← Retour

Quentin Durward

16px
100%
Rouges, bleus, verts, avec leurs friperies.

Au contraire, l'orgueil de Charles, qui était d'une nature toute différente, n'attachait pas peu d'importance à ce cérémonial.

Le héraut introduit en ce moment devant les deux princes avait pour vêtement un tabard ou cotte d'armes avec les écussons de son maître, dans lesquels la tête de sanglier, au jugement des experts en blason, jouait un rôle plus brillant que conforme aux véritables règles de l'art héraldique. Le reste de son costume, ridicule à force de magnificence, était surchargé de galons, de broderies et d'ornemens de toute espèce, et la plume de son panache était si haute qu'elle semblait vouloir balayer le plafond de la salle; en un mot, tous ses vêtemens avaient l'air d'être une caricature et une charge du brillant costume des hérauts. Non-seulement la tête de sanglier était brodée sur toutes les parties de ses habits, mais sa toque même en avait la forme, et était garnie de défenses couleur de sang, ou, pour employer le langage convenable, gueules langués et dentés. On pouvait remarquer en cet homme quelque chose qui annonçait en même temps la crainte et l'audace, comme s'il eût senti qu'il s'était chargé d'une dangereuse mission, et qu'il ne pouvait la remplir avec sûreté qu'à force de hardiesse. Le même mélange d'effronterie et de timidité fut visible dans la manière dont il salua les deux princes; et il montra, en le faisant, une gaucherie grotesque qui n'était pas ordinaire aux hérauts habitués à paraître en présence des souverains.

—Qui es-tu, au nom du diable?—Telle fut l'exclamation par laquelle Charles-le-Téméraire accueillit ce singulier envoyé.

—Je suis Sanglier-Rouge, répondit le héraut, officier d'armes de Guillaume de la Marck, par la grâce de Dieu et l'élection du chapitre, prince-évêque de Liège.

—Ah! s'écria Charles; mais réprimant son impétuosité, il lui fit signe de continuer.

—Et du chef de son épouse, l'honorable comtesse Hameline, continua le héraut, comte de Croye et seigneur de Braquemont.

Charles sembla rester muet par l'étonnement dont le frappa l'excès d'audace avec lequel on osait annoncer en sa présence de semblables titres; et le héraut, attribuant peut-être ce silence à l'impression que l'énumération des qualités de son maître avait faite sur l'esprit du duc, continua ainsi qu'il suit:

Annuncio vobis gaudium magnum. Charles, duc de Bourgogne et comte de Flandre, je vous fais savoir, au nom de mon maître, qu'en vertu d'une dispense de notre saint père le pape, qu'il attend incessamment et qui contiendra la nomination d'un substitut convenable ad sacra, il se propose d'exercer les fonctions de prince-évêque de Liège, et de maintenir ses droits comme comte de Croye.

Le duc de Bourgogne, à cette pause du discours du héraut, comme à toutes les autres, ne fit que s'écrier de nouveau:—Ah!—ou prononcer quelque interjection semblable, du ton d'un homme qui, quoique surpris et irrité, veut cependant entendre tout ce qu'on a à lui dire, avant de faire une réponse. À la grande surprise de tous ceux qui étaient présens, il ne se permit aucun des gestes brusques et violens qui lui étaient ordinaires; mais il serrait entre ses dents l'ongle de son pouce, ce qui était son tic favori quand il écoutait avec attention, et il tenait les yeux baissés, comme s'il eût craint de montrer le courroux qu'on y aurait vu étinceler.

Sanglier-Rouge continua donc à s'acquitter de sa mission avec audace—J'ai à vous requérir, duc Charles, au nom du prince-évêque de Liège et comte de Croye, de vous désister de vos prétentions sur la cité libre et impériale de Liège, et des usurpations que vous avez faites sur ses droits, de connivence avec feu Louis de Bourbon, indigne évêque de cette ville.

—Ah! s'écria encore le duc.

—Comme aussi de restituer les bannières de la communauté, au nombre de trente-six, dont vous vous êtes emparé par violence;—de réparer les brèches que vous avez faites aux murailles;—de reconstruire les fortifications que vous avez arbitrairement démantelées;—de reconnaître enfin mon maître, Guillaume de la Marck, comme évêque de Liège, légalement et librement élu par le chapitre de chanoines, dont voici le procès-verbal.

—Avez-vous fini? lui demanda le duc.

—Pas encore, lui répliqua l'envoyé: je suis chargé en outre de vous requérir de la part du dit noble et vénérable prince-évêque et comte, de retirer les garnisons que vous avez mises dans le château de Braquemont, et autres places fortes du comté de Croye, soit qu'elles y aient été placées en votre nom, en celui d'Isabelle de Croye, ou en tout autre; jusqu'à ce qu'il ait été décidé par la diète impériale si les fiefs en question ne doivent pas appartenir à la sœur du feu comte, la très-gracieuse comtesse Hameline, par préférence à sa fille, en vertu du jus emphyteusis.

—Votre maître est très-savant, dit le duc.

—Cependant, continua le héraut, le noble et vénérable prince-évêque et comte est disposé, lorsqu'il n'existera plus aucun sujet de querelle entre la Bourgogne et le pays de Liège, à assurer à sa nièce Isabelle un apanage convenable à sa qualité.

—Il est raisonnable et généreux, dit le duc avec le même ton d'ironie.

—Sur la conscience d'un pauvre fou, dît le Glorieux à l'oreille du comte de Crèvecœur, j'aimerais mieux être dans la peau de la plus mauvaise vache qui soit jamais morte d'une maladie contagieuse, que sous les habits brodés de ce drôle; il ressemble à un ivrogne qui vide les pots sans les compter, et sans faire attention aux marques que le garçon cabaretier trace à la craie derrière le volet.

—Avez-vous encore quelque chose à me dire? demanda le duc.

—Un seul mot de plus relativement au digne et fidèle allié de mondit noble et vénérable maître, le roi très-chrétien.

—Ah! ah! s'écria le duc; et il fit cette exclamation d'un ton tout différent de celui qu'il avait pris jusqu'alors en faisant les autres; mais il se contint encore pour prêter toute son attention.

—Duquel roi très-chrétien, continua le héraut, on assure que vous, Charles de Bourgogne, vous retenez par contrainte la personne royale en cette ville, au mépris de vos devoirs, comme vassal de la couronne de France, et contre la foi observée parmi les princes chrétiens. Pour laquelle raison, mondit noble et vénérable maître vous ordonne, par ma bouche, de mettre à l'instant en liberté son allié royal et très-chrétien, ou de recevoir le défi que je suis chargé de vous faire de sa part.

—Avez-vous enfin tout dit?

—Oui, et j'attends la réponse de Votre Altesse, espérant qu'elle sera de nature à éviter l'effusion de sang chrétien.

—Eh bien! s'écria le duc, de par saint George de Bourgogne!... Mais avant qu'il en pût dire davantage, Louis se leva, et prit la parole avec un tel air de majesté et d'autorité que Charles se sentit dans l'impossibilité de l'interrompre.

—Beau cousin de Bourgogne, dit le roi, avec votre permission, nous réclamons la priorité pour répondre à cet impertinent coquin de héraut, ou qui que tu sois, va dire au parjure, au meurtrier, au proscrit Guillaume de la Marck, que le roi de France se trouvera incessamment devant Liège, dans le dessein de venger le meurtre sacrilège de feu son parent chéri, Louis de Bourbon, et qu'il se propose de faire pendre Guillaume de la Marck avec une chaîne de fer, pour le punir d'avoir eu l'audace de le nommer son allié, et d'avoir mis son nom royal dans la bouche de ses vils messagers.

—Et tu ajouteras de ma part, dit Charles, tout ce qu'un prince peut avoir à dire à un voleur et à un assassin. Va-t'en. Un moment pourtant: jamais héraut n'a quitté la cour de Bourgogne sans avoir à crier largesse. Qu'on l'étrille de manière à lui enlever la peau.

—Votre Altesse voudra bien faire attention, s'écrièrent en même temps Crèvecœur et d'Hymbercourt, que c'est un héraut, un homme privilégié.

—Est-ce vous, messieurs, dit le duc, qui êtes assez oisons pour croire que le tabard fasse le héraut? Je suis certain, par ses armoiries mêmes, que ce drôle n'est qu'un imposteur. Que Toison-d'Or s'avance, et qu'il le questionne en notre présence.

En dépit de son effronterie naturelle, on vit pâlir l'envoyé du Sanglier des Ardennes, quoiqu'il eût employé quelque fard pour se peindre le visage. Toison-d'Or, chef des hérauts du duc, comme nous l'avons déjà dit, et roi d'armes dans ses domaines, s'avança avec la gravité d'un homme qui savait ce qui est dû à sa place, et demanda à son prétendu confrère dans quel collège il avait étudié la science qu'il professait.

—J'ai été poursuivant d'armes au collège héraldique de Ratisbonne, répondit Sanglier-Rouge, et j'ai reçu le diplôme d'Ehrenhold de cette savante confrérie.

—Vous ne pouviez puiser la science dans une source plus pure, dit Toison-d'Or en s'inclinant plus profondément qu'il ne l'avait fait auparavant; et si je me permets de conférer avec vous sur les mystères de notre sublime science, par obéissance aux ordres du duc mon maître, c'est dans l'espoir de recevoir de vous des lumières, et non de vous en communiquer.

—Au fait, au fait! s'écria le duc d'un ton d'impatience; faites-lui quelque question qui mette sa science à l'épreuve.

—Il serait ridicule, reprit Toison-d'Or, de demander à un disciple de l'illustre collège de Ratisbonne s'il connaît les termes ordinaires du blason; mais je puis, sans l'offenser, demander à Sanglier-Rouge s'il est initié aux termes mystérieux et secrets de cette science, par laquelle les plus savans de nous s'expliquent les uns aux autres emblématiquement et paraboliquement ce qu'ils disent aux autres dans le langage ordinaire; termes qui sont, en quelque sorte, les premiers élémens de l'art héraldique?

—Je connais toutes les branches du blason aussi-bien l'une que l'autre, répondit Sanglier-Rouge avec hardiesse; mais il est possible que nos termes en Allemagne ne soient pas les mêmes que les vôtres en Flandre.

—Pouvez-vous parler ainsi? s'écria Toison-d'Or; notre noble science, qui est la bannière de la noblesse et la gloire de la générosité, est la même dans tous les pays chrétiens; elle est même connue des Maures et des Sarrasins. Je vous prierai donc de me décrire, d'après le style céleste, c'est-à-dire d'après les planètes, telles armoiries qu'il vous plaira de choisir.

—Faites-en la description vous-même, si bon vous semble, répondit Sanglier-Rouge. Je ne suis pas venu ici pour faire des tours de bouffon; croyez-vous me faire tenir debout comme un singe, à votre volonté?

—Montrez-lui quelques armoiries, et qu'il en fasse la description à sa manière, dit le duc; mais s'il ne réussit pas, je lui promets que son dos sera gueules, azur et sable.

—Voici, dit le héraut bourguignon en tirant de sa poche un parchemin, voici des armoiries que certaines considérations m'ont porté à tracer aussi-bien que me le permettent mes faibles talens; je prie mon confrère, s'il appartient véritablement au savant collège de Ratisbonne, de le déchiffrer en termes convenables.

Le Glorieux, qui semblait s'amuser beaucoup de cette discussion, s'était alors avancé près des deux hérauts.—Je vais t'aider, mon garçon, dit-il à Sanglier-Rouge qui regardait le parchemin d'un air de consternation;—Messeigneurs et messieurs, ceci représente un chat qui regarde à la fenêtre d'une laiterie.

Cette saillie fit rire; et Sanglier-Rouge y trouva quelque avantage, car Toison-d'Or, indigné qu'on interprétât son dessin de cette manière, en donna lui-même sur-le-champ l'explication, en disant que c'était l'écu porté par Childebert, roi de France, après qu'il eut fait prisonnier Gondemar, roi de Bourgogne, et qu'il représentait une once, ou chat-tigre, derrière une grille, emblème du monarque captif. Il en donna ensuite la définition en termes techniques, qu'un héraut seul pouvait comprendre.

—Par ma marotte, dit le Glorieux, si la Bourgogne est représentée par ce chat, il faut convenir qu'aujourd'hui du moins elle est du bon côté de la grille.

—Vous avez raison, mon cher ami, dit Louis en riant, tandis que tous les spectateurs et Charles lui-même semblaient décontenancés par une plaisanterie dont l'application était si évidente; je vous dois une pièce d'or pour avoir égayé une affaire qui a commencé sur un ton un peu sérieux, mais qui finira, j'espère, plus joyeusement.

—Silence, le Glorieux, dit le duc. Et vous, Toison-d'Or, qui êtes trop savant pour être intelligible, retirez-vous. Qu'on fasse avancer ce drôle. écoute-moi, misérable, lui dit-il en prenant son ton le plus dur: connais-tu la différence qui existe en blason entre argent et or!

—Pour l'amour du ciel! monseigneur, ayez pitié de moi, dit le héraut pris en défaut; noble roi Louis, intercédez pour moi.

—Parle pour toi-même, s'écria le duc; es-tu héraut ou non?

—Je ne le suis que pour cette occasion.

—De par saint George! dit le duc en jetant sur Louis un regard à la dérobée, nous ne connaissons pas de monarque, pas de gentilhomme qui eût voulu prostituer ainsi la noble science sur laquelle reposent la royauté et la noblesse, si ce n'est ce roi qui envoya à édouard d'Angleterre un valet déguisé en héraut[78].

—Un tel stratagème, dit Louis, ne pouvait se justifier qu'à une cour où il ne se trouvait aucun héraut en ce moment, et où la chose pressait; mais quoiqu'il ait pu réussir à l'égard d'épais et pesans insulaires, il fallait ne pas avoir plus de bon sens qu'un sanglier, pour penser qu'un pareil tour ne serait pas découvert à la cour éclairée de Bourgogne.

—N'importe d'où ce prétendu héraut vienne, dit le duc avec courroux, il n'y retournera que bien étrillé. Qu'on le traîne sur la place du marché, et qu'on l'y batte avec des brides de chevaux et des fouets à chiens, jusqu'à ce que son tabard tombe en lambeaux.—Sus, au Sanglier-Rouge; ça, ça! tayau! tayau!

Quatre à cinq gros chiens, semblables à ceux qu'on voit peints sur les tableaux de chasse auxquels Rubens et Schneiders travaillèrent en société, entendirent les derniers mots du duc, et se mirent à aboyer comme s'ils voyaient un sanglier sortir de sa bauge.

—Par la sainte croix! dit Louis cherchant à entrer dans l'humeur de son dangereux cousin, puisque l'âne a mis la peau du sanglier, pourquoi ne pas charger les chiens de la lui retirer?

—Rien de mieux! rien de mieux! s'écria le duc, dont cette idée flatta l'humeur pour le moment: cela va se faire. Qu'on découple les chiens, qu'on les mette sur la voie: nous le courrons depuis la porte du château jusqu'à celle du parc du côté de l'orient.

—J'espère que Votre Altesse me traitera en bête de chasse, dit le prétendu héraut, faisant autant que possible bonne mine à mauvais jeu,—et qu'elle me laissera les mêmes moyens de salut.

—Tu n'es qu'une vermine[79], répondit le duc, et en cette qualité la lettre du code des chasses ne te donne droit à aucune protection. Cependant ne fût-ce qu'à cause de ton impudence sans égale, tu auras cent pas en avance. Allons, messieurs, allons; il faut voir cette chasse.

La séance du conseil fut ainsi brusquement levée. Chacun courut pour jouir de l'agréable divertissement suggéré par le roi Louis; mais personne n'y mit plus d'empressement que les deux princes.

Rien ne manqua au plaisir qu'ils se promettaient; car Sanglier-Rouge à qui la terreur donnait des ailes, et qui avait à ses trousses une dizaine de chiens de chasse animés par le son des cors et les cris des piqueurs, courut avec la vitesse du vent; et s'il n'avait été gêné par ses vêtemens de héraut, le plus mauvais costume possible pour un coureur, il aurait peut-être échappé aux chiens; il évita même plus d'une fois leur poursuite, en changeant tout à coup de direction avec une adresse à laquelle tous les spectateurs rendirent justice. Mais aucun d'eux, pas même Charles, ne fut aussi enchanté de cette chasse que le roi Louis. En partie par des considérations politiques, et aussi parce que le spectacle des souffrances humaines ne lui était nullement désagréable quand il se présentait sous un point de vue burlesque, il rit à en avoir les larmes aux yeux. Dans son ravissement, il saisit le manteau d'hermine du duc, comme pour se soutenir, tandis que Charles, dans un transport semblable, appuyait la main sur l'épaule du roi, les deux princes montrant ainsi l'un pour l'autre une confiance et une familiarité qu'on n'avait guère droit d'attendre, d'après ce qui venait de se passer quelques instans auparavant.

Enfin l'agilité du faux héraut ne put le dérober plus long-temps aux dents des ennemis qui le poursuivaient. Les chiens l'atteignirent, le renversèrent, et ils l'auraient probablement étranglé, si le duc n'eût crié:—Arrêtez-les! retenez-les! rappelez les chiens! Il a si bien couru, que quoiqu'il n'ait pas fait bonne résistance aux abois, nous ne voulons pas qu'ils en fassent curée.

On s'empressa d'arracher aux chiens la proie sur laquelle ils étaient acharnés, on les accoupla de nouveau, et l'on poursuivit ceux qui s'enfuyaient portant en triomphe dans leur gueule les lambeaux de la cotte d'armes que le malheureux envoyé avait endossée dans un jour de malheur.

En cet instant, et pendant que le duc était encore trop occupé de ce qui se passait devant lui pour faire attention à ce qui se disait derrière, Olivier-le-Dain s'approcha doucement du roi, et lui dit à l'oreille:—C'est le Bohémien, c'est Hayraddin; il ne faudrait pas qu'il parlât au duc.

