← Retour

Les voyageurs du XIXe siècle

16px
100%

Deux soldats me tenaient par le bout d'une corde. (Page 59.)

Ils n'en virent pas moins Daba, où se trouve une lamanerie très importante, Gortope, Maïsar, et, à un quart de mille de Tirtapouri, de curieuses sources d'eau chaude.

«L'eau, dit la relation originale reproduite dans les Annales des Voyages, sort par deux embouchures de six pouces de diamètre d'un plateau calcaire de trois milles d'étendue et élevé presque partout de dix à douze pieds au-dessus de la plaine qui l'environne. Il a été formé par les dépôts terreux laissés par l'eau en se refroidissant. L'eau s'élève à quatre pouces au-dessus du niveau du plateau. Elle est très claire, et si chaude, que l'on n'y peut pas tenir la main plus de quelques secondes. Tout à l'entour, on voit un gros nuage de fumée. L'eau, coulant sur une surface presque horizontale, creuse des bassins de formes différentes, qui, à force de recevoir des dépôts terreux, se resserrent; les fonds se haussent, et l'eau creuse un nouveau réservoir, qui se remplit à son tour. Elle coule ainsi des uns dans les autres jusqu'à ce qu'elle arrive dans la plaine. Le dépôt terreux qu'elle laisse est d'abord, proche d'une des ouvertures, aussi blanc que le stuc le plus pur; un peu plus loin, jaune paille, et plus loin encore, jaune safran. A l'autre source, il est d'abord couleur de rose, puis devient d'un rouge foncé. Ces différentes teintes se retrouvent dans le plateau calcaire, qui doit être l'œuvre des siècles.»

Tintapouri, résidence d'un lama, est, depuis une très haute antiquité, le rendez-vous le plus fréquenté des fidèles, comme le prouve un mur de plus de quatre cents pieds de long sur quatre de large, formé de pierres sur lesquelles sont inscrites des prières.

Les voyageurs partirent de ce lieu le 1er août, afin de gagner le lac Mansarovar, et laissèrent sur leur droite le lac Ravahnrad, qui passait pour donner naissance à la principale branche du Setledje.

Le lac Mansarovar est creusé au pied d'immenses prairies en pente que dominent au sud des montagnes gigantesques. De tous les lieux que les Hindous vénèrent, il n'en est pas de plus sacré. Cela tient sans doute à son éloignement de l'Hindoustan, aux fatigues et aux dangers de la route, enfin à la nécessité d'emporter avec soi argent et provisions.

Les géographes hindous faisaient sortir de cette nappe d'eau le Gange, le Setledje et le Kali. Moorcroft n'avait aucun doute sur la fausseté de la première de ces assertions. Résolu à vérifier les deux autres, il longea les rives escarpées et coupées de profondes ravines de ce lac, il vit un grand nombre de cours d'eau qui s'y jetaient; pas un n'en sortait. Il est possible qu'avant le tremblement de terre qui ruina Srinagar, le Mansarovar ait eu un émissaire, mais Moorcroft n'en trouva pas trace. Situé entre l'Himalaya et la chaîne du Caïlas, de forme oblongue irrégulière, ce lac a cinq lieues de longueur sur quatre de largeur.

Le but de la mission étant rempli, Moorcroft et Hearsay revinrent vers l'Inde, passèrent à Gangri et virent Ravahnrad, mais Moorcroft était trop faible pour en faire le tour; il regagna Tirtapouri, puis Daba, et eut beaucoup à souffrir en traversant le Ghat, ou passage qui sépare l'Hindoustan du Thibet.

«Le vent qui vient des montagnes du Bouthan, couvertes de neige, dit la relation, est froid et perçant, la montée a été longue et pénible, la descente raide et glissante, et a exigé bien des précautions. En général, nous avons beaucoup souffert. Nos chèvres, par la négligence de leurs conducteurs, s'étaient écartées de la route et avaient grimpé sur le bord d'un précipice élevé de cinq cents pieds au-dessus. Un montagnard les dérangea de ce poste dangereux; elles se mirent à descendre en courant une pente très escarpée. Les dernières dérangèrent des cailloux qui, en tombant avec violence, menaçaient de frapper celles qui se trouvaient les premières; c'était une chose curieuse de voir avec quelle adresse celles-ci, en continuant à courir, évitaient l'atteinte des pierres.»

Bientôt les Gorkhalis, qui se sont jusqu'alors contenté de mettre obstacle à la marche des voyageurs, les serrent de près et veulent les arrêter. La fermeté des Anglais contint longtemps ces sauvages fanatiques, mais enfin leur nombre leur donna du courage, et ils tombèrent sur le camp.

