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Madame de Longueville: La Jeunesse de Madame de Longueville

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Essuyez vos beaux yeux,
Madame de Longueville;
Essuyez vos beaux yeux,
Coligny se porte mieux.
S'il a demandé la vie,
Ne l'en blâmez nullement;
Car c'est pour être votre amant
Qu'il veut vivre éternellement.

Après la chanson le roman; Mme de Longueville eut aussi le sien. Un bel esprit du temps, dont le nom nous est inconnu, composa en cette occasion une nouvelle, où, sous des noms supposés, et mêlant le faux au vrai, il raconte la touchante aventure qui occupait alors tout Paris. Nous avons découvert cette nouvelle inédite du milieu du XVIIe siècle à la Bibliothèque de l'Arsenal et à la Bibliothèque nationale[376]. Elle a pour titre: Histoire d'Agésilan et d'Isménie, c'est-à-dire histoire de Coligny et de Mme de Longueville. Elle a l'avantage d'être fort courte. Nous n'osons pourtant la donner tout entière, et nous nous bornerons à faire connaître rapidement ce petit monument de la célébrité naissante de Mme de Longueville.

Bien entendu, Isménie aime le plus tendrement du monde Agésilan, et elle l'aimait avant d'avoir été mariée à Amilcar, le duc de Longueville, par l'ordre de son père et de sa mère, Anténor et Simiane, M. le Prince et Mme la Princesse. Isménie a pour ennemie Roxane, Mme de Montbazon, jalouse de sa beauté; et ici viennent deux portraits d'Isménie et de Roxane, qui sont d'une exactitude tout à fait historique: «Roxane étoit piquée des louanges qu'on donnoit à Isménie de sa beauté, qui véritablement étoit des plus grandes. Ses cheveux d'un blond cendré, ses yeux bleus, la blancheur de son teint et sa taille étoient incomparables; son esprit doux, insinuant, parlant agréablement sur toutes sortes de sujets, lui donnoit l'approbation de tout le monde. Roxane, qui a une beauté et une humeur différente, n'avoit pas des approbateurs sur sa grâce en si grand nombre qu'Isménie, bien que sur la beauté les esprits fussent partagés. Ses cheveux étoient bruns sur un teint blanc et uni; ses yeux noirs et bien fendus, d'où il sortoit un feu à pénétrer jusque dans les cœurs les plus insensibles; sa mine haute et fière la faisoit plutôt craindre qu'aimer; son esprit étoit cruel, plein de violence. Il ne falloit point se partager avec elle.»

Voici une conversation des deux amants moins longue que celles de l'Astrée et du Grand Cyrus, mais qui a leur agréable fadeur, leur sentimentale mélancolie: «Pensive à son malheur, Isménie se promenoit le long d'un ruisseau qui arrose le bois de Mirabelle (Chantilly). Elle vit tout d'un coup sortir un homme de l'épaisseur du bois, et pâle et défait se jeter à ses genoux. Elle connut d'abord que c'étoit Agésilan qui lui dit: Quoi! ma princesse, m'abandonnerez-vous après tant de promesses de votre fermeté? En refusant le parti qu'on vous offre, ne ferez-vous pas connoître à tout le monde que ma princesse a autant de fidélité que de beauté, et que sa parole est inébranlable quand elle l'a donnée? S'il vous reste encore quelque souvenir du malheureux Agésilan et des tendresses que vous aviez pour lui, donnez-lui un mois avant que d'accomplir ce mariage. Le terme est court pour une si grande disgrâce qui me coûtera la vie.—Agésilan, dit Isménie, Dieu sait, si mes sentiments étoient suivis, si je serois jamais à d'autre qu'à vous! J'ai fait pour cela plus que le devoir ne m'obligeoit: j'ai résisté longtemps aux ordres d'Anténor et de Simiane. J'ai passé des jours et des nuits en pleurs de la perte que je faisois de mon cher Agésilan. Tout ce que je puis faire pour lui est de lui conserver toujours mon estime et mon amitié. Elle l'embrassa pour la dernière fois, et se retira dans le château sans attendre sa réponse.»

Agésilan désespéré va rejoindre l'armée commandée par le frère d'Isménie, Marcomir, le duc d'Enghien, et nous assistons à un récit de la bataille de Rocroy en général assez exact, à deux défauts près. L'auteur n'a pas l'air d'avoir connu la manœuvre hardie et savante qui décida la victoire, et que nous avons essayé de décrire. On se doute bien aussi qu'il donne à Coligny dans cette grande journée un rôle qu'il n'a pas eu. Dans la nouvelle, Agésilan prend la place de Gassion et commande l'aile droite; le maréchal de L'Hôpital, qui commandait la gauche, est remplacé par Gassion, qui est mis sous le nom d'Hilla ou Hillarius, «vieux mestre de camp, à présent maréchal, soldat de fortune, mais qui avoit passé par toutes les charges, ayant beaucoup de cœur et de fermeté.» Marcomir avait confié l'aile droite à Agésilan «comme étant assuré de sa fidélité et de son grand cœur.» Agésilan cherche la mort, et, selon les règles du roman, il ne trouve que la gloire, il est vrai, avec beaucoup de blessures qui expliqueront plus tard sa langueur et sa faiblesse. Entre autres exploits, il a une rencontre particulière avec Alaric, roi des Goths. Marcomir, de son côté, fait des actions extraordinaires et tue de sa main le chef de l'armée ennemie. Comme Agésilan-Coligny a pris la place de Gassion, ainsi d'Estrades, ami de Coligny, est substitué, sous le nom de Théodate, au brave Sirot, qui commandait la réserve et contribua tant au succès de la bataille.

La nouvelle peint fidèlement la conduite d'Enghien-Marcomir après la victoire. «Après avoir rendu grâces à Dieu d'une si grande victoire, Marcomir retourna dans son camp. Il fut légèrement blessé, eut deux chevaux tués sous lui, et fit dans cette action tout ce qu'un bon général et un grand capitaine peut faire: il eut grand soin des blessés et il les visitoit tous les jours.» Il ne pouvait manquer de prendre un soin particulier d'Agésilan, son parent, et de Théodate; il les ramena avec lui à Lutétie, où ils reçurent toutes les louanges que leurs belles actions méritaient.

Dans la nouvelle, comme dans quelques mémoires, c'est Roxane, Mme de Montbazon, qui invente et contrefait les deux fameuses lettres pour déshonorer et perdre Isménie. Elle exige de son amant Florizel, le duc de Guise, qu'il soutienne que ces lettres sont véritables; et, ne pouvant obtenir de sa loyauté une pareille indignité, elle lui demande au moins de s'en exprimer avec doute. Florizel a la faiblesse d'y consentir; ses paroles sont promptement exagérées et envenimées, et de toutes parts le bruit s'accrédite que Florizel défend très haut la vérité de ces lettres et se déclare prêt à la soutenir à Agésilan lui-même, «en quelle manière il le voudroit.» Indignation de la reine Amalasonte, Anne d'Autriche, contre Isménie qu'elle croit coupable; grande colère d'Anténor et de Simiane, M. le Prince et Mme la Princesse, contre leur fille, et désespoir de celle-ci, car les deux lettres imaginées par Roxane sont bien autrement fortes que celles que Mme de Fouquerolles avait écrites à Maulevrier, et qui furent attribuées à Mme de Longueville. Première lettre: «Je ne puis vous souffrir plus longtemps dans la tristesse où vous êtes. Votre constance m'a entièrement gagnée. Trouvez-vous ce soir dans l'allée des Sycomores, proche des bains de Diane. Je vous dirai ce que je veux faire pour vous.» Autre lettre: «Je crois que vous êtes content de moi, cher Agélisan; mais si la promenade des Sycomores vous a plu, celle où je vous ordonne de venir ne vous plaira pas moins. Venez seul, à dix heures du soir, par la porte du jardin; vous trouverez Lydie, qui vous conduira où je serai. Adieu.»

Ces deux rendez-vous sont assez bien imaginés pour expliquer l'irritation d'Isménie, et comment elle pousse elle-même Agésilan à la venger, et lui ménage un second habile dans Théodate. Le duel avait été résolu «dans un conseil chez Isménie, où Marcomir et Agésilan étoient.» Les préparatifs de la rencontre et les détails sont moins saisissants et moins romanesques dans le roman que dans l'histoire. La scène y est fidèlement racontée, mais fort abrégée en ce qui regarde les deux principaux adversaires; l'intervention du duc d'Enghien est plus marquée.

«La partie fut liée à deux heures de l'après-midi, à la place des Nymphes (Place Royale). Florizel y viendroit avec un second, un page et un laquais; Agésilan et Théodate en feroient de même; les deux carrosses se rencontreroient devant le logis de Caliste (la duchesse de Rohan), et les cochers se battroient à coups de fouet pour prétexter que c'étoit une rencontre. Les choses furent exécutées ainsi qu'elles avoient été projetées, et les balcons et les fenêtres des maisons étoient remplis de dames. Chrysante et Théodate (Bridieu et d'Estrades) furent les premiers qui mirent l'épée à la main. Chrysante est un gentilhomme de mérite, brave et un des plus forts hommes du monde. Il est gouverneur d'une place considérable sur la frontière des Belges. Théodate lui donna d'abord un coup d'épée dans le corps; il en reçut un en même temps dans le bras. Chrysante, se sentant incommodé par la perte du sang, voulut se servir de ses forces et venir aux prises avec Théodate; il l'embrassa avec les deux bras, et le pressa avec tant de violence que, nonobstant sa grande blessure, il eût étouffé Théodate, si celui-ci n'eût fait un effort pour se tirer de ses mains. Il fut si grand qu'ils tombèrent tous deux à terre, sans avantage, et furent séparés dans cet instant par des personnes de qualité qui arrivèrent sur le lieu. Cependant Florizel et Agésilan étoient tous deux aux mains. Théodate croyoit être assez à temps pour les séparer, lorsqu'il vit le pauvre Agésilan par terre, désarmé. Florizel le quitte pour venir au-devant de Théodate, pour l'embrasser et lui demander son amitié; il lui dit: Je suis fâché du mauvais état où vous trouverez Agésilan. Il m'a querellé de gaieté de cœur; je vous proteste avec vérité que jamais je ne l'ai offensé. Théodate répondit assez succinctement à ce compliment, étant pressé de se rendre auprès d'Agésilan, qu'il trouva sans connoissance par le mécontentement que ce désavantage lui causa, lequel le conduisit jusques au cercueil. Dans cet instant, Marcomir et plusieurs princes et seigneurs de la cour arrivèrent dans la place des Nymphes. Marcomir fit mettre Agésilan et Théodate dans un de ses carrosses, et leur donna un appartement dans son hôtel, pour la sûreté de leurs personnes.»

«Il n'y avoit que peu de jours que le sénat de Lutétie avoit vérifié le décret contre les duels, qui condamnoit à mort tous ceux qui se battoient. Amalasonte, voulant que l'édit fût exécuté suivant sa teneur, fit décréter prise de corps contre Agésilan et Théodate comme agresseurs, et les poursuites furent moins rigoureuses contre Florizel et Chrysante. Marcomir s'en plaignit hautement, et l'appréhension qu'Amalasonte eut que cela produisît une guerre civile, toute la cour ayant pris parti de part et d'autre, fit qu'elle commanda que l'affaire passeroit pour une rencontre fortuite et que le Roi feroit expédier des lettres de grâce; ce qui fut exécuté, et les parties furent d'accord.»

Ici le roman reprend ses droits, et, ramenant Mme de Longueville auprès du lit de Coligny mourant, met dans la bouche de l'un et de l'autre des discours de ce pathétique facile qui ne manque jamais son effet sur le commun des lecteurs, moins sensibles à l'art véritable qu'à ce qu'il y a de touchant dans ces situations.

«Les blessures qu'Agésilan avoit reçues empiroient tous les jours. Les chirurgiens les jugeoient mortelles. Théodate ne garda pas le lit de la sienne. Il étoit continuellement près d'Agésilan, lequel, sentant diminuer ses forces, dit à Théodate: J'ai une prière à vous faire, qui est d'obliger Isménie de me venir voir pour la dernière fois, et que vous soyez seul témoin de ce que j'ai à lui dire. Les médecins et les chirurgiens assurèrent Théodate qu'Agésilan ne pouvoit pas passer la journée, ce qui l'obligea de se hâter d'aller trouver Isménie et la disposer de venir dire le dernier adieu à Agésilan, ce qu'elle fit avec une douleur extrême. D'abord qu'Agésilan la vit, la couleur lui revint au visage, et l'émotion qu'il eut en voyant ce qu'il aimoit chèrement lui donna la force de dire: Madame, depuis que je vous ai perdue, je n'ai rien tant désiré que de mourir pour votre service. Dieu a exaucé mes prières. Je ne pouvois être heureux ne vous possédant pas. Ma passion étoit trop forte pour rester content dans le monde. J'ai à vous rendre grâces de la bonté que vous avez d'agréer que je vous dise que je meurs à vous, et fort content de ne plus troubler votre repos. Et, lui tendant la main: Adieu, ma chère Isménie, et il rendit l'esprit dans cet instant. Après le dernier adieu qu'Agésilan fit à Isménie, qui fut aussi le dernier soupir de sa vie, Isménie demeura immobile quelque temps. Puis tout d'un coup elle se jette sur le corps d'Agésilan, l'embrasse, lui prend les mains, les arrose de ses larmes, et, commençant d'avoir la voix libre, elle dit: Faut-il que je survive au plus fidèle et sincère amant qui ait jamais été au monde? Est-ce là, mon cher Agésilan, la récompense que tu devois attendre de l'ingrate Isménie? Tu n'as aimé qu'elle, et dans le même temps qu'elle t'a quitté, ton désespoir t'a fait chercher la mort dans les batailles où ton grand cœur, ta réputation et tes grandes actions ont été immortelles; et après cela tu viens mourir devant mes yeux et me dis que tu n'as jamais eu de joie depuis m'avoir perdue, et que tu meurs content puisque tu ne me peux posséder!.... Reçois, cher et fidèle ami, ces larmes, et le regret immortel de ta perte qui me percera le cœur mille fois par jour. Reçois cette amende honorable que je te fais de toutes mes rigueurs et de tous les déplaisirs que je t'ai causés. Ah! misérable que je suis! que deviendrai-je? où irai-je? Non, il faut mourir de regret et d'amour. Je ne te quitterai plus, je veux demeurer auprès de toi. Et, l'embrassant, elle baisoit ses yeux et son visage avec des transports de tendresse capables de faire fendre le cœur à tout le monde.»

Mais rappelons-le en finissant, tous ces tendres sentiments sont de poétiques inventions de l'auteur de la nouvelle. Pour rendre Mme de Longueville plus touchante, on l'a représentée partageant la passion qu'elle inspirait; mais rien prouve qu'elle eût en effet de l'amour pour Coligny. Elle l'aimait comme un des compagnons de son enfance, comme un des camarades de son frère, comme un gentilhomme presque de son rang dont elle n'avait aucune raison de repousser les hommages, et qui lui plaisait par une tendresse persévérante et dévouée. Elle lui permettait de soupirer pour elle et de se déclarer son chevalier à la manière espagnole, selon les principes de Mme de Sablé et des précieuses de l'hôtel de Rambouillet, qui ne défendaient pas aux hommes de les servir et de les adorer, pourvu que ce fût de la façon la plus respectueuse. Telles étaient les mœurs de cette époque. Un gentilhomme ne passait pas pour honnête homme s'il n'avait pas une maîtresse, c'est-à-dire une dame à laquelle il adressait de particuliers hommages et dont il portait les couleurs dans les fêtes de la paix et sur les champs de bataille. Il n'y avait pas une beauté, si vertueuse qu'elle fût, qui n'eût des amants, c'est-à-dire des soupirants en tout bien et en tout honneur. La duchesse d'Aiguillon, présentant son jeune neveu, le duc de Richelieu, à Mlle Du Vigean l'aînée, la priait d'en faire un honnête homme, et pour cela elle exhortait le plus sérieusement du monde le jeune duc à devenir amoureux de la belle dame[377]. Mme de Longueville souffrait ainsi les empressements de Coligny. Sa coquetterie en était flattée, sa vertu ni même sa réputation n'en étaient effleurées. Elle était entourée des meilleurs exemples. La jeune Du Vigean, sa plus chère amie, résistait au vainqueur de Rocroy; Mlle de Brienne était tout entière à son mari, M. de Ganache; Julie de Rambouillet ne se pressait pas de se rendre à la longue passion de Montausier, et Isabelle de Montmorency elle-même ne faisait encore que prêter l'oreille aux doux propos de d'Andelot. Retz affirme seul que Coligny était aimé, et il dit le tenir de Condé lui-même; mais qui ne connaît la légèreté de Retz? qui voudrait s'en rapporter à son témoignage quand il est seul, et sur des choses où il n'a pas été personnellement mêlé? En 1643, Retz n'avait guère le secret que de ses propres intrigues, et il redit les propos des salons des Importants. Mme de Motteville si bien informée, qui plus tard ne dissimulera pas la chute de Mme de Longueville, peut être crue lorsqu'elle affirme qu'en 1643[378] «elle étoit encore dans une grande réputation de vertu et de sagesse», et que tout son tort était «de ne pas haïr l'adoration et la louange.» Enfin nous avons un témoignage décisif, celui de La Rochefoucauld. Il était à la fois l'ami de Maulevrier et de Coligny; il savait donc le fin de toute cette affaire. Or, lui qui un jour se tournera contre Mme de Longueville, révélera ses faiblesses et grossira ses fautes, déclare que, jusqu'à une certaine époque à laquelle nous ne sommes pas encore parvenus, tous ceux qui essayèrent de plaire à la sœur de Condé le tentèrent inutilement[379]. Elle était trop jeune encore et trop près des habitudes de sa pure et pieuse adolescence; elle n'avait pas encore atteint l'âge fatal aux intentions les plus vertueuses: son heure n'était pas venue. Elle vint plus tard, quand Mme de Longueville eut plus connu le monde et la vie, et respiré plus longtemps l'air de son siècle, quand son frère avait oublié la chaste grandeur de ses premières amours, quand l'amie qui la pouvait soutenir, la belle et noble Mlle Du Vigean, n'était plus à côté d'elle, quand son mari était éloigné, quand enfin, lasse de combattre et plus que jamais éprise du bel esprit et des apparences héroïques, elle rencontra un personnage jeune encore et assez beau, d'une bravoure brillante, qui passait pour le modèle du dévouement chevaleresque, qui sut habilement intéresser son amour-propre dans ses projets d'ambition et la séduire par l'appât de la gloire. La Rochefoucauld fut le premier qui toucha sérieusement l'âme de Mme de Longueville; il le dit, et nous l'en croyons. Avant lui, Mme de Longueville en était encore à la noble et gracieuse galanterie qu'elle voyait partout en honneur, qu'elle entendait célébrer à l'hôtel de Rambouillet comme à l'hôtel de Condé, dans les grands vers de Corneille comme dans les petits vers de Voiture. Elle se complaisait à faire sentir le pouvoir de ses charmes. Mille adorateurs s'empressaient autour d'elle. Coligny était peut-être un peu plus près de son cœur, il n'y était pas entré. Mais on ne badine pas impunément avec l'amour. Un jour il coûtera bien des larmes à Mme de Longueville. Ici sa victime fut l'aîné des Châtillon, qui périt à la fleur de l'âge, de la main de l'aîné des Guise, essayant de venger celle qu'il aimait. Cette aventure, bientôt répandue par tous les échos des salons, par la chanson et par le roman, jeta d'abord un sombre éclat sur la destinée de Mme de Longueville, et lui composa de bonne heure une renommée à la fois aristocratique et populaire qui la préparait merveilleusement à jouer un grand rôle dans cette autre tragi-comédie, héroïque et galante, qu'on appelle la Fronde.

