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Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 2/8)

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QUARTIER
SAINTE-OPPORTUNE.

Ce quartier est borné à l'orient par le marché de l'Apport-Paris et par la rue Saint-Denis exclusivement; au septentrion par la rue de la Féronnerie, y compris les charniers des Saints-Innocents du côté de la même rue, et par une partie de la rue Saint-Honoré inclusivement, depuis ladite rue de la Féronnerie jusqu'au coin des rues du Roule et des Prouvaires; à l'occident, par les rues du Roule et de la Monnoie, et par le carrefour des Trois-Maries jusqu'à la rivière, le tout exclusivement; et au midi, par les quais de la Vieille Vallée-de-Misère et de la Mégisserie inclusivement.

On comptoit en 1789, dans ce quartier, vingt-neuf rues, deux places et deux culs-de-sac. On y voyoit, avant la révolution, une église collégiale et paroissiale, une chapelle, une prison et un grenier public.

En jetant les yeux sur la carte qui représente Paris tel qu'il étoit sous le règne de Philippe-Auguste, on voit que ce quartier est un des plus anciens de cette partie de la ville, et qu'il étoit déjà renfermé en entier dans l'enceinte que ce prince avoit fait élever.

Toutefois, et nous croyons devoir le répéter, si l'on veut se faire une idée exacte de ces premiers quartiers, à l'époque où furent bâtis les vieux monuments que nous décrivons, il faut en quelque sorte les dépouiller des constructions modernes qui en ont changé presque tout l'aspect, et se reporter à ces temps grossiers où les arts, encore dans l'enfance, et les besoins extrêmement bornés de nos simples aïeux, ne leur donnoient ni le pouvoir ni la volonté de rendre à la fois commode et agréable le séjour qu'ils habitoient. Quoique Philippe eût fait paver les principales rues de la ville, que les nouvelles murailles en eussent considérablement augmenté l'étendue, et que ce monarque vigilant n'eût rien négligé, autant du moins que le permettoient son siècle et ses moyens, pour la sûreté et l'embellissement de sa capitale; cependant c'est seulement sous ses successeurs que les vignes, les terres labourables, les prés renfermés dans la nouvelle enceinte furent couverts de maisons et d'édifices publics. D'un autre côté, la Seine n'étoit point encore entourée de cette longue suite de quais qui la forcent de couler dans son lit, et opposent une digue insurmontable à ses fréquentes inondations. Libre alors dans son cours, elle étendoit ses ravages sur ces bords, qu'elle rendoit souvent malsains et impraticables. Philippe-le-Bel fut le premier qui, pour remédier à ces inconvénients, ordonna, en 1312, de construire un quai depuis l'hôtel de Nesle jusqu'à la maison de l'évêque de Chartres[177]; ce qui fut exécuté les années suivantes. Il paroît, par un compte du payeur des œuvres de la ville de Paris, que le quai[178] qui borde au midi le quartier que nous allons décrire ne fut bâti qu'en 1369, et que le port au Foin ne[179] fut pavé que l'année suivante. Le terrain qu'occupe ce quai alloit auparavant en pente jusqu'à la rivière; il formoit des basses-cours et des jardins; et, au sortir de la Cité, il n'y avoit d'autre chemin pour se rendre au Louvre que la rue Saint-Germain. Au bout du pont aux Meuniers, on ne comptoit alors que deux maisons en retour; elles étoient élevées sur un mur de neuf toises quatre pieds de long sur vingt-huit pieds d'épaisseur, qui servoit de borne à la rivière de ce côté[180]. Le terrain situé à l'extrémité de ce quai, du côté oriental, entre l'abreuvoir Popin et la rue Saint-Leufroi, a été long-temps appelé la Vallée-de-Misère. On y tenoit le marché à la volaille; et c'est de là que Guillot désigne cet endroit sous le nom de la Poulaillerie. Sa partie occidentale étoit habitée, dès la fin du treizième siècle, par des gens qui préparoient les peaux, et qu'on nomment mégissiers[181]. Une sage police éloignoit dès lors du centre des villes ces sortes d'ouvriers, les tanneurs, les teinturiers et autres artisans dont les travaux pouvoient y répandre l'infection[182].

Tel étoit alors l'état de la partie de Paris connue sous le nom de Ville: des terrains vagues et déserts occupoient l'extrémité de son enceinte, et des marais fangeux la bordoient le long du cours de la rivière.

En sortant de la Cité pour aller au Louvre, le premier édifice public que l'on rencontroit étoit une espèce de château qui appartenoit à l'évêque, et qui n'a été détruit que vers la fin du siècle dernier.

LE FOR-L'ÉVÊQUE.

Ce bâtiment[183], qui n'existe plus, étoit situé au milieu de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois. Les antiquaires ne sont d'accord ni sur la manière dont le nom doit en être écrit, ni sur l'usage auquel il étoit primitivement destiné. Quelques-uns écrivent Fort-l'Évêque, comme si c'eût été une forteresse; d'autres le Four-l'Évêque, parce qu'ils prétendent que le four banal, où les vassaux du prélat envoyoient cuire leur pain, occupoit une partie de cet édifice. Le savant M. de Valois avoit adopté cette dernière opinion: Recentiores omnes scriptores, dit-il, ignari antiquitatis, Forum Episcopi vocant, quem Furnum Episcopi convenit appellari[184]. Cependant ni l'une ni l'autre de ces étymologies ne nous semble la véritable, bien que dans un très-grand nombre de titres de l'évêché on lise en effet le Four l'Évêque. Le For-l'Évêque étoit le lieu où l'évêque faisoit exercer sa justice, Forum Episcopi. Cela est si vrai que, dans les registres du parlement de 1308 et 1310[185], le juge de l'évêque est appelé Præpositus Furni Episcopi, et qu'ensuite il est nommé bailli du Four-l'Évêque[186]. Le véritable sens de ce mot s'étoit même conservé jusque dans les derniers temps de la monarchie; et le peuple, dans son langage trivial, appeloit encore four toute prison ou tout endroit où l'on mettoit en chartre privée ceux qu'on avoit enrôlés par surprise ou par force.

La censive des évêques ayant toujours été fort étendue, il étoit nécessaire qu'ils eussent un officier préposé pour recevoir leurs droits, et un juge pour décider les affaires contentieuses qui pouvoient naître de cette perception, ou pour prononcer sur les peines dont étoient passibles les crimes commis dans l'étendue de leur seigneurie. Il est vraisemblable que ce tribunal fut d'abord placé dans la Cité; mais on ne trouve à ce sujet ni indice ni tradition. Depuis, la ville s'étant accrue du côté du nord, et le marché public ayant été établi sur le territoire de Champeaux, il est probable que l'évêque, qui se trouvoit, par ces accroissements, dans un conflit de juridiction avec le roi, jugea à propos de transporter sa justice de ce côté. On pourroit donc en fixer l'époque vers 1136, temps où l'évêque Étienne céda à Louis-le-Gros[187] les deux tiers de ce terrain de Champeaux, ou en 1222, date de l'accord que Philippe-Auguste fit avec Guillaume de Seignelai, qui gouvernoit alors l'église de Paris, au sujet de la justice et des droits qu'ils pouvoient respectivement exercer. Il est certain du moins que, depuis cette dernière époque, on ne voit point que la justice séculière de l'évêque ait été rendue ailleurs qu'en cet endroit; et dans les diplômes de ces deux princes, il est fait mention de l'officier du roi et de celui de l'évêque, sous le même nom de prévôt (præpositus).

Les mêmes motifs furent cause sans doute de l'érection d'un tribunal du roi semblable à celui du prélat. On voit, par tous les titres qui en font mention[188], que le For-le-Roi[189] étoit aussi situé dans la rue Saint-Germain, vis-à-vis le For-l'Évêque.

Une inscription[190], gravée sur la porte de ce dernier monument du côté du quai de la Mégisserie, nous apprenoit qu'il fut rebâti depuis les fondements, en 1652, par Jean-François de Gondi, premier archevêque de Paris. Cependant il faut observer ou qu'il ne fut pas rebâti en entier, ou que l'on conserva le mur du côté de la rue Saint-Germain: car la porte qu'on y voyoit annonçoit une antiquité qu'on peut fixer au treizième siècle. Au-dessus étoient plusieurs sculptures remarquables: au milieu, un évêque et un roi de France vis-à-vis l'un de l'autre, et agenouillés devant une image de Notre-Dame, symbole de l'association à laquelle Louis-le-Gros fut admis, ou du traité de paix fait entre l'évêque et Philippe-Auguste; d'un côté, les armes de France à fleurs de lis sans nombre, traversées d'une crosse droite; de l'autre, un juge en robe et en capuchon, des assesseurs, et un greffier vêtu comme un homme d'église.

Louis XIV, par son édit de 1674, ayant réuni au Châtelet toutes les justices particulières, transféra celle de l'archevêché, et l'unit au tribunal de la temporalité[191], situé dans la cour du palais archiépiscopal. Depuis ce temps, le For-l'Évêque fut destiné à servir de prison, principalement pour ceux qui étoient arrêtés pour dettes.

