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Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 2/8)

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QUARTIER DU LOUVRE.
OU
SAINT-GERMAIN-L'AUXERROIS.

Ce quartier est borné à l'orient par le carrefour des Trois-Maries et par les rues de la Monnoie et du Roule inclusivement; au septentrion par la rue Saint-Honoré, y compris le cloître Saint-Honoré inclusivement, à commencer depuis les coins des rues du Roule et des Prouvaires jusqu'au coin de la rue Froi-Manteau; à l'occident, par la rue Froi-Manteau jusqu'à la rivière inclusivement; et au midi, par les quais aussi inclusivement, depuis le premier guichet du Louvre jusqu'au carrefour des Trois-Maries.

On y comptait, en 1789, dix-neuf rues, trois culs-de-sacs, trois places, un palais, trois églises paroissiales, dont une étoit collégiale, et une communauté d'hommes.

PARIS SOUS LOUIS VIII, LOUIS IX (saint Louis), PHILIPPE III, PHILIPPE IV, LOUIS X, PHILIPPE V, CHARLES IV, PHILIPPE VI, JEAN.

Le Louvre n'avoit point été compris dans l'enceinte élevée par Philippe-Auguste; et ce fut seulement sous Charles V et Charles VI que de nouvelles murailles le renfermèrent dans Paris. On peut considérer le temps qui s'écoula entre ces deux constructions comme une troisième époque dans l'histoire de cette ville. Pendant plus d'un siècle, on la voit jouir, sous le règne de neuf rois, d'une tranquillité rarement troublée, au moyen de laquelle elle put continuer à s'enrichir de monuments nouveaux, accroître, de jour en jour, sa population, et prendre rang parmi les plus grandes et les plus belles villes qu'il y eût alors en Europe. Suivons les récits de ces premiers temps du règne des Capets: ils nous apprendront comment Paris s'accrut d'abord si lentement; comment ensuite cette ville devint si considérable, que son histoire se trouvera liée désormais à celle de la France entière, ou pour mieux dire, deviendra l'histoire même de la monarchie.

Il est hors de doute que nos rois des deux premières races étoient loin de réunir en eux tous les droits naturels de la royauté, de la posséder telle que nous la concevons et que nous l'avons connue dans nos temps plus civilisés: toutefois il est vrai de dire qu'ils étoient de puissants monarques, si on les compare à Hugues Capet et à ses premiers successeurs.

Les rois francs étoient propriétaires, et nous l'avons déjà dit, d'un immense domaine, d'un domaine divisé et répandu sur la surface entière de leur beau royaume. Ils en tiroient des revenus suffisants pour soutenir la majesté du trône et déployer dans leur cour toute la magnificence qui convenoit à leur rang suprême[251]. Ces vastes propriétés nourrissoient une population presque innombrable de vassaux, d'hommes libres, de serfs, qui ne dépendoient que d'eux et qui leur étoient entièrement dévoués; ils étoient protecteurs nés des foibles et des pauvres; c'est-à-dire que les églises, les veuves, les orphelins, les sujets romains, les artisans, généralement toutes les classes inférieures de la société, à qui le port d'armes étoit défendu, et sans doute encore tous les hommes libres qui n'avoient point de propriétés, étoient, dans toutes les parties de la France, sous la protection des justices royales; et que c'étoit avec le roi qu'il falloit composer, chaque fois que l'on troubloit leur paix et qu'on leur causoit quelque dommage. En raison de cette protection et de ce droit de juridiction sur une portion si considérable de leurs sujets, ces monarques levoient des tributs sur les terres romaines et sur tous les biens municipaux, ce qui comprenoit les cités, les bourgs et leur territoire; outre ces tributs qui se payoient régulièrement, il existoit encore des amendes et des parties casuelles qui grossissoient considérablement leur trésor; leur maison militaire étoit si nombreuse qu'elle formoit une espèce de petite armée, suffisante pour défendre la cour d'une invasion subite et résister à toute attaque imprévue; et les hommes libres qui la composoient, subsistant la plupart des largesses de la couronne, devenoient, lorsque ces princes savoient se les attacher, leur appui le plus sûr contre les rebelles et contre leurs ennemis. On n'a point oublié que toute justice relevoit de leur justice suprême; que leurs officiers civils et militaires, comtes, vicomtes, baillis, sénéchaux, etc., étoient établis et reconnus partout; qu'en même temps que ces officiers gouvernoient en leur nom tous ceux qui étoient immédiatement sous la dépendance absolue de la couronne, ils exerçoient une continuelle vigilance sur ceux qui prétendoient n'en dépendre qu'à de certaines conditions; et qu'à de certaines époques, les commissaires du roi parcouroient les provinces, y tenant des assises solennelles, où l'on réparoit tous les torts, où l'on appeloit de toutes les justices. Ajoutons enfin que si les rois francs n'avoient pas le droit de faire les lois générales qui régissoient la nation entière, personne ne leur contestoit celui de les faire exécuter; que s'il ne leur appartenoit point de décider de la paix et de la guerre, ils avoient du moins le précieux privilége de conduire leur brave noblesse aux combats et à la victoire, et qu'ils jouissoient alors, au milieu des camps, de toutes les attributions de la royauté.

Les maires du palais avoient su maintenir ces prérogatives du trône, au milieu de la décadence de la première race; et lorsque les enfants de Charles Martel succédèrent aux fils de Clovis, ce changement de dynastie n'avoit rien changé dans l'État. Il n'en fut pas de même sous leurs successeurs: à peine ceux-ci commencèrent-ils à donner des signes de foiblesse, que cette noblesse turbulente, qui, nous le répétons encore, n'avoit pas pour la famille des Carlovingiens le respect que lui avoit toujours inspiré la haute illustration de la famille des rois francs, donna, de son côté, des signes de mutinerie et d'indépendance. Dès le temps de Charles-le-Chauve, on la voit occupée de toutes parts à bâtir des châteaux et des forteresses, à élever des retranchements, à l'abri desquels elle commençoit à braver l'autorité royale. Ce fut vainement qu'une ordonnance de ce prince[252] enjoignit aux comtes de faire raser toutes les fortifications de ce genre qui auroient été élevées sans son consentement: les incursions des Normands, déjà si redoutables sous ce malheureux règne, semblèrent légitimer ce que l'esprit de faction et de révolte avoit seul fait entreprendre. Dès lors il n'y eut pas un seul hameau qui ne fût défendu par un donjon, pas un seul rocher que ne surmontât une tour, pas un ruisseau dont les eaux ne fussent détournées pour remplir un fossé; et la surface entière de la France fut, en un très-petit nombre d'années, comme hérissée de châteaux-forts. Si l'on considère quel prince c'étoit que Charles-le-Chauve et quels furent ses successeurs, on ne peut s'empêcher de reconnoître que cette multitude de châteaux et de remparts fut alors le salut de l'État, que, dans des circonstances aussi imminentes, ses rois étoient incapables de défendre et de sauver; mais aussi ce ne fut point sans de graves inconvénients que chaque noble, chaque propriétaire put rentrer ainsi dans le droit de la défense naturelle, parce que, dès ce moment, aucun d'eux n'en voulut sortir. La force devint donc le seul droit que consentirent désormais à reconnoître tous ces seigneurs grands et petits, ainsi armés et retranchés. Étranger au reste de la France, chacun d'eux n'eut plus de relation qu'avec ses voisins devenus ses alliés ou ses ennemis, ni d'autre occupation que de les attaquer, ou de combattre avec eux ou de se défendre de leurs attaques. Ceux qui avoient des serfs en firent des soldats; ceux qui n'en avoient point armèrent leurs manants, appelèrent sous leurs drapeaux tous les vagabonds, tous les scélérats qui avoient besoin de désordre pour assurer leur impunité. Ainsi se formèrent ces bandes si long-temps redoutables aux provinces, même après que l'ordre eut commencé à se rétablir[253], redoutables même à leurs anciens maîtres, qui leur avoient appris l'art de la guerre et à goûter les plaisirs de la licence et de l'oisiveté.

C'est cet état de choses que l'on appelle avec tant de mauvaise foi la féodalité; et nous convenons qu'alors il est facile de la présenter comme une très-mauvaise institution. Qui ne voit au contraire que ce fut ce qui restoit de la féodalité, presque entièrement détruite au milieu de cette furieuse et sanglante anarchie, qui réunit les parties éparses du corps social et en empêcha l'entière dissolution? Chaque seigneur refusoit sans doute d'en reconnoître les lois dans ce qui établissoit sa dépendance d'un seigneur plus grand que lui; mais, autant qu'il leur étoit possible, tous maintenoient ces lois à l'égard des sous-vassaux qui dépendoient d'eux; et comme le principe de la féodalité étoit essentiellement monarchique, dès qu'ils eurent senti le danger de leur entière indépendance, ce fut encore en elle qu'ils retrouvèrent la monarchie, dont l'ombre et le nom s'étoient du moins conservés au milieu de cette foule de petits souverains.

Hugues Capet reçut la France des mains de ces seigneurs, et la reçut comme ils l'avoient faite. Ce fut une nécessité pour lui ainsi que pour ses premiers successeurs d'être pour ainsi dire le spectateur tranquille de leurs excès et même de supporter patiemment leurs outrages[254]. Voilà sans contredit les temps les plus malheureux de la monarchie françoise: c'est ici que s'arrêtent avec complaisance nos déclamateurs révolutionnaires, qui seuls ont pu créer et osent regretter des temps plus malheureux encore; c'est ici que, compulsant avec un soin minutieux et perfide tous nos vieux monuments historiques, ils présentent avec une sorte de triomphe, et en en chargeant encore les tristes couleurs, le tableau des calamités dont la France étoit alors accablée: partout l'abus le plus révoltant de la force; partout l'oppression du foible et du pauvre; les pillages, les meurtres, les excès de tout genre impunis, presque autorisés; une guerre intestine continuelle, pour ainsi dire, de domaine à domaine, de château à château, guerre sanglante, guerre acharnée, et qui sembloit menacer d'une entière destruction la race d'hommes répandue sur cette terre malheureuse[255]; l'autorité royale de toutes parts méconnue par les grands comme par les petits, et les rois insultés et menacés jusqu'aux portes de leur capitale. Cependant ces rois surent reconnoître, dès les premiers temps, le parti qu'ils pouvoient tirer des divisions de ces nobles si impatients du joug; et leur politique fut de les diviser encore davantage, afin de les contenir ou de les réprimer. Henri Ier osa le tenter et ne le fit point sans quelques succès; la régence de Baudouin, sous le règne de Philippe Ier, offre encore quelques événements remarquables en ce genre; mais ce fut principalement sous Louis-le-Gros, et grâce à l'administration sage et vigoureuse d'un moine (l'abbé Suger), que l'autorité royale commença à reprendre un véritable ascendant; et ce ne fut point, comme paroît l'entendre le président Hénault, en se créant des droits nouveaux, mais en rétablissant quelques-unes des anciennes prérogatives dont elle avoit été dépouillée, et en rendant à certaines classes du peuple d'anciennes libertés qui leur avoient été ravies. Les cités avoient été envahies par les seigneurs: le roi en fit rentrer un très-grand nombre sous sa dépendance immédiate, et leur accorda de nouveau le privilége de l'immunité; les justices royales furent rétablies; et quatre grands bailliages qu'il institua dans ses domaines, avec attribution spéciale de juger les cas royaux, renouvelèrent le droit d'appellation de toutes les justices particulières au tribunal suprême du souverain. Enfin on vit reparoître les commissaires du Roi, et comme une ombre d'administration générale dans la visite qu'ils faisoient des provinces, où ils recevoient les plaintes des opprimés, et autant qu'il étoit en eux, arrêtoient le cours de l'injustice et de l'oppression. Suger continua de gouverner la France sous Louis-le-Jeune, et l'autorité des rois continua de s'affermir. À un grand ministre succéda un grand monarque, Philippe-Auguste. Son noble caractère et sa valeur héroïque rallièrent autour de lui une grande partie de la noblesse françoise; avec son secours il châtia plus d'une fois les grands vassaux presque toujours en révolte ouverte, et acheva de les dompter à la bataille de Bouvines. Ses conquêtes réunirent au domaine de la couronne un grand nombre de provinces[256] dont la possession eût à jamais assuré l'ascendant du pouvoir royal, si son successeur n'eût commis la faute irréparable de renouveler ces partages, qui avoient causé tant de désordres sous les deux premières races, et que l'on peut considérer comme la principale cause de leur destruction.

Toutefois, telle étoit la corruption des mœurs lorsque les Capets montèrent sur le trône; elles étoient alors si violentes et si grossières; l'habitude d'une longue licence avoit fait naître des préjugés si absurdes et si funestes; tous les éléments de la société étoient tellement bouleversés et confondus, que cet avantage qu'eut alors la France, d'avoir été jusqu'à saint Louis, c'est-à-dire pendant plus de deux siècles, presque toujours gouvernée par des hommes supérieurs, ce qui ne lui étoit point encore arrivé depuis le commencement de la monarchie, que cet avantage, dis-je, n'auroit point suffi pour opérer son salut, si une puissance au-dessus de l'homme ne lui eût prêté un appui plus sûr et des secours plus efficaces: ce fut la religion qui la sauva. Sa voix étoit la seule qui pût encore se faire entendre au milieu de cette horrible confusion; et ses menaces étoient les seules que pussent redouter encore des furieux qui avoient secoué tout autre frein. Elle parla, elle menaça: ses paroles portèrent le trouble dans les consciences coupables, rassurèrent les foibles, les rallièrent et leur prêtèrent ainsi une force qu'ils n'eussent jamais trouvée, s'ils fussent restés abandonnés à eux-mêmes; les temples devinrent des asiles toujours ouverts à l'opprimé, et ces asiles, on ne les violoit pas impunément; de ses tribunaux partirent, contre ceux que ses exhortations n'a voient pu ramener, des arrêts auxquels nul coupable, quelque puissant qu'il pût être, ne pouvoit se soustraire, parce que la société entière étoit chargée de les exécuter[257]. C'étoit toujours d'accord avec les rois que le clergé prenoit toutes les grandes mesures de salut public: ce fut ainsi que fut établie sous Henri Ier la trève du Seigneur[258], loi qui défendoit les combats particuliers depuis le mercredi soir jusqu'au lundi matin, par respect pour ces jours que le Sauveur avoit consacrés aux derniers mystères de sa vie; et modéroit du moins des fureurs qu'il étoit alors impossible d'éteindre entièrement. Long-temps auparavant, et dès le règne de Hugues-Capet, un grand nombre de conciles successivement assemblés s'étoient élevés contre le funeste abus des guerres privées, avoient lancé des anathèmes contre les ravisseurs des biens des églises, contre tous ceux qui troubloient la paix par leurs violences et par leurs brigandages; et ce n'avoit jamais été sans quelque résultat plus ou moins heureux. Mais ce fut surtout lorsque l'Église, poussant un cri de détresse qui retentit dans l'Europe entière, appela tous ses enfants à la défense des lieux saints profanés par les infidèles, qu'on put reconnoître tout ce qu'il y avoit de FOI et d'enthousiasme religieux dans ces races guerrières, et ce qu'il étoit possible d'attendre de ces âmes neuves et ardentes, dès qu'on sauroit diriger vers un but noble et utile leur courage et leur activité. Que de foibles esprits, de ces esprits que l'incrédulité a rétrécis et glacés, contemplent encore avec un dédaigneux sourire toute cette noblesse françoise, abjurant, à l'aspect de la croix, ses haines et ses divisions, renonçant à ses projets ambitieux, abandonnant même l'héritage de ses pères, pour aller dans l'Orient expier ses fautes sur le tombeau du Sauveur du monde, et gagner des pardons en combattant les ennemis de son culte et de sa loi; le temps est passé du moins où l'on pouvoit sottement assurer et faire croire plus sottement encore que les croisades avoient été pour la France et pour l'Europe chrétienne l'une de ses plus grandes calamités. Quelle que soit l'opinion que l'on juge à propos de se faire des motifs qui entraînèrent les croisés il n'est personne qui maintenant ne convienne que le zèle religieux sut opérer, dans de telles entreprises, ce que la politique la plus habile n'eût même alors osé concevoir. Par ce grand mouvement militaire qui reportoit en Orient le foyer de la guerre que les sectateurs de Mahomet n'avoient cessé, depuis plusieurs siècles, de faire, dans l'Occident même, à ceux du Christ, l'Italie, qu'ils avoient si long-temps désolée, fut mise à couvert de leurs invasions; leur puissance s'affoiblit sensiblement en Espagne; et la chrétienté commença à respirer devant ces redoutables ennemis. Tels furent les avantages extérieurs qu'on retira des croisades; le bien intérieur qu'elles procurèrent fut encore plus grand: les guerres privées qui ensanglantoient la France furent presque de toutes parts suspendues, et dans l'intervalle de ces pieuses expéditions ne se rallumèrent plus avec la même fureur; ce fut à la faveur de ces heureuses diversions qui tournoient contre l'ennemi commun des chrétiens les forces que jusqu'alors ils avoient fait servir à leur propre destruction, que les rois purent, ainsi que nous l'avons déjà dit, saisir quelques-unes de ces anciennes prérogatives de la couronne que tant de révolutions et de vicissitudes leur avoient fait perdre, rendre la liberté aux villes, commencer l'affranchissement des serfs, redevenir les chefs suprêmes des justices de leur royaume; ce fut par suite de ces guerres lointaines que leurs domaines reçurent d'immenses accroissements du grand nombre de fiefs que la mort de leurs possesseurs et l'extinction des familles y firent successivement rentrer. Ainsi se consolidoit leur pouvoir et s'affermissoit en même temps la tranquillité publique.

Ainsi se réparoient aussi les fautes que faisoit la politique des princes: quelque décisives que parussent être les victoires et les conquêtes de Philippe-Auguste, elles n'avoient pu contrebalancer les funestes effets du divorce de Louis VII avec Éléonore de Guienne[259]. Les rois d'Angleterre, à qui le vainqueur de Bouvines avoit enlevé la Normandie, redevinrent, par le mariage de Henri II avec cette princesse, propriétaires d'une partie de la France encore plus considérable et de ses plus belles provinces; et depuis ce malheureux événement, nos rois n'eurent point de plus acharnés et plus dangereux ennemis. Cependant telle avoit été l'influence du beau règne de Philippe sur l'esprit de la noblesse françoise, qu'il s'en fallut peu que son fils Louis VIII ne les chassât entièrement de son royaume; et il étoit sur le point d'achever cette grande et salutaire entreprise, lorsque, à la voix du pape qui l'appeloit au secours de la religion, il interrompit tout à coup le cours de ses conquêtes pour aller faire la guerre aux Albigeois. La croisade contre ces hérétiques avoit été prêchée et renouvelée dans un concile tenu à Paris[260], auquel présida le légat du souverain pontife, et où le comte de Toulouse fut excommunié.

Assez puissant pour entraîner le roi de France dans une guerre qui le forçoit à renoncer à tant et de si grands avantages que lui avoit donnés la victoire, ce légat fut moins heureux lorsqu'il voulut employer son influence et son autorité à apaiser une querelle qui s'éleva, dans ce moment même, entre l'université et la juridiction épiscopale[261]. Pour avoir trop brusquement peut-être décidé la question en faveur de l'évêque, ce prélat se vit tout à coup assailli, dans sa propre maison, par les écoliers, qui, dans toutes les circonstances, croyoient avoir le droit de soutenir par la violence les priviléges du corps auquel ils étoient attachés. Dans celle-ci, le roi fut obligé d'envoyer des soldats au secours du légat; et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'ils parvinrent à l'arracher des mains de ces furieux, qui ne cédèrent qu'après s'être long-temps défendus. De tels désordres se renouvelèrent souvent par la suite; et il n'est presque pas un règne qui n'en offre le spectacle scandaleux.

On sait que Louis VIII mourut au siége d'Avignon, n'ayant régné que trois ans, et après avoir nommé roi Louis son fils aîné, et régente la reine Blanche son épouse. Ce fut lui qui commit cette faute si grave de partager de nouveau le territoire de la monarchie françoise. Par son testament il donna l'Artois à son second fils, le Poitou au troisième, l'Anjou et le Maine au quatrième; et ce fut en toute propriété et non comme de simples apanages qu'ils possédèrent ces provinces. Nous aurons par la suite occasion d'examiner les causes particulières et indépendantes de toutes vues politiques, qui firent que la France, divisée ainsi entre plusieurs princes de la famille royale, ne le fut pas, comme sous les deux premières races, entre plusieurs rois.

(1226) Cette année vit commencer le règne de saint Louis. Il y a dans ce règne mémorable trois époques à considérer: le temps de sa minorité et celui qui s'écoula jusqu'à son départ pour la première croisade; la régence de la reine Blanche pendant qu'il faisoit la guerre en Égypte et en Palestine; enfin le long séjour qu'il fit dans ses États depuis son retour jusqu'à la seconde croisade, où mourut si malheureusement ce grand roi. Ces trois époques sont également remarquables par la sagesse et la vigueur du gouvernement de la mère et du fils.

Les grands vassaux avoient été humiliés sous les règnes précédents, mais il s'en falloit de beaucoup qu'ils fussent entièrement abattus. Louis VIII avoit régné trop peu de temps pour pouvoir achever les glorieux travaux de son père: en mourant il laissa la monarchie aux mains d'un enfant de douze ans qui n'avoit d'autre guide et d'autre appui qu'une femme étrangère à la France. À ces signes apparents de foiblesse, toutes les espérances des rebelles se ranimèrent: ils crurent que le moment étoit venu de se venger de tant d'humiliations qu'ils avoient été forcés d'endurer, et de reconquérir ce qu'ils avoient perdu. Une ligue formidable de princes et de barons se forme à l'instant même contre la régente[262], et la monarchie est menacée du plus grand péril: mais le caractère de Blanche étoit plus grand encore; et ce fut un spectacle digne d'admiration que ce qu'elle déploya, dans ces graves circonstances, de courage, d'activité, de vues hautes et profondes, de prudence, de fermeté. Entourée de ministres habiles, d'agents vigilants et sûrs, elle étoit en quelque sorte au milieu des confédérés; elle voyoit s'ourdir leurs trames, prévenoit tous leurs desseins, déconcertoit toutes leurs mesures, négociant et combattant tour à tour, excitant au milieu d'eux d'utiles divisions, promettant, menaçant, employant tout, et jusqu'à la passion qu'avoit conçue pour elle Thibaud, comte de Champagne, passion insensée qu'elle fit servir au succès de sa juste cause, sans s'être jamais avilie jusqu'à l'encourager. Ce fut ainsi qu'elle déjoua des ligues sans cesse renaissantes, échappa à tous les piéges qui lui furent tendus, força à se rembarquer le roi d'Angleterre qui étoit venu au secours des rebelles, et, parmi ceux-ci, réduisit même les plus obstinés à se soumettre et à demander la paix. Cependant tant de soins, d'inquiétudes et de travaux dont sa vie étoit agitée, n'empêchoient point Blanche de veiller sans cesse sur l'éducation d'un fils qui devoit être le prodige de son siècle, de répandre dans cette âme que le ciel sembloit s'être plu à former tous ces trésors de véritable science qui devoient un jour y produire de si excellents fruits. Les plus habiles maîtres lui furent donnés; et la langue latine qu'ils lui enseignèrent lui devint si familière qu'il lisoit avec facilité les Pères et tous les anciens auteurs que l'on possédoit alors. Il étudioit surtout l'histoire, dont sa mère se plaisoit elle-même à lui développer les hautes leçons, lui apprenant qu'il n'y a de vraie politique que celle qui est appuyée sur la justice et sur la religion. Souvent elle le menoit au milieu des camps; et déjà le jeune prince y donnoit des marques de cette valeur héroïque qui devoit un jour jeter un si grand éclat.

(1228) Au milieu de ces troubles sans cesse renaissants et de cette guerre intestine, Paris jouissoit d'une tranquillité profonde qui ne fut un moment troublée que par le péril que courut l'auguste enfant, déjà les délices de son peuple, et la reine elle-même que les Parisiens confondoient dans le même amour. Elle ramenoit son fils d'Orléans, qui faisoit partie des domaines de la couronne, et où ils étoient allés passer quelques jours. Tous les deux s'avançoient tranquillement sur la route qui conduisoit à leur capitale, se confiant en la paix jurée, et Blanche n'ayant pris aucune précaution pour leur commune sûreté. Cette fois ses ennemis avoient su tromper sa vigilance, et le plus profond mystère couvroit leur trahison. À peine étoit-elle parvenue dans le voisinage d'Étampes, que tout à coup son cortége est enveloppé par une troupe nombreuse et armée. Quelques serviteurs fidèles se dévouent alors pour le salut de leur prince, soutiennent avec courage le premier choc de l'ennemi, et la reine a le temps de gagner en désordre la tour de Mont-Lhéry, où elle se renferme avec son fils. Elle trouve le moyen de faire instruire les Parisiens de son danger: aussitôt toute affaire est suspendue dans la ville; le peuple prend les armes et se précipite sur la route d'Orléans. La foule est si grande autour de Mont-Lhéry qu'on y peut à peine pénétrer; la reine est à l'instant même délivrée et rentre avec le jeune roi dans Paris au milieu des applaudissements de cette multitude et de ses bénédictions.