«Vingt hommes se précipitèrent sur moi, dit Moorcroft; l'un me prit par le cou et, appuyant son genou contre mes reins, essayait de m'étrangler en serrant ma cravate; un autre attacha une corde à l'une de mes jambes et me tira en arrière; j'étais sur le point de m'évanouir. Mon fusil, sur lequel je m'appuyais, m'échappa, je tombai; on me tira par les pieds jusqu'à ce que je fusse garrotté. Quand je me relevai, rien n'égala l'expression de joie féroce qui se peignit sur le visage de mes vainqueurs. De crainte que je parvinsse à m'échapper, deux soldats me tenaient par le bout d'une corde, et m'en donnaient de temps en temps un bon coup, sans doute pour me rappeler ma position. Il paraît que M. Hearsay ne prévoyait guère que nous serions attaqués si tôt; il se rinçait la bouche quand la bagarre commença et n'entendit pas mes cris qui l'appelaient à mon secours. Nos gens ne se trouvaient pas auprès du peu d'armes que nous avions; quelques-uns s'échappèrent, je ne sais comment; les autres furent arrêtés, ainsi que M. Hearsay. On ne le lia pas comme moi, on se contenta de lui tenir les bras.»

Le chef de cette bande apprit aux deux Anglais qu'ils étaient reconnus et arrêtés pour avoir traversé le pays sous le déguisement de pèlerins hindous. Un fakir, que Moorcroft avait engagé comme chévrier, parvint cependant à s'échapper et à porter deux lettres aux autorités anglaises. Les démarches furent faites aussitôt, et, le 1er novembre, les explorateurs étaient relâchés. Non seulement on leur faisait des excuses, mais on leur rendait ce qu'on leur avait pris, et le rajah du Népaul leur permettait de quitter son pays. Tout est bien qui finit bien!

Il reste à rappeler, pour être complet, la course de M. Fraser dans l'Himalaya et l'exploration de Hodgson aux sources du Gange, en 1817.

Le capitaine Webb avait, par lui-même, comme nous l'avons dit, reconnu le cours de ce fleuve depuis la vallée de Dhoun jusqu'à Cadjani, près de Reital. Le capitaine Hodgson partit de cet endroit, le 28 mai 1817, et parvint, trois jours après, à la source du Gange, au delà de Gangautri. Il vit le fleuve sortir d'une voûte basse, au milieu d'une masse énorme de neige glacée, qui avait plus de trois cents pieds de hauteur perpendiculaire. Le cours d'eau était déjà respectable, n'ayant pas moins de vingt-sept pieds de largeur moyenne et dix-huit pouces de profondeur.

Selon toute probabilité, c'est en cet endroit que le Gange apparaît pour la première fois à la lumière. Quelle est sa longueur sous la neige glacée? Est-il le produit de la fonte de ces neiges? Sourd-il de terre? Voilà des points qu'aurait désiré résoudre le capitaine Hodgson; mais, ayant voulu remonter plus haut que les guides n'y consentaient, l'explorateur s'enfonça dans la neige jusqu'au cou et fut forcé de revenir à grand'peine sur ses pas. L'endroit d'où sort le Gange est situé à douze mille neuf cent quatorze pieds au-dessus du niveau de la mer, dans l'Himalaya même.

Hodgson fit aussi des recherches sur la source de la Jumna. A Djemautri, la masse de neige d'où la rivière s'échappe n'a pas moins de cent quatre-vingts pieds de largeur et plus de quarante pieds d'épaisseur entre deux murailles de granit perpendiculaires. Cette source est située sur le versant sud-est de l'Himalaya.

Si la domination des Anglais dans l'Inde avait pris une extension considérable, il n'en est pas moins vrai que cette extension même était un danger. Toutes ces populations de races diverses, dont plusieurs avaient derrière elles un passé glorieux, n'avaient été soumises que grâce au principe politique si connu, qui consiste à diviser pour régner. Mais ne pouvaient-elles pas un jour imposer silence à leurs rivalités et à leurs inimitiés pour se retourner contre l'étranger?

Cette perspective envisagée froidement par la Compagnie, toutes ses actions devaient tendre à l'application du système qui avait si bien réussi jusqu'alors. Certains États voisins, encore assez puissants pour porter ombrage à la puissance britannique, pouvaient servir de refuge aux mécontents et devenir le foyer d'intrigues dangereuses. Or, de tous ces empires voisins, celui qui devait être le plus étroitement surveillé était la Perse, non pas seulement à cause du voisinage de la Russie, mais parce que Napoléon avait eu une idée de génie que ses guerres d'Europe ne lui permirent pas de mettre à exécution.

Au mois de février 1807, le général de Gardane, qui avait gagné ses grades pendant les guerres de la République et s'était distingué à Austerlitz, à Iéna, à Eylau, fut nommé ministre plénipotentiaire en Perse, avec mission de s'allier au shah Feth-Ali contre l'Angleterre et la Russie. Le choix était heureux, car un des ancêtres du général Gardane avait rempli une semblable mission à la cour du Shah. Gardane traversa la Hongrie, gagna Constantinople et l'Asie Mineure; mais lorsqu'il parvint en Perse, Abbas Mirza avait succédé à son père Feth-Ali.

Le nouveau shah reçut l'ambassadeur français avec distinction, le combla de présents, octroya quelques privilèges aux catholiques et aux négociants français. Ce fut d'ailleurs le seul résultat de cette mission, qui fut contrecarrée par le général anglais Malcolm, dont l'influence était alors prépondérante. L'année suivante, Gardane, découragé, voyant toutes ses tentatives déjouées et comprenant qu'il ne pouvait espérer aucun succès, rentrait en France.

