel du bout du doigt, mais sans le toucher, comme si elle eût dû être souillée par cet attouchement, vous pouvez le remporter et vous en servir pour vous-même, car sans doute vous êtes doublement complice de lord Winter, complice dans sa persécution, complice dans son hérésie.
Felton ne répondit rien, prit le livre avec le même sentiment de répugnance qu’il avait déjà manifesté et se retira pensif.
Lord Winter vint vers les cinq heures du soir; milady avait eu le temps pendant toute la journée de se tracer son plan de conduite; elle le reçut en femme qui a déjà repris tous ses avantages.
—Il paraît, dit le baron en s’asseyant dans un fauteuil en face de celui qu’occupait milady et en étendant nonchalamment ses pieds sur le foyer, il paraît que nous avons fait une petite apostasie!
—Que voulez-vous dire, monsieur?
—Je veux dire que depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, nous avons changé de religion; auriez-vous épousé un troisième mari protestant, par hasard?
—Expliquez-vous, milord, reprit la prisonnière avec majesté, car je vous déclare que j’entends vos paroles, mais que je ne les comprends pas.
—Alors, c’est que vous n’avez pas de religion du tout, j’aime mieux cela, reprit en ricanant lord Winter.
—Il est certain que cela est plus selon vos principes, reprit froidement milady.
—Oh! je vous avoue que cela m’est parfaitement égal.
—Oh! vous n’avoueriez pas cette indifférence religieuse, milord, que vos débauches et vos crimes en feraient foi.
—Hein! vous parlez de débauches, madame Messaline, lady Macbeth! Ou j’ai mal entendu, ou vous êtes, pardieu, bien impudente!
—Vous parlez ainsi parce que vous savez qu’on nous écoute, monsieur, répondit froidement milady, et que vous voulez intéresser vos geôliers et vos bourreaux contre moi.
—Mes geôliers! mes bourreaux! Ouais, madame, vous le prenez sur un ton poétique, et la comédie d’hier tourne ce soir à la tragédie. Au reste, dans huit jours vous serez où vous devez être et ma tâche sera achevée.
—Tâche infâme! tâche impie! reprit milady avec l’exaltation de la victime qui provoque son juge.
—Je crois, ma parole d’honneur, dit lord Winter en se levant, que la drôlesse devient folle. Allons, allons, calmez-vous, madame la puritaine, ou je vous fais mettre au cachot. Pardieu! c’est mon vin d’Espagne qui vous monte à la tête, n’est-ce pas? mais soyez tranquille, cette ivresse-là n’est pas dangereuse et n’aura pas de suites.
Et lord Winter se retira en jurant, ce qui à cette époque était une habitude toute cavalière.
Felton était en effet derrière la porte et n’avait pas perdu un mot de toute cette scène. Milady avait deviné juste.
—Oui, va! va! dit-elle à son frère, les suites approchent, au contraire, mais tu ne les verras, imbécile, que lorsqu’il ne sera plus temps de les éviter.
Le silence se rétablit, deux heures s’écoulèrent; on apporta le souper, et l’on trouva milady occupée à faire tout haut ses prières, prières qu’elle avait apprises d’un vieux serviteur de son second mari, puritain des plus austères. Elle semblait en extase et ne parut pas même faire attention à ce qui se passait autour d’elle, Felton fit signe qu’on ne la dérangeât point, et lorsque tout fut en état il sortit sans bruit avec les soldats.
Milady savait qu’elle pouvait être épiée, elle continua donc ses prières jusqu’à la fin, et il lui sembla que le soldat qui faisait sentinelle à sa porte ne marchait plus du même pas et semblait écouter.
Pour le moment, elle n’en voulait pas davantage, elle se releva, se mit à table, mangea peu et ne but que de l’eau.
Une heure après on vint enlever la table, mais milady remarqua que cette fois Felton n’accompagnait point les soldats.
Il craignait donc de la voir trop souvent.