(1229) Sous cette administration vigoureuse, l'université, que les règnes précédents avoient accoutumée à une excessive indulgence, se vit traitée avec une rigueur qu'elle ne connoissoit point encore; et peu s'en fallut qu'un événement obscur, et qui, de nos jours, seroit à peine remarqué, n'amenât l'entière destruction de cette célèbre compagnie. Les bourgeois et les écoliers s'étant rencontrés dans le faubourg Saint-Marceau, qui étoit alors situé hors des murs de la ville, et où ils étoient allés pour se divertir, il s'éleva entre eux une rixe dans laquelle les bourgeois furent très-maltraités[263]. Aussitôt, sans avoir égard au droit que prétendoit avoir l'université de soustraire au jugement des tribunaux ordinaires ses clients et ses suppôts, la reine ordonna que les auteurs de ce désordre fussent punis. Le prévôt de Paris, chargé d'exécuter cet ordre, surprit les écoliers, un jour de fête qu'ils étoient rassemblés dans une campagne voisine, et les attaqua: ils se défendirent et quelques-uns furent tués. L'université demanda satisfaction de cet événement et ne fut point écoutée: la régente, le légat du pape, l'évêque de Paris se réunirent pour mépriser ses remontrances; et on la vit sans étonnement fermer ses classes et cesser entièrement ses exercices. Alors cette compagnie se décida à quitter Paris, et ses professeurs se dispersèrent dans les provinces et chez l'étranger[264]. Les frères prêcheurs et les frères mineurs[265] crurent devoir profiter de cette circonstance pour s'établir plus solidement dans cette ville, et obtinrent de la régente, les premiers une chaire de théologie, les seconds la permission d'enseigner dans les colléges déserts. Cependant le pape Grégoire IX étoit intervenu dans cette affaire; et la reine, cédant à son intercession puissante, avoit consenti à traiter avec les professeurs mécontents. Par une bulle du 13 avril 1231, l'université fut rétablie sur un nouveau plan, et tous ses priviléges furent confirmés; mais les frères prêcheurs et mineurs restèrent en possession des avantages qu'ils avoient obtenus. Cette concurrence dans l'enseignement devint par la suite une source de désordres nouveaux que la régente n'avoit pas prévus et qui n'éclatèrent qu'après sa mort.

L'année précédente, Paris avoit été témoin d'une cérémonie solennelle et singulière qu'autorisoient les mœurs et les usages de ces temps-là. Le comte de Toulouse, qui avoit soutenu les Albigeois, ayant reconnu ses erreurs et achevé de se soumettre au pape et au roi, vint à Paris, où un traité, chef-d'œuvre de la politique de Blanche, et par lequel sa fille fut fiancée à Alphonse, frère de Louis, mit le sceau à sa réconciliation avec son souverain. Celle qu'il se vit obligé de faire avec l'Église fut plus pénible: il fallut que, dépouillé de ses vêtements, il se présentât en chemise et nu-pieds, le vendredi saint, au grand autel de Notre-Dame de Paris, en présence du roi et de toute la cour. Après cette cérémonie qui acheva d'effacer son péché, il fut reçu à hommage; et pour prouver la loyauté de son retour, il offrit de se constituer prisonnier dans la tour du Louvre, jusqu'à ce que les murailles de la ville de Toulouse eussent été rasées, ce qui étoit une des conditions du traité: mais la régente, satisfaite de sa soumission, l'en dispensa. C'étoit ainsi que les grands vassaux apprenoient peu à peu à se soumettre à l'autorité royale.

(1234) Le roi épouse Marguerite de Provence, et jusqu'à son départ pour la croisade, Paris continue de jouir d'une tranquillité profonde, qui favorise les fondations que la piété du monarque et celle de ses sujets se plaisoient à élever de tous côtés. Sainte-Catherine-du-Val-des-Écoliers est bâtie près de la porte Baudez; dans le clos du Chardonnet, alors inhabité, on construit, sous l'invocation de saint Nicolas, une petite chapelle qu'il fallut bientôt ériger en église paroissiale. Les frères mineurs, vulgairement dits Cordeliers, s'établissent, vers ce temps-là, à Paris, et les religieux de l'abbaye Saint-Germain favorisent cet établissement en leur cédant une portion de leur terrain pour y bâtir leur monastère; le couvent des Filles-Dieu est fondé par le zèle et les prédications de l'évêque Guillaume; on jette les fondements de la chapelle succursale de Saint-Barthélemi, qui depuis devint paroisse sous le nom de Saint-Gille et Saint-Leu; un abbé de Clairvaux établit le premier collége que les Bernardins aient eu à Paris; enfin le roi, qui venoit de faire l'acquisition de la sainte couronne et de plusieurs autres instruments de la passion, prodiguoit alors ses trésors pour l'érection du monument superbe connu sous le nom de Sainte-Chapelle, qu'il destinoit à renfermer un dépôt aussi précieux.

Cependant, devenu majeur, Louis IX avoit saisi d'une main ferme les rênes de l'État que sa mère lui avoit remises. Sa sagesse, renommée dans l'Europe entière, l'avoit fait l'arbitre des plus grands princes et des plus grands intérêts[266]; de nouvelles trames avoient été ourdies contre lui par ses vassaux incorrigibles, et partout la victoire avoit suivi ses drapeaux; et dans ces guerres où souvent il avoit eu des difficultés extrêmes à surmonter, son habileté, sa valeur héroïque, sa modération dans les succès, sa présence d'esprit au milieu des dangers, et, dans tous les moments, la force et la noblesse de son caractère, en avoient fait un objet d'admiration même pour ses ennemis les plus acharnés. Il s'étoit rendu redoutable à tous; tous étoient abattus ou soumis; et Louis alloit s'occuper des moyens de donner à la France une paix solide et durable, lorsqu'il fut atteint, à Pontoise, d'une maladie dont le résultat fut de changer ses destinées et peut-être aussi celles de la France. Le mal fit des progrès si rapides qu'en très-peu de jours on désespéra de sa vie: ce fut alors que l'on put connoître à quel point il étoit aimé de son peuple, et quels sentiments profonds avoient gravés dans tous les cœurs et ses vertus et ses bienfaits. La route de Paris à Pontoise étoit couverte de gens qui se transmettoient les nouvelles, et ces nouvelles redoubloient à chaque instant le trouble et les alarmes. Dans toutes les églises on faisoit des aumônes, des prières, des processions; à Saint-Denis, les corps des saints martyrs furent tirés des caveaux et publiquement exposés, ce qui ne se faisoit que dans les plus grandes calamités; les châsses furent portées processionnellement dans les rues, et une multitude innombrable qui étoit accourue de Paris et des environs, les suivoit, pieds nus fondant en larmes, et adressant au ciel ses vœux et ses gémissements. Tout espoir sembloit perdu, lorsque le roi tomba dans un long évanouissement: on le crut mort; mais c'étoit la crise qui devoit opérer sa guérison. Sorti de ce sommeil léthargique, et se sentant ranimé, il fit vœu de partir pour la croisade, demanda la croix à Guillaume, évêque de Paris, qui étoit auprès de son lit, et résistant à toutes les prières et à tous les conseils de sa mère, fixa à deux ans son départ pour les lieux saints.

Il ne put toutefois exécuter ce grand dessein que quatre années après. Ce fut dans cet intervalle que Charles son frère épousa l'héritière de Provence et que se consommèrent en partie les derniers malheurs de cette maison de Souabe, à laquelle ce prince et sa race devoient succéder au trône de Naples. Le roi ne tarda si long-temps à accomplir le vœu qu'il avoit fait, que parce qu'il voulut, avant de partir, tout régler et tout prévoir dans le gouvernement de ses états. Il fut arrêté, dans un parlement qu'il tint à Paris, que toutes les guerres privées seroient suspendues pendant cinq ans; que les croisés seroient pour trois années à l'abri des poursuites de leurs créanciers; et que le clergé contribueroit aux frais de la guerre, du dixième de ses revenus. Le roi voulut, en même temps, suivant l'usage de tous ceux qui s'engageoient dans ces expéditions périlleuses, réparer les torts qu'il avoit pu commettre ou qui avoient été commis en son nom; et des frères mineurs, et prêcheurs furent envoyés dans tout le royaume, afin de recevoir les plaintes que tout particulier pourroit élever contre lui. Cette réparation étoit, sans compter tout le reste, l'avantage que procuroit d'abord une croisade, aux foibles et aux opprimés, même avant qu'elle eût été commencée.

Enfin, le vendredi 12 juin 1248, Louis, accompagné de ses frères, Robert, comte d'Artois, et Charles, comte d'Anjou, se rendit à Saint-Denis. Là le cardinal Odon de Châteauroux, légat du pape, déploya l'oriflamme et donna au roi le bourdon et la pannetière, attributs des pélerins. Le cortége traversa Paris, conduit par les processions jusqu'à l'abbaye Saint-Antoine, où le prince devoit se séparer d'avec sa mère et lui donner ses dernières instructions. Mais Blanche, qui vouloit, autant que possible, prolonger les moments où il lui étoit donné de jouir encore d'une aussi chère vue, le suivit jusqu'à la commanderie de Saint-Jean près de Corbeil, où il devoit s'arrêter. Ce fut en ce lieu que se rassembla un dernier parlement, dans lequel la régence lui fut solennellement donnée avec les pouvoirs les plus étendus. Le roi partit enfin, emmenant avec lui ses frères, la jeune reine Marguerite qui ne voulut point se séparer de son époux, et par une sage précaution qui assuroit la tranquillité de son royaume, se faisant suivre du duc de Bourgogne, des comtes de la Marche, de Toulouse et de plusieurs autres grands vassaux. Au reste, la noblesse françoise s'étoit presque tout entière précipitée sur ses pas.

Les commencements de cette régence furent tranquilles. Ce fut alors que l'on jeta les fondements du collége de Sorbonne, qui devint par la suite le plus illustre de l'université; et que les frères ermites de saint Augustin, connus sous le nom de grands Augustins, vinrent s'établir à Paris. Cependant l'expédition du roi avoit commencé par des succès éclatants que suivirent de bien près d'irréparables désastres; et à peine sortoit-on à Paris des réjouissances publiques qui y avoient été faites à l'occasion de la prise de Damiette, que l'on y reçut la triste nouvelle que l'armée du roi avoit été presque entièrement détruite par la famine et les maladies contagieuses, et qu'il étoit tombé lui-même entre les mains des infidèles. L'alarme fut générale en France; le pape fit prêcher sur-le-champ une croisade nouvelle; et la régente au désespoir ordonna de toutes parts de nouveaux armements.

(1251) Ce fut dans ces malheureuses circonstances que parut un imposteur nommé Job, Hongrois de naissance et déserteur de l'ordre de Cîteaux. Il se montra d'abord dans quelques villes de Flandre où il prêcha une croisade d'une espèce toute nouvelle, soutenant qu'il n'étoit donné ni aux nobles ni aux prêtres de délivrer les saints lieux, et que cet honneur étoit réservé uniquement aux bergers. Ses prédications fanatiques réunirent autour de lui un grand nombre de paysans qui prirent le nom de Pastoureaux. Il s'avança alors dans l'intérieur de la France, et entra à Amiens à la tête de trente mille hommes, déclamant avec fureur contre les seigneurs et surtout contre la cour de Rome qu'il appeloit la moderne Babylone. À la tête de cette armée qui s'accrut encore sur la route d'une multitude de vagabonds et de femmes perdues, il approcha des portes de Paris, où la reine, trompée par de faux rapports, le laissa entrer, croyant qu'il n'étoit pas impossible de former de cette troupe désordonnée une armée régulière, propre à être employée à la délivrance de son fils. Alors Job leva le masque et commença à débiter des maximes contraires à la foi, invectivant avec plus de violence encore contre le clergé, allumant ainsi les passions de ceux qu'il avoit entraînés à sa suite, et excitant de plus en plus le fanatisme de ces misérables, qu'il finit par jeter dans une sorte de frénésie. Ils massacrèrent des prêtres et se livrèrent à toutes sortes d'excès, tandis que leur chef, habillé en évêque, prêchoit dans les églises, confessoit, rompoit des mariages et faisoit de l'eau bénite à Saint-Eustache. L'université, contre laquelle il avoit une animosité particulière, menacée par lui, se barricada dans ses colléges. Enfin, après avoir mis Paris à contribution et y avoir fait de nombreuses recrues, il se dirigea vers Orléans, accompagné alors de plus de cent mille individus de tout sexe et de tout âge. Là les pastoureaux commirent encore de nouveaux crimes et jetèrent plusieurs ecclésiastiques dans la Loire. De là ils allèrent à Bourges, massacrant tout ce qu'ils rencontroient sur leur passage.

Blanche, dont un moment d'erreur avoit contribué à accroître ce mal, se hâta d'y remédier, dès que Paris eut été délivré de leur présence. Ayant rassemblé des forces suffisantes, ce qui fut fait en toute hâte, elle fit attaquer cette multitude dans les plaines du Berry, où on l'eut bientôt dissipée. Job fut tué au milieu de cette déroute; les peuples désabusés achevèrent d'exterminer les pastoureaux fuyants et dispersés; et depuis l'on n'en entendit plus parler.

Cette facilité qu'il y avoit à égarer les dernières classes du peuple, n'empêchoit point la reine de favoriser l'affranchissement des serfs; et l'un des derniers actes de sa régence fut d'obtenir du chapitre de Paris qu'il donnât la liberté à un grand nombre de ceux qu'il avoit sous sa dépendance, moyennant une somme d'argent dont elle fixa la quotité. L'usage de ces affranchissements s'étoit déjà établi sous les règnes précédents, et les rois en avoient les premiers donné l'exemple dans leurs propres domaines. Ils se multiplièrent sous le règne de saint Louis: à l'exemple du chapitre de Paris, plusieurs abbayes fixèrent à leurs serfs un prix pour l'acquisition de leur liberté. Quelques seigneurs firent comme eux, pour se rendre agréables au roi; et l'abbaye Saint-Germain se distingua dans cette circonstance en affranchissant les siens pour une somme extrêmement modique[267].

La reine, en se séparant de son fils, avoit eu le triste pressentiment qu'elle ne le verroit plus en ce monde; elle ne s'étoit point trompée: attaquée à Melun d'une maladie grave, elle y expira le 1er décembre 1252. Cependant Louis, qui étoit parvenu à se racheter des mains de ses vainqueurs, vaincus à leur tour par l'admiration que leur avoient inspirée son courage et ses vertus, ne revenoit point encore, occupé qu'il étoit à assurer, autant qu'il étoit en lui, le sort des chrétiens d'Asie qu'il alloit bientôt abandonner à eux-mêmes. Ces soins le retinrent encore deux ans éloigné de son royaume, et pendant cet intervalle l'État fut administré par ses deux frères, Charles et Alphonse. Ce fut sous cette nouvelle régence que fut fondé le collége des Prémontrés; et alors commença, entre l'université et les jacobins, une longue et fameuse querelle, dont nous parlerons par la suite.

(1254) Enfin le roi revint, et sa main vigoureuse acheva bientôt de rétablir le calme que son absence avoit un peu troublé. Tandis que l'on travailloit, par son ordre et pour le royaume entier, à ce recueil fameux connu sous le nom d'Établissements de saint Louis[268], dans lequel on vit ce génie, si supérieur à son siècle, lutter contre la barbarie des mœurs, l'absurdité des lois et des usages, et parvenir, sinon à détruire entièrement, du moins à diminuer sensiblement les abus monstrueux qu'une longue anarchie avoit fait naître, et que le pouvoir foible et chancelant des premiers rois de sa race n'avoit pu empêcher de s'établir, et pour ainsi dire, de s'enraciner. Il faisoit en même temps, pour les villes de son domaine et particulièrement pour Paris, d'utiles réglements, dont l'exécution n'éprouvoit point les obstacles que lui suscitoient ailleurs les barons intéressés au maintien des abus qui faisoient toute leur puissance[269]. Il abolit la vénalité des charges de judicature, proscrivit les cabarets et autres lieux de débauche, punit sévèrement les blasphémateurs. Dans son horreur pour le vice, il avoit même formé le projet de chasser entièrement les femmes de mauvaise vie de cette capitale; mais la corruption des mœurs y étoit si générale, qu'il se vit forcé de modérer la rigueur de l'édit qu'il avoit porté contre elles, et de tolérer un mal qu'on ne pouvoit détruire sans s'exposer à des maux plus grands encore. Toutefois la police sévère à laquelle il les soumit diminua du moins le scandale de leurs prostitutions[270]. Il avoit pareillement résolu de chasser entièrement les juifs de ses États; mais il revint au conseil plus salutaire d'essayer de les convertir; et, pour y parvenir, il se montra, dans les ordonnances qu'il rendit contre ceux qui persistèrent dans leur croyance, plus sévère qu'aucun de ses prédécesseurs[271]. Il veilloit en même temps à la sûreté de la ville, en forçant les bourgeois à faire le guet conjointement avec une troupe de soldats[272], entretenue à ses propres dépens. Le prévôt de Paris[273] tenoit la main à ce que ce service fût fait régulièrement, et les habitants qui dépendoient de la seigneurie de l'évêque y furent soumis comme les autres.

C'est à saint Louis que l'on doit la première bibliothèque publique qu'il y ait eu à Paris. On dit qu'il en avoit conçu le projet d'après ce qu'il avoit entendu dire en Syrie, d'un sultan qui faisoit recueillir tous les livres nécessaires aux musulmans, et en avoit formé une bibliothèque ouverte à tous les savants de son pays. Il fit donc faire des copies de tous les manuscrits qui se trouvèrent dans les monastères; et ces précieux exemplaires furent rangés dans une salle voisine de la Sainte-Chapelle. Il alloit souvent travailler lui-même dans cette bibliothèque, se mêlant à ceux que l'amour de l'étude y attiroit, et lorsqu'il s'y trouvoit des personnes peu instruites, se plaisant à leur expliquer les plus beaux passages des Pères et des saintes Écritures.

(1257) La dernière époque du règne de ce grand roi fut encore remarquable par un nombre considérable de fondations et d'établissements nouveaux. La chapelle de Sainte-Agnès, qui, dans le principe, étoit une succursale de Saint-Germain-l'Auxerrois, devint église paroissiale, sous le nom de Saint-Eustache; il en fut de même d'une autre chapelle, également dépendante de ce chapitre, et qui quitta le nom de chapelle de la Tour pour prendre celui de paroisse Saint-Sauveur. La petite paroisse Saint-Josse fut aussi érigée vers ce temps-là. On vit successivement s'établir à Paris, par les soins pieux et les libéralités du monarque, plusieurs ordres religieux, les Carmes, les Chartreux, Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, les Blancs-Manteaux, le couvent de l'Ave-Maria, etc. La charité dont il avoit donné des exemples si touchants, en comblant de biens les hôpitaux et notamment l'Hôtel-Dieu, éclata plus particulièrement dans la fondation qu'il fit de l'établissement célèbre connu sous le nom de Quinze-Vingts. Enfin on vit, sous son règne, s'élever plusieurs nouveaux colléges, entre autres ceux de Cluny, des Dix-Huit et du Trésorier.

Sous les règnes précédents, la noblesse et les prélats avoient déjà commencé à fréquenter Paris; et l'autorité du souverain s'augmentoit de cet hommage qu'ils venoient rendre à la majesté du trône. Louis, qui sentit tout l'avantage de ces réunions, les rendit plus fréquentes encore, en tenant régulièrement deux ou trois parlements par an, dans sa capitale. Celui de la Pentecôte, en 1267, fut un des plus célèbres, par la cérémonie brillante qui s'y fit, et l'affluence prodigieuse qu'elle y attira. Le roi y arma chevaliers Philippe, son fils aîné, Robert, comte d'Artois, son neveu, un fils du roi d'Aragon, Edmond d'Angleterre, et plusieurs autres seigneurs, jusqu'au nombre de soixante-sept. À cette occasion ce prince leva sur les sujets de l'évêque la taille qu'il avoit le droit de prendre quand il armoit ses fils chevaliers[274]. Quelque temps après, comme il préparoit sa seconde expédition à la Terre-Sainte, il crut devoir leur demander une nouvelle taille, à laquelle le prélat s'opposa d'abord, mais qu'il consentit enfin à laisser prendre, sous la condition expresse qu'il seroit hautement reconnu que ce dernier impôt, exigé par Louis IX des bourgeois de Paris soumis à la juridiction de l'église, ne préjudicieroit nullement à ses droits, ni à l'accord fait entre Philippe-Auguste et l'évêque Guillaume d'Auvergne.

(1270) On sait quel fut le triste succès de la seconde croisade de saint Louis, plus malheureux encore que celui de la première. La situation désespérée des chrétiens dans la Palestine avoit touché la grande âme du roi; il crut que son premier devoir étoit de voler à leur secours, et de défendre une cause à laquelle il s'étoit entièrement dévoué (car il n'avoit pas un seul instant quitté la croix), cause qu'il regardoit comme celle de Dieu même. Il partit donc de Paris, après avoir fait, pour la tranquillité de son royaume et pour la stabilité des institutions qu'il lui avoit données, tout ce qu'il étoit possible d'attendre de la prudence humaine, et comme s'il eût eu le pressentiment qu'il ne reverroit jamais la France. Il mourut en effet, l'année même de son départ, d'une maladie contagieuse qui moissonna en peu de jours le tiers de son armée, et mourut comme il avoit vécu, en saint et en héros: prince incomparable, le plus grand peut-être de tous ceux qui ont jamais honoré le trône; et que nous croyons louer dignement en disant qu'une race d'hommes[275] qui, de nos jours, s'est comme acharnée à outrager tout ce qui étoit respectable, a été forcée cependant de respecter sa mémoire, et de rendre ainsi, au milieu de ses blasphèmes, un hommage involontaire à la religion sainte qui seule l'avoit fait ce qu'il étoit, l'élevant, par l'assemblage de toutes les vertus chrétiennes, au-dessus de l'humanité.

Laissant ici la suite des événements historiques que nous reprendrons lorsque nous serons arrivés à l'époque où ils se lient aux grands événements dont Paris commença à devenir le théâtre, nous allons exposer rapidement ce qui se passa de plus important dans cette ville, depuis le règne de Philippe-le-Hardi jusqu'à la régence de Charles V.

(1270) Sous Philippe-le-Hardi, l'histoire particulière de Paris n'offre rien de fort remarquable; et l'on n'y voit d'autres fondations que celles du collége d'Harcourt et de l'école de chirurgie. Ce dernier établissement, auquel on donne alors une forme régulière, avoit déjà pris naissance sous saint Louis. La juridiction temporelle des corps ecclésiastiques reçut en ce même temps une atteinte nouvelle, dans un accord fait entre le roi et le chapitre de Saint-Méri, au sujet de la justice que cette collégiale prétendoit exercer sur les terres de sa dépendance. Philippe lui accorda toute justice sur les causes mobilières, sur les paroles injurieuses et autres délits peu importants[276], mais se réserva la justice du sang répandu dans tout le territoire du chapitre, le cloître seul excepté; il se réserva aussi le guet, la taille, les mesures, la voirie, etc. C'est ainsi que le souverain rentroit peu à peu dans des prérogatives dont l'église ne s'étoit point emparée, il ne faut point se lasser de le redire, mais qu'elle avoit été en quelque sorte contrainte d'accepter pour sauver la société, et qu'il eût été peut-être utile de lui laisser plus long-temps[277].

Parmi ces droits divers, celui de voirie, sur lequel les seigneurs particuliers avoient conservé long-temps de grandes prétentions, fut réglé par des statuts généraux qui tendoient à diminuer de nouveau les priviléges très-étendus qui restoient encore à l'évêque dans la ville de Paris[278]. Vers la même époque, l'abbé de Saint-Germain-des-Prés fit construire, dans le faubourg qui relevoit de sa juridiction, une boucherie de seize étaux, laquelle fut établie dans une rue qui, jusqu'à nos jours, en a retenu le nom.

(1278) Une nouvelle querelle s'éleva sous ce règne entre l'université et les religieux de Saint-Germain. Le Pré-aux-Clercs, dans lequel les maîtres et les élèves alloient souvent se promener, étoit très-voisin du clos de ce monastère, et ce voisinage faisoit naître des rixes fréquentes entre les gens de l'abbaye et les écoliers, lesquelles se terminèrent enfin par un véritable combat, où plusieurs de ces derniers furent tués par les vassaux de l'abbé; ceux-ci en blessèrent en outre un grand nombre et jetèrent dans les prisons de l'abbaye tous ceux qu'ils purent saisir. L'université, suivant sa coutume, menaça de fermer ses classes, si elle n'obtenoit raison de cet attentat; et dans la crainte qu'elle n'exécutât sa menace, on s'empressa de lui donner une entière satisfaction. Dans cette circonstance les vassaux de l'abbaye de Saint-Germain méritoient sans doute d'être condamnés; mais on ne peut voir sans étonnement l'impunité dont jouissoient alors les écoliers, principaux auteurs de tous les désordres qui se commettoient dans Paris. Ils couroient, nuit et jour, armés dans les rues; et conservant toujours contre les bourgeois cette ancienne haine, source de toutes leurs querelles, ils les provoquoient par des injures et de mauvais traitements, pilloient leurs maisons, et souvent même exerçoient des violences sur leurs femmes et leurs filles, comme dans une ville prise d'assaut. Sous le règne de saint Louis, l'évêque Étienne n'avoit trouvé d'autre expédient pour arrêter de tels excès que de fulminer contre eux une excommunication qui les retint quelque temps dans le devoir; ils furent excommuniés de nouveau sous Philippe-le-Hardi, et pour les mêmes causes. L'événement montre que de tels moyens étoient alors devenus insuffisants; mais nos rois, qui avoient une prédilection particulière pour ce corps célèbre, répugnèrent toujours à employer contre lui des forces avec lesquelles cependant il leur eût été facile de le retenir dans l'ordre et dans la soumission à l'autorité.

(1285) Au commencement du règne de Philippe-le-Bel, les faubourgs de Paris n'étoient point encore pavés, à l'exception des quatre principaux chemins, de Saint-Denis, de la porte Baudez, de la porte Saint-Honoré et de la porte Notre-Dame-des-Champs. Il s'éleva à ce sujet un démêlé entre les bourgeois de la ville et le prévôt de Paris, qui vouloit les forcer à achever cette opération à leurs frais; les bourgeois l'emportèrent. Dans le même temps le parlement jugea à propos de diminuer le nombre des sergents qui étoient attachés au Châtelet et à la personne du prévôt[279].

Il se passa, sous ce prince, plusieurs événements mémorables: l'abolition et le supplice des Templiers; la canonisation de saint Louis, demandée par tous les ordres du royaume; l'établissement fixe du parlement à Paris. Les embarras que causoit la guerre de Flandre et la multiplicité des affaires déterminèrent le roi à prendre cette mesure, qui devoit avoir des suites si considérables[280].

Les démêlés violents qui éclatèrent entre ce prince et le pape Boniface VIII furent cause de l'établissement d'un nouveau collége. Le cardinal Lemoine, que le pape avoit envoyé à Paris en qualité de légat, en fut le fondateur. Plusieurs autres colléges furent également créés sous ce règne: le collége des Cholets, le collége de Bayeux, ceux de Laon, de Presle et de Montaigu. Le monastère des Cordelières du faubourg Saint-Marceau avoit été fondé, quelque temps auparavant, par la reine Marguerite, veuve de saint Louis, qui ne mourut qu'en 1295. Elle n'eut pas la joie de voir la canonisation de son illustre époux, laquelle ne fut terminée que deux ans après sa mort. La cérémonie de l'élévation du corps fut remise à l'année suivante, et se fit avec la plus grande solennité. Le corps du saint fut levé par les archevêques de Reims et de Lyon; et dans la procession solennelle qui se fit de Saint-Denis à Paris, tous les princes du sang voulurent avoir l'honneur de le porter[281].

