← Retour

Paris de siècle en siècle: Le Cœur de Paris — Splendeurs et souvenirs

16px
100%
[Pas d'image disponible.]
L’ESCALIER DE LA SAINTE-CHAPELLE. COMMENCEMENT DU XVIIe SIÈCLE AVANT LA CHUTE DE LA FLÈCHE

Au temps de Philippe le Bel, toutes les constructions du palais commencées par saint Louis ou ajoutées après lui sont terminées, l’ensemble du Palais de la grande époque gothique est désormais bien complet avec sa Sainte-Chapelle, sa Grande Salle, sa Conciergerie et sa tour de l’Horloge.

Enguerrand de Marigny, général des finances, le ministre de Philippe le Bel qui devait si tristement finir à Montfaucon, dirigeait les travaux d’achèvement de la Grande Salle dans les dernières années du XIIIe siècle. Merveille du Palais avec la Sainte-Chapelle, cette Grande Salle, reposant sur la Grande Salle inférieure échappée à tant de désastres successifs et parvenue jusqu’à nous, était partagée par une rangée d’énormes piliers en deux nefs dont les voûtes entièrement lambrissées, semblables à deux carènes de navire renversées et accouplées couvraient un immense espace de 70 mètres sur 27m,50. On entrait de la cour du May par un perron, à l’angle sud-est, donnant d’abord dans une galerie longeant le côté méridional de la Grande Salle, et conduisant à la galerie des merciers et à une seconde entrée de la Grande Salle.

Dans la double nef pavée de marbre blanc et noir la lumière entrait largement, par les belles fenêtres et les roses des quatre pignons, par d’autres fenêtres sur les côtés, faisant valoir les lambris peints et dorés des voûtes, azur et fleurs de lis, les détails de sculpture, les statues accrochées aux piliers. Ces statues dépassaient au XVIe siècle le nombre de cinquante, posées à une certaine hauteur sur chaque face des colonnes centrales et sur les piliers des côtés, plus nombreux à cause des subdivisions des travées.

[Pas d'image disponible.]
L’ESCALIER DE LA SAINTE-CHAPELLE, XVIIIe SIÈCLE

C’étaient les effigies des rois depuis Pharamond jusqu’à François II. Des inscriptions au-dessous des figures indiquaient la durée de chaque règne avec la date de la mort de chaque roi. Gilles Corrozet, dans ses Antiquités et singularités de Paris, donne la liste de ces statues avec les inscriptions constamment lues et commentées par les curieux passant dans la Grande Salle. «On pensait dans le peuple, ajoute-t-il, que ceux qui sont représentés avec les mains hautes ont régné vertueusement et ceux qui ont les mains basses ont été infortunés ou n’ont fait acte d’excellence.»

Sur les faces latérales, chaque travée de salle se divisait en deux arcatures où, dans le renfoncement entre les piliers, un banc de pierre était ménagé. Quatre grandes cheminées comme en bas dans la salle Saint-Louis chauffaient la grande salle. Les jours d’hiver dans cette immense nef toujours bruyante, toujours pleine de gens venus pour leurs affaires, ou pour ouïr les nouvelles, ces cheminées à la vaste hotte, devaient former chacune le centre de groupes serrés.

Du côté du pignon oriental donnant sur la partie de la rue de la Barillerie dite de Saint-Barthélemy, à cause de l’église de ce nom située en face du Palais, le roi Louis XI fit plus tard élever un autel qu’il accompagna des statues de saint Louis et de Charlemagne portées sur deux colonnes. Ce très dévotieux monarque, faisant placer sa statue à côté de celles de ses prédécesseurs, se fit représenter agenouillé devant une image de la Vierge. A cet autel de Louis XI se disait jadis chaque année la messe de rentrée du Parlement.

Au fond, sous le pignon opposé, toute la largeur de la Grande Salle était prise par la Table de marbre si fameuse dans les fastes du Palais. On tenait pour certain, sans y regarder de trop près, qu’elle était faite d’une seule tranche de marbre «qui portait, dit Sauval, tant de longueur, de largeur et d’épaisseur qu’on tient que jamais il n’y a eu de tranches de marbre plus épaisses et plus longues».

Table illustre contemplée avec respect par le populaire, brillante sous le reflet des grands fenestrages, table royale aussi, réservée, dans les festins d’apparat donnés par les rois, aux princes du sang, aux pairs de France et aux princesses, les autres convives s’asseyant à des tables mobiles plus ou moins rapprochées, selon leur rang.

Au XVe siècle, près de la table de marbre, se voyaient différentes choses remarquables: un crocodile empaillé trouvé, disait-on, dans les fondations du palais, curiosité rapportée probablement d’Égypte au temps des croisades, et un grand «vieil cerf» en bois, qui était un modèle préparé pour un cerf en or massif que le général des finances de Charles VI devait faire exécuter pour le trésor royal, projet qui n’eut qu’un commencement d’exécution, la tête seule ayant été faite, et sans doute bien vite fondue ensuite.

La table de marbre, table royale, siège de la juridiction des eaux et forêts, avait encore une autre destination bien différente, c’était aussi le théâtre de la Basoche; en ces âges naïfs, sur la table des festins royaux, les clercs de la basoche du palais, montaient aux jours de leurs divertissements traditionnels, pour jouer leurs farces, sotties, moralités et momeries. Très probablement un revêtement de bois formant estrade recouvrait alors la table de marbre, estrade surélevée, dont le dessous fermé par des tapisseries servait de vestiaire. C’est ainsi que Victor Hugo, au premier chapitre de Notre-Dame de Paris a mis en scène une représentation de mystère offert au populaire sur cette table, à l’occasion d’un mariage princier.

L’angle nord-ouest de la Grande Salle touche à la Grand’chambre, ancienne chambre de saint Louis, située à l’étage supérieur de la Conciergerie, au-dessus du grand guichet entre les deux tours. Sous Louis XII elle fut complètement transformée et devint la Chambre dorée. Les murailles couvertes de lambris curieusement sculptés, le plafond à caissons, les petites voûtes surbaissées retombant sur des culs-de-lampe, les peintures, les fleurs de lis, tous les ornements dorés «avec de l’or de ducats de Hollande», en faisaient une étincelante et mirifique salle d’apparat. Des estampes nous en ont conservé l’aspect à différentes époques.

[Pas d'image disponible.]
LA CHAMBRE DORÉE.—DANS L’ANGLE, LE SIÈGE ROYAL

Quand elle fut devenue grande chambre du Parlement, chambre des pairs, chambre des plaids solennels, magistrats et pairs occupaient des gradins se détachant sur le lambris à fond fleurdelisé; sur deux des angles s’élevaient deux tribunes pour les invités de marque aux grandes cérémonies, sortes de lanternes construites sous Louis XIV et refaites sous Louis XV, chargées d’armoiries et terminées en dômes avec la couronne royale au sommet.

Le trône royal ou lit de justice était dans un autre angle à côté d’un grand triptyque du XVe siècle représentant le Christ en croix entouré de quelques saints. Près de la porte communiquant avec la Grande Salle, se voyait, d’après les anciens chroniqueurs, un lion doré, ayant la tête baissée et la queue entre les jambes, ce qui voulait dire que «toute personne tant soit grande de ce royaume en doit obéir et se rendre humble, soubz les lois et jugements de la dicte Court».

C’est dans cette étincelante Chambre dorée où tout rappelait la royauté, fleurait l’aristocratie et le vieux parlementarisme, que s’établit en 1793 le tribunal révolutionnaire, pour travailler avec la collaboration du couperet de Sanson à supprimer les vieilles institutions et les ci-devant aristocrates ou parlementaires. Préalablement la Chambre dorée avait été exécutée elle-même, le rabot égalitaire avait passé sur la superbe décoration, on avait tout rasé, ornements sculptés, peintures, écussons, et à la place du plafond aux voûtes si délicatement et si richement lambrissées et enluminées on avait fait un plafond net et plat.

Quant à la Tour de l’Horloge, on pense qu’elle date des commencements du XIVe siècle. S’il en est ainsi, il devait exister précédemment un peu en arrière une autre tour formant l’angle du Palais devant le Grand-Pont; on croit savoir que le roi Philippe le Bel acheta à cette époque au chapitre de Notre-Dame un moulin, dit de Chante-reine situé sur la rive au pied du Palais, pour élever à sa place la belle tour carrée de l’Horloge et le bâtiment contigu, c’est-à-dire la cuisine dite de Saint-Louis.

[Pas d'image disponible.]
LOGE OU LANTERNE DE LA CHAMBRE DORÉE, XVIIe SIÈCLE

L’horloge qui donne son nom à la tour fut placée en 1370, du temps de Charles V, par un maître horloger allemand du nom de Henri du Vic. Celui-ci resta chargé de l’entretien du mouvement et fut logé dans la tour. En même temps on installait dans le petit beffroi surmontant le comble de la tour, une cloche nommée Jouvante, qui devait devenir non moins fameuse que l’horloge, car elle donna en 1578, avec les cloches de Saint-Germain l’Auxerrois, le signal de la Saint-Barthélemy. Peu après, sous Henri III, l’horloge dut être restaurée; on chargea de ce soin Germain Pilon qui refit un cadran élégamment décoré, flanqué de deux figures représentant l’une la Force et l’autre la Justice, avec des inscriptions latines dues à Jean Passerat, l’un des futurs auteurs de la Satire Menippée. L’une de ces inscriptions, placée sous les écussons de France et de Pologne réunis et entourés du cordon de l’ordre du Saint-Esprit, fait allusion aux deux couronnes portées par Henri III et lui en promet une troisième au ciel. Un auvent gracieusement arrondi protège l’horloge et ses figures. Le tout nous était arrivé absolument dégradé, et il a fallu tout reconstituer, sculptures, figures et ornementation peinte.

Voici donc le palais complètement achevé dans son ensemble aux premières années du XIVe siècle; sous Charles VIII et Louis XII, il recevra encore des adjonctions heureuses, mais ce sera ensuite fini, il ne fera plus, aux époques suivantes, que souffrir violences et dévastations, lors de ses incendies successifs, suivis de restaurations non moins désastreuses pour ses magnificences ogivales et sa noble physionomie d’autrefois.

L’émerveillement de tous fut grand à la fin des travaux, devant l’œuvre achevée qui complétait l’aspect grandiose de la Cité, resplendissante alors avec sa jeune cathédrale et son Palais neuf. Philippe le Bel, pour inaugurer solennellement ses constructions, donna à la Pentecôte de l’an 1313, huit jours de fêtes merveilleuses, au cours desquelles furent armés chevaliers les trois fils du roi, qui devaient si peu après, et pour si peu de temps chacun, régner tous les trois, Louis le Hutin, Philippe le Long, Charles le Bel.

[Pas d'image disponible.]
LA GRANDE SALLE DU PALAIS. AU FOND LA TABLE DE MARBRE

Le gendre du roi Edouard II d’Angleterre vint en grande pompe assister aux fêtes. La ville de Paris, où tout chôma pendant huit jours, était dans toutes ses rues encourtinée de soie et de lin et illuminée joyeusement chaque soir. Jamais on n’avait vu pareilles magnificences, tous les ducs, comtes et barons de France étaient présents, disent les vieux chroniqueurs, ajoutant pour donner une idée de ces magnificences que dans une seule journée ces nobles seigneurs changèrent trois fois d’habits. Il y eut chaque jour de grands festins, le jour de la Pentecôte, les fils du roi furent armés chevaliers, le roi donna un grand repas sur la Table de marbre, au cours duquel tous les mets furent à un certain moment inondés d’eau de rose, ce qui peut passer pour un assaisonnement singulier.

«Tous les bourgeois de Paris en robes neuves, à pied et à cheval, ordonnés par métiers et confréries, avec trompes, tambourins, buccines et menestriers et très bien jouant de très beaux jeux, entrèrent en l’île de la Cité par-dessus un pont de bateaux nouvellement construit, et vinrent en grande joie à la cour du Palais du roi.» Cette procession, chantant et jouant comme une sorte de mystère ambulant, donna aux princes une grande représentation dans la cour du Palais.

Il y avait plusieurs pièces ou plusieurs actes. Après le Mystère du Paradis vint le Mystère de l’Enfer, puis tout le Roman du Renard en un nombre infini de scènes, avec tous les déguisements d’animaux et les «feintises» indispensables.

Après le repas des princes, le mystère ambulant s’en fut processionnant dans le même ordre au pré aux Clercs, sous l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, où la reine d’Angleterre, Isabeau de France, était parée en une tourelle avec nombre de dames et de damoiselles. «Et cette fête leur plut fort et tourna à grand honneur au roi de France et aux gens de Paris.»

Pendant ces fêtes dans l’île de la Cité et dans l’île Notre-Dame, le roi de France, ses frères et ses trois fils, le roi d’Angleterre et un nombre immense de seigneurs prirent la croix pour une croisade projetée que diverses circonstances empêchèrent. L’enthousiasme fut si grand cependant que les femmes des croisés prirent la croix aussi pour suivre leurs maris, mettant seulement pour condition qu’elles ne passeraient point la mer sans leurs maris, et que celles qui deviendraient veuves seraient déliées de leur vœu.

Le cinquième jour des fêtes tous les artisans et bourgeois de Paris, les uns à pied, les autres à cheval, défilèrent par le parvis Notre-Dame et les rues de la Cité, sous les fenêtres du Palais où les deux rois, les princes et les barons étaient placés. Les Parisiens à cette montre étaient bien environ vingt mille cavaliers et trente mille piétons, «dont le roi d’Angleterre et les siens furent grandement ébahis».

Dans le Palais, avec les rois, cohabitait l’ensemble assez confus de l’administration du royaume, le trésor, la Justice. Il fut le berceau des Parlements réguliers installés dans la grand’chambre, plus tard chambre dorée.

Philippe le Bel, en même temps qu’il achevait les constructions commencées par saint Louis, complétait aussi l’œuvre d’organisation judiciaire de son prédécesseur. Il instituait un Parlement à Paris et deux autres en province, l’Echiquier de Rouen, le parlement de Toulouse, plus un parlement temporaire à Troyes, les grands jours, délégation de celui de Paris.

Il décida que le Parlement se réunirait au palais pour six semaines ou deux mois de chaque semestre, à Pâques et à la Toussaint, en cour souveraine de justice, pour connaître de toutes les affaires importantes; des prélats et des hauts barons furent mis à la tête de cette juridiction royale. Primitivement il entra dans la composition du Parlement deux sortes de conseillers: les conseillers jugeurs, tous nobles seigneurs, et les conseillers rapporteurs, ceux-ci clercs et légistes, formant les chambres des enquêtes, et admis seulement à formuler leur opinion; mais ces derniers, par la seule force des choses, se confondirent bientôt avec les autres et finalement constituèrent à eux seuls cette haute magistrature.

Le roi avait aussi près de lui sa chambre des comptes chargée de l’administration financière, et présidée également par des évêques et des barons.

Quand Philippe le Bel convoqua les Etats généraux dans les circonstances difficiles de sa lutte avec le Saint-Siège, il réunit tous les barons, les ducs, comtes, prélats, abbés des couvents, maires et échevins des communes dans l’église Notre-Dame.