LE GRENIER À SEL.

Il étoit situé dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, au coin de la rue des Orfévres[192].

Il y avoit anciennement, près le Châtelet, un édifice appelé maison de la marchandise de sel; et c'est de là que la rue de la Saunerie a pris son nom. Cet établissement fut ensuite placé dans la rue Saint-Germain, entre la place des Trois-Maries et l'Arche-Marion; il paroît qu'il étoit situé des deux côtés de la rue; mais les bâtiments n'étant ni assez vastes ni assez commodes, on fit acquisition, en 1698, d'une grande maison qui, dès le treizième siècle, appartenoit à l'abbaye de Joie-en-Val[193]. La manse abbatiale de ce monastère ayant été réunie à l'évêché de Chartres, comme une compensation des démembrements qu'on y avoit faits pour former l'évêché de Blois, cette circonstance parut favorable pour transférer le grenier à sel dans cette maison. C'étoit à cause de cette ancienne propriété et de cette aliénation qu'on avoit sculpté, sur la façade des bâtiments qui furent refaits, les armes de l'évêque de Chartres et celles de l'abbaye de Joie-en-Val, à côté de celles du roi. Les trois corps de l'édifice total étoient, par la même raison, désignés sous les noms de Grenier-au-Soleil, Grenier-l'Évêque, Grenier-l'Abbaye.

Derrière le grenier à sel étoit la juridiction des officiers préposés à la distribution de cette denrée, dont la vente appartenoit exclusivement à l'autorité publique.

LA CHAPELLE SAINT-ÉLOI.

Cette chapelle[194], qui étoit située à l'autre extrémité de la rue des Orfévres, avoit été bâtie par les gens de cette profession vers la fin du quatorzième siècle. Sur la première origine de ce petit monument, on trouve dans les historiens de Paris[195] quelques erreurs qu'il est facile de réfuter. «À l'endroit, disent-ils, qu'occupe la chapelle de Saint-Éloi, il y avoit anciennement, à ce qu'on prétend, un hôpital avec une chapelle appelée la chapelle de la Croix-de-la-Reine; il en est fait mention dans les lettres d'Odon, évêque de Paris; et quoiqu'elles ne marquent pas précisément le lieu où elle étoit située, on voit que c'étoit dans le terrain de Saint-Germain-l'Auxerrois.» Les lettres d'Eudes de Sully, écrites en 1202[196], détruisent complètement cette opinion. On y voit qu'on avoit fondé depuis peu un hôpital et une chapelle près de la Croix-de-la-Reine, dont ces deux nouvelles fondations avoient pris le nom. Cette croix étoit alors placée hors des murs, au-delà de la porte Saint-Denis, à l'endroit où aboutissent les rues du Renard et Greneta; la fontaine qui est au coin de cette dernière étoit encore appelée, avant la révolution, Fontaine-de-la-Reine, et tous les titres de Saint-Martin-des-Champs et de Saint-Lazare ne permettent pas de la chercher ailleurs. Voilà donc le lieu précisément marqué: quant à l'hôpital, c'étoit celui de la Trinité, dont nous parlerons par la suite. Il faut en conséquence rejeter toute idée d'un hôpital et même d'une chapelle existant à l'endroit où étoit celle de Saint-Éloi.

Dans ces temps anciens, où un esprit de charité animoit toutes les classes de la société, les orfévres payoient chaque année à l'Hôtel-Dieu une somme assez considérable pour ajouter au soulagement qu'y recevoient les pauvres ouvriers de leur corps: ils pensèrent ensuite qu'il étoit plus convenable qu'ils prissent eux-mêmes ce soin; et dans cette vue ils achetèrent, en 1399, de Roger de la Poterne, un de leurs confrères, et de Jeanne sa femme, une grande maison située dans la rue des Deux-Portes, et appelée l'hôtel des Trois Degrés, parce qu'on y montoit par autant de marches. Il formoit un espace carré qui régnoit le long de cette rue et de celles de Jean Lantier et des Lavandières. Les anciens bâtiments furent démolis; on construisit à la place une grande salle où l'on mit des lits; on ménagea des chambres au-dessus et une petite chapelle dans le fond. Le 12 novembre 1403, Pierre d'Orgemont, évêque de Paris, permit aux orfévres d'y faire célébrer le service divin; et cette permission fut ratifiée, en 1406, par un décret du cardinal de Chalant, à cette époque légat en France. L'abbé Lebeuf dit qu'on y mit une cloche[197], et qu'alors le chapitre de Saint-Germain prétendit faire valoir un droit de patronage sur cette nouvelle fondation; mais il ne fait point connoître ce qui fut décidé à ce sujet. Par les archives de la communauté des orfévres, il paroît que toutes les contestations de ce genre furent toujours jugées en sa faveur.

Cet hôpital, ainsi disposé, fut destiné à recevoir les pauvres orfévres âgés ou infirmes et leurs veuves; et les choses restèrent en cet état jusqu'au règne de Henri II. À cette époque les premiers bâtiments, construits en bois, menaçant ruine, on prit la résolution de les reconstruire en pierre, ainsi que la chapelle. La communauté se trouvoit alors propriétaire de huit maisons environnantes qu'elle avoit acquises successivement, et qu'elle fit entrer dans le nouveau plan de ses constructions. Un hôpital plus vaste, une chapelle plus commode prirent la place de ces vieilles masures, et le tout fut achevé en 1566. Un établissement si respectable a duré jusqu'en 1789, et l'on ne peut assez louer ce zèle noble, cette générosité touchante, qui ne se sont pas démentis un seul instant dans cette compagnie. Les pauvres orfévres étoient assurés de trouver à la fin de leur carrière une retraite honnête et tranquille, où ils recevoient tous les secours nécessaires à la vie; et l'on a vu même plusieurs de leurs confrères, par une charité encore plus ardente, sacrifier une partie considérable de leur fortune, pour adoucir le sort de ceux que leurs infirmités forçoient d'aller chercher un dernier asile dans l'hôpital des Incurables.

La chapelle étoit desservie par un chapelain, un diacre et un sous-diacre d'office, deux chantres et quelques autres officiers aux gages du corps des orfévres, et à la nomination des gardes; le chapelain seul ne pouvoit être nommé ou destitué que par délibération des gardes en charge et anciens gardes assemblés. On choisissoit de préférence pour remplir cet emploi un fils d'orfévre, si d'ailleurs il avoit les qualités requises.

Cet édifice avoit été construit sur les dessins de Philibert de Lorme. On y voyoit quelques figures de Germain Pilon[198], qui étoient fort estimées, et plusieurs tableaux, esquisses terminées de quelques-uns de ceux que la communauté des orfévres donnoit tous les ans à Notre-Dame.

Cette communauté étoit l'un des six corps qui, sous la monarchie, représentoient le commerce de Paris. Nous pensons que c'est ici le lieu de donner sur cette institution des six corps les détails que nous avons tirés des divers historiens de Paris.

LES SIX CORPS.

On attribue la réunion des six corps à Philippe-Auguste. Avant ce temps, le commerce de Paris ne se faisoit que par une compagnie de gens associés sous le titre de Marchands de l'eau hansez de Paris; cette compagnie formoit le Corps-de-Ville; et c'est par cette raison que le prévôt des marchands est appelé le chef de l'Hôtel-de-Ville.

Ces six corps étoient les drapiers, les épiciers, les merciers, les fourreurs, les bonnetiers et les orfévres.

Chacune de ces communautés étoit gouvernée par six maîtres et gardes choisis par le corps lui-même, parmi ceux qui étoient les plus intelligents et dont la réputation étoit sans reproche. Leur administration duroit deux années. Dans les cérémonies publiques, telles que les entrées des souverains, des légats, des ambassadeurs extraordinaires, etc., ils avoient le droit d'accompagner, le prévôt des marchands, les échevins et le corps de ville, et même de porter le dais, les uns après les autres, suivant le rang qu'ils occupoient. Leur costume, dans ces solennités, étoit la robe de drap noir à collet, et des manches pendantes, parmentées et bordées de velours noir. La toque qu'ils portoient étoit également de velours[199].

Cette institution a éprouvé d'assez grandes variations; et le nombre des corps qui la composoient n'a pas toujours été le même pendant le cours de son existence. Sous François Ier on trouve qu'il y en avoit sept, tandis qu'on n'en compte que cinq sous Louis XII. «Et s'il est vrai, dit Sauval, que les pelletiers puissent être écoutés en cette occasion, il ne s'en trouveroit que quatre anciennement; et c'étoient eux qui marchoient à la tête.»