—Il faut qu'il meure, lui répondit le roi du même ton, les morts ne parlent plus.

Un moment après, Tristan-l'Ermite à qui Olivier avait fait sa leçon, s'avança en présence du roi et du duc, et dit avec le ton bourru qui lui était ordinaire:—Ce gibier m'appartient, et je le réclame, sauf le bon plaisir de Votre Majesté et de Son Altesse. Il porte ma marque, une fleur de lis sur l'épaule, comme tout le monde peut le voir. C'est un scélérat bien connu; il a assassiné nombre de sujets de Votre Majesté, pillé des églises, violé de saintes vierges, tué des daims dans les parcs royaux, et...

—En voilà bien assez! dit le duc Charles; mon royal cousin a droit à cette propriété à plus d'un titre. Que veut en faire Votre Majesté?

—S'il est laissé à ma disposition, répondit le roi, je lui ferai donner une leçon de l'art héraldique qu'il connaît si peu; il apprendra par expérience ce que c'est qu'une croix potencée, et l'on y joindra l'ornement d'un nœud coulant.

—Qu'il ne portera pas, mais qui lui servira de support! s'écria le duc en partant d'un grand éclat de rire occasionné par son trait d'esprit. Qu'il prenne ses degrés sous votre compère Tristan, il est passé maître dans cette science.

Louis partagea la gaieté du duc d'une manière si cordiale, que Charles ne put s'empêcher de le regarder d'un air presque amical.

—Ah! Louis, Louis! lui dit-il, plût au ciel que vous fussiez un allié aussi fidèle que vous êtes un joyeux compagnon! Je pense encore bien souvent aux jours que nous avons passés si gaiement ensemble.

—Il ne tient qu'à vous de les faire renaître, répondit Louis. Je vous accorderai d'aussi belles conditions que vous puisiez m'en demander dans la situation où je me trouve, sans vous rendre la fable de la chrétienté; et je ferai serment de les exécuter, sur la sainte relique que j'ai le bonheur de porter sur moi, et qui est un fragment du bois de la vraie croix.

En parlant ainsi, il tira de son sein un petit reliquaire d'or suspendu à son cou par une chaîne du même métal, et qu'il portait entre sa chemise et ses autres vêtemens; puis il ajouta, après l'avoir baisé dévotement:

—Jamais faux serment n'a été prêté sur cette sainte relique sans qu'il ait été puni dans l'année.

—Cependant, dit le duc, c'est la même sur laquelle vous m'avez juré amitié en quittant la Bourgogne; ce qui n'a pas empêché que peu de temps après vous n'y ayez envoyé, le bâtard de Rudempré pour m'assassiner ou s'emparer de ma personne.

—Ah! beau cousin, voilà que vous déterrez d'anciens griefs; mais je vous assure que vous êtes dans l'erreur à ce sujet. D'ailleurs, ce n'est pas sur la relique que voici que je vous ai fait alors le serment dont vous parlez; c'était sur un autre fragment du bois de la vraie croix, qui m'avait été envoyé par le Grand-Seigneur; et il avait sans doute perdu de sa Vertu en restant si long-temps entre les mains des infidèles. Mais après tout, la guerre du bien public n'éclata-t-elle pas dans le cours de cette année? Ne vis-je pas l'armée bourguignonne, appuyée de tous les grands feudataires de France, camper à Saint-Denis? Ne fus-je pas obligé d'abandonner la Normandie à mon frère? Que Dieu nous préserve de nous parjurer sur une relique comme celle-ci!

—Eh bien! cousin, je crois que vous avez reçu une leçon qui vous apprendra à être de bonne foi à l'avenir. Et à présent, franchement et loyalement, tiendrez-vous la parole que vous m'avez donnée de marcher avec moi contre ce meurtrier de la Marck et ces misérables Liégeois?

—Je marcherai contre eux, beau cousin, avec le ban et l'arrière-ban de France, et l'oriflamme déployée.

—Non, non! c'est plus qu'il ne faut, plus qu'il n'est convenable. La présence de votre garde écossaise et de quelques centaines de lances d'élite suffira pour prouver que vous agissez librement. Une armée considérable pourrait...

—Me rendre libre en réalité, voulez-vous dire, beau cousin? Eh bien vous réglerez vous-même le nombre des troupes qui me suivront.

—Et pour que nous n'ayons plus rien à craindre de la belle Hélène qui a jeté entre nous la pomme de discorde, vous consentirez que la comtesse Isabelle de Croye épouse le duc d'Orléans.

—Beau cousin, vous mettez ma courtoisie à une rude épreuve. Le duc est fiancé à ma fille Jeanne. Soyez généreux; n'insistez pas sur ce point, et parlons plutôt des places sur la Somme.

—Mon conseil parlera de cet objet à Votre Majesté. Quant à moi, j'ai moins à cœur une augmentation de territoire qu'une réparation des injures que j'ai reçues. Vous vous êtes mêlé des affaires de mes vassaux: vous avez voulu disposer à votre gré de la main d'une pupille du duché de Bourgogne; eh bien! puisque vous voulez la marier, que ce soit à un membre de votre propre famille; sans cela notre conférence est rompue.

—Personne ne me croirait, beau cousin, si je disais que je le fais avec plaisir. Jugez donc quel est mon désir de vous obliger, quand je vous dis, à mon grand regret, que si les parties y consentent et peuvent obtenir la dispense du pape, je ne m'opposerai en aucune manière au mariage que vous proposez.

—Tout cela s'arrangera aisément par nos ministres, dit le duc; et maintenant nous voici redevenus cousins et amis.

—Rendons-en grâce, dit Louis, à la bonté du ciel, qui, tenant entre ses mains les cœurs des princes, les dispose miséricordieusement à la paix et à la clémence, pour prévenir l'effusion du sang humain.

—Olivier, ajouta Louis en s'adressant à ce favori qui rôdait, toujours autour de lui comme l'esprit familier aux ordres d'un sorcier,—écoute: dis à Tristan d'aller vite en besogne avec ce vagabond de Bohémien.


CHAPITRE XXXIV.

L'Exécution.

«Je te conduirai dans le bois,
«Tu prendras un arbre à ton choix.»

Ancienne ballade.

—GRÂCES soient rendues à Dieu, qui nous a donné le pouvoir de rire et de faire rire les autres, et honte au gros lourdaud qui rougirait de remplir les fonctions de fou! Voici une plaisanterie (et ce n'est pas une des meilleures, bien qu'elle ait eu l'avantage d'amuser deux princes) qui a mieux réussi que n'auraient pu le faire mille raisons d'état, pour empêcher une guerre entre la Bourgogne et la France.

Telle fut la conclusion que tira le Glorieux lorsque, par suite de la réconciliation dont nous avons rendu compte à la fin du chapitre précédent, la triple garde qui veillait autour du château de Péronne fut relevée de ce poste. Le roi quitta la Tour du comte Herbert, cette tour de si mauvais augure; et à la grande satisfaction des Français et des Bourguignons, la confiance et l'amitié parurent rétablies, du moins à l'extérieur, entre le duc Charles et son seigneur suzerain. Cependant le roi, quoique traité avec les égards et le cérémonial d'usage, voyait parfaitement qu'il était encore l'objet des soupçons de son puissant vassal; mais il était assez prudent pour ne pas avoir l'air de s'en apercevoir, et il paraissait se regarder comme entièrement libre.

—Néanmoins, comme c'est assez l'ordinaire en pareil cas, tandis que les parties principalement intéressées avaient à peu près transigé sur leurs différends, un des agens subalternes de leurs intrigues éprouvait amèrement combien est vraie cette maxime politique, que si les grands ont souvent besoin de vils instrumens, ils en indemnisent la société en les abandonnant à leur destin dès qu'ils leur deviennent inutiles.

Cet agent était Hayraddin Maugrabin, que les officiers du duc avaient livré au grand prévôt du roi de France, et que Tristan avait confié aux soins de ses deux fidèles aides-de-camp Trois-Échelles et Petit-André, chargés de l'expédier sans perte de temps. Placé entre ces deux personnages, l'un jouant l'Allegro, l'autre le Penseroso, suivi de quelques gardes et d'une foule immense de peuple, il s'avançait (pour nous servir d'une comparaison moderne) comme Garrick entre la Tragédie et la Comédie[80], vers une forêt voisine, où pour abréger la cérémonie et s'épargner la peine de dresser un gibet, les maîtres de son destin avaient résolu de l'accrocher au premier arbre qui leur paraîtrait convenable.

Ils ne furent pas long-temps sans trouver un chêne qui, comme Petit-André le dit facétieusement, était digne de porter un tel gland. Laissant donc le condamné sous la surveillance de quelques gardes, ils commencèrent à improviser leurs dispositions pour la catastrophe finale. En ce moment Hayraddin, jetant un regard sur la multitude qui l'avait accompagné, rencontra les yeux de Quentin Durward. Notre jeune Écossais, croyant avoir reconnu les traits de son guide perfide dans ceux du héraut imposteur, avait suivi la foule pour s'assurer de son identité.

Quand les deux exécuteurs vinrent l'informer que tout était prêt, Hayraddin, avec le plus grand calme, leur dit qu'il avait une grâce à leur demander.

—Demandez-nous, mon fils, tout ce qui pourra s'accorder avec notre devoir, et vous l'obtiendrez, lui répondit Trois-Échelles.

—C'est-à-dire, reprit Hayraddin, tout, excepté la vie.

—Précisément, dit Trois-Échelles, et même quelque chose de plus. Car comme vous avez l'air d'être résolu à faire honneur à notre profession et à mourir en homme, sans faire de grimaces, nous ne regarderons pas à vous accorder une dizaine de minutes, s'il le faut, quoique nos ordres soient d'être expéditifs.

—C'est trop de générosité, dit Hayraddin.

—Il est très-vrai qu'on peut nous en blâmer, ajouta Petit-André; mais que m'importe? je donnerais ma vie pour un homme leste, ferme, gai et dispos, qui a dessein de faire le premier saut avec grâce, comme il convient à un brave garçon.

—Ainsi donc, dit Trois-Échelles, si vous désirez un confesseur...

—Ou bien, dit son facétieux compagnon, si vous voulez une pinte de vin...

—Ou un psaume, dit la Tragédie.

—Ou une chanson, dit la Comédie.

—Rien de tout cela, mes bons, chers et très-expéditifs amis, dit le Bohémien. Tout ce que je vous demande, c'est quelques minutes d'entretien avec cet archer de la garde.

Les exécuteurs hésitèrent un instant; mais Trois-Échelles se rappelant qu'il avait entendu dire que Quentin Durward, d'après diverses circonstances, était en grande faveur auprès du roi, ils résolurent de permettre l'entrevue.

Ils appelèrent Durward, et tout en s'avançant vers le criminel condamné, le jeune archer, quoique trouvant qu'il avait bien mérité son sort, n'en fut pas moins affligé de le voir si près de la mort. Les lambeaux de son riche costume de héraut, mis en haillons par les dents des chiens et par les mains des bipèdes qui l'avaient arraché à leur fureur pour le conduire à la mort, lui donnaient un air burlesque et déplorable en même temps. On voyait encore sur son visage quelques traces du fard dont il l'avait peint, et sur son menton quelques restes de la barbe postiche qu'il avait mise pour mieux se déguiser. La pâleur de la mort régnait sur ses joues et sur ses lèvres; et cependant, armé d'un courage passif, comme la plupart des gens de sa caste, son œil brillant, quoique égaré, et le sourire forcé de sa bouche, semblaient défier la mort qu'il allait subir.

Quentin fut frappé d'horreur et de compassion en s'approchant de ce misérable, et ces deux sentimens lui firent sans doute ralentir le pas, car Petit-André lui cria:—Un peu plus lestement, jeune archer, un peu plus lestement: notre pratique n'a pas le loisir de vous attendre, et vous marchez comme si ces cailloux étaient des œufs, et que vous eussiez peur de les casser.

—Il faut que je lui parle en particulier, dit Hayraddin avec un accent qui tenait du désespoir.

—Cela n'est guère d'accord avec notre devoir, mon joyeux Saute-l'échelle, dit Petit-André. Nous vous connaissons de longue main; vous êtes une anguille trop glissante pour qu'on puisse se fier à vous.

—Ne m'avez-vous pas lié les pieds et les mains avec les sangles de vos chevaux? dit le Bohémien. Vous pouvez me surveiller hors de la portée de la voix. D'ailleurs cet archer est un serviteur de votre roi; et si je vous donne dix guilders...

—Employée à faire dire des messes, dit Trois-Échelles, cette somme pourra être utile à sa pauvre âme.

—Employée en vin et en brandevin, dit Petit-André, elle pourra procurer quelque consolation à mon pauvre corps. Voyons donc vos guilders, mon joyeux danseur de corde.

—Rassasiez ces chiens affamés, dit Hayraddin à Durward, vous n'y perdrez rien; on ne m'a pas laissé un stiver quand on m'a arrêté.

Quentin paya aux exécuteurs ce qui leur avait été promis, et en hommes de parole ils se retirèrent assez loin pour ne rien entendre, mais en ayant soin de suivre des yeux le moindre mouvement de leur victime. Durward attendit un instant que le malheureux lui parlât; et voyant qu'il gardait le silence:—Eh bien, lui dit-il enfin, te voilà donc arrivé là?

—Oui, répondit Hayraddin; et il ne fallait être ni astrologue, ni physionomiste, ni nécromancien, pour prédire que je finirais comme le reste de ma famille.

—Et cette fin prématurée a été amenée par une longue série de crimes et de trahisons.

—Non, de par le brillant Aldéboran et tous ses radieux confrères! elle a été amenée par ma propre folie, qui m'a fait croire que la cruauté sanguinaire d'un Franc pouvait être retenue par ce qu'il regarde lui-même comme ce qu'il y a de plus sacré. Les habits d'un prêtre ne m'auraient pas mieux protégé que le tabard d'un héraut, tant il y a de bonne foi dans vos protestations de dévotion et de chevalerie!

—Un imposteur découvert n'a pas le droit de réclamer les privilèges du déguisement qu'il a usurpé.

—Découvert! Mon jargon valait bien celui de ce vieux fou de héraut. Mais n'importe, autant vaut aujourd'hui que demain.

—Vous oubliez que le temps s'écoule. Si vous avez quelque chose à me dire, hâtez-vous de le faire, et donnez ensuite quelques instans au soin de votre âme.

—De mon âme! s'écria le Bohémien avec un sourire hideux; pensez-vous qu'une lèpre de vingt ans puisse se guérir en un moment? Si j'ai une âme, elle est dans un tel état depuis que j'ai atteint l'âge de dix ans, et même depuis plus long-temps, qu'il me faudrait un mois pour me rappeler tous mes crimes, et un autre mois pour les confesser à un prêtre: or, si cet espace de temps m'était accordé, il y a cinq contre un à parier que je l'emploierais tout différemment.

—Pécheur endurci, ne blasphème pas! dit Durward avec une horreur mêlée de pitié; dis-moi promptement ce que tu as à me dire, et je t'abandonne à ta destinée.

—J'ai un service à vous demander; mais d'abord il faut que je l'achète, car les gens de votre secte, malgré toutes leurs professions de charité, ne donnent rien pour rien.

—Je te dirais, périssent tes dons avec toi, si tu n'étais sur le bord de l'éternité. Quel service attends-tu de moi? parle, et garde tes présens; ils ne me porteraient pas bonheur: je n'ai pas encore oublié les bons offices que tu as voulu me rendre.

—Je vous aimais pourtant, je vous voulais du bien à cause de ce que vous avez fait sur les bords du Cher; je voulais vous aider à épouser une riche dame: vous portiez ses couleurs, et c'est ce qui m'induisit en erreur; d'ailleurs je pensais qu'Hameline, dont les richesses étaient faciles à transporter, vous convenait mieux que cette jeune poulette, avec son vieux poulailler de Braquemont, sur lequel Charles a étendu ses griffes, et qu'il saura garder probablement.

—Tu perds le temps en paroles inutiles; je vois que ces gens commencent à s'impatienter.

—Donnez-leur dix autres guilders pour dix minutes de plus, dit le Bohémien, qui, malgré son endurcissement, éprouvait, comme la plupart de ceux qui se trouvent dans la même situation, et cela peut-être sans s'en douter lui-même, le désir d'éloigner l'instant fatal;—ce que j'ai à vous dire vous vaudra bien davantage.

—Profite donc bien des instans que je vais acheter, répondit Durward: et il ne lui fut pas difficile de faire un nouveau marché avec les affidés du grand prévôt.

Cette affaire conclue, Hayraddin reprit la parole:—Oui, je vous assure que je vous voulais du bien, Hameline était la femme qui vous convenait; vous en auriez fait ce que vous auriez voulu; vous voyez qu'elle n'a pas même fait fi du Sanglier des Ardennes, quoiqu'il ne se soit pas donné grande peine pour lui faire la cour; et elle règne dans sa bauge comme si elle avait été accoutumée toute sa vie à vivre de glands et de faînes.

—Finis des plaisanteries si grossières et qui viennent si mal à propos, ou, je te le dis encore une fois, je t'abandonne à ta destinée.

—Vous avez raison, dit Hayraddin après une pause d'un instant; il faut savoir faire face à ce qu'on ne peut éviter. Sachez donc que je suis venu ici sous ce maudît déguisement dans l'espoir de recevoir une riche récompense de de la Marck, et une encore plus riche du roi Louis, non-seulement pour porter au duc le message dont vous avez pu entendre parler, mais pour apprendre au roi un secret important.

—C'était courir un grand risque.