CHAPITRE QUATRIÈME
1644-1648

MADAME DE LONGUEVILLE A PARIS EN 1644, 1645 ET 1646.—ELLE SE REND A MÜNSTER EN 1646.—RETOUR EN FRANCE EN 1647.—SON JEUNE FRÈRE, LE PRINCE DE CONTI.—LA ROCHEFOUCAULD.—ORIGINE DE LA LIAISON DE LA ROCHEFOUCAULD ET DE MADAME DE LONGUEVILLE.—SITUATION DE LA FRANCE ET DE LA MAISON DE CONDÉ AVANT LA FRONDE. CAMPAGNES DE CONDÉ.—CONFÉRENCES DE MÜNSTER ET TRAITÉ DE WESTPHALIE.—NAISSANCE DE LA FRONDE. SES CAUSES. SON CARACTÈRE. SES FUNESTES RÉSULTATS.

Nous avons traversé les années les plus vraiment belles de la jeunesse de Mme de Longueville, celles où l'éclat de ses succès ne coûte rien encore à la vertu. Le temps approche où elle va succomber aux mœurs de son siècle et aux besoins longtemps combattus de son cœur. L'amour qu'elle répandait autour d'elle, elle va le ressentir à son tour, et s'engager dans une liaison fatale qui lui fera oublier tous ses devoirs à la fois, et tournera ses plus brillantes qualités contre elle-même, contre sa famille et contre la France.

Disons ce que nous savons de Mme de Longueville depuis le moment où nous l'avons quittée jusqu'en l'année 1648.

Nuls documents authentiques, imprimés ou manuscrits, ne nous autorisent à supposer qu'avant la fin de l'année 1647 Mme de Longueville ait jamais franchi les bornes de la galanterie à la mode. Elle était grosse en 1643, pendant l'aventure des lettres et la triste querelle qui en fut la suite, et elle accoucha, le 4 février 1644, d'une fille qui reçut le nom de sa mère et de son frère, Charlotte Louise, Mlle de Dunois, morte le 30 avril 1645[380]. Un an après, le 12 janvier 1646, elle eut un fils, Jean Louis Charles d'Orléans, comte de Dunois, destiné à succéder aux titres et aux charges de son père. En 1647, à son retour de Münster, elle mit au monde une seconde fille, Marie Gabrielle, enlevée en 1650. Un peu plus tard, un dernier fils lui naquit au milieu de la première Fronde.

Mme de Longueville avait vingt-cinq ans en 1644, après le duel de Coligny et de Guise. Chaque année ne faisait qu'ajouter à ses charmes. Elle prenait de plus en plus les mœurs du jour. La coquetterie et le bel esprit étaient toute son occupation. La gloire de son frère rejaillissait sur elle, et elle y répondait et y ajoutait même par ses propres succès à la cour et dans les salons. Tout ce qu'il y avait en elle d'instincts de grandeur et d'ambition se rapportait à ce frère, à sa carrière, à sa fortune. Elle songeait par-dessus tout à lui faire des amis et des partisans. La hauteur innée de sa race, son indépendance naturelle et la légèreté de son âge lui donnaient un air d'opposition et lui inspiraient des propos qui faisaient ombrage au premier ministre. Mazarin, forcé de compter avec la maison de Condé, et résigné à la satisfaire à tout prix, la redoutait[381] encore plus que toutes les autres maisons princières, en raison même de la capacité reconnue de son chef et de l'ascendant que lui donnait la gloire toujours croissante du duc d'Enghien. Déjà même vers la fin de 1644, dans cette jeune beauté tout occupée, ce semble, de bagatelles, sa merveilleuse sagacité lui faisait pressentir sa plus dangereuse ennemie. Il en trace à cette époque un portrait sévère où il s'attache à marquer tous ses défauts sans relever ses qualités. Il reconnaît, et ce témoignage est précieux à recueillir, que sa coquetterie est innocente, mais il l'accuse avec raison d'être ambitieuse, non pas pour elle, mais pour son frère, et de lui inspirer des pensées de domination auxquelles il n'était déjà que trop enclin. Mais donnons ici tout entier ce portrait curieux et en quelque sorte prophétique:

«Mme de Longueville[382] a tout pouvoir sur son frère. Elle fait vanité de dédaigner la cour, de haïr la faveur et de mépriser tout ce qui n'est pas à ses pieds. Elle voudrait voir son frère dominer et disposer de toutes les grâces. Elle sait fort bien dissimuler; elle reçoit toutes les déférences et toutes les faveurs comme lui étant dues. D'ordinaire elle est très froide avec tout le monde; et si elle aime la galanterie, ce n'est pas du tout qu'elle songe à mal, mais pour faire des serviteurs et des amis à son frère. Elle lui insinue des pensées ambitieuses auxquelles il n'est déjà que trop porté naturellement. Elle ne fait pas état de sa mère parce qu'elle la croit attachée à la cour. Ainsi que son frère, elle considère comme des dettes toutes les grâces qu'on accorde à sa personne, à sa maison, à ses parents, à ses amis; elle croit qu'on voudrait bien les leur refuser, mais qu'on ne l'ose, de peur de les mécontenter. Elle a un grand commerce avec la marquise de Sablé et la duchesse de Lesdiguières. Dans la maison de Mme de Sablé viennent continuellement d'Andilly, la princesse de Guymené, Enghien, sa sœur, Nemours, et beaucoup d'autres, et on y parle de tout le monde fort librement: il faut y avoir quelqu'un qui avertisse de ce qui s'y passera.»

Dans l'année 1645, une nouvelle grossesse n'ayant pas permis à Mme de Longueville de suivre son mari à Münster où il avait été envoyé ambassadeur et ministre plénipotentiaire, elle était restée à Paris, et après ses couches, elle ne s'était pas fort pressée d'aller passer l'hiver de 1646 sous le ciel de la Westphalie. Imaginez-vous, en effet, cet enfant gâté de l'hôtel de Rambouillet quittant Corneille et Voiture, toutes les élégances et les raffinements de la vie, pour s'en aller à Münster parmi des diplomates étrangers parlant allemand ou latin. C'était pour elle un double exil, car sa patrie n'était pas seulement la France, c'était Paris, c'était la cour, c'était l'hôtel de Condé, Chantilly, la Place Royale, la rue Saint-Thomas-du-Louvre. Elle différa donc le plus qu'elle put[383]. Cependant, l'hiver écoulé, il fallut bien obéir, et se mettre en route avec sa belle-fille, Mlle de Longueville, qui avait déjà un peu plus de vingt ans.

Pour garder quelque chose de la France et de Paris, la belle ambassadrice emmena avec elle plusieurs gens d'esprit et hommes de lettres, entre autres Courtin, alors conseiller au parlement de Normandie, depuis résident près des couronnes du Nord, Claude Joly, oncle de Guy Joly, l'auteur des Mémoires, chanoine de Notre-Dame, tout aussi frondeur que son neveu, qui toute sa vie demeura attaché aux Condé et aux Longueville, et s'est fait connaître par divers ouvrages pleins de savoir et de mérite[384]; ainsi que l'académicien Esprit[385], un des habitués de l'hôtel de Rambouillet, qui venait de se brouiller avec le chancelier Séguier pour avoir favorisé le mariage de sa fille, la marquise de Coislin, avec le fils de Mme de Sablé, le beau et brave marquis de Laval, tué quelque temps après au siége de Dunkerque.

Un peu avant son départ pour Münster, Esprit avait présenté à Mme de Longueville un des anciens poëtes favoris de Richelieu, Bois-Robert, qui était resté ébloui du nouvel éclat de celle qu'il avait vue autrefois et admirée toute jeune dans les fêtes de Ruel. Voici dans quels termes[386] Bois-Robert raconte à Esprit sa visite et lui dépeint Mme de Longueville. Les vers sont médiocres, mais il faut nous les passer, car ils tiennent la place d'une infinité d'autres vers, qu'à la rigueur nous pourrions citer de cette même époque et qui sont plus mauvais encore[387]:

«Elle avoit pris le bain tout fraîchement;
Ses bras du lit sortoient négligemment,
Et jetant l'œil sur ce vivant albâtre
Je t'avoûrai que j'en fus idolâtre.
Là, les zéphirs enjoués volettoient
Sur ses cheveux, qui par ondes flottoient,
Et sur sa gorge, et sur son teint de roses
De qui l'éclat surpassoit toutes choses,
Et faisoit honte aux plus vives couleurs
Qui brilloient lors sur les nouvelles fleurs.
De ses beaux doigts, tels que ceux de l'Aurore,
Frottant ses yeux qui s'éveilloient encore,
Elle laissoit tout à coup éclairer
Ces deux soleils qu'il fallut adorer
Les yeux baissés, car ma faible paupière
N'en put jamais soutenir la lumière.
Là s'assembloit, comme en un vif tableau,
Ce que le monde eut jamais de plus beau;
Mais le corail de sa bouche vermeille
Remplit surtout mon âme de merveille,
Lorsqu'aux appas muets que j'admirois,
Elle ajouta le charme de la voix, etc.»

Mme de Longueville quitta Paris le 20 juin 1646, accompagnée de sa belle-fille, avec une escorte nombreuse, sous la conduite de Montigny, lieutenant des gardes de M. de Longueville. Tout le voyage de Paris à Münster lui fut une fête et une ovation continuelle. On la peut suivre jour par jour et de ville en ville, dans la Gazette et dans la relation détaillée de Claude Joly. Belges, Hollandais, Espagnols, Impériaux, tout le monde se piqua de galanterie envers elle. Les gouverneurs de place sortaient pour la recevoir à la tête de leurs garnisons. On lui offrait les clefs des villes. Elle avait des escortes de cavalerie. Le duc de Longueville vint de Münster jusqu'à Wesel à sa rencontre. Turenne, qui commandait alors sur le Rhin, lui donna le spectacle d'une armée rangée en bataille et qu'il fit manœuvrer sous ses yeux. Est-ce là que le grand capitaine, bien connu pour avoir toujours été sensible à la beauté, reçut l'impression passionnée qui se renouvela à Stenay en 1650, et qui, prudemment ménagée par Mme de Longueville, demeura toujours entre eux un tendre et intime lien[388]? Le 26 juillet, elle fit à Münster une entrée vraiment triomphale[389]. Elle s'y reposa un mois; puis, pour suppléer aux plaisirs de Paris par le mouvement et la nouveauté, M. de Longueville lui proposa d'employer le reste de la belle saison à faire un petit voyage en Hollande. Elle y alla pour ainsi dire en promenade du 20 août au 12 septembre, toujours avec sa belle-fille, recevant partout l'accueil le plus magnifique, à la cour du prince d'Orange et dans les principales villes, et sans se douter qu'un jour elle y reparaîtrait en fugitive. Elle vit à La Haye la reine de Bohême, sœur de Charles Ier, roi d'Angleterre, et mère des princes palatins, dont l'un, le prince Édouard, venait cette même année d'épouser une cousine et une amie de Mme de Longueville, la belle Anne de Gonzagues. De toutes les curiosités de la Hollande, celle qui frappa le plus Anne de Bourbon, fut une femme, une savante extraordinaire, la fameuse Marie Schurman, qui peignait et sculptait, et savait toutes les langues connues, en même temps jeune encore, modeste, raisonnable, et qui parlait un fort bon français. Mme de Longueville trouva moins agréable la rencontre d'une petite ville où le fanatisme protestant ne permit pas même à une étrangère de célébrer la messe en son logis le jour d'une des grandes fêtes de l'Église. Mais la sœur de Condé n'était pas femme à se soumettre à cette manière de comprendre et de pratiquer la liberté religieuse. Elle sortit de la ville avec toute sa suite, et arrivée dans la campagne elle fit dresser une table sur laquelle on mit une pierre consacrée, et autour de cet autel improvisé elle put assister au saint sacrifice[390].

Pendant tout l'automne de 1646 et l'hiver de 1647, elle fut comme la reine du congrès de Münster. Ses grâces touchèrent les diplomates aussi bien que les guerriers. L'ambassade française était riche en hommes supérieurs: sous M. de Longueville étaient les comtes d'Avaux et Servien, la fleur de notre diplomatie, et à côté d'eux, comme secrétaires ou résidents, MM. de La Barde[391], Lacour Groulart[392], St-Romain[393]. Mme de Longueville se lia particulièrement avec Claude de Mesmes, comte d'Avaux, fin politique et bel esprit, ami et correspondant de Voiture, de Mme de Sablé[394] et de Mme de Montausier. Nous avons sous les yeux des lettres inédites de d'Avaux à Voiture[395] fort agréables, mais assez peu naturelles, qui, à travers les citations latines alors à la mode entre gens qui se piquaient de belle érudition, marquent assez bien l'impression qu'avait faite Mme de Longueville sur le célèbre diplomate et sur ses confrères. Elle ne paraît pas fort mélancolique à d'Avaux; mais le rival de Servien était plus propre peut-être à découvrir les intrigues des cabinets qu'à lire dans le cœur d'une femme.

Il écrit à Voiture le 29 août 1646 pendant que Mme de Longueville était en Hollande: «Vous direz, s'il vous plaît, à Mme de Montausier que j'ai toujours parfaitement estimé Mlle de Rambouillet, et que j'ai toujours cru qu'elle seroit unique et sans pareille jusqu'à temps qu'elle s'est mise en état de se faire des semblables. C'est à elle sans doute et à Mme la marquise de Sablé que je suis redevable des grâces que j'ai reçues de Mme de Longueville. Vous m'obligerez de leur en témoigner ma reconnaissance, et de les avertir confidemment qu'elles aient à lui dépêcher un courrier en Hollande pour la hâter un peu de revenir ici; autrement je vous jure que l'assemblée en fera rumeur, et qu'il n'y a pas un député qui la veuille perdre de vue. C'est de ce seul point qu'on est d'accord à Münster. Sans mentir, cela est beau d'avoir forcé toutes les nations, tant de peuples ennemis et tant de religions différentes à confesser une même chose. Je voudrois vous pouvoir faire la peinture des Espagnols et des Portugais quand ils rencontrent cette princesse et qu'ils viennent au bal...»

Voiture n'est pas en reste avec son ingénieux correspondant sur le compte de Mme de Longueville[396] «...Ce que vous me dites de cette princesse est en son genre aussi beau qu'elle, et je le garde pour lui montrer quelque jour... Dites le vrai, Monseigneur: croyez-vous que l'on puisse trouver, je ne dis pas dans une seule personne, mais dans tout ce qu'il y a de beau et d'aimable répandu par le monde, croyez-vous que l'on puisse trouver tant d'esprit, de grâces et de charmes qu'il y a dans cette princesse?... Soyez sur vos gardes. Elle écrit ici des merveilles de vous et de l'amitié qui est entre vous. Le commerce est dangereux avec elle

Incedis per ignes
Suppositos cineri doloso.

Je vous assure au reste qu'elle est aussi bonne qu'elle est belle, et qu'il n'y a point d'âme au monde ni plus haute ni mieux faite que la sienne...»

D'Avaux lui répond le 6 décembre 1646: «...Pourquoi m'avertissez-vous si soigneusement d'être sur mes gardes? Est-ce à cause de quelques paroles d'estime et de respect que je vous ai écrites sur le sujet de notre princesse?... Vous dites que le commerce est dangereux avec une personne si bien faite, comme si tant de disproportion et les grands espaces qu'il y a de tous côtés entre ces personnes-là et nous autres bonnes gens ne me mettoient pas à couvert. Vous savez que l'éloquence de Balzac ne fait pas d'impression sur l'esprit d'un paysan. Non, non, je n'ai point de peur. Il seroit étrange que dans une assemblée de paix je n'eusse pas assez de la foi publique pour ma conservation, et qu'avec les passe-ports de l'Empereur et du Roi d'Espagne Münster ne fût pas un lieu de sûreté pour moi... Je regarde pourtant, je ne m'arrache point les yeux, et hos quoque eruditos habemus, je vois de la beauté plus que je n'en vis jamais; et si ai-je couru quatre royaumes et un empire; je vois tout ce qu'on peut voir ensemble de grâces et de charmes, et ce je ne sais quoi qui n'est nulle part ailleurs, ce me semble, avec tant de majesté:

Video igne micantes,
Sideribus similes oculos, video oscula, sed quæ
Est vidisse satis.

J'admire avec vous cette bonté, cette générosité, et ces aimables qualités que nous louerons toujours à l'envi et que nous ne louerons jamais assez. La justesse de cet esprit, sa force et son étendue me donnent aussi de l'étonnement, et me font quelquefois rentrer en moi-même avec dépit, car cela est tout à fait extraordinaire et trop au-dessus de l'âge et du sexe. Néanmoins toutes ces belles choses ne gâtent point mon imagination... Supposons que je fusse d'une matière aussi combustible que vous, qui vous plaignez encore des maux de la jeunesse[397]: à quelle étincelle, je vous prie, pourrois-je prendre feu? Une personne si précieuse, qui est venue de deux cents lieues chercher un vieux mari, qui a quitté la cour pour la Westphalie, qui est ici dans une gaieté continuelle, qui fut ravie dernièrement de voir une comédie chez les Jésuites (mais à la vérité c'étoit en bon latin), qui donne force audiences, qui s'entretient paisiblement avec M. Salvius, M. Vulteius, M. Lampadius[398], qui ne s'effraye plus d'un gros Hollandois qui la baise réglément deux fois par heure en toutes les visites qu'il lui fait, qui reçoit agréablement la civilité d'un autre ambassadeur qui lui conseille d'apprendre l'allemand pour se divertir, qui avec tout cela prend de l'embonpoint à Münster et a un visage de satisfaction, qui partage ses heures entre les belles lectures et les audiences, qui avance la paix autant par ses conseils que par ses prières, qui n'a pas seulement en un haut degré les vertus des femmes, mais qui en a beaucoup d'autres:

Quas sexus habere
Fortior optaret.