Cette prétention pour la prééminence des rangs a excité souvent des disputes assez vives entre les diverses communautés qui formoient les six corps. Ces démêlés, qui occupèrent quelquefois l'autorité, étoient d'autant plus difficiles à terminer, qu'en consultant l'ancien usage, qui seul pouvoit servir de règle en pareille circonstance, on ne voit point qu'on s'y fût assujetti à un ordre constant. À l'entrée d'Anne de Bretagne, les pelletiers furent effectivement appelés les premiers; et quelque temps après, lorsque le cardinal d'Amboise fit la sienne, les drapiers avoient le premier rang. Les changeurs étoient alors au nombre des six corps, et tenoient leur place avant les orfévres. Bientôt après, on les voit exclus de la communauté[200], et remplacés par les bonnetiers, à qui les orfévres disputèrent à leur tour la préséance. Enfin toutes ces querelles un peu ridicules furent terminées en 1660 par un arrêt du parlement, et ensuite par un accord fait entre les six corps assemblés. Depuis cette époque, ils ont toujours marché dans l'ordre où nous venons de les présenter.

Ils formoient entre eux une étroite confédération, dont l'objet étoit le bien du commerce en général. Cette union et ses effets étoient exprimés dans leur devise, dont le corps étoit un Hercule qui s'efforce vainement de rompre un faisceau composé de six baguettes. On lisoit autour de l'exergue ces mots: Vincit concordia fratrum.

Les marchands de vin sollicitèrent long-temps pour être admis dans cette communauté, et y former un septième corps. Il avoient même obtenu à cet effet des lettres-patentes de Henri III, qui furent confirmées d'abord par Henri IV, ensuite par Louis XIII et Louis XIV. Cependant les six corps, tant qu'a duré leur ancienne forme, n'ont jamais voulu ni les reconnoître, ni les admettre dans leurs assemblées, ni souffrir qu'ils se mêlassent avec eux dans les solennités publiques. Ce ne fut qu'en 1776 qu'ils parvinrent enfin à y être agrégés, lorsque Louis XVI, après avoir donné son édit pour la suppression des jurandes et communautés de commerce, recréa sur-le-champ, par un édit nouveau, six corps marchands et quarante-quatre communautés d'arts et métiers. Les marchands de vin obtinrent alors ce qu'ils désiroient depuis si long-temps, et furent le sixième corps dans la nouvelle organisation. Voici quelques détails sur l'ancienne forme, les statuts et les prérogatives de cette compagnie.

LES DRAPIERS.

Quoique le premier rang leur ait été quelquefois disputé, cependant il paroît que, depuis très-long-temps, ils le possédoient sans aucune contestation. Ce corps, qui étoit l'un des plus anciens, étoit en même temps l'un des plus riches de la communauté.

La plupart d'entre eux habitèrent long-temps la rue de la Vieille-Draperie, dans laquelle Philippe-Auguste leur avoit donné vingt-quatre maisons confisquées sur les Juifs après leur bannissement; nous avons déjà dit que c'étoit des drapiers que cette rue avoit pris son nom.

Ce fut ce prince qui érigea leurs statuts en 1188. Philippe-le-Bel, le roi Jean et Charles VI les confirmèrent. Leur corps étoit autrefois divisé en deux communautés, les drapiers et les drapiers-chaussetiers; chacune avoit son patron et sa confrérie, et toutes les deux se disputèrent pendant plusieurs siècles le droit de préséance. Ce ne fut qu'en 1648 que, par un accord fait à l'amiable, elles se réunirent dans la même église et dans la même confrérie[201].

Leur bureau étoit situé rue des Déchargeurs, dans une ancienne maison nommée les Carneaux, qu'ils avoient achetée en 1527, et qu'ils rebâtirent vers le milieu du dix-septième siècle. En 1629, ils demandèrent aux prévôt et échevins de Paris des armoiries, tant pour mettre aux torches de leurs enterrements, que pour se faire distinguer dans les autres solennités. Cette demande leur fut accordée: c'étoit un navire d'argent à la bannière de France flottante, un œil en chef et le champ d'azur.

LES ÉPICIERS.

On appeloit ainsi celui des six corps où se faisoit le commerce des drogues et autres marchandises comprises sous le nom d'épiceries. Il avoit rang après celui des drapiers.

Ce corps étoit partagé en apothicaires et épiciers, et ces derniers en droguistes, confituriers et ciriers. Ces deux divisions étoient gouvernées par les mêmes maîtres et gardes, et régies par les mêmes lois. Ces gardes, au nombre de six, et pris également parmi les apothicaires et les épiciers, étoient chargés de tenir la main à l'exécution des statuts et réglements, de faire au moins trois visites par an, et en outre, des visites générales chez tous les marchands, maîtres de coches, etc., pour confronter les poids et les balances. C'étoit un droit dont ils jouissoient exclusivement, parce qu'ils ont eu de tout temps des étalons de poids en dépôt; mais ils ne pouvoient l'exercer sur les cinq autres corps qui étoient exempts de leur inspection.

Leurs statuts[202] furent confirmés par plusieurs lettres-patentes de nos rois, entre autres de Henri IV en 1594, et de Louis XIII en 1611 et 1624.

Ils avoient pour armoiries, coupé d'azur et d'or, à la main d'argent sur l'azur, tenant des balances d'or; et sur l'or, deux nefs de gueule, flottantes aux bannières de France, accompagnées de deux étoiles à cinq pointes de gueule, avec la devise en haut: Lances et pondera servant.

LES MERCIERS.

Le corps de la mercerie, le troisième des six corps marchands, étoit si étendu et si considérable, qu'il étoit pour ainsi dire divisé en vingt classes différentes: on distinguoit les négociants ou marchands en gros; les marchands d'étoffes de soie, brochées en or et argent; ceux qui faisoient le commerce de dorure et de galons, dentelles et réseaux d'or et d'argent; les marchands de fer, de soieries, de modes, toiles, dentelles, etc. Ce nom de mercier indique en effet, par son étymologie, toutes marchandises, denrées, ou choses dont on peut faire trafic.

Ce corps fut établi par Charles VI, qui lui donna ses premiers statuts et réglements en 1407 et 1412. Ils furent depuis confirmés et augmentés par Henri II, Charles IX, Henri IV, Louis XIII et Louis XIV.

À la tête de ce corps étoient sept maîtres et gardes, préposés pour la conservation de ses priviléges et de sa police. Leur bureau étoit situé rue Quinquempoix.

Les armoiries du corps de la mercerie étoient un champ d'argent chargé de trois vaisseaux, dont deux en chef et un en pointe. Ces vaisseaux étoient construits et mâtés d'or sur une mer de sinople, le tout surmonté d'un soleil d'or, avec cette devise: Te toto orbe sequemur.

LES PELLETIERS.

Ce corps, qui est le quatrième, se composoit de ceux qui apprêtent et vendent toutes sortes de peaux avec leur poil, comme manchons, palatines, fourrures, etc.

Dans les cérémonies publiques, il disputoit le troisième rang au corps de la mercerie, lequel s'est cependant maintenu en possession de la préséance, malgré toutes les protestations des pelletiers, qui ne pouvoient oublier que dans l'origine ils avoient marché à la tête des six corps.

En 1586, sous Henri III, la communauté des fourreurs fut réunie à celle des pelletiers, et il leur fut donné les premiers statuts, qui les qualifioient de maîtres et marchands pelletiers, haubaniers, fourreurs. Ces statuts ont été depuis augmentés et confirmés par Louis XIII et Louis XIV.

Les armoiries de ce corps étoient un agneau pascal d'argent en champ d'azur, à la bannière de France de gueule, ornées d'une croix depuis 1368. Ce nouveau symbole fut le résultat d'une concession que leur procura le duc de Bourbon, comte de Clermont, grand chambellan de France, qu'ils prétendoient avoir eu pour chef et pour protecteur.

Ils avoient leur bureau rue Bertin-Poirée.

LES BONNETIERS.

Les bonnetiers formoient le cinquième corps. Ils avoient le droit de vendre bonnets de drap, de laine, bas, gants, chaussons, et autres semblables ouvrages faits au métier, au tricot, à l'aiguille, en laine, fil, lin, poil, castor, coton, et autres matières ourdissables.

Dans les statuts de la bonneterie, accordés par Henri IV en 1608, les marchands bonnetiers sont appelés aulmuciers-mitoniers, parce qu'anciennement c'étoient eux qui faisoient des aumuces ou bonnets dont on se servoit en voyage; et qu'ils vendoient des mitaines.

Ce cinquième corps s'est accru, en 1716, de la communauté des maîtres bonnetiers et ouvriers en tricots, des faubourgs.

Il avoit son bureau dans la rue des Écrivains.

Ses armoiries étoient d'azur à la toison d'argent, surmontées de cinq navires aussi d'argent, trois en chef et deux en pointe. Il avoit autrefois une confrérie établie dans l'église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, sous la protection de saint Fiacre.

LES ORFÉVRES.

Ce corps se composoit des orfévres, joailliers-bijoutiers, metteurs en œuvre et marchands d'or et d'argent. Il étoit le sixième et dernier des six corps marchands.

L'orfévre est l'artiste et le marchand tout ensemble. Il fabrique, vend et achète toutes sortes de vaisselles, bijoux, vieux galons et autres effets d'or et d'argent. Il a aussi le négoce et l'emploi des diamants, perles et pierres précieuses.

Philippe de Valois avoit honoré ce corps des armoiries qu'il possédoit. Elles étoient de gueules à trois croix d'or dentelées, accompagnées, aux premier et quatrième quartiers, d'une coupe d'or, et aux second et troisième, d'une couronne du même métal, au chef d'azur semé de fleurs de lis sans nombre.

