Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 2/8)
QUARTIER
DU PALAIS-ROYAL.
Ce quartier est borné, à l'orient, par les rues Froi-Manteau et des Bons-Enfants exclusivement; au septentrion, par la rue Neuve-des-Petits-Champs aussi exclusivement; à l'occident, par les extrémités des faubourgs Saint-Honoré et du Roule inclusivement; et au midi par les quais, depuis le premier guichet du côté de la place de l'École, aussi inclusivement.
On y comptoit, en 1789, soixante-quatorze rues, quatre culs-de-sacs, trois places, deux palais, deux théâtres, un hospice, un chapitre, quatre églises paroissiales, deux couvents d'hommes, trois couvents et une communauté de filles.
Le quartier de Paris que nous allons décrire est un des plus riches en monuments, et celui peut-être qui a subi les plus grandes révolutions. On a vu que, sous Philippe-Auguste, le Louvre et les édifices qui l'environnoient étoient encore hors des murs de cette capitale. Les choses étant restées en cet état jusqu'au règne de Charles V, il s'éleva pendant cet intervalle des édifices nouveaux sur la partie de la culture l'évêque qui étoit aux environs de l'église Saint-Honoré. Les vides qui existoient encore dans le bourg Saint-Germain-l'Auxerrois et dans la terre de Champeaux[425] se remplirent insensiblement; on bâtit également des maisons sur les autres cultures qui jusque là étoient restées inhabitées, soit au-dedans des murs, soit dans les environs: ces dernières constructions commençoient toujours par une rue qui prenoit naissance à chaque porte de la ville, et se terminoit ensuite en pleine campagne. Bientôt d'autres rues traversoient celle-ci, et il se formoit en peu de temps un nouveau faubourg.
La clôture faite par Charles V ayant renfermé, du côté de la ville, tous les gros bourgs qui touchoient les anciennes fortifications, il se trouva que les édifices dont le Louvre étoit environné s'étendoient déjà jusqu'à la rue Saint-Nicaise. Les murs embrassèrent donc, de ce côté, tout cet espace; et dès ce moment, c'est-à-dire vers la fin du quatorzième siècle, l'église Saint-Honoré, celles de Saint-Thomas et de Saint-Nicolas du Louvre, et l'hôpital des Quinze-Vingts furent renfermés dans la ville de Paris. Quant à cette partie, qui s'étend jusqu'à Chaillot et à la barrière du Roule, elle n'étoit encore composée que de cultures dépendantes principalement de l'évêque de Paris et de Saint-Germain-l'Auxerrois.
En 1536, François Ier fit ouvrir sur les bords de la rivière, à l'extrémité de cette rue Saint-Nicaise, où finissoient les murs de la ville, une porte qui fut nommée porte Neuve.
Peu de temps après, Catherine de Médicis ayant fait bâtir, hors des murs, le château des Tuileries, il arriva ce qui étoit déjà arrivé pour le Louvre, que ses environs se couvrirent en peu de temps d'édifices, et que la rue qu'on nomme aujourd'hui Saint-Honoré, laquelle étoit alors le faubourg Saint-Honoré, se prolongea jusqu'à l'extrémité du jardin de ce château. Comme tous les environs de Paris s'accroissoient dans la même proportion sur cette rive septentrionale, on jugea nécessaire, sous Charles IX, d'en augmenter encore l'enceinte. Il fut décidé que les nouvelles murailles seroient attachées à la porte dite de la Conférence, laquelle venoit, depuis peu, d'être bâtie à l'endroit où est maintenant le pont de Louis XVI. En conséquence, le 11 juillet 1566, le roi, accompagné de la reine-mère, des princes du sang, du cardinal de Bourbon et de toute sa cour, mit la première pierre au bastion qui étoit proche de cette porte, et qui fut alors élevé pour prolonger la clôture derrière le nouveau palais.
Ces premières constructions ayant fait connoître le dessein où l'on étoit de renfermer le faubourg Saint-Honoré dans la ville, les édifices s'y multiplièrent tellement, qu'en 1578 il fallut y bâtir une succursale de Saint-Germain-l'Auxerrois. En 1581, Henri III fit commencer les nouveaux murs, et les poussa depuis le bastion de la porte de la Conférence jusqu'à l'extrémité de ce faubourg.
Cependant l'ancienne enceinte subsistoit toujours, et le projet de renfermer dans la ville cette partie de terrain située entre les faubourgs Montmartre et Saint-Honoré, projet commencé sous Charles IX, n'avoit point été achevé par ses deux successeurs Henri III et Henri IV. Il fut enfin repris sous Louis XIII en 1631. Alors l'ancienne porte Saint-Honoré, qui étoit encore près des Quinze-Vingts, fut abattue, et l'on bâtit une boucherie à sa place. La nouvelle porte fut élevée au bout du faubourg[426], à quatre cents toises ou environ de l'ancienne. On termina aussi la nouvelle clôture, laquelle, partant du bord de la rivière, alla se joindre à celle de la porte Saint-Denis, agrandissant ainsi la ville d'un sixième de sa circonférence.
À peine cette clôture fut-elle achevée, que des particuliers firent bâtir de nouvelles maisons hors de la porte Saint-Honoré, et en si grande quantité, que le nouveau faubourg qui s'y forma se trouva joint au village du Roule. Cette passion de bâtir de tous côtés, et jusque dans la campagne des environs de Paris, fut même portée à un tel excès, que le roi jugea convenable d'y donner de nouveau des bornes, comme cela avoit été fait sous Henri II. Il parut donc un arrêt[427] du conseil, daté du 15 janvier 1638, par lequel les limites de la ville furent fixées. Par cette ordonnance, elles ne furent point changées du côté du quartier que nous décrivons, et vinrent encore aboutir à la porte de la Conférence. Cependant les habitants du faubourg Saint-Honoré représentèrent au roi que, ce côté étant l'abord de la province de Normandie et de plusieurs autres lieux d'un grand commerce, il étoit nécessaire d'accroître encore le faubourg, et d'y faire bâtir un nombre d'hôtelleries suffisant pour la grande quantité de voituriers et de marchands qui y affluoient tous les jours. Le roi, ayant écouté favorablement leur demande, leur accorda des lettres-patentes, du mois de mai 1639, portant permission d'unir à ce faubourg le village de la Ville-l'Évêque, lequel fut érigé en paroisse.
En 1671, sous le règne de Louis XIV, les fortifications de Paris furent abattues de ce côté, depuis la porte Saint-Denis jusqu'à celle Saint-Honoré; alors les nouveaux faubourgs firent partie de la ville; et sous les règnes suivants on éleva dans ce quartier les riches monuments qui en ont fait l'entrée la plus magnifique de cette capitale, et l'un des plus beaux aspects qu'il y ait dans aucune ville du monde.
SAINT-LOUIS
ET SAINT-NICOLAS-DU-LOUVRE.
Cette église royale, collégiale et paroissiale étoit le premier édifice que l'on rencontrât en sortant du quartier précédent. Elle étoit située à l'extrémité de la rue Saint-Thomas du Louvre, du côté de la galerie.
Si l'on ajoutoit foi à un ancien titre qui se conservoit autrefois dans les archives de cette église, elle seroit bien plus ancienne que tous les historiens de Paris ne l'ont pensé; cet acte, daté de 1020, contenoit une donation d'un setier de froment faite par Sibylle de Quesnay, veuve du sieur Pouget, aux maîtres et écoliers de Saint-Thomas et de Saint-Nicolas du Louvre (de Lupera).
L'authenticité de ce titre a été contestée, ou, pour mieux dire, on a donné des preuves très-solides qu'il étoit supposé. «Si l'on fait attention, dit Jaillot, que la donatrice y est qualifiée sous des noms et surnoms qui n'étoient pas en usage au commencement du onzième siècle; qu'elle n'explique aucun des motifs de sa libéralité, et qu'elle n'y met aucune condition; si l'on se rappelle qu'à cette époque les écoles n'étoient pas fort multipliées; qu'on n'en voyoit que dans les grandes basiliques et dans les monastères; que Saint-Germain-l'Auxerrois avoit les siennes à peu de distance; enfin, s'il est prouvé que les écoliers de Saint-Nicolas ne faisoient qu'un même corps et sous le même nom que ceux de Saint-Thomas avant leur désunion[428], alors il sera bien difficile de ne pas élever quelques doutes sur la certitude d'une donation dont il ne paroît pas même que les donataires aient profité[429].»
Ces preuves sont d'une grande force; mais il en est une dernière qui nous semble évidente et sans réplique. On ne voit dans aucun acte que le collége dont il s'agit ait été sous l'invocation de saint Thomas, apôtre: son titulaire étoit saint Thomas de Cantorbéry. Or, cet archevêque, martyrisé le 29 décembre 1170, ne fut canonisé que le mercredi des cendres de l'an 1173. Il est donc impossible qu'on ait donné son nom à aucun établissement pieux, avant l'une ou l'autre de ces deux dernières époques.
Si le titre primitif de Saint-Thomas du Louvre ne se retrouve plus, on est du moins certain que cette maison existoit sous le règne de Philippe-Auguste. On voit par une bulle du pape Urbain III, datée de l'an 1187[430], que Robert, comte de Dreux, frère de Louis-le-Jeune, avoit donné des maisons et des revenus tant pour la subsistance des pauvres clercs que pour le logement et la nourriture des prêtres chargés d'y faire le service divin; qu'il avoit établi dans le même lieu un hôpital ou collége pour de pauvres étudiants; enfin que cette église étoit sous l'invocation de saint Thomas de Cantorbéry. Ce prince étant mort en 1188, Robert II son fils confirma ces fondations et les fit approuver par Philippe-Auguste, dont les lettres-patentes à ce sujet sont de 1192. Il y avoit alors dans cette église quatre chanoines prêtres; mais dès l'an 1209, on ne peut douter que le nombre n'en fût augmenté: car dans une contestation qui s'éleva alors sur la présentation entre l'évêque de Paris et les fils du fondateur, il fut stipulé que ceux-ci nommeroient pendant leur vie à toutes les prébendes, tant anciennes que nouvelles, et aux semi-prébendes fondées et à fonder; qu'après leur mort les nominations se partageroient entre les comtes de Brie[431] et l'évêque, de manière toutefois que les quatres prébendes anciennes seroient toujours dans la dépendance de ces seigneurs. Cet accord est de l'an 1209[432].
À peine cette contestation étoit-elle réglée, qu'il s'en éleva une nouvelle entre le proviseur et les écoliers d'une part, et les chanoines de l'autre, à l'occasion des biens fondés par Robert de Dreux et par ses enfants. À cette époque, tout étoit commun entre eux, les bâtiments et l'église. Le résultat de leurs démêlés fut un partage entre les chanoines et l'hôpital, dans lequel la rue Saint-Thomas du Louvre devint la limite des propriétés divisées. Alors les écoliers et le proviseur voulurent avoir une église particulière et un cimetière, ce qui leur fut accordé par l'évêque, sans préjudice des droits du curé de Saint-Germain. Dans les lettres qui leur furent expédiées à ce sujet, et qui sont de 1217[433], ils sont appelés le recteur et les frères de l'hôpital de Saint-Thomas du Louvre; mais leur nouvelle maison prit le titre de l'hôpital des pauvres écoliers de Saint-Nicolas du Louvre[434]. À la fin du treizième siècle, cet établissement étoit composé d'un maître ou proviseur, d'un chapelain et de quinze boursiers. On y ajouta par la suite un second chapelain[435]; et en 1350 on y fonda trois nouveaux boursiers. Il subsista dans cet état jusqu'au 25 juillet 1541, époque à laquelle Jean du Bellay, évêque de Paris, supprima le maître et les boursiers, et érigea ce collége en chapitre, composé d'un prévôt et de quinze chanoines, qui ont été réunis en 1740 à ceux de Saint-Thomas du Louvre. Sans entrer dans les contestations peu importantes qui se sont élevées entre les historiens de Paris sur les prébendes de cette dernière église et sur leurs fondations, il nous suffira de dire qu'en 1728 on comptoit, dans la collégiale de Saint-Thomas, onze canonicats, et que, lors de la réunion, les arrangements nouveaux qui en résultèrent portèrent le nombre de ses membres à quatorze; ce qui dura jusqu'en 1749.
Cette réunion et le changement de vocable adopté par la nouvelle collégiale furent causés par un événement tragique dont nous allons rendre compte. La voûte du chœur de Saint-Thomas, qui n'étoit construite qu'en plâtre, et qui subsistoit depuis six cents ans, donnoit des signes évidents d'une ruine prochaine. Effrayé des progrès rapides de cette dégradation, le chapitre s'adressa à la cour en 1735[436], et fit des représentations qui d'abord ne furent point écoutées. Ce ne fut qu'en 1738 qu'il obtint du roi, par le cardinal de Fleury, alors ministre, une somme de 150,000 livres à prendre en neuf années sur la ferme des poudres. Dès que le premier paiement en fut effectué, on se disposa à en faire usage: les chanoines se retirèrent dans le bas de l'église pour y célébrer l'office divin; et l'on éleva une cloison de charpente qui séparoit le chœur, qu'on étoit forcé d'abandonner, de la nef où l'on se réfugioit. Alors on s'empressa de démolir la partie opposée; les fondements furent jetés du côté des rues Saint-Thomas et du Doyenné, et l'édifice commençoit déjà à s'élever, lorsque tout à coup, le 15 septembre 1739, vers onze heures du matin, au moment où l'on s'assembloit pour tenir le chapitre, le côté de l'église qui étoit sous le clocher voisin de la salle capitulaire tomba avec un fracas épouvantable, et ensevelit sous ses ruines presque tous les chanoines déjà assemblés. Ils étoient au nombre de huit: deux, qu'un hasard heureux avoit placés plus près de la porte, se sauvèrent, et en fuyant ils en repoussèrent un troisième qui étoit sur le point d'entrer. Les six autres périrent.