(1312) Il faut placer dans les dernières années de ce règne la construction du quai des Augustins, et l'achat que fit le roi de l'hôtel de Nesle, dont nous aurons occasion de parler par la suite. Cet hôtel, qui depuis fut abattu par Ludovic de Gonzague, et reconstruit sous le nom d'hôtel de Nevers, étoit hors de Paris, et s'étendoit depuis les murs de la ville au couchant, jusqu'aux lieux où fut depuis posée la porte à laquelle on avoit donné son nom.

Peu de temps après, Philippe-le-Bel donna au roi d'Angleterre et à tous les seigneurs de son royaume cette fête superbe dont nous avons déjà parlé[282]. Il mourut l'année suivante à Fontainebleau.

(1314) Le règne de Louis-le-Hutin fut court. Ce prince rappela les juifs, que son père avoit chassés. Ces bannissements si fréquents étoient causés par le zèle religieux, et ces rappels par la pénurie des finances. Les impôts exorbitants et l'altération des monnoies les avoient réduites, sous le règne précédent, à un tel état de détresse, qu'il ne se trouva point d'argent dans le trésor pour le sacre du nouveau roi. Ce fut le prétexte dont on se servit pour perdre Enguerrand de Marigni, ministre de Philippe-le-Bel, et le principal agent de ce prince dans toutes ses opérations financières. Également haï du peuple et des grands, odieux surtout à Charles de Valois, frère de Philippe, il fut accusé devant quelques barons et quelques chevaliers assemblés par le roi à Vincennes, sans que l'on observât aucune des règles et formes judiciaires prescrites dans les matières criminelles, sans même qu'on voulût l'entendre, condamné à être pendu, malgré sa qualité de gentilhomme et de chevalier, et attaché au gibet de Montfaucon, qu'il avoit fait élever lui-même peu de temps auparavant pour y exposer les corps des malfaiteurs après leur supplice. Enguerrand n'étoit peut-être pas exempt de quelques reproches dans son administration[283]; mais il fut condamné contre toute justice, et sa mort est une tache à la mémoire de Louis X, qu'on ne peut excuser qu'en faisant observer qu'il étoit jeune, sans expérience, et entouré d'ennemis du surintendant, qui avoient juré sa perte et qui employèrent pour y parvenir les moyens les plus infâmes et les plus criminels. On sait que les remords tardifs du roi le vengèrent; et qu'autant qu'il étoit en lui, ce prince répara cette grande iniquité commise en son nom. Frappé l'année même de la mort du surintendant d'une maladie de langueur qui le conduisit au tombeau, Charles de Valois crut voir la main de Dieu appesantie sur lui, et mourut au milieu des plus vifs sentiments de repentir, implorant les miséricordes de ce Dieu au tribunal duquel il alloit rendre compte.

(1315) La ville de Paris donna à ce prince une preuve de son dévouement et de sa fidélité, en répondant sur-le-champ à la demande qu'il lui fit d'un secours dans la guerre de Flandre, commencée sous le règne précédent. Elle s'obligea à lui fournir, à ses dépens, 400 cavaliers et 2,000 fantassins. Cette guerre, qui se continuoit toujours sans succès, épuisoit la nation. Sous ce prétexte on accabla le peuple d'impôts; on vendit les offices de judicature; on leva des décimes sur le clergé; on alla jusqu'à forcer les serfs, dont le roi avoit encore un grand nombre dans ses domaines, à racheter leur liberté au prix des effets mobiliers, dont on leur permettoit, dans ce temps-là, de disposer[284].

Cette même année, la France entière fut désolée par une horrible famine dont Paris se ressentit autant qu'aucun autre endroit du royaume. On y vendoit le setier de blé cinquante sols (environ 48 fr. de notre monnoie), et les pauvres, disent les chroniques du temps, exténués par la faim, tomboient morts au milieu des rues, sans qu'on leur portât aucun secours. L'avidité des boulangers accrut encore le mal. Convaincus d'avoir mêlé au pain qu'ils fabriquoient des matières nuisibles, pour le rendre plus pesant, ils furent arrêtés, dépouillés de leurs biens, exposés sur des roues aux insultes de la populace, et bannis à perpétuité du royaume.

(1316) Louis-le-Hutin mourut après avoir régné un peu moins de deux ans. Ce roi est le premier qui ait fait du Louvre sa demeure habituelle; tous ses prédécesseurs habitoient de préférence le palais de la Cité. L'établissement du parlement dans cette dernière maison royale fut, dit-on, la cause de ce changement.

Cette fidélité de la ville de Paris envers ses rois, à laquelle nous verrons bientôt succéder toutes les fureurs des factions et de la révolte, éclata encore à l'avénement de Philippe-le-Long. La reine, épouse de Louis X, étoit enceinte lorsqu'il mourut; et jusqu'à son accouchement, Philippe, héritier présomptif de la couronne, avoit en même temps un droit incontestable à la régence du royaume. Le comte de Valois, profitant de ce qu'il étoit absent de Paris au moment de la mort du roi, essaya de se créer un parti, et de lui disputer le gouvernement de l'État; mais la bourgeoisie, reconnoissant la légitimité des droits de Philippe, prit les armés, et chassa du Louvre les soldats du comte, qui déjà s'en étoient emparés. La mort du jeune prince, dont la reine accoucha peu de temps après, fit naître encore de nouvelles contestations pour la succession au trône, et Eudes de Bourgogne, oncle de Jeanne, fille de Louis-le-Hutin, prétendit que sa nièce devoit en être héritière. L'affaire, après avoir été long-temps agitée, fut décidée en faveur de Philippe, dans une assemblée mémorable qu'il convoqua lui-même à Paris, et où se trouvèrent les princes du sang, les prélats, la noblesse du royaume et les principaux bourgeois de la ville[285].

(1318) On vit encore recommencer l'interminable querelle de l'université avec l'abbaye Saint-Germain; et les droits que cette abbaye réclamoit sur le Pré-aux-Clercs, et que les écoliers lui contestoient, étoient toujours la cause de ces débats souvent ensanglantés. Pour en détruire entièrement la source, le roi jugea à propos de se saisir lui-même de la justice que les religieux prétendoient avoir sur ce pré. Du reste, il fut fait une dernière transaction entre les parties contendantes, dans laquelle l'université eut tout l'avantage, comme il arrivoit assez ordinairement[286].

(1320) Un désordre plus grand fut celui que causèrent les nouveaux Pastoureaux. Ils s'étoient formés de même que les premiers, sur la nouvelle qui s'étoit répandue d'une croisade que projetoit le roi, et qui n'eut point son exécution. C'étoient également des bergers, et autres gens de la campagne, qui se rassemblèrent sous la conduite de deux misérables[287], non moins vils que le Hongrois Job. Leur troupe, d'abord peu nombreuse, et qui observoit un certain ordre dans sa marche, ne tarda point à se grossir de tous les brigands et vagabonds qu'ils rencontrèrent sur leur route; et, chose étonnante, le roi, comme si la mémoire de ce qui s'étoit passé sous saint Louis eût été entièrement effacée, favorisa un moment cet étrange rassemblement. Mais les excès auxquels ils ne tardèrent point à se livrer, sous l'influence de tant de scélérats qu'ils s'étoient associés, l'eurent bientôt désabusé. Leur audace fut telle, qu'ils vinrent jusque dans Paris arracher des prisons de Saint-Martin-des-Champs et du Châtelet quelques-uns des leurs qu'on y avoit enfermés. Puis, ayant traversé la ville, ils se rangèrent en bataille dans le Pré-aux-Clercs, et là leur nombre et leur résolution étonnèrent tellement les Parisiens, qu'on leur laissa les passages libres: ils se répandirent ensuite dans les provinces, laissant partout des traces de leurs pillages et de leurs violences, ne faisant surtout aucun quartier aux juifs, auxquels ils avoient juré une guerre d'extermination. Ce ne fut que dans les provinces du midi où ils pénétrèrent sans obstacle, que l'on parvint peu à peu à les dissiper.

Cet événement fut suivi de la conspiration dite des lépreux, lesquels étoient en très-grand nombre dans le royaume. On les accusoit d'empoisonner les puits et les fontaines, d'après les suggestions des juifs, qui eux-mêmes étoient, dit-on, gagnés par les musulmans. Plusieurs, qui s'avouèrent coupables, furent brûlés vifs, et l'on chassa de nouveau les juifs du royaume.

Le roi mourut peu de temps après. Ce fut un prince ami de la justice, et qui publia une foule de sages ordonnances[288]. Un prévôt de Paris, nommé Henri Capetal, commit, sous son règne, un des crimes les plus atroces dont l'histoire fasse mention. Il y avoit dans les prisons de la ville un homme fort riche, lequel avoit été convaincu d'assassinat, et comme tel, condamné au dernier supplice. Il offrit à Capetal une somme considérable, s'il vouloit le sauver: celui-ci, ébloui par l'éclat de l'or, eut l'incroyable barbarie de faire mettre à sa place un prisonnier innocent, mais pauvre, qui subit le supplice destiné à ce coupable. Le roi, instruit de cette horrible prévarication, voulut que le prévôt fût puni sur-le-champ. Il fut jugé par le parlement, et condamné à être pendu[289].

La fondation de Saint-Jacques-de-l'Hôpital doit être rapportée à ce temps-là. On vit aussi s'élever plusieurs nouveaux colléges, le collége de Narbonne, le collége de Lisieux, celui de Cornouailles.

(1322) Le règne de Charles-le-Bel est un des moins féconds en événements que nous offre cette époque. On continua à fonder des colléges[290]. Ce genre de fondations, si multiplié au commencement du quatorzième siècle, prouve le goût qu'on avoit pour la science, et les efforts que faisoit la nation pour sortir des ténèbres où elle avoit été si long-temps plongée. Toutefois la révolution qui devoit y faire naître et y développer le goût des bonnes lettres fut très-tardive, et jusqu'à la fin du seizième siècle sa langue resta imparfaite et barbare. Nous attendons encore la révolution plus heureuse qui doit introduire dans ses écoles la véritable philosophie.

Le couvent des Haudriettes fut fondé à cette époque.

(1328) Charles mourut après un règne de six ans[291]. Il étoit le dernier des trois fils de Philippe-le-Bel. Ces trois princes, qui sembloient promettre à ce roi une nombreuse postérité, disparurent en moins de quatorze ans, sans laisser d'enfants; et la couronne passa à Philippe de Valois leur cousin germain.

Le règne de Philippe de Valois et celui de Jean son fils offrent une des époques les plus désastreuses de la monarchie. Les batailles de Créci et de Poitiers furent livrées sous ces deux princes: par la première, la France fut ouverte aux Anglais et aux Flamands, et la seconde, plus funeste encore, fit naître dans Paris un esprit de désordre et d'anarchie, qui, pendant près d'un siècle, ne s'assoupit quelques moments que pour se rallumer avec plus de fureur. Ces temps malheureux, qui commencèrent à la régence du dauphin, depuis Charles V, formeront, jusqu'au règne mémorable de Charles VII, une troisième époque, dont la place se trouve marquée dans la suite de cet ouvrage.

Voici d'ailleurs les événements les plus remarquables qui se passèrent à Paris jusqu'à la prison du roi Jean. On fonda de nouveaux colléges, et en plus grand nombre encore que sous les règnes précédents[292]. (1329) On vit s'élever plusieurs églises et monastères nouveaux: le Saint-Sépulcre, Saint-Julien-des-Ménestriers, l'église Saint-Yves, les Célestins. Une croisade nouvelle fut encore prêchée à Paris; et ce fut dans le Pré-aux-Clercs que l'archidiacre de Rouen y fit, au nom du pape, un appel au roi de France et à tous les habitants de cette ville. Philippe y prit la croix avec le patriarche de Jérusalem, sans que cette cérémonie eût la moindre suite: on étoit alors entièrement dégoûté de ces expéditions lointaines. Les juges clercs et les laïques renouvelèrent, sous ce prince, les contestations qui avoient pris naissance entre eux dès le règne de Philippe-Auguste, et qui s'étoient continuées sous saint Louis. Dans le jugement qui fut rendu à ce sujet, on vit que le roi, tout en penchant pour les accusateurs, craignoit de blesser le clergé, et n'osa prononcer contre lui; il n'y eut donc rien de décidé sur cette affaire, et les deux parties conservèrent l'une contre l'autre la même animosité. Quelque temps après les évêques se réunirent à Paris dans un concile, dans lequel il fut arrêté que tout juge laïque qui retiendroit un clerc en prison, malgré les demandes des juges ecclésiastiques, seroit excommunié; mais en même temps, et par ce sentiment de justice dont l'Église fut toujours animée, ils firent plusieurs réglements dont le but étoit d'établir, dans leurs diocèses, des réformes qu'ils crurent nécessaires pour justifier une décision qui tendoit à leur donner une si grande autorité.

(1333) Cette année, il s'éleva une dispute nouvelle entre l'université et l'évêque de Paris, à qui cette compagnie contestoit le droit de juger les clercs étudiant dans ses écoles. Elle l'accusoit de violer ses priviléges, qu'il devoit soutenir, étant lui-même docteur en droit. Il fallut encore que le pape se mêlât de cette affaire, et nommât des cardinaux pour en connoître. Tel étoit le crédit extraordinaire de l'université, que l'évêque ne put l'emporter sur elle, et que la paix ne fut rétablie qu'au moyen d'un jugement qui prononçoit entre les deux parties une sorte de compensation.

Célèbre tournoi à Paris en 1344, à l'occasion des noces de Philippe, second fils du roi. Ce fut au milieu de cette fête que furent arrêtés Olivier de Clisson et plusieurs autres seigneurs bretons qui venoient de signer un traité secret avec le roi d'Angleterre. Philippe les fait décapiter[293] sans aucune formalité, et cette exécution violente, bien qu'exercée sur des traîtres, est une des causes de tous les malheurs de ce règne et du suivant. L'ennemi acharné de Philippe, Édouard III, que l'on trouve mêlé à toutes les guerres intestines qui, sous ce règne, désolèrent la France, arme de nouveau et s'avance sans obstacle jusque sous les murs de Paris. Il en dévaste les environs, brûle Saint-Germain-en-Laye, Nanterre, Ruel, Saint-Cloud, Neuilly, la tour de Montjoie, et se retire dans le Beauvoisis, tandis que Philippe, trompé par de faux avis, l'attendoit dans les environs d'Antony à la tête de son armée. Cette même année, le roi perd la bataille de Créci; une peste générale dépeuple son royaume[294]. Dans des circonstances si fâcheuses, il demande à la ville un secours qu'elle lui accorde[295]; (1350) mais il meurt sans en rien recueillir, et laisse à son fils Jean un royaume désolé à l'intérieur par une maladie contagieuse, et menacé au dehors par un ennemi actif et ambitieux.

Nul prince, dit le président Hénault, n'a si souvent assemblé les États généraux et particuliers des provinces que le roi Jean. Il en assembla tous les ans jusqu'à la bataille de Poitiers. Une suspension d'armes convenue avec les Anglois étoit sur le point d'expirer. Les trois ordres furent convoqués à Paris pour y délibérer sur les subsides nécessaires dans une circonstance aussi importante. Peu de temps après le roi entra en campagne et donna la bataille de Poitiers (1356), où il perdit toute son armée et fut fait prisonnier avec les principaux seigneurs de son royaume. Après ce revers fameux, Paris devint le théâtre de troubles qui furent sur le point de renverser la monarchie: leur peinture formera la quatrième époque de ce précis historique, et nous reviendrons en même temps sur les principaux événements de ces derniers règnes, sur lesquels nous venons de passer si rapidement.

On a vu que, sous Louis IX, les mœurs étoient très-mauvaises, et que leur corruption fut plus forte que tous les réglements de ce saint roi. Il ne paroît pas qu'elles aient été moins corrompues sous ses successeurs. Les François étoient alors ignorants et passionnés; et la violence de leurs passions rendant leur piété superstitieuse, leur faisoit voir dans des pratiques de dévotion, toutes extérieures et souvent minutieuses, une expiation suffisante de tous les crimes qu'ils pouvoient commettre. Plus éclairés par la suite, leurs mœurs devinrent meilleures, parce qu'ils comprirent mieux le véritable esprit de la religion, et chez des peuples encore enfants, une telle révolution peut s'opérer promptement et facilement. Elle est plus difficile au milieu d'un peuple corrompu, comme nous le sommes maintenant, par l'excès d'un faux savoir, et par les raffinements d'une police que l'on considère follement comme le dernier degré de la civilisation.

Malgré tous les efforts que fit le grand monarque que nous venons de nommer, pour établir l'ordre et la police dans Paris, l'autorité royale y étoit encore trop contestée pour qu'ils pussent avoir des effets bien durables. On sait les désordres continuels auxquels s'y livroient les écoliers, et ceux plus grands encore qu'y commirent les derniers Pastoureaux. Sous Philippe-le-Bel, les violences qui s'y renouveloient chaque jour étoient telles, que le parlement se vit contraint de publier une ordonnance qui y défendoit le port d'armes, sous peine de prison. Le roi Jean, pendant les premiers temps de son règne, s'occupa aussi beaucoup de la police, et fit plusieurs réglements utiles, surtout relativement aux mendiants qui abondoient dans cette grande ville, et dont la plupart se livroient au brigandage lorsqu'on leur refusoit l'aumône. Il en publia aussi de relatifs à la propreté des rues[296].

On voit tous ces princes, jusqu'à Charles V, apporter la plus grande attention à tenir chacun dans son état. La cavalerie et les pleines armes étoient réservées à la noblesse; et les roturiers, même les plus distingués, n'étoient admis que dans l'infanterie. Le règne de ce dernier roi, qui fut l'époque la plus florissante de la chevalerie, maintint sévèrement cet antique usage; et jusqu'à Louis XII, on ne voit point qu'il ait été altéré. Sous ce monarque tous les gendarmes étoient gentilshommes, et beaucoup d'entre eux grands seigneurs: la confusion ne se mit dans les armées que sous Henri II.

On promulgua sous Philippe-le-Bel une loi somptuaire qui fixoit les dépenses de la table et des habits: elle régloit le souper à deux mets et un potage au lard, et le dîner à un seul mets et entremets. On ne servoit que trois plats sur la table de nos rois; leur meilleur vin étoit celui d'Orléans. Louis-le-Jeune en faisoit des largesses: Henri Ier en avoit toujours à la guerre, et lui attribuoit la vertu d'exciter aux grands exploits[297].

Il falloit être duc, comte ou baron, et avoir six mille livres de terre, pour donner à sa femme quatre robes par an. «Nulle demoiselle, si elle n'est châtelaine ou dame de deux mille livres de terre, n'en aura qu'une.» Le prix qu'on permettoit de mettre aux étoffes étoit depuis dix sous jusqu'à vingt, l'aune de Paris; et les dames de la première qualité avoient seules le droit de la payer jusqu'à trente sous. Enfin, pour mettre de la différence dans les états, il étoit ordonné que nulle bourgeoise n'auroit de char et ne se feroit conduire le soir avec un flambeau[298].

Les costumes varièrent beaucoup, depuis l'habit long que nous rapportâmes des croisades, jusqu'aux pantalons étroits qui devinrent à la mode sous François Ier. Nous offrirons dans la suite de cet ouvrage le tableau de ces variations, et celui de beaucoup d'autres usages curieux et singuliers qui y trouveront naturellement leur place.

SAINT-GERMAIN-L'AUXERROIS.

Cette église royale et paroissiale est une des plus anciennes et des plus remarquables de Paris; et il n'en est aucune dont l'origine présente plus d'obscurité. Il est certain qu'elle existoit au septième siècle, puisque saint Landri, évêque de Paris, mort vers l'an 655 ou 656, y fut inhumé; mais c'est sans preuve suffisante que plusieurs historiens[299] ont avancé qu'elle avoit été fondée par Childebert et la reine Ultrogothe, qui l'élevèrent, disent-ils, en l'honneur de saint Vincent. Cette opinion n'est soutenue d'aucune autorité assez grave, et l'on ne peut à cet égard admettre comme des preuves suffisantes, ni les statues représentant un roi et une reine que l'on voit sous le porche ou vestibule de cette église, ni l'inscription qui porte: C'est Childebert, roi chrétien, et Ultrogothe sa femme, qui fondèrent cette église, ni l'usage où l'on a été long-temps d'y fêter saint Vincent comme premier titulaire. Ces représentations grossières d'un roi et d'une reine ne conviennent pas plus à Childebert et à Ultrogothe qu'à d'autres princes; d'ailleurs les figures et l'inscription, qui même n'a été gravée qu'après coup[300], n'ont pas cinq cents ans d'antiquité: car le portail sous lequel elles sont placées est d'une construction qui ne peut remonter plus haut que le siècle de Philippe-le-Bel. À l'égard du culte qu'on rendoit dans cette église à saint Vincent, l'abbé Lebeuf a si évidemment démontré qu'elle n'avoit jamais été sous l'invocation de ce saint diacre, que, malgré la tradition et l'usage, on en a supprimé le nom dans le Propre de cette paroisse, imprimé en 1745.

Nous pensons qu'au sujet de l'origine de cette église, l'opinion la plus solidement établie est celle de Jaillot[301], qui prétend qu'elle fut construite en entier par les ordres de Chilpéric Ier, pour y recevoir le corps de saint Germain, évêque de Paris. La preuve qu'il en donne est un testament de Bertichram ou Bertchram (que nous appelons Bertram ou Bertrand), évêque du Mans, dicté le 24 mars de la vingt-deuxième année du règne de Clotaire, dans lequel le testateur assigne un fonds pour desservir à perpétuité le lieu de la sépulture de saint Germain, d'abord dans l'église de saint Vincent[302], où son corps étoit alors déposé, ensuite dans la basilique nouvelle que le roi Chilpéric venoit de faire construire, s'il y étoit transporté[303].

Cependant cette église porte le nom de saint Germain d'Auxerre et non celui de l'évêque de Paris; et l'on ne peut nier qu'il n'existe quelques traditions qui tendent à établir qu'elle a été bâtie sous le vocable du premier saint. Mais si on les examine avec quelque attention, l'on verra qu'elles se réduisent à de simples conjectures et à un diplôme de Charles-le-Chauve, lequel est au moins suspect en cette partie. «Je croirois, dit l'abbé Lebeuf, qui a fait une dissertation particulière sur l'antiquité de cette église, je croirois qu'il en faut attribuer la première origine à une chapelle qui aura été construite peu de temps après la mort de saint Germain d'Auxerre, en mémoire de quelque miracle qu'il aura opéré en allant de Paris à Nanterre, dans l'un ou l'autre des deux voyages qu'il fit dans la Grande-Bretagne; qu'au sixième siècle, l'évêque de Paris, qui portoit son nom, ne fut pas indifférent pour l'autel érigé sous l'invocation de ce grand prélat; et que ce pourroit bien être sous son épiscopat que fut bâtie la rotonde qui fit désigner dans la suite cette église sous le nom de Saint-Germain-le-Rond.»

À ces assertions dépouillées de preuves, et dans lesquelles on ne voit en effet que les conjectures d'un savant, qui hasarde une opinion qu'il ne peut établir d'une manière satisfaisante, Jaillot oppose le silence absolu de tous les écrivains contemporains sur les miracles de saint Germain d'Auxerre à l'endroit où fut fondée cette église, tandis qu'ils ont recueilli avec le plus grand soin tous ceux qu'il a opérés ailleurs, et qu'ils ont poussé l'exactitude jusqu'à indiquer les croix et les oratoires élevés dans les lieux devenus fameux par ces événements miraculeux, ou par les prédications du saint. Il ajoute (et ce fait, qui peut paroître aujourd'hui peu considérable, l'étoit beaucoup dans ce temps-là) que l'évêque de Paris, dont en effet la dévotion étoit grande au saint dont il portoit le nom, possédant une de ses reliques, en fit présent[304] à sainte Geneviève, dont il étoit contemporain, comme une marque de l'estime particulière qu'il avoit pour elle; ce qu'il n'eût point fait, s'il eût existé une chapelle ou un oratoire en l'honneur de ce saint: car, dans ce cas, il se seroit empressé de l'y déposer, etc. Quant au diplôme de Charles-le-Chauve, dans lequel il est question de l'église de Saint-Germain en ces termes, Quod à priscis temporibus Autissiodorensis dicitur, l'abbé Lebeuf lui-même pense avec raison que cette addition a été faite après coup, et insérée ensuite dans toutes les copies.

C'est en effet le seul titre où cette qualification lui soit donnée: tous les historiens, tous les diplômes qui ont parlé de cette église n'y joignent aucun surnom; elle est simplement appelée l'église de Saint-Germain; et ce ne fut que dans le neuvième siècle qu'elle reçut, en raison de sa forme nouvelle, la dénomination de Saint-Germain-le-Rond: Abbon est le premier qui la désigne ainsi dans son poëme,

«Germani Teretis contemnunt littora sancti.»

Tant de témoignages réunis, où rien ne s'explique en faveur de saint Germain d'Auxerre, peuvent servir à confirmer les inductions tirées du testament de Bertram; cependant on demande pourquoi le projet attribué à Chilpéric, de transporter le corps de saint Germain dans la nouvelle basilique, n'eut point son exécution. Cette difficulté, plus grande que les autres, ne peut être résolue d'une manière satisfaisante; et le silence absolu que gardent à cet égard tous les auteurs contemporains ne permet de hasarder que de simples conjectures. On présume donc que Chilpéric, n'ayant survécu que huit ans à saint Germain, ne put faire achever la basilique qu'il avoit commencée; que Frédégonde, dont la vie fut si agitée, remplie de tant de crimes, de passions et de malheurs, ne s'empressa pas de la faire continuer; et que, d'un autre côté, les religieux de Saint-Vincent, jaloux de conserver les précieuses dépouilles dont ils étoient dépositaires, firent naître tous les obstacles qui pouvoient en empêcher ou en retarder la translation. Les troubles qui remplirent les derniers règnes de la première race durent favoriser leurs vœux et leurs projets; et lorsque Pépin monta sur le trône, il est probable qu'on ne pensa plus à les dépouiller d'un bien dont une si longue possession sembloit les rendre légitimes propriétaires. Ce prince, qui avoit besoin de se concilier tous les esprits, voulut au contraire, par une cérémonie éclatante, faire cesser toutes les craintes qu'ils pouvoient avoir encore à cet égard. Le 25 juillet 754, assisté de ses fils et des grands du royaume, il fit transférer avec la plus grande pompe le corps de saint Germain, de la petite chapelle de Saint-Symphorien dans le chœur de la grande église de Saint-Vincent, qui depuis fut appelée de Saint-Germain ou de Saint-Vincent et de Saint-Germain. Alors l'autre église prit sans doute le surnom dont nous venons de parler[305], pour ne pas être confondue avec la première. Telles sont les conjectures imaginées pour expliquer cette difficulté; et l'on doit convenir qu'elles sont à la fois vraisemblables et ingénieuses.