Elle se retourna vers le mur pour sourire, car il y avait dans ce sourire une telle expression de triomphe que ce seul sourire l’eût dénoncée. Elle laissa encore s’écouler une demi-heure, et comme en ce moment tout faisait silence dans le vieux château, comme on n’entendait que l’éternel murmure de la houle, cette respiration immense de l’Océan, de sa voix pure, harmonieuse et vibrante, elle commença le premier couplet de ce psaume alors en entière faveur près des puritains:
Ces vers n’étaient pas excellents, il s’en fallait même de beaucoup; mais, on le sait, les puritains ne se piquaient pas de poésie.
Tout en chantant, milady écoutait: le soldat de garde à sa porte s’était arrêté comme s’il eût été changé en pierre. Milady put donc juger de l’effet qu’elle avait produit.
Alors elle continua son chant avec une ferveur et un sentiment inexprimables; il lui sembla que les sons se répandaient au loin sous les voûtes et allaient comme un charme magique adoucir les cœurs de ses geôliers. Cependant il paraît que le soldat en sentinelle, zélé catholique sans doute, secoua le charme, car à travers la porte:
—Taisez-vous donc, madame, dit-il, votre chanson est triste comme un De profundis, et si, outre l’agrément d’être en garnison ici, il faut encore y entendre de pareilles choses, ce sera à n’y point tenir.
—Silence! dit alors une voix grave, que milady reconnut pour celle de Felton; de quoi vous mêlez-vous, drôle! Vous a-t-on ordonné d’empêcher cette femme de chanter? Non. On vous a dit de la garder, de tirer sur elle si elle essayait de fuir. Gardez-la; si elle fuit, tuez-la; mais ne changez rien à la consigne.
Une expression de joie indicible éclaira le visage de milady, mais cette expression fut fugitive comme le reflet d’un éclair, et, sans paraître avoir entendu le dialogue dont elle n’avait pas perdu un mot, elle reprit en donnant à sa voix tout le charme, toute l’étendue et toute la séduction que le démon y avait mis:
Cette voix, d’une étendue inouïe et d’une passion sublime, donnait à la poésie rude et inculte de ces psaumes une magie et une expression que les puritains les plus exaltés trouvaient rarement dans les chants de leurs frères, et qu’ils étaient forcés d’orner de toutes les ressources de leur imagination: Felton crut entendre chanter l’ange qui consolait les trois Hébreux dans la fournaise.
Milady continua:
Ce couplet, dans lequel la terrible enchanteresse s’efforça de mettre toute son âme, acheva de porter le désordre dans le cœur du jeune officier; il ouvrit brusquement la porte, et milady le vit apparaître pâle comme toujours, mais les yeux ardents et presque égarés.
—Pourquoi chantez-vous ainsi, dit-il, et avec une pareille voix?
—Pardon, monsieur, dit milady avec douceur, j’oubliais que mes chants ne sont pas de mise dans cette maison. Je vous ai peut-être offensé dans vos croyances; mais c’était sans le vouloir, je vous jure; pardonnez-moi donc une faute qui est peut-être grande, mais qui certainement est involontaire.
Milady était si belle dans ce moment, l’extase religieuse dans laquelle elle semblait plongée donnait une telle expression à sa physionomie, que Felton, ébloui, crut voir l’ange que tout à l’heure il croyait seulement entendre.
—Oui, oui, répondit-il, oui; vous troublez, vous agitez les gens qui habitent ce château.
Et le pauvre insensé ne s’apercevait pas lui-même de l’incohérence de ses paroles, tandis que milady plongeait son œil de lynx au plus profond de son cœur.
—Je me tairai, dit milady en baissant les yeux avec toute la douceur qu’elle put donner à sa voix, avec toute la résignation qu’elle put imprimer à son maintien.
—Non, non, madame, dit Felton; seulement, chantez moins haut, la nuit surtout.
Et à ces mots, Felton, sentant qu’il ne pourrait pas conserver longtemps sa sévérité à l’égard de la prisonnière, s’élança hors de l’appartement.
—Vous avez bien fait, lieutenant, dit le soldat; ces chants bouleversent l’âme; cependant on finit par s’y accoutumer: sa voix est si belle!