«... L'on se plaint fort ici de votre taciturnité; mais ce ne sont pas personnes d'importance: ce n'est que Mme de Longueville; cela ne vaut pas la peine d'en parler. Elle vous a fait faire de grands compliments; ses amies ont eu ordre de solliciter votre souvenir; elle leur a mandé plusieurs fois qu'ils ne lui laissassent rien perdre en l'amitié que vous lui avez promise; enfin elle vous a fait dire qu'elle n'étoit pas à l'épreuve d'un si long mépris, et tout cela demeure sans retour. C'est peut-être, comme vous dites, que le commerce est dangereux avec elle, et que vous prenez pour vous-même le conseil que vous me donnez; mais la pauvre princesse ne s'en peut consoler... Quand vous seriez devenu tout philosophe et quand vous auriez perdu le sentiment et la vie, tout au moins, ma chère pierre, vous devriez parler lorsque Mme de Longueville vous regarde, comme faisoit la statue de Memnon lorsqu'elle étoit éclairée des rayons du soleil. Si vous continuez, je ne doute point qu'on ne vous fasse ici voire procès, comme à un muet. Donnez-y ordre, si bon vous semble. Tout ce que je puis faire pour vous fut de payer de votre lettre à M. le duc d'Enghien[399]. Madame sa sœur la lut avec grand plaisir; et, comme un quart d'heure après M. Esprit entra dans la chambre, elle fut fort aise d'avoir prétexte de la revoir et se leva de sa place pour approcher du lieu où on faisoit la lecture. Ce n'est pas tout: elle envoya me la demander le lendemain, avec promesse de n'en laisser prendre copie que pour elle seule et pour demeurer parmi ses papiers. Je ne vous dirai point l'estime qu'elle en fit; je me contenterai d'avouer que c'est une des plus belles choses du monde de voir cette bouche remplie de vos louanges, et que votre nom n'habite nulle part si magnifiquement...»

Cette lettre eut un grand succès à l'hôtel de Condé et à l'hôtel de Rambouillet. «Nous avons ici plaisir, écrit Voiture à d'Avaux, le 9 janvier 1647[400], à nous imaginer Mme de Longueville entretenant M. Lampadius (on m'a dit que d'ordinaire il est vêtu de satin violet), M. Vulteius et M. Salvius, et surtout ce gros Hollandois.

Dulcia barbarè
Lædentem oscula quæ Venus
Quinta parte sui nectaris imbuit.

«Celui qui lui conseille d'apprendre l'allemand pour se divertir a bien fait rire Mme de Sablé et Mme de Montausier...»

C'est par Mme de Longueville, et sur une lettre qu'elle avait reçue de sa mère, que l'on apprit à Münster la grande nouvelle de la prise de Dunkerque par le duc d'Enghien, dans l'automne de 1646, événement inattendu qui vint merveilleusement aider les négociations de la France. D'Avaux eut alors deux lettres bien différentes à écrire, l'une à Mme de Sablé, pour lui faire des compliments de condoléance sur la mort de son fils, Guy de Laval, tué à Dunkerque[401]; l'autre à Mme la Princesse, pour la féliciter de la victoire du duc d'Enghien, et il a soin de mêler ici à l'éloge du frère victorieux celui de la sœur et de ses succès diplomatiques.

«Novembre 1646[402].

«Madame,

«C'est de Mme votre fille que j'ai sçu la prise de Dunkerque. Nous étions au cabinet de M. son mari, en conférence avec les ambassadeurs de Hollande, lorsqu'elle nous en apporta l'heureuse nouvelle. Une si belle victoire devoit être annoncée de cette bouche. Autant nous en avons eu de joye et de ravissement, autant les Espagnols et leurs alliés en ont eu de douleur et de consternation. A la vérité, c'est un coup de foudre qui les terrasse sans espoir de se relever d'une telle chute. Que de gloire d'avoir un fils qui par sa conduite nous a enfin vengés de la prison de François Ier et de toute sa mauvaise fortune! Il lui fallut renoncer à la souveraineté de cette belle province dont monseigneur le duc d'Enghien nous assure aujourd'hui la conquête par la prise de cette fameuse place. Jouissez, Madame, des louanges qui sont dues à un si grand capitaine, puisque la France vous le doit. Mais parmi les triomphes du frère, souffrez que je dise à Votre Altesse qu'il a une sœur incomparable, qui est ici dans l'estime et la vénération de toute l'assemblée, amis, ennemis et médiateurs, et que c'est en ce seul point qu'on est d'accord à Münster, que Mme la Princesse est la plus heureuse et la plus glorieuse mère qui soit au monde.»

Parmi les monuments du séjour de Mme de Longueville à Münster, n'oublions pas le portrait qu'en fit Anselme van Hull, et qui a été si tristement gravé avec ceux de M. de Longueville, de d'Avaux et de Servien, dans la collection des portraits de tous les princes et diplomates assemblés à Münster[403]. Au-dessous du portrait, on a mis ces vers qui sont peut-être de d'Avaux ou d'Esprit, ou que Voiture aura envoyés:

«Ces héros assemblés dedans la Westphalie,
Et de France et du Nord, d'Espagne et d'Italie,
Ravis de mes beautés et de mes doux attraits,
Crurent, en voyant mon visage,
Que j'étois la vivante image De la Concorde et de la Paix
Qui descendoit des cieux pour apaiser l'orage.»

Cependant toutes les ruelles de Paris gémissaient de l'absence de Mme de Longueville. Godeau ne cessait de la redemander au nom de l'hôtel de Rambouillet:

«Ne vaut-il pas mieux, Madame, lui écrivait-il, que vous reveniez à l'hôtel de Longueville, où vous êtes encore plus plénipotentiaire qu'à Münster? Chacun vous y souhaite cet hiver. Monseigneur votre frère est revenu chargé de palmes; revenez couronnée des myrtes de la paix, car il me semble que ce n'est pas assez pour vous que des branches d'olivier. Je n'ose m'expliquer davantage, de peur de vous dire une galanterie. C'est ce que je laisse aux Julies et aux Chapelains, etc.[404]»

Elle-même en avait assez de son brillant exil, bien qu'elle dissimulât son ennui avec sa politesse et sa douceur accoutumées. Dans l'hiver de 1647, elle eut deux raisons pour revenir en France. Son père, M. le Prince, était mort à la fin de décembre 1646, grande perte pour sa famille et pour la France, et dont les conséquences se firent plus tard vivement sentir. De plus, Mme de Longueville était devenue grosse pour la troisième fois à Münster. Sa mère voulut qu'elle revînt faire ses couches auprès d'elle, et il fallut bien que M. de Longueville consentît à laisser reprendre à sa femme le chemin de Paris. Elle partit de Münster le 27 mars 1647, et dès qu'elle fut arrivée sur les bords du Rhin, le prince d'Orange lui envoya un beau yacht sous le commandement d'un émigré français, conspirateur émérite, comme Fontraille et Montrésor, ardent ennemi de Richelieu et de Mazarin, un des amis particuliers de Beaufort, de Mme de Montbazon et de Mme de Chevreuse, le comte de Saint-Ibar[405], qui, forcé de quitter la France après la découverte du complot de Beaufort[406], était venu chercher un asile auprès du prince d'Orange, et de Hollande, comme Mme de Chevreuse de Bruxelles, avait la main dans toutes les intrigues qui s'agitaient à Münster, et travaillait de concert avec elle et avec l'argent de l'Espagne à susciter des obstacles à la fortune de Mazarin même aux dépens de celle de la France[407]. L'inquiet et audacieux Saint-Ibar déposa-t-il alors dans l'oreille de Mme de Longueville quelques insinuations contraires à Mazarin? Nous l'ignorons; mais nous savons que l'effort et l'espoir[408] des mécontents étaient de séduire à leur cause l'ambitieuse maison de Condé et de la brouiller avec la cour; et quelques années plus tard, au milieu de la Fronde, nous reverrons ce même Saint-Ibar à côté de Mme de Longueville, lorsqu'en 1650 elle entreprendra de soulever la Normandie[409].

Malade ou du moins souffrante, Mme de Longueville revint fort lentement en France, et c'est dans les premiers jours de mai seulement qu'elle arriva à Chantilly d'abord, puis à Paris. Là elle retrouva la cour de ses adorateurs plus nombreuse et plus empressée que jamais, et au premier rang son jeune frère, le prince de Conti, qui sortait du collége et faisait ses premiers pas dans le monde. Disons un mot de ce nouveau personnage, qui paraît pour la première fois, et jouera un assez grand rôle dans la vie de Mme de Longueville.

Armand de Bourbon, prince de Conti, né en 1629, avait dix-huit ans en 1647[410]. Il avait de l'esprit et n'était pas mal de figure; mais quelque défaut dans la taille et une certaine faiblesse de corps l'avaient fait juger assez peu propre à la guerre, et on l'avait de bonne heure destiné à l'Église. Il avait fait à Paris d'assez fortes études chez les jésuites, au collége de Clermont, avec Molière, passé l'examen de maître ès arts et soutenu ses thèses de théologie avec beaucoup d'éclat[411]. M. le Prince avait obtenu pour lui de riches bénéfices, et demandé un chapeau de cardinal. En attendant ce chapeau, Armand de Bourbon avait été pourvu du gouvernement de Champagne et de Brie qu'avait auparavant le duc d'Enghien, tandis que celui-ci succédait à son père dans les gouvernements de Bourgogne, de Bresse et de Berri, et dans la grande maîtrise de la maison du Roi, ainsi que dans la présidence du conseil, quand la Reine et Monsieur n'y étaient pas. Trop jeune encore pour exercer par lui-même une charge aussi difficile que celle de gouverneur de province, le prince de Conti vivait à Paris, à moitié ecclésiastique, à moitié mondain, tout occupé de bel esprit et avide de toute espèce de succès. La gloire de son frère le piquait d'émulation, et il lui prenait des caprices guerriers. Quand sa sœur était revenue d'Allemagne, il était allé au-devant d'elle, et ébloui de sa beauté, de sa grâce et de sa renommée, il s'était mis à l'aimer «plutôt en honnête homme qu'en frère», dit Mme de Motteville[412]. Il la suivit aveuglément dans toutes ses aventures, où il montra autant de courage que de légèreté. Dans la guerre de Guyenne, mal entouré et mal conseillé, il tint une conduite fort dissipée, se brouilla avec sa sœur, et fit sa paix avec la cour. Grâce à son mariage avec une nièce de Mazarin, la belle et vertueuse Anne Marie Martinozzi, il obtint le commandement en chef de l'armée de Catalogne, et s'en tira avec honneur. Il réussit moins bien en Italie. Il fut successivement gouverneur de Guyenne et de Languedoc, En tout, il n'a pas fait tort à son nom, et il a donné à la France, dans la personne de son plus jeune fils, un véritable homme de guerre, un des meilleurs élèves de Condé, un des derniers généraux éminents du XVIIe siècle. Ramené à la religion par l'âge et par la mauvaise santé, le prince de Conti finit par où il avait commencé, la théologie. Il composa sur divers sujets de piété des écrits qui ne manquent point de mérite[413]. En 1647, il était tout entier à la vanité et aux plaisirs. Il adorait sa sœur, et elle exerçait sur lui un empire, mêlé d'un peu de ridicule, qui dura plusieurs années.

La cour et Paris étaient alors dans des fêtes et des divertissements qu'on s'empressa de faire partager à Mme de Longueville. Pour plaire à la Reine, Mazarin multipliait les bals et les opéras. Il avait fait venir d'Italie des artistes, des chanteurs et des chanteuses, payés à grands frais, qui représentèrent un opéra d'Orphée dont les machines et les décorations seules coûtèrent, dit-on, plus de 400,000 livres[414]. La Reine raffolait de ces spectacles. La France aussi, comme touchée de sa propre grandeur, se complaisait dans les magnificences de son gouvernement, et les secondait en redoublant elle-même de luxe et d'élégance. Les plaisirs de l'esprit étaient au premier rang. L'hôtel de Rambouillet, tirant vers son déclin, jetait un dernier éclat. Mme de Longueville y régnait, ainsi que dans tous les cercles de Paris; et, il faut bien le dire, avec les qualités elle avait aussi les défauts des meilleures précieuses. Voici le tableau que Mme de Motteville a tracé[415] de sa personne, de ses occupations, de son crédit et de celui de toute la maison de Condé, à ce moment qui peut être considéré comme le plus brillant de sa vie: «Cette princesse, qui, absente, régnoit dans sa famille, et dont tout le monde souhaitoit l'approbation comme un bien souverain, revenant à Paris, ne manqua pas d'y paroître avec plus d'éclat qu'elle n'en avoit eu quand elle étoit partie. L'amitié que M. le Prince, son frère, avoit pour elle, autorisant ses actions et ses manières, la grandeur de sa beauté et celle de son esprit grossirent tellement la cabale de sa famille, qu'elle ne fut pas longtemps à la cour sans l'occuper presque tout entière. Elle devint l'objet de tous les désirs: sa ruelle devint le centre de toutes les intrigues, et ceux qu'elle aimoit devinrent aussitôt les mignons de la fortune... Ses lumières, son esprit et l'opinion qu'on avoit de son discernement, la faisoient admirer de tous les honnêtes gens, et ils étoient persuadés que son estime seule étoit capable de leur donner de la réputation... Enfin on peut dire qu'alors toute la grandeur, toute la gloire, toute la galanterie étoient renfermées dans cette famille de Bourbon dont M. le Prince étoit le chef, et que le bonheur n'étoit plus estimé un bien s'il ne venoit de leurs mains.»

On le voit: toutes les prospérités et toutes les félicités de la vie entouraient Mme de Longueville. Tout conspirait en sa faveur ou plutôt contre elle, les succès de l'esprit comme ceux de la beauté, la gloire toujours croissante de sa maison, l'enivrement de la vanité, les secrets besoins de son cœur. L'épreuve était trop forte; elle y succomba. Dans ce monde enchanté du bel esprit et de la galanterie, plus d'un adorateur attira son attention; l'un d'eux finit par l'emporter, selon toute apparence, à la fin de 1647 ou au commencement de 1648. Elle avait alors vingt-neuf ou trente ans.

François, prince de Marcillac, duc de La Rochefoucauld à la mort de son père, était né le 15 décembre 1613. D'assez bonne heure il épousa Mlle de Vivonne. Il servit honorablement en Italie et en Flandre, et en 1646 il fut blessé au siége de Mardyk. Comme dit Retz, s'il n'était pas guerrier, il était très soldat. Il était bien fait et fort agréable de sa personne[416]. Ce qui le distinguait par-dessus tout, c'était l'esprit. Il en avait infiniment, et du plus délicat. Sa conversation était aisée, insinuante, et ses manières de la politesse la plus naturelle à la fois et la plus relevée. Il avait un très grand air. La vanité lui tenait lieu d'ambition. Profondément personnel, et ayant fini par bien se connaître lui-même et à réduire en théorie son caractère et ses goûts, il débuta par les apparences contraires, et par la conduite ou du moins les façons les plus chevaleresques. Pour le bien juger, il faut tenir compte, ce qu'on n'a pas assez fait, du point de départ de toute sa carrière. Son père, qui devait son titre de duc à la faveur de Marie de Médicis, était resté fidèle à la Reine mère lorsqu'elle s'était brouillée avec Richelieu; il s'était rangé parmi les ennemis du cardinal, et nourrit son fils dans ses sentiments. Le jeune prince de Marcillac s'en pénétra de bonne heure, et les garda toujours, dans la mesure de son caractère incertain. En arrivant à la cour, il se trouva donc tout naturellement jeté dans le parti des mécontents et de la reine Anne. Il entra même tellement dans la confiance de la Reine que celle-ci, en 1637, accusée d'intelligence avec l'Espagne, traitée comme une criminelle et se voyant à la veille d'être à la fois répudiée et emprisonnée, abandonnée de tout le monde, lui proposa de l'enlever, elle et Mme de Hautefort dont il était épris, et de les conduire toutes les deux à Bruxelles. «J'étois, dit La Rochefoucauld[417], dans un âge où l'on aime à faire des choses extraordinaires et éclatantes, et je ne trouvai pas que rien le fût davantage que d'enlever en même temps la Reine au Roi son mari et au cardinal de Richelieu qui en étoit jaloux, et d'ôter Mlle de Hautefort au Roi qui en étoit amoureux.» Tout cela est si étrange que nous avons peine à y croire, même sur la foi de La Rochefoucauld[418]. C'est Mme de Chevreuse qu'il aurait pu accompagner du moins, lorsqu'en cette grave conjoncture, trompée sur ce qui se passait à Paris et craignant d'être arrêtée, elle prit la résolution de rompre son ban, de quitter son exil de Tours et de s'enfuir en Espagne[419]. Elle arriva la nuit, presque seule et déguisée, à une lieue de Vertœil où était La Rochefoucauld. L'occasion était belle pour un jeune homme de vingt-cinq ans qui avait consenti à enlever la Reine de France. Il aurait bien pu escorter une fugitive: il lui donna une voiture et des chevaux. C'était trop encore aux yeux de Richelieu qui le fit arrêter et mettre à la Bastille. Il n'y resta pas plus de huit jours. Son père qui, pendant ce temps-là, trouvant sa disgrâce un peu longue, s'était réconcilié avec le cardinal et en avait obtenu le gouvernement du Poitou, son oncle, le marquis de Liancourt, et leur ami le maréchal de La Meilleraye, intervinrent en sa faveur. La Rochefoucauld nous dit qu'amené d'abord devant Richelieu, il fut «plus réservé et plus sec qu'on n'avoit accoutumé de l'être avec lui,» et qu'en sortant de prison, conduit une seconde fois chez le ministre comme pour le remercier, «il n'entra point en justification de sa conduite, et que le Cardinal en parut piqué.» Mais La Rochefoucauld, en parlant ainsi, ne s'est-il pas un peu vanté, et est-il bien certain qu'il ait été si superbe? Mme de Chevreuse, en partant pour l'Espagne, lui avait confié ses pierreries; c'est La Rochefoucauld lui-même qui nous l'apprend, mais il s'arrête là: nous pouvons achever son récit. Quelque temps après, Mme de Chevreuse, réfugiée en Angleterre, lui envoya redemander ses pierreries par un gentilhomme avec lequel il fallut bien qu'il eût une entrevue. Le Cardinal, dont la police était admirablement faite, le sut et s'en plaignit. La Rochefoucauld s'empressa de se justifier, et il le fit d'une façon si humble qu'elle nous rend fort suspecte la fière attitude qu'il se donne au sortir de la Bastille. Cette justification est l'écrit le plus ancien que nous connaissions de La Rochefoucauld. Personne, jusqu'ici, n'en soupçonnait l'existence, et on n'en peut révoquer en doute l'authenticité, car il est autographe et signé[420]. Il est adressé à M. de Liancourt, évidemment pour être mis sous les yeux de Richelieu. En voici le début:

«Septembre 1638.