C’était en 1302; en 1308 il réunit les Etats généraux à Tours; mais en 1314, les convoquant de nouveau, il les assembla en son Palais, dans la Grande Salle terminée depuis peu.

Les barons et les prélats étaient assis sur un «échaffaud» élevé probablement du côté de la Grande table, les bourgeois des communes remplissaient la salle. Enguerrand de Marigny, «chevalier coadjuteur du roi de France Philippe et gouverneur de tout le royaume,» disent les Chroniques de Saint-Denis, monta sur cet échafaud, «prêcha» longuement à l’assemblée, en commençant par un beau compliment du roi à sa ville de Paris «où les rois aux temps anciens avaient accoutumé d’avoir leur nourriture et pour cela appelaient-ils Paris chambre royale». Puis rappelant les anciennes querelles du roi Philippe-Auguste avec Ferrand comte de Flandre, il en vint à la grande affaire qui était la création de nouveaux impôts en vue d’une expédition contre les Flamands lesquels, de nouveau comme au temps de Ferrand, se dérobaient à la suzeraineté du roi de France.

«Pour laquelle chose Enguerrand requit pour le roi aux bourgeois des communes qu’il voulait savoir lesquels lui feraient aide ou non à aller encontre les Flamands à ost en Flandre. Et lors icelui Enguerrand fit lever son seigneur le roi de France delà où il séait pour voir ceux qui lui voudraient faire aide. Adonc Etienne Barbette, bourgeois de Paris, se leva et parla pour ladite ville.»

Etienne Barbette, qui était l’homme du roi et le compère d’Enguerrand, déclara au nom de tous les bourgeois et des communes que tous feraient aide volontiers au roi, ce dont il reçut aussitôt les remercîments de Philippe. L’affaire était terminée. «Et alors après icelui parlement, une taille trop male et trop grevable à Paris et au royaume de France fut levée, de quoi le menu peuple fut trop grevé, pour laquelle occasion ledit Enguerrand tomba en la haine et malédiction du menu peuple trop malement.»

De bien graves affaires se débattaient en ces dernières années du règne tourmenté de Philippe le Bel, le terrible scandale des désordres des trois belles-filles du roi, Marguerite, Blanche et Jeanne de Bourgogne, allait éclater. Les trois princesses surprises avec leurs amants à l’abbaye de Maubuisson près Pontoise, où elles s’installaient sous prétexte de retraite et de dévotions, furent jetées en dure prison. Les malheureux Philippe et Gauthier d’Aulnay, amants de Marguerite et de Blanche, subirent d’horribles supplices. Jeanne put se faire déclarer innocente, mais l’amant soupçonné n’en fut pas moins pendu. Marguerite, femme de Louis le Hutin, fils aîné du roi, périt étranglée dans sa prison quand son mari monta sur le trône. C’est la Marguerite de Bourgogne de la fameuse tour de Nesle, où les légendes populaires placent le théâtre de ses débauches et de ses cruautés.

En même temps que s’établissait le renom sinistre de la tour de Nesle, l’îlot de Bussy en avant de l’île de la Cité, lequel devait plus tard, soudé à la grande île, former le terre-plein du Pont-Neuf, acquérait une non moins sinistre célébrité. Le grand procès des Templiers allait y avoir son terrible dénouement. Depuis six ans les dignitaires de l’ordre étaient traînés de cachots en cachots, de juridiction en juridiction et aussi de bourreaux en bourreaux.

Enfin dans une grande assemblée de prélats assistés de trois légats du pape, le grand maître de l’ordre, Jacques de Molay, et trois autres dignitaires furent condamnés à une prison perpétuelle. Ils devaient auparavant faire une sorte d’amende honorable et renouveler publiquement les aveux arrachés par les tortures, devant un bûcher allumé sur la place du Parvis-Notre-Dame.

Un grand échafaud avait été dressé devant le portail de la cathédrale, les commissaires apostoliques y parurent avec les quatre Templiers et les sommèrent de répéter leur confession. Deux y consentirent, mais par un coup de théâtre inattendu, Jacques de Molay et le grand maître de Normandie protestèrent solennellement contre ce que les tourments leur avaient fait avouer, et démentirent avec énergie toutes les accusations portées contre l’ordre.

La commission pontificale déconvenue rentra en délibération et, en attendant qu’elle eût prononcé, elle remit les deux relaps au Prévôt de Paris pour qu’il les gardât. Ainsi cette grande et difficile affaire n’était pas terminée, les victimes osaient encore élever la voix.

La nouvelle de la rétractation des Templiers venait d’être portée au roi. Aussitôt, après un rapide entretien avec ses conseillers, il fit amener au palais les deux Templiers. En grande hâte, on éleva un bûcher dans la petite île connue sous différents noms, comme île aux Juifs, île aux Vaches ou au Passeur aux Vaches, île Bucy, devant la maison des Etuves qui faisait l’extrémité du jardin royal, et sur le soir, à la vue du peuple rangé sur les rives, le 3 mars 1314, les deux victimes furent brûlées, gardant jusqu’au bout une contenance et une fermeté qui frappa tous les assistants, et assignant, dit une légende forgée peu après, à comparaître devant Dieu, leur souverain juge, le pape Clément avant quarante jours, et avant un an ce roi qui les regardait mourir du haut des murailles de son palais.

Pour en revenir à Enguerrand de Marigny, si par les nouvelles tailles obtenues grâce à Etienne Barbette, des Etats généraux tenus au Palais en l’année 1314, il s’était attiré la malédiction du peuple appauvri par les exactions royales, les impôts iniques et les altérations de monnaies, le clergé mis à contribution aussi sous prétexte de croisade projetée, et les nobles pour n’avoir pas été épargnés par les extorsions de son système financier, ne le haïssaient pas moins. Aussi l’orage s’amassait sur la tête de son ministre, tandis qu’au milieu de la haine des peuples s’écoulaient les derniers jours de la vie tourmentée de Philippe le Bel.

Le roi étant mort en l’automne de cette année 1314, le premier acte de son fils Louis X le Hutin fut de donner satisfaction à toutes les haines réunies, en sacrifiant le grand ministre de son père. Enguerrand de Marigny fut arrêté, enfermé à Vincennes et son procès s’instruisit en même temps que celui de ses principaux agents, clercs du trésor et officiers divers. On accusait Enguerrand de s’être enrichi par de nombreuses concussions et d’avoir dilapidé le trésor royal; on vérifiait les comptes embrouillés ou mal tenus. Outre son énorme fortune, ses domaines et ses nombreux hôtels et châteaux, et les meubles qui les garnissaient, quarante millions de biens qu’il avait amassés en quinze années de faveur royale, on lui reprochait son orgueil, qui l’avait porté à s’ériger une statue à côté de celle de Philippe dans la Grande Salle du Palais, et son esprit dominateur devant lequel avaient dû plier les plus hauts personnages, jusqu’aux frères du roi, en sorte que ce petit fonctionnaire de cour avait fini par assumer la puissance et jouer le rôle d’un véritable maire du palais.

[Pas d'image disponible.]
LE BATIMENT DE LA TOURNELLE ET LA TOUR BON-BEC

Cependant, pour achever d’abattre ce puissant ministre, il fallut joindre une affaire de sorcellerie au procès sérieux. Accusé d’avoir voulu envoûter le nouveau roi, il fut condamné, non cependant par le Parlement, mais par une commission de hauts barons présidée par son ennemi, le frère de Philippe le Bel, Charles de Valois.

[Pas d'image disponible.]
LOGE DE LA CHAMBRE DORÉE (XVIIIe SIÈCLE)

Le 30 avril 1315, Enguerrand de Marigny était conduit au gibet de Montfaucon et accroché tout en haut à la dernière poutre. Or ce grand gibet de Montfaucon, principale Justice de Paris, c’était précisément Enguerrand de Marigny qui l’avait fait élever et lui avait donné sa forme monumentale. Il est possible que d’autres fourches patibulaires aient existé auparavant en cet endroit, mais on fait honneur de ce gibet fameux, vu de si loin sur le dernier renflement des hauteurs du nord de Paris, à celui qui l’inaugura presque. C’était au-dessus d’un massif carré, seize hauts piliers de pierre bordant trois côtés de la plate-forme, et réunis par trois étages d’épaisses traverses en bois, ce qui donnait quarante-cinq vides, ou fenêtres si l’on veut, au sinistre monument, quarante-cinq ouvertures dans chacune desquelles pouvaient se balancer un ou deux pendus.

La pluye nous a debuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz;
Pies, corbeaulx, nous ont les yeux cavez,
Et arrachez la barbe et les sourcilz...

C’est François Villon qui parle dans sa ballade épitaphe «pour lui et ses compagnons s’attendant à être pendus».

On a remarqué jadis, Etienne Pasquier le rapporte, que les fourches de Montfaucon ont de tout temps porté malheur à tous ceux qui ont eu l’occasion de s’en occuper. Un des premiers successeurs d’Enguerrand, Pierre Remy, général des finances de Charles le Bel y fit faire quelques réparations, et peu après succéda aussi à Enguerrand au funeste gibet. Plus tard un lieutenant civil de Paris, les ayant fait encore réparer n’y fut point accroché, mais dut venir un jour y faire amende honorable.

 

[Pas d'image disponible.] LES CUISINES DE SAINT LOUIS


CHAPITRE IV

LA COMMUNE DE 1358

Après la défaite de Poitiers.—Désastres et misères.—Les États généraux.—La chandelle de 4455 toises.—Etienne Marcel.—Envahissement du palais et meurtre des maréchaux de Champagne et de Normandie.—L’évasion du Dauphin par le Grand Pont.—Préparatifs et armements de Marcel.—Alliance avec les Jacques.—Les trames du roi de Navarre.—Situation désespérée de Marcel.—Il va livrer la ville à Charles le Mauvais.—La mort du Prévôt.

[Pas d'image disponible.]
LE MEURTRE DES MARÉCHAUX DE CHAMPAGNE ET DE NORMANDIE

Après la défaite de Poitiers, le 9 septembre 1356, où le roi Jean resta aux mains des Anglais avec une bonne partie de sa chevalerie, le jeune Dauphin Charles, duc de Normandie, dans le désarroi général de la France, au milieu des colères populaires soulevées contre la noblesse, que chacun rendait responsable du désastre, convoqua des Etats généraux pour chercher avec eux un remède à la cruelle situation, et les amener à fournir les aides et subsides nécessaires pour la délivrance du roi et la continuation de la guerre.

Les Etats généraux de langue d’oc se réunirent à Toulouse, ceux de langue d’oil à Paris, dans la grande chambre du Parlement.

Paris allait entrer en fermentation pour quelques années, les délibérations des délégués devant bientôt aboutir à une véritable révolution. Les bourgeois des Etats, devant ces nouvelles charges, faisaient leurs conditions; ils consentaient bien à fournir les aides requises, mais ils réclamaient aussi des réformes, posaient des conditions et entendaient surveiller, non seulement l’emploi des sommes demandées, mais encore l’administration du royaume.

Le Dauphin, trop jeune et trop inexpérimenté pour dominer les événements, essaya d’une prorogation des Etats, ce remède aux situations embarrassantes, mais, ainsi qu’il arrive de nos jours pour un budget non voté, l’épuisement du Trésor le força bientôt à rappeler l’assemblée. Les Etats revinrent en mars 1357, non moins résolus à mettre bon ordre au mauvais gouvernement «du roi et du royaume au temps passé».

Alors se dresse dans l’histoire de Paris la grande figure d’Etienne Marcel, si discutée, trop noircie par les uns et chargée de toutes les violences populaires, trop grandie par les autres, qui en font un homme à vastes et profondes visées, trop en dehors de son temps. Etienne Marcel, de vieille famille parisienne, était prévôt des marchands un an avant Poitiers. Premier magistrat de Paris, Marcel, dès que le désastre fut connu, agit avec énergie et décision pour mettre la ville en défense. Il leva des impôts et avec ces ressources entreprit une réfection totale de l’enceinte de Philippe-Auguste, se bornant à mettre en état les remparts de la rive gauche, mais élevant avec toute la diligence possible une nouvelle ligne de fortifications sur la rive droite, pour envelopper les importants faubourgs du nord.

Aux Etats généraux, Marcel devint bien vite un des orateurs dirigeants, le chef du parti bourgeois. Fort des trente ou quarante mille Parisiens armés qu’il sentait derrière lui, il osa parler haut, et put avec Robert le Coq, évêque de Laon, conseiller au parlement, personnage douteux, intriguant pour le compte de Charles le Mauvais, roi de Navarre, entraîner l’assemblée dans le sens des réformes. Triomphant en raison du désarroi des princes et des terribles embarras dans lesquels se débattait le Dauphin, les Etats arrachèrent au Dauphin la grande ordonnance du 3 mars 1357, décrétant des mesures de défense nationale et de considérables réformes dans les finances, les aides et impôts, l’emploi des subsides de guerre, l’administration de la justice, la répression des abus des officiers royaux, et la discipline des gens de guerre.

[Pas d'image disponible.]
PLACE DU PARVIS NOTRE-DAME (XVe SIÈCLE)
Imp. Draeger & Lesieur, Paris

Ces réformes, tout urgentes et sages qu’elles fussent, étaient pour la plupart bien prématurées en pleine féodalité, trop en avance sur les idées du temps, et restaient incomprises même, en dehors d’un très petit nombre de députés avancés. On comprenait mieux les mesures d’intérêt immédiat, ou lorsque l’on voyait les Etats exiger du Dauphin le renvoi ou la suspension des anciens conseillers du roi et la punition des prévaricateurs. Moyennant l’acceptation de ces réformes, les Etats offraient au Dauphin trente mille hommes d’armes et les subsides nécessaires à lever sur les bonnes villes et les gens d’Église.

[Pas d'image disponible.]
LE GIBET DE MONTFAUCON

Les Etats, en plus de l’ordonnance de réformation, imposaient au Dauphin un grand conseil de trente-quatre membres tirés de leur sein, entre les mains desquels tous les pouvoirs devaient être concentrés. C’était en réalité la bourgeoisie comptant dix-sept représentants dans ce conseil, qui prenait en mains le gouvernement. Tout de suite une réaction se fit; des protestations du roi Jean, prisonnier en Angleterre, arrivèrent contre tout ce qui avait été ordonné par les Etats, et le Dauphin entama la lutte contre Marcel. Ce fut une année d’intrigues et de violentes discordes, ce pendant que gens d’armes et routiers anglais, soudards navarrais ou simples brigands infestaient tout le centre de la France, pillant, rançonnant et ravageant villes et villages. La lutte entre le Dauphin d’un côté, Etienne Marcel et l’évêque de Laon, Robert le Coq, de l’autre, se compliqua des menées de l’odieux roi de Navarre, Charles le Mauvais, petit-fils de Louis le Hutin, déjà souillé de crimes, et alors emprisonné pour une conspiration contre le roi Jean, dans laquelle il avait fait entrer le Dauphin lui-même. Sorti de prison grâce à Robert le Coq et à Marcel, le roi de Navarre ajouta aussitôt aux difficultés de la situation qu’il avait intérêt à embrouiller. Il enserra Paris avec ses bandes de routiers appuyées de compagnies anglaises, heureux du sanglant gâchis dans lequel il voyait la France se débattre et perdre toutes ses forces, et espérant, le moment venu, en recueillir tout le profit.