—Aussi étais-je grandement payé, mais cela a mal tourné. De la Marck avait déjà essayé de communiquer avec Louis par le moyen de Marton; mais il paraît qu'elle n'a pu arriver que jusqu'à l'astrologue, à qui elle a raconté tout ce qui s'est passé dans le voyage à Schonwaldt; c'est un grand hasard si le roi en entend jamais parler, à moins que ce ne soit sous la forme d'une prophétie. Mais écoutez mon secret, qui est plus important que tout ce qu'elle aurait pu dire. Guillaume de la Marck a assemblé une troupe nombreuse dans la ville de Liège, et il l'augmente tous les jours par le moyen des trésors du vieux prêtre. Mais il n'a pas dessein de risquer une bataille rangée contre la chevalerie de Bourgogne, et encore moins de soutenir un siège dans une place démantelée. Voici ce qu'il compte faire. Il laissera cette tête chaude de Charles camper devant la ville sans opposition, et la nuit suivante il fera une sortie contre lui avec toutes ses forces. Un certain nombre de ses troupes porteront l'uniforme de soldats français, et crieront:—France! saint Louis! Montjoye! saint Denis!—Cela ne pourra manquer de jeter la confusion parmi les Bourguignons, qui croiront qu'un corps nombreux d'auxiliaires français est arrivé dans la ville; et si le roi Louis, avec ses gardes, sa suite et les soldats qu'il pourra avoir, veut seconder ses efforts, le Sanglier des Ardennes ne doute pas de la déconfiture totale de l'armée bourguignonne. Voilà mon secret, et je vous le donne; faites-en ce qu'il vous plaira; vendez-le au roi Louis ou au duc Charles. Favorisez ce projet, ou empêchez-le de réussir. Sauvez ou perdez qui bon vous semblera, je ne m'en soucie guère. Tout mon regret, c'est de ne pouvoir le faire éclater comme une mine, pour la destruction des deux partis.

—C'est véritablement un secret important, dit Quentin qui comprit sur-le-champ combien il était facile d'éveiller le ressentiment national dans un camp composé partie de Français, partie de Bourguignons.

—Oui, important, dit Hayraddin; et maintenant que vous le possédez, vous voudriez déjà être bien loin, et me quitter sans me rendre le service pour lequel je vous ai payé d'avance.

—Dis-moi ce que tu désires, et je te l'accorderai si cela m'est possible.

—Cela ne vous sera pas difficile, répondit Hayraddin. Il s'agit du pauvre Klepper, de mon cheval, seul être vivant qui puisse s'apercevoir de ma perte. à un mille d'ici, vers le sud, vous le trouverez paissant près de la cabane déserte d'un charbonnier. Sifflez comme ceci (et en même temps il siffla d'une manière particulière); appelez-le par son nom de Klepper, et il viendra à vous. Voici sa bride que j'avais cachée sous mes habits; et il est heureux que ces chiens de coquins ne me l'aient pas prise, car il n'en peut souffrir d'autre. Prenez-le, et ayez-en soin, je ne dirai pas par amour pour son maître, mais parce que j'ai mis à votre disposition l'événement d'une journée importante Il ne vous manquera jamais au besoin. La nuit et le jour, l'avoine et le son, les bons et les mauvais chemins, une bonne écurie ou la voûte des cieux, tout est égal pour Klepper; si j'avais pu gagner la porte de Péronne, et arriver à l'endroit où je l'ai laissé, je n'en serais pas où j'en suis. Prendrez-vous bien soin de Klepper?

—Je vous le promets, répondit Quentin, affecté par ce trait d'attachement singulier dans un caractère si endurci.

—Adieu donc! Un moment pourtant, un moment. Je ne veux pas être assez discourtois pour oublier, en mourant, la commission d'une dame. Voici un billet écrit par la très-gracieuse et très-sotte épouse du Sanglier des Ardennes à sa nièce aux yeux noirs. Je vois dans vos regards que vous vous acquitterez volontiers de mon message. Encore un mot: j'allais oublier de vous dire que vous trouverez dans les entrailles de ma selle une bourse bien remplie de pièces d'or, celles qui m'ont déterminé à courir l'aventure dont l'issue me coûte si cher. Prenez-les, elles vous indemniseront au centuple des guilders que vous avez donnés à ces coquins; je vous fais mon héritier.

—Je les emploierai en bonnes œuvres, et en messes pour le repos de ton âme.

—Ne prononce plus ce mot, s'écria Hayraddin, et sa physionomie prenant une expression qui fit frémir Quentin:—Il n'y a point d'âme, il ne peut pas y en avoir, c'est un rêve inventé par les prêtres.

—Malheureux aveugle! reviens à de meilleures pensées; laisse-moi t'envoyer un prêtre; j'obtiendrai de ces gens un nouveau délai, j'achèterai leur complaisance. Que peux-tu espérer, si tu meurs dans des sentimens d'impénitence?

—D'être rendu aux élémens, répondit l'athée endurci, en pressant contre sa poitrine ses bras chargés de liens. Ma croyance, mon désir, mon espoir, c'est que le composé mystérieux de mon corps se fondra dans la masse générale d'où la nature tire ce dont elle a besoin pour reproduire ce qu'on voit disparaître tous les jours. Les particules d'eau qui se trouvent en moi enrichiront les fontaines et les ruisseaux, les particules de terre fertiliseront le sol, celles de l'air entretiendront le souffle des vents, et celles du feu alimenteront les rayons d'Aldeboran et de ses frères. Telle est la foi dans laquelle j'ai vécu, dans laquelle je veux mourir. Adieu, retirez-vous; ne me troublez pas davantage; j'ai prononcé le dernier mot que les oreilles d'un homme entendront sortir de ma bouche.

Saisi d'horreur, Durward vit bien qu'il était inutile de chercher à faire comprendre à Hayraddin les terreurs de son avenir. Il lui fit donc ses adieux, et le Bohémien n'y répondit que par un signe de tête, avec l'air distrait et morose d'un homme plongé dans une rêverie qu'il voit interrompre avec regret. Quentin entra dans la forêt, et trouva aisément la chaumière près de laquelle Klepper avait été laissé. Il siffla et l'appela, et l'animal arriva à l'instant. Mais il se passa quelque temps avant qu'il voulût se laisser prendre. Il se cabrait dès que l'étranger s'en approchait. Enfin, la connaissance générale que Durward avait des habitudes du cheval, et peut-être celle qu'il avait acquise du caractère particulier de Klepper, ayant souvent admiré cet animal pendant le voyage qu'il avait fait avec Hayraddin, le mirent en état de prendre possession du legs que venait de lui faire le Bohémien.

Long-temps avant que Quentin fût rentré à Péronne, Hayraddin était allé où la vanité de sa croyance impie devait être mise à l'épreuve; épreuve terrible pour un coupable qui n'avait exprimé ni remords pour le passé ni crainte pour l'avenir.


CHAPITRE XXXV.

Le Prix de la Bravoure.

«Heureuse la beauté quand un brave l'obtient.»

Le comte Palatin.

LORSQUE Quentin Durward arriva à Péronne, le conseil d'état était assemblé, et le résultat de cette délibération devait être bien plus intéressant pour lui qu'il n'aurait pu le supposer; en effet, quoique composée de personnes dont le rang ne permettait pas de croire qu'elles pussent avoir avec lui un seul intérêt commun, cette réunion eut pourtant l'influence la plus extraordinaire sur sa destinée.

Le roi Louis, après s'être amusé de l'intermède de l'envoyé de Guillaume de la Marck, n'avait laissé échapper aucune occasion de cultiver le retour d'affection que cette circonstance paraissait avoir inspiré au duc, et il s'était occupé à se concerter avec lui, on pourrait presque dire à recevoir son opinion, sur le nombre et la qualité des soldats dont il devait se faire accompagner pour suivre le duc de Bourgogne, comme auxiliaire, dans son expédition contre Liège. Il vit clairement, par le soin que mit Charles à ne demander qu'un très-petit nombre de troupes, et à insister pour qu'elles fussent accompagnées par des Français du premier rang, que son but était d'avoir des otages plutôt que des auxiliaires. Cependant, n'oubliant pas les avis que lui avait donnés d'Argenton, il consentit à tout ce que le duc lui demanda à ce sujet, d'aussi bonne grâce que s'il eût agi de son propre mouvement.

Il ne manqua pourtant pas de s'indemniser de cette complaisance en faisant retomber les effets de son humeur vindicative sur le cardinal de La Balue, dont les conseils l'avaient déterminé à accorder une confiance si excessive au duc de Bourgogne. Tristan porta l'ordre du départ des forces auxiliaires qui devaient marcher contre Liège, et il fut chargé en outre de conduire le cardinal au château de Loches, et de l'enfermer dans une de ces cages de fer dont on assure qu'il était lui-même l'inventeur[81].

—Il pourra juger ainsi du mérite de son invention, dit le roi; il appartient à la sainte église, et nous ne devons pas répandre son sang; mais, Pâques-Dieu! si d'ici à dix ans son évêché est resserré dans d'étroites limites, il en sera dédommagé par des remparts imprenables.—Prends soin que les troupes se mettent en marche sur-le-champ.

Peut-être Louis, par cette prompte complaisance, espérait-il éluder une condition plus désagréable pour lui, que le duc avait attachée à leur réconciliation. Mais s'il avait conçu cette espérance, il ne connaissait pas encore bien le caractère de son cousin, qui, le plus opiniâtre de tous les hommes dans ses résolutions, était le moins disposé à se relâcher de ce que le ressentiment d'une injure supposée ou de l'esprit de vengeance lui avait fait une fois exiger.

à peine Louis, avait-il expédié les messagers, nécessaires pour faire marcher les troupes qui devaient agir comme auxiliaires de la Bourgogne, que le duc le requit de donner publiquement son consentement au mariage du duc d'Orléans avec Isabelle de Croye. Le roi y consentit en poussant un profond soupir, et se borna à faire observer qu'il convenait préalablement de s'assurer du consentement du duc d'Orléans lui-même.

—Cette formalité n'a pas été négligée, répondit Charles: Crèvecœur en a parlé à monseigneur d'Orléans, et, chose étrange, il l'a trouvé tellement insensible à l'honneur d'épouser la fille d'un roi, qu'il a regardé la proposition de recevoir la main de la comtesse de Croye comme l'offre la plus agréable que le meilleur des pères pût lui faire.

—Il n'en est que plus ingrat et plus coupable, dit le roi; mais il en sera tout ce que vous voudrez, beau cousin, pourvu que vous puissiez obtenir le consentement de toutes les parties intéressées.

—Quant à cela, soyez sans inquiétude, répondit le duc; et, en conséquence, quelques minutes après que cette affaire avait été proposée, on manda devant les deux princes le duc d'Orléans et la comtesse de Croye, qui arriva encore accompagnée de la comtesse de Crèvecœur et de l'abbesse des Ursulines. Le duc de Bourgogne leur annonça que la sagesse des deux princes avait décidé leur union, comme un gage de l'alliance perpétuelle qui devait régner désormais entre la France et la Bourgogne. Louis entendit cette déclaration sans y faire aucune objection, gardant un sombre silence, et sentant vivement l'atteinte portée à son autorité.

Le duc d'Orléans eut beaucoup de peine à réprimer les transports de joie que lui causa cette nouvelle; mais la délicatesse ne lui permettait pas de s'y livrer ouvertement en présence de Louis; il fallut toute la crainte que lui inspirait habituellement ce monarque pour qu'il pût réprimer ses propres désirs et se borner à répondre qu'il était de son devoir de laisser son choix à la disposition de son souverain.

—Beau cousin d'Orléans, dit Louis du ton le plus grave, puisqu'il faut que je parle dans une occasion si peu agréable, je n'ai pas besoin de vous rappeler que la justice que je rendais à votre mérite m'avait porté à vous choisir une épouse dans ma propre famille; mais puisque mon cousin de Bourgogne trouve qu'en disposant autrement de votre main ce sera le gage le plus sûr de l'union qui doit régner entre ses états et les miens, j'ai cet objet trop à cœur pour ne pas y sacrifier mes désirs et mes espérances.

Le duc d'Orléans se jeta à ses genoux, et baisa avec un attachement sincère pour cette fois la main que le roi lui présentait en détournant le visage. Dans le fait, il vit, ainsi que tous les témoins de cette scène, que le roi ne donnait ce consentement qu'à contre-cœur; car ce monarque, adepte dans l'art de la dissimulation, voulait en cette circonstance que sa répugnance fût visible, et qu'on reconnût en lui un roi renonçant à son projet favori et immolant la tendresse paternelle à l'intérêt et aux besoins de ses états. Le duc de Bourgogne lui-même éprouva quelque émotion, et le cœur de d'Orléans tressaillit d'une joie involontaire en se trouvant dégagé ainsi des liens qui le joignaient à la princesse Jeanne. S'il avait su de quelles malédictions le roi le chargeait en ce moment, et à quels projets de vengeance il se livrait déjà, probablement que sa délicatesse ne lui eût pas paru tant compromise.

Charles se tournant alors vers la jeune comtesse, lui annonça d'un ton brusque que l'union projetée était une affaire qui n'admettait ni délai ni hésitation, ajoutant que c'était là un résultat, qui n'était que trop heureux pour elle, de l'opiniâtreté qu'elle avait montrée dans une autre occasion.

—Monseigneur, dit Isabelle appelant tout son courage à son aide, je connais les droits de Votre Altesse, et je m'y soumets.

—Suffit! suffit! dit le duc en l'interrompant. Votre Majesté, continua-t-il en se tournant vers Louis, a eu ce matin le divertissement d'une chasse au sanglier, voudrait-elle prendre maintenant celle d'une chasse au loup?

La jeune comtesse vit la nécessité de s'armer de fermeté.—Votre Altesse ne m'a pas bien comprise, lui dit-elle avec timidité, mais assez haut et d'un ton assez décidé pour forcer le duc à lui accorder une attention qu'une sorte de prévoyance de ce qu'elle allait dire l'aurait volontiers porté à lui refuser.—La soumission dont je parle n'a rapport qu'aux terres et aux domaines que les ancêtres de Votre Altesse ont octroyés aux miens, et que je remets à la disposition de la maison de Bourgogne, si mon souverain pense que ma désobéissance sur un seul point me rende indigne de les conserver.

—Ah! de par saint George! s'écria le duc en frappant du pied avec fureur, la sotte sait-elle en présence de qui elle se trouve, et à qui elle parle?

—Monseigneur, répondit-elle sans se déconcerter, je sais que je suis devant mon suzerain, et j'espère encore en sa justice. Si vous me privez des biens que la générosité de vos ancêtres a donnés à ma maison, vous rompez les liens qui nous attachaient à la vôtre. Ce n'est pas à vous que je dois ce corps humble et persécuté, ni l'esprit qui l'anime; j'ai dessein de consacrer l'un et l'autre à Dieu dans le couvent des Ursulines, et d'y vivre sous la direction de cette sainte mère abbesse.

La colère du duc ne connut plus de frein, et sa surprise ne peut se comparer qu'à celle qu'éprouverait un faucon, s'il voyait une colombe hérisser ses plumes pour lui résister.

—Et la sainte mère abbesse vous recevra-t-elle sans dot? lui demanda-t-il avec une ironie méprisante.

—Si, en me recevant ainsi, répondit Isabelle, elle fait d'abord quelque tort à son couvent, je me flatte qu'il reste assez de charité parmi les nobles amis de ma famille pour qu'ils ne laissent pas sans secours une orpheline, dernier rejeton de la maison de Croye, et qui veut se consacrer à Dieu.

—Cela est faux! s'écria le duc: c'est un prétexte pour couvrir quelque secrète et indigne passion. Monseigneur d'Orléans, elle sera à vous, quand je devrais la traîner à l'autel de mes propres mains.

La comtesse de Crèvecœur, femme d'un haut courage et qui comptait sur le mérite de son mari et sur la faveur dont il jouissait, ne put garder plus long-temps le silence.—Monseigneur, dit-elle au duc, votre courroux vous dicte un langage indigne de vous. La force ne peut disposer de la main d'une femme issue de sang noble.

—Et il ne convient pas à un prince chrétien, ajouta l'abbesse, de s'opposer aux désirs d'une âme pieuse qui, fatiguée des soucis et des persécutions du monde, veut devenir l'épouse de Dieu.

—Et mon cousin d'Orléans, dit Dunois, ne peut accepter honorablement des propositions de mariage avec une femme qui y fait publiquement de telles objections.

—Si l'on m'accordait quelque temps, dit d'Orléans sur qui les charmes d'Isabelle avaient fait une profonde impression, pour tâcher de faire voir mes prétentions à la belle comtesse sous un jour plus favorable...

—Monseigneur, dit Isabelle, puisant un nouvel encouragement dans ce qu'elle venait d'entendre, ce délai serait parfaitement inutile: mon parti est pris de refuser cette alliance, quoique infiniment au-dessus de ce que je mérite.

—Et moi, dit le duc de Bourgogne, je n'ai pas le temps d'attendre que ces caprices changent avec la première phase de la lune. Monseigneur d'Orléans, elle apprendra d'ici à une heure que l'obéissance est pour elle une affaire de nécessité.

—Ce ne sera pas en ma faveur, monseigneur, répondit le prince, qui sentit que l'honneur ne lui permettait pas de se prévaloir de l'opiniâtreté du duc. Avoir été refusé une fois positivement et publiquement, c'en est assez pour un fils de France; il ne peut après cela conserver aucune prétention.

Le duc lança un regard furieux d'abord sur d'Orléans, et ensuite sur Louis; et voyant dans les traits de celui-ci un air de triomphe secret, que le roi, en dépit de tous ses efforts, ne pouvait entièrement dissimuler, sa fureur éclata comme une tempête.

—écrivez, s'écria-t-il en se tournant vers le secrétaire du conseil, écrivez notre sentence de confiscation et d'emprisonnement contre cette vassale rebelle et insolente. Qu'elle soit enfermée au Zucht-haus, dans la maison de pénitence, et qu'elle y ait pour compagnes celles que leurs désordres ont rendues ses rivales en effronterie!