La réunion des deux chapitres ayant été résolue, comme nous l'avons dit, après cette malheureuse catastrophe, et les parties intéressées s'étant facilement conciliées, le 20 mars 1740 les chanoines de Saint-Thomas prirent place, selon leur rang d'ancienneté, au chœur de Saint-Nicolas, en attendant que la nouvelle église fût achevée. Elle fut bénie et dédiée sous l'invocation de saint Louis; les chanoines réunis en prirent le nom, et y firent l'office le jour même de cette dédicace, veille de la fête du saint roi, 24 août 1744[437].
Le 23 avril 1749, le chapitre de Saint-Louis du Louvre fut encore augmenté par la réunion nouvelle qui s'y fit de celui de Saint-Maur-des-Fossés, près Paris.
Le dernier chapitre étoit originairement une abbaye de Bénédictins, laquelle avoit été mise en commende au commencement du seizième siècle. Une bulle de Clément VII ayant supprimé la dignité abbatiale en 1533, les revenus furent réunis à l'évêché, et les moines sécularisés se formèrent en collégiale. Ces nouveaux chanoines portèrent dans le chapitre de Saint-Louis une dignité de grand-chantre, comme ceux de Saint-Nicolas y avoient introduit celle de prévôt; et outre ces deux dignitaires, il y eut alors vingt-deux chanoines[438]. L'archevêque de Paris en étoit le doyen, comme ayant remplacé l'abbé, et ensuite le doyen de Saint-Maur. Telle est la forme dans laquelle ce chapitre a existé jusqu'à sa suppression.
La nouvelle église, dont la construction étoit du plus mauvais goût, offroit cette particularité singulière, qu'elle avoit été construite sur les dessins du célèbre Germain, orfèvre du roi, lequel se mêloit aussi d'architecture[439]. Les formes en étoient bizarres, principalement celles du portail: il se composoit d'un avant-corps à tour ronde, enrichi d'un ordre de pilastres ioniques, dont l'entablement étoit modillonnaire et couronné d'un fronton circulaire. Le milieu de cet avant-corps étoit percé d'une porte bombée surmontée d'une corniche, au-dessus de laquelle on avoit placé un bas-relief. De chaque côté de cet avant-corps, une tour creuse venoit rattacher aux deux extrémités du portail un pilastre également ionique. Au-dessus s'élevoit une espèce d'attique percé dans le milieu par un œil de bœuf; et couronné d'un fronton circulaire. Au-dessous il y avoit un autre fronton de la même forme; et ces deux frontons, formant ainsi deux lignes courbes sur un plan en tour ronde, étoient certainement ce qui a jamais été imaginé de plus ridicule[440]. Les ornements avoient été prodigués tant au dedans qu'au dehors du bâtiment, et y étoient traités avec le même soin que dans une pièce d'orfévrerie. Les connoisseurs d'alors applaudirent à la délicatesse d'exécution et au fini précieux de toutes ces sculptures; mais l'architecte fut blâmé, même dans ces temps-là, d'en avoir trop chargé sa voûte. Il alla même jusqu'à employer dans la dorure le bruni, qui n'est d'usage que dans les ouvrages ciselés, et l'on reconnut l'orfèvre dans un monument d'architecture. Cependant on louoit l'heureuse proportion du grand ordre de pilastres corinthiens qui ornoit intérieurement le pourtour de cet édifice. Germain en avoit fait les chapiteaux à l'imitation de ceux du Val-de-Grâce, qui passoient alors pour des modèles en ce genre.
Le chapitre, qui devoit au cardinal de Fleury la réédification de son église, lui offrit en 1742, avant même qu'elle fût achevée, les deux principales archivoltes qui sont en regard, pour y établir, d'un côté, une chapelle qui seroit dédiée à la Vierge, de l'autre son mausolée et le lieu de sépulture de sa famille. Cette chapelle fut revêtue de marbres de diverses couleurs, et ornée d'un bas-relief représentant l'Annonciation de la Vierge, par Jean-Baptiste Le Moine.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE SAINT-THOMAS DU LOUVRE.
TABLEAUX.
Dans le chœur, l'Annonciation, les Pélerins d'Emmaüs, et N. S. au tombeau, par Charles Coypel.
Sur un autel à gauche, saint Nicolas, par Galloche.
Vis-à-vis, saint Thomas de Cantorbéri, par Pierre.
Dans une chapelle, la Magdeleine, par Carle Vanloo.
Dans la chapelle des Fonts, le baptême de N. S., par Restout.
SCULPTURES.
Au-dessus de la porte d'entrée, trois enfants tenant divers instruments de la Passion, par Pigalle.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoit été inhumé André Hercule, cardinal de Fleury, premier ministre sous le règne de Louis XV, mort en 1743[441].
Les chanoines faisoient exercer les fonctions curiales sur environ deux cent quarante paroissiens qui habitoient leur cloître et les environs de leur collégiale, et sur les officiers servants de leur chapitre, qui demeuroient dans le cloître ou prévôté de Saint-Nicolas du Louvre[442].
LE PALAIS-ROYAL.
Quoique l'édifice qui porte ce nom n'ait été construit que dans le dix-septième siècle, cependant on rencontre encore des obscurités, lorsqu'il s'agit de bien établir son origine.
Sauval prétend qu'il fut bâti sur les ruines des hôtels de Luxembourg et de Rambouillet; Piganiol, qui vient après lui, croit être plus exact en disant que ce fut sur l'emplacement des hôtels de Rambouillet et de Mercœur. Jaillot, qui a si souvent et si heureusement critiqué ces deux auteurs, leur reproche de manquer ici d'exactitude. «Il est constant, dit-il, que le connétable d'Armagnac possédoit rue Saint-Honoré, près les murs, un hôtel considérable, et qu'une partie du Palais-Royal en occupe l'emplacement. Le connétable ayant été sacrifié, en 1418, à la haine du duc de Bourgogne, son hôtel fut confisqué et donné au comte de Charolois. Au commencement du seizième siècle, cet hôtel appartenoit au duc de Brabant et de Juliers. Je n'ai rien trouvé qui prouve qu'il ait passé dans la maison de Luxembourg, etc.[443]» Examinant ensuite l'opinion de Piganiol, il prouve que l'hôtel de Rambouillet et celui de Mercœur ne peuvent être distingués l'un de l'autre; que c'est le même édifice auquel ces deux noms furent successivement donnés, parce qu'il passa d'une famille dans l'autre, le duc de Mercœur l'ayant acheté en 1602 pour agrandir celui qu'il avoit rue des Bons-Enfants. Ce fut donc de l'ancien hôtel du connétable d'Armagnac et de celui de Rambouillet que se composa l'emplacement des premières constructions du Palais-Royal.
Ce palais, bâti par le cardinal de Richelieu, fut loin d'être, dans ses commencements, aussi magnifique et aussi étendu que nous le voyons aujourd'hui. C'étoit, dans le principe, un simple hôtel, situé à l'extrémité de la ville: car l'enceinte élevée par Charles VI subsistoit encore à cette époque. La porte Saint-Honoré étoit alors placée près la rue Saint-Nicaise; et tous les édifices qui se prolongeoient au-delà, tant dans cette rue qu'autour des Tuileries et des rues adjacentes, étoient hors des murs. La maison du cardinal, construite sous le titre modeste d'Hôtel de Richelieu, fut d'abord entièrement renfermée dans l'enceinte; mais la fortune et la puissance du ministre s'accroissant de jour en jour, son habitation s'agrandit avec la même rapidité. Le mur d'enceinte de la ville qui en rendoit le terrain irrégulier fut abattu, le fossé comblé, le jardin prolongé; le cardinal fit de nouvelles acquisitions, tant du côté de la rue des Bons-Enfants que de celle qu'il avoit fait percer et qui porte encore aujourd'hui son nom. De ces opérations diverses, il résulta en peu d'années un palais magnifique, mais sans symétrie, lequel étoit situé partie en dedans, partie en dehors de la ville, et qui, dans ses additions successives, offroit une image assez frappante de la fortune de celui qui en étoit le possesseur. Commencé en 1629 sur les dessins de J. Mercier, il fut achevé en 1636; et sur le terrain qui n'avoit pu être compris dans le jardin et dans les bâtiments, furent bâties les maisons des trois rues qui environnent cet édifice, lequel reçut alors le titre de Palais-Cardinal[444].
Peu d'édifices ont subi d'aussi grands et d'aussi nombreux changements. Dans l'espace d'un siècle et demi, le bâtiment élevé par le cardinal de Richelieu contenoit déjà plusieurs corps-de-logis séparés par des cours, dont les deux principales se trouvoient au milieu de ces constructions. La première étoit la plus petite, comme elle l'est encore aujourd'hui. Dans l'aile droite en entrant, on avoit élevé une vaste salle de comédie[445]; l'aile gauche étoit occupée par une galerie, la plus magnifique de Paris, dont la voûte avoit été peinte par Philippe de Champagne. Ce peintre favori du cardinal y avoit représenté les principales actions de ce grand ministre.
On se rappelle encore quelle étoit la disposition et la décoration de la seconde cour: elle n'étoit entourée de bâtiments que de trois côtés. Le quatrième donnoit sur le jardin par une suite d'arcades qui soutenoient une galerie découverte, au moyen de laquelle les deux ailes communiquoient ensemble. L'architecture de cette partie de l'édifice étoit plus riche que celle de la première cour. Au premier étage régnoit un ordre dorique en pilastres, soutenu d'un premier à rez-de-chaussée, composé d'arcades, dans l'intervalle desquelles on avoit sculpté des proues de vaisseaux en relief, des ancres et autres attributs de marine; ce qui faisoit allusion à la charge de grand-maître et surintendant-général de la navigation dont ce ministre étoit revêtu. Toutefois cette cour manquoit de régularité: elle se présentoit sur sa largeur, et son axe n'étoit pas le même que celui de la première; disposition fâcheuse et irrémédiable, qui existe encore, et qui contrariera toujours l'architecte chargé de terminer ce palais.
Le cardinal ne négligea rien pour orner sa nouvelle demeure. Tout ce que l'opulence et les arts peuvent fournir de ressources y fut prodigué, et avec une telle magnificence, qu'il jugea qu'un tel séjour n'étoit point indigne d'être habité par les rois. Dans cette pensée, il crut ne pouvoir mieux faire éclater sa reconnoissance pour les faveurs extraordinaires qu'il avoit reçues de Louis XIII, qu'en lui cédant la propriété de cette superbe habitation. Dès l'année 1639, il en fit une donation entre-vifs à ce monarque[446], donation qu'il renouvela par son testament en 1642. Dans cet acte, il se réserve seulement l'usufruit des objets légués, et, pour ses successeurs ducs de Richelieu, la capitainerie ou conciergerie de ce palais. Ce fut cette dernière clause qui l'engagea à leur faire bâtir un hôtel joignant le Palais-Cardinal, et qui en faisoit partie du côté de la rue de Richelieu.
Le ministre étant mort le 4 décembre 1642, et Louis XIII ne lui ayant survécu que jusqu'au 14 mai suivant, le roi, la reine régente et la famille royale vinrent le 7 octobre de la même année prendre possession de ce palais et y fixer leur demeure. L'inscription de Palais-Cardinal fut alors effacée, et l'on y substitua le nom de Palais-Royal, qu'il a toujours porté depuis, quoique la reine mère, à la sollicitation de la famille de Richelieu, eût fait replacer l'ancienne inscription. Alors on détruisit la belle galerie bâtie par le cardinal, afin d'y pratiquer un appartement pour Philippe de France, frère unique de Louis XIV.
À la même époque fut formée la place qui donne sur la rue Saint-Honoré; et l'on rapporte aussi à ce temps-là la cession qui fut faite de ce palais par Louis XIV à son frère, pour en jouir sa vie durant. En 1692, le roi en fit donation entière à Philippe d'Orléans, duc de Chartres, son neveu, à l'occasion de son mariage avec Marie-Françoise de Bourbon. Alors fut réparé le grand corps de bâtiment qui se terminoit à la rue de Richelieu.
Pendant cet intervalle, le Palais-Royal avoit été fort agrandi: Louis XIV y avoit réuni l'ancien palais Brion, bâti rue de Richelieu par le duc de Danville, et dans lequel les académies de peinture et d'architecture avoient tenu leurs premières séances. Jules Hardouin Mansard avoit érigé sur cet emplacement une magnifique galerie, où Antoine Coypel avoit peint en quatorze tableaux les principaux sujets de l'Énéide. Le duc d'Orléans régent y ajouta depuis le salon d'entrée, bâti sur les dessins d'Oppenord, architecte alors fort en vogue, et au mauvais goût duquel on a dû la propagation du genre bizarre d'ornement qui a régné si long-temps. Ce fut dans cette vaste galerie que ce prince plaça la précieuse collection de peintures de toutes les écoles, qu'il avoit rassemblée à grands frais de tous les coins de l'Europe, et qui passoit pour la plus riche qu'il y eût alors au monde.
Le long de l'aile gauche de la seconde cour régnoit une autre galerie bâtie long-temps auparavant par le cardinal de Richelieu, et consacrée par lui à la gloire des personnages les plus fameux de la monarchie. Il avoit ordonné que l'on y déployât la plus grande magnificence; et lui-même avoit choisi les héros qu'il vouloit voir figurer dans cette pièce, que l'on nommoit la Galerie des Hommes illustres. Ils étoient au nombre de vingt-cinq, et leurs portraits avoient été peints par Philippe de Champagne, Simon Vouet, Juste d'Egmont et Poerson. De plus petits tableaux représentoient les principales actions de ces grands hommes, avec leurs devises. Des bustes en marbre, dont la plupart étoient antiques, séparoient ces peintures et répandoient une agréable variété sur ce bel ensemble. Des distiques latins, faits par Bourbon, célèbre poète latin de ce temps-là, accompagnoient les devises[447]. Les grands appartements du duc d'Orléans étoient de plain-pied avec cette galerie.