Son frère, Ange de Gardane, qui lui avait servi de secrétaire, rapportait une assez courte relation du voyage,—ouvrage qui contient quelques détails curieux sur les antiquités de la Perse, mais que devaient de beaucoup dépasser les ouvrages publiés par les Anglais.

Il faut également rattacher à la mission de Gardane la relation d'un consul français, Adrien Dupré, qui avait été attaché à cette ambassade. Elle a été publiée sous le titre de Voyage en Perse, fait dans les années 1807 à 1809, en traversant l'Anatolie, la Mésopotamie, depuis Constantinople jusqu'à l'extrémité du golfe Persique et de là à Irwan, suivi de détails sur les mœurs, les usages et le commerce des Persans, sur la cour de Téhéran, et d'une notice des tribus de la Perse. L'ouvrage tient en grande partie les promesses du titre, et c'est une bonne contribution à la géographie et à l'ethnographie de la Perse.

Les Anglais, qui firent un bien plus long séjour en ce pays que les Français, étaient par cela même plus aptes à réunir des matériaux autrement abondants et à faire un choix judicieux entre les informations qu'ils avaient recueillies.

Deux ouvrages surtout firent longtemps autorité: ce sont d'abord les deux relations de James Morier; les loisirs que lui laissait sa position de secrétaire d'ambassade, il les mit à profit pour s'initier à tous les détails des mœurs des Persans, et, de retour en Angleterre, il publia plusieurs romans orientaux, auxquels la variété des tableaux, la fidélité minutieuse des peintures, la nouveauté du cadre, assurèrent un succès retentissant.

C'est, en second lieu, le gros mémoire géographique in-4o, de John Macdonald-Kinneir, sur l'empire de Perse. Cet ouvrage, qui a fait date et qui laissait bien loin derrière lui tout ce qui avait été publié jusqu'alors, ne nous fournit pas seulement les informations les plus précises sur les bornes du pays, ses montagnes, ses rivières et son climat, comme son titre pourrait le faire croire, il renferme aussi sur le gouvernement, sur la constitution, les forces militaires, le commerce, les productions animales, végétales et minérales, sur la population et le revenu, les documents les plus exacts.

Puis, après avoir décrit dans un vaste et lumineux tableau d'ensemble les forces matérielles et morales de l'empire de la Perse, Kinneir passe à la description des différentes provinces, sur lesquelles il avait entassé une masse de documents des plus intéressants, qui ont fait de son ouvrage, jusqu'à ces derniers temps, le travail le plus complet et le plus impartial qui ait été publié.

C'est que, de 1808 à 1814, Kinneir avait parcouru en bien des directions différentes l'Asie Mineure, l'Arménie et le Kurdistan. Les diverses positions qu'il avait occupées, les missions dont il avait été chargé, l'avaient mis à même de bien voir et de comparer. Qu'il fût capitaine au service de la Compagnie, agent politique auprès du nabab de Carnatic, ou simple voyageur, l'esprit critique de Kinneir était toujours en éveil, et bien des événements, des révolutions, dont les causes auraient échappé à tant d'autres explorateurs, s'expliquaient, pour lui, par la connaissance qu'il avait acquise des mœurs, des usages et du caractère des Orientaux.

A la même époque, un autre capitaine au service de la Compagnie des Indes, William Price, qui avait été attaché en 1810 comme interprète et secrétaire adjoint auprès de l'ambassade de sir Gore Ouseley, en Perse, avait dirigé ses études sur le déchiffrement des caractères cunéiformes. Bien d'autres s'y étaient déjà essayés, qui étaient arrivés aux résultats les plus bizarres et les plus fantastiques. Comme toutes celles de ses contemporains, les vues de Price furent hasardées et ses explications fort peu satisfaisantes; mais il eut le talent d'intéresser un certain public à la recherche de ce difficile problème, en même temps qu'il continuait la tradition de Niebuhr et des autres orientalistes.

On lui doit le récit du voyage de l'ambassade anglaise à la cour de Perse, à la suite duquel il a publié deux mémoires sur les antiquités de Persépolis et de Babylone.

A son tour, le frère de sir Gore Ouseley, William Ouseley, qui l'avait accompagné en qualité de secrétaire, avait profité de son séjour à la cour de Téhéran pour étudier la Perse. Seulement, ses travaux ne portèrent ni sur la géographie ni sur l'économie politique; il les restreignit aux inscriptions, aux médailles, aux manuscrits, à la littérature, en un mot à tout ce qui touchait à l'histoire intellectuelle ou matérielle du pays. C'est ainsi qu'on lui doit une édition de Firdousi et tant d'autres ouvrages, qui sont heureusement venus, à côté de ceux que nous venons de citer, pour compléter les connaissances déjà recueillies sur le pays des shahs.