Un murmure général s'éleva dans l'assemblée.

—Monseigneur, dit le comte de Crèvecœur se chargeant de porter la parole pour les autres, un tel ordre mérite de plus mûres réflexions. Nous, vos fidèles vassaux, nous ne pouvons souffrir qu'une telle tache soit imprimée sur la noblesse et la chevalerie de Bourgogne. Si la comtesse est coupable, qu'elle soit punie; mais que ce soit d'une manière convenable à son rang comme au nôtre, et qui n'ait point à nous faire rougir, nous qui sommes unis à sa maison par le sang et les alliances.

Le duc garda un instant le silence, regardant en face celui qui venait de lui parler ainsi, avec l'air d'un taureau que son conducteur force à s'écarter du chemin qu'il veut suivre, et qui délibère s'il obéira ou s'il se précipitera sur lui pour le lancer en l'air avec ses cornes.

La prudence l'emporta pourtant sur la fureur. Le duc vit que les sentimens que Crèvecœur venait d'exprimer étaient partagés par tous ses conseillers; il craignit que Louis ne pût tirer quelque avantage du mécontentement de ses vassaux, et probablement (car il était d'un caractère bouillant et violent plutôt que méchant) il rougit lui-même du honteux excès auquel il s'était laissé emporter.

—Vous avez raison, Crèvecœur, dit-il; j'ai parlé trop à la hâte. Son destin sera déterminé d'après les lois de la chevalerie; sa fuite dans les états du roi Louis a été le signal du meurtre de l'évêque de Liège: le vengeur de ce crime, celui qui nous rapportera la tête du Sanglier des Ardennes, réclamera de nous sa main pour récompense; et si elle refuse de la lui donner, il obtiendra de nous tous ses domaines, et nous laisserons à sa générosité le soin de lui accorder telle somme qu'il jugera convenable pour qu'elle puisse se retirer dans un couvent.

—Monseigneur, dit Isabelle, songez que je suis la fille de votre ancien ami, de votre fidèle et vaillant serviteur, le comte Reinold! Voudriez-vous faire de moi un prix pour le bras qui sait le mieux manier l'épée?

—La main de votre aïeule a été gagnée dans un tournoi, répondit le duc; on combattra pour la vôtre dans une bataille véritable. Seulement, et par égard pour la mémoire du comte Reinold, votre époux devra être gentilhomme et jouir d'une réputation sans tache. Mais quel que soit le vainqueur de Guillaume de la Marck, fût-il le plus pauvre de tous ceux qui ont jamais bouclé un baudrier, il aura du moins le droit de disposer de votre main; j'en fais serment par saint George, par ma couronne ducale, par l'ordre que je porte. Eh bien! messieurs, ajouta-t-il en se tournant vers ses conseillers, je me flatte que cela est conforme aux lois de la chevalerie?

Les remontrances d'Isabelle se perdirent dans les acclamations d'un assentiment universel, et l'on entendît par-dessus toutes les autres voix celle du vieux lord Crawford, qui regrettait que le poids des années l'empêchât de prétendre à un si beau prix. Le duc fut satisfait de ce murmure général d'applaudissemens, et sa violence commença à se calmer, comme celle d'une rivière débordée dont les eaux rentrent dans leur lit ordinaire.

—Et nous à qui le sort a déjà donné des compagnes, dit Crèvecœur, sommes-nous donc condamnés à n'être que spectateurs de cette lutte glorieuse? Mon honneur ne me le permet pas; j'ai fait un vœu, et je dois l'accomplir aux dépens de cette brute aux cruelles défenses et au crin hérissé de ce scélérat de la Marck.

—Eh bien! courage, Crèvecœur! dit le duc; frappe d'estoc et de taille; gagne-la, et si tu ne peux la prendre pour toi-même, tu en disposeras comme tu le voudras; tu la donneras au comte étienne, ton neveu, si bon te semble.

—Grand merci, monseigneur, répondit Crèvecœur. Je ferai de mon mieux dans la mêlée, et si je réussis à débusquer le Sanglier et à l'abattre, étienne verra si son éloquence peut l'emporter sur celle de la digne abbesse.

—Je me flatte, dit Dunois, qu'il n'est pas défendu aux chevaliers français de disputer un si beau prix.

—à Dieu ne plaise, brave Dunois, répliqua le duc, quand ce ne serait que pour le plaisir de vous voir faire de votre mieux. Je consens volontiers que la comtesse Isabelle épouse un Français. Cependant, ajouta-t-il, il est entendu que le comte de Croye doit devenir vassal de la Bourgogne.

—C'en est assez, s'écria Dunois, la barre d'illégitimité de mon écu ne sera jamais surmontée de la couronne de comte de Croye. Je veux vivre et mourir Français; mais tout en renonçant aux domaines, je puis frapper d'estoc et de taille pour la dame.

Le Balafré n'osa élever la voix dans une telle assemblée, mais il murmura tout bas:

—Allons, Saunders Souplesaw, songe à ta promesse. Tu as toujours dit que la fortune de notre maison se ferait par un mariage; jamais tu ne trouveras une si belle occasion de tenir ta parole.

—Personne ne pense à moi, dit le Glorieux; je suis pourtant plus sûr qu'aucun de vous de remporter le prix.

—Tu as raison, mon sage ami, lui dit Louis; quand il s'agit d'une femme, le plus grand fou est toujours le plus favorisé.

Tandis que les princes et les seigneurs de leur suite plaisantaient ainsi sur le destin d'Isabelle, l'abbesse et la comtesse de Crèvecœur, qui s'étaient retirées avec elle, cherchaient en vain à la consoler. La première l'assurait que la sainte Vierge ne permettrait pas qu'on réussît à l'obliger de renoncer à sa résolution de se consacrer à Dieu dans l'enceinte d'une maison protégée par sainte Ursule. La seconde lui donnait des consolations plus mondaines, en lui disant qu'aucun chevalier digne de ce nom, qui aurait réussi dans l'entreprise au succès de laquelle le duc avait attaché le don de sa main et de ses biens, ne voudrait en profiter pour contraindre ses inclinations; et elle ajouta même qu'il pouvait arriver que l'heureux vainqueur obtint grâce à ses yeux, et trouvât le moyen de la réconcilier avec l'obéissance.

L'amour, comme le désespoir, prendrait un fétu de paille pour appui: quelque faible et quelque vague que fût l'espérance que lui présentait ce discours, Isabelle pleura avec moins d'amertume en l'écoutant.


CHAPITRE XXXVI.

L'Attaque.

«L'infortuné qui va périr
«Ne perd pas toute confiance;
«Chaque coup qui le fait gémir,
«Réveille en son cœur l'espérance.

«Telle qu'un propice rayon,
«L'espérance embellit notre courte carrière,
«Et quand la nuit obscurcit l'horizon,
«Plus brillante à nos yeux se montre sa lumière.

GOLDSMITH.

IL s'était écoulé peu de jours quand Louis reçut, avec le sourire de la vengeance satisfaite, la nouvelle que son conseiller favori, le cardinal de La Balue, gémissait dans une cage de fer, où il ne pouvait ni se tenir debout, ni s'étendre de son long, et où il resta, soit dit en passant, près de douze ans par ordre de ce monarque impitoyable.

Les forces auxiliaires que le duc avait requises étaient arrivées, et quoique trop peu nombreuses pour lutter contre l'armée bourguignonne, si tel eût été le dessein du roi, elles étaient du moins suffisantes pour protéger sa personne, et cette réflexion lui offrait quelque consolation. D'une autre part, il se voyait libre de reprendre son projet de mariage entre le duc d'Orléans et sa fille, et quoiqu'il sentît quel affront c'était pour lui de servir avec ses plus nobles pairs sous la bannière d'un vassal, et contre un peuple dont il avait favorisé la cause, il se mit peu en peine de cette circonstance, espérant bien prendre sa revanche quelque jour; car, comme il le dit à son fidèle Olivier, au jeu, le hasard peut faire une levée, mais c'est la patience et l'expérience qui finissent par gagner la partie.

Se livrant à de telles réflexions, Louis, par un beau jour de la fin de l'été, monta à cheval; et s'inquiétant peu qu'on le regardât comme marchant à la suite d'un vainqueur triomphant plutôt que comme un monarque indépendant environné de ses gardes et de ses chevaliers, il sortit de Péronne, et passa sous la porte gothique de cette ville pour aller joindre l'armée bourguignonne en marche sur Liège.

Un grand nombre de dames de distinction, alors dans Péronne, étaient sur les remparts, parées de leurs plus riches atours, pour voir passer les guerriers. La comtesse de Crèvecœur y avait conduit Isabelle, qui ne l'y avait suivie qu'avec beaucoup de répugnance; mais Charles avait ordonné impérieusement que celle qui devait être la récompense du vainqueur se montrât aux chevaliers se rendant aux tournois.

Pendant qu'ils défilaient, on vit plus d'une bannière et plus d'un bouclier avec de nouveaux emblèmes qui exprimaient la résolution formée par bien des chevaliers de chercher à mériter un si beau prix. Ici, c'était un coursier s'élançant dans la carrière; là, une flèche lancée contre un but; un chevalier portait sur son écu un cœur percé d'un trait, pour indiquer sa passion; un autre portait une tête de mort et une couronne de lauriers, pour annoncer sa détermination de vaincre ou de mourir. Il serait trop long de décrire tous ces emblèmes, et il en existait quelques-uns qu'on avait eu l'art de rendre si compliqués et si obscurs, qu'ils auraient défié la science du plus habile interprète. On peut bien croire aussi que chaque chevalier fit faire à son coursier les courbettes les plus élégantes, et prit sur sa selle l'attitude la plus gracieuse, en passant en revue devant ce bel essaim de dames et de demoiselles qui encourageaient la valeur par d'agréables sourires et en agitant leurs voiles et leurs mouchoirs. Les archers de la garde, choisis presque homme à homme parmi la fleur de la nation écossaise, attirèrent surtout les regards et les applaudissemens par leur bonne tenue et par la magnificence de leur costume.

Ce fut même un de ces étrangers qui se hasarda à faire une attention particulière à la comtesse Isabelle, et à prouver qu'il la connaissait, ce que n'avaient point osé se permettre les plus nobles chevaliers français. Quentin Durward, en passant devant la jeune comtesse, lui présenta respectueusement au bout de sa lance la lettre de sa tante, que lui avait remise Hayraddin.

—Sur mon honneur, s'écria le comte de Crèvecœur, vit-on jamais insolence égale à celle de cet indigne aventurier?

—Ne le nommez pas ainsi, Crèvecœur, dit Dunois; j'ai de bonnes raisons pour rendre témoignage à sa valeur; et c'est pour cette dame même qu'il en a fait preuve.

—Voilà beaucoup de paroles pour peu de chose, dit Isabelle rougissant de honte et de ressentiment; c'est une lettre de ma malheureuse tante; elle m'écrit avec enjouement, quoique sa situation doive être épouvantable.

—Voyons, voyons, dit Crèvecœur, faites-nous part de ce que vous dit la femme du Sanglier.

La comtesse Isabelle lut la lettre, dans laquelle sa tante semblait chercher à faire valoir le mieux possible un mauvais marché, et à justifier le peu de décorum de son mariage précipité, par le bonheur qu'elle avait d'avoir pour époux un des hommes les plus braves du siècle, qui venait d'acquérir une principauté par sa valeur. Elle suppliait sa nièce de ne pas juger de son Guillaume, comme elle l'appelait, par ce qu'elle en entendait dire, mais d'attendre qu'elle le connût personnellement. Sans doute il avait ses défauts, mais c'étaient des défauts qui lui étaient communs avec des hommes pour qui elle avait toujours eu la plus grande vénération. Il aimait le vin: le brave sire Godfrey, un de leurs aïeux, ne l'avait pas moins aimé; il avait le caractère un peu violent et même sanguinaire: tel avait été le père d'Isabelle, le comte Reinold, de bienheureuse mémoire; il était brusque dans ses discours: quel Allemand ne l'était pas? un peu volontaire et impérieux: quel homme n'aimait pas à dominer? Ces comparaisons justificatives s'étendaient encore davantage, et la vieille comtesse finissait par inviter Isabelle à tâcher d'échapper au pouvoir du tyran de Bourgogne, à l'aide du porteur de sa lettre, et à venir à la cour de son affectionnée parente à Liège, où les petites difficultés qui pouvaient exister entre elles, relativement à leurs droits mutuels de succession au comté de Croye s'arrangeraient facilement au moyen du mariage d'Isabelle avec Carl Eberson, un peu plus jeune que sa future épouse, à la vérité; mais cette différence d'âge, comme le croyait la comtesse Hameline, peut-être par expérience, était un inconvénient plus facile à supporter qu'Isabelle ne pouvait se l'imaginer.

Ici Isabelle s'arrêta, l'abbesse ayant fait observer, avec un air de prude, que c'était s'occuper trop long-temps de vanités mondaines, et le comte de Crèvecœur s'étant écrié:—Au diable soit la sorcière menteuse! Quoi! sa lettre ressemble au sale appât d'une souricière. Fi! cent fois fi, vieille pétrie d'imposture!

La comtesse de Crèvecœur reprocha gravement à son mari une apostrophe qui lui semblait trop violente.—De la Marck, dit-elle, peut avoir trompé la comtesse Hameline par une apparence de courtoisie.

—Lui! montrer une apparence de courtoisie? s'écria le comte: non, non, je l'absous du péché de dissimulation à cet égard. De la courtoisie! autant vaudrait en attendre d'un véritable sanglier; autant vaudrait essayer d'étendre une feuille d'or sur le vieux fer rouillé d'un carcan. Non, vous dis-je, tout idiote qu'elle est, elle n'est pas encore tout-à-fait assez bornée pour s'amouracher du renard qui l'a happée, et, cela même dans son terrier. Mais vous autres femmes, vous vous ressemblez toutes: il ne vous faut que quelques belles paroles; et j'ose dire que voici ma jolie cousine qui meurt d'envie d'aller joindre sa tante dans le paradis de ce fou, et d'épouser le marcassin.

—Bien loin d'être capable d'une telle folie, dit Isabelle, je désire doublement la punition du meurtrier du bon évêque, afin que ma tante ne soit plus au pouvoir d'un tel scélérat.

—Je reconnais la voix d'une de Croye, dit Crèvecœur.

—Et il ne fut plus question de la lettre.

Mais il est à propos de faire observer qu'Isabelle, en lisant à ses amis l'épître de sa tante, ne jugea pas nécessaire de leur faire part d'un certain postscriptum dans lequel la comtesse Hameline, en véritable femme, lui rendait compte de ses occupations, et lui disait qu'elle avait pour le présent suspendu la broderie d'un riche surtout qu'elle destinait à son mari, et qui porterait les armes réunies de Croye et de de la Marck, attendu que son Guillaume avait résolu, par suite d'un projet politique, de faire porter ses armes et son costume par quelques-uns de ses gens, dans la première affaire qui aurait lieu, et de prendre lui-même les armoiries d'Orléans avec la barre d'illégitimité; en d'autres termes, celles de Dunois. On avait aussi glissé dans la lettre un petit billet dont elle ne jugea pas devoir communiquer le contenu, qui ne consistait qu'en ce peu de mots d'une écriture différente:

—Si vous n'entendez pas bientôt la renommée parler de moi, concluez-en que je suis mort, mais d'une manière digne de vous.

Une pensée qu'elle avait jusqu'alors repoussée comme invraisemblable se présenta à l'esprit d'Isabelle, avec une nouvelle force; et comme l'esprit d'une femme manque rarement de moyens pour exécuter ce qu'elle a projeté, elle arrangea si bien les choses, qu'avant que les troupes fussent en pleine marche, Durward reçut, par une main inconnue, la lettre de la comtesse Hameline, avec trois croix en marge du postscriptum, pour y attirer son attention, et avec l'addition de ce peu de mots:—Celui qui ne craignit pas les armes de Dunois quand elles brillaient sur la poitrine du brave guerrier à qui elles appartiennent légitimement, ne peut les redouter quand il les verra sur celle d'un tyran et d'un meurtrier.

Le jeune Écossais baisa et pressa sur son cœur mille et mille fois cet avis utile; car il lui montrait le sentier dans lequel l'attendaient l'honneur et l'amour, et il lui apprenait un secret inconnu à tout autre pour reconnaître celui dont la mort seule pouvait donner la vie à ses espérances, secret qu'il résolut prudemment de cacher avec soin dans son sein.

Il vit pourtant la nécessité d'agir autrement relativement à l'avis que lui avait donné Hayraddin, puisque la sortie que de la Marck se proposait de faire pouvait causer la destruction de l'armée des assiégeans, si l'on ne déjouait son stratagème, tant il est difficile, dans le genre de guerre encore peu régulier qui était alors en usage, de se remettre d'une surprise nocturne. Après avoir bien réfléchi à la résolution qu'il avait déjà prise de donner avis de cette ruse, il ajouta celle de ne le faire que personnellement et aux deux princes réunis, peut-être parce qu'il craignait que s'il apprenait à Louis en particulier un complot si adroit et si bien ourdi, ce ne fût une tentation trop forte pour la probité équivoque de ce monarque, et qu'il ne lui prît envie de seconder le projet, au lieu d'en empêcher l'accomplissement. Il se détermina donc à attendre, pour révéler ce secret, que Louis et Charles se trouvassent ensemble; et cette occasion pouvait tarder de se présenter, car aucun d'eux n'était particulièrement épris de la contrainte que lui imposait la société de l'autre.