L'escalier principal, exécuté, dit-on, sur les dessins de Désorgue, a toujours été vanté parmi les ouvrages de ce genre. Il a depuis été restauré, orné de peintures et mieux éclairé; et il présente aujourd'hui une sorte d'effet théâtral, ménagé sans doute à dessein de dissimuler le peu de profondeur de l'espace qu'il occupe. Son aspect plaît au premier coup d'œil, quoiqu'un examen attentif puisse y faire découvrir plus d'un défaut de proportion.
Depuis la régence, ce palais a été successivement modifié et rebâti, au point qu'il ne reste presque plus rien des constructions faites par les premiers architectes.
La salle de spectacle que le cardinal avoit fait élever, ayant été détruite par un incendie en 1763, ce fut une occasion pour le duc d'Orléans d'alors de faire de grands embellissements dans la façade de son palais du côté de la rue Saint-Honoré. Le grand corps-de-logis de l'entrée et ses deux ailes furent alors entièrement changés et rebâtis dans un goût plus moderne.
L'ordre dorique règne dans toute l'étendue de la façade extérieure de ce palais, et forme terrasse au-devant de la cour, dans laquelle on entre par trois portes d'une belle menuiserie, couvertes d'ornements en bronze d'une grande richesse. Un mur percé de portiques unit ces trois portes aux deux pavillons en retour qui composent les ailes du bâtiment. Ces pavillons sont décorés de deux ordres, l'un dorique au rez-de-chaussée, l'autre ionique au premier étage, et couronnés de frontons triangulaires. Le corps-de-logis qui forme la façade se compose de neuf croisées, y compris les trois qui sont sur l'avant-corps du milieu. Cette partie offre également une décoration de colonnes doriques et ioniques, que surmonte un fronton circulaire. Dans ce fronton sont placées deux figures qui supportent les armes d'Orléans. Toutes ces constructions furent faites sur les dessins de M. Moreau, architecte de la ville, lequel rebâtit aussi la salle de l'Opéra qui venoit d'être brûlée[448]. Ce même bâtiment présente, du côté de la seconde cour, une autre façade exécutée à peu près dans le même goût. L'avant-corps est décoré de huit colonnes ioniques cannelées, posées sur un soubassement. Quatre statues de Pajou sont placées à l'aplomb et au-devant de l'attique qui surmonte ces colonnes. Ces statues représentent le dieu Mars, Apollon, la Prudence et la Libéralité. Les ornements exécutés dans les cartouches et les frontons des deux pavillons de l'entrée et des autres parties des nouvelles constructions, étoient de la main du même sculpteur.
Le vestibule qui sépare les deux cours est décoré de colonnes doriques. À droite en entrant fut alors construit le nouvel escalier qui mène aux appartements. Il est placé sous une espèce de dôme fort élevé et orné de peintures. Les douze premières marches conduisent à un perron, et là l'escalier se divise à droite et à gauche en deux parties qui se terminent au pallier. L'architecte (Constantin) avoit imaginé, pour diminuer l'effet désagréable du mur de face qui est trop rapproché, d'y faire peindre une perspective d'architecture qui fut exécutée par Machy.
Les appartements sont remarquables par leur étendue et leur magnificence. Les galeries qui occupent la gauche du palais composent environ quinze pièces, au nombre desquelles il faut comprendre celle que Louis XIV avoit fait construire par Mansard, et le salon d'Oppenord. C'est dans cette suite d'appartements qu'étoient placées les belles peintures dont nous avons déjà parlé. On y voyoit aussi la précieuse collection de pierres gravées antiques, également formée par le régent. À ces richesses des arts les plus excellents, se trouvoient réunis un magnifique cabinet d'histoire naturelle et de minéralogie, et une collection non moins curieuse des productions de tous les arts et métiers, avec les différents outils employés à leur fabrication. Ces modèles, exécutés dans une grande perfection, étoient tous réduits sur une échelle commune d'un pouce et demi pour pied.
On devoit aussi au duc d'Orléans, régent, le jardin de ce palais, jadis le rendez-vous de la meilleure compagnie de Paris, et la promenade la plus brillante et la plus fréquentée de cette capitale. Du temps du cardinal de Richelieu, c'étoit un terrain de la plus grande irrégularité, qui contenoit un mail, un manége et deux bassins, le tout disposé sans ordre et sans symétrie. Il ne fut replanté qu'en 1730, et ce fut un neveu de Le Nôtre[449] que l'on chargea de cette entreprise. Sans prétendre faire un jardin égal à celui des Tuileries, composé par son oncle, il mit dans l'ordonnance de celui-ci de la grandeur et de la simplicité. Deux belles pelouses bordées d'ormes en boules accompagnoient de chaque côté un grand bassin placé dans une demi-lune ornée de treillages et de statues en stuc, la plupart de la main de Leremberg. Au-dessus de cette demi-lune régnoit un quinconce de tilleuls dont l'ombrage étoit épais et agréable. La grande allée surtout formoit un berceau vraiment délicieux et impénétrable au soleil. Toutes les charmilles y étoient taillées en portique. C'étoit cette partie du jardin que les promeneurs fréquentoient de préférence.
L'ancien projet du cardinal avoit été de faire bâtir autour de ce jardin des maisons symétriques, et d'ouvrir trois principales entrées, l'une sur la rue de Richelieu, l'autre sur la rue des Petits-Champs, et la troisième sur celle des Bons-Enfants.
Le dernier duc d'Orléans exécuta en quelque sorte ce projet dans les dernières années qui ont précédé la révolution; mais il le conçut dans des vues indignes d'un prince, et fit une misérable spéculation de ce qui devoit être un nouveau monument de grandeur et de magnificence. On imagina donc de bâtir autour du jardin un corps de bâtiments symétriques, et de prendre sur le terrain l'espace d'une rue nouvelle dans laquelle les maisons qui entouroient autrefois cette enceinte se trouvèrent alors tristement renfermées. Dans la seconde cour, un nouvel avant-corps fut élevé parallèlement et dans la même ordonnance que le premier, afin d'étendre la façade et de la raccorder avec les nouvelles galeries; une partie des anciennes constructions fut démolie dans la même intention; et pour développer l'aspect de celles qu'on élevoit, on détruisit dans le jardin[450] tous ces beaux ombrages qui en faisoient le principal agrément.
Le projet d'une aussi vaste enceinte, s'il eût été réalisé avec toutes les ressources d'une belle architecture, eût été mis sans doute au rang des plus grands monuments; mais l'esprit de calcul et d'intérêt qui l'avoit fait entreprendre[451] ne pouvoit s'accorder avec la dépense qu'eût exigée une bâtisse proportionnée à l'étendue du plan. Tout cet ensemble a donc été trop légèrement construit: la décoration de cette immense galerie, qui consiste en petites arcades séparées par des pilastres corinthiens, est aussi mesquine que mal exécutée; et l'avantage qu'a le public de s'y promener à couvert ne compense point l'inconvénient qui en résulte de la grande diminution du jardin. L'idée d'élever un portique autour d'une promenade étoit sans doute heureuse, et pouvoit augmenter les agréments d'un si beau lieu; mais du moment que chaque arcade est devenue une boutique, le lieu lui-même est devenu une foire et un marché, et toute sa noblesse et son élégance ont disparu. La bonne compagnie l'a déserté, parce qu'elle se trouvoit confondue, dans ces longs et étroits promenoirs, avec ce que Paris renfermoit de plus impur. Le vice fit bientôt de ce jardin fameux le principal théâtre de ses excès; et ils furent d'autant plus scandaleux que les nouvelles demeures dont on venoit de l'environner furent louées sans aucune difficulté à ses plus infâmes agents. La révolution, qui éclata peu de temps après, ne fit qu'augmenter le scandale de ce séjour; et aux scènes de libertinage qui s'y renouveloient sans cesse, se mêlèrent les prédications atroces des anarchistes, les fêtes ignobles de la liberté, souvent même ses violences et ses assassinats.
Les nouvelles constructions devoient se raccorder avec les ailes de la seconde cour du palais. Ce fut cette même révolution qui en arrêta l'achèvement: les dépenses criminelles dans lesquelles elle entraîna le duc d'Orléans ne lui permirent plus de fournir les fonds nécessaires pour l'entière exécution de ce projet, et le Palais-Royal resta à peu près dans l'état où nous le voyons aujourd'hui.
L'architecture de cette grande masse de bâtiments est de M. Louis. Le théâtre, bâti à l'extrémité du Palais-Royal, du côté de la rue Saint-Honoré et de Richelieu, est aussi du même architecte[452]. Du côté de la rue Neuve-des-Petits-Champs, et dans l'angle opposé, est une autre salle de comédie, occupée d'abord par les petits comédiens dits de Beaujolois[453], et depuis par la troupe des Variétés.
Deux galeries de bois ont été construites sur l'emplacement qui fait face à la seconde cour, et forment une espèce de barrière qui la sépare du jardin. Dans le plan primitif, cette quatrième façade du château, augmentée du nouveau corps-de-logis, devoit former aussi la quatrième façade du jardin. Son ordre d'architecture eût été le même que celui qui avoit été employé dans les trois autres côtés, avec cette différence que des colonnes devoient y remplacer les pilastres; qu'au lieu d'arcades et d'entresols, on destinoit toute la hauteur, jusqu'au premier étage, à des promenoirs publics, et qu'on ne prenoit qu'un seul étage dans le reste de l'ordre. Enfin le projet étoit d'élever au-dessus un second étage, décoré d'un attique dont la richesse eût été proportionnée à celle de la colonnade inférieure. D'autres promenoirs eussent été également pratiqués dans les parties conservées de l'ancien palais, dont on devoit détruire, pour cet effet, les logements du rez-de-chaussée et de l'entresol. On peut voir, dans l'intérieur du nouvel avant-corps, un commencement d'exécution de ce projet.
COLLECTIONS
ET AUTRES CURIOSITÉS DU PALAIS-ROYAL.
COLLECTION DES TABLEAUX[454].
Grande salle à manger.
L'aventure de Philopœmen, par Rubens.
Un pair d'Angleterre, une princesse de Phalsbourg, un général espagnol, et une autre femme, par Vandyck.
Le Nil, Pan et Syrinx, par Martin de Vos.
Vénus tenant l'arc de l'Amour qu'elle a désarmé, par Bronzino.
Danaé, par Annibal Carrache.
Salon de Madame.
Quatre dessus de porte: Charles Ier, roi d'Angleterre, la reine son épouse; le duc et la duchesse d'Yorck, par Vandyck.
La fuite de Jacob, par Piètre de Cortone.
Saint Jérôme et une sainte Famille, par Annibal Carrache.
Chambre appelée du Poussin.
Une ferme, par Léandre Bassan.
L'Apparition des anges à Abraham, par Alexandre Véronèse.
Un ange conduisant saint Roch, par le Guerchin.
Les quatre Âges, par Valentin.
Un portrait de femme, par le Titien.
Un philosophe tenant un manuscrit, par Schiavone.
La naissance de Bacchus, par Jules Romain.
L'adoration des rois, par Albert Durer.
Les animaux entrant dans l'arche, par Léandre Bassan.
L'enlèvement de Proserpine, par le Titien.
Cabinet de la Lanterne.
Le portrait de Clément VII, par le Titien.
Un concert, par Valentin.
Le martyre de saint Pierre, par le Giorgion.
Jules II, par Raphaël.
Henri IV âgé de quatre ans, par Porbus.
Une frise, par Jules Romain; trait d'histoire romaine.
Une descente de croix, d'Augustin Carrache.
Le portrait d'une princesse, par Vandyck.
Le paysage aux Bateliers, par Annibal Carrache.
Un concert, par le Titien.
L'enlèvement de Proserpine, par Nicolo del Abbatte.
Un consistoire, par le Tintoret.
Des buveurs, par Manfredy.
Un enfant qui dort, par Annibal Carrache, et le portrait de ce peintre, par lui-même.
Mars et Vénus, par Rubens.
Un siége, par Jules Romain.
La naissance de Bacchus, par le même.
Un prêtre italien, par le Titien.
La Nativité, par François Mola.
Un général espagnol, par Antoine Moor.
Une naissance de Bacchus, attribuée au Tintoret.
Héraclite, par l'Espagnolet.
Un portrait de femme, par le Titien.
Hérodias, par Léonard de Vinci.
Ganimède, par Rubens.
La naissance de Castor et Pollux, par André del Sarte.
Le portrait d'une femme, par Holbein.
Démocrite, par l'Espagnolet.
Au-dessus de la porte, le portrait du Titien, peint par lui-même; le poète Arétin, par le même.
Une descente de croix, par Schiavone.
Une sainte Famille, du Parmesan.
Un portrait, par Albert Durer.
Saint Jean dans le désert, par Annibal Carrache.
Deux portraits du Tintoret.
L'adoration des bergers, par Lucas de Leyde.
Un portrait, par le Titien.
Un doge de Venise, par Palme le vieux.
Un sénateur vénitien, par André Keyen.
Sur la glace, une sainte famille, du Parmesan.
Le Jugement de Pâris, par Perrin-del-Vaga.
Un jeune étudiant, par le cavalier Bernin.
Une Vénus debout, par Palme le vieux.
Première grande pièce.
Une descente de croix, de Perrugin.
Saint Jean dans le désert, par Louis de Vergas.
Moïse foulant aux pieds la couronne de Pharaon, par le Poussin.
La transfiguration, par Michel-Ange de Caravage.
Une descente de croix, du Tintoret.
Les sept sacrements, par le Poussin[455].
L'enfant prodigue, par Annibal Carrache.
Les vendeurs chassés du temple, et la guérison du paralytique, par Luc Jordaens.
La résurrection du Lazare, par Mutian.
Notre Seigneur au tombeau, par Annibal Carrache.
La naissance de Bacchus, par le Poussin.
Le paralytique et l'enfant prodigue, par Bassan.
Un mulet, par le Corrége.