Ce corps avoit eu la prétention de marcher à la tête des autres, et ses titres, pour la soutenir, étoient qu'autrefois il avoit la garde du buffet royal dans les festins d'apparat qui se faisoient au palais de la cité. Cependant on n'eut point égard à cette réclamation; et le parlement rejeta leur requête, lorsqu'ils demandèrent d'avoir au moins le pas sur les bonnetiers[203].

L'ÉGLISE
ROYALE, COLLÉGIALE ET PAROISSIALE
DE SAINTE-OPPORTUNE.

L'origine de cette ancienne église a fait naître de grands débats parmi les historiens de Paris; et, dans les opinions contradictoires qu'ils présentent, on ne voit d'aucun côté des autorités assez fortes pour que l'on puisse, sans balancer, embrasser l'une de ces opinions. Jusqu'ici l'on a pu remarquer que, dans la plupart de ces antiquités dont il est resté des traditions si confuses, l'incertitude est presque toujours le résultat de tant de travaux entrepris pour démêler la vérité.

Le plus grand nombre prétend que cette église ne fut dans ses commencements que la chapelle d'un ermitage, qu'on nommoit Notre-Dame-des-Bois, parce qu'elle étoit située à l'entrée d'une forêt qui s'étendoit en largeur depuis cet ermitage jusqu'au pied de Montmartre, et en longueur, depuis le pont Perrin, qui étoit vers la porte Saint-Antoine, jusqu'aux environs de Chaillot. Ils ajoutent que les incursions et les ravages des Normands ayant forcé Hildebrand, évêque de Séez, de s'enfuir de son diocèse, il demanda à l'un de nos rois un lieu de sûreté pour son clergé et pour les reliques de sainte Opportune, fille du comte d'Hiême, et morte abbesse d'Almenêche; que d'abord ce prélat obtint la terre de Moucy-le-Neuf près de Senlis, où le corps de la sainte fut déposé; mais que ne s'y croyant pas encore entièrement hors d'insulte, il fut appelé à Paris, et établi dans cette chapelle de Notre-Dame-des-Bois; qu'il y fit apporter les reliques de la sainte, devint recteur de cette chapelle, et d'un hospice élevé auprès par ses soins; et qu'enfin la dévotion des fidèles et les offrandes qu'attiroient les miracles fréquents opérés par ces restes précieux permirent bientôt d'y bâtir une église plus considérable.

Toutefois ces mêmes historiens, qui s'accordent sur le fait historique auquel l'église de Sainte-Opportune doit son origine, sont d'un avis très-différent lorsqu'il s'agit de fixer le temps où il arriva, et le nom du prince qui fut le donataire de cette chapelle. Les uns, comme Sauval, placent la translation des reliques de la sainte en 853; d'autres, comme dom Duplessis, en 877 ou 878. Le P. Pagi en fixe l'époque à l'année 879; Le Maire, au commencement du douzième siècle; Dubreul, sous Louis-le-Jeune; enfin Germain Brice recule cet événement jusqu'en 1374. Les uns attribuent à Charles-le-Chauve et à Louis de Germanie les premières donations faites à Hildebrand; les autres en font honneur à Louis-le-Bègue, à Louis-le-Gros et à Louis-le-Jeune; enfin plusieurs font de la chapelle de Notre-Dame-des-Bois un prieuré de filles dépendant du monastère dont sainte Opportune étoit abbesse: c'est l'opinion de Sauval, de Dubreul, etc. En même temps qu'ils établissent ces sentiments divers, plusieurs donnent à la chapelle de Notre-Dame-des-Bois une antiquité plus grande qu'à aucun autre monument chrétien. Le même Sauval dit que, «si l'on en croit la tradition, saint Denis, qui vint en France en 252, la mit en grande vénération des peuples.» Un autre la fait exister en 255[204]; et Corrozet, en lui donnant une origine non moins reculée, ajoute «que madame sainte Opportune, religieuse, la fréquentoit souvent, et qu'elle est enclose en son église.» Nous avons vu que, selon le plus grand nombre, la forêt qui touchoit cet ermitage couvroit tout le terrain au nord de Paris.

Jaillot, qui vient après tous ces auteurs, prétend les réfuter tous: sans s'arrêter à prouver qu'on ne peut sérieusement avancer qu'il existoit une chapelle à Paris dès l'an 252, lorsqu'on n'a aucune autorité qui puisse donner même de la vraisemblance à une semblable assertion, il soutient que sous Charles-le-Chauve il existoit déjà une enceinte au nord, dans laquelle cette chapelle devoit être enclavée, et qu'il seroit absurde d'imaginer qu'il y eût une forêt dans cette enceinte. Il ajoute que nos historiens nous ayant conservé les noms de la chapelle de Saint-Pierre, de celle de Sainte-Colombe et des églises qui subsistoient dans ces temps reculés, ils auroient nécessairement fait mention de celle de Notre-Dame-des-Bois, si elle eût alors existé; que cependant on n'en trouve aucun vestige, ni dans les chartres qui contiennent les libéralités de nos rois envers l'église de Sainte-Opportune, ni dans l'histoire de la vie de la sainte, dont l'auteur avoit pu être témoin oculaire d'une partie de ces faits, etc. «Enfin, dit-il, pourquoi Hildebrand fit-il bâtir une église pour y mettre le corps de sainte Opportune? La chapelle de Notre-Dame-des-Bois ne suffisoit-elle pas pour renfermer ce saint dépôt? Et quelque petite qu'on puisse la supposer, n'étoit-elle pas assez grande pour lui et les quatre clercs qui l'accompagnoient? Quelle conséquence en tirer, si ce n'est que cette chapelle n'existoit point alors, et qu'elle n'a été bâtie que depuis, sous un nom que des circonstances ou des motifs particuliers lui auront fait donner, et dont la connoissance n'est point venue jusqu'à nous?»

De telles raisons ne peuvent sembler concluantes: l'ermitage et la forêt pouvoient exister avant que l'enceinte eût été formée; et lorsque l'on conçut le projet d'élever une muraille contre les incursions des Normands, on put y faire entrer la chapelle, établie sans doute sur la lisière du bois, sans être forcé d'y comprendre la forêt tout entière. En supposant qu'il ne reste aucune trace de cet ancien édifice dans les vieilles chroniques, une tradition aussi constante que celle sur laquelle s'appuient tous les historiens n'est point à dédaigner, et ne peut être rejetée comme une chimère, lorsqu'il s'agit d'un événement aussi simple, aussi naturel que celui de l'érection d'une chapelle; mais la dernière raison surtout nous semble peu digne d'un critique aussi éclairé: pourquoi Hildebrand n'auroit-il pas fait bâtir une église à la place de cette chapelle pour honorer davantage la sainte, surtout si la dévotion et les offrandes des fidèles lui en fournissoient les moyens? (et cet incident fait aussi partie de la tradition.) Il y a tant d'exemples de chapelles changées en églises magnifiques, uniquement parce qu'on y avoit déposé les reliques de tel ou tel saint, qu'on ne sauroit s'appuyer sur d'aussi foibles preuves pour rejeter cette tradition.

Jaillot est plus heureux dans ses conjectures sur le prince qui donna à Hildebrand le terrain sur lequel il bâtit cette église: il prétend que ce fut Louis-le-Bègue, et non Charles-le-Chauve et Louis de Germanie. Il prouve aussi très-bien que toutes les chartres des rois de la troisième race, dans lesquelles les antiquaires ont cru voir une donation de ce territoire, ne contiennent que la confirmation d'un droit de propriété que les chanoines de Sainte-Opportune possédoient dès la seconde, etc. Au reste, en soutenant que la chapelle n'existoit point avant Hildebrand, que ce fut lui qui la fit bâtir ainsi que l'hospice, il convient avec tous les historiens que les miracles opérés par les reliques de sainte Opportune occasionnèrent un concours de fidèles dont la piété et la libéralité fournirent les moyens de bâtir une plus grande église sous son invocation.

Le territoire sur lequel cette église fut élevée étant dans la dépendance de Saint-Germain-l'Auxerrois, le chapitre de cette église prétendit être en droit de nommer aux prébendes de Sainte-Opportune, ce qui lui fut accordé par Imbert, évêque de Paris, vers 1030, et confirmé par Galon en 1108, et Maurice de Sully en 1192.

Le chapitre de l'église de Sainte-Opportune n'étoit composé, dans son origine, que de quatre chanoines. Et d'abord il paroît qu'ils remplissoient tour à tour les fonctions curiales; mais, par suite, il n'y en eut qu'un seul chargé de ce soin. On ignore l'époque à laquelle ce nouvel ordre fut établi: on sait seulement que, vers le milieu du douzième siècle, le chapitre de Saint-Germain essaya de contester à ces chanoines le droit ancien qu'ils avoient de nommer le curé ou chefecier, jus longæ retentionis et possessionis, et qu'ils y furent maintenus par Thibauld, évêque de Paris, en 1150, et par une bulle d'Adrien IV de l'année 1159. Un second accord, passé entre ces deux chapitres en 1225, fixa d'une manière immuable les droits et les charges de la cure de Sainte-Opportune[205].