Cependant l'armée confédérée continuait sa marche, et elle entra bientôt sur le territoire de Liège. Là les soldats bourguignons, ou du moins une partie d'entre eux, c'est-à-dire ces bandes auxquelles on avait donné le surnom d'escorcheurs, montrèrent qu'ils méritaient ce titre honorable par la manière dont ils traitèrent les habitans des villages, sous prétexte de venger la mort de l'évêque. Cette conduite fit grand tort à la cause de Charles; car les paysans maltraités, qui auraient pu rester neutres dans cette querelle, prirent les armes pour se défendre, harassèrent sa marche, attaquèrent les détachemens qui s'écartaient du corps d'armée, et, se repliant enfin sur Liège, allèrent augmenter les forces de ceux qui avaient résolu de défendre cette ville avec le courage du désespoir. Les Français, au contraire, en petit nombre, et formant l'élite des troupes de leur pays, restaient toujours sous leurs bannières, conformément aux ordres du roi, et observaient la plus stricte discipline; ce contraste augmentait les soupçons de Charles, qui ne put s'empêcher de remarquer qu'ils agissaient en amis de Liège plutôt qu'en alliés de la Bourgogne.

Enfin l'armée combinée, sans avoir éprouvé aucune opposition sérieuse, arriva dans la riche vallée de la Meuse, devant la grande et populeuse cité de Liège. On vit que le château de Schonwaldt avait été rasé, et l'on apprit que Guillaume de la Marck, qui n'avait d'autres vertus que quelques talens militaires, rassemblant toutes ses forces dans la ville, avait résolu d'éviter une rencontre en rase campagne avec les armées de France et de Bourgogne; mais on ne fut pas long-temps sans éprouver le danger qu'il y a toujours à attaquer une grande ville, quoique ouverte, lorsque les habitans ont résolu de se défendre avec opiniâtreté.

Liège ayant été démantelée, et ses murailles offrant de larges brèches, les Bourguignons composant l'avant-garde s'imaginèrent que rien ne pouvait les empêcher de pénétrer dans cette ville. Ils entrèrent donc sans précautions dans un des faubourgs, en poussant de grands cris:—Bourgogne! Bourgogne!—tue! tue!—tout ici est à nous!—Souvenez-vous de Louis de Bourbon! Mais comme ils marchaient en désordre dans des rues étroites, et qu'ils se dispersaient pour piller, un corps nombreux d'habitans s'élança tout à coup de la ville, tomba sur eux avec fureur, et en fit un carnage considérable. De la Marck profita même des brèches des murailles pour faire sortir en même temps les défenseurs de la ville par plusieurs points, et ces détachemens entrant de différens côtés dans le faubourg, attaquèrent les assaillans de front, sur les flancs et par derrière. Ceux-ci, surpris par une attaque si vive, et par des ennemis qui semblaient se multiplier, se servirent à peine de leurs armes pour se défendre, et la nuit, qui commençait à tomber, ajouta à la confusion.

Lorsque le duc apprit cette nouvelle, il fut saisi d'un transport de rage qui ne s'apaisa guère par l'offre du roi Louis d'envoyer ses hommes d'armes français porter du secours à l'avant-garde pour la dégager. Rejetant cette offre d'un ton sec, il voulait se mettre lui-même à la tête de sa garde; mais Crèvecœur et d'Hymbercourt le prièrent de les charger de ce service, et marchant vers la scène de l'action sur deux points, avec plus d'ordre, et de manière à se soutenir mutuellement, ces deux célèbres capitaines réussirent à repousser les Liégeois et à dégager l'avant-garde, qui, indépendamment des prisonniers, ne perdit pas moins de huit cents hommes, dont une centaine étaient des hommes d'armes.

Les prisonniers ne furent pourtant pas en grand nombre, la plupart ayant été délivrés par d'Hymbercourt, resté maître du faubourg; il plaça une forte garde en face de la ville, qui en était séparée par un espace découvert d'environ sept à huit cents pas, formant une esplanade où l'on avait abattu toutes les maisons capables de nuire à la défense de la place. Il n'y avait pas de fossé entre Liège et le faubourg, le terrain était trop pierreux en cet endroit pour qu'il eût été possible d'en pratiquer un. En face du faubourg était une porte par où l'on pouvait faire des sorties, ainsi que par deux brèches voisines faisant partie de celles que le duc avait fait faire aux murs après la bataille de Saint-Tron, et que l'on s'était contenté de réparer avec des palissades en bois. D'Hymbercourt fit tourner deux couleuvrines contre la porte, en dirigea pareil nombre vers les brèches, afin d'en imposer à ceux qui voudraient sortir de la ville, et revint ensuite à l'armée, qu'il trouva dans un grand tumulte.

Dans le fait, le corps principal et l'arrière garde nombreuse du duc avaient continué à avancer, pendant que l'avant-garde repoussée faisait sa retraite en désordre et avec précipitation. Les fuyards vinrent à se choquer avec les corps qui marchaient en tête, et y jetèrent une confusion qui se propagea de rang en rang. L'absence de d'Hymbercourt, qui remplissait les fonctions de maréchal-de-camp, ou, comme nous le dirions aujourd'hui, de quartier-maître-général, augmenta le désordre; et pour que rien n'y manquât, la nuit était aussi noire que la gueule d'un loup; une forte pluie survint, et le sol sur lequel il était indispensable que les assiégeans prissent position était marécageux et coupé par plusieurs canaux.

Il serait impossible de se faire une idée de la confusion qui régnait alors dans l'armée bourguignonne. Les chefs ne reconnaissaient plus leurs soldats, qui abandonnaient leurs étendards pour chercher un abri partout où ils pouvaient en trouver. Les fuyards, épuisés de fatigue, et dont un grand nombre étaient blessés, demandaient en vain des secours et des rafraîchissemens; l'arrière-garde, ignorant le désastre qui avait eu lieu, accourait au pas redoublé, et se mêlait au corps d'armée en désordre, craignant d'arriver trop tard pour prendre part au sac de la ville, qu'elle croyait déjà joyeusement commencé.

D'Hymbercourt trouva qu'il avait une tâche difficile à accomplir, et elle fut remplie d'une nouvelle amertume par la violence à laquelle se laissa emporter son maître, qui n'eut aucun égard au devoir plus pressant encore dont il venait de s'acquitter. Toute la patience du brave chevalier ne put tenir à des reproches si injustes.

—C'est d'après vos ordres, lui dit-il, que j'ai été porter du secours à l'avant-garde; j'ai laissé à Votre Altesse le soin de l'armée; et après avoir rempli ma mission, je la trouve dans un tel désordre que l'avant-garde, le corps d'armée, l'arrière-garde, tout est confondu.

—Nous n'en ressemblons que mieux à un baril de harengs, dit le Glorieux, et c'est la comparaison la plus naturelle pour une armée flamande.

La plaisanterie du bouffon favori fit rire le duc et empêcha que l'altercation entre lui et le chevalier n'allât plus loin.

On s'empara d'une lust-haus, ou maison de campagne, appartenant à un riche habitant de Liège; on en chassa tous ceux qui l'occupaient, et le duc y établit son quartier-général. D'Hymbercourt et Crèvecœur placèrent tout auprès un poste d'une quarantaine d'hommes d'armes; et ceux-ci, ayant démoli quelques bâtimens extérieurs qui en dépendaient, se servirent de leurs débris pour allumer un grand feu.

à peu de distance sur la gauche, entre cette maison et le faubourg, qui, comme nous l'avons déjà dit, était en face d'une des portes de la ville, et occupé par l'avant-garde de l'armée bourguignonne, s'élevait une autre maison de plaisance, située entre cour et jardin, et ayant sur le derrière deux ou trois petits enclos. Ce fut là que le roi de France, de son côté, établit son quartier-général. Il n'avait pas la prétention d'avoir de grandes connaissances militaires, mais sa sagacité peu ordinaire lui en tenait lieu, et il y joignait une indifférence naturelle pour le danger. Louis et les principaux personnages de sa suite se logèrent dans cette maison. Une partie des archers de sa garde écossaise fut placée dans la cour, où quelques bâtimens pouvaient servir de casernes, et le reste bivouaqua dans le jardin. Les autres troupes françaises furent placées dans les environs, en bon ordre, et l'on établit des postes avancés pour donner l'alarme en cas d'attaque.

Dunois et Crawford, aidés de quelques vieux officiers parmi lesquels le Balafré se faisait remarquer par son activité, parvinrent, en abattant des murailles, en perçant des haies, en comblant des fossés, et par d'autres opérations semblables, à assurer une communication facile entre les différens corps, de manière à ce qu'ils pussent se réunir aisément et sans confusion, en cas de nécessité.

Cependant Louis jugea à propos de se rendre sans cérémonie au quartier-général du duc de Bourgogne, pour connaître le plan d'opérations qu'il avait adopté, et s'informer en quoi ce prince désirait qu'il y coopérât. Sa présence fut cause qu'on tint une sorte de conseil de guerre, auquel, sans cela, Charles n'aurait peut-être pas songé. Ce fut alors que Quentin Durward demanda à y être admis, et il insista fortement, comme ayant quelque chose de très-important à communiquer aux deux princes. Ce ne fut pas sans beaucoup de difficulté qu'il obtint d'être introduit dans la salle du conseil, et Louis fut saisi du plus grand étonnement en l'entendant détailler avec calme et clarté le projet conçu par Guillaume de la Marck de faire une sortie nocturne contre le camp des assiégeans, en marchant sous des bannières françaises, et avec des soldats portant l'uniforme de la même nation. Louis aurait sans doute préféré qu'une nouvelle si importante lui eût été annoncée en particulier; mais comme elle venait d'être publiquement divulguée, il se contenta de dire qu'un tel rapport, vrai ou faux, méritait qu'on y fit attention.

—Pas le moins du monde, dit le duc avec un air d'insouciance; pas le moins du monde. S'il avait existé un tel projet, ce ne serait pas un archer de la garde écossaise qui viendrait m'en faire part.

—Quoi qu'il en soit, beau cousin, répondit Louis, je vous prie, vous et vos capitaines, de faire bien attention que, pour prévenir les conséquences très-désagréables qui pourraient résulter d'une telle attaque, si elle avait lieu, je donnerai ordre à tous mes soldats de porter une écharpe blanche à leur bras. Dunois, allez veiller sur-le-champ à l'exécution de cet ordre; c'est-à-dire s'il a l'approbation de notre beau cousin, notre général.

—Je n'ai pas d'objection à y faire, dit le duc, si les chevaliers français veulent courir le risque d'être appelés désormais chevaliers de la manche de chemise.

—Ce serait une dénomination qui ne serait pas mal choisie, l'ami Charles, dit le Glorieux, puisqu'une femme doit être la récompense du plus vaillant.

—Bien parlé, la Sagesse, dit Louis. Bonsoir, beau cousin, je vais m'armer; mais à propos, si je gagne moi-même la comtesse, qu'en direz-vous?

—Qu'en ce cas, répondit le duc d'une voix altérée, il faudra que Votre Majesté devienne un vrai Flamand.

—Je ne puis, répliqua le roi du ton de la plus entière confiance, le devenir plus que je ne le suis déjà. Tout ce que je voudrais, c'est que vous en fussiez bien convaincu.

Le duc ne répondit qu'en souhaitant au roi une bonne nuit; l'accent de sa voix aurait pu rappeler le hennissement d'un cheval farouche se refusant aux caresses de son cavalier qui cherche à le calmer pour pouvoir le monter en repos.

—Je pourrais lui pardonner sa duplicité, dit le duc à Crèvecœur quand le roi fut parti; mais je ne lui pardonne pas de me croire assez fou pour être dupe de ses protestations.

Louis, de retour à son quartier-général, avait aussi ses confidences à faire à Olivier.

—Cet Écossais, lui dit-il, est un tel composé de finesse et de simplicité, que je ne sais qu'en faire. Pâques-Dieu! quelle folie impardonnable d'aller ébruiter le projet de l'honnête de la Marck, et en présence de Charles, de Crèvecœur, et de tous ces Bourguignons, au lieu de venir m'en instruire à l'oreille, afin de me laisser au moins le choix de le seconder ou de le déjouer!

—Il vaut mieux que les choses se soient passées de cette manière, Sire, répondit Olivier. Il se trouve dans votre armée bien des gens qui se feraient un scrupule d'attaquer les Bourguignons sans provocation, et de devenir les auxiliaires de de la Marck.

—Tu as raison, Olivier, répliqua le monarque; il existe de tels fous dans le monde, et nous n'avons pas assez de temps devant nous pour neutraliser leurs scrupules par une dose d'intérêt personnel. Il faut que nous soyons loyaux et fidèles alliés de la Bourgogne, en ce moment du moins. L'avenir peut nous offrir quelque chance plus favorable; va porter l'ordre que personne ne quitte les armes, et, en cas de nécessité, qu'on charge aussi vigoureusement ceux qui crieront France et Montjoie Saint-Denis, que s'ils criaient l'Enfer et Satan. Je passerai moi-même la nuit tout armé. Que Crawford place Quentin Durward en sentinelle, en première ligne du côté de la ville; il est juste, qu'il soit le premier à profiter de l'avis qu'il nous a donné. S'il a le bonheur de s'en tirer, il n'en aura que plus de gloire. Mais surtout, Olivier, prends un soin tout particulier de Martius Galeotti; fais-le rester à l'arrière-garde, dans quelque endroit où il soit en parfaite sûreté. Il n'est que trop porté à se hasarder, et il serait assez fou pour vouloir être soldat et philosophe en même temps. Veille à tout cela, Olivier, et bonsoir. Puissent Notre-Dame de Cléry et saint Martin de Tours me protéger pendant mon sommeil!


CHAPITRE XXXVII.

La Sortie.

«Il vit enfin s'ouvrir la porte redoutable,
«Et sortir de soldats une foule innombrable.»

MILTON. Le Paradis reconquis.

UN profond silence régna bientôt dans la grande armée rassemblée sous les murs de Liège. Pendant un certain temps les cris des soldats répétant leurs signaux et cherchant à rejoindre chacun sa bannière, retentirent comme les aboiemens de chiens égarés redemandant leurs maîtres. Mais enfin, épuisés par les fatigues du jour, ils se rassemblèrent sous les abris qu'ils purent trouver, et ceux qui n'en trouvèrent aucun s'étendirent le long des murs, des haies, partout où ils purent se faire un rempart contre les élémens; ils s'endormirent de lassitude en attendant le retour du matin, que plusieurs d'entre eux ne devaient jamais voir. Le sommeil ferma tous les yeux dans le camp, à la réserve de ceux des gardes qui étaient de faction devant le quartier-général du roi et celui du duc.

Les dangers et les espérances du lendemain, les projets même de gloire que beaucoup de jeunes seigneurs formaient en songeant au prix splendide proposé à celui qui vengerait la mort de l'évêque de Liège, cédèrent à la fatigue et au sommeil. Il n'en fut pas ainsi à l'égard de Quentin Durward. La certitude qu'il possédait seul les moyens de distinguer de la Marck dans la mêlée; le présage favorable qu'il pouvait tirer de la manière dont Isabelle l'en avait instruit; la pensée que la fortune l'avait glacé dans une crise périlleuse, mais dont le résultat, quoique incertain, pouvait être pour lui le plus beau triomphe, éloignèrent de lui toute envie de dormir, et l'armèrent d'une vigueur infatigable.

Placé, par ordre exprès du roi, au poste le plus avancé entre le camp et la ville, sur la droite du faubourg dont nous avons déjà parlé, il aurait voulu percer de ses yeux les ténèbres qui lui dérobaient la vue des murs de Liège, et ses oreilles étaient tout attention pour entendre le moindre bruit qui pourrait annoncer quelque mouvement dans la ville assiégée. Mais les horloges de la ville avaient successivement sonné trois heures après minuit, et tout était encore tranquille et silencieux comme le tombeau.

Enfin, à l'instant où il commençait à croire que la sortie projetée n'aurait lieu qu'au point du jour, et qu'il songeait avec joie qu'il pourrait plus facilement reconnaître la barre d'illégitimité traversant les fleurs de lis des armoiries de Dunois, il crut entendre dans la ville un bruit semblable au bourdonnement d'abeilles troublées dans leur ruche, qui se préparent à se défendre. Il redoubla d'attention: le bruit continuait, mais toujours si sourd et si vague, que ce pouvait être le murmure du vent agitant les branches des arbres d'un petit bois situé à quelque distance, ou celui des eaux, de quelque ruisseau gonflé par la pluie de la soirée précédente, et qui se jetait dans la Meuse avec plus d'impétuosité que de coutume. Ces réflexions empêchèrent Quentin de donner l'alarme, car c'eût été une grande faute, s'il l'eût donnée inconsidérément. Mais le bruit augmentant peu à peu, et semblant s'approcher du faubourg et du poste qu'il occupait, il jugea qu'il était de son devoir de se replier sur le petit corps d'archers destinés à le soutenir, et commandés par son oncle. En moins d'une seconde, tous furent sur pied aussi silencieusement que possible, et un instant après lord Crawford était à leur tête. Il dépêcha un archer pour donner l'alarme au roi et à sa maison, et se retira avec son petit détachement à quelque distance du feu qu'on avait allumé, afin que la clarté qu'il répandait ne les fit pas apercevoir. Enfin l'espèce de bruit confus qu'ils avaient entendu jusqu'alors, et qui semblait approcher d'eux, cessa tout à coup, et fit place à un autre qui annonçait évidemment la marche plus éloignée d'une troupe nombreuse s'avançant vers le faubourg.

—Ces paresseux de Bourguignons sont endormis à leur poste, dit Crawford à voix basse; courez au faubourg, Cunningham, et éveillez ces bœufs stupides.

—Faites un détour en arrière pour vous y rendre, dit Quentin; car, ou mes oreilles m'ont étrangement trompé, ou le premier corps que nous avons entendu s'est avancé entre nous et le faubourg.

—Bien parlé, Quentin, bien parlé, mon brave, dit Crawford, tu es meilleur soldat que ne le comporte ton âge. Les premiers ne se sont arrêtés que pour attendre les autres; je voudrais savoir plus précisément où ils sont.