XXIV
TROISIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
Felton était venu; mais il y avait encore un pas à faire: il fallait le retenir, ou plutôt il fallait qu’il restât tout seul; et milady ne voyait encore qu’obscurément le moyen qui devait la conduire à ce résultat.
Il fallait plus encore: il fallait le faire parler, afin de lui parler aussi: car, milady le savait bien, sa plus grande séduction était dans sa voix, qui parcourait si habilement toute la gamme des tons, depuis la parole humaine jusqu’au langage céleste.
Et cependant, malgré toute cette séduction, milady pouvait échouer, car Felton était prévenu, et cela contre le moindre hasard. Dès lors, elle surveilla toutes ses actions, toutes ses paroles, jusqu’au plus simple regard de ses yeux, jusqu’à son geste, jusqu’à sa respiration, qu’on pouvait interpréter comme un soupir. Enfin, elle étudia tout, comme fait un habile comédien à qui l’on vient de donner un rôle nouveau dans un emploi qu’il n’a pas l’habitude de tenir.
Vis-à-vis de lord Winter sa conduite était plus facile; aussi avait-elle été arrêtée dès la veille. Rester muette et digne en sa présence, de temps en temps l’irriter par un dédain affecté, par un mot méprisant, le pousser à des menaces et à des violences qui faisaient un contraste avec sa résignation à elle, tel était son projet. Felton verrait: peut-être ne dirait-il rien; mais il verrait.
Le matin, Felton vint comme d’habitude; mais milady le laissa présider à tous les apprêts du déjeuner sans lui adresser la parole. Aussi, au moment où il allait se retirer, eut-elle une lueur d’espoir; car elle crut que c’était lui qui allait parler; mais ses lèvres remuèrent sans qu’aucun son sortît de sa bouche, et, faisant un effort sur lui-même, il renferma dans son cœur les paroles qui allaient s’échapper de ses lèvres, et sortit.
Vers midi, lord Winter entra.
Il faisait une assez belle journée d’hiver, et un rayon de ce pâle soleil d’Angleterre qui éclaire, mais qui ne réchauffe pas, passait à travers les barreaux de la prison.
Milady regardait par la fenêtre, et fit semblant de ne pas entendre la porte qui s’ouvrait.
—Ah! ah! dit lord Winter, après avoir fait de la comédie, après avoir fait de la tragédie, voilà que nous faisons de la mélancolie.
La prisonnière ne répondit pas.
—Oui, oui, continua lord Winter, je comprends; vous voudriez bien être en liberté sur ce rivage; vous voudriez bien, sur un bon navire, fendre les flots de cette mer verte comme de l’émeraude; vous voudriez bien, soit sur terre, soit sur l’Océan, me dresser une de ces bonnes petites embuscades comme vous savez si bien les combiner. Patience! patience! Dans quelques jours, le rivage vous sera permis, la mer vous sera ouverte, plus ouverte que vous ne le voudrez; car, dans quelques jours, l’Angleterre sera débarrassée de vous.
Milady joignit les mains, et levant ses beaux yeux vers le ciel:
—Seigneur! Seigneur! dit-elle avec une angélique suavité de geste et d’intonation, pardonnez à cet homme, comme je lui pardonne moi-même.
—Oui, prie, maudite, s’écria le baron, ta prière est d’autant plus généreuse, que tu es, je te le jure, au pouvoir d’un homme qui ne pardonnera pas.
Et il sortit.
Au moment où il sortait, un regard perçant glissa par la porte entre-bâillée, et elle aperçut Felton qui se rangeait rapidement pour n’être pas vu d’elle.
Alors, elle se jeta à genoux, et se mit à prier.
—Mon Dieu! mon Dieu! dit-elle, vous savez pour quelle sainte cause je souffre; donnez-moi donc la force de souffrir.
La porte s’ouvrit doucement; la belle suppliante fit semblant de n’en avoir pas entendu le bruit, et d’une voix pleine de larmes, elle continua:
—Dieu vengeur! Dieu de bonté! laisserez-vous s’accomplir les affreux projets de cet homme!