Enfin cette basilique étoit la première église canoniale et paroissiale qui dût son origine à la cathédrale; et cette dépendance absolue où elle étoit de l'église mère[306], semble être une nouvelle preuve qu'elle avoit pour titulaire le saint évêque qui l'avoit gouvernée, et non celui d'Auxerre.

L'église de Saint-Germain subsista telle qu'elle avoit été bâtie, d'abord, jusqu'au siége de Paris par les Normands. Ces barbares l'épargnèrent tant qu'elle leur parut utile à leur défense: ils la fortifièrent à cet effet d'un fossé dont on retrouve encore aujourd'hui la trace dans la rue qui en porte le nom; mais lorsqu'ils furent obligés de quitter Paris, ils la détruisirent de fond en comble. Helgaud, moine de Fleury, nous apprend que le roi Robert la fit rebâtir[307], et que c'est alors qu'on trouve pour la première fois des titres certains qui la présentent sous le nom de Saint-Germain-l'Auxerrois, celui de Saint-Germain-le-Rond ne pouvant plus lui convenir à cause de la forme nouvelle de l'édifice. On se détermina sans doute à lui donner ce vocable, parce qu'il la distinguoit pour toujours de l'abbaye de Saint-Vincent, désignée depuis long-temps sous celui de Saint-Germain-des-Prés.

Le même écrivain qui nous apprend que cette église fut rebâtie par le roi Robert, a jeté quelques auteurs, même modernes, dans une erreur assez grave, en la désignant sous le nom de Monasterium: ils en ont conclu qu'il y avoit anciennement des religieux à Saint-Germain. Il est vrai qu'on entend aujourd'hui par le mot de monastère un lieu habité par des religieux et par un supérieur qui les commande; mais alors on appeloit aussi monastère toute église collégiale ou paroissiale, parce que les chanoines et les prêtres qui les desservoient pratiquoient la vie commune: ils sont ainsi appelés, dit Dubreul, propter convictum communem quem primitùs habebant[308]. Il en est de même du nom d'abbé, qui, dans sa véritable étymologie, signifie père, et qui, depuis, a été affecté spécialement aux archimandrites ou chefs et supérieurs des maisons religieuses. Dubreul soutient donc avec raison que l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois n'a jamais eu d'abbé, mais un doyen et un certain nombre de chanoines. D'ailleurs une charte authentique d'Imbert, évêque de Paris, donnée en 1030, et confirmée en 1108 par celle de Galon, un de ses successeurs, désignant les ecclésiastiques qui desservoient cette église, leur donne cette qualité de Chanoines; ce qui prouve que, quand bien même des religieux l'eussent desservie dans l'origine, son état étoit déjà changé sous Robert, malgré le titre de monastère que lui donne l'historien de ce prince.

Il est donc naturel de penser que, dans tous les temps, la communauté de Saint-Germain-l'Auxerrois a été composée de chanoines; et cette dépendance même où ils étoient de la cathédrale en est une nouvelle preuve, puisqu'à cette époque les religieux étoient déjà affranchis de la juridiction épiscopale. Dans les commencements, ces chanoines administroient le baptême et les autres sacrements, et étoient tour à tour chargés des fonctions curiales; mais là partie de la ville qui étoit sous leur gouvernement s'étant considérablement peuplée, surtout sous le règne de Philippe-Auguste, ils choisirent un vicaire pour remplir ces fonctions sous leurs yeux. Par là cette collégiale fut érigée en cure au commencement du treizième siècle; et l'on trouve en effet plusieurs actes dans lesquels, dès l'an 1202, le prêtre, c'est-à-dire le curé, est distingué des chanoines[309].

L'église de Saint-Germain-l'Auxerrois est, après la cathédrale, la seule parmi les anciennes églises séculières qui ait eu une école; et cette école étoit tellement célèbre, que le nom en est resté à une partie de son territoire. Un passage de Grégoire de Tours donneroit à penser qu'elle existoit dès le temps de l'évêque de Paris saint Germain, et de Ragnemode son successeur: on ne peut douter du moins qu'elle ne fût déjà florissante sous le règne de Charlemagne, époque à laquelle on vit renaître les études si long-temps négligées. Cette école dut reparoître avec un nouvel éclat sous le roi Robert, qui rebâtit l'église, et qui s'intéressoit particulièrement à l'éducation des jeunes ecclésiastiques; mais le terrain où elle étoit située étant devenu depuis nécessaire pour les dépôts de la navigation, et l'université s'étant formée sur la montagne Sainte-Geneviève, les études cessèrent à Saint-Germain. C'est aussi la première église, en exceptant toujours la cathédrale, qui ait possédé de bonne heure une nombreuse communauté de clercs. Les chanoines l'établirent au douzième siècle, afin de donner plus de solennité à la célébration des offices; et Maurice de Sully, alors évêque de Paris, approuva cet établissement[310].

Son chapitre est de même l'un de ceux qui ont fourni à l'église de France les plus illustres personnages. Parmi ses doyens, dont on a la liste depuis sept à huit siècles, plusieurs devinrent évêques ou se distinguèrent par leur piété. Il possédoit d'ailleurs un grand nombre de prérogatives, entre autres, le droit de nommer à tous les bénéfices fondés sur son territoire, ce qui comprenoit presque tout le quartier occidental de la ville et des faubourgs de Paris[311].

Cette paix et cette considération dont il jouissoit ne furent troublées que vers le commencement du siècle dernier. Il s'étoit déjà élevé plusieurs procès entre le chapitre et le curé; les chanoines avoient aussi des démêlés fréquents avec les marguilliers, et même avec les chapelains du chœur[312]. Ces divisions, et le mauvais état des affaires des chanoines de Notre-Dame, firent naître l'idée de réunir les deux chapitres. La proposition en fut faite en 1736; et après d'assez longues contestations relatives au rang et aux priviléges que demandoient les chanoines de Saint-Germain, cette église collégiale, qui pouvoit à juste titre se dire la fille aînée de celle de Paris, retourna en 1744 à la source d'où elle étoit sortie, onze à douze siècles auparavant; et la nomination des bénéfices auxquels elle présentoit revint à l'Ordinaire.

Le bâtiment de Saint-Germain-l'Auxerrois n'étoit pas moins illustre que la communauté qu'il renfermoit. Cette église, objet de l'affection particulière de nos rois, et bâtie à plusieurs reprises par l'ordre de ces princes, en avoit pris le nom de royale; et ce titre lui fut confirmé lorsqu'ils eurent fait du Louvre leur demeure ordinaire. Quant à l'antiquité de ses constructions, Piganiol s'est trompé en disant qu'il restoit encore quelques parties de celles qui avoient été faites du temps de Robert: ce qu'on y voit de plus ancien est le grand portail[313], qui paroît être du siècle de Philippe-le-Bel; le vestibule ou portique qui le précède ne fut construit que sous le règne de Charles VII. Cette façade de l'édifice n'a d'ailleurs jamais été terminée; et il est facile de voir sur l'élévation que toutes les parties supérieures et pyramidales y manquent entièrement[314].

Le chœur, autant qu'on pouvoit juger dans le siècle dernier, par sa structure et par les anciens vitraux qu'on y avoit conservés, paroissoit être du quatorzième siècle; les ailes, les chapelles, la croisée avec son double portail et la nef étoient d'une construction plus moderne au moins de cent ans[315]. En 1607, on construisit sur le terrain du cloître un réservoir pour les eaux de la Samaritaine, et une galerie couverte, voisine du grand portail, laquelle servoit de chapelle à la communion.

Dans le temps que le chapitre étoit à Saint-Germain, le chœur de cette église étoit fermé de toutes parts à la hauteur des arcades des bas côtés, et il n'y avoit d'ouvertures que par la porte principale et par les portes collatérales.

Le jubé, tel qu'il étoit alors, passoit pour un morceau d'architecture très-remarquable; il avoit été élevé sur les dessins de Pierre Lescot[316], et les sculptures étoient de Jean Goujon. Ce jubé étoit porté sur trois arcades; celle du milieu formoit la principale entrée du chœur, et dans la baie de chacune des deux autres étoit un petit autel renfermé par un balustre. Aux deux extrémités on voyoit, sur deux autels saillants, les statues en pierre de la Vierge et de saint Louis, d'un très-mauvais travail; les jambages de ces arcades étoient revêtus chacun de deux colonnes corinthiennes, et les cintres en étoient ornés de figures d'anges, tenant les instruments de la Passion. Sur l'appui du jubé et au-dessus des colonnes on avoit placé les statues des quatre évangélistes; mais ce qu'il y avoit de plus précieux dans cette décoration étoit un grand bas-relief, qui en occupoit le milieu, et qui représentoit Nicodème ensevelissant Jésus-Christ. Ce morceau, admirable, dit-on, sous tous les rapports d'ordonnance et d'exécution, étoit de la main du célèbre sculpteur que nous venons de nommer. Il fut détruit avec le reste, lors des changements qui s'opérèrent dans l'administration de Saint-Germain, par la réunion de son chapitre à celui de Notre-Dame.

Le curé et les marguilliers pensèrent aussitôt à faire exécuter dans leur église les travaux convenables pour la rendre vraiment paroissiale[317]. Il fut décidé qu'on ouvriroit le chœur de tous les côtés: pour y parvenir, on abattit, en 1745, les lambris qui l'environnoient, et même le jubé qui régnoit sur la porte principale; le pavé de l'église fut relevé et réparé dans toute son étendue; et afin d'éviter de nouvelles dégradations, on pratiqua sous l'église de vastes caveaux pour les inhumations. Tous ces changements furent approuvés, à l'exception de la destruction du jubé.

Le chœur reçut alors la forme nouvelle qu'il a conservée jusqu'à nos jours. Cette décoration fut faite sur les dessins de M. Baccari, architecte: les piliers gothiques prirent une forme moderne; dans les masses qui sont au-dessus des arcades, il retailla des tables[318] enfoncées avec un caisson au milieu; au pourtour du chœur, au-dessous des croisées, régnoit une balustrade d'entrelacs, enrichie de fleurons, et dont les piédestaux étoient ornés de têtes de chérubins. On prit en même temps des mesures pour procurer un jour suffisant à toute l'église, en supprimant les rosettes gothiques et une grande partie des meneaux[319] des croisées: des vitraux neufs les remplacèrent. MM. Gois et Mouchi, sculpteurs du roi, ajoutèrent les statues de saint Vincent et de saint Germain à plusieurs autres sculptures modernes dont ce chœur alors fut décoré; il fut enceint d'une grille à hauteur d'appui, en fer poli et bronze doré, d'une très-belle exécution; enfin, rien ne fut négligé pour que cette restauration répondît à la dignité d'une des plus anciennes et des plus célèbres églises de Paris.

Elle possédoit des ornements plus précieux encore: plusieurs tableaux des plus grands maîtres de l'ancienne école françoise en décoroient la nef, dont le banc de l'œuvre, exécuté sur les dessins de Perrault et Lebrun, passe pour le plus beau qu'il y ait à Paris. La plupart des artistes logés au Louvre, et paroissiens de cette église, s'étoient fait un honneur, dans le siècle dernier, d'y consacrer quelques-uns de leurs ouvrages. Enfin, ses murs et ses piliers étoient couverts des noms d'un grand nombre de personnages illustres par leurs talents ou par leurs vertus, dont elle contenoit les dépouilles mortelles, et ses chapelles offroient les tombeaux de plusieurs d'entre eux. La plupart de ces monuments ont été détruits ou dispersés; ces noms ont été effacés, et une nudité presque absolue a succédé à cette magnificence religieuse, dont il ne reste même presque aucun souvenir.

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-GERMAIN-L'AUXERROIS.

TABLEAUX.

Dans la chapelle de la Vierge, l'Assomption, par Philippe de Champagne.

Dans la chapelle de la paroisse, les tableaux de saint Vincent et de saint Germain, par le même.

Sur l'autel d'une autre chapelle qui est auprès de celle de la paroisse, un tableau de saint Jacques, par Le Brun.

Dans la chapelle des Agonisants, un tableau de Jouvenet dont le sujet est l'Extrême-Onction.

Dans la chapelle des Frères-Tailleurs, les disciples d'Emmaüs, par Restout.

Au-dessus des portes latérales des croisées, Jésus-Christ sur la montagne, et Jésus-Christ guérissant un possédé, par Charles Coypel.

Au-dessus de la chaire, qui étoit remarquable par la richesse de ses ornements, un tableau de Boullongne, représentant une des prédications de Jésus-Christ.

Dans la chapelle où s'assembloient les marguilliers, on voyoit un tableau qui y avoit été transporté d'une des croisées de l'église où il étoit placé auparavant. C'étoit une copie de la fameuse Cène de Léonard de Vinci[320].

Le tableau du maître-autel, par Vien.

TOMBEAUX ET SÉPULTURES.

Dans cette église avoient été inhumés:

Louis de Poncher, garde des sceaux, mort en 1521, et Roberte Le Gendre sa femme[321].

Jacques Dubois, médecin fameux, connu sous le nom de Silvius; mort en 1551.

François Picart, doyen de cette église et prédicateur célèbre, mort en 1556.

François Olivier, chancelier de France, mort en 1560.

François Olivier, seigneur de Fontenay, et abbé de Saint-Quentin de Beauvais, son petit-fils, mort en 1636.

Abraham Remi, professeur d'éloquence au collége de France, et l'un des meilleurs poètes latins de son temps, mort en 1646.

Nicolas Faret, l'un des quarante de l'Académie Françoise, mort en 1649.

Pierre Sanguin, médecin de Louis XIII, et Anne Akakia son épouse.

Charles Annibal Fabrot, professeur de droit, auteur de plusieurs ouvrages, mort en 1659.

Guy-Patin, professeur en médecine au collége royal, mort en 1672.

Claude Melan, graveur célèbre, mort en 1688.

Guillaume Samson, habile géographe, mort en 1703.

Au côté droit du chœur, sous l'enceinte et contre le mur, étoit une table de marbre sur laquelle on lisoit l'épitaphe de François de Kernevenoy, appelé par corruption de Carnavalet. C'étoit un des plus beaux caractères de son temps, et l'ornement de la cour de Henri II.

On lit ensuite dans d'autres chapelles les épitaphes d'Anne de Thou, fille aînée de Christophe de Thou, premier président du parlement de Paris; de Louis Revol, secrétaire d'état sous Henri III et Henri IV; de Claude Fauchet, premier président de la cour des monnoies, mort en 1603.

La famille de Pomponne de Bellièvre avoit aussi sa chapelle dans cette église. Le fameux chancelier de France, de ce nom, surnommé le Nestor de son siècle, y fut enterré en 1607.

La famille des Phélippeaux de Pontchartrain avoit aussi sa sépulture à Saint-Germain depuis 1621.

Dans une chapelle, deux figures de marbre blanc sur une tombe de marbre noir, représentoient Étienne d'Aligre, chancelier de France, mort en 1635, et son fils Étienne d'Aligre, également chancelier de France, mort en 1677. (Rendu à la famille.)

Au premier pilier, vis-à-vis la chapelle du Saint-Sacrement, étoit fixée une table de marbre sur laquelle Le Brun avoit peint une femme mourante. Ce portrait étoit celui de mademoiselle Selincart, épouse d'Israël Silvestre, graveur célèbre du dix-septième siècle: tous deux ont été enterrés dans cette église[322].

Plusieurs autres personnages qui se sont fait un nom dans les arts et dans les lettres avoient aussi leur sépulture à Saint-Germain-l'Auxerrois. On y lisoit les noms de Malherbe, le créateur de la poésie françoise; de madame Dacier et de son époux; du peintre Stella; de plusieurs sculpteurs célèbres, Sarrazin, Desjardins, Coyzevox, Warin; de Levau, premier architecte du roi; d'Orbay, autre architecte qui a bâti le dôme des Invalides. Dans le siècle dernier on y enterra Noël et Antoine Coypel, Santerre, tous les trois peintres distingués; Houasse, directeur de l'académie de Rome, etc., etc.

Le dernier personnage remarquable qui ait été inhumé dans cette église est le comte de Caylus, célèbre par son amour pour les arts et pour l'antiquité. En raison de ce goût et des travaux auxquels il s'étoit livré toute sa vie pour en pénétrer les obscurités, on lui avoit élevé un monument composé d'un cénotaphe antique en porphyre[323], lequel étoit surmonté de son buste. Il mourut en 1765.

Dans cette église furent baptisés, en 1316, le petit roi Jean, premier fils de Louis Hutin et de Clémence d'Aragon, d'Anjou-Hongrie; en 1389, Isabelle de France, fille de Charles VI et d'Isabelle de Bavière; en 1573, Marie-Isabelle de France, fille de Charles IX et d'Élisabeth d'Autriche.

Si l'on considère en général le territoire de Saint-Germain-l'Auxerrois, soit dans son état primitif, soit dans les réductions qu'il a éprouvées, il se trouve qu'il a servi à l'érection de quatre collégiales, neuf paroisses et plusieurs hôpitaux; nous avons déjà eu l'occasion de parler de plusieurs de ces établissements, et nous ferons connoître les autres par la suite: il s'agit seulement de déterminer ici les bornes dans lesquelles cette paroisse étoit renfermée à la fin de la monarchie.

Sa figure formoit un carré long. Depuis l'extrémité des Tuileries, ses limites passoient par le milieu de la rivière jusqu'à la statue de Henri IV; revenoient ensuite, en suivant la moitié septentrionale du bas de la rivière, jusqu'au pont au Change, sur l'extrémité duquel elle possédoit jadis trois maisons dans la branche qui descendoit vers le Grand Châtelet. Cet édifice public, ses prisons et la rue Pierre-au-Poisson y étoient également compris.

Elle pénétroit ensuite dans la rue Saint-Denis, dont elle avoit tout le côté gauche jusqu'à la première ou la seconde maison en-deçà de la rue Courtalon, exclusivement. Les cinq ou six premières maisons à droite en entrant dans la rue de la Tabletterie[324], les trois ou quatre dernières de la rue des Fourreurs aussi à droite, tout ce qui est à gauche entre ces deux rues, lui appartenoit également. Il faut y ajouter l'extrémité de la rue des Déchargeurs, excepté ce qui fait le coin de celle de la Ferronnerie, et tout le côté gauche de la rue Saint-Honoré jusqu'à la boucherie des Quinze-Vingts.

Dans cette boucherie, les étaux à gauche étoient de Saint-Germain; les limites, passant ensuite au milieu de la cour du marché dans sa longueur, renfermoient la grande écurie et ses cours, le Manége jusqu'à la grotte des Feuillants; elles suivoient ensuite les murs du reste du jardin des Tuileries et de l'Orangerie; puis, se repliant à la moitié du cul-de-sac de cette orangerie, se prolongeoient le long des fossés des Tuileries jusqu'à la rivière. Cette étendue contenoit deux cent cinquante arpents, soixante-deux perches carrées.

LE LOUVRE.

L'origine du Louvre se perd, comme celle de presque de tous les vieux édifices de Paris, dans l'obscurité de ses temps de barbarie.

Les historiens ne sont pas même d'accord sur la véritable étymologie de son nom. Les uns le font venir du nom propre d'un seigneur de Louvres, sur le terrain duquel le premier château fut bâti; d'autres des loups qui peuploient la forêt voisine[325]; quelques-uns du vieux mot françois ouvre, de manière qu'on aura dit L'ouvre pour l'œuvre, l'ouvrage par excellence. Enfin il en est un petit nombre, et ceux-ci nous semblent avancer l'opinion la plus vraisemblable, qui prétendent trouver la racine de ce nom dans le mot saxon lower, lequel signifie château.

Si un diplôme, cité par Duboulay[326], est authentique, il faudroit croire que le Louvre existoit déjà du temps du roi Dagobert, c'est-à-dire vers le milieu du septième siècle. Mais, en supposant qu'on puisse donner à son origine cette haute antiquité, il faut croire en même temps, ou que ce n'étoit point une maison royale, ou qu'elle jouissoit alors de peu de renommée; car les historiens de la première dynastie n'en font aucune mention, tandis qu'ils parlent souvent de Vincennes, de Chelles, de Clichy, de Saint-Denis, de Nogent (ou Saint-Cloud), et de beaucoup d'autres maisons de plaisance[327] que nos rois avoient alors coutume de parcourir, et qu'ils habitoient plus volontiers que la ville.

Il n'existe point de preuves suffisantes pour faire adopter une origine aussi ancienne; mais ce seroit aussi la rapprocher beaucoup trop de nos temps modernes que de l'attribuer à Philippe-Auguste, comme l'a fait Duhaillan, suivi en cela par beaucoup d'autres historiens. Plusieurs actes concourent à prouver que le Louvre existoit dès la seconde race, et qu'à cette époque il étoit déjà une habitation royale. Il fut sans doute détruit par les Normands vers la fin de cette époque, et relevé avec tous les édifices environnants, dès les premiers temps de la domination des Capets. «Les rois y tinrent des chiens, des chevaux, des piqueurs et des équipages de chasse, dit Saint-Foix, mais ils ne faisoient qu'y passer et s'y rafraîchir; jamais ils n'y ont été à demeure.» Ces princes, comme nous l'avons déjà dit, habitoient le palais de la Cité, lorsqu'ils quittoient leurs maisons de plaisance pour revenir dans leur capitale.

L'erreur qui a fait regarder Philippe-Auguste comme le fondateur du Louvre, vient de ce qu'effectivement il en répara et augmenta les constructions. C'est lui qui y fit élever cette tour fameuse connue alors et long-temps après sous le nom de Tour Neuve. S'il eût fait bâtir le château en entier, Rigord, son historien, ou plutôt son panégyriste, Guillaume Le Breton et Jean de Saint-Victor n'eussent pas manqué d'en faire mention. Le nom même qui fut donné à la tour de Philippe-Auguste, prouve qu'il en existoit d'autres qui avoient été construites auparavant: en effet cette tour, que Rigord appelle Neuve, parce qu'il n'y avoit que dix ans qu'elle étoit bâtie lorsqu'il écrivoit[328], occupoit au milieu du Louvre la place d'une autre tour qui avoit aussi porté le même nom. Depuis on l'appela la Grosse Tour; la preuve en est dans un cartulaire de Saint-Denis-de-la-Chartre, qui contient des lettres de ce prince de l'an 1204, par lesquelles il donne 30 sous à cette église pour l'indemnité[329] du terrain sur lequel cette construction avoit été élevée. On y voit que la tour du Louvre, dite Grossa Turris, est située où étoit anciennement Turris Nova. Sous le règne de Louis-le-Jeune, on trouve des actes où ce château est nommé Louvre, sans qu'il soit indiqué si ce nom venoit de l'édifice lui-même, ou du territoire sur lequel on l'a voit bâti.

La situation du Louvre, dans une plaine voisine et cependant entièrement détachée de Paris, présentoit le double avantage d'en faire une maison de plaisance pour nos rois, et une forteresse, qui pût à la fois défendre la ville et en contenir les habitants. Le genre de sa construction prouve que l'on avait eu l'un et l'autre but en le bâtissant; mais, dès Philippe-Auguste, cette capitale s'étoit tellement accrue que ce château étoit déjà environné de rues et de maisons. Cependant ce prince ne voulut point qu'il fût enfermé dans Paris lorsqu'il fit faire de nouvelles murailles: le Louvre eut une enceinte particulière, et hors de la ville.

Dans la description de cet ancien monument, nous suivrons principalement Sauval, qui se montre ici plus exact que partout ailleurs, quoique, dans plusieurs endroits, il ait confondu la forme de l'édifice avec l'enceinte dont il étoit environné.

Le plan du Louvre étoit un parallélogramme, et s'étendoit en longueur depuis la rivière jusqu'à la rue de Beauvais, et en largeur depuis la rue Froi-Manteau jusqu'à celle d'Autriche, aujourd'hui rue de l'Oratoire. Le terrain qu'il occupoit avoit soixante et une toises trois quarts de longueur, sur cinquante-huit toises et demie de largeur. Il consistoit en plusieurs corps-de-logis d'une architecture si simple et si grossière, que la façade ressembloit à quatre pans de murailles percés de croisées longues et étroites, où le jour pouvoit à peine pénétrer, et placés au hasard les uns sur les autres. Ce château d'ailleurs étoit fortifié, flanqué d'un grand nombre de tours, et environné de fossés larges et profonds. Au centre de ce carré long étoit la grande cour, qui avoit trente-quatre toises et demie de longueur, sur trente-deux toises et cinq pieds de largeur. Au milieu s'élevoit la grosse tour dont nous venons de parler.

Les corps-de-logis étoient à deux étages sous Philippe-Auguste; ils furent rehaussés sous Charles V de cinq à six toises, et couronnés de terrasses. Outre la grande cour, on comptoit dans le Louvre plusieurs basses-cours qui empruntoient leurs noms des lieux dont elles étoient voisines: ainsi, l'une se nommoit la basse-cour du côté de Saint-Thomas; une autre, la basse-cour vers la rivière; il y avoit la basse-cour du côté de l'hôtel de Bourbon; la basse-cour du côté de la rue d'Autriche, etc.

Les tours étoient nombreuses, mais répandues autour du bâtiment sans aucune symétrie entre elles, excepté aux angles et aux portaux[330]. Ces dernières, qui ne s'élevoient que jusqu'au comble, se terminoient en terrasses ou plates-formes. Celles des angles, beaucoup plus hautes que les autres, étoient couvertes d'ardoises, et terminées par des girouettes peintes et rehaussées des armes de France. Chacune de ces tours avoit son nom et son capitaine particulier, lequel dépendoit du gouverneur général du château.