Le crucifiement de saint Pierre, par le chevalier Calabrois.
Salmacis et Hermaphrodite, par Paul Mathey.
Deuxième grande pièce.
Saint Paul et l'Enfant Jésus, par Francia.
Une sainte Famille, par Louis Carrache.
Le portrait de J. Gissen, négociant, par Holbein.
Le Baptême de N. S., par l'Albane.
L'apparition de la Vierge à saint Jean Justinien, par le même.
Une Sibylle, par le Dominiquin.
Six esquisses de Rubens.
Vénus et Adonis, une mère de douleur, et Charles-Quint à cheval, par Le Titien.
Un portrait de femme, par le même.
Une mère de douleur, par Guerchin.
Un calvaire, par Annibal Carrache.
Une sainte Famille, par André-del-Sarte.
David et Abigaïl, par le Guerchin.
Une descente de croix, par Daniel de Volterre.
Le portrait d'un Espagnol, par Antoine Moor.
Un homme armé, par Luc Joordans.
Une annonciation, par Lanfranc.
Moïse exposé sur les eaux, par le Poussin.
Saint Jérôme, par le Bassan.
Un homme et un chat, par Gentileschi.
Moïse sauvé des eaux, par Velasquez.
David et Abigaïl, par le Guide.
L'invention de la croix, par Giorgion.
Un paysage, par Scorza.
Une sainte Famille, par Laurent Lotto.
Une Magdeleine, du Guide.
Moïse sauvé des eaux, par Paul Véronèse.
Un bourgmestre, par Rembrandt.
Le portrait du comte d'Arundel, par Vandyck.
Une martyre, par Guido Cagnacci.
Une sainte Famille, par Raphaël.
Un tableau du Caravage, représentant un singe.
Troisième grande pièce.
L'enlèvement des Sabines, par Salviati.
L'éducation de l'Amour, par le Corrége.
Une sainte Famille, par Raphaël.
Un autre, par le Bourdon.
Jésus-Christ au milieu des docteurs, par l'Espagnolet.
La décollation de saint Jean, par le Guide.
Saint Sébastien et saint Bonaventure, par le même.
L'adoration des bergers, par Giorgion; et Milon de Crotone, par le même.
Une Esclavonne, l'éducation de l'Amour, et Diane surprise au bain par Actéon, par le Titien.
Philippe II et sa maîtresse, par le même.
La mort d'Abel, par André Sacchi.
La femme adultère, par Pordenon.
Achéloüs, par le même.
Suzanne et les deux vieillards, par Louis Carrache.
L'adoration des rois, par Van-Eyck de Bruges.
Une sainte Famille, par Garofallo.
La résurrection du Lazare, par Sébastien-del-Piombo.
Une descente de croix, de Schiavone, et Pilate se lavant les mains, par le même.
Vénus et l'Amour, par Palme le vieux.
La prédication de saint Jean dans le désert, par l'Albane.
Des joueurs, par le Caravage.
Les ducs de Ferrare, par le Tintoret, et l'enlèvement d'Hercule, par le même.
Le massacre des innocents, par le Brun.
Une tête de moine, par le cavalier Bernin.
La maladie d'Alexandre, par Eustache le Sueur.
L'apparition de la Vierge à saint Roch, par Annibal Carrache.
Grand salon à la Lanterne.
La continence de Scipion, par Rubens.
Une Magdeleine, du Guide.
Un Ecce Homo, du même.
Saint Jean montrant le Messie, par Annibal Carrache.
Une procession de village, par le même.
Un Christ et le martyre de saint Étienne, par le même.
Trois esquisses de Rubens.
L'histoire de saint Georges, par le même.
La mort de Cyrus, par le même.
Joseph et Putiphar, par Alexandre Véronèse.
Saint Jérôme effrayé par la tempête, par le Guerchin.
Un portement de croix, d'André Sacchi.
L'homme entre le vice et la vertu, par Paul Véronèse.
Un autre tableau du même maître, portrait de sa fille; Mars et Venus liés par l'Amour, par le même.
Les disciples d'Emmaüs; Mercure et Hersé; l'enlèvement d'Europe, et la Sagesse compagne d'Hercule, par le même.
Andromède, par le Titien.
L'enlèvement d'Europe, par le même.
Vénus et Adonis, par le même.
Actéon dévoré par ses chiens, par le même.
Le portrait de la maîtresse du Titien, par le même.
Lucrèce, par André-del-Sarte.
Hérodias, par Palme le vieux.
L'Amour façonnant son arc, par le Corrége.
Deux études de tête, du même.
Le portrait d'une femme, par Paul Véronèse.
Quatre dessus de porte, l'Infidélité, le Respect, le Dégoût et l'Amour heureux, par le même.
Une fileuse, par le Féti.
Un paysage dit des Bateliers, par le Dominiquin.
Jésus-Christ portant sa croix, par le même.
Saint Jérôme, par le même.
Une circoncision, par Bassan.
La Vierge dite la Laveuse, par l'Albane.
Le portrait de la femme du Bassan, et son portrait, par lui-même.
Le jugement universel, par Léandre Bassan.
Une copie de la transfiguration de Raphaël, par Garofalo.
Grande galerie.
Le tentateur, une sainte Famille, les quatre âges, une femme tenant une cassette, une tête de femme, par le Titien; son portrait, peint par lui-même.
La Vierge qui montre à lire à l'Enfant-Jésus, par Schidone.
La belle Colombine, maîtresse de François Ier, par Léonard de Vinci.
Une tête de femme, par le même.
La Vierge et l'Enfant-Jésus, par le Corrége.
Une Danaé et une sainte Famille, du même.
Une frise, trait d'histoire romaine, par Jules Romain.
Diane et Calysto, par Annibal Carrache.
La toilette de Vénus, par le même.
Le martyre de saint Étienne, et la vision de saint François, par le même.
La mort d'Adonis, par Cangiage.
Le portrait du duc de Valentinois, fils du pape Alexandre VI, par le Corrége.
Le sacrifice d'Isaac, par le Dominiquin.
Saint Jérôme, par le même.
Les portraits de Jean et Hubert de Bruges, par Van-Eyck.
Un repos en Égypte, par François Mola.
Une frise, trait d'histoire romaine, par Jules Romain.
Jupiter et Léda, par le même.
Moïse frappant le rocher, par le Poussin.
La communion de la Madeleine dans le désert, par l'Albane.
La Samaritaine, par le même.
Une flagellation, par Louis Carrache.
Une sainte Famille, de Palme le vieux.
Une Vierge et l'Enfant-Jésus, par Raphaël.
Saint Jean dans le désert, par le même.
Une Vierge, dite la belle, par le même.
Une autre Vierge et l'Enfant-Jésus, par le même.
Une descente de croix, par Sébastien-del-Piombo.
Le ravissement de saint Paul, par le Poussin.
Un page raccommodant l'armure de Gaston de Foix, par Giorgion.
Sainte-Appoline, du Guide.
Un enfant dormant sur la croix, par le même.
Une Madeleine, par le Titien.
La Samaritaine, par Annibal Carrache.
La vision d'Ézéchiel, par Raphaël.
Le martyre de saint Barthélemi, par Augustin Carrache.
Une sainte Famille, par Michel-Ange.
La Circoncision, par Jean Belin.
La Vierge et l'Enfant-Jésus, par Raphaël.
Saint Jean l'Évangéliste, par le Dominiquin.
Une descente de croix et un saint Jean dans la gloire, par Annibal Corrache.
Une sainte Famille, de l'Albane.
Un saint François en méditation devant la croix, par le Dominiquin.
Noli me tangere, par le Titien.
Saint Joseph montrant son métier à l'Enfant-Jésus, par Annibal Carrache.
Une frise, trait d'histoire romaine, par Jules Romain.
Une sainte Famille, du Baroche.
Le jugement de Pâris, par Rubens.
La sainte Famille, par François Anotti.
Noli me tangere, par l'Albane.
Deux esquisses de Rubens.
Une autre frise, trait d'histoire romaine, par Jules Romain.
Une présentation au temple, par le Guerchin.
Un repos en Égypte, par Annibal Carrache.
Noli me tangere, par le Corrége.
La Madeleine, du Guide.
La prédication de saint Jean dans le désert, par Mola.
Noli me tangere, par Cignani.
Vénus sortant des ondes, par le Titien.
Le mariage de sainte Catherine, par le Parmesan.
TABLEAUX DES CHAPELLES DU PALAIS.
Il y avoit deux chapelles dans ce palais.
Dans l'une étoit une apparition de Jésus-Christ, par Annibal Carrache; dans l'autre, plusieurs peintures par Vouet.
CABINET DES MÉDAILLES ET PIERRES GRAVÉES.
Cette collection, vendue comme celle des tableaux, par le dernier duc d'Orléans, jouissoit également de la plus grande célébrité.
Ses commencements sont dus à Élisabeth-Charlotte Palatine, sœur de Charles II, électeur palatin, laquelle fut mariée à Monsieur, frère du roi. Cette princesse, venant en France, apporta avec elle une suite de médailles d'or et de pierres gravées, que son goût pour les arts lui avoit fait recueillir. Cette collection fut depuis augmentée par le Régent, qui en devint propriétaire, et dont la passion pour tous les arts qui tiennent du dessin étoit la plus vive qu'il soit possible d'imaginer. Non-seulement il l'enrichit par de nouvelles acquisitions, mais il la doubla, en quelque sorte, par les empreintes en pâte de verre, qu'il tiroit lui-même des plus belles pierres. On prétend même que le procédé de ces pâtes, dont la transparence et la couleur imitent l'éclat des pierres fines, est dû à ce prince, qui d'ailleurs pratiquoit ces arts qu'il aimoit si passionnément, mieux qu'il ne convient peut-être à un prince de le faire.
Le duc d'Orléans son fils réunit à ce cabinet, déjà très-considérable, la belle collection de M. Crozat, laquelle étoit composée de plus de quatorze cents pierres gravées. Peu s'en fallut cependant que ce prince, qui l'avoit tellement enrichie, n'en privât ensuite ses héritiers: car s'étant retiré à Sainte-Geneviève pour y consacrer entièrement à la piété les dernières années de sa vie, il jugea à propos de léguer à cette abbaye une foule d'objets précieux qui ornoient son palais, et entre autres la collection des pierres gravées. Elle fut rachetée par son successeur, moyennant une somme considérable.
La nomenclature de cette collection et sa description passe les bornes que nous nous sommes imposées dans cet ouvrage. Elle a été faite par MM. de La Chaux, garde de ce cabinet, et Le Blond, de l'académie des inscriptions et belles-lettres, en deux volumes in-folio, ornés de gravures, que les curieux peuvent consulter.
BIBLIOTHÈQUE.
Elle étoit peu considérable, parce que le duc d'Orléans, père du dernier, avoit légué tous ses livres aux jacobins de la rue Saint-Jacques. Cependant on avoit fait depuis l'acquisition d'une nouvelle bibliothèque, dans laquelle se trouvoit une collection complète et peut-être unique des théâtres de toutes les nations depuis leur origine jusqu'à nos jours. Cette collection, qui avoit appartenu à M. de Pont-de-Vesle, frère de M. d'Argental, étoit, dit-on, composée de treize mille volumes imprimés, et de plus de cent portefeuilles manuscrits.
CABINET D'HISTOIRE NATURELLE.
Il étoit surtout riche en échantillons de mines auxquels étoient jointes toutes les espèces de matières qui y sont ordinairement agrégées. On y conservoit aussi les différentes productions volcaniques de l'Europe et des Indes. La Collection des corps marins fossiles y étoit immense, et l'on distinguoit, dans la partie lithologique, une suite rare des granites de France, etc.
GALERIE DES HOMMES ILLUSTRES.
Cette galerie, qui, comme nous l'avons dit, fut détruite en 1727, mérite d'être connue, non-seulement à cause de la célébrité dont elle a joui, mais encore parce qu'elle rappelle un assez grand nombre de noms chers à la France. Ce monument, élevé à leur mémoire, étoit très-digne d'un ministre qui en avoit conçu la pensée; et peut-être eût-il été à souhaiter que, dans cette France si féconde en grands hommes, de tels honneurs eussent été rendus plus souvent à la vaillance et à la vertu. On y eût appris sans doute à ne pas préférer les héros de Rome et de la Grèce à ceux de son propre pays.
Les portraits qui composoient cette galerie, les bustes et les tableaux qui les accompagnoient, furent depuis transportés dans les galeries nouvelles élevées par les ducs d'Orléans, et s'y voyoient dans l'ordre suivant:
Suger, abbé de Saint-Denis, ministre, mort en 1152, âgé de soixante-dix ans.
Simon, comte de Montfort, le fléau des Albigeois, tué au siége de Toulouse, en 1218.
Gaucher, seigneur de Châtillon, connétable de France sous six rois, mort en 1329; par Vouet.
Bertrand du Guesclin, connétable de France en 1370, et mort au siége de Château-neuf-Randon en Gévaudan, le 13 juillet 1380, âgé de soixante-six ans. Henri II, Charles IX (bustes).
Olivier de Clisson, connétable de France en 1380, mort en 1407.
Jean Le Meingre, dit Boucicaut, maréchal de France en 1391, mort prisonnier en Angleterre l'an 1421.
Jean, bâtard d'Orléans, comte de Dunois, et lieutenant-général du royaume sous Charles VII, mort en 1468, âgé de soixante-sept ans.
Jeanne-d'Arc, dite la Pucelle d'Orléans. Louis XIV (buste).
Georges d'Amboise, cardinal et premier ministre sous Louis XII, mort en 1510; par Vouet.
Louis de La Trimouille, général des armées du roi sous Louis XII et François Ier, tué à la bataille de Pavie, à l'âge de quatre-vingts ans; par Champagne.
Gaston de Foix, duc de Nemours, vice-roi de Milan, et général des armées de Louis XII, tué le jour de Pâques, 11 avril 1512, à la bataille de Ravenne; copié par Champagne, d'après un portrait original peint par Raphaël, et qui appartenoit au duc de Saint-Simon.