—Je vais tâcher de les reconnaître, milord, et je viendrai vous en faire rapport.

—Va, mon enfant, va; tu as de bonnes oreilles, de bons yeux et de la bonne volonté; mais sois prudent; je ne voudrais pas te perdre pour trois placks[82].

Quentin, son arquebuse en avant, et prêt à faire feu, s'avança avec précaution sur un terrain qu'il avait reconnu la veille pendant le crépuscule, et s'assura non-seulement qu'un corps de troupes très-considérable s'avançait entre le faubourg et le quartier-général du roi, mais qu'il était précédé d'un détachement peu nombreux qui avait fait halte, et dont il était assez près pour entendre les hommes qui le composaient causer à voix basse, comme s'ils se fussent consultés sur ce qu'ils devaient faire. Enfin deux ou trois enfans perdus de cette troupe avancée s'approchèrent à très-peu de distance de lui. Voyant qu'il ne pouvait faire retraite sans courir le risque d'être aperçu, Quentin cria à voix haute:—Qui vive?

Vive—Li—è—ge! c'est-à-dire, vive France! répondit un soldat, corrigeant à l'instant sa première réponse.

Durward fit feu de son arquebuse; il entendit un homme tomber; et au milieu du bruit d'une décharge irrégulière de coups de mousquet tirés au hasard, mais qui prouvait que cette première troupe était plus nombreuse qu'il ne l'avait d'abord supposé, il se replia sur son poste, et y arriva sans être blessé.

—Admirablement! mon brave, dit Crawford; et maintenant qu'on se rabatte sur le quartier-général. Nous ne sommes pas en force suffisante pour tenir contre eux en rase campagne.

Ils rentrèrent dans la maison où était logé le roi, et y trouvèrent tout dans le plus grand ordre, les diverses troupes étant déjà formées, tant dans la cour que dans le jardin. Louis lui-même était prêt à monter à cheval.

—Où allez-vous, Sire? lui demanda Crawford. Vous êtes en sûreté ici au milieu de vos soldats.

—Non pas, répondit Louis, il faut que j'aille sur-le-champ trouver le duc, et qu'il soit convaincu de notre bonne foi dans ce moment critique; sans quoi nous allons avoir sur nous en même temps les Liégeois et les Bourguignons.

à ces mots, montant à cheval, il ordonna à Dunois de prendre le commandement des troupes françaises hors de la maison, et à Crawford d'en garder l'intérieur avec ses archers. Il fit avancer quatre pièces de campagne laissées à un demi-mille en arrière, et recommanda aux soldats de tenir ferme à ce poste; mais il défendit qu'on marchât en avant, quelque succès qu'on pût obtenir. Après avoir donné ces ordres, Louis partit pour se rendre au quartier-général du duc de Bourgogne.

Le délai qui permit de faire toutes ces dispositions fut dû à un heureux hasard. Quentin, en tirant son coup d'arquebuse, avait tué le propriétaire de la maison de campagne où se trouvait le roi. Il servait de guide à la colonne destinée à l'attaquer, et sans cet événement l'attaque aurait probablement réussi.

Durward, d'après les ordres du roi, le suivit chez le duc. Ils le trouvèrent livré à des transports de fureur qui le mettaient presque hors d'état de s'acquitter des devoirs de général: et cependant l'occasion était pressante; car indépendamment d'un combat furieux qui se livrait dans le faubourg, sur la gauche de l'armée; outre l'attaque dirigée contre le quartier-général du roi, au centre, et qui était soutenue avec courage, une troisième colonne de Liégeois, supérieure en nombre aux deux autres, sortie de la ville par une brèche plus éloignée, et arrivée par des sentiers de traverse et des chemins qui leur étaient bien connus, venait de tomber sur l'aile droite de l'armée bourguignonne, qui, alarmée par leurs cris de vive la France! Montjoie Saint-Denis! mêlés à ceux de Liège! Sanglier-Rouge! et soupçonnant quelque trahison de la part de l'armée française confédérée, ne fit qu'une résistance faible et imparfaite, tandis que le duc, l'écume à la bouche, jurant et maudissant son seigneur suzerain et tout ce qui lui appartenait, criait qu'on tirât indistinctement sur tous les Français, noirs ou blancs, faisant allusion aux écharpes blanches dont les soldats du roi s'étaient entouré le bras, conformément à ses ordres.

L'arrivée du roi, accompagné seulement d'une douzaine d'archers, dont Quentin et le Balafré faisaient partie, fit rendre plus de justice à la loyauté des Français. D'Hymbercourt, Crèvecœur, et d'autres seigneurs bourguignons dont le nom était célèbre dans le métier des armes, se chargèrent de donner au combat une forme plus régulière; et tandis que les uns faisaient avancer des troupes plus éloignées que la terreur panique n'avait pas encore atteintes, les autres, se jetant dans la mêlée, ranimèrent l'instinct de la discipline, et le duc lui-même se montrait au premier rang comme un simple homme d'armes. Le roi, de son côté, agissait en général plein de sang-froid, de calme et de sagacité, qui ne cherche ni ne fuit le danger; il montra tant de sagesse et de prudence, que les chefs bourguignons eux-mêmes n'hésitaient pas à exécuter tous les ordres qu'il donnait. Enfin peu à peu on rangea l'armée en bataille, et les assaillans se trouvèrent fort incommodés par le feu de l'artillerie.

Le combat était devenu une scène d'horreur. Sur l'aile gauche, le faubourg, après avoir été vivement disputé, avait été livré aux flammes, et l'épouvantable incendie n'empêchait pas qu'on ne se disputât encore la possession des ruines embrasées. Au centre, les troupes françaises, quoique pressées par des forces très-supérieures, maintenaient un feu si constant et si bien nourri, que la lust-haus semblait entourée de rayons de lumière comme la couronne d'un martyr. Sur la gauche, la victoire était contestée avec acharnement, et les deux partis gagnaient ou perdaient successivement du terrain, suivant qu'il arrivait aux Liégeois des renforts de la ville, ou aux Bourguignons des corps de réserve.

On se battit ainsi avec une fureur sans relâche pendant trois mortelles heures qui amenèrent enfin, le lever de l'aurore, tant désiré par les assiégeans. Les efforts de l'ennemi, au centre et sur la droite, semblaient alors se ralentir, et l'on entendit plusieurs décharges d'artillerie partir du quartier-général du roi.

—Bénie soit la sainte Vierge! s'écria Louis dès que ce bruit frappa ses oreilles. Les pièces de campagne sont arrivées, et il n'y a rien à craindre pour la lust-haus. Se tournant alors vers Quentin et le Balafré:—Allez dire à Dunois, leur dit-il, de se porter avec tous nos hommes d'armes, à l'exception de ceux qui sont nécessaires à la défense de la maison, entre l'aile droite et la ville, afin d'empêcher la sortie des renforts que ces obstinés Liégeois envoient à chaque instant à l'armée.

L'oncle et le neveu partirent au galop, et allèrent joindre Dunois et Crawford, qui, impatiens et las d'être restés sur la défensive, obéirent avec joie. à la tête d'environ deux cents gentilshommes français, suivis d'écuyers et d'hommes d'armes, et d'une partie des archers de la garde écossaise, ils traversèrent le champ de bataille, foulant aux pieds les morts et les blessés, et arrivèrent sur les flancs du corps principal des Liégeois, qui attaquait la droite de l'armée bourguignonne avec une fureur sans égale. Le jour qui commençait à paraître leur fit voir que de nouvelles forces sortaient encore de la ville, soit pour continuer la bataille sur ce point, soit pour protéger la retraite des troupes déjà dans la mêlée.

—De par le ciel! dit le vieux Crawford à Dunois, si je n'étais sûr que vous êtes à mon côté, je croirais vous voir au milieu de ces bourgeois et de ces bandits, les rangeant en ordre, votre bâton de commandement à la main. Seulement, si c'est vous qui êtes là-bas, vous êtes plus gros que de coutume. êtes-vous bien sûr que ce soldat n'est pas votre apparition[83], votre homme double, comme disent les Flamands?

—Mon apparition! répondit Dunois; je ne sais ce que vous voulez dire[84]; mais il est certain que je vois un coquin qui ose porter mes armoiries sur son écu et sur son cimier, et je le punirai de cette insolence.

—Au nom du ciel! monseigneur, s'écria Quentin, daignez me laisser le soin de votre vengeance.

—à toi, jeune homme! répondit Dunois; c'est vraiment une demande modeste. Non, non; c'est un cas qui n'admet pas de substitution; et se tournant vers ceux qui le suivaient:—Gentilshommes français, s'écria-t-il, formez vos rangs, la lance en avant; ouvrons au soleil levant un passage à travers ces pourceaux de Liège et ces sanglier des Ardennes, qui font une mascarade de nos anciennes armoiries.

On lui répondit par de grands cris:—Dunois! Dunois! Vive le fils du brave bâtard! Orléans, à la rescousse! et suivant leur chef, ils chargèrent au grand galop. Ils n'avaient pas affaire à de timides ennemis. Le corps nombreux qu'ils chargeaient consistait entièrement en infanterie, à l'exception de quelques officiers à cheval. Le premier rang de ces soldats fléchit un genou seulement, et le troisième resta debout; de manière que les premiers fixaient à leurs pieds le bois de leurs lances, et les derniers présentaient la pointe des leurs au-dessus de la tête des autres, pour offrir à la charge des hommes d'armes la même défense que le hérisson oppose à son ennemi. Peu d'entre eux réussirent d'abord à se frayer un chemin à travers ce mur de fer; mais Dunois fut de ce nombre. Donnant un coup d'éperon à son cheval de bataille, il fit franchir à ce noble animal un espace de plus de douze pieds; et d'un seul bond, il se trouva, au milieu de la phalange ennemie. Il chercha alors à joindre l'objet de son animosité, et ne fut pas peu surpris de voir Quentin Durward combattant au premier rang à côté de lui: la jeunesse, le courage, l'amour, la ferme détermination de vaincre ou de mourir, avaient maintenu le jeune Écossais sur la même ligne que le meilleur chevalier de toute l'Europe; car Dunois jouissait de cette réputation, qui était méritée.

Leurs lances furent bientôt rompues; mais les lansquenets n'étaient pas en état de résister au tranchant de leurs épées longues et pesantes, tandis que les leurs ne faisaient que peu d'impression sur l'armure complète d'acier dont étaient couverts les deux chevaliers et leurs chevaux. Ils s'efforçaient encore, à l'égal l'un de l'autre, de percer les rangs pour arriver à celui où le guerrier qui avait usurpé les armoiries de Dunois remplissait les devoirs d'un chef habile et intrépide, quand Dunois remarquant d'un autre côté un homme d'armes dont la tête était couverte de la peau de sanglier qui distinguait ordinairement de la Marck, dit à Quentin:—Tu es digne de venger l'insulte faite aux armes d'Orléans, et je t'en laisse le soin. Balafré, soutiens ton neveu. Mais que personne n'ose disputer à Dunois la chasse du Sanglier.

On ne peut douter que Quentin Durward acceptât avec grande joie la part qui lui était attribuée dans cette division de travaux, et chacun d'eux s'empressa de se frayer un chemin vers l'objet qu'il voulait atteindre, suivi et soutenu par ceux qui purent se maintenir près de leur personne.

Mais en ce moment la colonne que de la Marck se proposait de soutenir quand il s'était vu lui-même arrêté par la charge de Dunois, avait perdu tous ses avantages gagnés pendant la nuit; et les Bourguignons, au retour du jour, avaient reconquis ceux de la supériorité de la discipline. La grande masse des Liégeois, forcée à faire retraite, prit bientôt la fuite, et vint retomber sur ceux qui combattaient les Français. Le champ de bataille n'offrit plus qu'une mêlée confuse de soldats combattans, fuyans, poursuivans: torrent qui se dirigeait vers les murs de la ville, et qui aboutit à la principale brèche par où les Liégeois avaient fait leur sortie.

Durward fit des efforts plus qu'humains pour atteindre l'objet spécial de sa poursuite, qui, par ses cris et son exemple, s'efforçait de renouveler le combat, et qui était vaillamment secondé par une troupe de lansquenets d'élite. Le Balafré et quelques-uns de ses camarades suivaient Quentin pas à pas, et admiraient la valeur extraordinaire que montrait un soldat si jeune. Sur la brèche, de la Marck, car c'était lui-même, réussit à rallier un moment les fuyards, et à arrêter ceux qui les poursuivaient de plus près. Il tenait en main une espèce de massue en fer qui terrassait tout ce qu'elle touchait; il était tellement couvert de sang, qu'il devenait presque impossible de distinguer sur son écu aucune trace des armoiries qui avaient tellement irrité Dunois.

Durward ne trouva alors que peu de difficulté à approcher de lui, car la situation avantageuse qu'il avait prise sur la brèche, et l'usage qu'il faisait de sa terrible massue, engageaient la plupart des assaillans à chercher quelque point d'attaque moins dangereux que celui qui était défendu par un si redoutable antagoniste. Mais Quentin, qui connaissait mieux l'importance de la victoire à remporter sur cet ennemi formidable, mit pied à terre au bas de la brèche, et laissant son coursier, noble don qu'il avait reçu du duc d'Orléans, il s'élança au hasard dans la mêlée, et se mit à gravir les décombres pour se mesurer avec le Sanglier des Ardennes.

De la Marck, comme s'il eût deviné son intention, se tourna vers lui la massue levée; et ils étaient sur le point de se rencontrer, quand de grands cris, des cris tumultueux de triomphe et de désespoir, annoncèrent que les assiégeans entraient dans la ville, d'un autre côté, en arrière de ceux qui défendaient la brèche. à ces cris de terreur, de la Marck abandonna la brèche, et appelant de la voix et par le son de son cor ceux qui voulaient se rallier à sa fortune désespérée, il chercha à effectuer sa retraite vers une partie de la ville d'où il pourrait gagner l'autre rive de la Meuse. Ceux qui le suivirent formaient un corps de soldats bien disciplinés, mais qui, n'ayant jamais accordé quartier à personne, étaient résolus à ne pas le demander; en ce moment de désespoir, ils se mirent en si bon ordre, que leur ligne de bataille occupait toute la largeur d'une rue. Ils ne craignaient pas de s'arrêter de temps en temps pour faire face à ceux qui les poursuivaient, et dont un certain nombre commençaient à chercher une occupation moins dangereuse, en forçant les portes des maisons pour se livrer au pillage.

Caché par son déguisement aux yeux de tous ceux qui se promettaient de gagner des honneurs et des richesses en faisant tomber sa tête, il est probable que de la Marck aurait pu s'échapper, sans la poursuite infatigable de Quentin Durward, du Balafré, et de quelques-uns de ses camarades. à chaque pause que faisaient les lansquenets, un combat furieux s'engageait entre eux et les archers, et dans chaque mêlée Quentin cherchait à joindre de la Marck; mais celui-ci, dont l'unique but était alors d'effectuer sa retraite, semblait vouloir éviter un combat singulier. La confusion était générale. Les cris des femmes, ceux des habitans exposés à la licence d'une soldatesque effrénée, formaient un tumulte non moins épouvantable que celui de la bataille. C'était la douleur et le désespoir se disputant avec la violence et la fureur à qui élèverait plus haut la voix.

à l'instant où de la Marck, continuant sa retraite au milieu de cette scène d'horreur, venait de passer devant la porte d'une petite chapelle à laquelle on attachait une idée de sainteté particulière, de nouveaux cris:—France! France! Bourgogne! Bourgogne! lui apprirent qu'un corps nombreux d'assiégeans entrait par l'autre extrémité de la rue, et que par conséquent sa retraite était coupée.

—Conrard, dit-il à son lieutenant, prenez avec vous tous ces braves gens; chargez ces drôles avec vigueur, et tâchez de vous frayer un passage à travers leurs rangs. Quant à moi, tout est dit, le Sanglier est aux abois; mais je me sens encore la force d'envoyer aux enfers avant moi quelques-uns de ces vagabonds Écossais.

Conrard obéit; et se mettant à la tête des lansquenets qui restaient, il marcha au pas de charge contre les ennemis qui s'avançaient, dans le dessein de périr ou de s'ouvrir un chemin au milieu d'eux. Il ne resta près du chef que cinq à six de ses meilleurs soldats, déterminés à périr avec leur maître, et ils firent face aux archers, qui n'étaient guère plus nombreux.

—Sanglier! Sanglier! s'écria de la Marck d'une voix de tonnerre en brandissant sa massue. Holà! messieurs les Écossais, qui de vous veut gagner une couronne de comte? Qui veut avoir la tête du Sanglier? Vous semblez en avoir envie, jeune homme; mais il faut mériter la récompense avant de l'obtenir.

Quentin n'entendit ces paroles que fort imparfaitement, à travers la visière du casque de Guillaume, mais il ne put se méprendre sur ses intentions, car à peine eut-il eu le temps de crier à son oncle et à ses camarades de se tenir en arrière, s'ils étaient hommes d'honneur, que de la Marck s'élança contre lui avec le bond d'un tigre, brandissant sa massue pour la lui laisser tomber sur la tête à l'instant où ses pieds toucheraient la terre. Mais Durward, dont le pied était aussi léger que l'œil vif, fît un saut de côté, et évita un coup qui lui eût été fatal.

Ils combattirent alors corps à corps, comme le loup avec le chien de berger qui l'attaque, leurs compagnons restant de chaque côté spectateurs immobiles du combat, car le Balafré criait de toutes ses forces;—Armes égales! armes égales! Fût-il aussi redoutable que Wallace, je ne craindrais pas pour mon neveu.