Les plus connues de ces tours sont la grosse tour du Louvre, la tour de la Librairie, la tour de l'Horloge, les tours au Fer-à-Cheval, la tour de l'Artillerie, la tour de Windal, la tour de l'Écluse, la tour de l'Armoirie, la tour de la Fauconnerie, la tour de la Taillerie, la tour de la Grande-Chapelle, la tour neuve du pont des Tuileries, etc. Les noms de ces tours s'entendent facilement d'eux-mêmes, excepté le nom de celle de Windal, dont on ignore l'origine.

La tour du Louvre, d'où relevoient encore dans les derniers temps les grands fiefs et les grandes seigneuries du royaume[331], a été nommée par les historiens, tantôt la tour Neuve, tantôt la Forteresse du Louvre; puis la tour de Paris, la tour Ferrand, la grosse tour du Louvre. Cette tour étoit ronde et semblable à celles de la Conciergerie du Palais; elle avoit huit toises de diamètre et seize de hauteur; l'épaisseur de la maçonnerie étoit de douze pieds dans le haut, et de treize vers la base; on y comptoit plusieurs étages, percés chacun dans leur pourtour de huit croisées à montant et traverses de pierre, de quatre pieds dans toutes les dimensions. On montoit à cette tour par un escalier que fermoit une porte de fer; et l'on y arrivoit par un pont-levis[332] et un pont de pierre d'une seule arche, au moyen desquels on franchissoit un fossé large et profond dont elle étoit environnée. Une galerie aussi de pierre, qui aboutissoit au grand escalier, lui servoit de communication avec le château: elle se trouvoit ainsi isolée du reste de la cour. Dans l'intérieur étoient une chapelle, un puits et plusieurs chambres voûtées.

Sur un des côtés du fossé, on avoit dressé un petit édifice couvert de tuiles, d'où sortoit une fontaine. Il fut démoli avec la tour en 1528. De l'autre côté étoit un pavillon carré, qu'on avoit déjà détruit en 1377.

Cette tour étoit le lieu où tous les grands vassaux étoient tenus de venir rendre hommage. C'étoit, dit Saint-Foix, une prison toute préparée pour eux, s'ils y manquoient: elle fut en effet, tant qu'elle exista, le séjour d'un grand nombre d'illustres prisonniers.

Ferrand, comte de Flandre, vaincu par Philippe-Auguste, et pris par ce prince à la bataille de Bouvines en 1214, y fut renfermé, chargé des mêmes chaînes qu'il avoit préparées pour son souverain: il n'en sortit qu'en 1226, pendant la régence de la reine Blanche, qui lui rendit la liberté, sous la promesse qu'il fit de la servir contre ses ennemis.

Saint Louis y fit conduire Enguerrand de Coucy, pour avoir fait pendre injustement trois jeunes gentilshommes flamands, venus à Saint-Nicolas-des-Bois dans le dessein d'apprendre la langue, et qui avoient poursuivi sur ses terres des lapins qu'ils avoient fait lever sur celles de cette abbaye.

En 1299, on y voit amener Guy, comte de Flandre, avec ses enfants, pour avoir pris les armes contre Philippe-le-Bel. Enguerrand de Marigny, ce contrôleur des finances dont nous avons déjà parlé, l'eut aussi pour prison. Louis, comte de Flandre et de Nevers, et Jean, comte de Richemont et de Monfort, y furent renfermés sous les règnes de Charles-le-Bel et de Philippe de Valois, le premier, pour avoir obligé ses sujets à lui rendre hommage, ce qui étoit contraire à un traité fait en 1310; le second, pour avoir usurpé la Bretagne. Ce roi de Navarre si funeste à la France, Charles II, dit le Mauvais, y fut deux fois prisonnier par ordre du roi Jean: d'abord à cause de l'assassinat de Charles d'Espagne, connétable de France, convaincu ensuite d'avoir excité les Anglais à envahir le royaume. Sous Charles VI, les séditieux qui désoloient Paris y emprisonnèrent Pierre Desessarts et plusieurs autres personnages de distinction. Enfin, en 1474, Louis XI fit renfermer dans cette tour Jean II, duc d'Alençon; et c'est le dernier prisonnier qu'on y ait mis. Nos rois se sont toujours servis depuis de la Bastille, du château de Vincennes, de la tour de Bourges, du château d'Angers, etc.[333]

La tour de la Librairie reçut le nom qu'elle portoit, parce qu'elle servit de dépôt à la bibliothèque de Charles V. Cette bibliothèque n'étoit composée que de neuf cents volumes; mais c'étoit beaucoup pour un temps où l'imprimerie n'étoit pas encore découverte, et pour un prince à qui le roi Jean son père n'avoit laissé qu'une vingtaine de volumes au plus. Elle occupoit trois chambres, ou plutôt trois étages de cette tour[334], et étoit ouverte nuit et jour au petit nombre de savants et de lettrés de ce temps-là. «La bibliothèque de Charles V, dit le président Hénault, étoit composée de livres de dévotion, d'astrologie, de médecine, de droit, d'histoire et de romans; peu d'anciens auteurs des bons siècles, pas un seul exemplaire des ouvrages de Cicéron, et l'on n'y trouvoit, des poëtes latins, qu'Ovide, Lucain et Boëce; des traductions en françois de quelques auteurs, comme les Politiques d'Aristote, Tite-Live, Valère-Maxime, la Cité de Dieu, la Bible, etc.»

Sous le règne de Charles VI, cette bibliothèque fut entièrement dispersée. Les Anglais ayant pénétré jusqu'à Paris à la faveur des dissensions intestines qui troubloient la France, et principalement cette capitale, s'emparèrent, comme le témoignent quelques actes de ce temps-là, de cette précieuse collection. Une partie des livres passa en Angleterre avec les archives, qui étoient aussi conservées dans le Louvre; les ennemis se partagèrent sans doute le reste.

On ne sait autre chose de la tour de l'Artillerie, sinon que les arsenaux du Louvre qui y étoient établis furent transportés auprès du couvent des Célestins le 18 décembre 1572, par ordre du roi Charles IX.

La tour de Windal étoit située sur le bord de la rivière, et attachée à la porte d'une des basses-cours. En 1411, elle avoit un comte de Nevers pour capitaine ou concierge.

La tour du Bois, que l'on nomme quelquefois le Château du Bois, fut bâtie en 1382 par ordre de Charles VI. Elle étoit située vis-à-vis la tour de Nesle, entre la rivière et la basse-cour du Louvre, et environnée de fossés profonds[335]. Les registres de la ville disent que le même prince qui avoit fait construire cette tour ordonna dans la suite de la détruire: ce qui fut exécuté.

La tour de l'Écluse retenoit par des vannes l'eau de la rivière dans les fossés. En 1391, Charles VI y fit emprisonner Hugues de Saluces.

La tour Neuve du pont des Tuileries étoit près du logis du prévôt de l'hôtel et du pont des Tuileries. C'est la dernière de toutes celles que nous avons citées sur laquelle on ait quelques particularités.

Il est impossible d'ailleurs de rien dire de certain sur les changements qui furent faits dans le Louvre depuis Philippe-Auguste jusqu'à François Ier; car il n'existe, ni dans les archives ni dans les bibliothèques, aucun plan de ce château à aucune de ces époques. Les chartes et les mémoires historiques sont les seules sources d'où l'on puisse tirer à ce sujet quelques notions, et tout ce qu'on y apprend, c'est que nos rois y ont fait successivement divers changements, élevant une tour, en détruisant une autre, bâtissant une chapelle, un pavillon, étendant un jardin, etc. Saint Louis avoit conçu le projet d'en augmenter beaucoup les bâtiments: on ignore ce qui l'empêcha de l'exécuter.

Les plus grands travaux entrepris dans cet édifice pendant le cours du quatorzième siècle sont dus à Charles V et à son successeur. «Le Louvre, dit Saint-Foix, après avoir été hors des murs pendant plus de six siècles, se trouva enfin dans Paris, par l'enceinte commencée sous Charles V en 1367, et achevée sous Charles VI en 1383. Charles V, qui ne jouissoit que d'un million de revenu, dépensa cinquante-cinq mille livres à rehausser ce palais et à en rendre les appartements plus commodes et plus agréables; mais ce prince ni ses successeurs jusqu'à Charles IX n'en firent point leur demeure ordinaire; ils le laissoient pour les monarques étrangers qui venoient en France. Sous le règne, de Charles VI, Manuel, empereur de Constantinople, et Sigismond, empereur d'Allemagne, y furent logés.»

Ce château étoit accompagné de plusieurs jardins. Le plus grand étoit nommé le Parc, et s'étendoit le long de la rue Froi-Manteau. On avoit élevé aux quatre coins quatre pavillons. Il ne fut détruit que sous Louis XIII, lorsqu'on commença à reprendre les travaux pour l'achèvement du principal corps-de-logis, commencé sous François Ier. Outre ce jardin, il y en avoit un pour l'appartement du roi, et un autre pour celui de la reine. Ce dernier jardin subsistoit encore à la fin du siècle dernier.

Dès le commencement du seizième siècle, ce vieil édifice, entièrement négligé, tomboit en ruines; et lorsque Charles-Quint vint à Paris en 1539, François Ier fut obligé d'y faire des réparations considérables, pour le rendre digne de recevoir ce monarque. Ces travaux, dont l'effet étoit sans doute insuffisant pour la restauration totale de l'édifice, lui firent naître l'idée de le faire entièrement abattre et de construire à la place un palais plus digne de la majesté des rois, et de l'état de civilisation où la nation étoit parvenue. À cette époque, les beaux-arts s'étoient déjà introduits en France à la voix d'un prince qui les aimoit et les protégeoit. Les plus grands artistes de l'Italie étoient appelés à sa cour, et le payoient des honneurs et des récompenses qu'il leur prodiguoit, en communiquant à son peuple les traditions de l'antiquité dont ils étoient les dépositaires; et bientôt la France vit sortir de son sein d'heureux génies qui purent rivaliser avec leurs maîtres. De ce nombre étoit Pierre Lescot, seigneur de Clugny, l'un des plus grands architectes de son siècle.

On a peu de détails sur la vie de cet homme célèbre; on sait seulement qu'il fut abbé commendataire de l'abbaye de Clugny, chanoine de l'église de Paris, et conseiller des rois François Ier, Henri II, Charles IX et Henri III, sous les règnes desquels il a vécu. Il est le premier qui ait osé offrir parmi nous les belles proportions et le goût pur de l'architecture antique, au milieu des édifices gothiques qu'élevoient encore de tous côtés les architectes ses contemporains. Il avoit donné au roi, pour la construction du nouveau palais qu'il projetoit, un plan aussi grand que magnifique: cependant, avant de rien entreprendre, François Ier ordonna, dit-on, à l'Italien Sébastien Serlio, alors en France, de lui tracer aussi un plan du Louvre. Il paroît que c'est à cet habile architecte qu'il faut attribuer le trait généreux dont on a si faussement fait honneur au Bernin. Il avoit vu le dessin de Pierre Lescot; et, tout en obéissant aux ordres du roi, il lui fit entendre qu'il ne pouvoit rien faire de mieux que d'adopter le projet de l'artiste françois. Ce fut donc sur les plans de Lescot que fut commencé le nouveau palais, qu'on a depuis appelé le Vieux-Louvre, pour le distinguer des constructions qui furent élevées sous les règnes suivant: car ce superbe monument, même dans l'état d'imperfection où nous l'avons vu au commencement de la révolution, étoit cependant le résultat d'une suite de travaux presque continuels depuis François Ier jusqu'à nos jours.

Au milieu d'une foule de tentatives abandonnées, de projets avortés, d'entreprises mal concertées et qui se sont successivement détruites, ces travaux présentent trois époques principales et qui peuvent suffire à la description historique du Louvre. La première sous François Ier, Henri II et Louis XIII; la seconde, sous Louis XIV; et la troisième, qui appartient au règne de Louis XV.

Si l'on en croit la plupart des historiens de Paris, la construction de ce palais auroit été commencée en 1528. Mais cette date est évidemment fausse, puisqu'à cette époque l'architecte Pierre Lescot n'avoit que dix-huit ans. Ce qui a causé cette erreur, c'est qu'en 1528 on fit effectivement de grandes réparations à ce château; peut-être même commença-t-on alors à en démolir quelques parties; mais, comme d'Argenville l'a très-bien prouvé, ce ne fut qu'en 1541; c'est-à-dire cinq années avant la mort de François Ier, que le nouveau bâtiment commença à sortir de terre. En 1548, Henri II fit continuer l'ouvrage commencé par son père, comme l'atteste une inscription gravée sur la porte de la salle dite des Cent-Suisses[336].

La partie élevée sous ces deux rois est celle qui fait l'angle de la cour actuelle, à partir du pavillon qui occupe le milieu de la façade méridionale jusqu'au gros pavillon surmonté d'un dôme qui est opposé à la colonnade. Cette partie est la seule qu'on ait complétement achevée du côté intérieur sur les dessins de Pierre Lescot[337], et c'est là seulement qu'on peut se faire une idée du génie de ce grand architecte.

À cette époque il régnoit en France, comme en Italie, une grande union entre les arts; on sentoit plus vivement qu'on ne l'a fait depuis l'heureuse dépendance dans laquelle ils étoient les uns des autres; et l'on ne regardoit point comme un habile architecte celui qui n'étoit pas bon dessinateur, parce que, pour faire un bel édifice, il ne s'agit pas seulement de construire, il faut encore décorer. Pierre Lescot excelloit également dans ces deux parties, et paroît avoir voulu développer dans cette demeure royale toutes les richesses de la sculpture et de l'architecture réunies. La façade offre un ordre corinthien surmonté de deux composites, dont un est en attique. Peut-être pourroit-on reprocher à ce grand artiste d'y avoir trop prodigué le luxe de ces deux arts: il faut convenir que l'attique est trop chargé de bas-reliefs, et que la quantité et la proportion de ces précieux détails ne sont pas dans uns accord satisfaisant avec les étages inférieurs. C'est ce même goût pour la magnificence des ornements qui le détermina à adopter une ordonnance dans la décoration de son premier étage, quoique les colonnes et les pilastres n'y aient pas plus de hauteur que les croisées; et l'on peut en dire autant de l'ordre de son rez-de-chaussée dans sa proportion avec les arcades. Mais ces observations sévères et purement scolastiques n'empêchent point que, soit que l'on considère la majesté de l'ensemble, soit que l'on admire la perfection avec laquelle chaque partie est exécutée, on ne soit forcé de convenir que cette portion du Louvre est encore la plus belle, et qu'il est à regretter que le même homme qui avoit commencé ce grand monument n'ait pas été assez favorisé des circonstances pour pouvoir le terminer d'après une aussi grande conception.

La France possédoit, à la même époque, un autre artiste dont le génie étoit digne de s'associer avec celui de Lescot: c'étoit le célèbre Jean Goujon[338], qu'on doit regarder peut-être comme le plus grand statuaire des temps modernes, et qui n'a du moins été égalé jusqu'ici par aucun de ceux qui lui ont succédé. Il décora la façade du Vieux-Louvre de bas-reliefs offrant des trophées, des esclaves enchaînés, des figures allégoriques, telles que la pudeur, l'abondance, le courage, etc., etc. On ne sait ce que l'on doit davantage admirer ou de la correction, de la pureté des formes, des ordonnances des croisées, des frises, des chambranles exécutés par l'architecte, ou de la perfection des figures et des ornements qui sont sortis de la main du sculpteur.

Ils déployèrent dans l'intérieur le même goût et la même magnificence; et l'on n'admire pas moins la vaste salle connue sous le nom de salle des Cent-Suisses[339], qu'ils y construisirent ensemble. Elle est décorée d'un ordre dont les colonnes sont accouplées et élevées sur un socle. Au fond est une tribune soutenue par des cariatides colossales, dans l'exécution desquelles Goujon semble s'être surpassé lui-même. Il ne se peut rien imaginer de plus noble et de plus élégant que toute cette composition.

Pendant les règnes courts et agités des rois qui se succédèrent depuis Henri II jusqu'à Louis XIII, il se fit peu de changements et d'augmentations dans les constructions du Louvre; et cependant c'est à cette époque qu'il a été le plus constamment habité par ces souverains. Mais dans ces temps malheureux de discordes civiles et de dissensions politiques, les monuments des arts étoient négligés; les arts eux-mêmes se corrompoient, et l'on s'aperçoit sensiblement, dans le peu qui fut fait pendant cet intervalle, de la décadence du bon goût de l'architecture, qui se releva ensuite sous Louis XIII et Louis XIV, sans jamais revenir cependant au point de perfection où elle avoit été portée à l'époque brillante de François Ier. Catherine de Médicis commença la grande galerie du Louvre, et fit construire le château des Tuileries. Charles IX, Henri III et Henri IV continuèrent après elle, sans toutefois y mettre un grand intérêt, quelques parties du Louvre et de la galerie.

On ne songea que sous Louis XIII à achever la belle façade dont nous venons de parler; et Jacques Lemercier, architecte protégé par le cardinal de Richelieu, fut chargé de la direction de cet ouvrage. Il suivit les dessins et les plans de Lescot dans toute la partie qui est au-delà du pavillon du milieu, mais il crut devoir s'en écarter dans la construction de ce pavillon, et c'est une faute qu'on ne peut trop lui reprocher. Il couronna l'attique de Lescot de huit figures en bas-relief modelées par Sarrazin[340]; elles furent surmontées par un dôme, le seul qui reste aujourd'hui dans cette cour. Mais quoique ces figures soient d'un grand caractère, et qu'il y ait beaucoup de richesse dans cet ajustement, il s'éloigne déjà beaucoup de la beauté du style du siècle précédent; et un goût pur ne sauroit approuver ces cariatides gigantesques placées au troisième étage, ces trois frontons enclavés les uns dans les autres, la trop grande prodigalité des ornements, ni enfin ce dôme quadrangulaire qui couronne pesamment l'édifice. Le même architecte construisit le vestibule orné de colonnes qui est au rez-de-chaussée de ce pavillon; et ce morceau n'est pas sans mérite.

Il paroît que ce fut aussi dans ce temps-là, et toujours sous la direction de Lemercier, qu'on éleva, en se conformant encore au plan de Lescot, l'autre partie de cette aile du Louvre où étoient jadis l'Académie française et celle des belles-lettres. Ce fut toutefois un des premiers changements survenus dans le plan original. Suivant ce plan, le Louvre ne devoit avoir en étendue que le quart de la superficie occupée par la cour actuelle. Le projet devint plus vaste sous Louis XIII; on le quadrupla[341].

Tel étoit l'état de ce palais lorsque Louis XIV commença à gouverner lui-même. À ces constructions imparfaites et irrégulières étoient encore attachés des débris gothiques de l'ancien château[342]; des matériaux, des décombres, des maisons particulières, mesquines, inégales, entassées sans ordre, entouroient et masquoient cette demeure royale. Dans l'emplacement qu'occupe aujourd'hui sa magnifique colonnade, étoient un jeu de paume, un hôtel, des baraques en bois, etc. On peut se faire une idée de l'aspect qu'offroient alors les environs du Louvre, par celui que présentoient, il y a quelques années, les maisons qui, dans l'espace compris entre la rue du Coq et la rue Froi-Manteau, sembloient être les restes de celles que l'on détruisit à cette époque. La seule façade dont l'aspect fût satisfaisant est celle du pavillon qui s'étend à l'est sur le jardin dit de l'Infante. Le roi, qui vouloit que tout autour de lui eût de la grandeur et de la majesté, ordonna que le Louvre fût achevé, et rendu digne de sa noble destination.

Le surintendant des bâtiments (Ratabon) demanda, d'après ces ordres, un plan à l'architecte Levau, et ce plan fut adopté par Louis XIV. Il y avoit de grandes difficultés à vaincre: la principale étoit d'assortir aux élévations des façades intérieures, projetées d'abord pour un moindre espace que le nouveau plan, la décoration des façades extérieures, dont Pierre Lescot ne s'étoit point occupé, et qui sans doute n'entroient point dans le monument qu'il avoit imaginé. Deux de ces façades furent exécutées sur les dessins de Levau, celle qu'on vient d'abattre du côté du quai, et celle qui donne sur la rue du Coq[343]. On remarque dans celle qui regarde les Tuileries[344] deux manières différentes qui sembleroient prouver que cet architecte n'étoit pas seul chargé de l'ordonnance et de la direction de ces travaux, et que ces parties furent exécutées à diverses reprises, sans qu'on puisse au juste en déterminer les époques. Quant à la principale façade du côté de Saint-Germain-l'Auxerrois, elle devoit être également faite sur ses dessins; les fondements en étoient jetés, et s'élevoient déjà à dix pieds au-dessus de terre, lorsque Colbert parvint à la surintendance des bâtiments.

Ce ministre, dont les idées étoient grandes et élevées, n'approuva point le projet de Levau, qu'il trouva mesquin, et peu digne d'un monarque dont la gloire et la magnificence jetoient déjà un si vif éclat. Il crut donc devoir, sans le rejeter tout-à-fait, ouvrir un concours pour cette importante entreprise: c'étoit la première fois qu'on suivoit en France une marche aussi solennelle dans l'érection d'un monument public. Le modèle en bois de Levau fut exposé et livré à la critique, qui le condamna d'une voix unanime; et l'on vit paroître en même temps plusieurs autres projets conçus par les plus habiles architectes. Parmi ces nouveaux dessins, on en remarqua un dont personne ne connoissoit l'auteur, et qui, comme l'assure Perrault, fut généralement trouvé beau et magnifique: il étoit de Claude Perrault, médecin; et c'est, à quelques changements près, celui qui, long-temps après, a été exécuté.

Ce projet, que favorisoit l'approbation générale, avoit aussi frappé Colbert; mais il retomba dans ses irrésolutions lorsqu'il entendit soutenir aux gens de l'art qu'un tel plan n'étoit qu'un beau dessin fait uniquement pour éblouir les yeux; qu'au fond il étoit inexécutable, et ne pouvoit même soutenir l'examen. Alors le surintendant résolut de prendre l'avis des plus fameux architectes de l'Italie; et, par une bizarrerie qu'on ne peut guère expliquer, ce fut le dessin de Levau et non celui de l'anonyme qu'il leur envoya. Pour toute réponse, ils lui firent parvenir des projets de leur façon, dont aucun ne parut même supportable.

À cette époque, le chevalier Bernin jouissoit à Rome, comme sculpteur et comme architecte, de la plus haute réputation; il étoit le seul qu'on n'eût pas consulté. Colbert, las de tant de tentatives infructueuses, et éloigné par tous ceux qui l'environnoient du seul projet qui auroit pu le séduire, résolut d'appeler en France cet artiste célèbre, et de lui demander un plan pour un monument qu'il vouloit rendre le plus grand et le plus magnifique de l'Europe.

Le Bernin vint à Paris, et les honneurs qu'on lui rendit, tant sur sa route qu'à son arrivée dans cette capitale, furent tels, qu'ils parurent excessifs, et qu'ils l'étoient en effet. La réception d'un prince du sang n'eût pas eu plus d'appareil[345]. Cet artiste conçut un très-beau projet, un projet général, qui embrassoit le présent et l'avenir. Ses idées et ses dessins tendoient, d'un côté, à lier le Louvre aux Tuileries; et, de l'autre, par une magnifique percée, ils étendoient la place du Louvre jusqu'au Pont-Neuf. Un dessinateur nommé Mathias, qu'il avoit amené de Rome, le secondoit dans ses travaux: c'étoit lui qui prenoit les mesures, qui copioit une partie des dessins, etc. Ce Mathias s'aperçut facilement et prouva que Levau s'étoit trompé dans les alignements qu'il avoit pris: il le dit hautement, ce qui aigrit encore la cabale des artistes français contre l'architecte italien.

Cette cabale avoit pris naissance au moment même de son arrivée en France. Les honneurs prodigieux qu'on lui rendoit excitèrent d'abord la jalousie de ses rivaux; et cette jalousie se changea en haine lorsqu'on le vit à Paris louer sans cesse et avec emphase tout ce qu'avoit produit l'Italie; ce qui étoit, en quelque sorte, déclarer le peu d'estime qu'il faisoit des artistes françois: car, quoiqu'il se conduisit envers eux avec beaucoup de prudence et de politique, donnant des éloges à tout ce qui lui paroissoit en mériter, se taisant sur les choses où il croyoit trouver des défauts, cependant il étoit loin de parler des productions françoises avec le même enthousiasme; et ces différences étoient facilement saisies par l'amour-propre, si prompt à s'alarmer. Levau, premier architecte, ne voyoit point sans douleur cette préférence humiliante pour lui qu'on accordoit à un étranger. Le peintre Lebrun, qui étoit au premier rang dans la faveur du monarque, s'effrayoit de l'idée de la partager avec un homme dont le mérite passoit alors pour très-grand, qu'on avoit reçu avec tant de distinction, et qu'on parloit de fixer pour toujours à Paris. Mais celui qui intrigua le plus fortement contre lui fut Charles Perrault, secrétaire du conseil les bâtiments: il avoit la confiance du ministre, et l'on peut juger qu'il désiroit avec ardeur de faire adjuger l'entreprise du Louvre à son frère. Le Bernin avoit d'ailleurs dans son ton et dans ses manières une sorte d'exagération qui ne laissoit pas de prêter au ridicule dans une cour telle que celle de France, où l'on n'étoit point accoutumé aux bizarreries de la conversation et de la pantomime italienne[346]. Ces trois hommes se liguèrent contre lui, l'abreuvèrent d'amertume et de dégoûts, raillèrent sa personne, critiquèrent son projet, et le déterminèrent enfin à demander sa retraite. Après huit mois de séjour en France, il retourna en Italie, comblé d'honneurs et de pensions. Mais quoique son projet eût été adopté, et que le roi lui-même eût posé la première pierre de la façade avec beaucoup de solennité[347], il n'en fut plus question dès que le Bernin fut hors de France, et l'on revint à ceux qui avoient été présentés au concours.