Alors, seulement, elle feignit d’entendre le bruit des pas de Felton, et se relevant rapide comme la pensée, elle rougit, comme si elle eût été honteuse d’avoir été surprise à genoux.
—Je n’aime point à déranger ceux qui prient, madame, dit gravement Felton; ne vous dérangez donc pas pour moi, je vous en conjure.
—Comment savez-vous que je priais, monsieur, dit milady d’une voix suffoquée par les sanglots: vous vous trompiez, monsieur, je ne priais pas.
—Pensez-vous donc, madame, répondit Felton de sa même voix grave, quoique avec un accent plus doux, que je me croie le droit d’empêcher une créature de se prosterner devant son Créateur? A Dieu ne plaise! D’ailleurs, le repentir sied bien aux coupables; quelque crime qu’il ait commis, un coupable m’est sacré aux pieds de Dieu.
—Coupable, moi! dit milady avec un sourire qui eût désarmé l’ange du jugement dernier. Coupable! mon Dieu, tu sais si je le suis! Dites que je suis condamnée, monsieur, à la bonne heure; mais, vous le savez, Dieu, qui aime les martyrs, permet que l’on condamne quelquefois les innocents.
—Fussiez-vous condamnée, fussiez-vous innocente, fussiez-vous martyre, répondit Felton, raison de plus pour prier, et moi-même je vous aiderai de mes prières.
—Oh! vous êtes un juste, vous, s’écria milady en se précipitant à ses pieds: tenez, je n’y puis tenir plus longtemps, car je crains de manquer de force au moment où il me faudra soutenir la lutte et confesser ma foi; écoutez donc la supplication d’une femme au désespoir. On vous abuse, monsieur, mais il n’est pas question de cela, je ne vous demande qu’une grâce, et, si vous me l’accordez, je vous bénirai dans ce monde et dans l’autre.
—Parlez au maître, madame, dit Felton; je ne suis heureusement chargé, moi, ni de pardonner, ni de punir, et c’est à plus haut que moi que Dieu a remis cette responsabilité.
—A vous, non, à vous seul. Écoutez-moi, plutôt que de contribuer à ma perte, plutôt que de contribuer à mon ignominie.
—Si vous avez mérité cette honte, madame, si vous avez encouru cette ignominie, il faut la subir en l’offrant à Dieu.
—Que dites-vous! Oh! vous ne me comprenez pas! Quand je parle d’ignominie, vous croyez que je parle d’un châtiment quelconque, de la prison ou de la mort! Plût au ciel! que m’importent, à moi, la mort ou la prison!
—C’est moi qui ne vous comprends plus, madame! dit Felton.
—Ou qui faites semblant de ne plus me comprendre, monsieur! répondit la prisonnière avec un sourire de doute.
—Non, madame, sur l’honneur d’un soldat, sur la foi d’un chrétien!
—Comment! vous ignorez les desseins de lord Winter sur moi?
—Je les ignore.
—Impossible, vous, son confident!
—Je ne mens jamais, madame.
—Oh! il se cache trop peu cependant pour qu’on ne les devine pas.
—Je ne cherche à rien deviner, madame; j’attends qu’on me confie, et, à part ce qu’il m’a dit devant vous, lord Winter ne m’a rien confié.
—Mais, s’écria milady avec un incroyable accent de vérité, vous n’êtes donc pas son complice, vous ne savez donc pas qu’il me destine à une honte que tous les châtiments de la terre ne sauraient égaler en horreur?
—Vous vous trompez, madame, dit Felton en rougissant, lord Winter n’est point capable d’un tel crime.
—Bon, dit milady en elle-même; sans savoir ce que c’est, il appelle cela un crime!
Puis tout haut:
—L’ami de l’infâme est capable de tout.
—Qui appelez-vous l’infâme? demanda Felton.
—Y a-t-il donc en Angleterre deux hommes à qui un semblable nom puisse convenir?
—Vous voulez parler de Georges Villiers? dit Felton, dont les regards s’enflammèrent.