Mais il est une autre contrée, demi-asiatique, demi-européenne, que l'on commençait aussi de mieux connaître. Nous voulons parler de la région caucasique.

Déjà, dans la dernière moitié du XVIIIe siècle, un médecin russe, Jean-Antoine Guldenstædt, avait visité Astrakan, Kislar sur le Térek à l'extrême frontière des possessions russes; il était entré en Géorgie, où le czar Héraclius l'avait accueilli avec distinction; il avait vu Tiflis et le pays des Truchmènes, et était parvenu en Iméritie. L'année suivante, 1773, il avait visité la grande Kabardie, la Kumanie orientale, exploré les ruines de Madjary, gagné Tscherkask, Azow, reconnu les bouches du Don, et il se promettait de terminer cette vaste exploration par l'étude de la Crimée lorsqu'il fut rappelé à Saint-Pétersbourg.

Les voyages de Guldenstædt n'ont pas été traduits en français; publiés incomplètement par leur auteur, que la mort vint surprendre au milieu de leur rédaction, ils eurent pour éditeur, à Saint-Pétersbourg, un jeune Prussien, Henri-Jules de Klaproth, qui devait explorer les mêmes contrées.

Né à Berlin le 11 octobre 1783, Klaproth montra dès l'âge le plus tendre des dispositions étonnantes pour l'étude des langues orientales. A quinze ans, il apprenait tout seul le chinois, et à peine avait-il terminé ses études aux universités de Halle et de Dresde, qu'il commençait la publication de son journal, le Magasin asiatique. Attiré en Russie par le comte Potocki, il fut aussitôt nommé membre-adjoint pour les langues orientales à l'Académie de Saint-Pétersbourg.

Klaproth n'appartenait pas à cette race estimable de savants en chambre, qui se contentent de veiller sur des livres. Il comprenait la science d'une manière plus large. Pour lui, il n'y avait pas de manière plus certaine d'arriver à une connaissance parfaite des langues de l'Asie et des mœurs et des habitudes de l'Orient que d'aller les étudier sur place.

Klaproth demanda donc l'autorisation d'accompagner l'ambassadeur Golowkin, qui se rendait en Chine par l'Asie. Dès qu'il eut obtenu la permission nécessaire, le savant voyageur partit seul pour la Sibérie, s'arrêtant tour à tour chez les Samoyèdes, les Tongouses, les Bashkirs, les Jakoutes, les Kirghises, et bien d'autres peuplades finnoises ou tartares, qui errent dans ces déserts immenses. Puis, il arriva à Jakoutsk, où il fut bientôt rejoint par l'ambassadeur Golowkin. Après une halte à Kiatka, celui-ci franchit la frontière chinoise, le 1er janvier 1806.

Quinze Ossètes m'accompagnèrent. (Page 67.)

Mais le vice-roi de Mongolie voulut soumettre l'ambassadeur à des cérémonies que celui-ci considérait comme humiliantes. Or, ni l'un ni l'autre ne voulant rien diminuer de leurs prétentions, l'ambassade dut reprendre le chemin de Saint-Pétersbourg. Klaproth, peu désireux de suivre la route qu'il avait déjà parcourue et préférant visiter des peuplades nouvelles pour lui, traversa le sud de la Sibérie et recueillit pendant ce long voyage de vingt mois une collection importante de livres chinois, mandchous, thibétains et mongols, qu'il utilisa dans son grand travail qui porte le nom d'Asia polyglotta.

Il vit le Missouri se précipiter en une seule nappe. (Page 72.)

Nommé, à sa rentrée à Saint-Pétersbourg, académicien extraordinaire, il fut, peu après, chargé, sur la proposition du comte Potocki, d'une mission historique, archéologique et géographique dans le Caucase. Klaproth passa une année entière en courses, souvent périlleuses, au milieu de populations pillardes, dans des contrées difficiles, et il visita les pays qu'avait parcourus Guldenstædt à la fin du siècle précédent.

«Tiflis, dit Klaproth,—et sa description est curieuse lorsqu'on la rapproche de celles des auteurs contemporains,—Tiflis, ainsi nommée à cause de ses eaux thermales, se divise en trois parties: Tiflis proprement dite ou l'ancienne ville, Kala ou la forteresse, et le faubourg d'Isni. Baignée par le Kour, cette ville n'offrait, dans la moitié de son enceinte, que des décombres. Ses rues étaient si étroites, qu'un «arba», un de ces carrosses haut perchés qui figurent si souvent dans les vues de l'Orient, n'y pouvait aisément passer, et c'étaient les plus larges; quant aux autres, un cavalier n'y trouvait qu'un passage à peine suffisant. Les maisons, mal bâties en cailloux et en briques liées par de la boue, ne duraient qu'une quinzaine d'années. Tiflis avait deux marchés, mais tout y était extrêmement cher, et les châles ainsi que les étoffes de soie, qui sont le produit de manufactures asiatiques voisines, y atteignaient des prix plus élevés qu'à Saint-Pétersbourg.