Cependant, bien que la jalousie et l'animosité se fussent mêlées aux critiques que l'on avoit faites des plans de cet habile architecte, on ne peut s'empêcher de convenir que ces critiques étoient fondées sous bien des rapports, et que le dessin du cavalier Bernin, encore qu'il eût de la grandeur et de la majesté, offroit de très-grands défauts: «Le projet du Bernin pour la façade du Louvre est mal conçu, dit l'auteur de la vie des grands architectes[348]. Un génie aussi vif et aussi prompt n'étoit pas susceptible d'étudier les détails; il ne s'étoit appliqué qu'à faire de grandes salles de comédies et de festins, sans se mettre en peine des commodités et des distributions de logements nécessaires. Son ordonnance offre plusieurs défauts: l'ordre est gigantesque, les croisées sont petites, les colonnes sont inégalement espacées, l'entablement est pesant, et la balustrade a peu de rapport avec lui. On ne peut approuver les proportions des trois portes en plein cintre servant d'entrée au palais. Quelle monotonie dans les petits frontons circulaires qui couronnent les croisées du premier étage, et les triangulaires qu'on voit sur celles du second! Enfin une distance immense sépare ces deux rangs d'ouvertures[349].» Mais la principale de toutes les objections qu'on fit alors au Bernin fut que les constructions de l'intérieur de la cour masquoient, et par conséquent détruisoient en quelque sorte les élévations de Pierre Lescot, qui par là étoient réduites à n'être plus que des murs de refend, tandis que la première condition du programme avoit été de respecter l'ancien, et d'y coordonner les nouvelles constructions.

À peine l'artiste étranger fut-il parti, que Perrault travailla avec plus d'ardeur que jamais à produire son frère. On en revint d'abord aux projets de Levau. Louis XIV, qui n'osoit donner un désagrément à son premier architecte, ne pouvoit cependant se résoudre à les adopter, parce qu'ils lui sembloient, comme à son ministre, trop au-dessous de ce qu'il avoit conçu. On imagina donc de réunir ensemble, pour donner un nouveau plan, Levau, Lebrun et Claude Perrault: de cette manière, l'amour-propre de l'artiste se trouva ménagé, et l'on put mettre son projet de côté sans l'exclure lui-même. Il paroît que, dans cette réunion, Levau inventa un nouveau dessin, et que Perrault se borna à rectifier celui qu'il avoit déjà présenté. Lorsqu'il fut question de choisir, Colbert mit sous les yeux de Louis XIV les deux projets de la commission, et vanta, en homme habile, celui de Levau, par la raison qu'il devoit entraîner moins de dépense. C'étoit en quelque sorte forcer le roi à adopter le second. Ce fut ainsi que se terminèrent, à l'avantage de Perrault, ces intrigues et ces longs débats[350].

Il convient maintenant d'examiner ce fameux projet et l'édifice qui en est résulté.

La façade orientale ou colonnade consiste en trois avant-corps, unis entre eux par deux péristyles. Elle a quatre-vingt-sept toises et demie de longueur. Sa principale porte est dans l'avant-corps du milieu. Les péristyles sont composés de colonnes accouplées, d'ordre corinthien, et placées au premier étage[351]. L'intérieur des péristyles et les soffites sont extrêmement décorés de feuillages et d'entrelas, exécutés avec une grande délicatesse. La cymaise du fronton est formée de deux pièces seulement, qui ont chacune cinquante-quatre pieds de longueur, quoiqu'elles n'aient que dix-huit pouces d'épaisseur. On regarda alors comme un prodige l'élévation de ces masses énormes à une si grande hauteur, et la machine qui fut employée à cette opération se trouve gravée dans les œuvres de Perrault.

La première pierre des constructions projetées par Bernin avoit été posée en 1665. La colonnade exécutée sur les dessins de Perrault fut achevée en 1670. Quoique l'envie ait voulu dans le temps lui en contester l'invention, et ensuite en rabaisser le mérite; bien que la critique y puisse trouver quelques défauts, et même des défauts assez graves[352], il n'en est pas moins vrai que ce morceau doit être considéré comme un des plus beaux qu'ait produits l'architecture moderne, et qu'il offrira toujours l'aspect du plus magnifique des palais. L'ordre corinthien qui en compose la colonnade est d'une admirable proportion. On ne peut se lasser d'y louer la beauté des profils, l'élégance et la pureté des détails, le choix et la belle exécution des ornements: c'est un ouvrage vraiment classique en France, et auquel on n'y peut rien comparer.

Perrault avoit conçu, comme le Bernin, un projet universel, qui embrassoit non-seulement l'achèvement du Louvre, mais encore sa réunion avec les Tuileries. L'érection de la colonnade devoit surtout amener de grands changements dans la cour de ce palais et dans les façades extérieures. Bientôt après fut entreprise celle qui donne sur la rivière[353], et qui se compose d'un soubassement semblable à celui de la colonnade, soubassement sur lequel s'élève, entre les croisées tant du premier étage que de l'attique, une ordonnance unique de pilastres corinthiens. Cette décoration est parfaitement d'accord avec celle du frontispice, tant par l'ordre que par l'entablement et les détails; et l'on conçoit qu'une telle uniformité devenoit surtout indispensable de ce côté, où les deux façades extérieures se découvrent d'un seul et même coup d'œil.

Il n'en est pas ainsi des deux autres; et il paroît que la difficulté de leur procurer un emplacement assez vaste pour qu'elles pussent être vues ainsi en rapport l'une avec l'autre, est la cause qui, de tout temps, a fait négliger l'uniformité et la symétrie dans leur décoration. Bernin est le seul dont les projets aient visé à cet accord universel, et l'on voit Perrault uniquement occupé de raccorder avec l'angle de sa colonnade la face du Louvre qui donne sur la rue du Coq. Levau, comme nous l'avons dit, avoit commencé ce côté: ce dernier architecte l'acheva sur les mêmes plans; la décoration du pavillon du milieu est de lui, et on lui attribue aussi l'attique, avec l'entablement qui s'étend depuis le massif de la colonnade jusqu'à ce pavillon central dont nous venons de parler[354].

Examinons maintenant les constructions des dernières façades intérieures dans leurs rapports avec les parties élevées depuis François Ier jusqu'à Louis XIII.

Il est à croire que Perrault n'arriva que par degrés à un plan général du Louvre et de sa réunion avec les Tuileries. Le projet de la colonnade paroît avoir été conçu isolément et sans un rapport bien déterminé avec l'intérieur de la cour.

Le projet de Lescot avoit été étendu; comme nous l'avons vu, sous Louis XIII, par Lemercier. Déjà les deux étages du rez-de-chaussée et du premier étoient plus ou moins avancés dans tout le pourtour du quadrangle. On tenoit à conserver ce qui avoit été fait; et Perrault, qui avoit été le plus ardent à faire valoir ce système pour faire rejeter les plans du Bernin, s'étoit par là même imposé l'obligation éclatante de ne point s'en départir.

Cependant quand il eut élevé sa colonnade, de manière que le dessous du soubassement se trouvât au niveau du premier étage de la cour, il s'aperçut facilement que les croisées de la nouvelle construction ne correspondoient point à celles des parties intérieures. Ce fut sans doute pour dissimuler, autant qu'il étoit possible, ce vice irrémédiable de symétrie, qu'il se détermina à supprimer les croisées dans son frontispice et à y pratiquer des niches. Il est certain du moins, et l'on en a dernièrement acquis la preuve, que cette colonnade fut destinée d'abord à recevoir des fenêtres: on en a trouvé les baies toutes construites et voûtées; et la bâtisse des niches qui les ont remplacées, formée de cloisons légères, a encore confirmé la vérité de cette première destination.

Mais l'élévation d'un péristyle conçu dans une si grande discordance avec le reste devenoit le principe d'une difficulté plus grande encore, laquelle consistoit dans le raccordement de l'extérieur avec l'intérieur. L'attique où les frontons de Pierre Lescot et leur toiture ne s'accordoient ni pour la hauteur, ni pour la forme, avec le couronnement plus exhaussé et en plate-forme de la colonnade. Quels moyens employer pour opérer un tel raccordement? Ce fut là l'objet d'une longue controverse. Charles Perrault, qui nous a conservé ces détails, ne nous fait pas trop connoître si son frère avoit prévu ces difficultés, ou s'il avoit jugé qu'elles détermineroient à prendre un parti nouveau pour l'intérieur de la cour. On ne peut guère supposer qu'il ait eu cette dernière pensée: car on le voit s'élever avec force contre le projet, qui prit alors naissance, de substituer un troisième ordre à l'attique de Pierre Lescot.

Il soutenoit qu'un second étage de la hauteur du premier étoit une disconvenance dans un palais de souverain, où l'habitation du prince doit être indiquée et caractérisée par un étage principal; que, par conséquent, un attique ou étage subalterne et peu important étoit de stricte étiquette, parce qu'on ne pouvoit y supposer logés que les officiers du palais, et qu'ainsi toute méprise devenoit impossible.

Cependant il y avoit, relativement à l'ensemble de ce monument, un problème de convenance plus difficile encore à résoudre. Pierre Lescot avoit employé l'ordre corinthien à son rez-de-chaussée, et ce qu'on appeloit alors le composite, c'est-à-dire un corinthien plus riche et plus léger à son premier étage. Comment trouver à placer au-dessus un nouvel ordre plus riche et plus léger encore que celui qui étoit regardé, en architecture, comme le dernier terme de ces deux caractères? Le dorique et l'ionique, plus courts et plus simples, n'auroient pu être placés qu'au-dessous. On proposa alors un ordre cariatide; et il paroît que les figures du pavillon de Lemercier firent naître cette idée. Cependant, quand on vint à réfléchir qu'il faudroit cent trente cariatides au pourtour de cette immense cour intérieure, la monotonie un peu bizarre qui devoit résulter de cette décoration en fit bientôt abandonner le projet.

C'est alors qu'on vit naître l'idée ridicule d'un ordre françois. Un prix fut proposé pour cette invention chimérique: le concours ne produisit que des chapiteaux corinthiens, modifiés dans leurs ornements. Mais comme le vrai caractère d'un ordre ne consiste pas dans son chapiteau, toutes ces prétendues inventions ne servirent qu'à faire connoître que les bornes de l'art avoient été posées pour jamais.

Cependant Perrault éleva un troisième ordre qu'il n'acheva point, mais dans la proportion corinthienne.

Ce pas une fois fait, et l'exemple ainsi donné, l'idée de l'attique fut presque totalement abandonnée. Sous le règne de Louis XV, on acheva, d'après le système de Perrault, toute la partie de la cour du Louvre, qui forme l'angle depuis le vestibule ou pavillon de la colonnade jusqu'à celui de la rue du Coq[355]. L'architecte moderne (M. Gabriel) n'ayant point trouvé de détails d'ornements du troisième ordre dessinés par son prédécesseur, fut dans la nécessité de les composer lui-même; et la vérité force à dire que toute cette partie de décoration, soit pour le goût, soit pour l'exécution, est loin de répondre au beau caractère de la sculpture faite du temps de Pierre Lescot.

Les choses en étoient là depuis près de quarante ans, et quoiqu'on eût renoncé dans les constructions modernes aux frontons employés dans celles du Vieux Louvre, l'intérieur de ce monument offroit toujours un procès à décider entre les deux systèmes. Il y avoit, comme l'observe Blondel, sept douzièmes d'attique contre quatre douzièmes du troisième ordre, et chaque système avoit pour et contre soi de bonnes et fortes raisons. C'est alors que la résolution fut prise de terminer ce vaste édifice; et cette grande entreprise vient d'être enfin heureusement achevée[356].

Le Louvre avoit été une prison d'état jusqu'à Louis XI. Les travaux continuels qu'on y fit sous François Ier et Henri II avoient empêché ces deux souverains de l'habiter. La mort tragique du dernier de ces princes ayant rendu le château des Tournelles insupportable à Catherine de Médicis, elle vint demeurer au Louvre avec le jeune roi; et ce fut dans ce palais que fut conçue et préparée la nuit de la Saint-Barthélemi.

En 1591, Charles, duc de Mayenne, fit pendre dans une des salles basses de ce palais quatre des principaux chefs de la Ligue, pour venger la mort du président Brisson et des conseillers Larcher et Tardif, que ces factieux avoient indignement fait périr du même supplice. Ce fut aussi dans la grande salle du Louvre que se tinrent les états de la Ligue, convoqués par ce même duc de Mayenne.

Henri IV, frappé par Ravaillac, fut rapporté dans cette même salle, dite alors salle des Gardes, où il expira sans avoir pu proférer une seule parole.

Le maréchal d'Ancre fut tué sur le pont du Louvre, pont qui n'existe plus depuis qu'on a comblé les fossés qui entouroient cet édifice.

Louis XIII n'habita ce palais que pendant des intervalles assez courts. Il occupoit le plus souvent les châteaux voisins de la capitale, Fontainebleau, Saint-Germain, etc. Sous son règne, il ne s'y passa rien d'important.

Louis XIV abandonna également le Louvre pour Versailles, qu'il avoit fait bâtir, et qui devint dès lors sa demeure habituelle, le lieu où se déployoit toute la majesté de son trône, toute la magnificence de sa cour. Depuis cette époque jusqu'à nos jours, ce beau monument, cessant d'être habité par nos rois, devint l'asile des artistes, des savants, et le dépôt des chefs d'œuvre de l'industrie ou du génie. Les cinq académies s'assembloient dans les principales salles du Louvre.

ACADÉMIES.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

L'Académie françoise prit naissance vers l'an 1630. Ce ne fut d'abord qu'une société de neuf personnes, que l'amitié et le goût des belles-lettres avoient liées ensemble. Elles convinrent de s'assembler, un jour fixe de chaque semaine, chez M. Conrart, secrétaire du roi, qui demeuroit rue Saint-Denis. Le cardinal de Richelieu s'en déclara le protecteur, et lui obtint des lettres-patentes au mois de janvier 1635, par lesquelles le roi fixe à quarante le nombre de ses membres, sous le titre d'Académie française; elles furent vérifiées et enregistrées le 10 juillet 1637. Après la mort du cardinal, le chancelier Séguier ayant été élu protecteur de cette compagnie, les assemblées se tinrent en son hôtel; rue de Grenelle, à l'endroit où est aujourd'hui celui des Fermes. Louis XIV fit ensuite à l'Académie l'honneur d'accepter le titre de son protecteur; et, le 28 août 1673, il lui assigna, dans le Louvre, l'ancienne salle du conseil pour y tenir ses séances; ce qui a toujours continué depuis.

L'Académie française jeta dans le dix-septième siècle un grand éclat; et elle le dut à l'honneur qu'elle avoit alors de posséder dans son sein les beaux génies qui ont élevé si haut la gloire littéraire de la France, que, sous ce rapport, aucune autre nation moderne ne peut lui être comparée. Dans le dix-huitième siècle, elle fut une coterie de petits impies et de petits factieux, dirigée par des rhéteurs et des hommes médiocres, coterie qui dans tout autre temps n'eût été que ridicule, et à laquelle l'esprit de vertige qui entraînoit à leur perte les hautes classes de la société donna la plus dangereuse influence, et une importance que l'on a peine à concevoir aujourd'hui. Cette coterie triompha de voir éclore enfin la révolution qu'appeloient tous ses vœux, que favorisoient tous ses travaux; et l'on peut dire que la révolution se montra bien ingrate envers elle en la détruisant, et en proscrivant quelques-uns de ses membres, ce qu'elle fit cependant dans les moments de sa plus grande brutalité. L'Académie française se releva pour ramper misérablement sous le tyran de la France, qui ne reçut d'aucune autre compagnie de plus basses et plus dégoûtantes adulations. Dans le dix-neuvième siècle, elle est redevenue une réunion d'hommes de lettres à laquelle personne ne fait attention; et par mille raisons qu'il est inutile de présenter ici, il ne paroît pas qu'elle puisse désormais sortir de l'obscurité profonde dans laquelle elle est tombée aujourd'hui.

ACADÉMIE ROYALE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.

L'Académie royale des inscriptions et belles lettres commença en 1663. Dans son origine, ce ne fut qu'un démembrement de l'Académie française, dont M. de Colbert choisit quatre à cinq membres pour composer les inscriptions qui devoient être gravées sur les monuments consacrés à la gloire du monarque et à l'ornement de la ville et des maisons royales; ils étoient aussi chargés d'inventer des types et des légendes pour les médailles, des devises pour les jetons, etc. Cette assemblée, qui fut appelée d'abord la Petite Académie, se tenoit dans la bibliothèque du surintendant, rue Vivienne: on l'appela ensuite Académie royale des inscriptions et médailles. Ce ne fut qu'en 1701 que parut le réglement qui fixa son existence: elle fut confirmée par des lettres-patentes du mois de février 1713, et le nombre de ses membres également porté à quarante; mais comme le nom qu'on lui avoit donné ne renfermoit pas toutes ses attributions, le roi, par de nouvelles lettres du 4 janvier 1716, en changea le titre en celui d'Académie des inscriptions et belles-lettres.

L'Académie des inscriptions a rendu de grands services à la science; elle possède encore aujourd'hui un grand nombre d'hommes distingués dans toutes les branches des connoissances humaines; et la suite non interrompue de ses mémoires prouve qu'une institution si utile et si honorable à la France est loin d'avoir dégénéré.

ACADÉMIE DES SCIENCES.

L'Académie des sciences s'assembla pour la première fois en 1666, par l'ordre du roi, mais sans aucun acte émané de l'autorité royale. Elle reçut une forme régulière en 1699, par le réglement que S. M. lui accorda. Ses séances se tinrent d'abord dans la Bibliothèque du roi; depuis elle obtint comme les autres un lieu d'assemblée dans le Louvre; et ses prérogatives furent confirmées par des lettres-patentes du mois de février 1713. Cette Académie a pour objet de s'occuper de tout ce qui peut favoriser les progrès des sciences exactes et naturelles, physique, chimie, mathématiques, médecine, etc., etc. Elle a offert de tout temps un grand nombre de savants hommes, qui ont sans cesse reculé les bornes de ces connoissances, purement matérielles, et dont la nature est de tendre sans cesse à un plus grand développement. Ceux quelle possède aujourd'hui tiennent en Europe le premier rang; et aucune autre société du même genre n'y peut être comparée à celle-ci.

ACADÉMIE ROYALE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE.

L'Académie royale de peinture et de sculpture doit son origine aux contestations[357] qui s'élevèrent entre les maîtres peintres et sculpteurs de Paris, et ceux qui professoient les mêmes arts dans les maisons royales, sous le titre de privilégiés. Ceux-ci, à la tête desquels étoit le célèbre Lebrun, appuyés du crédit et de la protection du chancelier Séguier, formèrent le dessein d'établir une Académie indépendante, et y furent autorisés par un arrêt du conseil privé, du 20 janvier 1648: en conséquence ils dressèrent des statuts sur lesquels ils obtinrent des lettres-patentes. Le roi, à la sollicitation du cardinal Mazarin, protecteur de cette académie, lui en accorda de nouvelles en 1655, et lui permit de tenir ses séances dans la galerie du Collége royal. Elle ne put alors profiter de cette grâce; mais elle en fut amplement dédommagée par les glorieuses marques de faveur, par les priviléges et les revenus dont ce monarque la combla dès l'année 1663. Peu de temps après, elle obtint un logement au Vieux Louvre. Lebrun étoit le chef de l'école, au moment de la création de cette académie; et le système vicieux qu'il avoit adopté, système qui n'étoit fondé ni sur l'imitation naïve de la nature, ni sur l'étude approfondie de l'antique, étant devenue la base des études, cette école ne cessa point de dégénérer jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, où elle étoit enfin tombée au dernier degré de la barbarie et du mauvais goût. L'étude de l'antique, à laquelle revinrent alors quelques artistes plus habiles et d'un meilleur jugement que les autres, la releva tout à coup et avec une rapidité qui fit bien voir que les heureuses dispositions pour ce bel art ne manquoient point en France, et que ce système fatal en avoit seul arrêté les progrès. Depuis cette heureuse révolution, l'école françoise n'a cessé de marcher de succès en succès; elle est sans aucune comparaison la première de l'Europe; elle produit à chaque exposition des chefs-d'œuvre dans tous les genres de la peinture, et plusieurs de ses maîtres peuvent être mis en parallèle avec les plus renommés des plus beaux temps de l'art. Nos sculpteurs ont suivi la même marche et sont arrivés presque aux mêmes résultats. Nous n'osons dire toutefois qu'il y ait encore une égalité parfaite: l'école imite peut-être trop servilement l'antique, lorsqu'il faudroit seulement s'en inspirer; et cette imitation scrupuleuse en rend la comparaison plus redoutable encore, même pour ses meilleures productions.

ACADÉMIE ROYALE D'ARCHITECTURE.

L'académie royale d'architecture fut projetée par M. de Colbert en 1671: elle prit, dès ce temps, la même forme que les autres académies; mais elle n'étoit point encore autorisée par lettres-patentes, lors de l'avénement de Louis XV. Ce fut ce prince qui confirma l'existence de cette société par celles qu'il lui accorda au mois de février 1717. Elle tenoit également ses séances au Louvre.

Ce que nous avons dit de la peinture et de la sculpture peut également s'appliquer à l'architecture: il s'est fait dans cette dernière école une révolution non moins heureuse; et on la doit également à l'étude que ne cessent de faire nos architectes des monuments de l'antiquité. Ceux qu'ils élèvent aujourd'hui doivent être considérés comme le plus bel ornement de Paris, et pour la noble simplicité du style, le bon goût et la pureté des ornements, le sentiment des convenances et l'harmonie des proportions, sont infiniment préférables aux constructions du siècle dernier. Toutefois il est vrai de dire que cet art n'étoit point tombé aussi bas que les deux autres, parce qu'il est fondé sur des règles plus simples, plus positives, et sur des traditions qu'il est plus facile de conserver.

On doit probablement à l'établissement, dans le palais du Louvre, de ces célèbres compagnies, la conservation de quelques-unes des distributions intérieures qui y avoient été faites dans le principe, et les grandes et belles salles qui y existent encore, car dans les autres parties accordées pour logement aux artistes, aux hommes de lettres, et même à quelques personnes de la cour, toutes les anciennes constructions avoient été ou dénaturées ou détruites. On avoit divisé à l'infini les vastes galeries qui s'y prolongeoient de tous les côtés, pour en former une foule d'appartements; d'obscurs et étroits corridors conduisoient dans ces divisions inégales et irrégulières; et l'on peut dire que le désordre du dedans étoit plus grand encore que celui qui régnoit au dehors.

Parmi les pièces restées intactes dans le Vieux-Louvre, on remarquoit principalement, après la salle dite des Cent-Suisses, l'appartement des bains de la reine, lequel étoit de plein-pied avec cette salle, et décoré de belles peintures et de riches ornements. Il y avoit aussi, dans le pavillon qui joint la grande galerie à ce monument, des fresques estimées et de magnifiques décorations. Mais, quoique ce pavillon ait été construit en même temps que le Vieux-Louvre, il a une liaison si intime avec la galerie, que nous remettons à en parler lorsque nous décrirons le palais des Tuileries et ses dépendances.

LA CONGRÉGATION
DES PRÊTRES DE L'ORATOIRE DE N. S. J. C.

Cette congrégation doit son origine au cardinal Pierre de Bérulle, qui vivoit sous Henri IV et Louis XIII, et qui se rendit également illustre par son savoir et par ses vertus. Les malheurs des règnes précédents et la licence des guerres civiles avoient jeté la corruption dans tous les ordres de l'État; le clergé lui-même n'avoit pu s'en garantir, et l'intérêt de la religion demandoit une prompte réforme. L'objet que se proposa M. de Bérulle fut de s'associer quelques vertueux ecclésiastiques qui l'aidassent à former à la science et à la piété un certain nombre de jeunes élèves, de manière qu'ils pussent un jour remplir dignement le ministère des saints autels, instruire à leur tour la jeunesse dans les colléges ou les séminaires dont la direction leur seroit confiée, annoncer la parole de Dieu, offrir enfin sans cesse aux hommes l'exemple et la règle, cette règle qu'ils oublient si facilement si elle ne leur est remise à chaque instant sous les yeux. Cette congrégation, qu'il institua sur le modèle de celle que saint Philippe de Néri avoit fondée à Rome sous le nom de la Vallicelle, ne devoit avoir aucun caractère qui distinguât ses membres des autres prêtres réguliers, si ce n'est leur réunion et la vie commune et édifiante à laquelle ils se soumettoient volontairement: car il ne prétendit les astreindre à aucun vœu, et leur dépendance pouvoit cesser du moment qu'elle leur deviendroit trop pénible. C'est un corps, disoit Bossuet, où tout le monde obéit et personne ne commande, ce qui exprime parfaitement ce mélange heureusement tempéré de soumission et de liberté, qui étoit le premier principe de cette illustre société.

Un projet aussi utile, autorisé par M. de Gondi, alors évêque de Paris, ne pouvoit trouver d'obstacles; et les deux puissances se réunirent pour en faciliter l'exécution. M. de Bérulle avoit déjà rassemblé cinq prêtres aussi pieux que savants, presque tous docteurs de la faculté de théologie de Paris; et le 11 novembre 1611, il s'étoit logé avec eux au faubourg Saint-Jacques à l'hôtel du Petit-Bourbon, autrement nommé le Séjour de Valois, lequel occupoit l'endroit où est situé aujourd'hui le Val-de-Grâce. Dès le mois de décembre suivant, Marie de Médicis fit expédier des lettres-patentes[358] pour l'érection de cette congrégation, et la déclara de fondation royale dès le 2 janvier 1612. Cependant le fondateur, qui ne trouvoit la maison qu'il occupoit ni assez vaste ni assez commode pour s'y établir à demeure, cherchoit à se procurer un logement dans la ville: il fut d'abord question de lui donner l'hôtel de la Monnoie, qu'on vouloit transférer rue de Bussy; mais ce projet n'eut point d'exécution. Enfin, le 20 janvier 1616, il acheta, de Catherine-Henriette de Lorraine, duchesse de Guise, l'hôtel du Bouchage, situé rue du Coq, moyennant la somme de 90,000 livres.