«Mon très cher oncle,

«Comme vous êtes un des hommes du monde de qui j'ai toujours le plus passionnément souhaité les bonnes grâces, je veux aussi, en vous rendant compte de mes actions, vous faire voir que je n'en ai jamais fait aucune qui vous puisse empêcher de me les continuer, et je confesserois moi-même en être indigne, si j'avois manqué au respect que je dois à monseigneur le Cardinal après que notre maison en a reçu tant de grâces, et moi tant de protection dans ma prison, et dans plusieurs autres rencontres, dont vous-même avez été témoin. Je prétends donc ici vous faire voir le sujet que mes ennemis ont pris de me nuire, et vous supplier, si vous trouvez que je ne sois pas en effet si coupable qu'ils ont publié, d'essayer de me justifier auprès de Son Éminence, et de lui protester que je n'ai jamais eu de pensée de m'éloigner du service que je suis obligé de lui rendre

Il y a là, ce semble, plus d'une expression qui va au delà du respect et de la prudence, et témoigne de quelque engagement. La Rochefoucauld raconte ensuite à M. de Liancourt dans les plus petits détails toute son entrevue avec le gentilhomme envoyé par Mme de Chevreuse. Il s'applique à bien établir qu'il refusa assez longtemps de recevoir la lettre qu'elle lui adressait; et le soin qu'il y met nous porte à penser qu'il n'était si promptement sorti de la Bastille qu'en promettant de n'avoir plus le moindre commerce avec la dangereuse duchesse. «Je dis (à ce gentilhomme) que, bien que je fusse le très humble serviteur de Mme de Chevreuse, néantmoins je pensois qu'elle ne dût pas trouver étrange si, après les obligations que j'ai à monseigneur le Cardinal, je refusois de recevoir de ses lettres, de peur qu'il ne le trouvât mauvais, et que je ne voulois me mettre en ce hasard-là pour quoi que ce soit au monde.» Enfin, en congédiant ce gentilhomme, il le prie de dire à Mme de Chevreuse «qu'elle n'avoit point de serviteur en France qui souhaitât si passionnément que lui qu'elle y revînt avec les bonnes grâces du Roi et de monseigneur le Cardinal.»

En 1642, La Rochefoucauld, toujours attaché à la cause de la Reine, se lia par son ordre avec de Thou[421], et se trouva ainsi indirectement engagé, mais non pas compromis dans l'affaire de Cinq-Mars et du duc de Bouillon. Quand de Thou eut expié sur l'échafaud son imprudente amitié, il n'y eut pas un honnête homme en France qui ne gémit sur son sort. Son frère, l'abbé de Thou, reçut, en cette triste occasion, une foule de lettres de condoléance. Le savant Dupuy les a recueillies. Elles nous apprennent les noms de ceux qui, ayant plus ou moins partagé les sentiments de de Thou, se crurent obligés de donner au moins cette marque d'intérêt à sa famille. Tous les Importants y sont: Beaufort, Béthune, Montrésor, Fiesque, La Châtre et sa femme, M. de Longueville lui-même, bien entendu avec Mme de Chevreuse, Mme de Montbazon, Mme de Soissons, etc.[422]. Nous y avons rencontré ce billet inédit de La Rochefoucauld qui témoigne d'une liaison assez intime avec le mélancolique ami du brillant et léger Cinq-Mars.

«Monsieur,

«J'ai une extrême honte de vous donner de si faibles marques de la part que je prends en votre déplaisir, et de ce qu'étant obligé de tant de façons à monsieur votre frère, je ne puis vous témoigner que par des paroles la douleur que j'ai de sa perte et la passion que je conserverai toute ma vie de servir ce qu'il a aimé. C'est un sentiment que je dois à sa mémoire et à l'estime que je fais de votre personne. Je vous serai extraordinairement obligé si vous me faites l'honneur de croire que j'aurai toujours beaucoup de respect pour l'un et pour l'autre, et que je suis, Monsieur, votre très humble et très affectionné serviteur,

«Marcillac

Ainsi, quand même La Rochefoucauld aurait un peu exagéré son dévouement, il est certain que, sans avoir eu la fidélité courageuse d'un commandeur de Jars ou d'une Mme de Hautefort et encore bien moins l'aventureux héroïsme de Mme de Chevreuse, il était en posture d'attendre de la Reine, à la mort de Richelieu et de Louis XIII, d'assez grandes récompenses. Il les manqua toutes par une conduite équivoque. Il est impossible de le mieux peindre à cette époque de sa vie qu'il le fait lui-même. Après s'être moqué des Importants, il ajoute[423]: «Pour mon malheur, j'étois de leurs amis sans approuver leur conduite. C'étoit un crime de voir le cardinal Mazarin. Cependant, comme je dépendois entièrement de la Reine, elle m'avoit déjà ordonné une fois de le voir; elle voulut que je le visse encore; mais, comme je voulois éviter la critique des Importants, je la suppliai d'approuver que les civilités qu'elle m'ordonnoit de lui rendre fussent réglées, et que je pusse lui déclarer que je serois son serviteur et son ami tant qu'il seroit véritablement attaché au bien de l'État et au service de la Reine, mais que je cesserois de l'être s'il contrevenoit à ce que l'on doit attendre d'un homme de bien et digne de l'emploi qu'elle lui avoit confié. Elle loua avec exagération ce que je lui disois. Je le répétai mot à mot au Cardinal qui apparemment n'en fut pas si content qu'elle, et qui lui fit trouver mauvais ensuite que j'eusse mis tant de conditions à l'amitié que je lui promettois.» Mazarin avait bien raison. Une amitié hérissée de tant de réserves et de conditions ressemble fort à une inimitié cachée. Mais tout parti décidé et irrévocable répugnait à la nature de La Rochefoucauld. Sa principale qualité était la finesse, et elle lui faisait voir bien vite le mauvais côté des partis et des hommes. Il était né Important et Frondeur, car il inclinait à la critique, bien plus facile que la pratique en toutes choses. Il croyait aussi de son honneur de ne pas abandonner d'anciens amis, alors même qu'ils s'égaraient. Il les blâmait sans oser s'en séparer, n'admirant guère Beaufort, mais n'étant pas pour Mazarin, serviteur très particulier de la Reine et assez mal avec son ministre, ayant un pied dans l'opposition et un autre dans la cour. Il recueillit les fruits de toutes ces incertitudes. Mazarin, sans repousser ouvertement les diverses propositions que lui fit en sa faveur Mme de Chevreuse[424], les fit échouer tantôt sous un prétexte et tantôt sous un autre. Le refus du gouvernement du Havre fut très sensible à La Rochefoucauld; il se plaignit vivement[425], quitta peu à peu la modération ambiguë qu'il avait prétendu garder, et dériva du côté des ennemis de Mazarin. On suit dans les carnets manuscrits du Cardinal ce progrès de La Rochefoucauld vers une hostilité de plus en plus marquée, et ce qui prouve la sagacité merveilleuse de Mazarin ou ses exactes informations, c'est que ses notes, écrites sur le moment même, semblent aujourd'hui un commentaire fait après coup des Mémoires de La Rochefoucauld. Dans le dernier passage que nous avons cité, La Rochefoucauld s'exprime ainsi: «Comme je voulois éviter la critique des Importants, je suppliai la Reine d'approuver que les civilités qu'elle m'ordonnoit de rendre au Cardinal fussent réglées.» Mazarin dans ses carnets semble traduire ces lignes en espagnol, mais la traduction est encore au-dessus de l'original: «Marcillac, dit-il, pèse dans la plus fine balance les visites qu'il doit me faire[426].» On rencontre bien de temps en temps quelques mots, tels que ceux-ci: «Une pension pour Marcillac[427].» Mais on lit quelques pages après: «Marcillac est plus Important que jamais. Au reste, celui qui a été une fois infecté de ce venin n'en guérit jamais[428].» Admirable jugement dont Mazarin dut encore mieux reconnaître toute la vérité en 1648, quand il vit les Importants devenir les Frondeurs, et les mêmes hommes, loin d'avoir été corrigés par l'expérience, faire paraître de nouveau le même caractère et la même conduite.

La Rochefoucauld n'ayant pas partagé les excès et les violences des Importants, n'avait pas été tout à fait enveloppé dans leur disgrâce. Elle s'était réduite à son égard à des échecs d'ambition qui avaient pu le blesser, mais que la Reine s'était appliquée à couvrir et à adoucir par des manières affectueuses, et en le berçant de l'espérance de quelque prochaine et éclatante faveur. Ces faveurs n'arrivant pas, il prit le parti de conquérir, en se faisant craindre davantage, ce que sa fidélité et ses services n'avaient pu lui faire obtenir.

C'est dans ces dispositions qu'il rencontra Mme de Longueville à son retour de Münster, environnée d'hommages de plus en plus pressants. Le comte de Miossens, depuis le maréchal d'Albret, beau, brave, plein d'esprit et de talent[429], alors très à la mode, aussi entreprenant en amour qu'à la guerre, lui faisait une cour très vive. La Rochefoucauld fit sentir à Miossens, qui était un de ses amis, qu'après tout, s'il surmontait les résistances de Mme de Longueville, ce ne serait là qu'une victoire flatteuse à sa vanité, tandis que lui La Rochefoucauld en saurait tirer un tout autre parti. Voilà certes une bien touchante et bien héroïque raison d'aimer! Corneille ne s'en était point avisé dans le Cid et dans Polyeucte. Et pourtant nous ne faisons que traduire, avec la plus parfaite exactitude, un morceau de La Rochefoucauld lui-même que nous avons déjà cité et qu'il nous est impossible de ne pas reproduire, et parce qu'il est décisif, et parce qu'il tient lieu des passages semblables de Mme de Nemours et de Mme de Motteville, de Guy Joly et de Monglat[430]: «Tant d'inutilité et tant de dégoûts me donnèrent enfin d'autres pensées et me firent chercher des voies périlleuses pour témoigner mon ressentiment à la Reine et au cardinal Mazarin. La beauté de Mme de Longueville, son esprit et tous les charmes de sa personne attachèrent à elle tout ce qui pouvoit espérer en être souffert. Beaucoup d'hommes et de femmes de qualité essayèrent de lui plaire; et par-dessus les agréments de cette cour, Mme de Longueville étoit alors si unie avec toute sa maison et si tendrement aimée du duc d'Enghien, son frère, qu'on pouvoit se répondre de l'estime et de l'amitié de ce prince quand on étoit approuvé de Mme sa sœur. Beaucoup de gens tentèrent inutilement cette voie, et mêlèrent d'autres sentiments à ceux de l'ambition. Miossens, qui depuis a été maréchal de France, s'y opiniâtra le plus longtemps, et il eut un pareil succès. J'étois de ses amis particuliers, et il me disoit ses desseins. Ils se détruisirent bientôt d'eux-mêmes. Il le connut, et me dit plusieurs fois qu'il étoit résolu d'y renoncer; mais la vanité, qui étoit la plus forte de ses passions, l'empêchoit souvent de me dire vrai, et il feignoit des espérances qu'il n'avoit pas et que je savois bien qu'il ne devoit pas avoir. Quelque temps se passa de la sorte, et enfin j'eus sujet de croire que je pourrois faire un usage plus considérable que Miossens de l'amitié et de la confiance de Mme de Longueville. Je l'en fis convenir lui-même. Il savoit l'état où j'étois à la cour; je lui dis mes vues, mais que sa considération me retiendrait toujours et que je n'essaierois point à prendre des liaisons avec Mme de Longueville s'il ne m'en laissoit la liberté. J'avoue même que je l'aigris exprès contre elle pour l'obtenir, sans lui rien dire toutefois qui ne fût vrai. Il me la donna tout entière, mais il se repentit de me l'avoir donnée quand il vit la suite de cette liaison.»

La Rochefoucauld plut sans doute à Mme de Longueville par les agréments de son esprit et de sa personne, surtout par cette auréole de haute chevalerie que lui avait donnée sa conduite envers la Reine, et qui devait éblouir une élève de l'hôtel de Rambouillet. Il l'entoura d'hommages intéressés et en apparence les plus passionnés du monde. A mesure qu'il s'insinuait dans son cœur, il y animait habilement ce désir de paraître et de produire de l'effet, assez naturel à une femme. Peu à peu il fit luire à ses yeux un objet nouveau qu'elle n'avait pas encore aperçu, un rôle important à jouer sur la scène des événements qui se préparaient. Il égara ses instincts de fierté et d'indépendance; il transforma sa coquetterie naturelle en ambition politique, ou plutôt il lui inspira sa propre ambition.

Mme de Longueville, touchée de la passion que lui montrait La Rochefoucauld, et dont nous avons aujourd'hui l'explication, une fois qu'elle eut pris le parti d'y répondre, en se donnant se donna tout entière; elle se dévoua à celui qu'elle osait aimer; elle se fit un point d'honneur, comme sans doute un bonheur secret, de partager sa destinée et de le suivre sans regarder derrière elle, lui sacrifiant tous ses intérêts particuliers, l'intérêt évident de sa famille, et le plus grand sentiment de sa vie, sa tendresse pour son frère Condé.

Loin de dissimuler la faute de Mme de Longueville, nous allons nous-même la faire paraître, et, pour la bien mesurer, rappeler à quelle grandeur était successivement parvenue la maison de Condé en servant fidèlement la royauté et la patrie.

La France ne compte pas dans son histoire d'années plus glorieuses que les premières années de la régence d'Anne d'Autriche et du gouvernement de Mazarin, tranquille au dedans après la défaite du parti des Importants, triomphante sur tous les champs de bataille, de 1643 à 1648, depuis la victoire de Rocroy jusqu'à celle de Lens, liées entre elles par tant d'autres victoires et couronnées par le traité de Westphalie. C'est la maison de Condé qui remplit cette mémorable époque presque tout entière, ou y joue du moins le premier rôle, par elle-même ou par ses alliances. Dans le conseil, M. le Prince seconde Mazarin, comme il avait fait Richelieu. Armand de Brézé, ouvrant la liste des grands amiraux du XVIIe siècle, tient en échec ou disperse dans la Méditerranée les flottes de l'Espagne. M. de Longueville, chargé de la plus grande ambassade du temps, met dans la balance diplomatique le poids de son nom, de sa modération et de sa magnificence. Pour le jeune Condé, qui n'a lu, au moins dans Bossuet, ses campagnes en Flandre et sur le Rhin? Nous avons fait voir quelle fut l'importance de la victoire de Rocroy; celles qui suivirent n'étaient pas moins nécessaires, et c'est à ce point de vue qu'il nous est commandé d'y insister.

Depuis quelque temps, il est presque reçu de parler de Condé comme d'un jeune héros qui doit tous ses succès à l'ascendant d'un irrésistible courage. Prenons garde de faire un paladin du moyen âge, ou un brillant grenadier, comme tel ou tel maréchal de l'Empire, d'un capitaine de la famille d'Alexandre, de César et de Gustave Adolphe. Condé avait reçu comme eux le génie de la guerre, et, ainsi qu'Alexandre, il excellait surtout dans l'exécution et payait avec ardeur de sa personne; mais il semble que l'éclat de sa bravoure ait mis un voile sur la grandeur et l'originalité de ses conceptions, comme son extrême jeunesse à Rocroy a fait oublier que depuis bien des années il étudiait la guerre avec passion et avait déjà fait trois campagnes sous les maîtres les plus renommés. Si c'était ici le lieu, et si nous osions braver le ridicule de nous ériger en militaire, nous aimerions à comparer les campagnes de Condé en Flandre et sur le Rhin avec celles du général Bonaparte en Italie. Elles ont d'admirables rapports: la jeunesse des deux généraux[431], celle de leurs principaux lieutenants, la grandeur politique des résultats, la nouveauté des manœuvres, le même coup d'œil stratégique, la même audace, la même opiniâtreté. C'est dégrader l'art de la guerre que de mesurer les succès militaires sur la quantité des combattants, car à ce compte Tamerlan et Gengis-Khan seraient les deux plus grands capitaines du monde. Le général de l'armée d'Italie n'a guère eu, ainsi que Condé, plus de vingt à vingt-cinq mille hommes en ligne dans ses plus grandes batailles[432]. Disons, à l'honneur de Condé, qu'il a toujours eu devant lui les meilleures troupes et les meilleurs généraux de son temps, et qu'il n'a presque jamais choisi ni ses lieutenants ni son armée[433]. Une fois il n'eut dans sa main que des troupes et des officiers de différentes nations, dont les jalousies et même les défections trahirent son plus grand dessein. Une autre fois il commandait à des soldats fatigués et découragés, dont toute la force était dans sa seule personne. Il possédait toutes les parties de l'homme de guerre. Il ne savait pas seulement enlever la victoire par la hardiesse de ses manœuvres, il savait aussi la préparer, et, comme l'a dit Bossuet d'un tout autre personnage, ne rien laisser à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance. Il a excellé dans l'art des campements et des siéges, comme dans celui des combats: il a devancé et peut-être formé Vauban. Tour à tour il avait cette audace qui confondit Mercy à Fribourg et à Nortlingen et Guillaume à Senef, avec la forte prudence qui lui fit lever en 1647 le siége de Lerida, et qui en 1675, après la mort de Turenne, lassa Montecuculli. Il joignait aux plus heureux instincts des études profondes, et il tenait école de guerre. En Catalogne il marchait un César à la main et l'expliquait à ses lieutenants. Il a laissé à la France plusieurs grands généraux formés à ses leçons, dressés de ses mains, et qui, loin de lui et après lui, ont gagné des batailles, à commencer par Turenne, qui servit sous ses ordres pendant deux campagnes, et à finir par ce Luxembourg qui aurait besoin d'être jugé de nouveau et qui peut-être ne serait pas trouvé trop inférieur à Turenne lui-même. N'oubliez pas ce dernier trait si frappant: Condé est le seul capitaine moderne qui n'a jamais essuyé de défaite, et qui a toujours été victorieux quand il a commandé en chef. Turenne a été battu deux fois en bataille rangée, à Rethel et à Mariendal; Frédéric a débuté par des revers; Napoléon a terminé son éblouissante carrière par deux effroyables déroutes, Leipzig et Waterloo; Condé seul n'a connu que la victoire. Il a eu affaire aux trois plus illustres généraux de l'Europe, Mercy, Guillaume et Montecuculli: aucun des trois n'a pu lui arracher l'ombre même d'un avantage. Joignez à tout cela cette magnanimité de l'homme bien né et bien élevé qui, au lieu de s'attribuer à lui seul l'honneur du succès, le répand sur tous ceux qui ont bien servi, et se complaît a célébrer Gassion et Sirot après Rocroy, Turenne après Fribourg et Nortlingen, Châtillon après Lens, et Luxembourg après Senef[434].