—Que les païens, les gentils infidèles appellent duc de Buckingham, reprit milady; je n’aurais pas cru qu’il y aurait eu un Anglais dans toute l’Angleterre qui eût eu besoin d’une si longue explication pour reconnaître celui dont je voulais parler!
—La main du Seigneur est étendue sur lui, dit Felton, il n’échappera pas au châtiment qu’il mérite.
Felton ne faisait qu’exprimer à l’égard du duc le sentiment d’exécration que tous les Anglais avaient voué à celui que les catholiques eux-mêmes appelaient l’exacteur, le concussionnaire, le débauché, et que les puritains appelaient tout simplement Satan.
—Oh! mon Dieu! mon Dieu! s’écria milady, quand je vous supplie d’envoyer à cet homme le châtiment qui lui est dû, vous savez que ce n’est pas ma propre vengeance que je poursuis, mais que j’implore la délivrance de tout un peuple.
—Le connaissez-vous donc? demanda Felton.
—Enfin, il m’interroge,—se dit en elle-même milady au comble de la joie d’en être arrivée si vite à un si grand résultat. Oh! si je le connais! oh, oui! pour mon malheur, pour mon malheur éternel.
Et milady se tordit les bras comme arrivée au paroxysme de la douleur.
Felton sentit sans doute en lui-même que sa force l’abandonnait, et fit quelques pas vers la porte; la prisonnière, qui ne le perdait pas de vue, bondit à sa poursuite, et l’arrêta.
—Monsieur, s’écria-t-elle, soyez bon, soyez clément, écoutez ma prière: ce couteau que la fatale prudence du baron m’a enlevé, parce qu’il sait l’usage que j’en veux faire; oh! écoutez-moi jusqu’au bout! ce couteau, rendez-le-moi une minute seulement, par grâce, par pitié! j’embrasse vos genoux; voyez, car vous fermerez la porte, que ce n’est pas à vous que j’en veux. Dieu! vous en vouloir, à vous, le seul être juste, bon et compatissant que j’aie rencontré! à vous, mon sauveur peut-être! une minute, ce couteau, une minute, une seule, et je vous le rends par le guichet de la porte; rien qu’une minute, monsieur Felton, et vous m’aurez sauvé l’honneur!
—Vous tuer! s’écria Felton avec terreur, oubliant de retirer ses mains des mains de la prisonnière; vous tuer!
—J’ai dit, monsieur, murmura milady en baissant la voix et en se laissant tomber affaissée sur le parquet, j’ai dit mon secret! Il sait tout! mon Dieu, je suis perdue!
Felton demeurait debout, immobile et indécis.
—Il doute encore, pensa milady, je n’ai pas été assez vraie.
On entendit marcher dans le corridor; milady reconnut le pas de lord Winter.
Felton le reconnut aussi et fit un pas vers la porte.
Milady s’élança.
—Oh! pas un mot, dit-elle d’une voix concentrée, pas un mot à cet homme, de tout ce que je vous ai dit ou je suis perdue, et c’est vous, vous...
Puis, comme les pas se rapprochaient, elle se tut de peur qu’on n’entendit sa voix, appuyant, avec un geste de terreur infinie, sa belle main sur la bouche de Felton.
Felton repoussa doucement milady, qui alla tomber sur une chaise longue.
Lord Winter passa devant la porte sans s’arrêter, et l’on entendit le bruit des pas qui s’éloignaient.
Felton, pâle comme la mort, demeura quelques instants l’oreille tendue et écoutant, puis, quand le bruit se fut éteint tout à fait, il respira comme un homme qui sort d’un songe, et s’élança hors de l’appartement.
—Ah! dit milady en écoutant à son tour le bruit des pas de Felton, qui s’éloignaient dans la direction opposée à ceux de lord Winter, enfin tu es donc à moi!
Puis son front se rembrunit.
—S’il parle au baron, dit-elle, je suis perdue, car le baron, qui sait bien que je ne me tuerai pas, me mettra devant lui un couteau entre les mains, et il verra bien que tout ce grand désespoir n’était qu’un jeu.