Les choses étoient encore sur le même pied au milieu du treizième siècle. Quoique la culture des terres, ou marais, dont ce chapitre étoit propriétaire, et les droits qu'il y percevoit, eussent considérablement augmenté ses revenus, cependant il n'étoit encore composé que du chefecier, de trois chanoines qui ne résidoient pas, et de trois vicaires qui tenoient leur place. Alors Renaud de Corbeil, par ses lettres en forme de réglement, du mois de juin 1253, divisa chaque prébende en deux, accordant toutefois que cette division n'auroit lieu qu'après le décès des chanoines existants, et même après celui d'un ecclésiastique déjà nominé et reçu pour remplir le premier canonicat vacant. La prébende à laquelle la cure étoit annexée fut comprise dans cette division, qui devoit former huit canonicats, le chefecier compris. Il fut aussi statué que chaque chanoine résideroit personnellement pendant six mois, à moins qu'il n'y eût quelque empêchement légitime; et pendant les six autres mois, par un vicaire institué à cet effet[206]. On convint encore que la collation des nouveaux canonicats appartiendroit, comme celle des anciens, au chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois. Tels furent ces réglements que nous avons cru devoir citer comme un modèle d'équité, et de cet art délicat avec lequel il est permis de détruire un abus sans attaquer les droits des hommes, leur situation légitime dans la société, les rapports et les habitudes qui résultent de cette situation. Dans un acte aussi important, un siècle grossier se montre ici bien supérieur à celui qui s'est tant enorgueilli de ses lumières et de sa civilisation.

En 1311 Guillaume d'Aurillac, évêque de Paris, établit dans cette église deux marguilliers laïques, auxquels il donna l'administration de la fabrique.

À l'égard des constructions diverses et successives qui composoient la masse de cet antique monument, on n'a aucun renseignement précis sur le temps où elles furent élevées. Un auteur a prétendu que la nef, qui existoit encore dans les derniers temps, étoit la même qu'Hildebrand avoit fait construire sous la seconde race, et que le chœur, qui avoit subsisté jusqu'en 1154, fut alors rebâti et tourné un peu plus vers l'orient. Cette dernière circonstance est vraie; mais l'abbé Lebeuf a prouvé que tout ce qui composoit cette église, sans même en excepter le grand portail, ne pouvoit être que du treizième ou quatorzième siècle[207]; et en effet, il y avoit une grande ressemblance entre son architecture et celle de plusieurs autres édifices connus pour être de ce temps-là. La tour, encore plus nouvelle, étoit curieuse par les ornements dont elle étoit couverte, tels que fleurs de lis, festons, cornes d'abondance, trophées, etc., lesquels étoient des marques éclatantes qu'elle avoit été bâtie par la munificence de nos rois. Aussi cette église étoit-elle qualifiée de royale; et, à ce titre, elle jouissoit du droit de committimus[208], ainsi que de toutes les autres prérogatives des églises de fondation royale. La cure des SS.-Innocents étoit à sa nomination.

Il paroît que le service de la paroisse de Sainte-Opportune se faisoit anciennement dans une chapelle qui, dès le quinzième siècle, se trouva trop petite pour la quantité des habitants. Pour remédier à cet inconvénient, on abattit, en 1483, l'auditoire et trois maisons attenantes; la nef fut agrandie, et l'on construisit la chapelle, qui, jusqu'à la destruction totale de l'église[209], a servi à l'office paroissial.

Cette église possédoit plusieurs reliques renommées, et entre autres une côte et un bras de la sainte dont elle portoit le nom. Ce dernier ossement, qu'elle obtint, dit-on, en 1374, de l'abbé de Cluni, à qui appartenoit alors la terre de Moucy-le-Neuf, y fut apporté avec une pompe remarquable. Cette translation se fit du palais Saint-Paul à l'église avec grands luminaires et grande suite de peuple, à la tête duquel étoient Charles V et toute sa cour. Dès lors il fut ordonné que l'on feroit tous les ans, le premier dimanche d'après les Rois, jour de cette translation, l'office double de sainte Opportune, et que l'office du dimanche seroit remis à un autre jour.

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINTE-OPPORTUNE.

TABLEAUX.

La Présentation au temple, par Jouvenet; une Mère de douleur, par Champagne.

SÉPULTURES.

La chapelle Notre-Dame-des-Bois étoit affectée depuis 1515 à la sépulture de la famille Perrot.

Dans l'église avoit été inhumé François Conan, maître des requêtes, mort en 1551, à l'âge de 44 ans[210].

On remarquoit encore dans cette église un candélabre à dix branches, d'un fort beau travail, que lui avoit donné l'empereur Charles-Quint, lors de son passage à Paris.

L'église Sainte-Opportune a été détruite et est remplacée par des maisons particulières.

HÔTELS DU QUARTIER
SAINTE-OPPORTUNE.

MAISON DE LA COURONNE D'OR.

Dans la rue des Bourdonnois il existe un édifice gothique qui porte maintenant pour enseigne la Couronne d'or. Une tradition entièrement destituée de fondement, porte que Philippe-le-Bel demeuroit, en 1280, dans cette maison; mais il est certain qu'à la fin du quatorzième siècle elle étoit occupée par Philippe, duc de Touraine, et depuis duc d'Orléans, frère du roi Jean, qui en fit l'acquisition, par contrat du 1er octobre 1363, pour une somme de deux mille francs d'or[211]. Ce prince la vendit ensuite au fameux Gui de La Trémoille, qui l'habitoit en 1398. Cet hôtel, devenu la maison seigneuriale de cette famille, s'étendoit le long de la rue Béthisi jusqu'à la rue Tirechape. Il paroît, par un compte de la prévôté de Paris, que cette propriété fut de nouveau vendue après la mort de ce seigneur, et réclamée ensuite par Messire Jehan de La Trémoille, seigneur de Jonvelle, auquel elle fut rendue, et qui l'occupoit en 1421. Elle a passé depuis entre les mains de diverses personnes. Le chancelier Dubourg y a demeuré; elle a ensuite appartenu au président de Bellièvre, dont elle avoit pris le nom.

Nous avons cru devoir faire graver ce petit monument, qui conserve, au milieu des réparations modernes qui l'ont défiguré, plusieurs parties entières de son ancienne architecture, laquelle est du gothique le plus élégant. Nous ne connoissons même point à Paris d'édifice de ce genre qui offre des ornements travaillés avec plus de délicatesse[212].

HÔTEL DE VILLEROI.

De l'autre côté, entre les rues de la Limace et des Mauvaises-Paroles, étoit situé, vers le milieu du seizième siècle, l'hôtel des ducs de Villeroi; il a été acquis depuis par MM. Pajot, et a servi pendant quelque temps de bureau général des postes.

HÔTEL DE ROHAN-MONTBAZON.

C'est dans la rue de Béthisi, voisine de celle des Bourdonnois, que demeuroit Gaspard de Coligni, amiral de France; et c'est là qu'il fut massacré dans la nuit de la Saint-Barthélemi. Cette maison a été occupée depuis par les seigneurs de Rohan-Montbazon, dont elle portoit encore le nom en 1772. Elle est petite, à peine suffisante pour l'établissement du marchand qui l'occupe aujourd'hui, et n'a, dans son extérieur, rien qui annonce qu'elle ait été la demeure de personnages distingués.

HÔTEL DE ROYAUMONT.

L'abbé et les religieux de Royaumont avoient leur hôtel dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois. Cet hôtel avoit été amorti au mois de février 1248; mais en 1316, ils l'échangèrent, avec Jean de Dijon, pour une maison située rue Raoul Roissole (aujourd'hui rue du Jour), près Saint-Eustache.

HÔTEL DE L'ABBAYE DE JOIE-EN-VAL.

L'hôtel des religieux de cette abbaye étoit situé dans la rue des Orfévres, qui, par cette raison, portoit anciennement le nom de la rue aux Moignes de Jenvau. C'est ainsi qu'elle est désignée par Guillot.

MAISON DU CHEVALIER DU GUET.

Cette maison étoit située dans une rue de ce quartier, désignée dans tous les anciens titres sous la dénomination commune à d'autres rues; de le Perrin Gasselin; et qui depuis a porté, et jusqu'à nos jours, le nom de rue du Chevalier du Guet. Il y a apparence que ce fut par suite d'une ordonnance du roi Jean, en date du 6 mars 1363[213], que cette maison fut achetée et destinée à être la résidence du chef de cette compagnie.