Condé vainquit à Rocroy par la manœuvre simple et hardie que nous avons décrite[435]. Il était clair que l'aile gauche de l'ennemi étant dispersée, mais son aile droite étant victorieuse et menaçant de tout écraser, il fallait à tout prix arrêter cette aile et la détruire. Or, pour arriver sur elle le plus tôt possible, à la hauteur du champ de bataille où se trouvait Condé, et quand il était déjà aux mains avec la dernière ligne de l'infanterie ennemie, le chemin le plus court était de se frayer un passage à travers cette dernière ligne, pour tomber après comme la foudre sur les derrières de l'aile triomphante. Si l'infanterie qu'il s'agissait de culbuter eût été celle du comte de Fontaine, elle eût tenu ferme, barré le chemin à Condé, et il était perdu; mais il voyait bien que cette infanterie était un mélange de troupes italiennes, wallonnes et allemandes: il espéra donc en venir à bout à force d'énergie. Voilà pourquoi il chargea lui-même et fit des prodiges de valeur commandés par le calcul le plus sévère. Plus tard, lorsqu'on lui faisait des compliments sur son courage, il disait avec esprit et profondeur qu'il n'en avait jamais montré que lorsqu'il l'avait fallu. Il est vrai que les héros seuls ont de l'audace à volonté.

Il se conduisit à peu près de même l'année suivante, en 1644, dans les combats de géants qu'il livra à Mercy autour de Fribourg. Impossible de séparer aucune des divisions de l'armée impériale, adhérentes entre elles et formant une masse à la fois mobile et serrée derrière des retranchements formidables. Il les attaqua lui-même avec cette furie française à qui tout cède; en même temps, il avait envoyé Turenne, la nuit, à une très grande distance, à travers des gorges effroyables, comme Bonaparte dans les marais d'Arcole[436], pour prendre en flanc et sur ses derrières l'armée ennemie, qui était perdue, si Mercy, averti à temps et confondu d'une telle manœuvre, ne se fût bien vite échappé. Au second combat de Fribourg, Condé renouvela cette même manœuvre en envoyant Turenne à une distance bien plus grande encore que la première fois, afin de fermer toute issue à Mercy pendant qu'il l'attaquait de front, et de l'écraser dans son camp ou de le forcer à capituler. Le vigilant Mercy échappa une seconde fois, mais sa retraite, tout admirable qu'elle est, n'en ressembla pas moins à une déroute, car il perdit non-seulement l'honneur des armes et le champ de bataille, mais toute son artillerie et une partie de son armée.

En 1645, Mercy et Condé se retrouvèrent en présence. Mercy venait de battre Turenne à Mariendal. Cette victoire avait enflé le courage des Impériaux, et l'Empereur et le roi de Bavière ne voulaient plus faire la paix. Condé, en allant prendre de nouveau le commandement d'une armée battue, comme il avait fait l'année précédente, la trouva composée de 5,000 Weymariens, reste de Mariendal, de 4,000 Suédois, de 6,000 Hessois, et il amenait avec lui 8,000 Français. Avec ces 23,000 hommes, il conçut le plan de campagne que Moreau exécuta depuis en partie et qu'accomplit Napoléon. Il résolut de livrer à Mercy une grande bataille, et, après l'avoir dispersé, de marcher sur Munich et sur Vienne, et de dicter la paix à l'Empereur dans sa capitale. Ce plan échoua parce que Condé était à la tête d'une armée combinée, que les Suédois et les Hessois refusèrent de suivre aussi loin le général français, et que les Suédois même se retirèrent. Condé ne pouvait attendre aucun secours de la France, qui s'était épuisée pour faire cinq armées en Espagne, en Italie, en Lorraine, en Flandre et sur le Rhin. Il renonça donc à sa plus grande conception militaire avec douleur et en frémissant, comme Annibal lorsqu'il fut forcé de quitter l'Italie. Il voulut exterminer du moins l'armée de Mercy. Celui-ci, qui savait à qui il avait affaire, avait pris une position tout aussi forte que celle de Fribourg et qui le mettait à l'abri des deux manœuvres favorites de Condé: couper l'armée ennemie ou aller la surprendre au loin en flanc ou sur ses derrières. Turenne déclara qu'attaquer un ennemi ainsi retranché, c'était courir à sa ruine, et Napoléon, qu'on n'accusera pas de timidité, est de l'avis de Turenne[437]. Condé répondit en politique plus qu'en militaire, qu'en vain on entreprendrait, quelque manœuvre qu'on pût employer, de faire sortir Mercy d'une position savamment choisie, qu'il fallait donc ou l'attaquer ou se retirer, et que se retirer serait de l'effet le plus déplorable dans l'ébranlement de toutes nos alliances, après la déroute de Mariendal et la défection des Suédois. La France avait besoin d'une victoire. Condé gagna celle de Nortlingen, mais il la gagna grâce à deux accidents sur lesquels il n'avait pas droit de compter, grâce aussi à l'inspiration d'un grand caractère. Il faut avouer que, dans l'exécution, jamais Condé ne fut plus grand. D'abord il comprit que toute l'affaire reposait sur le centre de Mercy et qu'il fallait en avoir raison à tout prix. Il se chargea lui-même de l'attaque. Il eut un cheval tué sous lui, deux de blessés, vingt coups dans ses armes et dans ses habits. Marsin, qui sous lui commandait le centre, fut dangereusement blessé, et l'intrépide La Moussaye mis hors de combat. Les Français et les Impériaux, tour à tour vainqueurs et vaincus, firent des prodiges de courage. Ce fut une effroyable boucherie. Mercy y périt. Sur ces entrefaites, Jean de Wert, qui commandait l'aile gauche impériale, descend de la hauteur qu'il occupe, écrase l'aile droite française, disperse notre réserve malgré les efforts de ses deux chefs, Chabot et Arnauld[438]. C'en était fait de l'armée tout entière, si, au lieu de s'amuser à poursuivre les fuyards et à piller les bagages, Jean de Wert se fût jeté sur les derrières de notre centre à moitié détruit, et pressé notre aile gauche entre ses escadrons victorieux et la division encore intacte du général Gleen. Cette faute et la mort de Mercy sauvèrent Condé, parce qu'il sut en profiter avec une promptitude incomparable. Il vit qu'après avoir perdu son aile droite, sa réserve et une grande partie de son centre, tenter de faire sa retraite avec son aile gauche était une opération en apparence prudente, en réalité téméraire, devant un ennemi qui avait encore de grandes masses d'infanterie, beaucoup d'artillerie et une cavalerie redoutable, qu'il valait donc mieux maintenir le combat, et qu'en s'exposant à périr il était possible de vaincre. Ce coup d'œil rapide d'une âme forte qui saisit et embrasse l'unique moyen de salut, quelque périlleux qu'il soit, est le trait caractéristique du génie de Condé. Tout blessé qu'il était, harassé de fatigue, mais puisant une vigueur nouvelle dans la grandeur de sa résolution, il se met à la tête de l'aile gauche de Turenne, se précipite, comme s'il était au début de l'affaire, sur l'aile droite de l'ennemi, l'enfonce, fait prisonnier son commandant; puis, tournant à droite, se jette sur le centre des Impériaux, dégage le sien, le rallie, le ramène au combat, et, maître du champ de bataille, s'apprête à faire face à Jean de Wert, qui, revenant de sa poursuite inutile, apprenant la mort de Mercy[439] et la prise de Gleen, consterné du désastre causé par son absence, n'ose ni attaquer ni attendre Condé, se borne à recueillir les débris de l'armée et se sauve à Donawerth. Condé avait encore eu dans ce second combat un cheval tué sous lui; il avait reçu un coup de pistolet, et il manqua de ne pas survivre à sa victoire. C'est alors qu'il fit cette grande maladie au sortir de laquelle il se trouva avoir perdu avec son sang et ses forces toute sa passion pour Mlle Du Vigean[440].

Aussi grand dans l'art des siéges que dans celui des combats, en 1643, après Rocroy, Condé avait pris Thionville, une des premières places fortes du temps. En 1644, il prit Philipsbourg, qui commandait le haut Rhin. En 1646, ayant eu la sagesse de consentir à servir sous le duc d'Orléans pour ménager les ombrages et la vanité de ce prince, et n'ayant eu le commandement de l'armée qu'à la fin de la campagne, il la termina par un siége mémorable, où il se couvrit de gloire; il prit Dunkerque le 11 octobre 1646[441].

Accoutumé à réparer les défaites des autres, Condé alla remplacer en 1647 le comte d'Harcourt, qui venait d'échouer devant Lerida. Mazarin avait voulu plusieurs fois envoyer Condé en Catalogne; son père, M. le Prince, s'y était toujours opposé, et tous ses amis le dissuadèrent d'accepter ce commandement. Il montra certes une grande déférence envers Mazarin en quittant le théâtre ordinaire de ses exploits pour un pays où il fallait faire une petite guerre qui convenait mal à son génie, avec une ombre d'armée incapable de livrer une bataille, et bonne tout au plus à se soutenir devant l'ennemi. Quand tout le monde s'était moqué du comte d'Harcourt, qui n'avait pu prendre Lerida, Condé avait eu le bon sens et la générosité de défendre cet excellent général; il s'était d'avance défendu lui-même. En effet, arrivé à son tour devant Lerida, et n'ayant reçu de France ni les secours de troupes qu'on lui avait promis, ni les munitions et l'artillerie qui lui étaient absolument nécessaires, n'ayant pas assez de forces pour aller au-devant de l'armée espagnole et ne pouvant songer à prendre d'assaut Lerida avec des soldats éteints, il eut le courage de lever le siége et de faire une bonne retraite, préférant le salut de l'armée à sa propre réputation. Cette conduite, soutenue avec sa hauteur accoutumée, lui fit le plus grand honneur, et prouva qu'il était maître de lui et savait employer tour à tour la prudence ou l'audace, selon les circonstances.

C'est ainsi qu'en 1648, à Lens trouvant l'archiduc Léopold dans une position formidable, comme celle de Mercy à Nortlingen, il reconnut qu'il serait d'une souveraine imprudence de tenter une seconde fois la fortune; et, sachant bien qu'il n'avait plus affaire à Mercy, il entreprit d'attirer l'archiduc Léopold et le général Beck sur un terrain plus favorable, dans une plaine où la principale force de l'armée française, la gendarmerie, commandée par d'Andelot, devenu le duc de Châtillon, devait avoir un grand avantage. Du côté des Espagnols étaient le nombre, l'abondance et la discipline; du côté des Français, la misère et l'audace. L'archiduc avait son centre adossé à des bourgs et à des hameaux formant des retranchements naturels. Sa droite composée de tout ce qui restait des vieilles bandes nationales, s'appuyait à la ville de Lens. L'aile gauche était postée sur une éminence à laquelle on ne pouvait arriver qu'à travers les plus étroits sentiers. Il fallait manœuvrer avec un art infini pour faire abandonner à l'ennemi cette position inexpugnable. Condé commanda une fausse retraite[442] qu'expliquait parfaitement le désir d'une situation meilleure. Beck trompé détache la cavalerie lorraine pour inquiéter, et, s'il se peut, tailler en pièces notre arrière-garde, qui est assez promptement enfoncée et s'enfuit en désordre. Châtillon avec sa gendarmerie ramène vivement les Lorrains et menace d'en faire un carnage. On ne pouvait les abandonner. L'archiduc envoie à leur secours toute sa cavalerie. Le combat s'engage; toute l'armée ennemie s'ébranle et descend dans la plaine. C'est là ce que voulait Condé. Cette manœuvre, qui eût échoué à Nortlingen, réussit à Lens. L'armée impériale avait encore l'immense désavantage d'être obligée de se former à mesure qu'elle avançait, tandis que l'armée française était depuis le matin rangée en bon ordre au bout de la plaine, sur un terrain bien choisi. Condé comptait particulièrement sur la gendarmerie de Châtillon; il l'avait rappelée bien vite après le premier engagement, et l'avait mise à la seconde ligne pour lui donner le temps de se rafraîchir; puis, quand les deux corps de bataille en furent venus aux prises, il la lança de nouveau avec son intrépide général; et, après avoir été si utile au début de la journée, elle la décida en renversant tout ce qu'elle rencontra devant elle[443]. Restait l'infanterie espagnole, qui ne montra pas la même opiniâtreté qu'à Rocroy, et demanda la vie. Le vieux général Beck se conduisit comme Fontaine et Mercy: il se battit en lion, fut blessé et pris, et mourut de désespoir. L'archiduc Léopold se sauva dans les Pays-Bas avec le comte de Fuensaldaigne.

La victoire de Lens était aussi nécessaire et elle fut tout aussi utile que celle de Rocroy: on lui doit la reprise des négociations de Münster et la conclusion du traité de Westphalie. Ce traité est le suprême résultat des cinq grandes campagnes de Condé en Flandre et sur le Rhin. Condé était en quelque sorte le négociateur armé, et M. de Longueville le négociateur pacifique.

Le père Bougeant, dans son estimable histoire du traité de Westphalie[444], suppose que Mazarin envoya le duc de Longueville à Münster «pour éloigner de la cour un prince capable d'y exciter des troubles.» Mais en 1643 le duc de Longueville se laissait conduire, ainsi que tout le reste de la famille, à la politique de son chef, M. le Prince. C'est le crédit de ce dernier qui fit donner l'ambassade de Münster à son gendre, ainsi que l'entrée au conseil. Mazarin n'avait pas choisi M. de Longueville pour sa capacité, bien qu'il n'en fût pas dépourvu, mais pour faire marcher ensemble d'Avaux et Servien, qui ne s'entendaient guère, et donner de l'éclat à la légation française. Il demeurait toujours le maître des négociations, et les Condé devaient être flattés d'être à la tête de la plus importante affaire diplomatique, comme ils avaient déjà le commandement de la flotte de la Méditerranée et celui de l'armée de Flandre.

M. de Longueville avait à poursuivre le grand objet que se proposait le cabinet français depuis Henri IV, l'affaiblissement de la maison d'Autriche au profit de la France[445]. C'est dans ce dessein que le Roi Très Chrétien, le cardinal de Richelieu et le cardinal Mazarin avaient été vus s'alliant au protestant Gustave Adolphe, l'attirant et le retenant dans le cœur de l'Allemagne, lui et après lui ses lieutenants, et soutenant la Hollande protestante contre la catholique Espagne. Cette lutte, qui parut avec tant d'éclat sur les champs de bataille pendant trente années, eut lieu aussi pendant plus de douze ans à Osnabrück et à Münster. D'un côté étaient l'Autriche, l'Espagne, la Bavière, avec les électeurs ecclésiastiques de Mayence et de Cologne; de l'autre, les puissances protestantes, le Brandebourg, la Saxe, la Hesse, avec leurs alliés, la Hollande, la Suède et la France. Le parti protestant voulait obtenir le plus de concessions, et le parti catholique en faire le moins possible. Dès l'année 1640, Richelieu avait désigné pour le représenter aux conférences de Münster l'homme qui avait toute sa confiance, Mazarin, avec le comte Claude d'Avaux, de la puissante famille parlementaire des de Mesme. Quand Mazarin succéda à Richelieu, il nomma à sa place le comte Abel Servien, oncle de cet habile et judicieux Lyonne qu'il connaissait depuis longtemps et qui peu à peu lui devint ce qu'il avait été lui-même à Richelieu. D'Avaux était certainement un de nos premiers diplomates. Il jouissait de la plus haute considération et la méritait. Ce n'était pas seulement un fort bel esprit, c'était à la fois un homme de bien et un négociateur fin et insinuant, parlant et écrivant à merveille; mais son zèle religieux, qui le faisait bien venir des puissances catholiques, le portait un peu trop à s'accommoder avec elles, et à rechercher l'avantage de l'Église au delà de ce que permettait la politique, ainsi qu'il le montra dans un malencontreux discours aux États généraux de Hollande, plus digne d'un ministre du saint-siége que d'un ministre de la France. Servien égalait d'Avaux avec un caractère et des talents tout différents. Formé à l'école de Richelieu, rompu aux affaires, il était accoutumé à poursuivre son but avec une constance qui ressemblait souvent à l'opiniâtreté. Il ne s'entendit pas longtemps avec son collègue. M. de Longueville, par la supériorité de sa naissance et de sa situation et la parfaite politesse de ses manières, parvint à les concilier, du moins en apparence; mais lui-même, et surtout sa femme, inclinait du côté de l'aimable et pieux d'Avaux. Secondé par une ambassadrice telle que nous l'avons dépeinte, M. de Longueville représenta magnifiquement la France à Münster. Toute son ambition était d'attacher son nom à la conclusion de la paix; mais n'en mesurant pas bien toutes les difficultés, ou voulant les surmonter trop vite, il les aggravait, et à ses premières vivacités succédait un prompt découragement. Ses impatients désirs et sa loyauté inexpérimentée ne consultaient pas toujours la prudence. Il outre-passait volontiers ses instructions et compromettait son gouvernement. Prenant pour des avances sincères et pour des engagements les politesses calculées du plénipotentiaire espagnol, le comte de Pegnaranda, il lui communiqua sans ordre le projet de paix auquel s'était arrêté sa cour, et ce projet[446] indiscrètement présenté, sans séduire l'Espagne, indisposa les alliés de la France qui s'imaginèrent qu'on voulait traiter sans eux. M. de Longueville n'avait pas été plus heureux dans ses prétentions personnelles. La charge de colonel général des Suisses étant devenue vacante par la mort de Bassompierre, il l'avait demandée; mais on n'avait pu se décider à remettre un emploi de cette importance en des mains aussi peu sûres, et quoiqu'à la place de cette faveur on lui en eût accordé une autre bien précieuse à un gouverneur de Normandie, le commandement du château de Caen, il n'était point satisfait, et n'avait guère tardé à revenir en France, y rapportant assez peu de gloire et un grand fonds de mécontentement. D'Avaux l'avait suivi de près. Ainsi Servien restait à Münster seul dépositaire de la pensée de Mazarin, et Mazarin, comme son devancier, ne connaissait qu'un intérêt, celui de la grandeur de la France. Il voulait d'abord obtenir de l'empire la reconnaissance définitive de la souveraineté de la France sur deux provinces depuis longtemps conquises, les Trois-Évêchés et l'Alsace, avec quelques places fortes sur le Rhin, pour achever à peu près le légitime et nécessaire développement de la France de ce côté. Il s'agissait aussi de faire consentir l'Espagne à l'annexion au territoire français du comté de Roussillon dont nous étions les maîtres depuis plusieurs années. Enfin la secrète ambition de Mazarin, celle que lui avait léguée son grand prédécesseur, et qu'il légua à Lyonne, c'était d'acquérir à tout prix les Pays-Bas, sans lesquels la France n'a réellement pas de frontière du Nord, et peut voir, après une bataille malheureuse, une armée ennemie arriver sans obstacle sous les murs de Paris. Voilà pourquoi Richelieu et Mazarin avaient encouragé et soutenu la révolte de la Catalogne, et établi à Barcelone une vice-royauté française, afin d'avoir entre leurs mains un gage solide pour d'utiles échanges. Telles étaient les pensées qui occupaient l'esprit de Mazarin, et qu'il poursuivait à la fois par les négociations et par les armes, montrant la guerre pour obtenir une paix glorieuse, et déployant tour à tour la finesse et la vigueur qui caractérisent ce grand homme d'État.