Sa confiance fut justifiée: quoique les coups du brigand tombassent sur le jeune archer comme ceux du marteau sur l'enclume, la vivacité des mouvemens de Durward et sa dextérité faisaient qu'il les évitait, et qu'il lui en portait d'autres avec la pointe d'une arme moins bruyante, mais qui produisait plus d'effet, car le terrain était tout couvert du sang de son antagoniste, dont la force extraordinaire commençait à céder à la fatigue. Cependant, soutenu par le courage et la colère, il combattait toujours avec la même énergie, et la victoire de Quentin paraissait encore douteuse et éloignée, quand la voix d'une femme se fit entendre derrière lui en l'appelant par son nom, et en s'écriant:—Au secours! au secours! pour l'amour de la sainte Vierge!

Il tourna la tête un instant, et il lui suffit d'un coup d'œil pour reconnaître Gertrude Pavillon. Sa mante avait été déchirée, et elle était entraînée par un soldat français, entré avec plusieurs autres dans la petite chapelle où s'étaient réfugiées des femmes épouvantées, qu'ils avaient saisies comme leur proie.

—Attends-moi seulement un instant, cria-t-il à de la Marck; et il courut délivrer sa bienfaitrice d'une situation qu'il regardait avec raison comme fort dangereuse pour elle.

—Je n'attends le bon plaisir de personne, dit de la Marck en brandissant sa massue, et il commençait à battre en retraite, n'étant sans doute pas fâché d'être débarrassé d'un si formidable adversaire.

—Vous attendrez pourtant le mien, s'il vous plaît, s'écria le Balafré. Je ne veux pas que la besogne de mon neveu reste à moitié faite. Et tirant son épée à double tranchant, il attaqua de la Marck à l'instant.

Cependant la tâche qu'avait entreprise Quentin de délivrer Gertrude ne se trouva pas aussi facile qu'il se l'était imaginé. Celui qui s'en était emparé refusa de renoncer à sa prise; quelques-uns de ses camarades le soutinrent; Durward fut obligé d'appeler à son aide deux ou trois de ses compagnons pour accomplir sa bonne œuvre, et pendant ce temps la fortune lui ravit l'occasion qu'elle lui avait présentée. Lorsqu'il eut enfin réussi à délivrer Gertrude, la rue était déserte; il s'y trouvait seul avec elle. Oubliant alors la situation de sa compagne restée sans défense, il allait se mettre à la recherche du Sanglier des Ardennes, comme le lévrier suit le lièvre à la piste; mais Gertrude au désespoir, s'attachant à ses vêtemens, s'écria:—Par l'honneur de votre mère, ne me laissez pas ici! Si vous êtes homme d'honneur, protégez-moi, conduisez-moi chez mon père, dans la maison qui vous a servi d'asile ainsi qu'à la comtesse Isabelle. Pour l'amour d'elle, ne m'abandonnez pas!

Cet appel était désespérant, mais irrésistible; disant adieu, avec une amertume de cœur inexprimable, aux espérances qui l'avaient soutenu pendant toute la bataille, et qui avaient été un instant sur le point de se réaliser, Quentin, comme un esprit qui obéit malgré lui à un talisman, conduisit Gertrude chez son père, et y arriva fort à propos pour protéger le syndic Pavillon et sa maison contre la fureur de la soldatesque.

Cependant le roi et le duc entrèrent à cheval dans la ville par une brèche. Tous deux étaient armés de toutes pièces; mais Charles, couvert de sang depuis son panache jusqu'à ses éperons, gravit la brèche au grand galop, tandis que Louis s'avança du pas majestueux d'un pontife en tête d'une procession. Ils envoyèrent des ordres pour arrêter le sac de la ville, qui avait déjà commencé, et pour réunir les troupes. Ils se rendirent ensuite dans la grande église, tant pour protéger les principaux habitans, qui s'y étaient réfugiés, que pour y tenir une sorte de conseil militaire après avoir entendu une messe solennelle.

Occupé, comme l'étaient les autres officiers de son rang, à réunir ceux qui servaient sous leurs ordres, lord Crawford, au détour d'une rue conduisant à la Meuse, rencontra le Balafré. Celui-ci marchait gravement vers la rivière, portant à la main la tête d'un homme, qu'il tenait par ses cheveux ensanglantés, avec autant d'indifférence qu'un chasseur porte une gibecière.

—Eh bien! Ludovic, lui dit son commandant, que voulez-vous donc faire de ce morceau de charogne?

—C'est une petite besogne que mon neveu a faite aux trois quarts, répondit le Balafré, et à laquelle j'ai mis la dernière main. Un pauvre diable que j'ai dépêché là-bas, et qui m'a prié de jeter sa tête dans la Meuse. Il y a des gens qui ont de singulières fantaisies, quand le vieux Petit-Dos[85] leur met la griffe dessus; mais nous avons beau faire, il faut qu'il nous fasse danser tous, chacun à notre tour.

—Et vous allez jeter cette tête dans la Meuse? dit Crawford en considérant avec plus d'attention ce hideux trophée de la mort.

—Oui, sur ma foi, répondit Ludovic; si l'on refuse à un mourant sa dernière demande, on risque d'être tourmenté par son esprit; et j'aime à dormir la nuit bien tranquillement.

—Il faut que vous couriez le risque de voir l'esprit, dit lord Crawford. Cette tête est plus précieuse que vous ne vous l'imaginez. Venez avec moi; pas de réplique, suivez-moi.

—Il est bien vrai que je ne lui ai rien promis, répondit le Balafré: car je crois que je lui avais déjà coupé la tête avant que sa langue eût fini de me faire cette demande. D'ailleurs, par saint Martin de Tours! il ne m'a pas fait peur pendant sa vie, et je ne le crains pas davantage après sa mort. Et puis, en cas de besoin, mon compère, le petit père Boniface de Saint-Martin, me donnera un pot d'eau bénite.

Lorsqu'une messe solennelle eut été célébrée dans l'église cathédrale de Liège, et qu'on eut rétabli un peu d'ordre dans la ville épouvantée, Louis et Charles, entourés de leurs pairs, se disposèrent à entendre la relation des hauts faits qui avaient eu lieu pendant l'action, afin de les récompenser suivant le mérite de chacun. Comme de raison, on appela d'abord celui qui pouvait avoir droit à réclamer la main de la belle comtesse de Croye et ses riches domaines; mais, à la surprise générale, on vit se présenter plusieurs prétendans, et chacun d'eux fut encore plus surpris de trouver des rivaux, quand il se croyait sur d'avoir mérité le prix. Cette circonstance jeta un doute mystérieux sur leurs prétentions. Crèvecœur produisit une peau de sanglier semblable à celle que de la Marck portait ordinairement; Dunois montra un bouclier criblé de coups, avec les armoiries du Sanglier des Ardennes; plusieurs autres réclamèrent également le mérite d'avoir vengé le meurtre de l'évêque, et en rapportèrent des preuves semblables, la riche récompense promise au vainqueur de de la Marck ayant attiré la mort sur tous ceux qui avaient pris son costume et des armes semblables aux siennes.

Le bruit et les contestations continuaient parmi les compétiteurs, et Charles, qui regrettait intérieurement la promesse inconsidérée qui avait confié au hasard le soin de disposer de la main et de la fortune de sa belle vassale, commençait à espérer qu'au milieu de ce conflit de réclamations il pourrait trouver quelque moyen de les éluder toutes, quand lord Crawford fendit le cercle, traînant après lui le Balafré; celui-ci s'avançait d'un air gauche et honteux, à peu près comme un mâtin suit malgré lui celui qui le tient en lesse:—Débarrassez-nous de vos cuirs et de vos morceaux de fer peints, s'écria-t-il; celui-là seul a tué le Sanglier, qui peut en montrer les défenses.

à ces mots, il jeta sur le carreau la tête sanglante, reconnaissable à la conformation singulière de ses mâchoires, qui avaient véritablement une sorte d'analogie avec celles de l'animal dont de la Marck portait le nom, et tous ceux qui l'avaient vu la reconnurent sur-le-champ.

—Crawford, dit Louis tandis que Charles gardait le silence avec un air de surprise et de mécontentement; j'espère que c'est un de mes fidèles Écossais qui a remporté ce prix.

—Oui, Sire, répondit le vieux commandant; c'est Ludovic Lesly, surnommé le Balafré.

—Mais quelle est sa naissance? demanda le duc. Est-il de sang noble? C'est une condition attachée à notre promesse.

—Je conviens qu'il est fait d'un bois assez mal taillé, répondit Crawford en regardant l'archer qui se redressait de toute sa hauteur, d'un air gauche et emprunté; mais je vous garantis qu'il n'en est pas moins de bon bois. C'est un rejeton sorti de la souche des Rothes, et les Rothes sont aussi nobles qu'aucune famille de France ou de Bourgogne, depuis qu'on a dit du fondateur de leur maison:

Entre Less-Lee et la prairie
Il laissa son homme sans vie.

—Il n'y a donc pas d'objection, dit le duc; et il faut que la plus belle et la plus riche héritière de toute la Bourgogne devienne l'épouse d'un soldat mercenaire et grossier comme celui-ci, ou meure dans un couvent!... la fille unique de notre fidèle Reinold de Croye! Je me suis trop pressé!

Un sombre nuage couvrit le front du duc, à la grande surprise de tous ses conseillers, qui le voyaient rarement donner le moindre signe de regret d'une résolution qu'il avait une fois prise.

—Que Votre Altesse ait un moment de patience, dit lord Crawford, et elle reconnaîtra que l'affaire n'est pas aussi fâcheuse qu'elle se l'imagine. Ayez seulement la bonté d'écouter ce que ce cavalier veut vous dire. Eh bien! ajouta-t-il en se tournant vers le Balafré, parle donc, ou que la peste t'étouffe!

Mais le vieux soldat, quoique habitué à parler assez intelligiblement au roi Louis, à la familiarité duquel il était accoutumé, se trouva hors d'état d'exprimer sa résolution devant une assemblée si imposante. Tournant une épaule du côté des deux princes, et préludant par un sourire qui ressemblait à une grimace et par deux ou trois contorsions des moins gracieuses, les seuls mots qu'il put prononcer furent:—Saunders Souplesaw..., et le reste de son discours s'arrêta dans son gosier.

—Sous le bon plaisir de Votre Majesté et de Votre Altesse, dit Crawford, ce sera moi qui parlerai pour mon concitoyen. Il faut que vous sachiez qu'un devin lui a prédit, dans son pays, que la fortune de sa maison se ferait par un mariage. Mais comme, de même que moi, il n'est plus dans la première fleur de sa jeunesse, qu'il préfère le cabaret au boudoir d'une belle dame, en un mot, qu'il a certains goûts de caserne qui font que le rang et les grandeurs ne serviraient qu'à l'embarrasser, il suit l'avis que je lui ai donné, et cède toutes les prétentions que lui assure la mort de Guillaume de la Marck, à celui qui peut être regardé comme le véritable vainqueur du Sanglier des Ardennes, puisqu'il l'avait préalablement mis aux abois,—il les cède à son neveu, au fils de sa sœur.

—Je me rends garant de la prudence et des loyaux services de ce jeune homme, dit le roi, très-charmé de voir que le destin eût accordé un si beau prix à quelqu'un sur qui il pouvait espérer d'avoir quelque influence: sans sa vigilance et sa fidélité, cette nuit nous eût été fatale. C'est lui qui est venu nous avertir de la sortie projetée.

—En ce cas, dit le duc Charles, je lui dois une réparation pour avoir douté de sa véracité.

—Et je puis attester sa bravoure comme homme d'armes, ajouta Dunois.

—Mais, s'écria Crèvecœur, quoique l'oncle soit un gentillâtre Écossais, cela ne prouve pas que son neveu, le fils de sa sœur, soit issu de bonne race.

—Il est de la maison de Durward, dit Crawford, descendue de cet Allan Durward qui fut grand intendant d'écosse.

—Ah! si c'est le jeune Durward, s'écria Crèvecœur, je n'ai plus rien à dire. La fortune se prononce trop décidément en sa faveur pour que je veuille lutter plus long-temps contre cette divinité capricieuse.

—Il nous reste à savoir, dit le duc d'un air pensif, quels pourront être les sentimens de la belle comtesse à l'égard de cet heureux aventurier.

—De par la messe! répondit Crèvecœur, je n'ai que trop de raisons pour pouvoir assurer Votre Altesse qu'elle la trouvera, en cette occasion, beaucoup plus docile à votre autorité qu'elle ne l'a été jusqu'ici.—Mais pourquoi l'avancement de ce jeune homme me donnerait-il de l'humeur? J'aurais grand tort, puisque c'est à l'esprit, au courage et à la fermeté qu'il doit la BEAUTÉ, le RANG et la RICHESSE.


CONCLUSION.

J'AVAIS déjà envoyé à l'imprimeur les feuilles qui précèdent, et dont le dénouement offre, à ce qu'il me semble, une excellente leçon morale, pouvant servir d'encouragement à tous émigrans aux yeux bleus, à cheveux blonds et à longues jambes, de mon pays natal, qui pourraient être tentés, dans quelques momens de troubles, d'embrasser l'honorable profession de cavalier de fortune. Mais un ami, un sage conseiller, un de ces gens qui aiment le morceau de sucre qui reste au fond d'une tasse de thé, autant que la saveur du meilleur souchong[86], m'a adressé, à ce sujet, une remontrance pleine d'amertume, et insiste pour que je donne une relation détaillée et circonstanciée des épousailles du jeune héritier de Glen-Houlakin et de l'aimable comtesse flamande; il veut que j'apprenne aux lecteurs curieux combien de tournois eurent lieu en cette occasion intéressante, et combien de lances y furent rompues; enfin, que je leur fasse savoir le nombre des vigoureux garçons qui héritèrent de la valeur de Quentin Durward, et celui des charmantes filles en qui Isabelle de Croye vit renaître ses charmes.

Je lui ai répondu par le même courrier que les temps étaient changés, et que la publicité des cérémonies du mariage était tout-à-fait passée de mode. Il fut un temps, et il n'est pas si éloigné que je ne puisse m'en rappeler les traces, où non-seulement les quinze amis de l'heureux couple étaient invités à être témoins de leur union, mais les musiciens, comme dans l'Ancien Marinier[87], continuaient à branler la tête jusqu'à l'aube matinale. On buvait le sak-posset[88] dans la chambre nuptiale, on jetait en l'air le bas de la mariée[89], et l'on se disputait sa jarretière en présence de l'heureux couple que l'hymen venait de rendre une seule et même chair. Les écrivains de cette époque en suivaient la mode avec exactitude, et ils avaient raison: ils ne vous faisaient pas grâce d'un des instans où la mariée rougissait, ni d'un de ceux où son mari jetait sur elle un regard d'amour. Ils comptaient les diamans qui ornaient les cheveux de la belle, et les boutons qui garnissaient la veste brodée de l'heureux époux, et ils ne finissaient qu'après avoir placé le héros et l'héroïne dans le lit nuptial: mais ces détails ne conviennent guère aux sentimens de modestie qui engagent nos mariées modernes, douces et timides créatures, à fuir l'éclat et la pompe, l'admiration et la flatterie, et à chercher, comme le bon Shenstone[90],

La liberté dans une auberge.

Sans contredit la relation fidèle des circonstances et de la publicité qui accompagnaient toujours la célébration d'un mariage au quinzième siècle ne pourrait qu'occasionner du dégoût à nos belles. Isabelle de Croye se trouverait placée dans leur estime bien au-dessous de la fille qui trait les vaches et de celle qui est chargée des plus vils emplois de la domesticité; car celle-ci, fût-elle sous la porte de l'église, refuserait la main du garçon cordonnier qu'elle va épouser, s'il lui proposait de faire nopces et festins (comme disent les enseignes des faubourgs de Paris), au lieu de monter sur l'impériale d'une diligence, pour aller passer incognito à Detford ou à Greenwich, villages aux environs de Londres, la lune de miel. Je n'en dirai donc pas davantage, et je me retirerai sans bruit des noces de la comtesse de Croye, comme le fit l'Arioste de celles d'Angélique, laissant à mes lecteurs le soin d'ajouter à mon histoire, si bon leur semble, tous les détails que pourra leur suggérer leur imagination.

D'autres pourront chanter comment le vieux castel
Ouvrit avec orgueil sa porte hospitalière,
Quand un jeune Écossais eut au pied de l'autel
Reçu la noble main de la riche héritière.
E come a ritornare in sua contrada
Trovasse e buon naviglio e miglior tempo,
E dell'India a Medor desse lo scettro
Forse altri canterà con miglior plettro.
Orlando Furioso, c. XXX, st. 16[91].

FIN DE QUENTIN DURWARD.


NOTES:

[1] Dogberry est un officier de police ridicule dans la pièce d'où l'épigraphe est tirée: Conrade lui dit qu'il est un âne, ce qui fâche beaucoup cette espèce de Brid'oison.—(Note de l'éditeur.)

[2] Édimbourg.—(Note de l'éditeur.)

[3] Quartier de la petite propriété littéraire à Londres, pour nous servir d'un terme honnête envers les petits auteurs.—(Note de l'éditeur.)

[4] L'auteur fait ici un mot nouveau: impecuniosity.—(Note de l'éditeur.)

[5] Ce vin de Portugal est généralement le vin ordinaire des Anglais qui boivent du vin.—(Note de l'éditeur.)

[6] L'orge personnifiée; figure souvent reproduite dans l'anglais.—(Note de l'éditeur.)

[7] Grandes assemblées.—(Note de l'éditeur.)

[8] L'Irlande.

[9] Voyez plusieurs passages de l'Essai de Price sur le pittoresque, et surtout le détail plein de beautés poétiques de ce qu'il éprouva quand, suivant les avis d'un amateur d'améliorations, il détruisit un ancien jardin, ses baies d'ifs, ses grilles en fer, et lui fit perdre l'air de solitude qu'on y respirait.

[10] C'est le:—Vous êtes un orfèvre, M. Josse.—(Note de l'éditeur.)