Parler de Tiflis sans dire quelques mots de ses eaux chaudes est impossible. Nous citerons donc ce passage de Klaproth:

«Les fameux bains chauds étaient autrefois magnifiques, mais ils tombent en ruines; cependant, on en voit plusieurs dont les parois et les planchers sont revêtus de marbre. L'eau contient peu de soufre. L'usage en est très salutaire; les indigènes et surtout les femmes en font usage jusqu'à l'excès; ces dernières y restent des journées entières et y apportent leurs repas.»

La base de l'alimentation, dans les districts montagneux du moins, est le «phouri», sorte de pain très dur et d'un goût désagréable, dont la préparation singulière répugne à nos idées sybarites.

«Quand la pâte est suffisamment pétrie, dit la relation, on fait, avec du bois bien sec, un feu clair et vif dans des vases de terre hauts de quatre pieds, larges de deux et enfoncés dans le sol. Dès que le feu est bien ardent, les Géorgiennes y secouent leurs chemises et leurs culottes de soie rouge pour faire tomber dans les flammes la vermine qui infeste ces vêtements. Ce n'est qu'après cette cérémonie que l'on jette dans les pots la pâte partagée en morceaux de la grosseur de deux poings; on bouche aussitôt l'ouverture avec un couvercle et on le recouvre avec des chiffons, afin qu'il ne se perde rien de la chaleur et que le pain se cuise bien. Ce phouri est néanmoins toujours mal cuit et de très difficile digestion.»

Après avoir décrit ce qui forme la base de tout festin chez le pauvre montagnard, assistons maintenant avec Klaproth à un repas de prince.

«On étendit devant nous, dit-il, une longue nappe rayée, large d'une aune et demie et très sale; on y posa, pour chaque convive, un pain de froment ovale, long de trois empans, large de deux et à peine de l'épaisseur du doigt. On apporta ensuite un grand nombre de petites jattes de laiton remplies de chair de mouton et de riz au bouillon, des poules rôties et du fromage coupé en tranches. On servit au prince et aux Géorgiens du saumon fumé avec des herbages verts et crus, parce que c'était jour de jeûne. On ne sait en Géorgie ce que c'est que des cuillères, des fourchettes, des couteaux; on boit la soupe à même la jatte; on prend la viande avec les mains et on la déchire avec les doigts en morceaux de la grosseur d'une bouchée. Quand on a beaucoup d'amitié pour quelqu'un, on lui jette un bon morceau. On pose les mets sur la nappe. Ce repas fini, on servit des raisins et des fruits secs. Pendant que l'on mangeait, on versa abondamment, à la ronde, de bon vin rouge du pays qui se nomme «traktir» en tartare et «ghwino» en géorgien; on le but dans une jatte d'argent très plate, assez semblable à une soucoupe.»

Si ce tableau des mœurs est piquant, la manière dont Klaproth raconte les différents incidents de son voyage n'est pas non plus sans intérêt. Écoutez plutôt ce récit de l'excursion du voyageur aux sources du Térek, sources dont Guldenstædt avait assez exactement indiqué l'emplacement, mais qu'il n'avait pas vues:

«Je partis du village d'Outsfars-Kan, le 17 mars, par une matinée belle mais froide. Quinze Ossètes m'accompagnaient. Après une demi-heure de marche, nous avons commencé à gravir, par une route escarpée et difficile, jusqu'au point où l'Outsfar-Don se jette dans le Térek. Nous avons eu ensuite pendant une lieue un chemin encore plus mauvais le long de la rive droite de cette rivière, qui a ici à peine dix pas de large; elle était cependant gonflée par la fonte des neiges. Ce côté de ses bords est inhabité. Nous avons continué à monter, et nous avons atteint le pied du Khoki, nommé aussi Istir-Khoki. Nous sommes enfin arrivés à un lieu où de grosses pierres amoncelées dans la rivière en facilitaient le passage pour entrer dans le village de Tsiwratté-Kan, où nous avons déjeuné; c'est là que se réunissent les petits courants d'eau qui forment le Térek. Satisfait d'être parvenu au but de mon voyage, je versai un verre de vin de Hongrie dans le fleuve et je fis une seconde libation au génie de la montagne dont le Térek tire sa source. Les Ossètes, qui crurent que je m'acquittais d'un devoir religieux, me contemplèrent avec recueillement. Je fis tracer en couleur rouge, sur un énorme rocher schisteux dont les pans étaient lisses, la date de mon voyage, ainsi que mon nom et celui de mes compagnons, ensuite je montai encore un peu, jusqu'au village de Ressi.»

A la suite de ce récit de voyage, dont nous pourrions multiplier les extraits, Klaproth résume les informations qu'il a recueillies sur les populations du Caucase et insiste tout particulièrement sur les ressemblances marquées que présentent les différents dialectes géorgiens avec les langues finnoises et wogoules. C'était là un rapprochement nouveau et fécond.