Les conférences de Münster avançaient ou reculaient selon les vicissitudes des combats, et notre ambassadeur le plus persuasif était la nouvelle d'une victoire. La défaite inattendue de Turenne à Mariendal avait abattu notre diplomatie; elle se releva en apprenant que le général de Rocroy et de Fribourg allait prendre le commandement de l'armée du Rhin. Bientôt la victoire de Nortlingen, remportée le 5 août 1645, lui rendit son ascendant, et le duc de Bavière, la seconde puissance catholique de l'Allemagne, qui avait rompu les négociations après Mariendal, les reprit avec empressement après Nortlingen. La cession de l'Alsace était alors presque gagnée; mais Mazarin tenait invinciblement à l'agrandissement de notre frontière du Nord et à l'acquisition des Pays-Bas. C'est là en quoi résidait toute la difficulté, le nœud qu'aucune habileté ne pouvait résoudre, et que l'épée seule pouvait trancher. Il était réservé à Louis XIV, à la fin du XVIIe siècle, après avoir perdu les trois hommes d'État qui firent longtemps sa force et sa gloire, Mazarin, Lyonne et Colbert, d'abandonner la pensée de ses devanciers, et, quand on lui proposait les Pays-Bas en retour de ses droits sur l'Espagne, de rejeter cette faveur de la fortune que Mazarin et Richelieu eussent embrassée avec des transports de joie, et cela dans un frivole intérêt de famille, jouant comme à plaisir sa propre couronne pour en mettre une sur la tête de son petit-fils, et manquant de perdre la France sans lui donner même pour un quart de siècle l'alliance de l'Espagne. Pour le dire en passant, cette résolution incroyable, mal couverte d'une apparence de grandeur, ainsi que la révocation de l'édit de Nantes, sont les deux grandes inspirations personnelles de Louis XIV: elles jugent sa politique intérieure et extérieure, comparée à celle de Mazarin, de Richelieu et d'Henri IV. On ne peut pas dire tout ce que fit Mazarin en 1647 et 1648 pour amener l'Espagne à nous céder les Pays-Bas. Au fond il était disposé à rendre la Catalogne en tout ou en partie, et il offrit même le jeune Louis XIV pour l'infante Marie-Thérèse. En même temps il envoya en Hollande le futur négociateur de la paix de Nimègues, le comte d'Estrades, avec lequel nous avons fait connaissance[447], pour y faire agréer l'arrangement qu'il désirait avec passion; il alla jusqu'à proposer Anvers au commerce hollandais. C'était une bien puissante tentation: la Hollande y résista: elle était lasse de la guerre, qu'il eût fallu continuer; elle commençait aussi à ne plus tant redouter l'Espagne, et ne trouvait pas un grand avantage à acquérir, au lieu d'un voisin fatigué et affaibli, un voisin ambitieux et conquérant. L'Espagne, trop bien informée, voyait poindre à l'horizon de nouveaux troubles parmi nous, et sur cette espérance elle suspendit les négociations, fit un traité séparé avec la Hollande, et persuada à l'empereur d'entreprendre avec elle un dernier et puissant effort. Un seul homme pouvait encore une fois sauver la France, tout aussi menacée qu'elle l'avait jamais été. Cet homme était celui qui, en 1643, avait consolé l'agonie de Louis XIII et raffermi le trône de son fils par une victoire extraordinaire, celui qui, en 1645, avait réparé le désastre de Mariendal, et en 1646 commencé la conquête des Pays-Bas en s'emparant de Dunkerque. C'est alors que Condé, qui connaissait parfaitement la situation des affaires, livra dans les plaines de Lens, le 20 août 1648, la mémorable bataille que nous avons racontée, où il fut à la fois aussi prudent et aussi audacieux que les circonstances le commandaient. Grâce à cette victoire, les négociations marchèrent vite. Le 24 octobre 1648 fut signé à Münster le traité de Westphalie, qui assura pour un siècle la paix à l'Allemagne, y affermit la liberté religieuse, et consacra toutes les conquêtes de la France sur l'Empire[448].

Après ce traité, Mazarin n'avait plus en face de lui que l'Espagne, et il comptait l'amener bientôt à l'échange qui seul pouvait donner à la France du côté du nord une frontière semblable à celle qu'elle venait d'acquérir au midi de l'Allemagne. Il rêvait, au bout de quelques campagnes heureuses, un traité bien autrement favorable que celui des Pyrénées en 1660. Il avait dans sa main le vainqueur de Lens, qu'il pouvait lancer sur les Pays-Bas; il pouvait porter en Espagne et en Italie des généraux encore supérieurs à d'Harcourt et à Schomberg; il comptait soutenir ou ranimer l'insurrection de Naples: un magnifique avenir était devant la France. Qui lui a enlevé cet avenir? qui déjà à Münster avait diminué l'autorité de ses victoires, longtemps arrêté l'Autriche et encouragé la résistance de l'Espagne? qui a retardé de dix ans le traité des Pyrénées, et l'a fait aussi peu avantageux à la France, rendant la Catalogne sans obtenir ni les Pays-Bas ni même la Navarre, l'héritage d'Henri IV? qui a divisé et épuisé nos forces? qui nous a fait verser de nos propres mains notre meilleur sang? qui a mis aux prises les uns contre les autres nos plus illustres capitaines? qui a arrêté Condé dans sa course à vingt-sept ans, lorsqu'il pouvait ajouter tant de nouvelles victoires à toutes celles de sa jeunesse, et porter le drapeau français à Bruxelles ou à Madrid?

C'est la Fronde qui a commis l'inexpiable crime d'avoir suspendu l'élan de Condé et de la grandeur française. Du moins en retour a-t-elle agrandi et développé nos vieilles franchises nationales, nous a-t-elle donné la noble liberté qu'elle nous avait promise? Loin de là: par une réaction inévitable, elle a dégoûté pour longtemps la France d'une liberté anarchique, incompatible avec l'ordre public, avec la force du gouvernement et de la nation; elle a décrié et abaissé le Parlement; elle a ôté à la Royauté tout contre-poids; elle a enfanté le despotisme d'abord intelligent et utile, puis imprévoyant et funeste de Louis XIV.

Et qui a donné naissance à la Fronde, ou du moins qui l'a soutenue? qui a relevé l'ancien parti des Importants, étouffé, ce semble, sous les lauriers de Rocroy? qui a séparé les princes du sang de la couronne? qui a mis contre le trône, avec Monsieur, duc d'Orléans, cette illustre maison de Condé, qui jusque-là en avait été le bouclier et l'épée? Sans doute il y a ici bien des causes générales; mais il nous est impossible de nous en dissimuler une, toute particulière, il est vrai, mais qui a exercé une déplorable influence, l'amour inattendu de Mme de Longueville pour un des chefs des Importants, devenu un des chefs de la Fronde. Oui, nous le disons à regret, c'est Mme de Longueville qui, passée avec son mari du côté des mécontents, y attira d'abord une partie de sa famille, puis sa famille tout entière, et la précipita ainsi de ce faîte d'honneur et de gloire où tant de services l'avaient élevée.

M. le Prince était mort à la fin de 1646, et sa maison avait perdu en lui son gouvernail politique. Mme la Princesse demeura attachée à la Reine, et ses enfants suivirent d'abord son exemple et ses conseils. Mme de Longueville est la première qui s'écarta du droit chemin. Dès que La Rochefoucauld fut entré dans son cœur, il l'occupa tout entier. Elle mit à son service tout ce qu'elle avait de séduction dans sa personne, de ressources dans l'esprit, de hardiesse dans le cœur. Insouciante de son intérêt, oublieuse même de ses plus justes ressentiments, elle se tourna aveuglément, sous la main de La Rochefoucauld, contre cette royauté dont sa famille avait été l'appui et qui était encore bien plus l'appui de sa famille; elle se laissa conduire dans le camp de ceux qui naguère avaient tenté de flétrir en sa fleur sa jeune et pure renommée. On vit la fille des Condé livrée aux Vendôme et aux Lorrains, faisant cause commune avec Beaufort et Mme de Chevreuse, et s'exposant à rencontrer dans ce monde nouveau pour elle son ancienne et implacable ennemie, Mme de Montbazon. Il ne lui aurait manqué, si Guise n'eût pas alors été à Naples, que d'avoir à serrer la main qui tua Coligny! Une fois égarée, elle entraîna aisément à sa suite le jeune prince de Conti, qui, en attendant le chapeau de cardinal, n'était pas fâché de faire du bruit, de jouer un rôle, et d'acquérir une importance qui le relevât à côté de son frère. M. de Longueville, amateur de toutes les nouveautés, blessé d'ailleurs de n'avoir pas été nommé colonel général des Suisses, et qu'à Münster on ne lui eût pas laissé faire la paix à sa guise, inclinait fortement à la Fronde. Sa femme n'eut pas de peine à l'y engager davantage. Mais la grande affaire était de gagner Condé.

Celui-ci croyait avoir beaucoup à se plaindre du cardinal Mazarin. A la mort de son beau-frère, Armand de Brézé, en 1646, il avait demandé à lui succéder dans la charge de grand amiral de France. On n'avait pu ajouter cette charge à toutes celles que les Condé possédaient déjà; mais par ménagement la Reine ne l'avait donnée à personne et se l'était attribuée à elle-même. M. le Prince, qui vivait encore, ambitieux et avide, avait vivement ressenti ce refus. L'impétueux Condé n'avait pas dissimulé sa colère. Il était aussi fort irrité qu'on l'eût envoyé en Catalogne remplacer d'Harcourt, en lui promettant tout ce qu'il fallait pour y faire une campagne digne de lui, et qu'on l'eût laissé, sans les secours promis et énergiquement réclamés, entre une place forte qu'il ne pouvait emporter d'assaut dans l'état de ses troupes et une puissante armée qu'il ne pouvait ni attendre ni aller chercher, en sorte que sa vertu militaire l'avait obligé à lever le siége de Lerida et à se replier en bon ordre devant l'ennemi. Il sentait qu'il avait bien fait, mais c'était la première fois qu'il reculait; malgré lui, sa gloire en souffrait, et il se plaignait avec amertume de ce qu'il appelait la déloyauté du Cardinal. Maintenant on l'envoyait en Flandre prendre le commandement d'une armée assez faible, non pas sans courage, mais sans discipline. Enfin, il faut bien le dire, le vrai génie de Condé était pour la guerre; là il est le premier de son siècle, et l'égal des plus grands dans l'antiquité et dans les temps modernes; mais, nous le reconnaissons, il ne possédait pas les qualités du politique, et au fond il n'avait pas d'ambition vraie et bien déterminée. Premier prince du sang dans une monarchie telle que la monarchie française au XVIIe siècle, que pouvait-il désirer que d'acquérir de la gloire? Et après Richelieu et sous Mazarin, cette gloire ne se pouvait guère trouver pour lui que sur les champs de bataille. C'est pour cela, et pour cela seul, que son père l'avait élevé. Aussi ne s'était-il pas assujetti de bonne heure à cette austère discipline de l'ambition qui enseigne à parler à propos et à se taire, à n'avoir pas d'humeur, à se conduire les yeux toujours dirigés vers le but suprême, sans s'en laisser détourner ni par des intérêts secondaires, ni par des caprices d'imagination ou de cœur. Tel est l'ambitieux; tels furent plus ou moins Henri IV, Richelieu et Mazarin, car il est juste de mettre Mazarin dans cette illustre compagnie. Tous les trois avaient un grand but à atteindre, qu'ils poursuivirent avec constance. Condé n'avait pas de but, il ne forma aucun grand dessein, étant né tout ce qu'il pouvait devenir, tout ce qu'il pouvait jamais rêver, à moins d'être un insensé ou un traître, et il avait l'esprit d'une justesse parfaite et le cœur à l'unisson. Sa conscience et son bon sens lui disaient donc qu'il n'avait rien à gagner à toutes les intrigues où on voulait l'engager, que sa place était auprès du trône pour le couvrir de son épée contre ses ennemis, quels qu'ils fussent, soit du dedans, soit du dehors. S'il se fût tenu à cette place, il serait monté sans effort à un rang bien autrement haut que l'usurpation même de la royauté. Ne craignons pas de le répéter, pour mieux faire sentir la profondeur de sa chute: à ses cinq années de victoires éclatantes en Flandre et sur le Rhin, de 1643 à 1648, il eût sans aucun doute ajouté, dans le duel qui demeurait entre la France et l'Espagne après le traité de Westphalie, des victoires nouvelles qui, en deux campagnes tout au plus, vers 1650, nous eussent à jamais conquis la Belgique. Il se serait trouvé à trente ans ayant gagné autant de batailles qu'Alexandre et César, et il avait encore devant lui vingt années de force, vingt autres victoires, comme celle de Senef, par exemple[449], qu'il remporta sur le seuil de la vieillesse, avant de déposer l'épée, comme un monument de ce qu'il eût pu faire de 1648 jusqu'en 1675. Incomparable destinée, qui était infaillible, s'il eût su rester dans son rôle de premier prince du sang, défenseur inébranlable de la couronne en même temps qu'interprète loyal de la nation, portant auprès de la Reine, sans l'effrayer, et auprès de Mazarin, en le soutenant, les griefs légitimes de la noblesse, du Parlement et du peuple!

La Fronde, en effet, avait sa raison d'être, et Mazarin, égal à Richelieu comme diplomate, n'avait pas le moins du monde le génie de son maître pour l'administration intérieure de l'État. Incessamment occupé du soin de se maintenir, de l'agrandissement du territoire et de celui de l'autorité royale, il ne faisait guère attention à tout le reste, et laissait s'introduire partout les abus et les désordres. De si longues guerres, quatre ou cinq grandes armées, une flotte considérable, tant de dépenses sans cesse renaissantes avaient épuisé la France, que la gloire ne consolait pas toujours de la misère. Il avait fallu augmenter les impôts, vendre même les emplois publics, pour avoir de quoi payer les troupes[450]. On avait souvent éludé ou désarmé la juste et nécessaire autorité des parlements. Le sang de la noblesse avait coulé par torrents. Le peuple gémissait sous des charges de plus en plus lourdes; et pour peu que le sentiment de la grandeur nationale l'abandonnât un seul moment, l'excès du mal lui arrachait des plaintes et le poussait à la révolte. Il y avait eu des soulèvements en Auvergne, en Poitou, et sur d'autres points. Nous n'avons pas le courage d'accuser le peuple, car ses maux étaient extrêmes, et il n'avait pas tort de les ressentir vivement. En général, il ne remue que quand il souffre, et ne s'agite que pour être mieux ou moins mal. Ce sont les partis qui sont coupables, et qu'il faut flétrir, lorsqu'au lieu de s'efforcer d'obtenir quelque soulagement aux misères publiques, ils s'appliquent à les rendre plus poignantes et plus amères par des déclamations enflammées, corrompent les plus justes griefs, enveniment les plaintes les plus loyales, et poussent insensiblement l'imprévoyance populaire du mécontentement à la résistance et de la résistance à l'insurrection. Nous croyons connaître l'état de la France en 1648, et la main sur la conscience, en absolvant à peu près le peuple, fort naturellement irrité de l'accroissement des impôts et des désordres de l'administration, nous sommes hautement contre la Fronde, non-seulement parce qu'elle a fait obstacle au développement de la grandeur française, raison suprême à nos yeux pour la rendre à jamais condamnable, mais encore parce que la Fronde était mauvaise en elle-même, dans sa fin comme dans ses moyens, à la fois violente, menteuse et étourdie dans ses chefs civils et militaires, à bien peu d'exceptions près.