Dans Paris les partisans d’Etienne Marcel adoptèrent en signe de ralliement le chaperon de drap mi-partie rouge et pers (bleu verdâtre) auquel les plus résolus, les meneurs de la foule, ajoutaient des agrafes émaillées où se voyaient gravés les mots «A bonne fin», indiquant leur volonté de suivre Marcel jusqu’au bout et de l’aider à maintenir contre tous les réformes établies.

Le Dauphin venait d’ailleurs de donner prise contre lui aux chefs du parti populaire, par une ordonnance concernant les monnaies, c’est-à-dire par une altération de ces monnaies. De plus, un événement tragique survenu quelque temps auparavant avait surexcité les esprits. Un nommé Perrin Marc ayant rencontré le trésorier et conseiller du duc de Normandie, Jean Baillet, le tua d’un coup de couteau et se réfugia dans l’église Saint-Merry, lieu d’asile. A la nouvelle du meurtre, le Dauphin courroucé, sans tenir compte du droit d’asile, envoya Robert de Clermont, maréchal de Normandie, et Guillaume Staise, prévôt de Paris, avec une troupe d’archers qui, trouvant les portes de l’église barricadées, durent les brûler pour parvenir jusqu’à l’assassin. Celui-ci traîné au Châtelet eut le lendemain le poing coupé sur le lieu du crime et fut ensuite accroché au gibet.

Mais l’évêque de Paris s’émut tellement de cette violation du droit d’asile qu’il fallut dépendre l’assassin du trésorier et le ramener au moutier de Saint-Merry pour l’enterrer en grande solennité. Etienne Marcel avec un grand nombre de bourgeois conduisait le corps, et ce, le même jour que le Dauphin suivait les obsèques de son trésorier assassiné.

Une sorte de fièvre s’emparait de tous, fièvre faite des tristesses présentes et des inquiétudes où se débattait la population, dans ce Paris rempli de réfugiés, bourgeois, nobles, moines et nonnes chassés des bourgs, des châteaux, des couvents de la région par les ravages des routiers.

L’Université de Paris et le clergé même semblaient prendre parti contre le Dauphin et intervenaient auprès de lui, en le sommant pour ainsi dire de faire droit aux réclamations du roi de Navarre.

En ce moment l’échevinage et les bourgeois, pour obtenir du ciel la fin des maux qui accablaient le pays, firent vœu d’offrir chaque année à Notre-Dame un cierge de la longueur de la muraille d’enceinte de la ville, c’est-à-dire mesurant exactement 4,455 toises, chandelle démesurée, en cire flexible, qui devait brûler nuit et jour aux pieds d’une image de la Vierge. Le vœu fut tenu exactement et dans la forme dite, sauf quelque temps sous la Ligue. Mais en 1605 le prévôt des marchands, François Myron, substitua au cierge de la dimension des remparts un lampadaire d’argent avec un cierge encore monumental par la grosseur, mais de longueur plus ordinaire.

[Pas d'image disponible.]
ÉTIENNE MARCEL HARANGUE LE PEUPLE A LA MAISON AUX PILIERS

Dans la grande ville tourmentée et tumultueuse, les colères populaires surexcitées par les événements journaliers, chauffées à blanc par les factieux, entretenues par des confréries bourgeoises et des associations de corps de métiers, éclatèrent enfin dans une journée révolutionnaire. Le 22 février 1358, le palais de la Cité, résidence royale, fut forcé et envahi comme devaient l’être d’autres châteaux royaux, quelques siècles après,—une fois même juste au même jour de février. Le matin de ce jour, le prévôt des marchands réunit à Saint-Eloi dans la Cité, tout proche du Palais, environ trois mille gens de métier, tous bien préparés par les meneurs et décidés à mettre la main sur le Dauphin pour l’enlever à ses conseillers de la noblesse, et le forcer définitivement à gouverner selon les vues populaires.

L’exaltation de la foule en armes était si grande que le prévôt des marchands arrivant à Saint-Eloi, accompagné des échevins, n’eut besoin de rien dire pour attiser ou diriger ces fureurs, car aussitôt la troupe, dans un tumulte de cris et de vociférations, s’ébranla et marcha sur le Palais, grossie par d’autres bandes de forcenés débouchant de toutes les rues, descendant par les ponts en brandissant leurs armes.

Cette foule déjà venait de massacrer un partisan du Dauphin, Regnaut d’Acy, avocat au parlement, rencontré comme il sortait du Palais. Reconnu dans la rue, il s’était réfugié dans la boutique d’un charcutier où, sans lui donner le temps d’implorer, on l’avait percé de coups.

Quand la multitude armée se présenta aux portes du Palais, on essaya en vain de la retenir. Les gens du roi ne voulaient laisser passer que le prévôt avec une délégation de la foule, mais ils furent bientôt bousculés et forcés, et aussitôt le flot des assaillants se répandit par tout le Palais. Les galeries, la grande salle se trouvèrent en un clin d’œil envahies par de rudes compagnons en jacques de mailles, coiffés de bassinets de fer ou de chaperons aux couleurs parisiennes, hérissés de toutes les armes possibles. Ils ne rencontrèrent aucune résistance. Marcel à la tête des plus hardis de sa troupe marcha droit à l’habitation royale derrière la galerie des Merciers, jusqu’à la chambre du Dauphin où celui-ci, reculant devant les envahisseurs, s’était retiré avec ses principaux officiers.

 
 
Agrandir
LES CORPS DES MARÉCHAUX DE CHAMPAGNE ET DE NORMANDIE TRAÎNÉS SUR LE GRAND PERRON DU PALAIS
[Pas d'image disponible.] LES CORPS DES MARÉCHAUX DE CHAMPAGNE ET DE NORMANDIE TRAÎNÉS SUR LE GRAND PERRON DU PALAIS

—Sire, dit Marcel au Dauphin, ne vous ébahissez pas de choses que vous voyez, car il est ordonné et convient qu’il soit ainsi fait.

Il se trouvait dans cette chambre, parmi les officiers du Dauphin, Jean de Conflans, maréchal de Champagne, et Robert de Clermont, maréchal de Normandie, tous deux vaillants hommes de guerre et conseillers énergiques du prince, des plus détestés par le parti des États. Marcel les désigna à ses gens en disant: «Faites en bref ce pourquoi vous êtes venus ici.» Aussitôt ses hommes se jetèrent sur Jean de Conflans qui ne put se défendre et fut abattu sur le lit du Dauphin, aux pieds du prince sur lequel jaillirent des éclaboussures sanglantes.

Robert de Clermont recula en essayant de se mettre en défense dans une pièce voisine, mais il tomba bientôt massacré à son tour et son cadavre fut rapporté dans la chambre à côté de l’autre.

Les autres officiers du Palais s’échappèrent à ce moment et laissèrent seul, dans la poussée tumultueuse, au milieu des massacreurs, le Dauphin très effrayé, mais Etienne Marcel, resté près de lui à côté des deux cadavres, enleva le chapeau du prince et lui mit sur la tête son chaperon aux couleurs parisiennes en lui disant de n’avoir plus rien à craindre.

Ces meurtres eurent lieu dans ce qu’on appelait les hautes chambres à galathas ou de galetas, construites par le roi Jean au-dessus de la chambre verte dans la tour carrée à l’angle gauche du logis royal (de saint Louis ou Philippe le Bel) donnant d’un côté sur les jardins du Palais et de l’autre sur la galerie aux Merciers et la Sainte-Chapelle.

Les gens de Marcel, triomphants, traînèrent les deux corps «moult inhumainement, par devant Monseigneur le Duc» jusqu’en la cour du Palais sur le grand perron, où il les laissèrent étendus et découverts à la vue de tous. Ensuite Marcel et ses compagnons se dirigèrent vers «la Maison en grève qu’on appelait la maison de la ville»,—ainsi qu’il a été fait maintes fois depuis, après d’autres envahissements de palais.

[Pas d'image disponible.]
LA FUITE DU DAUPHIN SOUS LE GRAND PONT

C’est Marcel qui avait fait l’acquisition de cette maison dite aussi Maison aux Piliers, pour y réunir les administrations municipales jusque-là éparpillées, à ce qu’il semble, dans plusieurs locaux: le petit parloir aux Bourgeois, entre le Châtelet et la chapelle Saint-Leufroy, et un autre parloir occupant une tour encastrée dans le rempart de la ville, près des Jacobins de la rue Saint-Jacques.

Le prévôt, d’une fenêtre de cette maison aux Piliers, harangua la multitude et lui annonça l’occision qu’il venait d’ordonner. Il dit que l’exécution de ces «faux, mauvais, et traîtres» conseillers du Dauphin avait été faite pour le bien commun du royaume de France et requit le peuple de vouloir bien le soutenir pour continuer l’œuvre de défense et de salut. Et alors au milieu des clameurs, au bruit des armes brandies, les Parisiens crièrent «qu’ils avouaient le fait et qu’ils voulaient vivre et mourir pour le dit prévôt».

Toujours accompagné de sa troupe armée le prévôt retourna au Palais auprès du Dauphin, après lui avoir envoyé deux pièces de drap rouge et pers, pour munir de chaperons aux couleurs parisiennes tous les gens du Palais et du Parlement. Les corps des maréchaux de Champagne et de Normandie étaient restés exposés sur le perron; on ne les enleva que le soir pour les faire porter dans une charrette jusqu’à Sainte-Catherine du Val des Ecoliers, où les religieux n’osaient ni les recevoir ni les enterrer sans l’assentiment du terrible prévôt.

Le prévôt des marchands ne perdit pas de temps, après ces événements, et s’efforça de prendre en main le gouvernement en composant le conseil du Dauphin de gens du parti bourgeois; il travaillait aussi à rallier à son parti les gens des communes, les bourgeois des bonnes villes et tentait d’établir une confédération, une ligue de défense contre le parti de la noblesse, tout en recherchant en même temps la dangereuse et peu sûre alliance du roi de Navarre.

Pendant quelques semaines encore le Dauphin demeura à Paris à la discrétion d’Etienne Marcel. Le Dauphin avait pris le titre de Régent du Royaume, vain titre, dont le pouvoir était entre les mains du conseil composé de l’évêque de Laon, du prévôt et des échevins. Il était si bien captif en ce Palais qu’un chevalier, qui avait tramé une évasion du jeune prince, fut décapité aux Halles par ordre du prévôt.

Une nuit, environ un mois après l’affaire du Palais, c’est-à-dire vers la fin de mars, le grand Pont ou pont aux Changeurs (alors en bois) vit filer sous sa grande arche une barque se dissimulant dans l’obscurité. C’était le régent qui s’enfuyait. Deux hommes, Thomas Fouguant maître charpentier ou maître des eaux, et Jean Perret ou Métret, maître de l’arche du grand Pont, deux fonctionnaires des services de la navigation, avaient ouvert au régent l’arche du Pont barrée chaque soir. A la fin de mai suivant quand la lutte fut dans son plein, ces deux hommes qui probablement étaient restés en correspondance avec le Dauphin furent saisis et cruellement punis. Le prévôt des marchands leur fit couper la tête en Grève et fit ensuite écarteler les corps, dont on suspendit les quartiers aux portes de la ville.

Au moment où le pauvre Jean Perret mettait la tête sur le billot, le bourreau, saisi soudain d’une attaque d’épilepsie, roula à terre tout écumant. Dans la foule quelques-uns émus de pitié criaient déjà au miracle et disaient que Dieu montrait par là qu’on faisait mourir injustement les condamnés. Peut-être le populaire allait-il s’opposer à l’exécution, mais un avocat du Châtelet, qui voyait la chose des fenêtres de la maison de ville, cria aux assistants qu’il n’y avait là nul miracle, attendu que maître Raoullet, le bourreau, était connu pour être sujet à cette maladie, et sur cette explication, fermant la bouche aux pitoyables, la justice du prévôt eut son cours.

Des deux côtés on se préparait activement à la guerre inévitable. Le Dauphin aussitôt libre s’était mis à rassembler des troupes. La noblesse des provinces voisines lui fournissait des gens d’armes; les villes elles-mêmes, malgré les appels pressants de Marcel refusaient de suivre la commune de Paris dans la voie révolutionnaire où elle s’était engagée, enfin les Etats généraux se réunissaient à Compiègne sur la convocation du régent, et, tout en maintenant quelques-unes des réclamations auxquelles avait fait droit la Grande ordonnance, lui accordaient les subsides qu’il demandait.

Etienne Marcel, aux prises avec toutes les difficultés d’une situation terrible, déploya la plus grande énergie, il poursuivit avec une grande célérité les travaux de l’enceinte et travailla non moins vivement à organiser les forces parisiennes. Les portes étaient gardées sévèrement. Pour plus de sûreté il fit forger une quantité de grosses chaînes attachées aux maisons d’encoignures des rues, lesquelles chaînes à la moindre alerte, étaient tendues et fixées, et pouvaient se doubler rapidement de barricades construites avec des tonneaux remplis de terre.

La Seine en amont et en aval fut barrée chaque soir par des chaînes: dans l’île Notre-Dame, aujourd’hui Saint-Louis, un rempart muni d’un fossé servit de lien aux deux parties de l’enceinte.

Le château du Louvre était tombé au pouvoir des Parisiens, qui en avaient tiré une grande quantité d’artillerie conduite aussitôt à la maison de ville, et le prévôt avait mis une garnison dans la forteresse royale.

Pendant ce temps, dans ce malheureux royaume en proie à l’anarchie, les paysans fatigués d’être foulés et écrasés par tous les partis, remplis d’une frénétique fureur par les pillages des gens d’armes, par les dévastations des routiers, se soulevèrent à leur tour.

Le mouvement de la Jacquerie, né en terre picarde, s’étendit dans tous les pays limitrophes du territoire parisien; les Jacques victorieux d’abord se livrèrent aux plus horribles excès, faisant, dans un délire de vengeance, payer cher à la noblesse accusée de tout le mal, depuis Poitiers, tant de maux soufferts, une servitude si longue.

Devant les bandes de farouches laboureurs révoltés, courant à leur tour par les campagnes déjà ravagées par tant de routiers, les châteaux tombaient l’un après l’autre, du moins ceux qui n’étaient pas suffisamment forts et garnis, et, sur les ruines des châteaux incendiés, les Jacques massacraient sans pitié gentilshommes et nobles dames.

Ce fut un mouvement irrésistible d’abord; les compagnies de routiers anglais rencontrées par ces troupes de paysans étaient écrasées, aussi s’écartaient-elles prudemment. Les moutons enragés ne se connaissaient plus. Le vide se faisait devant eux, les villes fermaient leurs portes et attendaient isolées dans un cercle d’incendies. Les familles nobles échappées aux tueries fuyaient vers des terres que l’insurrection n’avait pas encore gagnées. Alors la noblesse de tous ces pays, se sentant menacée par l’orage, n’attendit pas qu’il eût fondu sur elle; les châtelains se réunirent, rassemblèrent des gens d’armes et descendirent en Picardie où cette chevalerie bardée de fer rencontrant en rase campagne les Jacques mal armés et mal dirigés, en fit d’effroyables carnages.