Dès qu'il en fut devenu propriétaire, il y fit bâtir une petite chapelle; et l'on vit cet homme apostolique, dans l'ardeur d'un zèle qui sembleroit aujourd'hui presque incroyable, et probablement ridicule, y travailler lui-même, portant la hotte comme un manœuvre. Cependant le nombre de ses disciples grossissoit de jour en jour, et la proximité du Louvre attirant dans cette chapelle un grand concours de monde, elle se trouva bientôt trop petite: le fondateur se vit donc dans la nécessité de songer à en bâtir une plus grande. Plusieurs acquisitions que les prêtres de l'Oratoire firent dans les rues Saint-Honoré, du Coq et d'Autriche, autrement dite du Louvre, depuis 1619 jusqu'en 1621, lui en procurèrent les moyens; et la première pierre du nouvel édifice fut posée au nom du roi le 22 septembre 1621, par le duc de Montbazon, gouverneur de Paris. En 1623, un brevet lui donna la qualité d'Oratoire royal.

Ce monument fut commencé sur les dessins d'un architecte nommé Métezeau. Il en jeta les premiers fondements; mais on lui préféra dans la suite Jacques Lemercier, qui, dit-on, lui étoit fort inférieur. Celui-ci conduisit l'ouvrage depuis le chevet jusqu'à la croisée, où il s'arrêta. Les travaux ne furent repris que plusieurs années après, et achevés sur les mêmes dessins, à l'exception de la grande tribune et du portail, qui ne furent élevés qu'en 1745. L'architecte Caquier fut chargé de construire ces parties qui, après un siècle entier, terminèrent enfin cet édifice, lequel n'est cependant que d'une médiocre grandeur. C'est une remarque qu'on a pu déjà faire, et qui sera confirmée par la suite de cet ouvrage, que les édifices publics de Paris, sans même en excepter les palais des rois, n'ont presque jamais été le résultat d'un plan unique, exécuté par celui qui l'avoit conçu, mais le plus souvent ne furent achevés que difficilement et après de longs travaux sans cesse repris et interrompus; ce qui explique mieux que toute autre chose le mauvais goût de leur construction et l'incohérence de leurs diverses parties.

Cependant l'architecture de cette église n'est pas sans beautés. L'intérieur en est orné d'un ordre corinthien dont on estime la proportion, et l'on cite surtout le chœur qui en forme le chevet, pour la parfaite exécution de son plan elliptique. Le portail, quoique d'un style peu sévère, mérite aussi quelques éloges: il donne sur la rue Saint-Honoré, dont il ne suit point l'alignement, mais où il se présente dans une ligne diagonale qui fait qu'on peut l'apercevoir à une certaine distance, en entrant par la rue de la Ferronnerie. Le rez-de-chaussée en est élevé de plusieurs marches. Il se compose d'un avant-corps dorique, dont les colonnes sont isolées. L'architecture des deux arrière-corps est en pilastres du même ordre. Les deux petites portes carrées de ces arrière-corps sont surmontées de deux grands médaillons qui représentoient des sujets pieux, maintenant effacés; au-dessus de cet ordre dorique s'élève un ordre corinthien qui porte sur l'avant-corps; les deux entre-colonnements en étoient autrefois décorés de trophées en bas-relief. Le tout est terminé par un fronton d'une bonne proportion, et présente dans sa forme pyramidale un aspect assez imposant[359].

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE L'ORATOIRE.

PEINTURES.

La Nativité, la Visitation, l'Annonciation, Saint-Joseph réveillé par un ange. Tous ces tableaux, qui jouissoient de beaucoup d'estime, étoient de Philippe de Champagne.

Près du chœur, saint Antoine, par Vouet; dans une chapelle sainte Geneviève recevant une médaille des mains de saint Germain, évêque d'Auxerre, par La Grenée aîné.

Dans une autre chapelle, saint Pierre-ès-Liens, par Châles.

Dans la bibliothèque, les portraits de M. Achille de Harlay-Sancy, évêque de Saint-Malo, et du père Mallebranche.

SCULPTURES.

Dans le retable du maître-autel, un bas-relief en bronze doré, représentant la sépulture de N. S., morceau que l'on croit de Girardon, et qui avoit été donné à cette église par madame de Montespan. On estimoit la décoration de ce maître-autel, dont la forme offroit le modèle d'un petit temple circulaire d'une très-belle exécution.

Dans la bibliothèque, le buste en marbre du général de la congrégation, P. de la Tour.

SÉPULTURES.

Dans cette église avoient été inhumés: Le cardinal de Bérulle, fondateur de l'ordre, mort en 1629[360].

Antoine d'Aubray, comte d'Offemont, lieutenant civil et frère de la célèbre empoisonneuse marquise de Brinvilliers, mort en 1670.

Charles de Moy, marquis de Riberpré, lieutenant-général des armées du roi, mort en 16..

Claude de Nocé, seigneur de Fontenay, sous-gouverneur du duc d'Orléans, mort en 1704.

Dans une des chapelles à gauche de la nef, étoit la sépulture de la famille des Tubeuf.

Cette congrégation, bien que formée sur le modèle de celle de la Vallicelle, n'en dépendoit en aucune manière: elle possédoit soixante-treize maisons en France et étoit gouvernée par un général à vie, lequel résidoit dans la maison attenante à cette église. Célèbre par le grand nombre de sujets excellents qu'elle a produits, elle compte des noms honorables dans presque toutes les parties des sciences divines et humaines, dans la théologie, la controverse, l'histoire sainte et profane, les belles-lettres, l'éloquence. Plusieurs de ses membres n'ont pas moins fait d'honneur à leur siècle qu'à leur congrégation, et souvent la dignité épiscopale a été la récompense de leur piété et de leurs travaux. Parmi ces hommes recommandables, nous citerons principalement le père Mallebranche, l'un des plus profonds métaphysiciens qui aient jamais existé, et l'illustre Massillon, justement placé au nombre de nos plus grands écrivains et de nos prédicateurs les plus éloquents.

La bibliothèque, composée seulement de vingt-deux mille volumes, étoit une des plus curieuses de Paris, tant par le choix des livres et des éditions, que par les précieux manuscrits qu'elle possédoit[361].

L'ÉGLISE SAINT-HONORÉ.

Les fondations d'églises étoient encore regardées au treizième siècle comme une des œuvres les plus méritoires qu'il fût possible de faire pour opérer son salut; et de simples particuliers, poussés par ce louable motif, ne craignoient pas d'y consacrer la plus grande partie des biens qu'ils possédoient. C'est ainsi que fut fondée l'église Saint-Honoré. Renold Chereins ou Cherei, et Sibylle sa femme, en conçurent le projet dès l'an 1204. Ils possédoient près des murs de Paris et sur le chemin qui conduit à Clichy neuf arpents de terre dont ils consacrèrent le fonds et les revenus à cette pieuse entreprise[362]. Ayant obtenu en 1205 le consentement d'Eudes de Sully, évêque de Paris, et du curé de Saint-Germain-l'Auxerrois[363], ils y joignirent, la même année, un arpent qu'ils acquirent dans la censive de Saint-Martin-des-Champs, et de Saint-Denis-de-la-Chartre; et ce nouveau terrain fut employé à bâtir l'église, un cimetière et une maison pour le chapelain. En 1209, ils acquirent encore trois autres arpents[364]; et l'église étant finie, ils déclarèrent que leur intention étoit d'y placer des chanoines, et de fonder des prébendes pour lesquelles ils demandèrent le terme de sept années. L'évêque leur accorda encore leur demande, mais se réserva le droit de fixer le nombre de ces bénéfices. Par les mêmes lettres, datées du mois d'octobre 1208[365], il dispense de la résidence les premiers chanoines qui auront fondé eux-mêmes leurs prébendes. Il paroît par le même acte que la collation qui en fut laissée à Renold et à sa femme, tant qu'ils vivroient, devoit revenir après leur mort au doyen et au chapitre de Saint-Germain. En 1257, il y en avoit vingt et une de fondées; Renaud, évêque de Paris, les réduisit à douze[366]; et il fut convenu alors que la collation en appartiendroit alternativement à l'évêque et au chapitre, ainsi qu'il avoit été réglé par une sentence arbitrale de 1228[367]. La même convention portoit plusieurs autres réglements dont l'effet étoit de prévenir toutes les contestations qui jusque là s'étoient élevées au sujet de ces nominations. Le chantre étoit le seul dignitaire qu'il y eût dans cette collégiale, qui étoit une des filles de l'archevêché[368]; mais, outre les douze chanoines, il y avoit deux chapelains, quatre vicaires, quatre chantres, et six enfants de chœur. Les membres de ce chapitre, dont les canonicats passoient pour être les meilleurs de Paris, desservoient tour à tour la cure, qui ne s'étendoit pas au-delà du cloître.

En 1579, on jugea à propos d'augmenter l'église Saint-Honoré, ce que l'on fit en ajoutant un peu à sa longueur, tant devant le clocher[369] que derrière, mais sans rien changer à l'ancienne élévation. Cette réparation imparfaite et de mauvais goût, qui même ne l'agrandit point suffisamment, la fit paraître alors beaucoup trop basse, et l'on se plaignoit qu'elle n'eût point la majesté convenable à une aussi riche collégiale.

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-HONORÉ.

TABLEAUX.

Sur le maître-autel, décoré d'un morceau d'architecture d'ordre corinthien, Jésus-Christ au milieu des docteurs, par Philippe de Champagne.

Dans la troisième chapelle à gauche, la Nativité, par Bourdon.

SÉPULTURES.

Dans cette église avoient été inhumés:

La fondatrice Sibylle, morte en....

Simon Morrier, que son épitaphe signaloit comme un factieux et un partisan déclaré des Anglois, sous le règne de Charles VII.

Le cardinal Dubois, premier ministre sous la régence du duc d'Orléans, et d'abord chanoine de cette église, mort en 1723[370].

HÔTELS
ET MAISONS REMARQUABLES.

ANCIENS HÔTELS.

À l'époque où nos rois commencèrent à habiter le Louvre, les grands vassaux, déjà moins indépendants, venoient plus souvent dans la capitale, tant pour leur rendre des hommages que pour participer à leurs faveurs. Ces petits souverains, devenus courtisans, se logeoient autant qu'il leur étoit possible auprès des maisons royales; et le quartier où étoit située celle-ci fut bientôt rempli d'hôtels magnifiques, sur lesquels nous allons recueillir les traditions des historiens: car il ne reste presque plus de vestiges de ces anciens édifices.

Hôtel du Petit-Bourbon.

Il étoit situé dans la rue appelée d'Autriche, dont partie subsiste encore et forme celle qui étoit nommée dans le siècle dernier cul-de-sac de l'Oratoire. Cette rue se prolongeoit alors jusqu'au bord de la rivière; et l'hôtel dont nous parlons s'étendoit par-derrière jusqu'à la rue qui en a pris le nom, et qui faisoit alors la continuation de celle des Fossés-Saint-Germain. À côté de la chapelle de cet hôtel, il y avoit une autre rue qui alloit de celle d'Autriche au cloître de l'église, et formoit une équerre; cette rue, qui n'existe plus, portoit, dans ses deux parties, ce même nom de Petit-Bourbon[371].

Il paroît que cet hôtel fut bâti peu de temps après que Philippe-Auguste eut fait construire ou augmenter le Louvre. Sauval tombe à ce sujet dans une étrange contradiction: après avoir dit que les ducs de Bourbon y logèrent dès le temps de Philippe-le-Bel, il avance plus loin qu'il ne fut construit que sous le règne de Charles V; et il en donne pour preuve les lettres C et V sculptées sur le portail de la chapelle. Il est évident que ces deux lettres ne prouvent autre chose, sinon que, dans ces temps-là, il y fut fait quelques augmentations ou embellissements; et l'on a une foule d'exemples de chiffres placés sur des édifices à de semblables occasions. Il existe en effet des titres antérieurs à cette époque, qui contestent l'existence de cet hôtel[372], et d'autres prouvent également qu'il fut agrandi sous Charles V. On trouve qu'en 1385 le duc de Bourbon acheta à cet effet la maison du Noyer, qui appartenoit au prieur et aux religieux de la Charité, et en 1390, la voirie de l'évêque[373]. Sauval lui-même dit que, depuis 1303 jusqu'en 1404, les princes de cette famille achetèrent de plus de trois cents personnes les maisons qui couvroient l'espace sur lequel cet hôtel fut construit[374]. Leur palais, ainsi augmenté et embelli de siècle en siècle, passoit pour un des plus vastes et des plus magnifiques qui fussent dans le royaume: du temps de l'écrivain que nous venons de citer, la galerie et la chapelle de cet hôtel existoient encore[375]; et il les décrit comme les édifices de ce genre les plus considérables et les plus somptueux de Paris. La galerie surtout étoit d'une dimension telle qu'on n'en connoissoit point de pareille dans tout le royaume, et qu'elle fut choisie pour la représentation des fêtes qui furent données à la cour, à l'occasion du mariage de Louis XIII. Louis XIV s'en servit également dans les commencements de son règne pour les bals et les comédies qui faisoient alors son principal amusement. Ce fut aussi dans cette galerie que se tint l'assemblée des États du royaume en 1614 et 1615.

On abattit une partie des restes de cet immense édifice pour élever la colonnade du Louvre; cependant, dans le siècle dernier, il en subsistoit encore quelques portions, où étoient les écuries de la reine et le garde-meuble de la couronne. La démolition en fut enfin achevée pour découvrir le beau monument élevé sur l'autre partie de ses ruines.

Hôtel de Clèves.

De l'autre côté de la rue d'Autriche[376] étoit l'hôtel de Clèves. Du temps de la Ligue il s'appeloit d'Aumale, et étoit occupé par Claude de Lorraine, duc d'Aumale, marquis de Mayenne. On ignore comment et à quelle époque il vint s'établir dans cette maison; quant au temps où elle fut construite, on a trouvé une ancienne notice qui prouve que ce fut par les ordres de Louis de France, fils de Philippe-le-Hardi, et chef de la maison d'Évreux. Catherine de Clèves, duchesse douairière de Clèves, s'y retira après la mort de son mari. Il passa depuis aux ducs de Grammont.

Hôtel de Clermont.

Il étoit situé, dit Sauval, auprès de l'hôtel de Clèves, et servoit de demeure à Robert de France, comte de Clermont et sire de Bourbon. Il avoit appartenu auparavant à la comtesse de Xaintonge et au prévôt de Bruges. Valeran de Luxembourg, comte de Saint-Pol, connétable de France, l'acheta en 1396: c'est sur l'emplacement qu'il occupoit, et sur celui des maisons adjacentes jusqu'à la rue du Coq, que furent bâties en partie l'église et la maison des pères de l'Oratoire.

Hôtel de Joyeuse.

Dans cette rue du Coq et dans celle du Louvre étoit situé l'hôtel de Joyeuse; il avoit autrefois appartenu à la maison de Montpensier dont il portoit le nom. Henri, dernier duc de Montpensier, le vendit à François de Joyeuse, cardinal, qui le nomma hôtel du Bouchage, du nom de sa famille. La proximité du Louvre engagea Gabrielle d'Estrées, duchesse de Beaufort, à louer cette maison, ce qui lui fit donner le nom d'hôtel d'Estrées; elle y demeuroit en 1594[377]. Cet édifice avoit repris le nom d'hôtel du Bouchage, et il le portoit en 1616, lorsque Henriette-Catherine de Joyeuse, duchesse de Guise, nièce et héritière du cardinal de Joyeuse, le vendit à M. de Bérulle pour y placer sa congrégation.

Hôtel d'Alençon.

Cet ancien hôtel occupoit autrefois l'intervalle qui sépare la rue des Poulies du cul-de-sac de l'Oratoire, alors rue d'Autriche. Parmi plusieurs traditions contradictoires sur son origine et ses diverses révolutions, voici ce que nous avons trouvé de plus vraisemblable. Il paroît qu'il fut bâti vers 1250 par les ordres d'Alphonse de France, comte de Poitiers, frère de saint Louis, et qu'il prit le nom d'Osteriche, de la rue où il étoit situé. Ce prince l'agrandit si considérablement, au moyen de l'acquisition de dix maisons voisines, qu'après sa mort[378] Archambaud, comte de Périgord, en vendit la moitié à Pierre de France, comte d'Alençon et de Blois, cinquième fils de saint Louis. Ce fut alors que cet hôtel prit le nom d'Alençon. Enguerrand de Marigni en devint ensuite possesseur, on ignore à quel titre; il y fit encore de grandes augmentations, en y joignant plusieurs maisons et jardins situés du côté de la rue des Poulies, et qui appartenoient au chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois. Après sa mort, cet hôtel devint propriété royale; et quoique l'arrêt de sa condamnation eût ordonné que sa maison seroit démolie, il ne paroît pas que cet édifice ait été abattu. Il fut occupé depuis par Charles de Valois et Marie d'Espagne sa veuve, qui y demeuroit en 1347. On en distinguoit dès lors les deux parties sous les noms de grand hôtel d'Alençon rue d'Autriche, et de petit hôtel d'Alençon rue des Poulies. En 1421, on voit, par un compte rapporté par Sauval, que cet hôtel étoit vide, ruiné et inhabitable. Il passa des ducs d'Alençon à M. de Villeroi, qui le vendit, en 1568, à Henri III, alors duc d'Anjou. Ce prince, appelé au trône de Pologne, le laissa à la reine son épouse, et cette princesse en fit don à Castelan son premier médecin. Albert de Gondi, duc de Retz et maréchal de France, l'acheta en 1578 des enfants de ce dernier, et lui donna son nom, qu'il porta encore plusieurs années[379] après. Malgré les démembrements qu'on en avoit faits précédemment, cet hôtel étoit encore si vaste, que Marie de Bourbon, duchesse de Longueville, en acheta une partie en 1581, sur laquelle elle fit bâtir l'hôtel qui a porté son nom, et que depuis Henri de Longueville vendit à Louis XIV, qui vouloit agrandir la place du Louvre. Ce dessein n'ayant pas eu alors son exécution, l'hôtel de Longueville, loin d'être abattu, fut réparé en 1709, pour servir de logement au marquis d'Antin, directeur général des bâtiments, ce qui le fit appeler l'hôtel de la Surintendance. En 1738 on en reconstruisit une partie, qu'on disposa pour le service général des postes, et l'on y joignit encore une portion de l'hôtel de Retz, dont il avoit d'abord été formé. La moitié de cet édifice fut depuis achetée par Louise de Lorraine, seconde femme du prince de Conti, qui la fit démolir, et sur l'emplacement fit construire un nouvel hôtel qui porta son nom. Depuis le duc de Guise en vendit une partie au roi, l'autre fut acquise par M. de Villequier, et a porté le nom d'hôtel d'Aumont. Ces hôtels ont été depuis revendus, rebâtis, puis abattus dans le siècle dernier pour former la place du Louvre. Enfin une portion considérable de l'hôtel d'Alençon, du côté du Louvre, a formé, au milieu du siècle passé, l'hôtel de la Force et les jardins de l'hôtel Longueville, et est aujourd'hui représentée par les maisons qui font face à celle des pères de l'Oratoire[380].

Hôtel du comte Ponthieu.

Il étoit situé dans la rue des Fossés-Saint-Germain, qui faisoit alors la continuation de la rue Béthisi: en 1359 on le nommoit la cave de Ponti et la cour de Pontiau. Guillot appelle cette partie de la rue Béthisi, la rue aux Quains de Pontis, nom qu'elle portoit alors et que lui avoit donné cet hôtel.

Maison du Doyenné.

Elle étoit située dans le cloître Saint-Germain-l'Auxerrois[381], vis-à-vis du grand portail de l'église et au coin du passage qui conduisoit à la place du Louvre. Cette maison est célèbre par la mort presque tragique de Gabrielle d'Estrées, duchesse de Beaufort et maîtresse de Henri IV. Voici comment cette histoire est racontée dans Saint-Foix, et dans les mémoires de Sully: «Elle vint loger chez Zamet: c'étoit un Italien fort riche, qui s'étoit qualifié, dans le contrat de mariage de sa fille, seigneur suzerain de dix-sept cent mille écus, et qui s'étoit rendu agréable à Henri IV par son caractère plaisant et enjoué. Se promenant dans son jardin, après avoir mangé d'un citron, d'autres disent d'une salade, elle se sentit tout à coup un feu dans le gosier, et des douleurs si aiguës dans l'estomac, qu'elle s'écria: Qu'on m'ôte de cette maison[382], je suis empoisonnée. On l'emporta chez elle[383]; son mal y redoubla avec des crises et des convulsions si violentes, qu'on ne pouvoit regarder sans effroi cette tête si belle quelques heures auparavant[384]. Elle expira la veille de Pâques 1599, vers les sept heures du matin: on l'ouvrit, et l'on trouva son enfant mort. Henri IV fit prendre le deuil à toute la cour, et le porta la première semaine en violet et la seconde en noir. La plupart des historiens, ajoute Saint-Foix, n'attribuent cette mort si frappante qu'aux effets d'une grossesse malheureuse.»


Les deux seuls hôtels remarquables qu'il y ait maintenant dans ce quartier sont:

1o. L'hôtel d'Aligre, ci-devant de Schomberg, situé rue Baillet et rue Saint-Honoré. Le grand-conseil y a tenu long temps ses séances.

2o. L'hôtel d'Angeviller, situé rue de l'Oratoire, lequel sert maintenant de dépôt principal au Musée Royal.

FONTAINES.

Sous Philippe-Auguste, il n'y avoit encore que trois fontaines publiques à Paris: celles des Innocents, des Halles, et la fontaine Maubuée, située au coin de la rue qui porte ce nom et de la rue Saint-Denis.

Dans l'intervalle qui sépare le règne de ce prince de celui de Louis XII, on éleva successivement treize autres fontaines. Quatre de ces fontaines étoient hors de l'enceinte de la ville avant le règne de Charles V: c'étoient celles de Saint-Lazare, des Filles-Dieu, des Cultures Saint-Martin et du Temple; elles y furent alors renfermées, à l'exception de la fontaine Saint-Lazare.

Les neuf autres fontaines existant à cette même époque dans les divers quartiers de Paris étoient celles de la rue Salle-au-Comte (dite la fontaine de Marle), de la rue Saint-Avoye, de la rue Bar-du-Bec, de la porte Baudoyer ou Baudet, de la rue Saint-Julien, du Ponceau, de la Reine, de la Trinité et de la rue des Cinq-Diamants. Toutes ces fontaines étoient alimentées par les aquéducs de Belleville et du pré Saint-Gervais, et ne donnoient de l'eau qu'à la partie septentrionale de Paris[385].

Sous Henri IV ces deux aquéducs, depuis long-temps négligés, tomboient en ruine, et le volume d'eau qu'ils fournissoient n'étoit plus suffisant. Une ordonnance de ce prince établit une augmentation sur l'impôt que payoient les vins à leur entrée à Paris; le produit en fut destiné à la réparation de ces deux aquéducs, et de nouvelles fontaines furent élevées: celle du Palais et le bâtiment de la Samaritaine.

Cependant la partie méridionale de Paris manquoit toujours d'eau. Déjà, sous le règne de ce même prince, les vestiges qui restoient encore de l'aquéduc bâti de ce côté par les Romains, avoient fait naître l'idée de le rétablir. Des fouilles furent commencées en 1609 à travers la plaine de Long-Boyau du côté de Rungis, afin de découvrir la source d'où provenoient les eaux qui avoient été anciennement conduites au palais des Thermes: la mort de Henri IV interrompit ce projet. On le reprit lors de la construction du palais du Luxembourg; et alors il fut proposé de conduire les eaux de Rungis à Paris. Le projet ayant été accepté, Louis XIII et la reine Marie de Médicis posèrent, le 17 juillet 1613, la première pierre de l'aquéduc, qui fut élevé sur les dessins de Jacques Desbrosses et achevé en 1624. Une partie de cet aquéduc traverse le vallon d'Arcueil sur vingt-cinq arches; auprès sont des restes de l'ancien aquéduc romain, et cette construction moderne en soutient la comparaison. Elle a douze toises de hauteur sur deux cents de longueur; de distance en distance et depuis Arcueil jusqu'à Paris, on rencontre plusieurs autres petites constructions qui sont des regards de la conduite des eaux. La longueur totale de cette conduite jusqu'au Château-d'Eau situé près de l'Observatoire est de 6600 toises.

En 1624, l'aquéduc étant achevé, on s'occupa de la distribution des eaux; et quatorze fontaines que l'on construisit, furent alimentées par cette source nouvelle.

Cependant la population de Paris ne cessant de s'accroître, les eaux fournies par les trois aquéducs et par la pompe de la Samaritaine devenoient encore insuffisantes; et l'abus des concessions que l'on faisoit trop indiscrètement à des corporations et à des particuliers augmentoit encore cette disette. Des recherches que l'on fit en 1551 aux environs du village de Rungis procurèrent un accroissement aux sources qui alimentoient la partie méridionale de Paris; et cet accroissement reçut le nom de nouvelles eaux d'Arcueil. En 1666 toutes les concessions particulières que la ville avoit faites sur les trois aquéducs furent supprimées par un arrêt du conseil et en 1669 on procéda à une distribution nouvelle des eaux de Paris.

Cette même année deux mécaniciens, Daniel Jolly et Jacques Demance, proposèrent d'établir sur le pont Notre-Dame des machines hydrauliques semblables à celle du pont Neuf: leurs propositions furent acceptées; ils exécutèrent simultanément deux mécanismes différents qui fournirent une masse plus considérable de beaucoup que celles que donnoient les trois aquéducs réunis. Ce travail ayant été achevé en 1671, un arrêt du conseil de la même année ordonna qu'il seroit établi de nouvelles fontaines; et l'on en construisit un assez grand nombre dans les divers quartiers de Paris, et jusqu'à la fin du règne de Louis XIV.

Cependant Paris recevoit sans cesse de nouveaux accroissements; et le besoin d'eaux plus abondantes se faisoit sentir de jour en jour davantage. On éleva encore sous Louis XV plusieurs fontaines, dont quelques-unes même furent remarquables par leur masse et par le luxe de leurs ornements; mais ni les aquéducs ni les pompes ne suffisoient pour les alimenter. Dans cet embarras extrême, il fut proposé en 1762 de conduire à Paris les eaux de la petite rivière de l'Yvette qui prend sa source entre Versailles et Rambouillet, et se jette dans la rivière d'Orge, un peu au-dessus de Juvisy. L'aquéduc que l'on auroit construit pour opérer cette dérivation auroit eu 17 à 18,000 toises de développement, et eût donné 1,200 pouces d'eau à la ville de Paris. Ce projet, long-temps discuté et reproduit plusieurs fois depuis cette époque jusqu'en 1775, fut enfin tout-à-fait abandonné, à cause des difficultés de son exécution.