Parlant des Lesghiens, qui occupent le Caucase oriental et dont le territoire porte le nom de Daghestan ou Lezghistan, Klaproth dit qu'on ne doit se servir du mot Lesghien «que comme on employait autrefois celui de Scythe ou de Tartare pour désigner les Asiatiques du nord;» puis, il ajoute un peu plus tard qu'ils sont loin de former une même nation, comme l'indique le nombre des dialectes parlés, «qui, cependant, paraissent dériver d'une source commune, quoique le temps les ait considérablement altérés.» Il y a là une contradiction singulière: ou les Lesghiens, parlant la même langue, forment une même nation, ou bien, ne formant pas une même nation, ils ne doivent pas parler des dialectes dont l'origine est la même.

Suivant Klaproth, les mots lesghiens montrent beaucoup de rapports avec d'autres langues du Caucase et avec celles de l'Asie septentrionale, principalement avec les dialectes samoyèdes et finnois de la Sibérie.

A l'ouest et au nord-ouest des Lesghiens, on trouve les Metzdjeghis ou Tchetchentses, qui sont vraisemblablement les plus anciens habitants du Caucase. Tel n'était pas, cependant, l'avis de Pallas, qui voyait en eux une tribu séparée des Alains. La langue des Tchetchentses offre beaucoup de ressemblance et d'analogie avec le samoyède, le wogoule et d'autres langues sibériennes, et même avec les dialectes slaves.

Les Tcherkesses ou Circassiens sont les Sykhes des Grecs. Ils habitaient jadis le Caucase oriental et la presqu'île de Crimée, mais ils ont souvent changé de demeure. Leur langue diffère beaucoup des autres idiomes caucasiens, bien que les Tcherkesses «appartiennent, ainsi que les Wogouls et les Ostiakes—on vient de voir que le lesghien et la langue des Tchetchentses ressemblent à ces idiomes sibériens,—à une même souche, qui, à une époque très reculée, s'est divisée en plusieurs branches, dont une était formée vraisemblablement par les Huns.» La langue des Tcherkesses est l'une des plus difficiles à prononcer; certaines consonnes doivent être articulées d'un coup de gosier si fort, qu'aucun Européen n'en peut rendre les sons.

On trouve encore, dans le Caucase, les Abazes, qui n'ont jamais abandonné les bords de la mer Noire, où ils sont établis de toute antiquité, et les Ossètes ou As, qui appartiennent à la souche des nations indo-germaniques. Ils appellent leur pays Ironistan et se donnent le nom d'Iron. Klaproth voit en eux des Mèdes Sarmates, non seulement à cause de ce nom, qu'il rapproche d'Iran, mais par la nature même de la langue, «qui prouve encore mieux que les documents historiques, et même d'une manière incontestable, qu'ils appartiennent à la même souche que les Mèdes et les Perses.» Vue qui nous paraît tout à fait hypothétique, car on connaissait trop peu, à l'époque de Klaproth, la langue des Mèdes—le déchiffrement des inscriptions cunéiformes n'avait pas encore été accompli—pour qu'on pût juger de sa ressemblance avec l'idiome que parlent les Ossètes.

«Cependant, continue Klaproth, après avoir retrouvé dans ce peuple les Sarmates Mèdes des anciens, il est encore plus surprenant d'y reconnaître aussi les Alains qui occupaient la contrée au nord du Caucase.»

Et plus loin:

«Il résulte évidemment de tout ce qui précède, que les Ossètes, qui se nomment eux-mêmes Iron, sont les Mèdes, qui se donnaient à eux-mêmes le nom d'Iran et qu'Hérodote désigne par celui d'Arioi. Ils sont encore les Mèdes Sarmates des anciens et appartiennent à la colonie médique établie dans le Caucase par les Scythes. Ils sont les As ou Alains du moyen âge; ils sont enfin les Iasses des chroniques russes, d'après lesquelles une partie des monts Caucase fut nommée les monts Iassiques.»

Ce n'est pas ici le lieu de discuter ces identifications, qui prêtent à la critique. Contentons-nous d'ajouter cette réflexion de Klaproth sur la langue Ossète, que sa prononciation ressemble beaucoup à celle des dialectes bas-allemands et slaves.

Quant aux Géorgiens, ils diffèrent essentiellement des nations voisines, aussi bien par la langue que par les qualités physiques et morales. Ils se partagent en quatre tribus principales, les Karthouli, les Mingréliens, les Souanes, habitants des Alpes méridionales du Caucase, et les Lazes, tribu sauvage et adonnée au brigandage.

Comme on le voit, les informations recueillies par Klaproth sont fort curieuses et jettent un jour inattendu sur les migrations des anciens peuples. La pénétration et la sagacité du voyageur étaient extraordinaires, sa mémoire prodigieuse. Aussi le savant Berlinois rendit-il de signalés services à la linguistique. Il est fâcheux que les qualités de l'homme, sa délicatesse, la douceur de son caractère, n'aient pas été à la hauteur de la science et de la perspicacité du professeur.

Il faut maintenant quitter l'ancien monde pour le nouveau et raconter les explorations de la jeune république des États-Unis.