Marcel avait entrevu la possibilité de lier ensemble les deux mouvements, l’insurrection bourgeoise de Paris et la révolte populaire des campagnes, marchant contre un adversaire commun, la Noblesse, et il avait cherché à négocier un accord avec les chefs de la Jacquerie en leur envoyant des secours. A ce moment, au commencement de juin 1358, la duchesse de Normandie, femme du Dauphin, la duchesse d’Orléans et environ trois cents dames et demoiselles de la noblesse se trouvèrent en grand péril dans la ville de Meaux où elles avaient cherché refuge avec très peu de défenseurs. Les Jacques marchaient sur la ville peu sûre elle-même et disposée à prendre parti pour eux. «Le comte de Foix et le captal de Buch, émus,» dit Froissart, «de la pestilence et l’horribilité qui couraient sur les gentilshommes de France,» se jetèrent dans la ville avec quarante lances. Il était temps! Aux Jacques venait de se joindre un corps de sept à huit mille Parisiens envoyés par Marcel, sous le commandement d’un épicier de la rue Saint-Denis nommé Pierre Gilles. La bataille fut rude et sanglante; les gentilshommes surexcités, combattant sous les yeux des dames réfugiées, rompirent par des charges violentes les rangs des assaillants, en abattirent de grands monceaux et poursuivirent tant qu’ils purent les débris des malheureuses bandes «et en tuèrent tant qu’ils en étaient tous lassés et vannés, et les faisaient sauter en la rivière de Marne».

L’autre allié de Marcel, le roi de Navarre, Charles le Mauvais, tout en se maintenant en bonnes relations avec Paris, se déclarait néanmoins contre les Jacques. Les nobles du Beauvoisis étaient venus implorer son aide.—«Ne souffrez pas que gentillesse soit mise à néant, si ces Jacques durent longuement et que les bonnes villes soient de leur aide, ils mettront gentillesse à néant et du tout détruiront.» Charles se rendit à ses raisons, mais non sans stipuler quelques conditions avantageuses pour sa politique personnelle, et il marcha contre les Jacques dont il fit grand carnage à Clermont, après avoir pris leur chef par trahison.

L’insurrection des Jacques cruellement réprimée, Etienne Marcel se trouva au plus profond de ses embarras. Toutes les forces du Dauphin et de la noblesse allaient se réunir contre Paris. De quel côté chercher aide et appui? Etienne Marcel, l’échevin Charles Toussac et les chefs du mouvement cherchèrent le salut du côté du roi de Navarre, qui revenait sous Paris avec des forces importantes pour tirer parti des événements. Ils allèrent le chercher à Saint-Ouen, l’amenèrent à la maison de la ville et le nommèrent capitaine de Paris. Les meneurs de la commune criaient Navarre! Navarre! pour entraîner le peuple, mais les cris n’avaient pas beaucoup d’écho.

Le Dauphin de son côté réunissait diligemment ses forces et arrivait sous la ville. A la fin de juin il était au pont de Charenton et menaçait Paris du côté de l’Est, tandis que vers le nord et l’ouest, Anglais et Navarrais tenaient les champs. Charles de Navarre poursuivait ses trames, négociait avec les uns et les autres, attendant l’occasion de faire son profit des fautes de tous et des malheurs de ce pays ravagé, de ce royaume en dissolution.

[Pas d'image disponible.]
UNE DES CHEMINÉES DE LA GRANDE SALLE

Tout juillet se passa ainsi dans une attente fiévreuse. Un jour une bataille s’engagea en ville entre les Parisiens et des soudards anglo-navarrais que la Commune avait pris à sa solde; ils furent chassés par les Parisiens, mais prirent leur revanche le lendemain en massacrant, dans une embuscade tendue en plaine, une colonne de bourgeois sortie de Paris pour aller les combattre.

Acculé aux dernières extrémités, le prévôt des marchands, qui sentait les Parisiens lui échapper et se détacher de la cause communale, ne se voyait plus qu’une ressource, se mettre complètement entre les mains de Charles le Mauvais et y mettre Paris avec lui. Mais il fallait se livrer complètement et supprimer tout ce qui pouvait être hostile ou faire obstacle au roi de Navarre.

L’accord dut se faire entre ces hommes dans une situation désespérée et Charles le Mauvais, qui n’attendait que ce moment et comptait, appuyé sur Paris, se faire régent du royaume et peut-être roi.

Ce qui est certain, c’est que, instruits de l’accord conclu, des partisans de la cause royale, enfermés dans Paris, et des bourgeois clairvoyants détachés de la cause de Marcel, risquèrent aussi le tout pour le tout, afin d’empêcher le prévôt de livrer la ville aux Anglo-Navarrais.

Le 31 juillet 1358 le prévôt des marchands, accompagné de gens bien à lui, fit une tournée aux portes de la ville, afin de tout préparer pour l’exécution du complot et d’assurer la remise de ces portes aux gens du roi de Navarre. Les soupçons s’élevaient déjà contre lui, les capitaines des portes Saint-Denis et Saint-Martin refusèrent énergiquement de livrer les clefs des postes qu’ils avaient en garde à Josseran de Mâcon, trésorier du roi de Navarre, et Marcel repoussé dut continuer son tour des remparts.

Pendant ce temps, l’échevin Jean Maillart, quartenier du quartier Saint-Denis, naguère ami et compagnon de Marcel récemment brouillé avec lui, et qui suivait de près les agissements du prévôt, comprenant que le moment d’en finir était venu, monta à cheval avec son frère Simon, avec deux gentilshommes du parti du Dauphin, Pépin des Essarts et Jean de Charny, et quelques gens résolus pour essayer d’émouvoir le peuple en faveur de la Cause royale.

Cette troupe marchant la bannière de France déployée, en criant: Montjoie Saint-Denis, au roi et au duc! se grossissait du peuple soulevé par les discours de Maillart annonçant à tous que le prévôt voulait livrer la ville aux Anglais et aux Navarrais.

La nuit était venue pendant la course de Marcel de porte en porte et ses négociations avec les chefs de poste; il était déjà tard lorsque Jean Maillart et sa troupe accourant des Halles ameutées débouchèrent à la porte Saint-Antoine. Le temps pressait, au même moment Etienne Marcel en obtenait les clefs du chef de poste. Jean Maillart aborda résolument Marcel; après un court colloque entre les deux anciens compères et une violente querelle entre les gens de Marcel et les survenants, les épées se mirent de la partie. La lutte ne fut pas longue quoique Marcel «qui était fort armé et avait le bassinet en tête», disent les chroniqueurs, se défendit fortement, mais Maillart ou Jean de Charny, d’un coup de hache sur la tête, l’abattit sur les corps de quelques-uns des siens tués en même temps.

Le peuple accourait de tous les côtés à la porte Saint-Antoine acclamant les auteurs de cette contre-révolution si audacieusement et si rapidement opérée. Le lendemain, Maillart rassembla les Parisiens aux Halles, harangua le populaire retourné complètement par la nouvelle de la trahison tramée par son ancienne idole Etienne Marcel. On courait sus aux anciens chefs de la Commune, Charles Toussac et les autres échevins; ils étaient emprisonnés ou massacrés par ceux qui naguère les suivaient.

Les corps d’Etienne Marcel et de ceux qui avaient péri furent portés à Sainte-Catherine du Val des Ecoliers et jetés nus sur le préau, là même où peu de mois auparavant ils avaient fait jeter les corps des maréchaux de Champagne et de Normandie massacrés au Palais.

Le surlendemain, le Dauphin entrait dans Paris à la tête de ses troupes et proclamait une amnistie générale, sauf certaines exceptions concernant quelques échevins ou bourgeois des plus compromis, amis de Marcel ou agents du roi de Navarre.

Le souvenir des transes cruelles par lesquelles il était passé dans cette terrible année, de l’envahissement du Palais par les factieux et du meurtre de ses officiers égorgés à ses pieds, n’était pas pour rendre le séjour du Palais de la Cité fort agréable au Dauphin. Aussi, quand il fut devenu le roi Charles V dit le Sage, sacré à Reims en 1364, abandonna-t-il ce palais à son Parlement et à ses gens de justice, pour s’en aller fixer sa résidence à l’hôtel Saint-Paul, à l’est de la ville dans la nouvelle enceinte, vaste agglomération de logis divers qu’il avait achetés ou construits, et luxueusement aménagés.

[Pas d'image disponible.]
ESCALIER DESCENDANT DE LA GRANDE SALLE A LA SALLE SAINT-LOUIS
 

[Pas d'image disponible.]
LES MOULINS ENTRE LE PONT NOTRE-DAME ET LA GRÈVE


CHAPITRE V

LE PALAIS AU PARLEMENT

Le roi Charles V quitte le Palais pour l’hôtel Saint-Paul.—La visite de l’empereur d’Allemagne.—Grandes fêtes, festins et divertissements.—Les troubles de la minorité de Charles VI.—Les Maillotins.—Isabeau de Bavière.—Le festin de la Grande salle troublé par l’envahissement du populaire.—L’occupation anglaise.—Réorganisation du Parlement par Charles VII.—Le palais sous Louis XI et Louis XII.—Construction de la Chambre des Comptes.

[Pas d'image disponible.]
DIVERTISSEMENTS EN LA GRANDE SALLE

Le roi Charles V habite l’hôtel Saint-Paul ou le Louvre qu’il a réédifié et où, pour recevoir les livres de la bibliothèque du Palais, il a fait aménager la Tour de la librairie. Désormais le Palais de la Cité n’est plus que le domaine des officiers de sa justice et des administrations; cependant, en vertu de sa vieille illustration et en raison des vastes proportions de sa Grande salle, il reste toujours le lieu des grandes solennités aux occasions importantes.

Les cruels événements de sa jeunesse, les périls courus à Paris et toutes les difficultés du commencement de son règne, avaient mûri le dauphin Charles et fait de lui un roi sage et un politique, d’ailleurs par caractère et par la faiblesse de sa santé, éloigné des folles équipées chevaleresques, s’appliquant avec intelligence à la bonne administration de son royaume, ordonnant prudemment ses finances et ses armements, soignant ses alliances.

Quand il eut en 1378 la visite de l’empereur d’Allemagne Charles IV, venu pour traiter des projets d’alliance, c’est au Palais que le roi reçut son hôte et le logea. On a, dans les Grandes Chroniques de Saint-Denis, le récit très détaillé de toutes les fêtes et cérémonies qui eurent lieu pendant le séjour impérial. Le jour de l’entrée solennelle, après le défilé d’un cortège extraordinairement magnifique dans la cour du May, où l’on n’avait laissé entrer que les plus grands seigneurs, le roi souhaita la bienvenue à l’empereur, devant le grand perron de marbre, au bas duquel une chaise couverte de drap d’or avait été préparée pour l’hôte impérial alors malade d’un accès de goutte.

Après les discours et les embrassades, l’empereur fut porté en sa chaise jusqu’à ses appartements, préparés dans l’ancien logis royal. L’empereur occupait les chambres d’apparat, la chambre verte, la chambre lambrissée de bois d’Irlande, au premier étage des bâtiments; son fils, le roi des Romains, occupait les chambres des reines de France au-dessous, tandis que Charles V se logeait au-dessus, dans les chambres à galetas établies par le roi Jean son père, celles mêmes où, vingt ans auparavant, les maréchaux de Normandie et de Champagne avaient été égorgés.

Le lendemain, qui était la veille de l’Epiphanie, l’empereur malade restant en sa chambre, son fils le roi des Romains alla entendre vêpres à la Sainte-Chapelle, merveilleusement illuminée; puis il y eut festin d’apparat dans la Grande salle drapée d’étendards, «noblement parée et ordonnée avec si grand multitude de varlets tenant grande foison de torches, qu’on voyait aussi clair dans ladite salle qu’au plein jour».

Un grand dais s’étendait au-dessus de la table de marbre où soupaient rois, princes, ducs et évêques; les autres seigneurs occupaient d’autres tables, au nombre de huit cents à mille chevaliers, sans compter multitude d’autres en très grande presse. Après le repas, le roi, les princes, les évêques et les chevaliers, «tant comme il en put entrer», allèrent en la chambre du Parlement «parée toute à fleurs de lys et grandement allumée», entendre les ménestrels en prenant vins et épices.

Charles V, qui portait grande dévotion aux reliques de la Sainte-Chapelle, et, selon Christine de Pisan, était «très inquisitif de toutes vertueuses choses», et montrait de sa propre main, chaque année, le jour du vendredi saint, la vraie croix au peuple, ne pouvait manquer d’amener son hôte aux précieux reliquaires.

Le jour de l’Epiphanie, l’empereur, porté dans sa chaise ou hissé à bras, «à très grand’peine et grevance de son corps», dans les escaliers, alla adorer les reliques de la Sainte-Chapelle; il assista ensuite à une messe solennelle, à la suite de laquelle le roi, après avoir fait porter par trois chevaliers des offrandes d’or, d’argent et de myrrhe, monta à la sainte châsse et fit baiser les reliques par tous les princes et gens de l’empereur.

Nouveau festin de plus grand apparat encore que celui de la veille dans la Grande salle. A la table de marbre prirent place, sous un ciel de drap d’or aux armes de France, le roi, l’empereur et le roi des Romains, flanqués d’évêques et d’archevêques; un grand dais recouvrait toute la table et par derrière les piliers et fenestrages étaient houssés de drap d’or.

Ce n’étaient partout, au-dessus des tables que dais de veluyau (velours) et draps d’or, draperies et tapisseries aux murailles. «Et est à savoir, disent les Grandes Chroniques de Saint-Denis, que la salle du grand palais était parée de tapis de haute lisse, à images tout autour si bien ordonnées et si à point mises que les rois qui sont de pierre tout autour n’étaient point occupés ni empêchés de voir.»

Il y avait trois dressoirs à vins très richement parés, garnis, le premier de vaisselle d’or, de pots et flacons d’argent émaillés; le second de vaisselle d’argent dorée et le troisième de vaisselle d’argent blanche. «Et mangea bien dans ladite par le rapport qu’en firent les hérauts, huit cents chevaliers sans les autres gens. Et combien que le roi avait ordonné quatre assiettes et quatre paires de mets, toutefois pour la grevance de l’Empereur, qui trop longtemps eut sis à table, en fit le roi oter une assiette et n’en servit-on que de trois qui furent de trois paires de mets.»

Entre la table de marbre et les dressoirs avait été ménagé un espace défendu de bonnes barrières où, comme entremets, on donna la représentation de «L’Histoire et ordonnance comment Godefroy de Bouillon conquit la sainte cité de Jérusalem».