Elle alla se placer devant sa glace et se regarda, jamais elle n’avait été si belle.
—Oh! oui! dit-elle en souriant, mais il ne lui parlera pas.
Le soir, lord Winter accompagna le souper.
—Monsieur, lui dit milady, votre présence est-elle un accessoire obligé de ma captivité, et ne pourriez-vous pas m’épargner ce surcroît de tortures que me causent vos visites?
—Comment donc, chère sœur! dit de Winter, ne m’avez-vous pas sentimentalement annoncé, de cette jolie bouche si cruelle pour moi aujourd’hui, que vous veniez en Angleterre à cette seule fin de me voir tout à votre aise, jouissance dont, me disiez-vous, vous ressentiez si vivement la privation, que vous avez tout risqué pour cela: mal de mer, tempête, captivité! Eh bien! me voilà, soyez satisfaite; d’ailleurs, cette fois ma visite a un motif.
Milady frissonna, elle crut que Felton avait parlé; jamais de sa vie, peut-être, cette femme, qui avait éprouvé tant d’émotions puissantes et opposées, n’avait senti battre son cœur si violemment.
Elle était assise; lord Winter prit un fauteuil, le tira à ses côtés et s’assit auprès d’elle, puis prenant dans sa poche un papier qu’il déploya lentement:
—Tenez, lui dit-il, je voulais vous montrer cette espèce de passeport que j’ai rédigé moi-même et qui vous servira désormais de numéro d’ordre dans la vie que je consens à vous laisser.
Puis ramenant ses yeux de milady sur le papier, il lut:
«Ordre de conduire à...» Le nom est en blanc, interrompit de Winter: si vous avez quelque préférence, vous me l’indiquerez; et pour peu que ce soit à un millier de lieues de Londres, il sera fait droit à votre requête. Je reprends donc: «Ordre de conduire à... la nommée Charlotte Backson, flétrie par la justice du royaume de France, mais libérée après châtiment; elle demeurera dans cette résidence, sans jamais s’en écarter de plus de trois lieues. En cas de tentative d’évasion, la peine de mort lui sera appliquée. Elle touchera cinq schellings par jour pour son logement et sa nourriture.»
—Cet ordre ne me concerne pas, répondit froidement milady, puisqu’un autre nom que le mien y est porté.
—Un nom! Est-ce que vous en avez un?
—J’ai celui de votre frère.
—Vous vous trompez, mon frère n’est que votre second mari, et le premier vit encore. Dites-moi son nom et je le mettrai en place du nom de Charlotte Backson. Non?... vous ne voulez pas?... vous gardez le silence? C’est bien! vous serez écrouée sous le nom de Charlotte Backson.
Milady demeura silencieuse; seulement, cette fois ce n’était plus par affectation, mais par terreur: elle crut l’ordre prêt à être exécuté: elle pensa que lord Winter avait avancé son départ; elle crut alors qu’elle était condamnée à partir le soir même. Tout dans son esprit fut donc perdu pendant un instant, quand tout à coup elle s’aperçut que l’ordre n’était revêtu d’aucune signature.
La joie qu’elle ressentit de cette découverte fut si grande, qu’elle ne put la cacher.
—Oui, oui, dit lord Winter, qui s’aperçut de ce qui se passait en elle, oui, vous cherchez la signature, et vous vous dites: tout n’est pas perdu, puisque cet acte n’est pas signé; on me le montre pour m’effrayer, voilà tout. Vous vous trompez: demain cet ordre sera envoyé à lord Buckingham; après-demain il reviendra signé de sa main et revêtu de son sceau, et vingt-quatre heures après, c’est moi qui vous en réponds, il recevra son commencement d’exécution. Adieu, madame, voilà tout ce que j’avais à vous dire.
—Et moi je vous répondrai, monsieur, que cet abus de pouvoir, que cet exil sous un nom supposé sont une infamie.