Pierre du Terrail, seigneur de Bayard, surnommé le chevalier sans peur et sans reproche, tué à la retraite de Romagnano en 1524. François Ier (buste).
Au-dessus de la porte de la chapelle, le cardinal de Richelieu donnant audience à des moines.
Charles de Cossé, duc de Brissac, maréchal de France, et général des armées des rois Henri II, François II et Charles IX, mort en 1563.
Anne de Montmorency, connétable de France sous François Ier, Henri II, François II et Charles IX, tué à la bataille de Saint-Denis en 1567.
François de Lorraine, duc de Guise, assassiné devant Orléans, par Poltrot, en 1563. Henri III (buste).
Charles, cardinal de Lorraine, archevêque de Reims, frère du précédent, mort en 1574 (buste).
Blaise de Montluc, maréchal de France, mort en 1577.
Armand de Gontaud de Biron, maréchal de France, tué au siége d'Épernai, en 1592.
Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, tué d'un coup de canon le 27 juillet 1675.
François de Bonne, duc de Lesdiguières, maréchal de France en 1608, duc et pair en 1619, connétable en 1622, et mort en 1626.
Henri IV (buste).
Marie de Médicis, reine de France, son épouse, morte à Cologne le 3 juillet 1642.
Armand-Jean Duplessis, cardinal, duc de Richelieu et de Fronsac, pair de France et premier ministre sous Louis XIII, mort à Paris, en 1642.
Louis XIII, mort à Saint-Germain-en-Laye le 14 mai 1643.
Anne d'Autriche, femme de Louis XIII, mère de Louis XIV, et régente du royaume, morte au Louvre, à Paris, le 20 janvier 1666.
Gaston (Jean-Baptiste) de France, duc d'Orléans, frère unique de Louis XIII, mort à Blois le 2 février 1660.
Toutes les peintures de cette galerie ont été dessinées et gravées par Hénice et Vignon, peintres et graveurs ordinaires du Roi.
LA PLACE DU PALAIS-ROYAL
ET
LE CHÂTEAU D'EAU.
Vis-à-vis du Palais-Royal étoit, dans le principe, l'hôtel de Sillery, lequel appartenoit à Noël Brûlart de Sillery, prêtre, commandeur de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et du temple de Saint-Jean de Troyes. Le cardinal de Richelieu s'en rendit propriétaire en 1640[456], pour la somme de 50,000 écus, dans l'intention de le faire abattre, et d'obtenir à ce moyen une place devant son palais, dont cet hôtel n'étoit séparé que par la largeur de la rue[457]; mais ce projet n'étoit point encore entièrement exécuté quand il mourut. La cour étant venue occuper le Palais-Cardinal en 1643, on fit achever cette démolition, et l'on abattit en même temps quelques édifices voisins pour construire des corps-de-garde. Cette place n'étoit point alors aussi grande qu'elle l'est aujourd'hui; et de chétives maisons, d'un aspect désagréable, et placées sans symétrie, étoient la seule perspective qu'eût la demeure du souverain. Les choses demeurèrent cependant en cet état jusqu'en 1719, que le duc d'Orléans, régent, devenu propriétaire du Palais-Royal, fit détruire ces masures, et ensuite élever à leur place le grand corps de bâtiment qu'on nomme Château-d'Eau, lequel fut bâti sur les dessins de Robert de Cotte, premier architecte du roi. Ce monument ne manque point de mérite, et l'intention de l'auteur y est bien marquée. Son architecture se compose d'un corps de bâtiment en bossages rustiques vermiculés, flanqué de deux pavillons de même symétrie, le tout sur vingt toises de face. Au milieu est un avant-corps formé par quatre colonnes d'ordre toscan, qui portent un fronton, dans le tympan duquel sont les armes de France. Au-dessus on a placé deux statues à demi couchées, par Coustou le jeune, dont l'une représente la Seine, et l'autre la nymphe de la fontaine d'Arcueil. C'est effectivement pour servir de réservoir aux eaux de la Seine et d'Arcueil que ce bâtiment a été élevé, mais il fut long-temps sans remplir sa destination; et la belle inscription qu'on lit au-dessus de la niche où est le robinet: Quot et quantos effundit in usus! sembloient offrir, jusqu'à la fin du siècle dernier, un sens épigrammatique. Cependant, depuis quelques années, il coule de l'eau de cette fontaine[458].
HÔPITAL ROYAL
DES QUINZE-VINGTS.
L'hôpital des Quinze-Vingts étoit autrefois situé rue Saint-Honoré, vis-à-vis celle de Richelieu; il fut transféré, en 1780, sur la demande du cardinal de Rohan, alors grand-aumônier, au faubourg Saint-Antoine, dans l'hôtel occupé précédemment par les Mousquetaires noirs.
Personne n'ignore que cette maison fut fondée par saint Louis. Quelques anciens auteurs ont avancé sans preuves, et d'autres ont répété sans examen[459], que ce pieux monarque avoit créé cet établissement pour servir d'asile à trois cents gentilshommes françois, qu'il avoit, dit-on, laissés en otage en Égypte, et que les Sarrasins renvoyèrent en France, après leur avoir fait crever les yeux. Cette opinion, dénuée de tout fondement historique, a été rejetée avec raison par tous les historiens modernes, et Jaillot surtout la réfute victorieusement[460].
«On voit, dit-il, dans les premiers titres qui ont rapport à cette fondation, et dans les bulles qui la concernent, que c'est la Maison des aveugles, la Congrégation, l'Hôpital des pauvres aveugles de Paris: nulle mention de ces trois cents chevaliers, nul indice qu'ils aient donné lieu à cet établissement; le silence des titres et des historiens contemporains détruit même toute idée qu'ils y aient eu la moindre part. Comment d'ailleurs présumer que saint Louis, ce prince judicieux et équitable, qui connoissoit le prix des services et savoit les récompenser, eût borné sa générosité et sa reconnoissance, pour trois cents nobles qu'on suppose avoir perdu la vue pour son service, à leur procurer un simple asile, sans pourvoir à leurs besoins d'une manière convenable à leur naissance? On voit que ces aveugles mendioient dans les rues et dans les églises; qu'on quêtoit pour eux dans les principales villes du royaume, et que, près de quinze ans après leur établissement[461], ils étoient encore si peu rentés, que Louis IX, par ses lettres données à Melun au mois de mars 1269, leur accorda 30 livres de rente pour avoir du potage. Ces faits, prouvés par les monuments les plus authentiques, sont, à ce que je crois, plus que suffisants pour détruire la fable des trois cents chevaliers aveugles, adoptée beaucoup trop légèrement par plusieurs historiens.»
Ces raisons nous semblent sans réplique; et il est plus simple de croire que, dans la fondation de cet établissement, saint Louis eut seulement en vue de réunir dans un asile commun trois cents des plus pauvres aveugles, dont on peut supposer que le nombre étoit considérablement augmenté en France depuis que nos rois avoient pris part aux expéditions pieuses d'Égypte et de la Palestine[462]. L'infortune de ces hommes, parmi lesquels plusieurs avoient été sans doute ses compagnons d'armes, devoit émouvoir vivement la compassion de ce grand monarque, si sensible d'ailleurs à toutes les infortunes de ses sujets. Il conçut donc le projet de fonder cet hôpital, et acheta à cet effet, dans la censive de l'évêché, une partie du terrain sur lequel il le fit construire. Le premier titre de cette fondation n'a pu être retrouvé; mais ceux qui la concernent et qui nous restent ne permettent pas de douter que le projet de saint Louis n'ait eu son entière exécution avant 1260. On voit qu'en cette année le roi assigna 15 livres de rente, sur la prévôté de Paris, à Jean Le Breton, qu'il avoit établi chapelain dans cette maison; et que le pape Alexandre IV accorda également, en 1260, des indulgences à ceux qui visiteroient l'église de cet hôpital, bâtie sous l'invocation de saint Remi[463].
Cet établissement, si médiocrement doté dans son origine, fut néanmoins un grand bienfait pour ces infortunés, qui, avant le règne de saint Louis, formoient bien, à la vérité, une espèce de société ou congrégation, mais dont les membres vivoient en particulier des foibles ressources que leur procuroit la charité des fidèles. Il en résultoit que les secours leur manquoient presque totalement, lorsque l'âge ou les infirmités ne leur permettoient plus de les aller chercher.
Saint Louis voulut que son grand-aumônier eût la direction générale du temporel comme du spirituel de cette maison. C'étoit ce grand dignitaire qui nommoit à toutes les places vacantes, et les prêtres qui desservoient l'église étoient soumis à sa seule juridiction; juridiction qui lui fut souvent contestée par l'évêque de Paris, à qui elle sembloit devoir appartenir. Mais celui-ci en fut définitivement privé par une bulle du pape Jean XXIII, du 10 novembre 1412, laquelle confirma les droits du grand-aumônier, lui soumettant entièrement cet hôpital, quant au spirituel, et s'il n'étoit pas prêtre, au premier chapelain du roi; réglement qui s'est toujours observé depuis, jusqu'au moment de la révolution.
L'hôpital et l'église avoient été bâtis par Eudes de Montreuil, et n'offroient rien de remarquable dans leur construction. Mais diverses donations faites, à différentes époques, à cette congrégation, lui avoient fourni les moyens d'acquérir successivement une grande partie des terrains dont son enclos étoit environné. L'économie qui régnoit dans son administration permit ensuite d'élever sur ces terrains des bâtiments immenses, dont le revenu assez considérable étoit d'autant plus sûr, que ces maisons étoient habitées par des marchands et des ouvriers qui vendoient et travailloient sous le privilége de la franchise, dont cette maison jouissoit depuis son premier établissement[464].
Le nombre des aveugles étoit si considérable à Paris dans le quatorzième siècle, qu'il devint impossible de les admettre tous dans cet hôpital; les aveugles exclus formoient d'autres congrégations, dont plusieurs même avoient une origine plus ancienne que celle-ci. Pour éviter la confusion qui pouvoit en résulter, Philippe-le-Bel fit, en 1309, un réglement, par lequel il fut ordonné que les Quinze-Vingts fondés par saint Louis porteroient une fleur de lis sur leur habit.
Cet hôpital, dès le commencement de son institution, se divisoit en aveugles et en voyants qui les conduisoient. L'église avoit été érigée en paroisse pour tous ceux qui habitoient son enceinte; et le service divin y étoit fait par plusieurs ecclésiastiques, dont les uns chantoient l'office et les autres alloient quêter dans toutes les paroisses de la ville[465]. Dans les réglements concernant la police et la conduite de cette congrégation, les frères et sœurs étoient soumis à des pratiques religieuses qui entretenoient parmi eux l'ordre et la piété; et tous les dimanches on tenoit un chapitre où les frères avoient le droit d'assister et de prendre part aux délibérations.
On a vu par les vers de Rutebœuf qu'il y avoit, lors de la fondation, trois cents aveugles dans l'hôpital des Quinze-Vingts. Par les statuts qu'on dressa peu de temps après, le nombre en fut diminué. On décida qu'il n'y auroit que cent quarante frères aveugles, soixante frères voyants, chargés de les conduire et de diriger les affaires de la maison, enfin, quatre-vingt-dix-huit femmes tant aveugles que voyantes, ce qui, avec le maître et le portier, complétoit le nombre de trois cents. Ces trois cents personnes devoient être régnicoles, ou du moins avoir obtenu des lettres de naturalisation. Le grand-aumônier nommoit à ces places.
Les frères et sœurs pouvoient contracter entre eux des mariages; mais on y mettoit la condition qu'ils seroient faits entre aveugle et voyant. On n'y souffroit point d'alliance entre deux aveugles, ni entre deux personnes voyantes. Le maître seul et le portier étoient exempts de cette loi. Pour faire ces mariages, il falloit en demander la permission au chapitre, qui pouvoit la refuser. Si un frère vouloit épouser une personne du dehors, il étoit nécessaire qu'il obtînt le consentement du grand-aumônier. Ceux qui se marioient sans ces permissions étoient renvoyés.
On avoit réglé avec beaucoup de sagesse et d'équité tout ce qui étoit relatif à la succession de ceux qui laissoient des héritiers par survivance ou autrement. Quant aux membres de la congrégation qui n'étoient point mariés, leur succession appartenoit entièrement à l'hôpital; et ce profit casuel servoit en partie à acquitter les charges de la maison, qui étoient très-considérables: car on distribuoit régulièrement aux frères et sœurs du pain et de l'argent.
Outre ces distributions, les plus anciens jouissoient des maisons du cloître, qu'ils louoient à des particuliers, sans autre charge que de les entretenir de menues réparations; les autres alloient quêter dans les églises, permission qu'ils avoient obtenue de Louis XIV, par une ordonnance de l'année 1656.
Enfin, cet hôpital étoit si singulièrement favorisé, qu'il y avoit, dans son église, une confrérie royale sous le titre de la Sainte-Vierge, Saint-Sébastien et Saint-Roch. Elle avoit été instituée il y a plus de deux cents ans; et en 1720 le roi s'en déclara solennellement le chef et le protecteur. À son exemple, la reine, les princes, les seigneurs, et tout ce qu'il y avoit de plus considérable à la cour et à la ville, se firent inscrire dans cette confrérie.
La seule chose digne d'attention qu'offroit la petite église des Quinze-Vingts étoit une statue de saint Louis placée au-dessus du portail. L'exécution en étoit très-grossière; mais les antiquaires prétendoient, sur la foi d'une tradition que nous n'avons pu retrouver, qu'elle étoit très-ressemblante. Si cela est vrai, il faut regretter la perte de ce monument: car tout ce qui a rapport à ce roi, le modèle des grands et des bons rois, est précieux aux yeux de tout François qui aime son pays. Plusieurs degrés qu'il falloit descendre pour entrer dans cette église prouvoient que le terrain de Paris avoit été fort exhaussé, depuis quelques siècles, dans cette partie de la ville, comme l'état actuel de Notre-Dame, au niveau du Parvis, prouve l'exhaussement de celui de la Cité.