Dès que le gouvernement fédéral fut sorti des embarras de la guerre, dès que son existence fut reconnue et qu'il fut véritablement constitué, l'attention publique se porta vers ces pays des fourrures qui avaient tour à tour attiré les Anglais, les Espagnols et les Français. La baie de Nootka et les côtes voisines, que le grand Cook et les habiles Quadra, Vancouver et Marchand avaient reconnues, étaient américaines. Déjà même la doctrine Monroë, qui devait plus tard faire tant de bruit, était en germe dans l'esprit des hommes d'État de cette époque.

Sur une proposition faite au Congrès, le capitaine Meryweather Lewis et le lieutenant William Clarke furent chargés de reconnaître le Missouri depuis son embouchure dans le Mississipi jusqu'à sa source, de traverser les montagnes Rocheuses par le passage le plus court et le plus facile, qui mettrait en communication le golfe du Mexique et l'océan Pacifique. Ces officiers devaient en outre entrer en relations commerciales avec les Indiens qu'ils pourraient rencontrer.

L'expédition se composait de troupes réglées et de volontaires, dont le nombre, y compris les chefs, formait un total de quarante-trois hommes. Un bateau et deux pirogues complétaient leur armement.

Ce fut le 14 mai 1804 que les Américains quittèrent la Wood-river, qui se jette dans le Mississipi, pour entrer dans le Missouri. D'après les réflexions insérées dans le journal publié par Gass, les membres de cette mission s'attendaient à rencontrer les plus grands périls naturels, et à lutter contre des sauvages d'une stature gigantesque, dont l'acharnement contre la race blanche était invincible.

Pendant les premiers jours de cet immense voyage en canot, qui n'avait jusqu'alors de comparable que ceux d'Orellana et de La Condamine sur l'Amazone, les Américains eurent la bonne fortune de rencontrer, avec quelques Sioux, un vieux Français, un de ces coureurs des bois canadiens, qui, parlant la langue de la plupart des nations voisines du Missouri, consentit à les accompagner comme interprète.

Successivement, ils passèrent les confluents de l'Osage, du Kansas, de la Plate ou Shallow-river et de la rivière Blanche. Ils avaient rencontré de nombreux partis d'Indiens, Osages, Sioux ou Mahas, qui tous leur semblèrent dans un état de décadence complet. De ces derniers, même, une tribu avait tellement souffert de la petite vérole, que les survivants, pris d'une sorte de rage et comme frappés de folie, avaient tué leurs femmes, leurs enfants épargnés par la maladie, et s'étaient enfuis de ce territoire empesté.

Ce furent, un peu plus loin, les Ricaris ou Rees, considérés d'abord comme les plus probes, les plus affables et les plus industrieux qu'on eût rencontrés. Quelques vols vinrent bientôt affaiblir l'idée favorable qu'on s'était faite de leur caractère. Chose singulière, cette population n'était pas exclusivement adonnée à la chasse; elle cultivait du blé, des pois et du tabac.

Il n'en était pas de même des Mandans, plus fortement constitués que leurs congénères. On trouve chez eux une coutume singulière de la Polynésie, celle de ne pas enterrer les morts, mais de les exposer sur un échafaud.

La relation de Clarke nous fournit quelques détails sur cette tribu curieuse. Les Mandans n'ont vu dans l'Être divin que le pouvoir de guérir. Ils reconnaissaient, en conséquence, deux divinités, qu'ils appellent le Grand Médecin et le Génie. Faut-il croire que pour eux la vie est d'une telle importance, qu'ils adorent tout ce qui peut la prolonger?

Leur origine ne serait pas moins singulière. Ils habitaient originairement un grand village souterrain, creusé sous le sol, au bord d'un lac. Mais, une vigne ayant poussé ses racines assez profondément pour arriver jusqu'à eux, quelques-uns des Mandans, en se servant de cette échelle improvisée, parvinrent jusqu'à la surface du sol. Sur la description enthousiaste qu'ils rapportèrent de l'abondance des territoires de chasse, de la quantité du gibier et des fruits, la nation, séduite, résolut aussitôt de gagner un territoire si favorisé. Déjà la moitié de la tribu était arrivée à la surface du sol, lorsque la vigne, pliant sous le poids d'une grosse femme, céda et rendit impossible l'ascension du reste des Mandans. Après la vie, ils s'attendent à retourner dans leur ancienne patrie souterraine; mais ne pourront y pénétrer que ceux dont la conscience sera nette; les autres seront précipités dans un lac immense.

C'est chez cette peuplade que, le 1er novembre, les explorateurs prirent leurs quartiers d'hiver. Ils se construisirent des cabanes aussi confortables que le permettaient les moyens dont ils disposaient, et se livrèrent presque tout l'hiver, malgré une température assez rigoureuse, au plaisir de la chasse, qui n'avait pas tardé à devenir pour eux une nécessité.

Dès que le Missouri fut dégelé, les explorateurs songèrent à continuer leur voyage. Mais, comme ils expédiaient à Saint-Louis le bateau avec une quantité de peaux et de fourrures qu'ils avaient pu réunir, ils ne se trouvèrent plus que trente hommes déterminés, prêts à tout supporter pour atteindre le but.