L'établissement de corps de troupes armées, chargé de veiller pendant la nuit à la sûreté des cités, se retrouve chez toutes les nations civilisées, tant anciennes que modernes. Les Gaulois reçurent des Romains cette institution salutaire[214], lorsqu'ils passèrent sous leur domination; les rois francs l'adoptèrent, après qu'ils eurent conquis les Gaules; et les plus anciennes ordonnances de ces princes nous prouvent que, dès le commencement de la monarchie[215], il y avoit un guet de nuit dans les principales villes du royaume. Au milieu des nombreux désordres que firent naître l'usurpation anarchique des fiefs, la corruption du gouvernement féodal, et les guerres continuelles que se faisoient entre eux tant de petits seigneurs qui s'étoient créés souverains, toutes les lois relatives au guet de nuit furent maintenues, même alors qu'on en violoit tant d'autres, parce que la sûreté de tous y étoit intéressée. Mais dans des temps plus heureux, et lorsque l'ascendant de l'autorité eut enfin rétabli l'ordre et le calme dans toutes les parties de la France, le service personnel que les habitants étoient obligés de faire pour la sûreté publique fut converti en une redevance au profit des seigneurs; et il ne resta plus de cette ancienne institution que les compagnies du guet de Paris, à 'l'imitation desquelles furent depuis créées celles de Lyon et d'Orléans.

Les titres les plus anciens[216] nous apprennent que ce service étoit partagé à Paris entre les bourgeois et une compagnie du guet entretenue par le roi, et composée de vingt sergents à cheval et vingt-six sergents à pied. Les communautés de marchands et d'artisans étoient obligées de fournir tous les jours et alternativement un certain nombre d'hommes, selon que l'avoit réglé le prévôt de Paris, à qui appartenoit la juridiction suprême de cette garde de nuit. De cette troupe urbaine on formoit plusieurs corps-de-garde fixes; et c'étoit là ce qu'on nommoit le guet assis. Le guet royal étoit seul chargé de faire les rondes.

Le commandant de ce corps est nommé chevalier du guet dans une ordonnance de saint Louis, de l'année 1254, et dans plusieurs autres titres de cette même époque; et Delamare, rejetant les diverses étymologies que l'on a voulu donner à cette dénomination, pense avec raison qu'il faut aller en chercher l'origine jusque chez les Romains, qui ne confioient un poste de cette importance qu'à un personnage d'une condition relevée, et qui le choisissoient toujours dans l'ordre des chevaliers.

Si nous examinons maintenant les divers changements et révolutions qu'a éprouvés le guet de Paris, nous trouvons que, par un édit de 1559, la compagnie du guet royal fut portée à deux cent quarante hommes, et qu'en même temps le guet assis fut supprimé. Deux ans après, en 1561, au milieu des troubles que firent naître les guerres de religion, on voit la garde de Paris remise entièrement aux bourgeois, et le guet royal supprimé. Enfin, par l'édit de pacification de 1563, les bourgeois furent de nouveau entièrement déchargés du service, et le guet redevint ce qu'il avoit été en 1559. Depuis cette époque et jusqu'à la destruction de ce corps opérée dans la première année de la révolution, il n'a éprouvé d'autre changement que celui d'une augmentation successive, et proportionnée aux accroissements continuels de la capitale.

BUREAU DES MARCHANDS DRAPIERS.

Le corps des drapiers avoit son bureau dans la rue des Déchargeurs. C'est un monument assez digne d'attention par la richesse de son frontispice, exécuté vers le milieu du dix-septième siècle sur les dessins de Libéral Bruant, architecte qui jouissoit alors d'une grande célébrité. Il se compose d'une ordonnance dorique, dans laquelle on trouve des innovations et des omissions qui prouvent, comme on le remarque dans tant d'autres monuments, que les architectes de cette époque ne suivoient point de marche sûre, et étoient loin de s'astreindre à toute la sévérité des principes. Mais il offroit, dans l'exécution de diverses parties, et notamment dans celle des sculptures dont il étoit orné, assez de mérite pour justifier la longue réputation dont il a joui dans des temps où peu d'amateurs savoient apprécier les véritables beautés de l'art[217].

RUES ET PLACES
DU QUARTIER SAINTE-OPPORTUNE.

Rue de l'Abreuvoir Popin. Elle a son entrée dans la rue de Saint-Germain-l'Auxerrois, et, passant sous le quai de la Mégisserie, elle aboutit à la rivière. On est dans l'usage de dire et d'écrire, mais mal à propos, l'Abreuvoir Pépin. Tous les anciens actes l'appellent Popin et Paupin. Elle tire ce nom d'une famille connue au douzième siècle, et qui possédoit un fief dans lequel cette rue est située. Il est fait mention de Jehan Popin du Porche dans un acte de 1264[218], et dans un arrêt de 1268[219].

Rue de l'Aiguillerie. Elle aboutit dans la rue Saint-Denis et au cloître Sainte-Opportune. Sauval l'appelle rué de l'Escuillerie. L'abbé Lebœuf et Robert ont cru reconnoître cette rue dans celle que Guillot appelle Rue à petits soulers de Bazenne; mais il est plus probable qu'il entendoit plutôt par cette désignation la rue Courtalon. Jaillot pense que c'est cette rue de l'Aiguillerie qui, dans plusieurs titres, est appelée rue Alain de Dampierre[220].

La place Gastine étoit à l'entrée de cette rue. Sur cette placé étoit auparavant la maison d'un protestant, nommé Philippe de Gastine, condamné à mort et exécuté en 1568, pour l'avoir fait servir au prêche de sa secte, contre la teneur des édits; et à l'endroit de cette maison, qui fut en même temps rasée, on érigea une croix, que depuis on enleva et transporta au cloître des Innocents, par suite de l'édit de pacification que Charles IX accorda aux réformés en 1570.

Rue de l'Arche-Marion. Elle va de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois à la rivière, en passant sous le quai de la Mégisserie. Comme elle fait la continuation de la rue Thibaut-aux-Dés, on l'appeloit anciennement l'Abreuvoir Thibaut-aux-Dés, nom qu'elle portoit encore en 1300. On lui donna ensuite celui de rue des Jardins[221]; et vers la fin du quinzième siècle, elle fut nommée ruelle qui fut Jean de la Poterne, du nom d'un particulier qui avoit en cet endroit des étuves, que l'on nommoit les étuves aux trois pas de degrés[222]. En 1530, on l'appela ruelle des Étuves[223]. Enfin, on la trouve, dans un titre de 1565, sous la désignation de l'Arche Marion et de l'Abreuvoir Marion, du nom de la femme qui tenoit alors ces étuves[224]. Elle est encore nommée quelque part rue de l'Archer.

Rue Bertin-Porée. Elle va d'un côté dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, et de l'autre dans celle des Deux-Boules. Quelques-uns l'ont appelée Martin-Poirée; mais son véritable nom est Bertin-Porée. Elle le portoit avant 1240, et le tenoit d'un bourgeois qui y demeuroit[225].

Rue Béthisi. Elle se termine d'un côté au coin des rues du Roule et de la Monnoie, et de l'autre à la rue des Bourdonnois. Cette rue se continuoit anciennement jusque dans la rue de l'Arbre-Sec, et, dès le treizième siècle, elle portoit deux noms. Elle étoit appelée Béthisi dans toute la partie connue encore aujourd'hui sous ce nom; et depuis la rue de la Monnoie jusqu'à celle que nous venons de nommer, elle prenoit celui de rue au Cuens ou au Quains de Ponthi, au Comte de Ponthi, et Ponthieu. L'entrée du côté de la rue de l'Arbre-Sec étoit appelée le carrefour au Comte de Ponti[226], parce que l'hôtel de ce comte y étoit situé. La division par quartiers, établie en 1702, en fit distraire cette dernière partie, que l'on nomma rue des Fossés-Saint-Germain. L'autre conserva son ancien nom, qu'elle tenoit de Jean ou Jacques Béthisi.

Le premier nom de cette rue étoit la Charpenterie, et c'est ainsi qu'elle est indiquée dans les censiers de l'évêché du quatorzième siècle; elle le portoit encore au milieu du siècle suivant, mais seulement depuis la rue Tire-Chape jusqu'à celle des Bourdonnois. L'autre partie conservoit le nom de Béthisi.

Rue Boucher. Elle donne d'un bout dans la rue Thibaut-aux-Dés, de l'autre dans celle de la Monnoie. Cette rue, commencée en 1776, fut ouverte en 1778 sur l'emplacement de l'ancien hôtel des Monnoies. Elle porte le nom d'un échevin qui étoit en exercice dans l'année 1773.

Rue des Deux-Boules. Elle aboutit d'un côté au coin des rues des Bourdonnois et Thibaut-aux-Dés, et de l'autre à celle des Lavandières. Guillot et les anciens titres du treizième siècle la désignent sous le nom de Guillaume Porée[227]. Nous ne savons si jadis elle faisoit un retour d'équerre dans une partie de la rue qui lui est parallèle (la rue des Mauvaises Paroles); mais il est certain qu'aux douzième et treizième siècles elle s'appeloit rue Mauconseil ou Maleparole[228]. Dans des actes postérieurs, et jusqu'en 1546, elle est appelée Guillaume Porée autrement Maleparole; Guillaume Porée dite des Deux-Boules. Ce dernier nom lui vient d'une enseigne.