La Fronde n'est point du tout, comme se l'est imaginé un homme d'esprit[451] par un étrange anachronisme, l'aurore de la révolution française; tout au contraire, ainsi que nous l'avons dit ailleurs[452], ç'a été le suprême effort et comme le dernier soupir du moyen âge. Qu'étaient-ce que les Frondeurs de 1648? les Importants de 1643[453]. Et ceux-ci qu'étaient-ils sinon les anciens ennemis de Luynes et de Richelieu, le reste des vieux Ligueurs, qui, après la mort d'Henri IV, avaient tenté d'abolir son œuvre, et de faire revivre d'anciens abus, tout autrement intolérables que ceux dont on se plaignait sous Mazarin, c'est-à-dire une espèce de république féodale qui opprimait et la royauté et la nation. Sans doute les parlements y jouaient un noble rôle; mais ce rôle et leur existence même ils les devaient à la royauté; ils étaient nés et ils avaient grandi avec elle; ils étaient et ils s'appelaient la justice du Roi. Ils avaient été particulièrement institués pour combattre et réprimer ces grands seigneurs qui se croyaient au-dessus de la loi, et ne se soumettaient en apparence à la royauté qu'à la condition de l'asservir, toujours prêts à se révolter, dès que le chef de l'État tentait de ramener leur pouvoir en ses justes limites, fomentant des troubles perpétuels, et tendant la main sans rougir à l'étranger, les grands seigneurs catholiques à l'Espagne et les grands seigneurs protestants à l'Angleterre. Et c'étaient là les alliés que se donnaient les parlements de France! C'était à eux qu'ils remettaient le commandement des armées et le gouvernement de l'État! C'était sous ces nobles auspices que le parlement de Bordeaux sollicitait de l'Espagne des subsides, des régiments et une flotte, et que le parlement de Paris recevait sur les fleurs de lis un envoyé de l'Autriche, introduit par un prince du sang, à la honte de la vieille magistrature indignée[454]. Étonnez-vous après cela qu'au bout de quelques années le jeune Louis XIV entre un jour dans ce même parlement en bottes et un fouet à la main, sans que personne daigne y faire attention et s'émeuve le moins du monde! Il faut bien le savoir: la démagogie amène nécessairement la tyrannie; et, ce qu'il y a de plus triste, elle l'amène avec le consentement ou dans le silence universel, froissant le cœur de ceux-là seuls qui ne l'avaient pas mérité, et n'avaient voulu qu'une liberté modérée!

S'il y a jamais eu un spectacle ridicule c'était celui de graves magistrats, vieillis dans l'étude des lois civiles et étrangers à la politique, tout novices et comme égarés dans d'aussi grandes affaires, s'agitant sous la main des jeunes conseillers des Enquêtes travestis en tribuns du peuple. On ne rêvait que le sénat de Rome et le parlement d'Angleterre. On mettait en mouvement la populace de Paris; on l'ameutait aisément contre la cour, il est vrai; mais dès qu'il était question de la convocation des États Généraux, la vraie puissance politique de la nation avec la royauté, tous ces grands patriotes prenaient l'épouvante, sentant bien qu'avec les États Généraux leur rôle finirait et qu'ils n'auraient plus qu'à rendre la justice, au lieu de se mêler de la paix et de la guerre et du gouvernement de l'État[455]. Un moment Mazarin, poussé à bout par le parlement et par une partie considérable de la noblesse, eut la pensée d'en appeler à la nation contre les partis. Alors on aurait été véritablement sur la route de l'Angleterre, comme aussi dans les grandes voies de la tradition française; alors peut-être nous nous serions approchés sans secousse de la monarchie constitutionnelle. Mais Mazarin victorieux ne songea plus aux États Généraux, et il trouva plus commode de gouverner sans contrôle: il semble que dans les lois de l'ordre éternel et pour le malheur de la France, il fallait qu'une entreprise démocratique, sans sincérité, ourdie par des gentilshommes, fomentée et soutenue par l'étranger, tournât contre elle-même, accrût outre mesure la monarchie d'Henri IV et de Richelieu, et reçût sa punition dans le pouvoir absolu.

On aura beau faire: on ne réhabilitera pas la Fronde; elle demeurera dans nos annales incomparablement inférieure à la Ligue. Là au moins deux grandes opinions, deux grandes causes étaient aux prises. Aussi la Ligue a fécondé les esprits, elle a trempé les caractères; elle a été une école de politique et de guerre; elle a préparé les fortes générations de la première moitié du XVIIe siècle. La Fronde n'a formé personne, ni un homme de guerre ni un homme d'État; c'est une mêlée confuse d'intérêts particuliers, et souvent un passe-temps de gentilshommes, de beaux esprits et de belles dames. C'est aux dames surtout qu'appartient la Fronde; elles en sont presque toujours les mobiles à la fois et les instruments, les plus intéressantes actrices, et parmi elles le premier rôle est incontestablement à Mme de Longueville.

Nous raconterons ce qu'elle a fait avec une entière sincérité; nous ne tairons aucune de ses fautes, qui lui appartiennent bien moins que les grandes qualités, la capacité, le courage, le désintéressement qu'elle y a mêlés. Il nous en coûtera bien davantage d'être sévère envers Condé, car un long commerce nous a fait connaître le fond de son cœur; ce cœur était grand et bon; et nous ne pourrons nous défendre d'une compassion douloureuse en voyant cette nature généreuse, cette âme loyale, mais emportée et mobile, se laissant entraîner au milieu d'intrigues pour lesquelles elle n'était pas faite. Nous l'avons dit: Condé n'avait pas d'ambition fixe, il ne poursuivait aucun but distinct, mais il avait peu à peu rêvé à côté du trône une puissance incompatible avec la grandeur royale. Son mouvement naturel était du côté de la cour; la Fronde proprement dite et les gens de loi lui étaient odieux, et il ne les servit jamais qu'à contre-cœur. Son ressort principal était la passion de la guerre, et c'est là ce qui, après bien des délibérations et des hésitations, finissait presque toujours par l'emporter. Comme Napoléon, pourvu qu'il eût dans sa main une armée, il croyait pouvoir braver la fortune et refaire à son gré sa destinée. Nous aurons pour lui une admiration sans bornes lorsque dans les commencements de la Fronde il résiste à ses propres griefs, à l'antipathie naturelle qu'il éprouvait pour Mazarin, aux sollicitations de sa propre famille; mais nous n'hésiterons pas à le blâmer en le plaignant, quand ensuite tournant le dos à sa fortune et à sa gloire, sacrifiant le principal à l'accessoire, mettant l'humeur à la place de la politique, il entrera dans les intrigues qu'il avait d'abord repoussées, et se précipitera avec Mme de Longueville dans une guerre impie où le frère et la sœur amasseront de longs remords, où l'un se signalera par de tristes exploits qu'un jour à Chantilly il lui faudra couvrir d'un voile, par respect pour lui-même et pour la France, et où l'autre, en déployant les plus brillantes qualités de l'esprit et du caractère, accumulera en trois ou quatre années assez de fautes pour les pleurer pendant vingt-cinq ans aux Carmélites et à Port-Royal!

APPENDICE

NOTES DU CHAPITRE Ier
LES CARMÉLITES

Voici les documents que nous tenons de la bienveillance de mesdames les Carmélites du couvent de la rue d'Enfer, avec quelques notes recueillies aux sources les plus sûres, telles que les Pièces domaniales conservées aux Archives générales, l'histoire manuscrite du couvent, fondations et vies, 2 vol. in-4o, surtout la collection des lettres circulaires que les mères prieures adressaient à toutes les maisons de l'ordre, pour demander des prières en faveur de chaque religieuse décédée.

I

LISTE DES DIFFÉRENTS COUVENTS DES CARMÉLITES AU XVIIe SIÈCLE, D'APRÈS L'ORDRE DE LEUR FONDATION.

  VILLES. ANNÉES.
1. Paris, 1er couvent, rue St-Jacques 1604.
2. Pontoise 1605.
3. Dijon 1606.
4. Amiens 1606.
5. Tours 1608.
6. Rouen 1609.
7. Bordeaux 1610.
8. Châlons 1610.
9. Dôle 1614.
10. Dieppe 1615.
11. Toulouse 1616.
12. Caen 1616.
13. Besançon 1616.
14.
Lyon 1616.
15. Orléans 1617.
16. Paris, 2e couvent, rue Chapon 1617.
17. Bourges 1617.
18. Saintes 1617.
19. Riom 1618.
20. Bordeaux, 2e couvent 1618.
21. Nantes 1618.
22. Limoges 1618.
23. Beaune 1619.
24. Nevers 1619.
25. Narbonne 1620.
26. Chartres 1620.
27. Troyes 1620.
28. Châtillon 1621.
29. Marseille 1621.
30. Metz 1623.
31. Chaumont 1623.
32. Lectoure 1623.
33. Morlaix 1624.
34. Blois 1625.
35. Sens 1625.
36. Aix 1625.
37. Saint-Denis 1625.
38. Angers 1626.
39. Mâcon 1626.
40. Salins 1627.
41. Guingamp 1628.
42. Agen 1628.
43. Moulins 1628.
44. Auch 1630.
45. Troyes, 2e couvent 1630.
46. Poitiers 1630.
47. Gisors 1631.
48. Arles 1632.
49. Reims 1633.
50. Verdun 1634.
51. Montauban 1634.
52. Abbeville 1636.
53. Compiègne 1641.
54. Pont-Audemer 1641.
55. Gray 1644.
56. Arbois 1647.
57. Pamiers 1648.
58. Grenoble 1648.
59. Niort 1648.
60. Angoulême 1654.
61. Brive 1663.
62. Paris, 3e couvent, rue du Bouloy, transporté en 1682 rue de Grenelle, au faubourg Saint-Germain 1664.
63. Trévoux 1668.
(Il n'y a pas eu d'autre fondation au XVIIe siècle.)

II

LISTE DES PRIEURES FRANÇAISES DU COUVENT DES CARMÉLITES DE LA RUE SAINT-JACQUES PENDANT LE XVIIe SIÈCLE.

(Nous y avons joint la liste des sous-prieures, autant que nous l'avons pu[456].)

  PRIEURES. SOUS-PRIEURES.
Année de
l'élection.
1608. Madeleine de St-Joseph[457]. Marie de Jésus[458].
1611. Réélue. Réélue.
1615. Marie de Jésus. Anne du St-Sacrement[459].
  Réélue plusieurs fois. Marie de St-Jérôme[460].
1624. Madeleine de St-Joseph. Marie Madeleine de Jésus[461].
  Réélue plusieurs fois. Réélue.
1635. Marie Madeleine de Jésus. Marie de la Passion[462]
  Réélue plusieurs fois
Réélue.
1642. Marie de la Passion  
1645. Marie Madeleine de Jésus Agnès de Jésus-Maria[463].
1649.
Agnès de Jésus-Maria  
1653. Marie Madeleine de Jésus Marie de la Passion.
1656. Réélue Marthe de Jésus[464].
1659. Marie de Jésus[465] La même réélue.
1662. Marie Madeleine de Jésus Agnès de Jésus-Maria.
1665. Agnès de Jésus-Maria  
1669. La même réélue  
1672. Claire du St-Sacrement[466]  
1675.
Agnès de Jésus Maria  
1678. La même réélue  
1681. Claire du St-Sacrement  
1684. Agnès de Jésus Maria  
1687. Réélue  
1690. Claire du St-Sacrement,
morte en charge
Marie du St-Sacrement[467].
1691.
Marie du St-Sacrement  
1694. Réélue
1697. Madeleine du St-Esprit[468]
1700. Marie du St-Sacrement
1703. Réélue
1705. Marguerite Thérèse de Jésus[469]
Anne de St-François[470].
1708. Réélue
1709. Madeleine du St-Esprit
1712. La même
1715. Anne Thérèse de St-Augustin[471]

III

LISTE DES RELIGIEUSES DU COUVENT DES CARMÉLITES DE LA RUE SAINT-JACQUES AU XVIIIe SIÈCLE.

(Les deux premières colonnes marquent le rang et l'année de la profession; les deux dernières l'année et le lieu du décès. Nous n'avons pas de renseignements sur les religieuses qui n'ont pas achevé leur carrière au couvent de la rue Saint-Jacques.)