Le chemin ou rue qui se trouvoit au-delà de la porte Saint-Honoré, lorsque la ville étoit renfermée dans l'enceinte de Philippe-Auguste, s'appeloit chaussée Saint-Honoré; mais après la mort du saint roi qui avoit fondé cet hospice, cette rue et le chemin qui la continuoit, prirent insensiblement le nom de grand'rue Saint Louis.
De l'hôpital des Quinze-Vingts dépendoit une chapelle sous le titre de Saint-Nicaise. Elle fut abandonnée vers le milieu du siècle dernier[466].
PLACE DU CARROUSEL.
Cette place est située vis-à-vis le palais des Tuileries. C'étoit, dans le principe, un terrain vague qui s'étendoit depuis les murs jusqu'à ce palais. Il faut se rappeler qu'alors la clôture de la ville se prolongeoit le long de la rue Saint-Nicaise jusqu'à la rivière, et que par conséquent les Tuileries étoient hors de Paris.
Sur cette place vide, on avoit d'abord tracé une enceinte, qui fut destinée, en 1600, à faire un jardin. Au commencement du règne de Louis XIV, ce jardin, qui existoit encore, étoit appelé jardin de Mademoiselle, parce que cette princesse habitoit à cette époque le palais des Tuileries. Le roi ayant ordonné qu'on achevât ce monument, le jardin fut détruit; et ce fut sur son emplacement qu'il donna, les 5 et 6 juin 1662, le spectacle de ce carrousel fameux qui surpassa en magnificence toutes les fêtes publiques qu'on avoit données jusqu'alors. Depuis, cette place, qui contenoit non-seulement l'espace qui lui restoit encore en 1789, mais encore les cours du château et la partie de la rue Saint-Nicaise qui étoit de ce côté[467], retint le nom de place du Carrousel, et le donna ensuite à la rue que formèrent les maisons bâties dans la suite sur l'emplacement des fossés.
Les carrousels, introduits en France sous le règne de Henri IV, et abandonnés depuis celui de Louis XIV, remplaçoient les tournois dangereux de l'ancienne chevalerie, et en étoient une agréable image. On s'y formoit en quadrilles, ou troupes de combattants qui se distinguoient les unes des autres par la forme des habits et la diversité des couleurs, qui souvent même prenoient chacune le nom de quelque peuple fameux. On y voyoit, comme dans les tournois, des hérauts, des pages, des parrains, des juges, etc. Les quadrilles, en entrant dans la carrière, en faisoient d'abord le tour dans un ordre régulier et pour se faire voir aux spectateurs; ensuite commençoient les différentes espèces de combats. Ils consistoient à rompre la lance les uns contre les autres ou contre la quintaine[468]; on couroit la bague; on combattoit à cheval, l'épée à la main; enfin, on faisoit la foule, c'est-à-dire que les combattants se poursuivoient sans interruption dans l'arène et cherchoient à se devancer.
LE PALAIS DES TUILERIES.
Ce palais a été ainsi nommé parce qu'il est situé sur un terrain où l'on avoit anciennement établi des tuileries. Il paroît par plusieurs monuments que la tuile qu'on employoit à Paris ne se faisoit dans le principe qu'au bourg Saint-Germain-des-Prés[469]. Par la suite on éleva des fabriques de ce genre de l'autre côté de la Seine, dans un endroit que les anciens titres désignent sous le nom de la Sablonnière[470]. Il y en avoit déjà trois en 1372; depuis elles s'y multiplièrent considérablement[471].
Au quatorzième siècle, Pierre Desessarts et sa femme occupoient, près des Quinze-Vingts[472], une maison appelée l'hôtel des Tuileries, qu'ils donnèrent à cet hôpital, avec quarante-deux arpents de terres labourables qui dépendoient de cette maison. Long-temps après, et vers le commencement du seizième siècle, Nicolas de Neuville de Villeroy, secrétaire des finances et audiencier de France, possédoit au même endroit, mais plus près de la rivière, une grande maison avec des cours et jardins clos de murs. Il arriva que la duchesse d'Angoulême, mère de François Ier, alors régnant, se trouvant incommodée au palais des Tournelles, et voulant changer d'air et d'habitation, jeta les yeux sur la maison de M. de Neuville, laquelle étoit commode et agréablement située. Elle y recouvra la santé, ce qui engagea le roi à en faire l'acquisition. Le propriétaire reçut en échange le château de Chanteloup, près Arpajon. Le contrat est du 15 février 1518[473].
Six ans après, la duchesse d'Angoulême, alors régente, donna cette maison à Jean Tiercelin, maître-d'hôtel du Dauphin, et à Julie du Trot, en considération de leur mariage, et pour en jouir leur vie durant. Les lettres qui constatent cette donation furent enregistrées à la chambre des comptes, le 23 septembre 1527.
Telles sont les traditions qui nous sont restées sur l'état primitif des lieux occupés maintenant par le château et le jardin des Tuileries.
Charles IX, par son édit du 28 janvier 1564, ayant ordonné la démolition du palais des Tournelles, Catherine de Médicis résolut aussitôt d'en faire bâtir un autre plus vaste et plus magnifique. La maison des Tuileries, dont la position étoit si belle, lui parut propre à ce dessein: elle acheta en conséquence les bâtiments et les terres voisines, et fit commencer en même temps le palais et les jardins. On en jeta les fondements dès le mois de mai de la même année, et l'on environna les jardins d'un mur, à l'extrémité duquel furent commencées les nouvelles fortifications de la ville et construit le bastion dont nous avons déjà parlé[474]. On travailloit avec une grande ardeur à ce palais. Il étoit déjà composé du gros pavillon du milieu, des deux corps-de-logis qui l'accompagnent et des deux pavillons qui viennent immédiatement après, lorsque Catherine, saisie d'une crainte superstitieuse, fit cesser tout à coup les travaux. Un astrologue avoit prédit à cette princesse qu'elle mourroit auprès de Saint-Germain. «Aussitôt, dit Saint-Foix, on la vit fuir avec soin tous les lieux et toutes les églises qui portoient ce nom; elle n'alla plus à Saint-Germain-en-Laye; et même, à cause que son palais des Tuileries se trouvoit sur la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, elle en fit bâtir un autre (l'hôtel de Soissons) près de Saint-Eustache. Les gens infatués de l'astrologie prétendirent que la prédiction avoit été accomplie, lorsqu'on apprit que c'étoit Laurent de Saint-Germain, évêque de Nazareth, qui l'avoit assistée à la mort.»
Philippe Delorme et Jean Bullant, les plus célèbres architectes de leur siècle, avoient été chargés par la reine de la construction du palais des Tuileries. On ne sait pas au juste quelle part eut chacun d'eux dans les premiers travaux de cette grande entreprise. Les changements qui y furent opérés depuis laissent la critique indécise sur ce qui doit appartenir en propre à Bullant. Quant à Philibert Delorme, on reconnoît encore son goût dans plus d'une ordonnance, et on lui fait assez communément l'honneur de la construction primitive de ce palais[475].
Les bâtiments commencés et abandonnés par Catherine de Médicis furent repris et continués sous Henri IV. Ils furent enfin achevés sous le règne de Louis XIII, sur les dessins de Ducerceau, qui ne manqua point, suivant l'usage adopté par la plupart des architectes, de changer l'ordonnance et la décoration de ceux qui l'avoient précédé. On attribue à ce dernier les deux corps de bâtiments d'ordonnance corinthienne ou composite qui suivent les deux pavillons déjà construits sous Catherine, et celle des deux pavillons d'angle qui terminent de chaque côté cette ligne de bâtiments.
Ce court historique suffit déjà pour expliquer cette multiplicité extraordinaire de parties et d'ordonnances diverses, dont se trouve composée, tant sur la face du jardin que sur celle de la cour du Carrousel, la masse totale du palais des Tuileries. On y compte en effet cinq espèces de dispositions et de décorations, cinq sortes de combles différents, et comme cinq pavillons divers réunis l'un à l'autre, sans presque aucun rapport extérieur entre eux de distribution, de style et de conception.
Le goût de ce temps étoit encore de diviser les édifices en pavillons, en tours, en ailes flanquées de massifs plus élevés, et écrasés par d'énormes toitures. Ces toits démesurés avoient été jadis le luxe des châteaux forts et des monuments de la féodalité; et le type s'en est conservé dans tous les palais élevés pendant le siècle qui vit renaître en France la bonne architecture. On le retrouve au Luxembourg, aux Tuileries, et il existoit encore au Louvre, avant les dernières restaurations. Il faut avouer que ce genre de composition offroit une espèce de contradiction avec ce mélange qu'on y faisoit des ordres grecs, et n'étoit guère propre à produire cette belle régularité qu'ils exigent, et qui seule peut en développer toute la beauté. Quel aspect imposant n'eût pas offert la façade des Tuileries sur une ligne de cent soixante-deux toises, si elle eût pu être soumise à l'unité d'une grande conception! Mais les grandes conceptions en architecture sont rares chez les nations modernes, et particulièrement en France. Nous l'avons déjà dit, les plus vastes ouvrages de cet art y ont été ordinairement le résultat d'entreprises avortées, de projets enfantés séparément, et qu'une circonstance heureuse ramène après coup, autant qu'il est possible, à une intention générale. C'est ce qui est arrivé au Louvre et aux Toileries.
Louis XIV, choqué des disparates qu'offroit ce dernier palais, voulut mettre de l'ensemble dans ses parties; et Levau fut chargé de ce raccordement.
Cet architecte commença par supprimer l'escalier bâti par Philibert Delorme, chef-d'œuvre de construction et de disconvenance, lequel occupoit la place du vestibule actuel. Il changea la forme et la disposition du corps élevé du pavillon du milieu, qui, dans le principe, était une coupole circulaire[476]. La restauration ne conserva de l'ancienne ordonnance que le premier ordre à tambour de marbre. Deux ordonnances, l'une corinthienne, l'autre composite, surmontées d'un fronton et d'un attique, remplacèrent la décoration de Delorme, et une sorte de dôme quadrangulaire prit la place de la coupole.
Les restaurateurs des Tuileries (car dans cet ouvrage on associe d'Orbay à Levau) conservèrent en leur entier, du côté du jardin, les deux galeries collatérales du pavillon du milieu avec les terrasses qui les surmontent. Mais ils jugèrent convenable de changer la devanture du corps de bâtiment qui s'élève en retraite des terrasses. Cette partie étoit la moins heureuse de la façade de Delorme. Aux mansardes et aux cartels qui s'y suivoient alternativement, ils substituèrent le rang de croisées et de trumeaux ornés de gaînes que l'on y voit encore aujourd'hui, avec un attique.
Les pavillons qui suivent de chaque côté ces deux galeries, et qui sont à deux ordres de colonnes, ont été conservés en leur entier. On est assez porté à en attribuer l'architecture à J. Bullant, dont le goût étoit en général plus pur que celui de Delorme. On reconnoît en effet dans la disposition du stylobate inférieur, dans la grâce et l'heureuse proportion de l'ordre ionique, des rapports frappants avec l'architecture du château d'Écouen. Ces pavillons ne subirent, dans leur forme, d'autre changement que celui de l'attique actuel substitué aux mansardes; et leur décoration resta aussi la même, à l'exception de la sculpture qui orne le fût des colonnes. Elle fut sans doute imaginée par l'architecte restaurateur; car les dessins de la façade primitive nous font voir ces colonnes lisses dans toute leur hauteur.
Ici commençoient les constructions de Ducerceau; et les deux corps de bâtimens à pilastres corinthiens qui, de chaque côté, suivent immédiatement les pavillons qu'on vient de décrire, sont de son invention. C'est donc lui seul que l'on doit accuser de la dissonance qui frappe dans cette association d'un ordre colossal placé à côté de deux ordres délicats et légers. Ici, le passage devient brusque; les lignes principales manquent de rapports harmonieux; et les restaurateurs n'auroient pu réparer ce défaut que par une reconstruction totale. Il paroît que ce moyen extrême leur fut interdit. Ils se contentèrent donc de supprimer des lanternes d'escaliers pratiquées en dehors de ces façades, à la manière des édifices gothiques. Ils en conservèrent l'ordonnance, y supprimèrent des ressauts dans l'entablement des frontons qui anticipoient sur la frise, et les mansardes du comble.
Les deux grands pavillons d'angle furent à peine touchés dans cette restauration. Il paroît qu'on se contenta d'en élaguer quelques légers détails.
Il reste donc dans cette façade beaucoup de disparates, tant dans l'ensemble que dans les diverses parties; et les auteurs de la restauration furent jugés avec beaucoup de sévérité pour ne les avoir pas fait disparoître: mais les architectes peuvent-ils être responsables de toutes les conditions qu'on leur impose, de toutes les sujétions auxquelles on les soumet? Or il paroît que la condition exigée par-dessus tout de Levau et de d'Orbay avoit été de conserver le plus possible des anciennes constructions et de leurs ordonnances.
Les moyens qui leur étoient confiés se trouvant ainsi limités, il seroit injuste d'apporter, dans l'examen de leurs travaux, la censure absolue qu'on pourroit exercer sur des architectes maîtres de leurs plans et entièrement libres dans l'exécution. On voit qu'ils visèrent d'abord à ramener, autant qu'il étoit possible, toutes les masses discordantes de ces bâtiments à une ligne d'entablement à peu près uniforme, moyen assez efficace de redonner une apparence d'unité à des parties détachées et incohérentes. Ils y parvinrent encore en assujettissant les croisées et les trumeaux, les pleins et les vides de toute la façade, à une disposition régulière.