[11] Un des surnoms que la populace en France donne aux Anglais.—(Note de l'éditeur.)

[12] La Fiancée de Lammermoor. Bride signifie fiancée; mais on prononce Braïde et le marquis prononce mal.—(Note du traducteur.)

[13] Le W. Cette dernière phrase est supprimée dans la deuxième édition anglaise de Quentin Durward.—(Note de l'éditeur.)

[14] Le jour de Saint-David les Gallois ornaient leurs chapeaux d'un poireau, en mémoire de la victoire d'Azincourt; leur poste dans cette bataille avait été dans un jardin potager, où ils s'étaient parés de cette espèce de cocarde. Dans la pièce d'Henri V, Shakspeare introduit le capitaine gallois Fluellen, qui tient aux usages nationaux et se voit en butte aux quolibets de Pistol, faux brave et vantard, qu'il force à manger le poireau dont il s'est moqué, on exprimant un dégoût prononcé pour ce végétal.—(Note de l'éditeur.)

[15] Suivant l'usage des Anglais.—(Note de l'éditeur.)

[16] Shewing the code of sweet and bitter fancy.

[17] Chewing the cud of sweet and bitter fancy. C'est-à-dire, «Se livrant aux prestiges tour à tour tristes et rians de l'imagination.» En fait de traduction, comme on voit, la lettre tue et l'esprit vivifie.—Je ne sais trop si ces passages sont même fort piquans en anglais. Du reste, il faut ajouter que l'erreur du marquis vient de ce que shewing the code et Chewing the cud semblent prononcés à peu près de la même manière pour l'oreille d'un étranger.—(Note de l'éditeur.)

[18] La soupe des Anglais (et ils n'en mangent pas tous les jours) est un consommé très-épicé qui brûlerait un gosier Français. On conçoit, quand on en a goûté, que nos soupes leur paraissent du bouillon de grenouilles. Nos soupes maigres surtout sont un texte éternel de plaisanteries sur le théâtre anglais.—(Note de l'éditeur.)

[19] Les épinards en Angleterre, comme en général tous les légumes, sont servis sans être hachés, et simplement bouillis.—(Note de l'éditeur.)

[20] La Dame du Lac. Mais il nous semble que l'auteur exagère un peu trop les bévues philologiques de ce bon émigré.—(Note de l'éditeur.)

[21] C'est le Voyage Bibliographique, qui vient d'être traduit par MM. Crapelet et Liquet. Nous avons surnommé ailleurs le révérend M. Dibdin un vrai Don Quichotte de bibliomanie, le Dr. Syntaxe des bouquinistes.—(Note de l'éditeur.)

[22] Il est rare en effet que le café soit bien fait en Angleterre, où l'art de faire le thé est poussé si loin.—(Note de l'éditeur.)

[23] Poète ridicule, personnage de la Répétition (the Rehearsal,) comédie, par le duc de Buckingham.—(Note de l'éditeur.)

[24] On nous permettra de rappeler ici à l'attention des lecteurs un ouvrage qui n'existait pas encore lors de la première édition de Quentin Durward, et qui leur offrira un thème curieux de comparaison, c'est l'Histoire des ducs de Bourgogne, par M. de Barante.—(Note de l'éditeur.)

[25] Sic. (Note du correcteur—ELG.)

[26] Sic. (Note du correcteur—ELG.)

[27] Sandales à brodequins.—(Note de l'éditeur.)

[28] Espèce de coupe. Ce vieux mot français est employé par l'auteur.—(Note de l'éditeur.)

[29] Espèce de liqueur.—(Note de l'éditeur.)

[30] Compositeur anglais, célèbre en Angleterre.—(Note de l'éditeur.)

[31] Miss Stephens, cantatrice distinguée, que nous avons entendu louer par madame Pasta; elle est appelée le Rossignol de Covent-Garden dans le Voyage historique et littéraire en Angleterre et en écosse.— (Note de l'éditeur.)

[32] Jurement tout Écossais. La croix de saint André est l'emblème national de l'écosse.—(Note de l'éditeur.)

[33] La même abbaye est mentionnée dans l'Antiquaire.—(Note de l'éditeur.)

[34] Broad arrow. On appelle ainsi en Angleterre les lettres initiales H. M. His Majesty (Sa Majesté), qui servent à désigner les caisses contenant les objets à l'usage du roi ou pour le service de l'état; c'est un symbole employé surtout dans les magasins de la marine, les entrepôts de douanes, etc.—(Note de l'éditeur.)

[35] Poignard Écossais.—(Note de l'éditeur.)

[36] Jean des Montagnes.

[37] To drive a spreagh. En employant une expression locale l'Écossais croit justifier l'acte dont on accuse ses compatriotes. Les écoliers disent de même, chiper n'est pas voler.—(Note de l'éditeur.)

[38] Ce serment, qui pouvait déjà désigner le roi sous son costume de maître Pierre, n'appartient en quelque sorte qu'à Louis XI. Les rois et les grands personnage avaient fréquemment chacun son serment ou son juron particulier. On connaît ce quatrain chronologique rapporté par Brantôme:

Quand la Pasques-Dieu décéda (Louis XI.) Parle Jour-Dieu lui succéda; (Charles VIII.) Le Diable m'emporte s'en tint près. (Louis XII.) Foi de gentilhomme vint après. (François Ier.)—(Note de l'éditeur.)

[39] Le docteur Dryasdust remarque ici que les cartes, qu'on dit avoir été inventées sous le règne précédent pour amuser Charles VI pendant les intervalles de sa maladie mentale, semblent être devenues très-promptement communes parmi les courtisans, puisqu'elles fournissaient déjà une métaphore à Louis XI. Le même proverbe est cité par Durandard dans la caverne enchantée de Montésinos.

[40] Philippe de Crèvecœur des Cordes, ou de Querdes, qui passa dans la suite au service de Louis XI, et mourut maréchal de France en 1494.—(Note de l'éditeur.)

[41] Auteur d'un traité d'équitation.—(Note de l'éditeur.)

[42] Ville où se font les grandes courses de chevaux.—(Note de l'éditeur.)

[43] Allusion au sort de William VIII, comte de Douglas, poignardé parJacques II.

Ye towers within whose circuit dread
A Douglas by his sovereign bled, etc.
ô château! dans ton enceinte redoutable un Douglas périt de la main de son roi!
La Dame du Lac, ch. V.—(Note de l'éditeur.)

[44] Dans une de ses brillantes improvisations de la tribune, le général Foy avait fait allusion à l'impopularité de Louis XI. Une lettre spirituelle, signée Philippe de Comines, parut dans la Quotidienne, pour venger la réputation de Louis XI sous ce rapport. L'orateur reconnut qu'il avait exagéré l'impopularité du monarque si heureusement défendu, et depuis ce jour il appelait familièrement notre ami Charles Nodier Philippe de Comines. Le roman de Quentin Durward et l'Histoire des ducs de Bourgogne n'avaient pas encore alors été publiés.—(Note de l'éditeur.)

[45] Expression de l'écriture: sufficit cuïque diei malitia sua.—(Note de l'éditeur.)

[46] La chronique de Jean de Troyes, telle du moins que nous l'avons aujourd'hui, n'a de scandaleux que son titre. Cependant Brantôme rapporte que François Ier en possédait un exemplaire plus complet, et semblable sans doute à celui que l'auteur Écossais se vante d'avoir trouvé dans le château de Haut-Lieu.—(Note de l'éditeur.)

[47] Telle n'avait pas été cependant la forme de l'insurrection des vilains en France, à l'époque de la Jacquerie. De même en Angleterre l'égalité avait été le mot d'ordre de Wat-Tyler et de ses partisans en 1381. L'insurrection de Jack Cade, en 1448, était bien encore une insurrection populaire; mais à cette époque les factions aristocratiques avaient en quelque sorte usurpé le privilège des insurrections. Les vilains, dans les excès de leur résistance contre l'oppression, s'étaient habitués à voir marcher à leur tête un rebelle titré: une bannière de noble parlait aussi plus vivement à l'imagination des hommes d'armes. Voilà sans doute une partie des motifs qui déterminèrent Jack Cade à se donner pour un prince de la famille royale d'Angleterre. Mais il est vrai de dire que cette insurrection, comme celle de Wat-Tyler, fut une réaction contre les vexations et les injustices de l'aristocratie.—(Note de l'éditeur.)

[48] Saint Julien, soyez favorable à nos prières, et priez, priez pour—nous.—(Note du traducteur.)

[49] Les critiques pourront s'étonner de trouver Galeotti à la cour de Louis XI, malgré l'Histoire, qui le fait mourir à Lyon d'une chute de cheval, dans son empressement à saluer le roi qui se trouvait dans cette ville en 1476; et c'était son premier voyage en France. Il y a bien d'autres anachronismes plus sérieux dans Quentin Durward; mais le romancier n'est ici historien, que comme peintre de mœurs; Ce qu'il y a de singulier à propos de Galeotti, c'est que son panégyriste Paul Jove (cité par sir Walter Scott) le fait mourir à Agnani, étouffé par excès de graisse. Paul Jove était pourtant presque le contemporain de Galeotti. Sir Walter Scott, romancier, pourrait donc à la rigueur préférer son témoignage contre l'opinion plus générale des autres historiens. Enfin croira-t-on que la Biographie universelle de Michaud (article Galeotti, 1816) fait mourir notre astrologue en 1494, seulement au passage de Charles VIII à Lyon. Après cette note un peu savante, on demandera peut-être encore laquelle de toutes ces autorités a fait de l'histoire.—(Note de l'éditeur.)

[50] Des choses inconnues à la plupart des hommes. On prétend que c'est le manuscrit original de ce Traité qui est à la Bibliothèque royale. Galeotti a laissé plusieurs autres ouvrages.—(Note de l'éditeur.)

[51] Cette lutte célébrée dans l'épigramme de Janus Pannonius ou Pannon, eut lieu sur la grande place de Bude, entre Galeotti et un fameux lutteur du pays nommé Alz, en présence du roi Mathias Corvin et de toute sa cour.—(Note de l'éditeur.)

[52] Le pape Sixte IV était l'élève de Galeotti, et ce fut Sa Sainteté qui tira notre astrologue des prisons de l'inquisition, où il avait été enfermé comme hérétique.—(Note de l'éditeur.)

[53] Saint Hubert, saint Julien, saint Martin, sainte Rosalie, et vous autres saints qui m'écoutez, priez pour moi, pauvre pécheur.—(Note de l'éditeur.)

[54] Anachronisme difficile à pallier.—Le grand Michel Nostradamus naquit à Saint-Rémy en Provence, en 1503, et ne publia ses prophéties qu'en 1555. L'auteur aurait pu citer Angelo de Catho, qui fut tour à tour l'aumônier du duc de Bourgogne et de Louis XI. Ce monarque le nomma plus tard à l'archevêché de Vienne. C'était un merveilleux astrologue qui prédît même dix jours d'avance la mort de Charles-le-Téméraire. Son ami Philippe de Comines n'a pas oublié de vanter sa grande science.—(Note de l'éditeur.)

[55] Quand on rapproche cette épigraphe de la date de l'introduction, ou plutôt de celle du véritable voyage que sir Walter Scott fit en France, on y trouve l'expression d'une généreuse pitié sur les malheurs de la France de 1815. Nous le faisons remarquer avec plaisir à ceux qui ont cru trouver dans les Lettres de Paul le sujet de griefs amers contre sir Walter Scott.—(Note de l'éditeur.)

[56] Il y a dans l'anglais, H.E.M.P., hemp, chanvre.—(Note de l'éditeur.)

[57] Sic. (Note du correcteur—ELG.)

[58] Chaîne de montagnes qui s'étend en écosse depuis le comté d'Argyle jusqu'à Aberdeen.—(Note de l'éditeur.)

[59] Ne médite pas le mal contre ton ami qui a confiance en toi.—(Note de l'éditeur.)

[60] Glen-Isla, situé au pied des monts Grampiens.—(Note de l'éditeur.)

[61] Lanciers.

[62] La tradition des sept Dormans est, comme on sait, d'origine orientale.—(Note de l'éditeur.)

[63] Les os pour ceux qui viennent tard.

[64] C'est-à-dire son étoile polaire, l'astre qu'adorait son cœur. Cynosure est le nom d'une constellation appelée aussi la petite Ourse; étoile polaire.—(Note de l'éditeur.)

[65] Personnage ridicule de la pièce d'où est tirée l'épigraphe du Chapelain. Une malicieuse soubrette persuade à Malvolio qu'il est aimé de sa maîtresse, ce qui tourne la tête au pauvre intendant.—(Note de l'éditeur.)

[66] Jeune fille.—(Note du traducteur.)

[67] The surrender: La reddition. Mais le mot français ne s'applique qu'aux placer fortes, etc.—(Note de l'éditeur.)

[68] Quoique placée sur une frontière exposée, cette ville n'avait jamais été prise, et elle avait conservé le nom glorieux de Péronne-la-Pucelle, jusqu'au jour où le duc de Wellington, grand destructeur de ces sortes de réputations, la prit dans sa mémorable marche sur Paris, en 1815(*).—L.T. (Ces initiales indiquent que la note est de sir Walter Scott. Voyez la note qui se trouve à la dernière page de l'Introduction d'Ivanhoé.)

(*)Nous ne croyons pas que le grand destructeur de la virginité des villes ait violé celle de Péronne. Une ville n'est pas prise parce qu'elle ouvre ses portes à des alliés. Les Anglais oublient volontiers qu'il y avait parmi les Français, en 1815, une grande force morale en leur faveur, c'est-à-dire eu faveur des Bourbons, qu'ils venaient replacer sur leur trône: nous ne croyons pas, en effet, que le siège de Péronne fît beaucoup de bruit dans la guerre de l'invasion. On en parlera moins, par exemple, que du siège de Toulouse, n'en déplaise à sir Walter et au noble duc.—(Note de l'éditeur.)

[69] Surnom donné à un des comtes de Douglas, parce qu'il perdait un grand nombre de soldats dans ses batailles.—(Note de l'éditeur.)

[70] «Vœux exaucés par des dieux ennemis.»—(Note de l'éditeur.)

[71] En effet, malgré les vives recommandations de Louis à son successeur, Olivier le Dain ou le Diable fut pendu quelque temps après la mort de son maître.—(Note de l'éditeur.)

[72] La tradition du chasseur est fort ancienne, et n'avait pas cours seulement en Allemagne. Voyez l'imitation de la balade de Burger sur ce sujet, par Walter Scott.—(Note de l'éditeur.)

[73] Dante, liv. I.—(Note de l'éditeur.)

[74] En lisant ces détails dans la vieille chronique manuscrite dont j'ai parlé, je ne pus m'empêcher d'être surpris qu'un prince doué d'autant de sagacité qu'en avait certainement Louis XI, ait pu se faire illusion à lui-même par une superstition dont on soupçonnerait à peine les sauvages les plus stupides. Mais les termes d'une prière de ce monarque, dans une semblable occasion, conservée par Brantôme, ne sont pas moins extraordinaires.—L. T.

[75] La fin, je devrais dire la corde couronne l'œuvre.— Jeu de mots sur les mots finis fin, funis, corde.—(Note de l'éditeur.)

[76] Malheur aux vaincus.—(Note du traducteur.)

[77] Changeante et variable est la femme.— (Note du traducteur.)

[78] Cette histoire d'un faux héraut n'arriva que sept ou huit ans plus tard.—(Note de l'éditeur.)

[79] En Anglais varment ou vermin. Ce mot en vénerie s'applique aux blaireaux, aux fouines, etc., etc., toutes bêtes indignes d'être chassées selon les nobles règles de l'art.—(Note de l'éditeur.)

[80] Le monument de Garrick, à Westminster, représente ce grand comédien entre Melpomène et Thalie.—(Note de l'éditeur.)

[81] Ce fut vainement que la cour de Rome voulut disputer au roi le droit de punir des évêques. Le cardinal et l'évêque de Verdun son complice, passèrent plus de dix ans dans les filets du roi, comme on avait surnommé les cages de fer. Ces deux prêtres étaient généralement détestés.

[82] Petite monnaie de cuivre d'écosse. Expression familière et même proverbiale.—(Note de l'éditeur.)

[83] Wraith, mot qui se dit en écosse du fantôme d'un homme encore vivant.—(Note de l'éditeur.)

[84] Le mot wraith est en effet inintelligible pour Dunois.—(Note de l'éditeur.)

[85] Small-Back, sobriquet donné-à la Mort en écosse.—(Note de l'éditeur.)

[86] Nom d'une des meilleures espèces de thé noir.—(Note de l'éditeur.)

[87] Poème bizarre et fantastique de Coleridge, qui fait arrêter par le marinier un convive obligé d'écouter sa lamentable histoire au bruit des violons de la noce à laquelle il se rendait.—(Note de l'éditeur.)

[88] Breuvage fortifiant, composé de vin, de crème, de muscade, de sucre et d'œufs bien battus,—(Note de l'éditeur.)

[89] Lorsque la mariée était couchée, on éteignait les lumières dans sa chambre où étaient réunies toutes les filles de la noce. Elle jetait son bas en l'air, et si quelqu'une était assez heureuse pour le recevoir, c'était un présage qu'elle serait mariée dans l'année.—(Note de l'éditeur.)

[90] Auteur du poème de l'Auberge.—(Note de l'éditeur.)

[91] Le roman de Quentin Durward étant une véritable excursion sur notre sol et dans notre histoire, l'éditeur s'est permis de relever par des notes plusieurs fautes, peut-être volontaires, du romancier. Il croit devoir rappeler ici que sir Walter Scott cherche plutôt à peindre en artiste le caractère moral et le costume général d'une époque, qu'à raconter en froid annaliste les événemens disposés selon la chronologie.—(Note de l'éditeur.)

Chargement de la publicité...