Rang. Profession.   Année et lieu du décès.
1. 1605. Levoix, Sœur Andrée de tous les Saints 1605. Paris.
2.
1605. Marie d'Hannivel[472], la mère Marie de la Trinité 1647. Troyes.
3. 1605. De Fontaines, la mère Madeleine de St-Joseph 1637. Paris.
4.
1605. Deschamps, Sr Aimée de Jésus 1634. Pontoise.
5. 1605. Sevin, veuve de M. Du Coudray, la mère Marie de la Trinité 1657. Auch.
6. 1605. De Sancy, veuve du marquis de Bréauté, la mère Marie de Jésus 1652. Paris.
7. 1606. Talon, Sr Élisabeth de Jésus 1623. Pontoise.
8. 1606. De Fontaines[473], Sr Catherine du St-Esprit 1652. Paris.
9. 1606. Rebours, Sr Aimée de Jésus 1653. Bourges.
10. 1606. Delabarre, la mère Marguerite de la Trinité 1653. Guingamp.
11. 1606. De Brissac[474], Sr Angélique de la Trinité 1653. Paris.
12. 1606. De Seguier[475], veuve de M. de Bérulle, Sr Anne des Anges 1628. Paris.
13. 1606. De Chandon, la mère Marguerite de St-Joseph 1655. Bourges.
14.
1606. .... Sr Marie de St-Albert 1634. Auch.
15. 1607. Acarie[476], la mère Marguerite du St-Sacrement 1660. R. Chapon.
16. 1607. De Viole, la mère Anne du St-Sacrement 1630. St-Denis.
17. 1607. .... Sr Marie de St-Jérôme 1632. Paris.
18. 1607. .... Sr Gratienne de St-Michel[477] 1637. Paris.
19. 1607. .... La mère Isabelle de Jésus-Christ 1660. Flandres.
20. 1607. .... Sr Louise du St-Sacrement 1616. Paris.
21. 1607. .... Sr Florentine de la Mère-Dieu 1626. Chartres.
22. 1607. De Cujy, la mère Marguerite de St-Jean-Baptiste. 1667. Chartres.
23. 1607. .... Sr Marguerite de St-Élie 1637. R. Chapon.
24. 1607. .... Sr Anne de St-François 1633. Paris.
25. 1607. Leclerc, Sr Jeanne de St-Denis 1632. Sens.
26. 1608. Aballe, la mère Denize de Jésus 1649. Moulins.
27. 1608. .... Sr Anne de St-Barthélemy 1643. Tours.
28. 1608. Soulphour, la mère Thérèse de Jésus 1633. Riom.
29.
1608. Guichard, Sr Marie de St-Barthélemy 1647. Paris.
30. 1609. .... Sr Barbe de Tous-les-Saints 1644. Marseille.
31. 1609. Acarie[478], la mère Marie de Jésus 1641. Orléans.
32. 1609. Acarie[479], la mère Geneviève de St-Bernard 1644. Sens.
33. 1609. Doron, la Sr Marie de St-François 1631. Paris.
34. 1609. .... Sr Antoinette de Jésus 1647. Paris.
35. 1609. Nicolas[480], Sr Catherine de Jésus 1623. Paris.
36. 1609. .... Sr Jeanne de la Trinité 1633. Paris.
37. 1610. Prudhomme, la mère Thérèse de Jésus 1648. Lyon.
38. 1610. Sublet, Sr Marie de la Miséricorde 1619. Paris.
39. 1610. .... Sr Catherine de l'Assomption 1654. Paris.
40. 1610. Deschamps[481], la mère Marie de la Croix. 1664. Bordeaux.
41. 1611. D'Auvilliers, la mère Isabelle de St-Joseph. 1630. Agen.
42. 1611. De La Rochefoucault, veuve de M. de Chandenier[482], Sr Marie de St-Joseph
1637. Paris.
43. 1611. Marie Le Jeune, la mère Marie de St-Gabriel 1647. Bordeaux.
44. 1611. Coton, Sr Claire de-Jésus 1626. Marseille.
45. 1612. Le Bouthillier[483], Sr Philippe de St-Paul 1641. Paris.
46. 1612. Gontault de Biron[484], la mère Anne de St-Joseph 1667. Niort.
47. 1614. De Rivière, Sr Marguerite de St-Joseph 1655. Paris.
48. 1614. Tycie de Cuthlie, fille d'un seigneur écossais, Sr Élisabeth du St-Esprit 1633. R. Chapon.
49. 1615. Tudert[485], veuve de M. Seguier d'Autry, la mère Marie de Jésus-Christ 1638. Paris.
50.
1616. Le Fèvre, Sr Marie du St-Sacrement 1672. Paris.
51. 1617. Robert, la mère Marie de la Croix 1662. Orléans.
52. 1617. Le Beau, Sr Suzanne de St-Joseph 1663. Chartres.
53. 1617. Machault, Sr Marie de la Passion 1650. Blois.
54. 1618. Chapellier, Sr Jeanne de Jésus 1679. Paris.
55. 1618. De La Jonchère, Sr Anne de l'Assomption 1636. Paris.
56. 1618. Poulaillon, Sr Thérèse de Jésus 1658. St-Denis.
57. 1619. Du Pin, Sr Anne du St-Sacrement 1669. Saintes.
58. 1619. Du Pin, Sr Marie de St-Élie 1679. Verdun.
59. 1619. Du Rocher, veuve de M. le... d'Éguemaduc, Sr Jeanne de Jésus 1668. R. Chapon.
60. 1619. Colbert, Sr Anne du St-Esprit 1638. Morlaix.
61. 1619. Le Roy, Sr Marie de la Trinité 1667. Chartres.
62. 1620. Lancry de Bains, la mère Marie Madeleine de Jésus. 1679. Paris.
63. 1620. Du Joli Cœur, Sr Louise de la Passion 1656. Morlaix.
64.
1620. Mandat de la Jonchères, Sr Madeleine de la Passion 1656. Paris.
65. 1620. De la Cour, Sr Antoinette de Jésus 1651. Paris.
66. 1621. Bon, Sr Marguerite de la Miséricorde 1663. Troyes.
67. 1621. Godet, Sr Catherine des Anges 1675. Châtillon.
68. 1622. Patelé, Sr Marie de la Passion 1651. Metz.
69. 1622. De Gaydene, la mère Angélique de Jésus 1643. St-Denis.
70. 1622. De Medérie, Sr Marie de la Croix 1672. Paris.
71. 1622. De Montreuil, Sr Geneviève de Jésus 1667. Rouen.
72. 1624. De Vaudrant, Sr Anne de Ste-Thérèse 1672. Niort.
73. 1624. L'Oiseau, Sr Marie de St-Gabriel 1659. Paris.
74. 1624. Émery, Sr Madeleine de Jésus 1671. Blois
75. 1624. De la Bonde, Sr Marguerite de la Croix 1667. Moulins.
76. 1625. Le Mée, Sr Marie du St-Esprit 1671. Paris.
77. 1625. De Thou, Sr Angélique de la Passion 1685. Orléans.
78. 1625. Dubois du Plessis, Sr Marie de l'Incarnation 1647. Poitiers.
79. 1625. Poille de St-Gratien[486], Sr Madeleine de St-Joseph 1661. Paris.
80.
1626. Chapellier, Sr Françoise de Jésus. 1671. Paris.
81. 1626. Du Thil, la mère Marie de la Passion. 1673. Paris.
82. 1626. De la Varrie, Sr Charlotte de la Croix. 1690. Angers.
83. 1626. Olivier, Sr Françoise de la Croix. 1682. Angoulême.
84. 1626. Bevard, Sr Madeleine de Jésus. 1641. Moulins.
85. 1627. Lazenet, Sr Louise de Jésus. 1657. Poitiers.
86. 1627. D'Anglure de Bourlemont[487], Sr Geneviève des Anges. 1680. Verdun.
87. 1628. Savary, Sr Aimée de Jésus. 1659. Metz.
88. 1628. De la Cour, Sr Marie de Ste-Madeleine. 1653. Paris.
89. 1628. De Bréauté, Sr Hélène de la Croix. 1650. Caen.
90. 1628. D'Argouges, Sr Élisabeth de St-Joseph 1696. Aix.
91. 1628. Magnard, Sr Anne de Jésus 1669. Paris.
92. 1629. Émery, Sr Françoise de St-Joseph 1669. Paris.
93. 1629. De Brienne, la mère Anne de St-Joseph 1653. Aix.
94. 1629. Du Buisson, Sr Claude de la Nativité 1674. Paris.
95.
1630. De Marillac[488], Sr Marie de St-Michel 1639. Paris.
96. 1630. Jongleur, Sr Françoise de St-Jean-Baptiste 1679. Paris.
97. 1630. De Bellefonds, la mère Agnès de Jésus-Maria 1691. Paris.
98. 1630. De Gourgues, la mère Marie de Jésus 1677. Paris.
99. 1630. Château de Bel Estre, la mère Aimée de la Croix 1675. Rouen.
100. 1630. Renard, Sr Marie des Anges 1662. Paris.
101. 1631. Phelypeaux[489], Sr Madeleine de Jésus 1667. Paris.
102. 1631. Gateau, la mère Élisabeth de Jésus 1676. Poitiers.
103. 1631. Éberard, Sr Anne de la Mère-Dieu 1664. Nevers.
104. 1631. Vallier, Sr Marie de Ste-Thérèse 1678. Paris.
105. 1631. De La Haye[490], la mère Renée de Jésus-Marie 1641. Paris.
106. 1632. D'Anglure[491], Sr Marguerite de Jésus 1679. Paris.
107.
1632. Berard, Sr Anne de St-Joseph 1677. Nevers.
108. 1632. Jubert, Sr Charlotte de Jésus 1660. Paris.
109. 1632. Le Camus, Sr Catherine de Jésus 1659. Paris.
110. 1632. Degrangier, Sr Marie de la Nativité 1642. Paris.
111. 1632. De Lenoncourt[492], la mère Charlotte de Jésus-Maria 1656. Angers.
112. 1633. De Bussy, la mère Magdeleine de St-Jean-Baptiste 1670. Limoges.
113. 1633. Le Pelletier, Sr Marie de St-Jérôme 1665. Reims.
114. 1633. Loiseau[493], Sr Jeanne de Jésus-Maria 1683. Paris.
115. 1634. Le Port d'Épaville, Sr Marie de la Croix 1675. Niort.
116. 1635. Royer, veuve de M. de Chantemesle, Sr Élisabeth de la Sainte-Croix 1670. R. Grenelle.
117. 1635. Vigner de Mégrigny, Sr Marie de St-Joseph 1635. Paris.
118. 1636. Savary, Sr Anne de St-François 1657. Angers.
119. 1636. De Marillac[494], Sr Marguerite Thérèse de Jésus 1667. Paris.
120. 1637. Rosé, Sr Madeleine de la Nativité 1692. Niort.
121.
1637. Tiragau, Sr Françoise de Jésus 1681. Paris.
122. 1637. De Chateignier[495], Sr Marie de la Trinité 1670. Paris.
123. 1637. Foy, Sr Madeleine de Jésus 1667. Paris.
124. 1637. Renaud, Sr Catherine de St-Joseph 1666. Paris.
125. 1639. De Chabert, Sr Henriette Thérèse de la Nativité 1695. Paris.
126. 1639. De Chabot, la mère Claire Thérèse du St-Sacrement. 1661. Paris.
127. 1639. Gauthier, Sr Marie Louise de St-Joseph 1686. Angers.
128. 1639. Quinot[496], Sr Marie de Jésus crucifié 1700. Paris.
129. 1640. Tiragau, Sr Angélique de la Mère-Dieu 1672. Niort.
130. 1640. Quinot, Sr Radegonde de St-Joseph 1678. Brives.
131.
1642. Pallot, Sr Louise de la Miséricorde[497] 1658. Paris.
132. 1642. De Fontaine Martel, Sr Louise de Jésus-Maria 1670. Paris.
133. 1643. De Dreux, Sr Madeleine de Ste-Thérèse 1677. Poitiers.
134. 1643. Renard, Sr Jeanne de la Croix 1695. Niort.
135. 1643. Le Pareux, Sr Françoise du St-Sépulcre 1680. Moulins.
136. 1644. De la Planche, Sr Anne de l'Assomption 1701. Nevers.
137. 1645. Morice, Sr Louise de la Mère-Dieu 1684. R. Grenelle.
138. 1645. Tripier, Sr Jeanne de la Nativité 1682. Niort.
139. 1646. De Harville, Sr Cécile de la Passion 1653. Paris.
140. 1646. De Montigault, Sr Françoise des Anges 1658. Paris.
141. 1646. Antheaume, Sr Madeleine de Jésus-Maria 1694. Paris.
142. 1647. Biet, Sr Catherine du St-Sacrement 1660. Niort.
143. 1648. De la Court, Sr Marguerite de Jésus-Maria 1686. Poitiers.
144. 1649. De Fors du Vigean, Sr Marthe de Jésus[498] 1665. Paris.
145. 1649. Remy, Sr Madeleine du St-Sacrement 1682. Compiègne.
146.
1649. De Stainville[499], Sr Anne de Jésus-Maria. 1695. Paris.
147. 1649. Le Seigneur de Reuville, la mère Françoise de la Croix. 1702. R. Grenelle.
148. 1649. Le Seigneur de Reuville, Sr Marie de St-Joseph. 1659. Paris.
149. 1649. D'Epernon[500], Sr Anne-Marie. 1701. Paris.
150. 1649. De Brunel, Sr Marie de Tous-les-Saints. ..... Niort.
151. 1649. Germain, Sr Marie de la Nativité. 1689. Paris.
152. 1650. Favel, Sr Anne de la Nativité. 1669. Châlons.
153. 1651. Courtin, Sr Thérèse du St-Esprit. ..... .......
154. 1651. Colbert[501], Sr Catherine de la Conception 1659. Paris.
155. 1651. Lecomte de Nonant, Sr Anne de Jésus-Christ 1652. Paris.
156. 1651. Tomexon de Remenecour[502], la mère Thérèse de Jésus. 1687. R. Grenelle.
157. 1652. Chesnard, Sr Marie de St-Joseph 1663. Paris.
158. 1654. De La Thuillerie, la mère Marie du St-Sacrement 1705. Paris.
159.
1654. De Fieubet, Sr Charlotte de Jésus 1701. Abbeville.
160. 1654. Jessé, Sr Marie de St-Benoît 1670. R. Grenelle.
161. 1654. Langlois, Sr Marie de Ste-Madeleine 1723. Lectoure.
162. 1654. Du Val, Sr Catherine de Jésus-Maria 1659. Paris.
163. 1655. Grangier de Liverdi[503] Sr Thérèse de la Passion 1723. Paris.
164. 1655. Le Boiteux, Sr Louise de la Passion 1696. Paris.
165. 1655. D'Aubray, Sr Marie de Jésus-Christ 1705. Paris.
166. 1657. Grouin, Sr Françoise de la Mère-Dieu ..... Châlons.
167. 1658. Charpentier, Sr Catherine de Jésus-Christ 1674. Paris.
168. 1660. La Tour d'Auvergne de Bouillon, Sr Émilie de la Passion[504] 1696. Paris.
169.
1660. Guilloire, Sr Marie de lA Passion 1678. Paris.
170. 1660. Marechalle, Sr Isabelle de Jésus-Maria 1710. Paris.
171. 1660. Collette, Sr Françoise de Jésus-Maria 1718. Paris.
172. 1661. Le Febvre d'Aubonne, Sr Marie de Jésus 1666. Paris.
173. 1661. Pitou, Sr Marie Madeleine de la Croix 1663. Paris.
174. 1662. Sanson, Sr Catherine de Jésus-Maria 1688. Paris.
175. 1662. D'Égremont, Sr Louise du St-Sacrement 1683.
176. 1663. D'Arpajon[505], Sr Marie de la Croix 1695. Paris.
177.
1663. La Tour d'Auvergne de NBouillon[506], Sr Hippolyte de Jésus 1705. Paris.
178. 1663. Le Bouts, la mère Madeleine du St-Esprit 1677. Paris.
179. 1663. Oupin, Sr Marie de St-Joseph 1709. Paris.
180. 1664. De Reuville, Sr Madeleine de la Passion 1700. Paris.
181. 1664. La Brosse d'Atis, Sr Jeanne de Jésus-Maria 1679. Paris.
182. 1664. Cornuau, Sr Catherine de Tous-les-Saints 1716. Paris.
183. 1665. Crussoles d'Usez[507], Sr Anne des Anges 1719. Paris.
184.
1665. Duvet St-Chriest, Sr Madeleine de la Trinité 1710. Paris.
185. 1665. Germain, Sr Catherine de la Mère de Dieu 1668. Paris.
186. 1665. Lefort, Sr Catherine des Anges 1690. Paris.
187. 1666. De Gives[508], Sr Anne du St-Sacrement 1684. Paris.
188.
1666. Marquisio, Sr Anne de la Passion 1681. Paris.
189. 1666. Lebreton, Sr Geneviève de Jésus 1709. Paris.
190. 1666. Duguet, Sr Marie de Ste-Thérèse 1677. Chaumont.
191. 1667. Sancier, Sr Marie de Barthélemy 1679. Paris.
192. 1667. Richard, Sr Françoise des Anges 1694. Paris.
193. 1667. Dandreau, Sr Marie des Anges 1708. Paris.
194. 1669. D'Achée, la mère Marie de Jésus ..... Saintes.
195. 1669. Du Merle-Blanc-Buisson, la mère Marguerite Thérèse de Jésus 1709. Paris.
196. 1669. Piron, Sr Marie de St-Jean-Baptiste 1721. Paris.
197. 1671. Poncet, Sr Antoinette de Jésus 1716. Paris.
198. 1671. Potière, Sr Catherine de Jésus 1696.
199. 1671. Des Lois, Sr Anne de Jésus 1676. Paris.
200. 1672. Cadat de Sebville[509], Sr Charlotte de St-Jean 1686. Paris.
201. 1673. Charpentier, Sr Madeleine de St-Joseph 1718. Paris.
202. 1673. Des Bordes, Sr Thérèse de Jésus-Maria 1679. Paris.
203.
1673 Gagny, Sr Françoise de Ste-Thérèse 1710. Paris.
204. 1673. Pallu, Sr Anne de Jésus-Christ 1719. Paris.
205. 1674. D'Aumont[510], Sr Radegonde de St-Joseph 1675. Paris.
206. 1675. La Beaume le Blanc de La Vallière, Sr Louise de la Miséricorde 1710. Paris.
207. 1675. Faverolles, Sr Geneviève de Jésus-Maria 1720. Verdun.
208. 1675. Lasgure, Sr Geneviève de la Passion 1718. Paris.
209. 1676. Lainée, Sr Marie de Jésus 1711. Paris.
210. 1676. Landry, Sr Françoise du St-Sacrement 1718. Paris.
211. 1678. Chauvin, Sr Madeleine de Jésus 1700. Paris.
212. 1678. De Bellefonds, Sr Marie de St-Gabriel 1733. Paris.
213. 1679. De la Planche, Sr Anne de St-Pierre 1690. Paris.
214. 1679. Bourdin d'Assy, Sr Geneviève des Anges 1745. Paris.
215. 1679. Faverolles, Sr Marguerite de Jésus-Christ 1713. Paris.
216. 1680. La Tour de Gouvernet[511], Sr Agnès de Jésus-Maria 1682. Paris.
217.
1680. De Stuart[512], Sr Marguerite de St-Augustin. 1722. Paris.
218. 1681. Petit, Sr Marguerite de Jésus. 1734. Paris.
219. 1681. De Cousin, Sr Henriette de Jésus. 1699. Paris.
220. 1681. Autheaume, Sr Geneviève de Ste-Thérèse. 1733. Paris.
221. 1681. Messin, Sr Jeanne de la Passion. 1729. Chaumont.
222. 1681. Pré de Seigle, Sr Marie de St-Michel. 1726. Paris.
223. 1681. Ursot, Sr Françoise de Jésus-Christ 1710. Paris.
224. 1682. Le Nain, Sr Marie Anne de Jésus. 1733. Paris.
225. 1682. De Bechamel, Sr Thérèse de St-Joseph. 1717. Paris.
226. 1682. Champy, Sr Marguerite de St-Joseph. 1717. Paris.
227. 1682. Bailly, Sr Marie Anne dé St-François. 1706. Paris.
228. 1683. Fruchon, Sr Marie de la Passion. 1736. Paris.
229. 1683. Baillet, Sr Suzanne des Anges. 1701. Paris.
230.
1684. Charost de Béthune[513], Sr Thérèse de Jésus-Maria 1709. Paris.
231. 1684. Le Vayer, Sr Marie de Ste-Victoire 1702. Paris.
232. 1686. De Gille, Sr Marie de la Nativité 1705. Paris.
233. 1686. Bacquet, Sr Agnès de Jésus-Maria 1644. Paris.
234. 1686. Du Tillet, Sr Anne de Jésus-Christ 1704. Paris.
235. 1686. De Segur[514], Sr Cécile de Jésus-Maria 1721. Paris.
236.
1687. Quinquet[515], Sr Marguerite de Jésus-Maria. 1691. Paris.
237. 1687. De Coëtantem, Sr Thérèse du St-Esprit. 1726. Paris.
238. 1688. Duru, Sr Marie de St-Barthélemy. 1749. Troyes.
239. 1688. Chenault, Sr Marguerite de St-Laurent. 1731. Paris.
240. 1689. Guichard, Sr Charlotte de St-Cyprien. 1747. Pont- Audemer.
241. 1689. Bacquet, Sr Geneviève de l'Assomption. 1735. Paris.
242. 1690. Fouquet[516], Sr Charlotte de la Miséricorde. 1705. Paris.
243. 1690. Isminiane[517], Sr Adélaïde de Jésus. 1698. Paris.
244.
1692. Mathieu, Sr Thérèse du St-Sacrement 1701. Paris.
245. 1692. Gravé, Sr Jeanne de St-Joseph 1728. Paris.
246. 1692. De Bellefonds[518], la mère Thérèse de St-Michel 1734. Paris.
247. 1693. Grouin, Sr Anne Christine 1699. Paris.
248. 1694. Tisier, Sr Catherine de Ste-Geneviève 1721. Paris.
249. 1694. De Cuzy, Sr Marie de St-Jean 1709. Paris.
250. 1695. Robert, Sr Angélique de St-Joseph 1743. Paris.
251. 1695. De Maulevrier, la mère Anne Thérèse de St-Augustin 1742. Paris.
252. 1696. D'Arrères, Sr Françoise de la Miséricorde 1738. Paris.
253. 1696. De Bouflers[519], Sr Élisabeth de St-Joseph 1745. Paris.
254. 1698. De St-Aubert, Sr Élisabeth de la Croix ..... Narbonne.
255. 1698. De La Rochefoucault[520], Sr Marguerite de la Miséricorde
1743. Paris.
256. 1699. De Chauffour, Sr Marie de St-Joseph. 1705. Paris.
257. 1700. Roland, Sr Suzanne de la Nativité. 1750. Paris.
258. 1700. La Tour d'Auvergne de Bouillon[521], Sr Marie Anne de St-Augustin. 1752. Maubuisson.
259. 1702. Gronin de Valgrand, Sr Marie Madeleine de Jésus. 1730. Paris.
260. 1703. Bade, Sr Claude de Jésus-Maria. 1744. Paris.
261. 1703. Benard, Sr Madeleine de Jésus-Maria. 1746. Paris.
262. 1703. Langlois, Sr Marie-Louise de Jésus. 1748. Paris.
263. 1704. Des Touches, Sr Madeleine de Jésus. 1726. Paris.
264. 1704. Thomassin de Fredo[522], Sr Madeleine de St-Augustin. 1752. Paris.
265. 1705. Pesché, Sr Marie Anne de Ste-Thérèse. 1749. Paris.
266. 1706. Adam, Sr Marguerite Suzanne de Jésus. 1742. Paris.
267. 1707. Le Scellier, Sr Anne de Ste-Madeleine. 1748. Paris.
268. 1707. Du Chalard, Sr Angélique de Jésus. 1755. Paris.
269. 1707. Desquois, Sr Nicole de Jésus. ..... Soissons.
270. 1708. Boyer, Sr Anne de Jésus-Maria. 1737. Paris.
271. 1710. Du Meni d'Osmond. ..... .....
272. 1710. ..... .......... ..... ..........
273. 1710. D'Alichamp, Sr Thérèse de Jésus-Maria. 1714. Paris.
274. 1714. Bechamel de Nointel[523], Sr Rosalie de Jésus. 1772. Paris.
275.
1714. Bernard, Sr Marie de St-Joseph. 1758. Paris.
276. 1714. De Vienne, Sr Marie de St-Jean. 1720. Paris.
277. 1714. De Merisy[524], Sr Marie Angélique du St-Sacrement. 1719. Paris.

Extrait d'une lettre de Mlle Marguerite Périer à M. son frère, doyen de l'église collégiale de Saint-Pierre, à Clermont, contenant l'histoire de la sœur Marguerite de Saint-Augustin Stuart, religieuse carmélite de Paris. (Bibliothèque nationale, Supplément français, no 1485, p. 494 et suiv.)

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