Dans toute cette restauration, la partie du milieu est sans contredit la plus heureuse. Il y règne un accord de lignes bien entendu; et la variété des masses, des retraites et des saillies qu'on y remarque, semble moins être l'effet d'un raccordement fait après coup que du plan original d'un seul architecte[477].
Ce que nous venons de dire de la façade du côté du jardin s'applique au caractère et au style de la façade de la cour, dont toutes les parties, à quelques différences près, sont correspondantes à celles de la première. Le pavillon du milieu, considéré des deux côtés, est le morceau le plus riche de toutes ces constructions. Ce qu'on y a laissé subsister de Philibert Delorme, c'est-à-dire l'ordonnance des colonnes à bandes de marbre, seroit ce qu'il est possible de faire de plus riche en architecture, si le goût pouvoit, dans cet art, admettre les superfluités au nombre des richesses. Pour que ce luxe fût partout le même, on a employé dans les ordonnances supérieures des colonnes de marbre; genre de magnificence qu'il est rare de rencontrer en France sur les parties extérieures des monuments[478].
La décoration intérieure et les divisions des appartements de ce palais avoient éprouvé peu de changements depuis Louis XIV. Presque toutes les peintures de plafond et d'ornement exécutées par les peintres de son temps, y existoient encore en 1789. Nous allons en donner la description, en évitant toutefois les détails fastidieux où sont tombés divers historiens: car nous l'avons déjà dit, nous regardons cette partie comme la moins intéressante de notre travail, lorsqu'il n'est question que d'ouvrages qui ne s'élèvent pas au-dessus de la médiocrité; et malheureusement le plus grand nombre des productions des arts faites en France pour la décoration des monuments publics, doit être rangé dans cette classe.
DISTRIBUTION INTÉRIEURE ET CURIOSITÉS DU PALAIS DES TUILERIES.
On entroit alors, comme aujourd'hui, dans les appartements de ce château par un grand vestibule pratiqué dans le pavillon du milieu, et dont le plafond, un peu bas, est soutenu d'arcades formées par des colonnes ioniques. À droite de ce vestibule est placé un grand et bel escalier, dont la rampe de pierre étoit enrichie de lyres entrelacées de serpents et autres ornements allégoriques à la devise de Louis XIV et aux armes de Colbert, qui en ordonna la construction. Au premier palier se trouvoit la porte de la chapelle. Cette chapelle étoit extrêmement simple, n'ayant point été achevée, et n'offroit de remarquable que quelques bons tableaux: un Christ de Le Brun, un saint François du Guide, un saint Jean-Baptiste d'Annibal Carrache, deux tableaux de Lanfranc, la nativité et le couronnement de la Vierge; enfin une copie de la nativité du Corrége. Derrière l'autel étoit la sacristie; au-dessus, la tribune des musiciens; en face, celle du roi.
Au palier de la chapelle, l'escalier, partagé en deux parties, conduisoit du côté opposé à la salle dite alors des Cent-Suisses, et de là aux appartements disposés en enfilade.
La salle des Cent-Suisses, située au-dessus du vestibule, occupoit toute la hauteur du pavillon, et a servi long-temps pour le concert spirituel.
On entroit ensuite dans la salle des gardes, décorée de peintures par Nicolas Loir. Il y avoit représenté Diane surprenant Endymion, des trophées d'armes et des bas-reliefs en grisaille, en bronze, en or; le plafond offroit un ciel ouvert, et une allégorie relative aux récompenses destinées par le prince aux gens de guerre. Cette pièce occupoit de chaque côté l'espace de six croisées.
L'antichambre du roi, qui la suivoit, avoit été peinte en grande partie par le même artiste. Il l'avoit également remplie de sujets mythologiques et allégoriques. On y voyoit le soleil sur son char, accompagné des Heures; les Saisons, la Renommée, l'Aurore amoureuse de Céphale; la métamorphose de Clitie; la statue de Memnon animée par le Soleil; Apollon se délassant de ses travaux chez Thétis; les quatre parties du jour, etc. Un grand tableau placé sur la cheminée, et peint par Mignard, représentoit Louis XIV à cheval, couronné par Minerve.
La grande chambre du roi offroit des ornements en stuc sculptés par Lerambert, et des figures de Girardon. Le plafond, représentant la Religion et des trophées symboliques, tels que l'Oriflamme, la sainte ampoule, l'épée, le casque, les fleurs de lis, étoit de Bertholet Flaméel. Les grotesques et les lambris avoient été peints par les deux Lemoine.
De cette pièce on entroit dans le grand cabinet, dont le plafond, richement sculpté et doré, étoit orné de figures en stuc, mais sans peintures; les chambranles et les lambris étoient également chargés d'ornements. C'est dans ce cabinet que fut tenu le conseil de régence pendant la minorité de Louis XV.
Sur la droite de cette pièce, on trouvoit la chambre à coucher du roi et son cabinet, enrichis, sur les plafonds et les lambris, de peintures par Noël Coypel. Ces peintures représentoient divers sujets de la fable. Sur les lambris, Francisque Millet, excellent paysagiste flamand, avoit aussi exécuté plusieurs sujets.
On revenoit ensuite dans le cabinet du roi, pour entrer dans la galerie des Ambassadeurs. Le plafond de cette pièce, distribué en plusieurs compartiments, représentoit l'histoire de Psyché, copiée d'après la galerie Farnèse d'Annibal Carrache, par Pierre Mignard et plusieurs autres peintres habiles.
Cette pièce, ainsi nommée parce que Louis XIV y donnoit ses audiences publiques aux ministres étrangers, avoit cent vingt-six pieds de longueur sur vingt-six de largeur. Elle étoit éclairée par six croisées donnant sur la cour. Le trône, placé dans le fond, s'élevoit sur six degrés, qui subsistoient encore en 1789[479].
À l'extrémité de cette galerie, sur la droite, étoit un escalier par lequel on communiquoit à l'appartement qu'avoit occupé la reine Marie-Thérèse d'Autriche.
Cet appartement, dont les vues donnoient sur le jardin, se composoit de six pièces, adossées à la galerie des ambassadeurs: ces diverses pièces étoient richement décorées de sculptures, de dorures, de tableaux, qui cependant n'offroient rien de remarquable sous le rapport de l'art. C'étoit ce même appartement qu'habitoit la malheureuse épouse de Louis XVI.
Les pièces du rez-de-chaussée, situées au-dessous de celles que nous venons de décrire, formoient l'appartement de Louis XIV. Les peintures en étoient de Mignard: ce peintre, faisant allusion à la devise de ce prince, laquelle représentoit un soleil, y avoit tracé toutes les aventures mythologiques du dieu de la lumière; Francisque Millet l'avoit secondé dans cette flatterie ingénieuse, en peignant sur les dessus de porte le lever et le coucher du soleil.
Dans un autre appartement, qui étoit de plain-pied avec celui-ci, on voyoit des peintures de Philippe de Champagne et de Jean-Baptiste de Champagne son neveu. Ils y avoient représenté toute l'éducation d'Achille[480].
De l'autre côté de ce palais, et derrière la chapelle, étoit le grand théâtre appelé la salle des machines. Elle fut construite par ordre de Louis XIV, sur les dessins et sous la direction de Vigarani, gentilhomme italien. Cette salle, qui avoit cinquante et un pieds de largeur dans œuvre, non compris les corridors, sur cinquante-cinq de hauteur sous plafond, étoit distribuée en trois rangs de loges, et pouvoit contenir environ six mille spectateurs. Sa décoration consistoit en deux ordres, corinthien et composite, posés l'un sur l'autre, à bases et à chapiteaux dorés, et d'une belle exécution; le plafond, plus magnifique encore, étoit en compartiments composés de membres d'architecture, ornés de bas-reliefs sculptés et entremêlés de sujets coloriés peints par Noël Coypel, sur les dessins de Le Brun. Toute cette ordonnance, dont la richesse étoit poussée peut-être jusqu'à la prodigalité, dut présenter, dans son origine, le coup d'œil le plus éblouissant. Toutefois, cette salle, si vaste et si magnifique, offroit dans son immensité même des inconvénients qui contribuèrent à la faire abandonner, lorsque le temps lui eut ôté cet éclat qui d'abord avoit séduit les yeux: la voix des acteurs s'y perdoit, et pouvoit à peine s'y faire entendre. On cessa donc d'y jouer des pièces de théâtre; et ce fut alors que le chevalier Servandoni, peintre, architecte, décorateur, et supérieur dans toutes ces parties de l'art, obtint de Louis XV la permission d'y faire représenter des spectacles de simples décorations, qu'il avoit imaginés pour former des élèves en ce genre. On n'a point encore perdu la mémoire de l'effet que produisirent ces tableaux vraiment merveilleux, où la mécanique et la peinture sembloient réaliser tous les prestiges de la féerie.
Lors du premier incendie qui consuma, en 1763, la salle de l'Opéra, le roi permit à l'Académie de musique de disposer de la salle des machines. L'emplacement seul du théâtre[481] suffit alors pour former une salle provisoire dans laquelle on joua l'opéra pendant près de six années; en 1770, lorsque l'Académie de musique la quitta, les comédiens François obtinrent la permission de s'y installer, et y donnèrent des représentations jusqu'en 1783, époque de l'ouverture de leur nouvelle salle au faubourg Saint-Germain.
Cette salle des machines, toujours réduite à la seule étendue du théâtre, a depuis servi au concert spirituel établi en 1725. Avant cette époque, il se donnoit, comme nous l'avons dit, dans la salle des Cent-Suisses[482].
La chapelle et la salle des machines occupoient tous les pavillons et corps-de-logis depuis le dôme jusqu'au pavillon d'angle qui, de ce côté, termine le palais. Ce pavillon servoit de logement au grand écuyer, avant qu'on lui eût fait bâtir un hôtel à peu de distance des Tuileries. On y voyoit attachées les premières constructions d'une galerie qui devoit être parallèle à celle qui règne du côté de la rivière[483], et dans les mêmes proportions.
La grande écurie étoit aussi de ce côté, entre le pavillon où logeoit le grand écuyer, et la rue Saint-Honoré: c'étoit un vieux bâtiment qui n'avoit rien de remarquable. Au-dessus de la porte principale on voyoit une figure de cheval, très-mutilée, de Paul Pons, célèbre sculpteur florentin.
Entre les deux galeries est la grande cour des Tuileries, partagée autrefois en trois divisions, que l'on distinguoit entre elles par les noms de cour Royale, cour des Princes, et cour des Suisses.
Les changements, les augmentations, les embellissements opérés dans ce palais sont à peu près tout ce que son histoire offre d'intéressant. Jusqu'à l'époque de la révolution, il ne fut le théâtre d'aucun événement remarquable.
LA GRANDE GALERIE.
Presque tous les historiens de Paris ont écrit que cette galerie avoit été commencée par ordre de Henri IV, du côté du pavillon d'angle des Tuileries. Étienne du Pérac en fut, disent-ils, le premier architecte, et la conduisit jusqu'au premier guichet; de là elle fut continuée sous Louis XIII par Clément Métezeau jusqu'au Louvre, où elle va se rattacher à la galerie d'Apollon.
Sauval est à peu près le seul qui soit d'un avis contraire; et, par une singularité assez remarquable, cet écrivain, dont les successeurs ont si souvent relevé les erreurs, n'a point été suivi par eux dans une circonstance où il avance une opinion tellement incontestable, qu'il suffit d'ouvrir les yeux pour en reconnoître la vérité. «La galerie des Tuileries, dit-il, est un ouvrage que Henri IV poussa tout le long de la rivière jusqu'au palais des Tuileries[484], qui faisoit partie alors du faubourg Saint-Honoré, afin, par ce moyen, d'être dehors et dedans la ville quand il lui plairoit, et ne pas se voir enfermé dans les murailles où l'honneur et la vie de Henri III avoient presque dépendu du caprice et de la frénésie d'une populace irritée.»
Il suffiroit, nous le répétons, de jeter les yeux sur le genre d'ornements dont la partie de cet édifice qui touche le Louvre est couverte, de considérer avec quelque attention ces frises chargées de sculptures, ces trophées si multipliés et si minutieusement finis, les bossages vermiculés dont les murailles du rez-de-chaussée sont revêtues, enfin les colonnes à bandes que présentent les avant-corps pour reconnoître à tous ces caractères un genre d'architecture qui ne se retrouve que dans les monuments élevés sous Henri IV. Mais cette preuve n'est pas la seule que l'on puisse donner: on sait, et les titres les plus authentiques en font foi, que ce prince, protecteur des lettres et des arts, autant que le permettoit l'époque malheureuse à laquelle il régnoit, avoit destiné les appartements du rez-de-chaussée de cette galerie au logement des artistes les plus distingués de son temps[485]. Or, si l'on considère la construction et la distribution de la galerie, il sera facile de se convaincre qu'on n'a jamais pensé à établir des divisions propres à loger des particuliers ailleurs que dans cette partie qui avoisine le Louvre, et qu'elle est la seule qui soit disposée de manière à remplir le but que Henri IV s'étoit proposé.
Enfin il est une circonstance qui, selon nous, donne à cette opinion un degré d'évidence auquel il est impossible de résister: c'est que toute cette partie, surtout du côté intérieur, offre le chiffre de Henri IV, tellement multiplié, qu'on ne peut assez s'étonner qu'il ait échappé aux regards de tant de gens intéressés à tout examiner avec la plus grande attention; et que, s'ils l'ont aperçu, on s'étonne encore davantage qu'ils se soient obstinés, comme ils l'ont fait, à soutenir le sentiment contraire.