—Aimez-vous mieux être pendue sous votre vrai nom, milady? Vous le savez, les lois anglaises sont inexorables sur l’abus que l’on fait du mariage; expliquez-vous franchement: quoique mon nom ou plutôt le nom de mon frère se trouve mêlé dans tout cela, je risquerai le scandale d’un procès public pour être sûr que du coup je serai débarrassé de vous.
Milady ne répondit pas.
—Oh! je vois que vous aimez mieux la pérégrination. A merveille, madame, et il y a un vieux proverbe qui dit que les voyages forment la jeunesse. Ma foi! vous n’avez pas tort, après tout, et la vie est bonne. C’est pour cela que je ne me soucie pas que vous me l’ôtiez. Reste donc à régler l’affaire des cinq schellings; je me montre un peu parcimonieux, n’est-ce pas? cela tient à ce que je ne me soucie pas que vous corrompiez vos gardiens. D’ailleurs il vous restera toujours vos charmes pour les séduire. Usez-en si votre échec avec Felton ne vous a pas dégoûtée des tentatives de ce genre.
—Felton n’a point parlé, se dit milady à elle-même, rien n’est perdu alors.
—Et maintenant, madame, à vous revoir. Demain je viendrai vous annoncer le départ de mon messager.
Lord Winter se leva, salua ironiquement milady et sortit.
Milady respira: elle avait quatre jours encore devant elle; quatre jours lui suffiraient pour achever de séduire Felton.
Cependant une idée terrible lui venait, c’est que lord Winter enverrait peut-être Felton lui-même pour faire signer l’ordre à Buckingham; de cette façon Felton lui échappait, et pour que la prisonnière réussît il fallait la magie d’une séduction continue.
Cependant, comme nous l’avons dit, une chose la rassurait: Felton n’avait pas parlé.
Elle ne voulut point paraître émue par les menaces de lord Winter, elle se mit à table et mangea.
Puis, comme elle avait fait la veille, elle se mit à genoux, et répéta tout haut ses prières. Comme la veille, le soldat cessa de marcher et s’arrêta pour l’écouter.
Bientôt elle entendit des pas plus légers que ceux de la sentinelle qui venaient du fond du corridor et qui s’arrêtaient devant sa porte.
—C’est lui, dit-elle.
Et elle commença le même chant religieux qui, la veille, avait si violemment exalté Felton.
Mais, quoique sa voix douce, pleine et sonore eût vibré plus harmonieuse et plus déchirante que jamais, la porte resta close. Il parut bien à milady, dans un des regards furtifs qu’elle lançait sur le petit guichet, apercevoir à travers le grillage serré les yeux ardents du jeune homme; mais, que ce fût une réalité ou une vision, cette fois il eut sur lui-même la puissance de ne pas entrer.
Seulement, quelques instants après qu’elle eut fini son chant religieux, milady crut entendre un profond soupir; puis, les mêmes pas qui s’étaient approchés s’éloignèrent lentement et comme à regret.
XXV
QUATRIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ
Le lendemain, lorsque Felton entra chez milady, il la trouva debout, montée sur un fauteuil, tenant entre ses mains une corde tissée à l’aide de quelques mouchoirs de batiste déchirés en lanières tressées les unes avec les autres et attachées bout à bout; au bruit que fit Felton en ouvrant la porte, milady sauta légèrement à terre de son fauteuil, et essaya de cacher derrière elle cette corde improvisée, qu’elle tenait à la main.
Le jeune homme était plus pâle encore que d’habitude, et ses yeux rougis par l’insomnie indiquaient qu’il avait passé une nuit fiévreuse.
Cependant son front était armé d’une sévérité plus austère que jamais.
Il s’avança lentement vers milady, qui s’était assise, et prenant un bout de la tresse meurtrière que par mégarde ou à dessein peut-être elle avait laissée passer:
—Qu’est-ce que cela, madame? demanda-t-il froidement.
—Cela? rien, dit milady en souriant avec cette expression douloureuse qu’elle savait si bien donner à son sourire, l’ennui est l’ennemi mortel des prisonniers, je m’ennuyais et je me suis amusée à tresser cette corde.