Rue des Bourdonnois. Elle aboutit d'une part dans la rue Saint-Honoré, de l'autre au bout des rues Béthisi et Thibaut-aux-Dés. Guillot l'appelle rue à Bourdonnas. Sauvai dit qu'en 1297 elle se nommoit rue Adam Bourdon et Sire Guillaume Bourdon, et en 1300, la rue des Bourdonnois[229].

Rue ou place du Chevalier-du-Guet. Elle aboutit dans la rue des Lavandières, à la place du Chevalier-du-Guet et à la rue Perrin-Gasselin. En 1300 et jusqu'au milieu du seizième siècle, la place et ces deux rues n'étoient connues que sous ce nom général le Perrin-Gasselin. Celui que porte celle-ci vient d'une maison que le roi y avoit acquise pour loger le chevalier ou commandant du guet. On présume que ceci se passa en 1363, sous le roi Jean.

Rue Courtalon. Elle va de la rue Saint-Denis à la place du cloître Sainte-Opportune. Nous avons déjà observé que c'est celle que Guillot appelle rue à petits Soulers de Bazenne. Dans le siècle suivant, on ne la désignoit que sous le nom général de cloître Sainte-Opportune. On ignore si elle doit son dernier nom à une enseigne ou à Guillaume Courtalon, qui possédoit, vers le milieu du seizième siècle, deux maisons au coin de la rue des Lavandières.

Rue des Déchargeurs. Elle aboutit d'un côté dans la rue des Mauvaises-Paroles, et de l'autre dans celle de la Féronnerie. En 1300 et 1313, on la nommoit le Siége aux Déchargeurs, et depuis rue du Siége et du Viel Siége aux Déchargeurs. À l'endroit de la rue de la Féronnerie, où aboutit celle-ci, étoit une place appelée anciennement la place aux Pourciaux, et ensuite la place aux Chats. Avant que la ville se fût accrue de ce côté-là, c'étoit un lieu plein d'immondices et une voirie. Elle s'étendoit assez loin, car on ne peut douter que la rue de la Limace et le cul-de-sac de la Fosse aux Chiens n'en fissent partie.

Rue Étienne. Elle commence dans la rue Béthisi, et vient aboutir à la rue Boucher. Elle fut percée en même temps que cette dernière, sur le même emplacement, et porte comme elle le nom d'un échevin.

Rue de la Féronnerie. Elle fait la continuation de la rue Saint-Honoré, et aboutit à la rue Saint-Denis. Sauval, et ceux qui ont écrit d'après lui sur les rues de Paris, ne sont ni clairs ni exacts dans ce qui concerne celle-ci. Il dit qu'en 1341 c'étoit la rue de la Charonnerie, vicus Karonnorum; et en 1432, la rue de la Féronnerie. Il est plus vraisemblable qu'elle prit le nom de la Féronnerie lorsque saint Louis permit à de pauvres férons d'occuper les places qui régnoient le long des charniers; ce qui est antérieur de deux siècles à l'année 1432. Un acte tiré des titres de l'abbaye de Saint-Antoine-des-Champs lui donne déjà ce nom en 1229; et on le retrouve dans plusieurs autres du même siècle[230]. Elle prit ensuite le nom de la Charonnerie, dans sa partie orientale jusqu'à la rue de la Lingerie, et ne conserva l'ancienne dénomination que dans la partie occidentale. Cependant elles furent souvent confondues toutes les deux sous le dernier nom.

La rue de la Féronnerie est à jamais mémorable par l'horrible attentat qui enleva à la France l'un de ses plus grands et de ses meilleurs rois. Tout le monde sait que c'est dans cette rue que Henri IV fut assassiné par l'exécrable Ravaillac. Avant la révolution, on voyoit, vis-à-vis de la place où ce régicide fut commis, un buste[231] de ce prince, au bas duquel on lisoit l'inscription suivante:

Henrici Magni recreat præsentia cives,
Quos illi æterno fœdere junxit amor.

Cette rue étoit alors fort étroite, n'ayant pas la moitié de sa largeur actuelle. Les férons, à qui saint Louis avoit donné l'espace qui régnoit le long du cimetière des Innocents, y avoient bâti des boutiques. En 1474, Louis XI accorda cette même place aux marguilliers des Saints-Innocents, et leur permit d'y faire construire des édifices de la largeur des auvents qu'on y voyoit auparavant[232]. À ces constructions succédèrent bientôt des maisons qui obstruèrent cette rue, et la rendirent même dangereuse, parce que c'étoit un des principaux passages par lesquels on arrivoit aux halles. Ce ne fut qu'en 1671 que la rue fut enfin élargie, telle que nous la voyons aujourd'hui.

Rue des Fourreurs. Elle aboutit d'un côté dans la rue des Déchargeurs, et de l'autre au cloître Sainte-Opportune. Son ancien nom étoit la Cordouannerie; elle le portoit au treizième siècle. Depuis on l'a nommée Cordonnerie et Vieille-Cordonnerie; et c'est ainsi qu'elle est indiquée par Corrozet. Son dernier nom lui est venu des pelletiers qui s'y sont établis au dix-septième siècle.

Rue des Fuseaux. Elle va de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois au quai de la Mégisserie. Les bâtiments qu'on a élevés successivement sur ce quai ont obligé de percer cette rue et celle des Quenouilles, qui lui est parallèle, pour ne pas ôter le jour aux maisons qui déjà y avoient été bâties. Telle est l'origine de la plupart des petites ruelles, et principalement de celles qui descendent des rues de la Mortellerie et de la Huchette à la rivière. Celle-ci a été appelée quelquefois ruelle Jean du Mesnil, du nom d'un particulier qui y demeuroit[233]; mais elle est indiquée sous celui des Fuseaux dès 1372. Ce nom lui vient de l'enseigne d'une maison située entre cette rue et celle des Quenouilles, et qui s'appeloit la maison des Deux Fuseaux.

Rue Saint-Germain-l'Auxerrois. Elle va de la place des Trois-Maries à la rue Saint-Denis. On peut faire remonter son origine jusqu'à celle de l'église qui lui a donné son nom, c'est-à-dire jusqu'au règne de Chilpéric Ier: car il est certain que, soit qu'il y eût ou non une clôture au nord, il existoit, à la sortie de la cité, un chemin qui conduisoit à cette église, et qui est représenté par cette rue. Il en est fait mention dans un diplôme de Louis-le-Débonnaire, de l'an 820. Guillot l'appelle rue Saint-Germain-à-Couroïers, peut-être parce qu'elle étoit alors habitée en grande partie par des corroyeurs. Avant qu'on lui eût donné le nom de Saint-Germain-l'Auxerrois, ce qui n'est arrivé que depuis environ trois cents ans, elle étoit indiquée sous celui de Saint-Germain ou grant rue Saint-Germain. Jaillot croit qu'en 1262 le bout de cette rue qui vient finir à la rue Saint-Denis étoit distingué de l'autre, et que c'étoit la rue indiquée dans les titres sous le nom de Jean de Fontenay.

Il y avoit autrefois dans cette rue deux ruelles qui aboutissoient à la place du Chevalier-du-Guet. La première se nommoit ruelle Deniau-le-Breton[234] en 1336; en 1563, ruelle du Chevalier-du-Guet, et depuis ruelle des Trois Poissons. Elle est maintenant bouchée par des maisons. La seconde, qui faisoit face à la rue de la Saunerie, et qui n'étoit connue sous aucun nom, porte aujourd'hui celui de cul-de-sac du Chevalier-du-Guet.

Rue la Harangerie. Elle va de la rue de la Tabletterie à celle du Chevalier-du-Guet. Dès 1313 elle s'appeloit ainsi. Depuis on a dit Vieille-Harangerie. Sauval n'en a pas fait mention. On ignore d'où lui vient son nom[235].

Rue Saint-Honoré. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier prend depuis le coin des rues du Roule et des Prouvaires jusqu'à celle de la Lingerie. Depuis le coin de la rue Tirechape jusqu'à celle des Prouvaires et même jusqu'à la rue de l'Arbre-Sec, on la nommoit anciennement rue du Châtiau fêtu et Chasteau festu, du nom d'une maison qui étoit dans la censive de l'abbaye Saint-Antoine (Castellum Festuci), et dont il est fait mention dans une infinité de titres qui remontent jusqu'à l'an 1227[236]. L'étymologie de ce nom, qu'elle portoit encore en 1313, est inconnue, ou du moins celles qu'on a voulu en donner ne sont point satisfaisantes[237].

Rue Jean Lantier. Elle aboutit d'un côté dans la rue Bertin-Porée, et de l'autre dans celle des Lavandières. Le véritable nom de cette rue est Jean-Lointier. On le trouve écrit ainsi dans les actes des treizième et quatorzième siècles; elle est appelée Philippe Lointier dans la liste des rues du quinzième. Au reste, Sauval, Gomboust, Bullet et autres ont plus ou moins défiguré le nom de cette rue.

Rue des Lavandières. Elle va de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois au cloître Sainte-Opportune; et doit sans doute son nom à des blanchisseuses que le voisinage de la rivière avoit invitées à y fixer leur demeure[238]. Elle le portoit dès le treizième siècle.