Les voyageurs ne tardèrent pas à dépasser l'embouchure de la Yellow-stone (rivière de la pierre jaune), presque aussi forte que le Missouri, et les terrains giboyeux qui la bordent.

Cruel fut leur embarras, lorsqu'ils arrivèrent à une fourche. Laquelle des deux rivières, à peu près égales en volume, était le Missouri? Le capitaine Lewis, à la tête d'une troupe d'éclaireurs, remonta la branche méridionale et ne tarda pas à apercevoir les montagnes Rocheuses, complètement couvertes de neige. Guidé par un bruit épouvantable, il vit bientôt le Missouri se précipiter en une seule nappe sur le talus d'un rocher, puis former, pendant plusieurs milles, une suite ininterrompue de rapides.

Carte du Missouri.

Le détachement suivit donc cette branche, profondément enfoncée au milieu des montagnes, et qui, sur un parcours de trois ou quatre milles, se précipite entre deux murailles perpendiculaires de rochers. Le courant se divisait enfin en trois branches, qui reçurent les noms de Jefferson, Madison et Gallatin, célèbres hommes d'État américains.

Guerrier javanais.
(Fac-simile. Gravure ancienne.)

Bientôt les dernières rampes furent franchies, et l'expédition descendit le versant qui regarde l'océan Pacifique. Les Américains avaient amené avec eux une femme Sohsonée, enlevée dès sa jeunesse par des Indiens de l'Est; non seulement elle leur servit très fidèlement d'interprète, mais, dans le chef d'une tribu qui manifestait des intentions hostiles, elle reconnut son frère, et dès ce jour les étrangers furent traités avec une extrême bienveillance. Par malheur, le pays était pauvre, les habitants ne se nourrissaient que de baies sauvages, de l'écorce des arbres et d'animaux quand ils pouvaient s'en procurer, ce qui était rare.

Les Américains, peu habitués à cette nourriture frugale, durent, pour se soutenir, manger leurs chevaux, pourtant bien amaigris, et acheter aux naturels tous les chiens que ceux-ci consentirent à leur vendre. Ils en reçurent même le surnom de «Mangeurs de chiens.»

Avec la température, la nature des habitants s'adoucissait, les vivres devenaient plus abondants, et, lorsque l'on descendit l'Orégon, qui porte aussi le nom de Colombia, la pêche des saumons vint apporter à propos un supplément de vivres. Lorsque la Colombia, au cours dangereux, s'approche de la mer, elle forme un estuaire très vaste, dans lequel les lames, venues du large, luttent contre le courant de la rivière. Les Américains, avec leur frêle canot, y coururent plus d'une fois le risque d'être engloutis, avant d'avoir atteint le littoral de l'Océan.

Heureux d'avoir rempli le but de leur mission, ils hivernèrent en cet endroit, et, lorsque les beaux jours furent revenus, ils reprirent le chemin de Saint-Louis, où ils arrivèrent au mois de mai 1806, après une absence de deux ans quatre mois et dix jours. Ils avaient calculé qu'ils n'avaient pas fait moins de 1,378 lieues depuis Saint-Louis jusqu'à l'embouchure de l'Orégon.

L'élan était donné. Bientôt les expéditions de reconnaissance vont se succéder dans l'intérieur du nouveau continent et prendre, un peu plus tard, un caractère scientifique tout particulier, qui les classe à part dans l'histoire des découvertes.

Quelques années après, un des plus grands colonisateurs dont l'Angleterre puisse s'honorer, sir Stamford Raffles, l'organisateur de l'expédition qui s'empara des colonies hollandaises, avait été nommé lieutenant gouverneur de Java. Pendant une administration de cinq années, Raffles accomplit des réformes considérables et abolit l'esclavage. Mais ces travaux, si absorbants qu'ils fussent, ne l'empêchèrent pas de réunir les matériaux nécessaires pour la rédaction de deux énormes in-4, qui sont des plus intéressants et des plus curieux. Ils contiennent, outre l'histoire de Java, une foule de détails sur les populations de l'intérieur, jusqu'alors peu connues, les renseignements les plus circonstanciés sur la géologie et l'histoire naturelle. Aussi, ne faut-il pas s'étonner si le nom de «Rafflesia», en l'honneur de celui qui fit si bien connaître cette grande île, a été donné à une fleur énorme, qui mesure quelquefois un mètre de diamètre et pèse jusqu'à cinq kilogrammes.

Raffles fut aussi le premier qui pénétra dans l'intérieur de Sumatra, dont le littoral seul était connu, tantôt visitant les cantons occupés par les Passoumahs, athlétiques cultivateurs, tantôt pénétrant au nord jusqu'à Memang-Kabou, célèbre capitale de l'empire malais, tantôt traversant toute l'île de Bencoulen à Palimbang.

Mais, ce qui constitue la gloire la plus durable de sir Thomas Stamford Raffles, c'est d'avoir indiqué au gouvernement de l'Inde la position exceptionnelle de Singapour, d'en avoir fait un port franc, qui ne devait pas tarder à prendre un développement considérable.

Chargement de la publicité...