Aux angles de la salle du Palais, deux coins réservés, bien enclos, formaient comme les coulisses où se préparait le spectacle. Des coulisses de gauche sortit une nef de mer toute gréée avec ses voiles et ses mâts, ses châteaux d’avant et d’arrière. Sur cette nef «peinte et habillée très richement et très plaisamment», on voyait Pierre l’Ermite et Godefroy de Bouillon, avec onze chevaliers revêtus d’anciens harnais de guerre du temps des Croisades, portant écus et bannières aux armes du royaume de Jérusalem. Des gens cachés dans l’intérieur de la nef la faisaient mouvoir «si légèrement qu’il semblait que ce fût nef flottant sur l’eau», et l’amenèrent au milieu de la salle, devant la grande table.

Les coulisses de droite laissèrent paraître la cité de Jérusalem, une ville fermée de murailles à créneaux et de tours garnies de Sarrasins armés, avec bannières et pennons. Cette énorme décoration, mue aussi par des gens cachés à l’intérieur, fut amenée devant la grande table, en face de la nef de Godefroy de Bouillon. «Et lors descendirent ceux de la nef et par belle et bonne ordonnance vinrent donner assaut à ladite cité et longuement l’assaillirent et y eut bon esbattement de ceux qui montaient à assaut à échelles. Finalement montèrent dessus ceux de la nef et conquirent la cité, et jetaient hors ceux qui étaient en habits de Sarrasins en mettant sus les bannières de Godefroy et des autres.»

La nuit était venue quand le festin et les divertissements prirent fin. La foule était si serrée dans la grande salle, sauf autour des tables royales protégées de barrières bien gardées, que l’Empereur, porté dans sa chaise, eut grand’peine à regagner ses appartements, pendant que le roi et les princes allaient tenir réception en la chambre du Parlement.

Le séjour de l’Empereur fut une longue suite de fêtes et de visites aux châteaux royaux, au Louvre, à l’hôtel Saint-Paul, aux châteaux de Vincennes et de Beauté, où le pauvre souverain, toujours malade, se faisait porter en chaise.

Il avait quitté le palais pour aller loger au Louvre. Pour cela, un grand bateau était venu le chercher à la pointe du Palais. C’était «un grand batel fait et ordonné en manière de maison où sont salles et deux chambres, tout à cheminées». L’embarcation était richement ornée et parée, les chambres des lits à courtines et ciels étaient meublées comme une maison, «dont l’empereur et ses gens, quand ils furent dedants et l’eurent vu, s’en donnèrent grande merveille et y prenaient grande plaisance». C’est dans le même bateau, qu’au grand plaisir des Parisiens réunis sur les rives ou penchés à toutes les fenêtres des maisons du grand Pont et du pont Notre-Dame, l’empereur fut conduit ensuite à l’hôtel Saint-Paul.

Deux ans après mourait le roi Charles V, dont la sage administration, l’économie et la prévoyance avaient pu réparer les brèches faites par les désastres et faire oublier les épouvantables calamités du commencement du règne. Son fils Charles VI avait douze ans. Avec les troubles de la régence, les discussions des princes, la folie du roi, la guerre civile et la reprise de la guerre anglaise, une nouvelle ère de misères et de malheurs, plus longue et plus douloureuse, allait s’ouvrir pour le pays destiné à descendre par secousses violentes jusqu’au plus profond de l’abîme.

Dans l’histoire du Palais, nous voyons la cour du May servir de cadre à la scène finale de l’affaire des Maillotins, soulèvement causé, comme toujours, par des levées d’impôts, et qui fit assez craindre aux princes oncles du roi le retour aux idées de la grande révolte de 1358, pour les engager à une répression cruelle.

Quand on eut jeté la terreur dans Paris et décapité, pendu ou noyé à tort et à travers,—parmi lesquelles exécutions celles de notables bourgeois, de conseillers qui s’étaient, pour le bien public, entremis entre les séditieux et le pouvoir,—les princes voulurent jouer la comédie de la magnanimité. Ils firent rassembler, dans la cour du Palais, les bourgeois compromis et les familles de ceux qui étaient encore en prison, attendant leur sort. Un trône et des sièges au haut du perron avaient été préparés pour le roi et les princes ses oncles; le chancelier Pierre d’Orgemont dans un long réquisitoire énuméra «les grands et mauvais et merveilleux cas de crimes et délits commis et perpétrés par tout presque le peuple de Paris, dignes de très grandes punitions». Ce discours et la mise en scène terrible qui l’accompagnait étreignirent de terreur le cœur des assistants; quand cette terreur eut été bien portée au comble, les oncles du roi intervinrent et se jetèrent aux genoux du jeune Charles VI, pendant que, de toutes parts, les malheureux bourgeois criaient: Miséricorde! Le petit roi parut alors se laisser attendrir par les prières des princes et daigna changer les peines criminelles en peines civiles, en amendes énormes montant à la moitié des biens des bourgeois poursuivis.

[Pas d'image disponible.]
LA FLÈCHE MODERNE DE LA SAINTE CHAPELLE

Hélas, ce petit roi de quatorze ans, à qui ses oncles venaient de faire jouer le rôle de monarque courroucé, en le faisant rentrer à Paris par la brèche, par un pan abattu des murailles de la remuante et séditieuse cité, ce petit roi dont la minorité fut gravement troublée par le fait de ses oncles, les ducs d’Anjou, de Berry, de Bourgogne et de Bourbon, qui se disputaient le pouvoir, mettant pour cela gens d’armes aux champs, pillant, ravageant et empêchant les vivres d’entrer à Paris,—il allait, frappé de catastrophes personnelles, être la cause de malheurs effroyables pour la France. Sa minorité devait durer toute sa vie, les longues années de sa démence, sauf de courts intervalles pendant lesquels, en retrouvant la raison, il ne pouvait guère qu’assister en spectateur impuissant au déroulement des tragédies lamentables commencées.

En attendant la catastrophe initiale qui ne devait pas tarder, le jeune roi épousa, en 1387, Isabeau de Bavière, destinée à être aussi funeste à la France que les ducs oncles du roi.

La Grande salle du Palais a dans ses fastes les fêtes données à l’occasion de l’entrée solennelle de la reine en 1389. Après les fêtes populaires tout le long de la route et le service à Notre-Dame, la reine fut conduite, pour les fêtes princières, au Palais où le roi l’attendait.

Le lendemain de l’entrée, Isabeau de Bavière fut sacrée par l’archevêque de Rouen, dans la Sainte-Chapelle, et conduite ensuite en la Grande salle pour un merveilleux festin offert aux dames, et dont la pompe devait effacer celle des festins d’apparat de Charles V.

A la grande table de marbre, renforcée d’une grosse planche de chêne épaisse de quatre pouces, s’assirent le roi en surcot vermeil fourré d’hermine, une couronne d’or sur le chef, et la reine couronnée aussi, des prélats et des princesses; aux autres tables prirent place cinq cents damoiselles du plus haut rang, toutes belles et superbement parées, servies par des seigneurs non moins brillants.

Les entremets ne furent pas moins merveilleux et notables que ceux du festin offert par Charles V à l’Empereur. Au milieu de la salle avait été élevé un chastel de charpente haut de quarante pieds, formé de quatre tours en carré avec une tour plus haute au centre. Cette construction figurait la ville de Troie la grande et la tour du milieu particulièrement le palais d’Ilion. Le roi Priam, le preux Hector son fils, et les Troyens se préparaient à défendre ce chastel contre l’armée des Grecs, conduite par les rois qui avaient assis leur camp et planté leurs pennons armoriés autour des murailles; on voyait arriver, mue par des hommes cachés, une nef portant une centaine d’hommes d’armes qui se joignaient à ceux du camp pour monter à l’assaut de Troie la grande.

[Pas d'image disponible.]
COUR SOUS LA CONCIERGERIE AVANT LA RECONSTRUCTION DES BATIMENTS DU QUAI

Et c’eût été pour le roi et les dames «très grand plaisance à voir si cils qui avaient à jouer pussent avoir joué». Mais par malheur les mesures pour le bon ordre avaient été mal prises, et les consignes peu observées, de sorte que cette noble et si étincelante assemblée était devenue très vite cohue confuse, et que la grande salle s’était remplie outre mesure de gens, seigneurs, bourgeois et populaire qui, se pressant, se bousculant et s’étouffant les uns les autres pour mieux voir, empêchèrent bientôt le divertissement de continuer et finirent par mettre en péril les tables elles-mêmes.

Dans la grande presse, des gens se trouvaient mal de chaleur et d’autres criaient presque écrasés, enfin les barrières furent rompues et le flot de la foule gagna les tables du festin. Malgré les efforts des gens du roi, dans ce tumulte inouï, les survenants, par derrière, poussaient toujours ceux des premiers rangs. A la table royale la dame de Coucy s’évanouit, et la reine Isabeau était sur le point de faire comme elle, si bien qu’il fallut briser une verrière au-dessus de sa tête pour faire entrer un peu d’air.

Enfin, sous une secousse violente de la foule, l’une des tables du côté de la Grande chambre du Parlement fut renversée, dames et demoiselles en grands atours n’eurent que le temps de se lever pour n’être pas jetées à terre parmi la vaisselle et les débris des mets. Dans ce désarroi général il était impossible de songer à continuer festins et jeux dramatiques. On y renonça, le roi se leva de table pour se retirer, avec princes et princesses, ce qui ne put se faire qu’à grand’peine dans l’horrible presse.

Bien des dames à demi étouffées durent se faire porter à leurs hôtels en ville, d’autres demeurèrent au Palais. La reine et la plus grande partie des dames, en litières ou sur leurs palefrois, escortées de la foule brillante des seigneurs, s’en allèrent en un cortège de plus de mille chevaux, par les ponts surchargés, par les rues grouillantes de populaire en fête, gagner l’hôtel Saint-Paul, tandis que le roi s’embarquait à la pointe des jardins du Palais et s’y faisait conduire en un bateau pavoisé.

Les fêtes continuèrent à l’hôtel Saint-Paul, dans la grande cour duquel avait été construite pour la circonstance une très haute salle de charpente parée d’étoffes magnifiques. On y festina plus tranquillement plusieurs jours de suite, on y dansa la première nuit jusqu’à l’aube.

Dans des lices préparées devant Sainte-Catherine du Val des Ecoliers, entourées de loges et de hourds charpentés pour la reine et les dames, qui vinrent là «chacune en très grand arroi» se donnèrent des joutes brillantes qui durèrent trois jours. Elles furent un peu gênées par la poussière le premier jour, il était venu tant de chevaliers de tous les pays, la foule des chevaux était si grande que bien des détails du tournoi étaient perdus dans cette «grande poudrière». Aussi, pour y obvier, fit-on venir aux secondes joutes deux cents porteurs d’eau, qui arrosaient le champ entre chaque course. Le roi qui était très «chevalereux» prit une part brillante au tournoi.

La ville de Paris fit en cette occasion de superbes présents au roi, à la reine, ainsi qu’à la nouvelle épousée du duc de Touraine, frère du roi, plus tard duc d’Orléans, cette douce et malheureuse Valentine de Milan, qui avait fait sa première entrée à Paris en même temps qu’Isabeau. C’étaient coupes, nefs d’or, grands flacons, plats et pots d’or, lampes d’argent, écuelles et tasses d’argent, etc...

Quarante bourgeois des plus notables, vêtus d’un drap tout pareil, les offrirent au roi en sa chambre, sur une litière portée par deux hommes «appareillés comme hommes sauvages». Les présents destinés à la reine lui furent amenés par d’autres bourgeois parés de même, en une litière portée par deux hommes costumés l’un en ours, l’autre en licorne, tandis qu’une troisième litière était conduite chez la duchesse de Touraine par deux Sarrasins au visage noirci.

Mais le temps de la catastrophe approchait. Les événements funestes devaient se suivre rapidement, la tentative d’assassinat de Pierre de Craon sur le connétable de Clisson, l’insolation qui frappa Charles VI déjà malade, près du Mans, pendant la marche de l’expédition entreprise contre le duc de Bretagne pour venger ce meurtre, la démence du roi, sa première guérison, puis le terrible bal des hommes sauvages ou des Ardents, où le roi faillit périr avec cinq compagnons, sous un déguisement d’étoupes de lin dans lequel ils étaient cousus, et qui prit feu aux torches des valets.

Aux obsèques célébrées à Notre-Dame des quatre jeunes seigneurs brûlés vifs en cette fête, le roi fut repris subitement d’un accès de sa frénésie et retomba dans cette démence intermittente qui devait le tenir misérable et impuissant toute sa vie, avec de courtes périodes de lucidité.

Alors commencèrent les longues luttes entre le duc d’Orléans et le duc de Bourgogne qui devaient amener la mort de l’un et de l’autre, les guerres entre Armagnacs et Bourguignons. Pendant des années la guerre civile tourne autour de Paris, ou sévit dans la ville gagnée au parti de Bourgogne. Le duc Jean sans Peur s’appuie sur la démagogie, sur les bouchers, sur les écorcheurs de Caboche et en bien des journées sinistres les Cabochiens se font massacreurs, égorgent par la ville ou dans les prisons les malheureux signalés comme Armagnacs.

Dans cette anarchie sanglante, les cabochiens de la commune de 1413 tentent parfois de se souvenir d’Etienne Marcel, et font rédiger par les hommes politiques du parti des ordonnances de réformes, que le Dauphin vient promulguer dans un lit de justice tenu en la chambre du Parlement; mais la violence dans la confusion des factions et des intérêts règne toujours en maîtresse et se livre à tous les excès, suivant les péripéties de cette lutte qui s’éternise et se fait de plus en plus farouche.

Paris est menacé ou pris tantôt par l’un, tantôt par l’autre parti, mais de cœur il est surtout bourguignon, exécrant tout ce qui touche au parti contraire et poussant la haine des Armagnacs jusqu’à devenir Anglais. Car les Anglais, trouvant l’occasion bonne, se sont précipités encore une fois sur cette France déchirée, qui semble courir au suicide. Azincourt recommence Poitiers, avec des conséquences pires.

Le désastre d’Azincourt est de 1415, tout ce que l’armée victorieuse, épuisée, avait pu faire d’abord, avait été de se rembarquer avec son butin. Puis, la lutte entre les princes continuant, les Anglais reparaissaient, se jetaient sur la Normandie et s’y établissaient fortement.

Peu de temps après la bataille d’Azincourt, Paris eut la visite de l’empereur d’Allemagne Sigismond qui revenait du concile de Constance et cherchait à arranger les affaires du Saint-Siège, tiraillé entre un pape et trois antipapes. Ce voyage fut l’occasion de l’arrivée de nombreux princes accourant à Paris pour recevoir fastueusement l’empereur.

[Pas d'image disponible.]
LES TOURS DE LA CONCIERGERIE

On le festoya au Palais et on le logea au Louvre où il eut un jour la fantaisie d’offrir un festin à des dames, demoiselles et bourgeoises de Paris. Il en vint «jusqu’à environ six-vingts» qui ne furent pas très satisfaites, paraît-il, de la cuisine impériale et qui firent peu d’honneur au repas «pour la force des épices. Après dîner, celles qui savaient chanter chantaient aucunes chansons. On dansa ensuite et avant de laisser partir les dames, l’empereur offrit à chacune un petit anneau d’or».