Rue de la Limace. Elle traverse de la rue des Déchargeurs dans celle des Bourdonnois. On croit que c'est celle dont Guillot parle sous le nom de la Mancherie. Elle faisoit anciennement partie de la place aux Pourceaux, dite depuis la place aux Chats. En 1575, on la trouve nommée rue de la Place aux Pourceaux, autrement dite de la Limace, et de la Viels Place aux Pourceaux[239]. Mais dès 1412, elle est indiquée sous le nom de la Limace, qu'elle a toujours conservé depuis.

Rue des Orfèvres. Elle aboutit d'un côté dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, et de l'autre dans la rue Jean-Lantier. Le premier nom connu qu'elle ait porté est celui des Moines de Joie-en-Val, qu'on appeloit par corruption Jenvau. C'est ainsi que Guillot la désigne la rue à Moignes de Jenvau. On voit que, dès ce temps, cette rue étoit fermée par deux portes, ce qui lui fit donner le nom d'entre Deux-Portes, aux Deux-Portes et des Deux-Portes; elle le portoit encore au commencement du quinzième siècle. Le procès-verbal de 1636 la nomme rue de la Chapelle aux Orfèvres, parce que la chapelle et l'hôpital qu'ils avoient fait bâtir y étoient situés.

Rue des Mauvaises-Paroles. Elle traverse de la rue des Bourdonnois dans celle des Lavandières. Nous avons déjà dit, en parlant de celle des Deux-Boules, qu'au douzième siècle on la confondoit avec celle-ci. On les trouve toutes les deux distinguées dans Guillot. Corrozet l'appelle rue des Mauvaises-Paroles, et ce nom n'a pas varié depuis.

Rue Perrin-Gasselin. Elle fait la continuation de la rue du Chevalier-du-Guet, et aboutit à la rue Saint-Denis. Ce nom, commun autrefois à tout cet endroit, n'est resté qu'à la petite partie de la rue qui le porte aujourd'hui, et ce n'est que depuis la fin du dix-septième siècle qu'il lui a été restitué; car sur les plans de Gomboust et de Bullet, elle est nommée, dans toute son étendue, rue du Chevalier-du-Guet.

Rue du Plat-d'Étain. Elle traverse de la rue des Déchargeurs dans celle des Lavandières. Sauval et l'abbé Lebeuf ont fait de longues dissertations sur cette rue, qu'ils ont confondue avec celle de Rollin-prend-Gage. Jaillot, qui a apporté une critique si minutieuse dans toutes ces matières, leur a prouvé qu'elle se nommoit d'abord Raoul Lavenier[240]. Elle doit le nom qu'elle porte à une enseigne. On lit qu'en 1489 l'hôtel du Plat-d'Étain appartenoit à Simon et Étienne de Lille[241].

Rue des Quenouilles. Elle va du quai de la Mégisserie dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois. Elle s'appeloit, au quatorzième siècle, ruelle Simon Delille; au suivant, ruelle Jean Delille, autrement Sac-Épée[242], et au seizième, ruelle des Quenouilles, de la Quenouille et des Trois-Quenouilles.

Rue de la Saunerie. Elle va également du quai de la Mégisserie dans la rue Saint-Germain. Anciennement elle se prolongeoit en retour jusque dans la rue Saint-Denis, comme nous l'avons déjà remarqué; elle est nommée Salneria in Vico S. Dionysii dans un titre de 1407[243]. Ce nom lui vient de l'ancienne maison de la marchandise du sel qui en étoit proche, et non du grenier à sel où elle conduisoit, et qui n'y a été placé que long-temps après. Elle le portoit dès le treizième siècle, et un titre de cette époque nous apprend que le terrain sur lequel elle étoit située étoit dans la censive de l'évêque[244].

Cette rue a toujours conservé le même nom, cependant avec un changement dans l'orthographe, qui en détruit l'étymologie; car on écrit et on l'appelle rue de la Sonnerie ou Petite-Sonnerie. Seroit-ce par aphérèse, dit Jaillot, et parce qu'on y vendoit du poisson? En effet, elle est nommée, dans le procès-verbal de 1636, rue de la Petite-Poissonnerie.

Rue de la Tabletterie. Elle aboutit d'un côté à la rue Saint-Denis, et de l'autre à la place et au cloître Sainte-Opportune. Elle s'appeloit tantôt de la Hanterie, tantôt de Sainte-Opportune, et quelquefois rue de la Vieille-Cordonnerie[245]. Le plus ancien de ces noms est la Hanterie, et elle est ainsi nommée dans une transaction de l'an 1218[246]. On la trouve, dans un acte de 1312, sous le nom de Sainte-Opportune, et nous avons remarqué que ce nom étoit commun aux rues qui environnoient cette église. Elle a porté aussi celui de la Cordonnerie, comme n'étant qu'une même rue avec celle des Fourreurs, qui en fait la continuation; et dans un censier de l'évêché de 1495, elle est énoncée sous le nom de la Tabletterie, aliàs, de la Cordouannerie ou Sainte-Opportune. Dès 1300, Guillot la désigne sous ce dernier nom de la Tabletterie. On le trouve également dans la liste des rues du quinzième siècle, et depuis il ne paroît pas que ce nom ait changé.

Rue Thibaut-aux-Dés. Elle commence à la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, et finit à celle des Bourdonnois. Il est peu de rues dont le nom offre autant de variations dans l'orthographe. On trouve Thibaut-à-Déz dans Guillot, Thibaut-aux-Dez en 1313; et dans la liste du quinzième siècle, Thibaut-Ausdet, Thibaut-Todé, Thibaut-Oudet, Thiebaut-Audet. Ces derniers noms ne paroissent être que des fautes de copistes.

L'abbé Lebeuf a pensé aussi qu'il falloit écrire Audet; que c'est le nom d'une famille considérable de Paris, appelée Odet, et que Thibaut Odet, trésorier d'Auxerre sous saint Louis en 1242, ou son père, avoient donné leur nom à cette rue. Jaillot, tout en reconnoissant que cette étymologie n'a rien qui ne la rende très-vraisemblable, la conteste néanmoins par la raison qu'elle ne s'accorde point avec tous les titres de ce siècle qu'il a dépouillés. En 1220, il trouve vicus Theobaldi ad Decios; en 1295, vicus Theobaldi ad Tados, et rue Thibaud-aux-Dés dans un bail de la même année[247].

Rue Tirechape. Elle donne d'un bout dans la rue Béthisi, et de l'autre dans celle de Saint-Honoré, vis-à-vis les Piliers des Halles. On trouve des monuments qui font mention de cette rue dès 1233; et l'on ne voit point qu'elle ait eu d'autre nom[248]. Jaillot, qui écrivoit en 1772, dit que si les Juifs qui occupoient cette rue et une grande partie des halles, étoient dans l'usage pratiqué par les fripiers de son temps de tirer les passants par leurs vêtements, pour les engager à venir acheter chez eux, l'étymologie du nom de cette rue ne seroit point difficile à trouver; et quoiqu'il ne donne point sérieusement une telle conjecture, il ne la croit point cependant dépourvue de vraisemblance.

Rue des Trois-Visages. Elle aboutit d'un côté à la rue Thibaut-aux-Dés, et de l'autre à la rue Bertin-Porée. Actuellement elle est fermée par des grilles de fer aux deux extrémités, et il n'y a plus d'indication de rue. L'ancien nom de cette rue est indiqué de différentes manières. Guillot écrit Jean-l'Éveiller; dans la taxe de 1313, on lit Jean-l'Esgullier; Sauval l'appelle tantôt Jean-le-Goulier et tantôt Jean-de-Goulieu. Le véritable nom est, suivant les apparences, celui de Jean-Golier, qui avoit une maison dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, laquelle aboutissoit à celle-ci en 1245[249]. On a dit depuis Jean-le-Goulier. En 1492, elle est indiquée rue au Goulier, dite du Renard[250]. Enfin, elle a pris le nom qu'elle porte, de trois têtes sculptées à l'angle d'une de ses extrémités.

QUAIS.

Quai de la Mégisserie. Il va du pont Neuf au pont au Change. Le peuple l'appelle plus ordinairement quai de la Ferraille, parce qu'il est habité en grande partie par des marchands de fer. On le nomma d'abord quai de la Saunerie; et la dernière rue qui vient y aboutir lui avoit donné ce nom qu'elle conserve encore. La partie occidentale de ce quai étoit habitée, dès la fin du treizième siècle, par cette classe d'ouvriers qui préparent les peaux, et qui ont besoin, pour exercer leur industrie, du voisinage des eaux; et dès ce temps-là on l'appeloit la Méguiscerie et la Mégisserie.

Le Marché aux fleurs, aux graines, aux arbrisseaux, etc, se tenoit sur ce quai avant la révolution; depuis il a été transporté dans la Cité. (Voyez première partie, p. 465.)

RUES ET PLACES NOUVELLES.

Place Sainte-Opportune. Cette place a été formée d'une portion des bâtiments du cloître de l'église Sainte-Opportune. L'autre partie de ces bâtiments existe encore.

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