Enfin l'établissement des pompes à feu résolut le problème dont on étoit si péniblement occupé et depuis si long-temps. Deux établissements de ce genre furent formés à Chaillot et au Gros-Caillou: et alors l'eau coula avec abondance non-seulement dans les fontaines publiques, mais encore dans les maisons des particuliers. La dérivation des eaux de la rivière d'Ourcq et leur conduite à Paris, grands et utiles travaux qui ont été opérés depuis la révolution, ont achevé de compléter cette partie si importante de l'administration dans une ville aussi immense; et l'eau y abonde maintenant de toutes parts, tant pour les jouissances du luxe que pour les besoins de première nécessité.

Nous donnerons successivement l'historique de toutes les fontaines de Paris, selon l'ordre où elles se présenteront dans la description particulière des quartiers auxquels elles appartiennent, continuant toujours à séparer les travaux de ce genre exécutés depuis la révolution, de ceux qui l'ont précédée.

FONTAINE DE LA CROIX DU TIROIR.

Cette fontaine avoit été élevée sous le règne de François Ier et par son ordre au milieu de la rue de l'Arbre-Sec. Comme elle y obstruoit la voie publique, le prévôt des marchands la fit transférer dans un pavillon construit en 1606 au coin de cette même rue, pour servir de réservoir aux eaux d'Arcueil. Ce monument, que l'on devoit au célèbre prévôt des marchands Miron, fut réédifié en 1776, sur les dessins de l'architecte Soufflot. Il a la forme d'un pavillon carré composé d'un rez-de-chaussée et de deux étages que couronne une galerie soutenue par des consoles à têtes de dieux marins. Le soubassement, appareillé en bossages, est terminé dans toute sa longueur par une plinthe sur laquelle s'élèvent des pilastres en stalactites qui encadrent les croisées, et qui sont ornés de chapiteaux à coquilles; entre les croisées du premier étage est placée une figure de naïade en demi-relief. Toute cette construction est d'un bon style et d'un caractère convenable. On y lisoit l'inscription suivante, composée par l'architecte lui-même:

«Ludovicus XVI, anno primo regni, utilitati publicæ consulens, castellum aquarum arcûs Jul. vetustate collapsum à fundamentis reædificari et meliore cultu ornari jussit. Carol. Claud. d'Angeviller, Com. regiis ædificis prop.»

RUES ET PLACES
DU QUARTIER DU LOUVRE.

Rue d'Angeviller. Elle va de la rue de l'Oratoire à celle des Poulies, et a été percée vers la fin du siècle dernier, sur le terrain occupé autrefois par l'hôtel de Créqui; elle doit son nom à l'hôtel d'Angeviller dont elle est voisine.

Rue de l'Arbre-Sec. Elle aboutit à la place de l'École et à la rue Saint-Honoré. Guillot l'appelle de l'Arbre-Sel; mais son vrai nom est Arbre-Sec, et elle le portoit dès le treizième siècle, vicus Arboris Siccæ[386]. Ce nom lui vient de l'enseigne d'une maison située près de l'église Saint-Germain, et qui existoit encore du temps de Sauval[387]. L'évêque de Paris avoit dans cette rue une grange et un four, entre le cloître Saint-Germain et le cul-de-sac de Court-Bâton. Il étoit appelé dans le principe le Four-l'Évêque, le Four-Franc. En 1372 on le nommoit le Four Gauquelin[388].

À l'extrémité de cette rue, du côté de celle de Saint-Honoré, est la fontaine dont nous avons déjà parlé, et l'on y voyoit autrefois une croix vulgairement appelée du Tiroir. Parmi les anciens noms qu'offre la topographie de Paris, il n'en est aucun dont l'orthograghe ait éprouvé autant de variations. On le trouve écrit Traihouer, Traihoir, Trayoir, Trahoir, Triouer, Trioir, Tirauer, Tirouer, Tyroer, Tiroir, Tiroi. Les uns le font venir du mot latin trahere (tirer); d'autres de trier. Ceux-ci prétendent qu'on y tiroit les draps, ceux-là que c'étoit un marché où l'on vendoit et où l'on trioit les animaux. Sauval pense que ce nom venoit du fief de Therouenne[389], qu'on appeloit par corruption Tiroie; et un savant distingué, (M. Bonami), très-versé dans nos antiquités, a adopté cette étymologie. Jaillot la rejette, en prouvant d'abord que le fief de Therouenne ne s'étendoit pas jusque là, observant ensuite (ce qui est le plus décisif) que si son nom lui fût venu de ce fief, on lui eût donné la même dénomination en latin: or, Thérouenne se dit Tarvanna et Tarvenna; et la croix du Tiroir a toujours été nommée Crux Tractorii, Crux Tiratorii[390]. Du reste, en combattant cette opinion, il ne trouve rien de satisfaisant à mettre à la place; et la même incertitude demeure sur la vraie signification de ce mot.

La place où se trouvoit la croix du Tiroir étoit beaucoup plus large autrefois qu'elle ne l'est aujourd'hui. Nous avons déjà dit que François Ier y fit construire une fontaine en 1529.

Quelques bouchers placèrent des étaux à l'entour, et des fruitiers étalèrent leurs denrées sur les marches de cette croix. Comme la voie publique en étoit obstruée[391], et qu'on avoit plusieurs fois porté des plaintes à ce sujet, la croix fut ôtée en 1636, et replacée à l'angle du réservoir des eaux d'Arcueil, que le prévôt des marchands avoit fait construire au coin de cette rue et de celle Saint-Honoré[392]. Cette place étoit un lieu patibulaire où l'on exécutoit quelquefois des criminels dans l'étendue de la juridiction épiscopale; et Sauval en a tiré cette conjecture fort raisonnable que la croix y avoit été placée pour offrir une dernière consolation, et montrer, dans ces tristes moments, le signe du salut aux malheureux qu'on y faisoit mourir.

Rue Baillet. Elle aboutit dans la rue de la Monnoie et dans celle de l'Arbre-Sec. En 1297, elle s'appeloit rue Dame Gloriette, et rue Gloriette en 1300. Le nom de Baillet est celui d'une famille très-connue qui demeuroit dans cette rue. Le procès-verbal de 1636 l'appelle Baillette.

Rue Bailleul. Elle traverse de la rue de l'Arbre-Sec dans celle des Poulies. En 1271, 1300, 1313, et même au siècle suivant, elle s'appeloit rue d'Averon, d'Avron, Daveron[393]. On pense qu'elle doit son dernier nom à Robert Bailleul, clerc des comptes, qui y demeuroit en 1423, et dont la maison faisoit le coin de cette rue et de celle des Poulies[394].

Rue de Beauvais. Elle commence à la rue Froi-Manteau, et finit au bout de la rue Champ-Fleuri. Au milieu du treizième siècle, on disoit en Byauvoir, etc., vicus de Byauvoir[395]; en 1372, Beauvoir. Dès 1450, on la trouve indiquée sous le nom de Beauvais; elle se prolongeoit anciennement jusqu'à la rue du Coq[396].

Rue du Petit-Bourbon. Elle commençoit au bout de la rue des Poulies, au coin de celle de Fossés-Saint-Germain, et aboutissoit aux quais de l'École et de Bourbon. Au treizième siècle, ce quartier s'appeloit Osteriche. Le nom s'en est conservé long-temps dans la rue appelée d'Autriche, dont partie subsiste encore, et forme, comme nous l'avons dit, la rue de l'Oratoire. Cette rue d'Autriche se prolongeoit jusqu'au quai de Bourbon, appelé simplement, ainsi que ceux de l'École et du Louvre, Grand rue sur la rivière. C'étoit là qu'étoit bâti le palais du Petit-Bourbon, dont nous venons de parler[397].

Rue Champ-Fleuri. Elle commence à la rue Saint-Honoré, et finit à la rue de Beauvais. Du temps de Philippe-Auguste, elle étoit hors de la ville, et son nom vient sans doute de quelques jardins sur lesquels elle aura été ouverte. Elle portoit ce nom dès 1271, vicus de Campo Florido[398]. On a dit ensuite rue de Champ-Flori et Champ-Fleuri.

Rue du Chantre. Elle aboutit dans la rue Saint-Honoré et dans la place du Vieux Louvre. Dès 1313 et jusqu'en 1386, elle se nommoit rue au Chantre. On présume qu'une maison de cette rue, dite la maison au Chantre, lui a fait donner ce nom.

Rue du Coq. Elle commence à la rue Saint-Honoré et aboutit au Louvre. En 1271, et jusqu'à la fin du siècle suivant, elle s'appeloit rue de Richebourc et Richebourg[399]. En 1276, on la trouve désignée sous les deux noms du Coq et de Richebourg[400]; elle les devoit à deux familles qui y ont demeuré.

Rue du Demi-Saint. Elle va du cloître Saint-Germain dans la rue des Fossés. Dans un acte de 1271, elle est nommée vicus qui dicitur truncus Bernardi[401]. En 1300 et 1313, on avoit altéré ce nom et on l'appeloit Trou-Bernard, ce qui continua jusqu'à la fin du quinzième siècle. Depuis elle a reçu celui du Demi-Saint, parce qu'à son entrée on avoit mis une statue à moitié rompue pour en interdire le passage aux chevaux[402].

Place de l'École. Cette place et le quai qui commence au carrefour ou place des Trois-Maries, et finit à la rue du Petit-Bourbon, doivent ce nom aux écoles établies en cet endroit pour l'instruction des jeunes clercs de Saint-Germain-l'Auxerrois. Au treizième siècle ce quai s'appeloit la grand-rue de l'École, magnus vicus Scholæ S. Germani 1290; vicus qui dicitur Schola S. Germani 1298[403]. Il y avoit alors sur ce quai une rue qui aboutissoit devant l'église; elle s'appeloit ruella de Fabricâ S. Germani[404]. Quant à la place, on la nommoit anciennement la place aux Marchands[405], elle étoit encore ainsi nommée en 1369 et en 1372; mais en 1413 on la trouve indiquée sous celui de place de l'École[406].

Le quai qui porte le même nom avoit été dressé, élargi et pavé sous le règne de François Ier. Il le fut de nouveau en 1719.

Rue Froi-Manteau. Elle va d'un côté à la rue Saint-Honoré et à la place du Palais-Royal, et de l'autre au quai du Louvre vers le premier guichet. Ce nom, dont on n'a pu découvrir l'étymologie, n'a varié que dans la prononciation ou dans l'orthographe. En 1290, on lit vicus de Frementel et de Frigido Mentello[407]. Depuis 1313 jusqu'à présent, on a dit Froit-Mantel, Froid-Manteau, Froit-Mantyau, Frémanteau, et Fromenteau[408]. Ces deux derniers noms sont les plus usités dans les actes et sur les plans de Paris.

Rue des Fossés-Saint-Germain. Elle commence au coin des rues du Roule et de la Monnoie, et finit au bout des rues des Poulies et du Petit-Bourbon. Au milieu du treizième siècle, on disoit simplement le Fossé, in Fossato; dans les suivants, on a dit rue des Fossés-Saint-Germain. Ce nom vient des fossés que les Normands creusèrent autour de l'église Saint-Germain, lorsqu'ils y établirent leur camp en 886[409].

Cette rue ne s'étendoit que jusqu'à celle de l'Arbre-Sec, où commence la rue de Béthisi; mais par la déclaration du roi de 1702, on a donné à celle-ci jusqu'à la rue du Roule le nom des Fossés-Saint-Germain, afin que la rue Béthisi ne se trouvât pas dans deux quartiers différents[410].

Rue des Prêtres et Cloître de Saint-Germain-l'Auxerrois. On entroit dans ce cloître, 1o par la rue de l'Arbre-Sec et du Petit-Bourbon; 2o par celle des Prêtres[411]; 3o par la rue du Demi-Saint et par la ruelle de la Fabrique dont nous avons parlé. La rue des Prêtres doit ce nom à ceux de Saint-Germain qui y demeuroient. Elle finissoit autrefois à la place de l'École; mais dans la division qui fut faite en 1702, on a donné son nom à une partie de la rue Saint-Germain jusqu'au carrefour des Trois-Maries, afin que cette dernière rue, comme celle de Béthisi, ne se trouvât pas divisée en deux quartiers[412].

Rue Saint-Honoré. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence au coin de celle du Roule et des Prouvaires, et finit à celui des rues des Bons-Enfants et Froi-Manteau. Nous avons déjà remarqué (quartier Sainte-Opportune) qu'une partie de cette rue jusqu'à celle de l'Arbre-Sec s'appeloit rue de Château-Fêtu. De là jusqu'à la porte construite entre le cul-de-sac de l'Oratoire et la rue du Coq, on la nommoit, aux treizième et quatorzième siècles, rue de la Croix du Tirouer, et au-delà de la porte, la Chauciée Saint-Honoré[413]. Les agrandissements de Paris et la nouvelle enceinte élevée par Charles V lui firent donner dans toute cette partie, jusqu'à la nouvelle porte qui fut construite près des Quinze-Vingts, le nom de rue Saint-Honoré, et depuis cette porte, on l'appeloit grand'-rue Saint-Louis, comme nous le dirons en son lieu. À l'égard du nom de Château-Fêtu, dont l'étymologie a fort exercé les antiquaires, il est probable que c'étoit celui de quelque famille distinguée qui habitoit cette rue. Il y avoit encore en 1348, entre Saint-Landri et la rivière, une maison appelée le Château-Fêtu[414]; et dans le manuscrit de coutumes de la marchandise, il est fait mention à l'an 1268 de Jehan Popin de Château-Fêtu comme d'un notable bourgeois, alors membre du conseil de la ville, et depuis prévôt des marchands.

Rue Jean-Saint-Denis. Elle commence à la rue Saint-Honoré, et aboutit à celle de Beauvais. On ne trouve point qu'elle ait porté d'autre nom. Dans plusieurs actes, et notamment dans l'acte de réduction des prébendes de Saint-Honoré, du mois de décembre 1258, il est fait mention de Jacques de Saint-Denis, chanoine de cette église; il est possible que sa famille ait donné le nom à cette rue[415].

Rue Jean-Tison. Elle donne d'un bout dans la rue des Fossés-Saint-Germain, et de l'autre dans la rue Bailleul. Elle doit son nom, comme la précédente, à une famille notable qui existoit déjà avant le treizième siècle[416]. Dans la liste des rues de 1450, elle est appelée rue Philippe Tyson.

Place des Trois-Maries. Elle est située au bout et en face du pont Neuf, ce qui la faisoit appeler au commencement du siècle passé rue du pont Neuf. Il y avoit anciennement en cet endroit un port où abordoient les bateaux chargés de foin; une ruelle qui y aboutissoit en prit le nom de rue au Fain, et, du temps de Corrozet, on l'appeloit encore rue du Port au Foin. Elle a pris son nom actuel d'une maison qui, en 1564, avoit pour enseigne les Trois-Maries[417]. C'est la troisième des cinq qui formoient la gauche de cette place, du côté de Saint-Germain-l'Auxerrois.

Rue de la Monnoie. Elle est située entre la rue du Roule et la place des Trois-Maries, et doit son nom à l'hôtel de la Monnoie qui y étoit situé. Au treizième siècle on l'appeloit rue o Cerf, vicus Cervi in censiva S. Dyonisii de carcere[418]. On n'a pu découvrir en quel temps l'hôtel de la Monnoie y fut transporté, et lui fit prendre ce dernier nom[419].

Rue de l'Oratoire. Elle étoit autrefois fermée, et se nommoit Cul-de-sac des PP. de l'Oratoire. Auparavant c'étoit la rue dont nous avons déjà plusieurs fois parlé, laquelle se prolongeoit jusqu'au quai, et s'appeloit rue d'Autriche. Les copistes ont bien défiguré ce nom. Dans Guillot on le trouve écrit Osteriche; dans la liste des rues du quinzième siècle, d'Autraiche; d'Autruche en 1421, et dans Corrozet; d'Austruce sur le plan de l'abbaye Saint-Victor; de l'Autruche ou du Louvre dans le procès-verbal de 1636; ensuite, suivant Sauval, rue du Louvre et cul-de-sac de l'Oratoire.

Rue des Poulies. Elle aboutit à la rue Saint-Honoré, à la nouvelle place du Louvre et au coin de la rue des Fossés-Saint-Germain-l'Auxerrois. Sauval prétend qu'elle doit son nom aux poulies de l'hôtel d'Alençon, et que ces poulies étoient un jeu ou exercice que l'on ne connoît plus, mais qui étoit encore en usage en 1343[420]. Jaillot pense que ce nom peut venir d'Edmond de Poulie ou de quelqu'un de ses ancêtres, parce qu'il possédoit dans cette rue une grande maison et un jardin qu'il vendit à Alphonse, comte de Poitiers et frère de saint Louis. Elle est indiquée sous le nom de rue des Poulies dans un contrat de vente de 1205[421].

Rue du Roule. Elle est située entre les rues des Prouvaires et de la Monnoie dont elle fait la continuation. Cette rue ne fut ouverte qu'au mois de juillet 1691, sur l'emplacement de quelques maisons vieilles et caduques, lesquelles faisoient partie d'un ancien fief appelé le Roule, de qui cette rue a pris son nom. Le chef-lieu de ce fief, situé au coin de cette rue et de celle des Fossés-Saint-Germain[422], étoit encore appelé Maison ou hôtel du Roule avant 1789.

MONUMENTS NOUVEAUX
ET AUTRES CONSTRUCTIONS FAITES DEPUIS 1789.

Le Louvre. Il nous est impossible de présenter autre chose ici qu'un aperçu très-rapide des travaux immenses exécutés depuis le commencement de ce siècle pour l'entier achévement de ce grand et magnifique monument.

Aucune des façades intérieures ne ressemblant à l'autre, il a fallu nécessairement faire disparoître cette bigarrure et choisir entre l'attique de Pierre Lescot, et le troisième ordre de Perrault. La hauteur des trois façades extérieures ne pouvant s'accorder, ni avec l'attique, ni avec son toit, la continuation du troisième ordre a été décidée et exécutée sur les trois façades les plus modernes.

On a laissé subsister la quatrième avec l'attique; et l'on a exécuté, de l'autre côté du pavillon de Lemercier, les sculptures des trois frontons, qui jusque là n'avoient point été faites. M. Moitte et feu Chaudet sont les auteurs de ces sculptures fort remarquables, bien qu'inférieures à celles de Jean Goujon. Elles représentent des poètes, des philosophes et des législateurs de l'antiquité. Les deux pavillons qui s'élevoient de chaque côté, aux extrémités de cette façade, ont été abattus, et par ce moyen elle s'est trouvée dans un rapport moins discordant avec les lignes que forment les trois autres façades. En ce moment on achève les figures qui doivent accompagner les œils-de-bœuf, et les ornements qui accompagnent les portes et enrichissent les frises; ce dernier travail complétera la symétrie de toute cette partie que l'on appelle le Vieux Louvre.

Les niches de la colonnade ont été ouvertes; et quoique cette ouverture, projetée d'abord par Perrault, ôte à ce tableau d'architecture une partie de ce qu'il présentoit à l'œil d'harmonie et de repos, elle a l'avantage de le lier au monument, dont il n'étoit auparavant qu'une inutile décoration. En même temps les architectes (MM. Fontaine et Percier) ont judicieusement rétabli l'unité entre les deux colonnades par la plate-bande de la porte qu'ils ont fait construire sous l'arcade. Cette heureuse addition a fait disparoître le vice de ce grand cintre qui interrompoit l'ordonnance générale, et détruisoit toute idée de communication entre l'une et l'autre partie.

On a couronné de balustrades toutes les parties de toiture qui en manquoient, et terminé tous les ornements non achevés, chapiteaux, frises, moulures, etc. Le monument a été regratté en entier, et les statues de Jean Goujon ont seules été exceptées de cette opération; tous les vestibules ont reçu leurs derniers ragréments, et dans celui de la grand façade on a trouvé le moyen de placer très-convenablement deux bas-reliefs enlevés des cintres de l'attique démoli dans l'angle sud-est, bâti par Pierre Lescot. Enfin les frontons des pavillons des deux faces latérales et celui de la colonnade ont été ornés de bas-reliefs d'une grande dimension.—Fronton de la Colonnade. Au dessus du cintre, une victoire, les ailes éployées, les bras étendus et tenant de chaque main une couronne de laurier; elle est montée sur un char attelé de quatre chevaux, et accompagnée de deux enfants qui portent des palmes.—Dans le fronton les sciences, les arts, Minerve, la Victoire, forment un groupe de quatorze figures qui entourent le buste de Louis XIV; et l'histoire écrit sur le piédestal qui le supporte, Ludovico magno[423].—Ces deux morceaux de sculpture du plus grand style et d'une très-belle exécution sont, le premier de M. Cartelier, le second de M. Lemot.—Fronton intérieur de la façade du bord de l'eau. Minerve debout sur un trône et entourée des figures allégoriques des sciences et des arts.—Façade extérieure du même côté. Dans le cintre au-dessus de la croisée, deux enfants dont l'un tient une épée et une branche de palmier, l'autre une lyre et une branche de laurier; à leurs pieds sont les attributs de la guerre et des arts; sur la clef de l'arcade est figuré un casque que deux femmes ailées couronnent[424]. Dans le fronton, et de chaque côté des armes de France qui en font le milieu, deux femmes assises offrent encore, et dans leur action et dans les accessoires qui les environnent, des images allégoriques des sciences et des arts.—Fronton intérieur de la façade, côté de la rue du Coq. Minerve, un génie ailé, Cybèle, Mercure; autres emblèmes des sciences, des arts, de l'agriculture, du commerce, etc.—Fronton extérieur du même côté. Des figures allégoriques de la guerre avec tous les attributs qui la caractérisent, canons, boulets, baïonnettes, drapeaux, trophées, etc.—Fronton extérieur du Vieux Louvre. Les armes de France entourées de trophées.

Toutes ces sculptures, exécutées par nos meilleurs artistes, sont d'un très-beau style, d'une composition heureuse, d'une bonne exécution, et forment un contraste frappant et singulier avec celles qui ornent le fronton intérieur de la colonnade, et qui ont été exécutées sous Louis XV. Elles offrent un coq au milieu d'une gloire qu'accompagnent deux figures; et ce bas-relief semble avoir été laissé là comme un témoignage de l'inconcevable dégradation où étoient parvenus les arts du dessin vers la fin du dix-huitième siècle. La porte par laquelle on entre sous le vestibule de cette façade est en bronze; les panneaux en sont à jour, enrichis d'ornements composés par M. Percier, et d'une pureté de style, d'une élégance de forme, d'une délicatesse de travail qui ne laissent rien à désirer.

Tels sont les travaux qui achèvent complétement à l'extérieur le palais du Louvre. Les distributions intérieures ne sont encore entièrement achevées que dans une partie du rez-de-chaussée, et dans le corps de bâtiment dont se compose la façade du bord de l'eau. C'est dans les salles de ce bâtiment que se fait tous les deux ans l'exposition des produits de l'industrie françoise.

Jardin de l'Infante. On a détruit ce jardin, planté au commencement du dix-huitième siècle, sur l'espace qui s'étend depuis le bâtiment en retour par lequel se lie le Louvre à la galerie, jusqu'au milieu de la façade du bord de l'eau; c'est-à-dire que les arbres en ont été abattus, pour être remplacés par des arbustes et des compartiments en gazon. Une grille semi-circulaire en fer entoure tout cet espace; et une seconde grille toute semblable renferme, de l'autre côté de la façade, une portion égale de terrain.

Fontaine de la place de l'École. Cette fontaine se compose d'un piédestal carré, offrant quatre têtes de lions qui vomissent de l'eau dans un bassin circulaire. Au-dessus s'élève un vase à deux anses terminées en têtes de panthères, et sur lequel sont sculptés des Tritons en bas-relief. Cette fontaine, d'un style simple et élégant, reçoit de l'eau de la pompe Notre-Dame.

Pont-des-Arts. Il a été construit pour établir une communication nouvelle avec le faubourg Saint-Germain, communication dont la nécessité étoit grande et depuis long-temps sentie. Ce pont est placé entre le Louvre et le collége des Quatre-Nations.

Il repose sur des piles de pierres très-minces qui lui donnent l'apparence d'une grande légèreté, et se compose de neuf arches, formées chacune par cinq arceaux que lient entre eux des arceaux plus petits et des traverses, le tout en fer fondu. Sur cet appareil on a établi un plancher en bois, élevé de plusieurs degrés au dessus du sol, mais qui s'étend en droite ligne de l'une à l'autre rive. De distance en distance sont placés des candélabres aussi en fonte de fer, d'une forme élégante, qui supportent des lanternes destinées à éclairer le pont pendant la nuit. On paye cinq centimes pour y passer; et ce péage appartient pour un certain nombre d'années à une association particulière, qui a fait construire ce pont et qui l'a obtenu pour le prix de son entreprise.

RUES ET PLACES NOUVELLES.

Place du Louvre (côté de la colonnade). La rue du Petit-Bourbon a perdu son nom et fait maintenant partie de cette place.

Place de l'Oratoire. Cette place a été formée au côté nord du Louvre, pour en isoler la façade qui règne dans toute cette partie. À cet effet, et pour obtenir l'alignement de cette place, on a détruit une partie du jardin d'Angeviller, les maisons qui l'avoisinoient et une partie de celles des rues du Chantre et Champ-Fleury.

Place du Vieux-Louvre. On a démoli, de ce côté, toutes les baraques qui obstruoient l'entrée du Louvre, partie de la rue Saint-Thomas, l'église Saint-Thomas du Louvre, et la plus grande partie des maisons qui séparoient cette place de celle du Carrousel; de manière qu'il ne reste plus que quelques groupes de ces maisons du côté de l'ancienne galerie, et que le château des Tuileries, auquel on communique de cette place par une large rue, est presque entièrement à découvert. Du côté du nord, on a commencé des constructions parallèles à celles du côté opposé, et qui doivent aboutir à la nouvelle galerie également commencée du côté des Tuileries et déjà prolongée jusqu'à la rue de Rohan. Ces constructions, qui font face à l'entrée du Musée et qui leur sont entièrement symétriques, sont destinées, dit-on, à former une église. Pour les élever, on a abattu les maisons qui composoient la rue de Beauvais et quelques maisons environnantes.

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