Un jour, l’empereur s’en alla au Palais pour entendre plaider la Chambre du Parlement. Les conseillers après l’avoir remercié du très grand honneur, le firent asseoir au siège royal. Aussitôt les avocats, un instant interrompus par cette visite imprévue, reprirent leur plaidoirie.

Il s’agissait dans la cause de décider à qui reviendrait la sénéchaussée de Beaucaire, sur laquelle deux plaideurs prétendaient avoir droit. L’un d’eux ayant démontré que nul ne pouvait tenir cet office s’il n’était auparavant chevalier, son concurrent, simple écuyer, allait être débouté. Alors l’empereur intervint. Il fit approcher l’écuyer, lui demanda en latin s’il voulait recevoir la chevalerie. Sur sa réponse affirmative, l’empereur tira son épée et le fit incontinent chevalier. Les conseillers ne purent faire autrement que d’adjuger l’office à ce nouveau chevalier, tout en maugréant au dedans de la contrainte.

En 1418, par la porte Saint-Germain-des-Prés que leur livra Perrinet Leclerc, les Bourguignons surprirent Paris. Leur entrée fut le signal des plus épouvantables violences; ceux des Armagnacs notables que la populace ne massacra point dès le premier jour furent enfermés à la Conciergerie du Palais, au Louvre, au Châtelet... Toutes les prisons de Paris, jusqu’aux plus petites, se trouvèrent pleines de malheureux entassés.

Le connétable d’Armagnac était au nombre des prisonniers de la Conciergerie avec le chancelier de Marle, plusieurs évêques, des seigneurs, des membres du Parlement.

[Pas d'image disponible.]
ANCIENNE COUR DE LA CONCIERGERIE

A la nouvelle de l’entrée des Bourguignons, le prévôt de Paris, Tanneguy du Châtel, avait pu courir prendre le petit Dauphin, futur Charles VII, et l’avait emporté, enveloppé dans les draps de son lit à la Bastille. Le connétable d’Armagnac avait eu le temps de se jeter hors de chez lui et de se réfugier dans la maison d’un artisan son voisin; mais, dénoncé ou découvert, il fut enlevé de sa cachette et mené au Palais avec d’autres saisis dans leur lit ou trouvés cachés dans leurs caves.

Leur prison ne dura guère, les bouchers de Caboche et les forcenés conduits par le bourreau Capeluche se précipitèrent sur ces prisons pour tout massacrer. Le prévôt bourguignon de Paris essaya bien un instant d’empêcher la tuerie qui se préparait; mais devant le déchaînement de cette populace enragée qui ne voulait rien entendre et menaçait d’égorger ceux qui oseraient parler de pitié, il recula: «Mes amis, faites ce qu’il vous plaira.»

Aussitôt les diverses bandes de massacreurs se jetèrent sur les diverses prisons et en forcèrent les portes, par le feu quelquefois, quand elles étaient trop solides ou quelque peu défendues. Les prisonniers du grand Châtelet se défendirent courageusement pendant deux journées d’assaut avant d’être forcés, égorgés sur les tours, brûlés dans les bâtiments incendiés, ou précipités d’en haut sur les piques des assaillants d’en bas, au milieu des rires féroces.

«Et ne laissèrent en prison de Paris, sinon au Louvre pour ce que le roi y était, quelque prisonnier qu’ils ne tuassent par feu ou par glaive,» dit le bourgeois de Paris dans sa chronique. Les morts entassés dans des tombereaux ou attachés par les pieds à des cordes et traînés sur les pavés, étaient menés jusqu’aux portes de la ville et jetés tout simplement dans les champs.

Les prisons du Palais, où étaient les prisonniers de marque, furent assaillies les premières. Aux cris de: «Tuez ces chiens, ces traîtres Arminaz qui ont vendu le royaume de France aux Anglais!» les massacreurs enfoncent les portes de la Conciergerie, fouillent toute la prison, pénètrent partout et y tuent tout ce qu’ils trouvent, même des malheureux qui n’avaient rien à démêler avec Armagnac ou Bourgogne, même de pauvres prisonniers pour dettes, ce qui se verra aussi plus tard, au même endroit, aux massacres de septembre 92.

Là périrent le connétable d’Armagnac, le chancelier de France de Marle, l’évêque de Constance son fils, et plusieurs capitaines. Ils furent égorgés dans une cour de derrière, entre le logis royal et les jardins, où probablement leurs gardiens les avaient fait reculer à l’approche des meurtriers; leurs corps dépouillés furent jetés dans la cour du May, après que les assassins, par dérision, eussent, en enlevant une bande de peau, dessiné la croix de Bourgogne sur le corps du connétable. Les cadavres restèrent exposés deux jours entiers au pied du grand perron de marbre, furent repris ensuite par des malandrins et traînés par les rues en recevant mille outrages.

Pendant ce temps, les Anglais enlevaient la Normandie place après place, et venaient à bout après un long siège de la ville de Rouen. Ils prenaient Pontoise et touchaient presque Paris.

Puis après quelques mois de troubles, de négociations et de batailles, les événements se précipitent. Le meurtre du duc d’Orléans est vengé par l’assassinat de Jean sans Peur, dans l’entrevue avec le dauphin Charles au pont de Montereau. Les Bourguignons, du coup, se jettent dans l’alliance anglaise pour «faire guerre mortelle à Monseigneur le Dauphin et à ceux de son parti», tandis que se traitent des accords particuliers entre Isabeau de Bavière et le roi d’Angleterre, par lesquels le malheureux Charles donne à Henri V d’Angleterre la main de sa fille Catherine, et le déclare régent et héritier de France; le dauphin Charles, trahi par sa mère, étant débouté de son héritage «considéré les horribles et énormes crimes et délits perpétrés au dit royaume de France par Charles, soit disant dauphin du Viennois».

Ce traité qui préparait la réunion du royaume de France à la couronne d’Angleterre et organisait le gouvernement par le régent Henri V d’Angleterre, fut approuvé en assemblée solennelle de l’Université, du corps de ville et des notables bourgeois de Paris, et enregistré en Parlement selon les formes accoutumées. La France se trouvait coupée en deux tronçons, dont l’un avec Paris obéissait au roi d’Angleterre, régent pour Charles VI, et l’autre, au delà de la Loire, demeurait au dauphin Charles qui se préparait à bien défendre le reste de son héritage.

[Pas d'image disponible.]
ANCIENS CACHOTS DE LA CONCIERGERIE DÉMOLIS SOUS LA RESTAURATION

Le roi d’Angleterre ayant épousé Catherine de France à Troyes, prit Sens, Montereau et Melun, vint faire le 1er décembre 1420 son entrée solennelle dans Paris où ses troupes occupaient tous les postes importants, Louvre, Bastille, Vincennes et l’hôtel de Nesle, ce dernier hôtel habité par Isabeau de Bavière, toujours en fêtes et galantes occupations, malgré tous les fléaux et désastres, pendant que le malheureux Charles VI végétait entre deux accès à l’hôtel Saint-Paul.

Le roi de France, le roi d’Angleterre et les deux reines, c’est-à-dire Isabeau de Bavière et sa fille, les ducs de Clarence et de Bedford, frères d’Henri V, le nouveau duc de Bourgogne Philippe le Bon, à la tête d’un long cortège de seigneurs français et anglais, trouvèrent, comme à toutes les entrées royales, les rues encourtinées et parées depuis la porte Saint-Denis jusqu’à Notre-Dame.

Le peuple, qui espérait en avoir fini bientôt avec toutes les calamités et les misères de ces interminables guerres, criait: Noël! sur le passage du nouveau régent. «Jamais, dit le Bourgeois de Paris, princes ne furent reçus à plus grant joye qu’ils furent, car ils encontraient par toutes les rues processions de prestres revestus de chappes et de surpliz, chantant Te Deum laudamus ou Benedictus qui venit

Dans les rues les gens d’Église présentaient aussi aux rois leurs reliquaires à baiser. Le cortège, avant d’arriver à Notre-Dame, trouva la rue de la Calandre occupée par des «eschaffaux» de cent pas de long, touchant aux murs du Palais, sur lesquels fut représenté au vif, un «moult piteux mystère de la passion de Notre-Seigneur selon qu’elle est figurée sur la clôture du chœur de Notre-Dame de Paris, et n’estoit homme qui veist le mystère à qui le cœur n’apiteast.»

Le régent se logea au châtel du Louvre, prenant en mains le gouvernement effectif du royaume, renvoyant la reine Isabeau à ses fêtes et laissant le pauvre Charles VI retourner à l’hôtel Saint-Paul pour traîner, presque abandonné, les restes de sa misérable existence.

Henri V fit appeler solennellement Charles duc de Touraine «soi-disant dauphin» à la table de marbre du Palais, pour y répondre du meurtre du duc Jean sans Peur; puis la cour du Parlement le déclara «ennemi du royaume, indigne de succéder à toutes seigneuries venues ou à venir et mêmement de la succession et attente qu’il avait à la couronne de France».

Henri V tint cour magnifique au Louvre, très entouré de ducs et princes ainsi que de gens d’Église des deux nations. Entre temps il allait à ses armées qui guerroyaient contre celles du Dauphin; il fut pris de maladie au cours d’une expédition vers la Bourgogne attaquée par le Dauphin et s’en revint bientôt mourir au château de Vincennes.

Alors les voûtes de Notre-Dame durent accueillir le corps de ce roi anglais, pour des obsèques solennelles, après lesquelles son convoi fut dirigé par Rouen et Abbeville sur Calais. Le corps mis sur un chariot à quatre chevaux, en haut duquel était couchée l’effigie du roi en cuir bouilli et peint, portant la couronne et le sceptre, fit ce long voyage accompagné d’un grand cortège de princes, de chevaliers, avec des prêtres qui, nuit et jour, chevauchant, cheminant ou s’arrêtant, chantaient sans cesser l’office des morts.

Charles VI suivit de très près Henri V au tombeau, il décéda le 22 octobre 1422, à l’hôtel Saint-Paul. Il était mort abandonné de la reine Isabeau, délaissé de tous; sa dépouille s’en alla reposer à Saint-Denis après le service à l’église Notre-Dame, accompagnée des gens de sa maison, de l’Université, du Parlement, des bourgeois et du populaire de Paris en grande multitude, mais sans aucun prince français, et conduite seulement par le duc de Bedford, régent de France.

A Saint-Denis le roi d’armes accompagné de plusieurs hérauts et poursuivants, ayant crié sur la fosse: «Dieu veuille avoir pitié et merci de l’âme de très haut et très excellent prince Charles, roi de France, sixième de ce nom,» ajouta aussitôt: «Dieu donne bonne vie à Henri, par la grâce de Dieu roi de France et d’Angleterre, notre souverain seigneur!»

Le peuple de Paris qui souffrait depuis si longtemps des calamités sans nombre amenées par la folie de Charles VI, des malheurs publics engendrés par le malheur du roi, pleurait pourtant au passage de ce funèbre cortège, qui semblait le convoi des funérailles de la monarchie française.—«Très cher prince, disaient les bonnes gens, jamais nous n’en aurons vu si bon! nous n’aurons plus jamais que guerre puisque tu nous as laissés, tu vas au repos, nous demeurons en tribulations et douleur!»

Quelle misère pourtant dans ces dernières années pour ce malheureux peuple! La guerre partout, les ravages et les déprédations des troupes et des routiers de tous les partis par les campagnes, les discordes et les haines dans la ville, avec leurs excès, leurs explosions de rage meurtrière. Et par une suite naturelle, la famine, venant s’ajouter à tous ces maux! Le blé était monté à un prix inabordable aux pauvres gens, le pain, le vin manquaient. «Il y avait si très grant presse à l’huys des boulangers, que nul ne le croirait qui ne l’auroit veu. Les malheureux mangeoient ce que les pourceaux ne daignaient manger, ils mangeaient trognons de choux sans pain et sans cuire, les herbettes des champs sans pain et sans sel.»

[Pas d'image disponible.]
PORCHE SUPÉRIEUR DE LA SAINTE-CHAPELLE

Pour comble on avait eu le très grand hiver de 1420, durant lequel il avait gelé et neigé jusqu’après Pâques, ajoutant le supplice du froid à celui de la faim, et apportant un surcroît de maladies à toutes celles qu’engendre la misère.

Pendant ces années de souffrances horribles, les maladies tuent par centaines, tous les jours, ces pauvres gens tombés au dernier degré de la désespérance. L’épidémie a des repos, des sommeils, puis des réveils soudains aux mauvaises saisons, aux grands froids, aux grandes chaleurs; elle enlève, dit-on, jusqu’à cinquante mille personnes en 1418.

Paris allait rester Anglais une quinzaine d’années. Il est vrai qu’après ces lugubres temps de la fin du lugubre règne de Charles VI, il y eut une accalmie dans les malédictions qui l’accablaient, une amélioration dans l’existence matérielle et que sous la domination anglaise les factions cessèrent de s’entre-déchirer. La guerre se continuait en province, sans grande vigueur, tantôt éloignée, tantôt tournant assez près de Paris, mais Paris en était préservé.

Charles VII, le troisième des fils de Charles VI qui eût porté le titre de Dauphin, deux étant morts avant leur vingtième année, venait de se faire sacrer à Poitiers et, simple roi de Bourges, se maintenait difficilement, dans quelques provinces à lui, soutenant fort mollement une cause en perdition que beaucoup croyaient bien désespérée.

Paris, après son accès de tristesse aux funérailles de Charles VI, parut prendre son parti du changement de dynastie et accepter le roi Anglais. Le régent Bedford reçut, en assemblée solennelle, le serment de fidélité à Henri VI des présidents et conseillers du Parlement, de l’évêque de Paris et de l’Université, des prévôts, des échevins et des notables bourgeois, et ce même serment de fidélité dut ensuite être prêté entre les mains du prévôt de Paris et du prévôt des marchands, par tous les habitants de la ville convoqués à la maison municipale.

Il faut dire, pour expliquer cette acceptation de la domination anglaise, que ce roi Henri VI, un enfant de quelques mois, était le petit-fils de Charles VI, né de Catherine de France, la sœur du Dauphin, mariée en exécution du traité de Troyes, et par conséquent presque un fils de France. On pouvait aussi l’opposer au Dauphin, qui donnait alors peu d’espérance, prince léger, peu aimé et surtout très calomnié.

Puis la vie si longtemps comprimée, redevenue plus facile, reprit son cours; avec la tranquillité relative dans la France coupée en deux, pendant la période de presque inaction du Dauphin, le travail reprend, le commerce renaît. On fait au régent, quand il revient de ses voyages dans les provinces du Nord, des réceptions solennelles comme jadis aux sires des fleurs de lis; ce sont mêmes tapisseries aux rues jusqu’à Notre-Dame, mêmes harangues des échevins, mêmes divertissements sur le parcours des cortèges, mêmes représentations de mystères au Châtelet.

Le duc de Bedford, régent de France, s’établissait à l’hôtel des Tournelles en face de l’hôtel Saint-Paul. Il avait d’abord occupé le Palais de la Cité, puis considérant l’état de choses comme définitif, comptant bien garder Paris, il achetait des terrains autour des Tournelles, faisait bâtir, et agrandissait considérablement l’hôtel destiné à devenir plus tard la demeure de Charles VII.

La reine Isabeau s’était figuré qu’elle allait continuer pendant la minorité du jeune prince cette existence d’intrigues si longtemps menée pour le malheur de tous; mais le régent Bedford, très courtoisement, mais très nettement, mit bien vite l’ancienne amie de côté et la laissa dans son hôtel essayer d’oublier les jours de sa puissance. L’âge était venu, avec l’obésité qui empâte la taille et gâte les attraits de jadis; Isabeau restait galante et continuait, imperturbable au milieu des événements, à inventer des modes nouvelles, des robes merveilleuses et des coiffures extravagantes.

Cependant, tout à coup, ce dauphin Charles qu’on méprisait avait secoué son inertie; il avait réuni des armées qui s’avançaient, conduites par de rudes capitaines, entraînées par la vaillante bergère de Lorraine, la sainte guerrière, archange féminin que l’excès des malheurs de la France avait suscité, et qui relevait l’oriflamme abaissée.

Ce Paris anglais de Bedford et d’Henri VI apprit tout à coup les défaites des Anglais sous Orléans, l’étonnante succession de victoires de Jeanne d’Arc et la marche sur Reims, où Charles VII dans tout l’appareil de sa puissance nouvelle, entouré de son armée victorieuse, se faisait sacrer et oindre de la sainte ampoule dans les formes traditionnelles, au milieu de l’enthousiasme général des peuples réveillés.

De Reims, Jeanne d’Arc et Charles VII marchaient sur Paris, enlevant toutes les places. Les Parisiens surpris par cette marche triomphale, ébranlés peut-être par ces miraculeux coups de fortune, virent à la fin d’août 1429 se déployer dans la plaine, sous Montmartre et Saint-Denis, l’armée de Charles VII. On ne sait trop quel revirement le succès d’un brusque assaut aurait pu produire dans la grande ville, où pourtant l’Université, le Parlement, le corps de ville et les vieux partisans de Bourgogne restaient fidèles au roi anglais.

L’échec de l’attaque des Français à la porte Saint-Honoré, la blessure de Jeanne d’Arc firent renoncer Charles VII et les capitaines à l’entreprise jugée pour le moment trop grosse et trop difficile, et l’armée se retira.

Peu après, la fortune étant revenue aux Anglais, avec la prise et le martyre de Jeanne d’Arc, le duc de Bedford amena le jeune roi anglais à Paris pour répondre au sacre de Charles VII par le couronnement solennel du roi Henri VI, qui était alors un enfant de neuf ans.

L’entrée se fit le 2 décembre 1431 dans les formes accoutumées, par la porte Saint-Denis décorée selon l’usage et couverte presque entièrement par un immense écu aux armes de la ville. Le prévôt des marchands et les échevins vêtus de rouge reçurent le jeune roi, et portèrent le dais au-dessus de lui quand, les discours entendus, il se mit en marche le long de la rue Saint-Denis splendidement parée.

En tête du cortège le populaire admirait neuf chevaliers et neuf dames figurant les neuf preux et les neuf preuses; après eux venaient des hérauts d’armes et des trompettes; quatre évêques entourant le petit roi et enfin quantité de seigneurs. A la fontaine de la Trinité: «syrènes s’esbattant sous un lys qui jetait du vin et du lait par ses fleurs et ses boutons, combat d’hommes sauvages, ensuite échafauds sur lesquels les confrères de la Trinité représentèrent le mystère de la nativité du Christ, avec la fuite en Égypte et le massacre par le cruel roy Hérode de sept vingt quatre milliers d’enfants mâles». Autre spectacle au Châtelet, spectacle allégorique où l’on voyait un enfant de la taille du jeune roi, avec deux couronnes sur la tête, entouré d’un côté par princes et seigneurs de France et de l’autre par seigneurs d’Angleterre.

Tout le long de la route les porteurs du dais changeaient, les échevins le laissaient aux drapiers, il passait ensuite aux épiciers, aux changeurs, aux orfèvres, aux merciers, aux pelletiers, aux bouchers, etc...

Quinze jours après, le petit roi vint processionnellement du Palais à Notre-Dame où il fut sacré par son oncle le cardinal de Winchester. Après le sacre il y eut festin en la Grande salle. Jamais festin ne fut plus mal ordonné, même celui donné par Charles VI en la même salle pour l’entrée d’Isabeau, où la cohue finit en bousculade.

[Pas d'image disponible.]
LE LOGIS ROYAL (DE SAINT-LOUIS OU PHILIPPE LE BEL), CÔTÉ

Cette fois, on avait laissé la foule pénétrer dès le matin dans la Grande salle, «le commun de Paris y était entré, les uns pour voir, les autres pour gourmander, les autres pour piller ou dérober viandes ou autre chose». Les larrons s’y trouvaient en nombre et profitaient largement du désordre. Quand le petit roi et les seigneurs furent assis à la grande table, cette foule, irrespectueuse et malveillante, ne put ou ne voulut s’ouvrir pour les membres de l’Université et du Parlement, pour les échevins qui, au milieu des cris et du tumulte, recevaient des poussées si violentes, qu’ils tombaient l’un sur l’autre par quatre-vingts ou cent à la fois. «Et là besoingnoient les larrons.» Quand ces invités parvinrent aux tables qui leur étaient réservées, il leur fallut disputer la place à des savetiers, moutardiers ou aides-maçons, qui mangeaient tranquillement le festin à leur place et à peine parvenait-on à en faire lever un ou deux, qu’il s’en asseyait six ou huit d’un autre côté...

Et encore la cuisine à ces tables laissait-elle à désirer, la «plupart des viandes ayant été cuites le jeudi auparavant», dit le Bourgeois de Paris. Et il ajoute que les malades de l’Hôtel-Dieu dirent qu’ils «n’avaient jamais vu plus pauvres reliefs que ceux qu’on leur envoya».

Ce Bourgeois de Paris se fait l’écho du mécontentement qui commence à poindre. Il se plaint que le sacre n’ait point fait aller le commerce autant que l’on s’y attendait. Les Anglais ne se sont pas mis en dépenses, les orfèvres, les batteurs d’or et gens de tous joyeux métiers, ont vendu plus maintes fois à l’occasion de mariages bourgeois, qu’en ces journées du sacre. Enfin, pour achever de mécontenter Paris, les Anglais firent peu de largesses et le petit roi quitta la ville sans faire aucuns biens, «comme délivrer prisonniers, faire cheoir maltôtes, impositions, gabelles, etc.».

 
 
 
Agrandir
LE CORPS D’ISABEAU DE BAVIÈRE CONDUIT A SAINT‑DENIS
[Pas d'image disponible.]
LE CORPS D’ISABEAU DE BAVIÈRE CONDUIT A SAINT‑DENIS

Le duc de Bedford mourut en septembre 1435, et dix jours après trépassa la reine Isabeau. A son tour la vieille reine, qui avait été pour une si grosse part dans les malheurs du pays, finissait abandonnée et méprisée, dans cet hôtel Saint-Paul, où s’était si lamentablement traînée l’existence de Charles VI. Les Anglais, qu’elle avait si bien servis, ne se mirent pas en frais de funérailles pour elle. Ce n’était plus, pour eux, depuis longtemps, qu’un instrument inutile. Après un service à Notre-Dame, on la déposa sans façon dans un bateau qui descendit lentement la Seine. La barque s’arrêta sous les tours de la Conciergerie, le cercueil passa la nuit dans ce palais, témoin des fêtes de son entrée solennelle, puis reprit la rivière au petit jour et sortit de Paris, dirigé sur Saint-Denis avec quelques serviteurs seulement. On n’avait pas pris la route de terre par crainte des partis français qui couraient déjà la campagne en Ile-de-France. En vue de Saint-Denis, la barque toucha terre; quelques moines prirent le cercueil et le portèrent aux caveaux de l’abbaye aux royales sépultures.

Juste en ce moment, le roi Charles VII, dont les armées faisaient tous les jours de nouveaux progrès dans la reconquête du royaume, venait, par le traité d’Arras, de faire sa paix avec la Bourgogne, le fils de Jean Sans Peur, «mû par sa pitié pour le pauvre peuple du royaume,» abandonnait l’alliance anglaise,—moyennant toutefois d’importants avantages et en imposant d’assez dures et humiliantes conditions.

Paris aussi peu à peu se détachait du parti anglais, la misère était revenue avec son cortège de maladies. Plus de blé dans les campagnes ravagées par les soldats des deux partis, et après les soldats par les bandes d’écorcheurs, de tard-venus et de pillards sans drapeau. La famine sévissait; on repassait par toutes les horreurs des pires époques. Des bandes de loups couraient les champs; la nuit, ils osaient pénétrer dans Paris, par les berges de la Seine pour enlever des chiens ou même des enfants. Une maladie pestilentielle ravageait villes et campagnes; dans Paris seulement, en trois années, de 1435 à 1438, elle emorta 50,000 personnes.

Maintenant Paris tournait ses regards vers les armées de Charles VII; le duc Philippe ayant fait sa paix avec le roi des fleurs de lis, les vieux partisans de Bourgogne n’avaient pas de raison pour être plus Bourguignons que lui. Les vieilles haines s’apaisaient ou se tournaient contre l’Anglais, qui se faisait plus oppresseur et plus dur en constatant le changement. Se sentant trop peu nombreux pour garder une ville hostile, les Anglais cherchaient à s’assurer la sécurité par tous les moyens, en accrochant aux potences ceux qu’ils soupçonnaient d’intelligences avec les armées françaises, et en exigeant des magistrats et des bourgeois de nouveaux serments de fidélité.

Cependant, quelques-uns des plus hardis de ces bourgeois s’étaient déjà mis en rapport avec le roi, offrant de lui remettre sa capitale s’il accordait à tous amnistie complète et oubli des sanglantes séditions. Charles VII promit l’oubli absolu du passé, et ces Parisiens, à la tête desquels était un riche marchand nommé Michel de Lallier, s’entendirent avec le connétable de Richemont, qui réunit rapidement le plus de troupes possible pour surprendre les Anglais.

Le connétable, Dunois, le seigneur de l’Isle-Adam arrivèrent au jour convenu, 15 avril 1436, près la porte Saint-Jacques, escaladèrent le rempart avec des échelles qu’on leur passa. Ils tenaient enfin Paris! Ils ouvrirent à leurs troupes cette porte Saint-Jacques, sur laquelle ils arborèrent la bannière royale, et se répandirent par la ville aux cris de: Ville gagnée!

Il y eut peu de tentatives de résistance par les rues; le peuple s’armait, prenait la croix blanche et, conduit par les capitaines de quartier, se jetait sur les Anglais. Ceux-ci abandonnèrent tous les postes et firent retraite sur la Bastille, où tout aussitôt ils furent investis.

Cette entrée fut une marche triomphale. Le connétable, qui s’était attendu à plus de difficultés, remercia vivement les gens de Paris et prit rapidement des mesures pour éviter tout pillage et toute avanie aux bourgeois, ce à quoi il était assez urgent de pourvoir, car beaucoup de l’armée, par âpreté de vengeance ou désir de gain, se flattaient de l’espoir de piller un peu cette ville si difficile à tenir. Quatre jours après, les Anglais de la Bastille, manquant de vivres, remettaient la forteresse au connétable et s’en allaient la vie sauve, emmenant avec eux les fonctionnaires, créatures et instruments de l’Angleterre, l’évêque de Thérouanne, chancelier, les prévôts et quelques autres, détestés des Parisiens, qui leur eussent fait volontiers mauvais parti.

Charles VII ne fit son entrée dans la capitale reconquise qu’au mois de novembre de l’année suivante; ce fut la même fête que six ans auparavant pour l’entrée du petit roi Henri VI d’Angleterre; les mêmes divertissements, les mêmes dais purent resservir. Mais l’entrée eut un caractère militaire; Charles VII marchait armé de toutes pièces, sauf le casque, à la tête de tous ses capitaines: le connétable, Dunois, le comte de Vendôme. Celle qui avait tourné la fortune, Jehanne seule, qu’on avait abandonnée au bûcher de Rouen, manquait à ce grand jour. Le futur Louis XI, le Dauphin, alors âgé de dix ans, marchait à côté de son père, revêtu d’une armure à sa taille.

«Quand le roy fut devant l’Hôtel-Dieu, ou environ, dit le Bourgeois de Paris, on ferma les portes de l’église de Notre-Dame, et vint l’évesque de Paris, lequel apporta un livre sur lequel le roi jura, comme roi, qu’il tiendrait loyalement et bonnement tout ce que bon roy devait.

«Après furent les portes ouvertes et entra dedans l’église et se vint loger au Palais pour celle nuit; et fist-on moult grande joie celle nuit, comme de bucciner, de faire feux emmy les rues, danser, manger et boire et de sonner plusieurs instruments.»

Le populaire pouvait bien, par quelques joyeuses fêtes, essayer d’oublier des souffrances qui devaient durer quelques années encore. L’épidémie continuait ses ravages, les loups, et les écorcheurs plus loups qu’eux, désolaient encore les environs, et la famine persistait.

Les Anglais, chassés de Paris, n’étaient pas loin, ils tenaient Meaux et de là s’efforçaient d’affamer la capitale en coupant la route à tous les arrivages de l’est, comme leurs garnisons de Normandie empêchaient à l’ouest toute arrivée de subsistances. Meaux ne fut pris qu’en 1438; les vivres purent passer; l’épidémie s’éloignait aussi vers le même temps, et Charles VII, avec son terrible connétable de Richemont, allait, à force de pendaisons, purger le sol de tous les routiers et brigands qui l’infestaient, réformer le système militaire pour arriver à créer, à la place des milices de la chevalerie féodale, une armée régulière permanente.

Charles VII, qui voulait être un roi réformateur, s’empressa de rétablir et de réorganiser le Parlement de Paris, auquel il avait réuni son petit Parlement de Poitiers. La grande chambre compte alors trente conseillers, quinze laïques et quinze ecclésiastiques; la chambre des enquêtes en a quarante. Il institue pour les affaires criminelles la chambre de la Tournelle, qui siégeait dans la Tournelle, bâtiment accolé à la tour Bon-Bec, où se donnait la question. Ces offices étaient soldés, les conseillers étaient appointés, la justice se rendait gratuitement quant aux juges, à qui les plaideurs devaient seulement quelques présents en nature, bouteilles de vins, pains de sucre, épiceries, les fameuses épices, qui finirent par se convertir en espèces sonnantes.

La puissance du Parlement allait grandir considérablement dans ce palais que les rois devaient lui céder complètement; son double caractère de corps judiciaire et administratif allait se préciser et s’accentuer.

Dans l’ordre judiciaire, il décidait en appel de toutes les causes des tribunaux royaux, seigneuriaux, ecclésiastiques et universitaires, et il jugeait des causes spéciales, celles des pairs de France et du domaine royal, et les grandes affaires spécialement portées devant lui.

[Pas d'image disponible.]
ENTRÉE DU PALAIS, PRÈS DU PONT SAINT-MICHEL (INTÉRIEUR)

Dans l’ordre administratif, les édits et ordonnances du roi devaient, pour avoir force de loi, être enregistrés au Parlement. Ce fut d’abord seulement un usage, qui s’était établi fort simplement. Un conseiller, nommé Jean de Montluc, sous Philippe le Bel, avait pris l’habitude de tenir registre des édits ou des jugements importants, ainsi que des événements mémorables de son temps. Comme on eut l’occasion plus d’une fois, pour vérifier des faits douteux, de recourir à ce registre du vieux conseiller, on sentit la nécessité de le continuer officiellement et régulièrement.

Jadis, au combat de Frêteval, Philippe-Auguste avait perdu son chartrier, l’ensemble de ses chartes, archives, registres, terriers, etc., qu’il avait avec lui dans ses bagages, ayant été pillé par les soldats de Richard Cœur de Lion. Cette perte avait amené la création d’un dépôt régulier de toutes les pièces d’archives dans la sacristie de la Sainte-Chapelle appelée ainsi, nous l’avons vu, le trésor des Chartes. On prit l’habitude, avant d’y envoyer tous les édits et actes royaux, de les faire inscrire sur le registre du Parlement, et bientôt l’usage, simple habitude de précaution, devint une formalité indispensable pour qu’édits et ordonnances eussent force de loi.

[Pas d'image disponible.]
LE QUAI DES AUGUSTINS (la pointe de la cité et le Louvre) XVe SIÈCLE
Imp. Draeger & Lesieur, Paris

En outre de cette formalité d’enregistrement indispensable qui forçait à compter avec lui, le Parlement s’était octroyé le droit de remontrances, par lequel il pouvait manifester son opposition à une décision ou ordonnance quelconque, à un traité avec une puissance étrangère, et ce qui est assez particulier, il commença à exercer ce droit de remontrance sous un monarque autoritaire, sous Louis XI, alors que ce roi, pour les nécessités de sa politique, jugea à propos d’abolir la Pragmatique sanction de Charles VII, qui avait réglé les rapports de l’Église de France avec le Pape et supprimé nombre d’abus sur les bénéfices ecclésiastiques, les annales, les réserves et les expectatives, par lesquelles la cour de Rome tirait de la France plus d’un million de ducats chaque année.

[Pas d'image disponible.]
LE TRÉSOR DES CHARTES, SACRISTIE DE LA SAINTE-CHAPELLE

Le roi Louis XI, qui généralement usait d’une justice expéditive et peu formaliste, chargea son Parlement de juger un connétable de France convaincu de trahison. C’était le comte de Saint-Pol, lequel, pour arriver à se créer une souveraineté indépendante dans ses fiefs à cheval sur les frontières de France et des pays flamands des Etats de Bourgogne, trahissait à la fois France et Bourgogne, Louis XI et le Téméraire, s’efforçait d’entretenir les vieilles querelles par ses intrigues, et cherchait à réveiller la guerre anglaise.

Ses trames et trahisons découvertes, devenu l’ennemi de tous, il avait cherché refuge à Mons sur les terres de Bourgogne. «Revenez sans crainte, lui écrivit Louis XI, je suis accablé de tant d’affaires que j’ai bien besoin d’une bonne tête comme la vôtre.»

Comme le connétable se doutait bien de ce que le roi voulait faire de sa tête, il se gardait de se mettre entre ses mains, mais Charles le Téméraire le fit prendre et le livra. Il fut jeté à la Bastille pendant que le Parlement instruisait diligemment son procès.

Il tombait de haut ce dangereux seigneur, riche, puissant, possesseur de fortes places, villes et châteaux bien pourvus de gens de guerre; il n’avait fallu rien moins pour l’abattre que l’entente de Louis XI, de Charles le Téméraire et d’Edouard d’Angleterre. «Il faut bien dire que cette tromperesse fortune l’avoit regardé de son mauvais visage,» dit Commines. Le connétable, depuis qu’on lui avait mis sous les yeux ses propres lettres, livrées à Louis XI par le duc de Bourgogne et le roi d’Angleterre, n’espérait plus guère.

Le 19 décembre 1475, rapporte Jean de Troyes, on vint réveiller le prisonnier dans son cachot pour l’amener au Palais. On le fit monter à cheval entre messire de Saint-Pierre chargé de sa garde depuis la Flandre et le chevalier Robert d’Estouteville, prévôt de Paris, et on l’amena sous bonne escorte jusqu’à la cour du May.

Le connétable fut conduit droit à la chambre criminelle du Parlement, où il trouva le chancelier qui, par un discours l’exhortant à la constance, lui enleva sa dernière espérance; puis le président Jehan de Popincourt prit la parole: «Monseigneur, vous savez que par l’ordonnance du roy, vous avez été constitué prisonnier, pour raison de plusieurs cas et crimes à vous mis sus et imposez. Auxquelles charges avez respondu et esté ouy en tout ce que vous avez voulu dire, et sur tout avez baillé vos excusations, et, tout veu à bien grande et mure délibération, je vous dis et déclare, que par arrest d’icelle cour vous avez esté crimineux de crime de lèze-majesté, et comme tel estes condamné par icelle cour à souffrir mort dedans le jour d’huy. C’est à savoir que vous serez décapité devant l’ostel de cette ville de Paris, et toutes vos seigneuries, revenues et aultres héritaiges et biens déclarez acquis et confisquez au Roy nostre sire.»

Sans plus tarder, le connétable fut remis aux mains de quatre docteurs en théologie pour être préparé à la mort; il lui fut chanté une messe, et vers une heure de l’après-midi on le fit remonter à cheval pour s’en aller subir sa peine devant l’Hôtel de ville «contre lequel il y avoit un grand eschaffault dressé et au joignant d’iceluy on venoit par une allée de bois à un aultre petit eschaffault là où il fut exécuté».

—«Trop avoir et trop savoir m’ont mis là où je suis!» dit le connétable en soupirant. Il entra au Bureau de la ville, fit son testament, reçut les consolations de son confesseur, et s’en alla ensuite se mettre en oraisons sur le petit échafaud, tourné vers l’église Notre-Dame, «longue oraison, en douloureux pleurs, et grant contrition» à la vue d’une foule immense. Enfin le connétable ayant dit deux mots au peuple pour se recommander à ses prières se mit à genoux sur un carreau de laine aux armes de la ville et «incontinent petit Jehan, le bourreau, saisit son espée dont il fist voller la teste de dessus les espaules».

Deux ans après, le Parlement eut à instruire le procès d’un autre grand seigneur, comblé de biens par Louis XI et qui maintes fois l’avait trahi aussi, ne rentrant en grâce que pour préparer de nouvelles trahisons. Quand la coupe fut pleine, Louis XI se montra impitoyable, il pesa sur le Parlement, et le duc de Nemours, condamné, sortit de sa cage de fer à la Bastille pour aller subir la décapitation sur l’échafaud des halles. Celui-ci ne fut pas amené au palais. Messire Jehan le Boulengier, premier président au Parlement, accompagné du greffier de la cour criminelle, vint à la Bastille signifier sa condamnation au patient.

On ne vit point sous Louis XI de ces réceptions de souverains et de ces festins à la table de marbre, comme le Palais en compte tant dans ses annales sous les règnes précédents. Louis XI n’est pas un roi de Paris, c’est un roi de Tours où il habite son château de Plessis-lès-Tours le bien gardé, plus souvent que les Tournelles de Paris.

A la Sainte-Chapelle, où il ne manquait pas de venir prier dans ses passages à Paris, il fit, pour être un peu plus chez lui, construire le petit oratoire que l’on voit entre deux contreforts du flanc méridional.

Dans la Grande salle en 1477, «le roy ayant en singulières recommandations les saincts faits de sainct Louis et sainct Charlemaigne, ordonna que leurs deux imaiges de pierre pieça mis et assis en deux des pilliers de la grant salle, du rang des aultres roys de France, fussent descendus, et voulut iceulx estre mis et posez au bout de la dite grant salle, au long de la chapelle estant au bout», c’est-à-dire sur le côté de l’autel placé au fond de la Grande salle, du côté donnant sur la rue de la Barillerie.

Aussitôt après la mort de Louis XI, dans la réaction qui s’ensuivit, la Conciergerie du Palais reçut quelques-uns des conseillers du feu roi, entre autres le principal instrument de ses vengeances et basses œuvres, le fameux Olivier le Daim, ou le Diable comme le peuple l’appelait, redouté et détesté de tous du vivant de son maître.

Il avait commencé par être le barbier de Louis; entré dans la confiance du roi et devenu son conseiller, celui-ci l’avait fait comte de Meulan. La roue avait tourné. Poursuivi par les princes longtemps comprimés, on lui fit son procès en Parlement et l’on trouva très suffisamment de prétextes pour le condamner.

Olivier le Daim pour qui la vie d’un homme avait toujours pesé très peu et qui avait tant fait pendre, gehenner ou noyer dans sa vie, accueillit la sentence de mort avec philosophie.

—Puisqu’il plaît ainsi à ces messieurs, dit-il, c’est bien, baillez-moi confesseur!

Il monta en charrette dans la cour du palais et prit le long chemin de Montfaucon. En route il fit arrêter le cortège, on crut qu’il voulait faire quelques déclarations, mais il s’agissait seulement de petites dettes qu’en homme régulier il voulait déclarer au greffier. Et bientôt il était accroché à la Justice de Paris, à côté d’un de ses subordonnés condamné avec lui.

[Pas d'image disponible.]
PIGNON DE LA SAINTE-CHAPELLE RECONSTRUIT SOUS CHARLES VIII

Sous Charles VIII, il fut travaillé à une restauration du pignon de la Sainte-Chapelle, modification complétée au temps de son successeur par le grand degré à rampe douce accolé au flanc méridional.

Le Palais sous le roi Louis XII reçut de nombreux embellissements, on donna à la Grande chambre la magnifique décoration qu’elle conserva jusqu’à la Révolution; des bâtiments s’élevèrent sur les côtés du vieux logis royal de saint Louis, enfin la cour de la Sainte-Chapelle, déjà si belle, reçut un ornement de plus, le magnifique édifice de la chambre des Comptes.

C’était au fond de la cour juste en face de la grande porte du palais, une façade composée de trois pavillons irréguliers, présentant au-dessus du rez-de-chaussée un étage de grandes et belles fenêtres séparées par des statues dans des niches, un étage supérieur à hautes lucarnes magnifiquement couronnées et reliées par une balustrade à fleurs de lys, au-dessous d’immenses combles brandissant de grands et superbes épis de faîtage.

Le pavillon de l’aile gauche possédait sur l’angle une jolie et fine tourelle à deux étages; le pavillon de droite au comble moins haut ouvrait au premier étage une large loggia à deux arcades surbaissées, aux piliers décorés de statues, loggia surmontée d’une superbe lucarne plus belle encore que les autres, soutenue latéralement par de légers contreforts dessinant un pignon ajouré, orné de pinacles et de crochets.

Toute la façade était revêtue d’une riche décoration, dais ciselés, écussons, frises de fleurs de lis et de dauphins alternés.

Les statues représentaient, avec leurs attributs traditionnels, la Tempérance tenant une horloge et des lunettes, la Prudence un miroir et un crible à la main, la Justice avec une épée, le Courage tenant une tour et étouffant un serpent.

[Pas d'image disponible.]
ENTRÉE DU GRAND DEGRÉ DE LA CHAMBRE DES COMPTES

Pour compléter cette belle façade d’un si heureux dessin, silhouettant de très hauts toits ardoisés et d’énormes cheminées, au pavillon de la loggia venait aboutir un grand escalier extérieur, ou plutôt une grande rampe couverte à quatre arcades du même style. Un charmant petit porche en plein cintre se surmontait d’un gable élégant, au centre duquel était sculpté l’écu de France ayant deux cerfs ailés pour supports, avec le porc épic de Louis XII au-dessous. A la balustrade pleine, comme à celle du reste de l’édifice, des L couronnées alternaient avec les dauphins.

Fra Giocondo, Joconde l’architecte italien amené par Charles VIII, à qui l’on s’est longtemps plu à attribuer tant de choses, a travaillé à cette chambre des Comptes. Quel fut au juste son rôle dans la construction, on l’ignore, mais ce qui est certain c’est que ce charmant édifice, vraie merveille de grâce, une des dernières créations de l’art purement français, n’est aucunement son œuvre, et d’ailleurs était commencé avant son arrivée.

On eut à la Cité, à peu de distance l’une de l’autre, deux entrées royales avec les cérémonies traditionnelles à Notre-Dame et au Palais.

La première le 6 novembre 1514 était l’entrée de la princesse Marie d’Angleterre, sœur d’Henri VIII, jeune et superbe princesse de seize ans, épousée par le quinquagénaire Louis XII peu de mois après la mort d’Anne de Bretagne, sa bretonne tant aimée dont la mort avait été pour lui un si rude coup qu’il n’avait fait «huit jours durant que larmoyer».

Les rues où le convoi d’Anne en janvier avait passé, virent en novembre la belle Marie, en triomphant cortège, se diriger vers Notre-Dame, pour de là s’en aller festoyer dans la Grande salle du Palais. A ces noces royales à la table de marbre, quatre divertissements ou «entremets» coupaient le repas; le premier était un phénix sur son bûcher, le second monseigneur saint Georges à cheval combattant le dragon, le troisième un porc épic et un léopard soutenant l’écu de France et le quatrième le combat d’un coq, d’un mouton et d’un lièvre.

La seconde entrée royale fut trois mois après celle du roi chevalier François Ier

Le roi Louis XII, dont la santé était assez précaire au temps de son remariage n’avait pas longtemps résisté à l’existence de fêtes et de plaisirs que lui fit mener la jeune princesse. Le 1er janvier 1515, il était allé rejoindre Anne de Bretagne à Saint-Denis.

Le nouveau roi, François Ier, fit son entrée joyeuse le 15 février suivant, «laquelle fut moult honorable et triomphante». Cette entrée eut ceci de particulier qu’elle se fit aux flambeaux, la nuit ayant pris le cortège dans la rue Saint-Denis. On admira beaucoup le jeune roi vêtu tout de blanc d’argent, monté sur un magnifique destrier qu’il faisait continuellement caracoler «en sorte que chacun s’en émerveillait, comme des princes et seigneurs qui l’accompagnaient en gros nombre et multitude de gens grandement accoutrez d’orfèvreries à leurs devises. Et en bel ordre de marche le dit seigneur et sa compagnie allèrent jusqu’à Notre-Dame de Paris et de là au Palais où il fut faict de par ledit seigneur, en la manière accoutumée, un gros et somptueux souper aux dicts princes et seigneurs. Et y soupèrent et eurent leurs tables, le prévôt et les échevins et aucuns notables personnages de la ville.»

 

[Pas d'image disponible.] LES MOULINS DE LA RIVIÈRE


CHAPITRE VI

LE PALAIS AU XVIe SIÈCLE

Chargement de la publicité...