Blondel, qui a fait un traité très-savant sur l'architecture des monuments françois, a partagé cette erreur; et lorsqu'il arrive à la description de l'immense façade de cette galerie, il se plaint qu'on n'ait pas continué, dans toute sa longueur, l'ordonnance de l'aile commencée du côté des Tuileries, plutôt que d'affecter un autre genre d'architecture d'une proportion beaucoup plus petite, et tellement chargée de membres et d'ornements, qu'à peine les aperçoit-on du pied de l'édifice. Il critique d'ailleurs l'avant-corps, évidemment trop petit pour une étendue de bâtiment si considérable, sans compter qu'il se trouve accompagné de chaque côté d'une ordonnance d'architecture disparate: «Partout, dit-il, on voit que chaque architecte a préféré son opinion particulière à l'effet général, d'où il résulte que jamais il n'entre dans l'idée d'un étranger, qui considère l'aspect de cet édifice, qu'il a été élevé pour la même fin, ni que cette façade contienne dans son intérieur une seule et même pièce, et qu'on ait eu pour objet de réunir et de conserver le plain-pied du Louvre, au premier étage, avec celui des Tuileries.»
Examinant ensuite en elle-même l'aile qui s'étend du côté du Louvre, il fait, sur son architecture en général, des critiques extrêmement judicieuses. «Nous trouverons, continue-t-il, un ordre toscan au rez-de-chaussée, qui, considéré séparément, pourroit faire un soubassement convenable, mais qui fait d'autant moins bien ici, que non-seulement il surpasse d'un module[486] la hauteur de l'ordre de dessus, mais encore qu'il est chargé d'une quantité si prodigieuse d'ornements[487], que l'ordre corinthien devient pauvre et chétif. D'ailleurs, ce toscan que nous avons nommé soubassement, parce qu'il est au rez-de-chaussée, n'est-il pas ridiculement surmonté par un étage de proportion attique, dans l'ordonnance duquel on aperçoit un mélange de petites parties inconsidérément alliées avec des largeurs de trumeaux considérables, et le peu de hauteur de cet étage?»
Il observe ensuite que l'entablement d'ordre corinthien qui termine cette façade étant de la même hauteur que celui de l'ordre composite qui règne dans l'autre aile, c'étoit une nouvelle raison de continuer le même genre d'architecture dans toute la longueur de ce bâtiment. Enfin, toujours persuadé que Métezeau est l'auteur de cette dernière partie, il le blâme surtout d'avoir imité les frontons de l'autre aile; imitation d'autant plus monotone, qu'elle sert à faire apercevoir davantage la disparité de ces deux genres d'ordonnance.
Cette décoration de frontons alternativement circulaires et triangulaires, posés sur le devant d'un comble continu, et réitérée par une imitation bizarre sur toutes les croisées et sur toutes les niches de la façade, est sans contredit du plus mauvais goût; mais encore un coup, ce n'est pas sur cette partie que l'imitation a été faite, c'est sur l'autre. Clément Métezeau, qui est réellement l'auteur de cette portion de la galerie qui touche le palais des Tuileries, jugea à propos d'abandonner l'ordonnance des premiers architectes, parce qu'en se rapprochant du pavillon de Flore auquel cette galerie devoit se rattacher, elle eût offert une disparate trop choquante avec l'architecture de ce corps de bâtiment. Il jugea donc convenable, pour mettre ces deux constructions dans un rapport symétrique, d'employer pour la galerie l'ordonnance de pilastres, composites qui décore le pavillon. Ces pilastres sont accouplés, et leurs chapiteaux offrent une assez belle exécution; mais cet ordre, auquel l'architecte a donné trois pieds sept pouces de diamètre, afin qu'il pût répondre au point de distance d'où il doit être aperçu, n'a pas une saillie suffisante pour produire complétement l'effet qu'on en attendoit. Cette saillie, si nécessaire, auroit d'ailleurs augmenté celle de l'entablement, qui, au lieu d'être interrompu au retour dans chaque entre-pilastre, comme on le voit ici, auroit dû être continué d'un accouplement à l'autre. Mais, par une licence qu'on ne peut expliquer, et qu'on doit regarder comme la plus grande faute peut-être qu'il soit possible de commettre en architecture, Métezeau semble avoir pris plaisir à rendre la continuation de cette ligne impossible, en faisant monter les croisées jusqu'au-dessous des corniches. Si l'on ajoute à ces fautes grossières l'imitation des frontons qu'il faut également lui reprocher, de quelque côté qu'il ait commencé à construire, la dissemblance de l'avant-corps qui n'est pas même au milieu de l'aile, la dissonance des portes en plein cintre de cet avant-corps avec les autres ouvertures de cette élévation, il paroîtra plus blâmable encore que du Pérac, dont il étoit si facile d'éviter les défauts, et qui a sur lui l'avantage d'une exécution bien supérieure dans les détails de son architecture[488].
Cette galerie s'attache à un corps de bâtiment qui du côté du nord donne sur la place du Vieux-Louvre, et termine cette longue suite de constructions. Elles viennent ensuite se joindre en retour à la façade méridionale du Louvre, au moyen d'un petit corps-de-logis intermédiaire. C'étoit dans cette partie de ce dernier palais[489] qu'étoient les appartements de la reine, sur lesquels nous nous sommes réservé de donner ici quelques détails.
DISTRIBUTION INTÉRIEURE ET CURIOSITÉS DE L'APPARTEMENT DE LA REINE ET DE LA GALERIE DU LOUVRE.
Les appartements de la reine occupoient le rez-de-chaussée, communiquoient de plain-pied avec la grande salle du Louvre, dite autrefois des Cent-Suisses, et se prolongeoient dans le bâtiment en retour jusqu'à la façade du bord de l'eau.
Le salon des bains, décoré de belles peintures de Diego Velasquez, étoit la première pièce remarquable du côté du Louvre. Ces peintures représentoient une suite de portraits des personnes les plus illustres de la maison d'Autriche, depuis Philippe Ier, père de Charles-Quint, jusqu'à Philippe IV, roi d'Espagne.
Dans les pièces en retour, la première, qui servoit de vestibule, étoit enrichie d'un plafond peint par Francisco Romanelli; on passoit ensuite dans une antichambre décorée de peintures et de figures en stuc; de là, dans la chambre de la reine, où l'on remarquoit des statues de la main de Girardon; enfin dans le cabinet sur l'eau, où l'on retrouvoit encore de très-belles fresques de Romanelli.
Après ce cabinet, on entroit par un dernier salon dans une vaste pièce où étoient conservées autrefois les statues antiques qui depuis ont orné la galerie de Versailles. Elle en avoit retenu le nom de Salle des Antiques.
Au-dessus de cet appartement, dont les distributions intérieures ont été entièrement changées depuis la révolution[490], est la Galerie d'Apollon, ainsi nommée parce que Le Brun[491] a représenté sur son plafond toute l'histoire de ce dieu, et le triomphe de Neptune et Thétis. Ces peintures sont mises au nombre des plus belles qui soient sorties de la main de ce peintre. On cite surtout ce dernier morceau, qui est peint à l'extrémité du plafond, du côté de l'eau. La plupart des sculptures étoient de Girardon. C'étoit dans cette galerie qu'étoient placés les fameux tableaux de Le Brun, connus sous le nom de batailles d'Alexandre[492].
Le salon d'exposition des tableaux[493] et la grande galerie sont de plain-pied avec la galerie d'Apollon. La destination du salon n'a point changé; mais on a réalisé le projet qui avoit déjà été conçu quelques années avant la révolution, de réunir dans la grande galerie tous les chefs-d'œuvres des peintres morts de toutes les écoles, qui formoient le cabinet du roi[494]. Elle servoit auparavant de dépôt à une collection précieuse de plans en relief de toutes les places et forteresses de France, et de ses villes les plus considérables. Ces plans, qui furent transportés aux Invalides vers la fin du dernier siècle, avoient été exécutés par les plus habiles ingénieurs du royaume.
L'immense rez-de-chaussée qui règne sous cette galerie depuis le Louvre jusqu'à l'avant-dernier guichet, contenoit le cabinet des dessins du roi, l'imprimerie royale[495], la monnoie des médailles[496] et plusieurs appartements occupés par les artistes les plus distingués. L'autre aile, jusqu'au palais des Tuileries, formoit une partie des écuries du roi, et dans cet espace se trouvoit le guichet dit de Marigny[497].
Enfin, pour ne rien oublier dans une description dont nous avons supprimé une foule de détails fastidieux, il faut faire connoître quelle étoit la destination de ce corps-de-logis qui lie la galerie au Louvre, et qui fait l'un des côtés de la place du vieux Louvre. On sait déjà que le rez-de-chaussée de ce bâtiment formoit une partie de l'appartement de la reine: les salles du premier étage furent accordées par le roi à l'académie de peinture, et l'on y conservoit un grand nombre de tableaux, statues, bas-reliefs, dessins et gravures des académiciens, depuis l'établissement de cette compagnie. Nous indiquerons, parmi ces productions des arts, quelques-unes des plus remarquables.
TABLEAUX.
Dans la galerie d'Apollon. Sur la porte, Louis XIV à cheval, par Mignard.
Dans les voussures du plafond, le triomphe de Bacchus, par Taraval; l'Été, par Durameau; le Printemps, par Callet; Castor ou l'Étoile du matin, par Restout.
La mort de la Vierge, par le Caravage.
Une descente de croix, par Le Brun.
Un saint Michel et la Nativité, par le même; un portrait en pied de Louis XIV, par Rigaud.
Dans les salles de l'académie de peinture, des Ruines, par Servandoni.
Une descente de croix, par Jouvenet.
La présentation au temple, par Vouet.
Le portrait du pape Benoît XIV, par Subleyras.
Les portraits d'un grand nombre d'académiciens, peints par eux-mêmes.
Plusieurs tableaux de nature morte, etc., par Chardin.
SCULPTURES.
Dans la galerie d'Apollon: les bustes de Carle Maratte et d'André del Sarte. Des plâtres moulés d'après l'antique, des tableaux et sculptures, morceaux de réception de divers académiciens, etc.
Dans les salles de l'Académie, les bustes en marbre de Louis XIV, Louis XV, Mazarin, Louvois; ceux de Villacerf, du président de Lamoignon, du chancelier Séguier, du duc d'Antin; de Mansard, Le Brun, Mignard, Raphaël, Michel-Ange, Piètre de Cortonne, Annibal Carrache, le Bernin, André Sacchi; des copies et plâtres moulés des plus belles statues antiques; les morceaux de réception du plus grand nombre des sculpteurs académiciens, etc.[498]
Avant que la galerie du Louvre fût élevée, les murs de la ville, qui suivoient alors l'alignement de la rue Saint-Nicaise, venoient se terminer au bord de la rivière par une porte qu'on nommoit Porte-Neuve, et qui subsista encore long-temps après que la galerie eut été bâtie[499]. Cette porte, qui ne fut abattue que sous Louis XIII, étoit située un peu au-dessus du premier guichet; et auprès étoit l'hôtel du prévôt. Voici ce qu'on lit dans les mémoires écrits du temps des guerres civiles[500]: «Henri III, dit l'Étoile, voyant le peuple continuer dans sa furie, averti d'ailleurs que les prédicateurs qui marchoient en tête, et ne tenoient d'autre langage, sinon qu'il falloit aller prendre frère Henri de Valois dans son Louvre, avoient fait armer sept à huit cents écoliers et trois ou quatre cents moines; et ceux, qui étoient auprès de ce prince ayant, sur les cinq heures du soir, reçu avis par un de ses bons serviteurs, qui, déguisé, se coula dans le Louvre, qu'il eût à en sortir plutôt tout seul, sinon qu'il étoit perdu, sortit du Louvre à pied, tenant une baguette à la main, suivant sa coutume, comme s'allant promener aux Tuileries. Il n'étoit pas encore sorti la porte (la porte Neuve) qu'un bourgeois l'avertit en diligence que le duc de Guise, avec douze cents hommes, l'alloit venir prendre. Étant arrivé aux Tuileries, où étoit son écurie, il monta à cheval avec ceux de sa suite qui eurent moyen d'y monter; Duhalde le botta, et lui mettant son éperon à l'envers: «C'est tout un, dit ce prince, je ne vais pas voir ma maîtresse. Étant à cheval, il se tourna vers la ville, et jura de n'y rentrer que par la brèche.»
«Entre les cinq et six heures du soir, dit Cayet[501], Henri III sortit de Paris par la porte Neuve; ceux qui étoient avec lui le suivirent, aucuns desquels étoient bien étonnés: car tel conseiller d'état l'étoit allé trouver au Louvre avec sa robe longue, qui, sans bottes, montoit pour le suivre sur le premier cheval de l'écurie; et ainsi que ce prince sortoit par la porte Neuve, quarante arquebusiers qu'on avoit mis à la porte de Nesle[502] tirèrent vivement sur lui et sur ceux de sa suite.»
LE JARDIN DES TUILERIES.
L'art des jardins fut dans une continuelle enfance parmi nous jusqu'au règne de Louis XIV. Dans la description que nous avons déjà donnée de quelques-uns des enclos que nos rois avoient dans la ville ou dans ses environs, on a pu voir que tout y étoit sacrifié à une culture utile et grossière, sans qu'on eût jamais songé à profiter des richesses qu'offre la nature pour y répandre de la grâce et de la majesté. Cette culture même, dans laquelle on n'avoit d'autre but que de se procurer des fruits et des légumes, n'avoit fait presque aucun progrès pendant une si longue suite de siècles; et la même époque qui porta en France l'art des jardins à un degré de grandeur et de magnificence qui depuis n'a point été surpassé, apprit en même temps aux cultivateurs les moyens ingénieux par lesquels on peut augmenter la saveur et la beauté de ces précieux végétaux. Deux hommes firent chez nous cette grande révolution, La Quintinie et Le Nôtre. Le premier, s'attachant principalement à ce que le jardinage a d'utile, donna sur la taille et la transplantation des arbres, sur la culture des fruits et des légumes, des préceptes fondés sur l'observation, et qui seront éternellement les règles fondamentales de cet art. Le Nôtre, doué d'un génie plus élevé et d'un goût exquis, s'occupa des jardins sous le rapport de la décoration; et l'on vit éclore sous sa main, comme par enchantement, mille compositions admirables qui transformèrent en lieux de délices une foule de sites champêtres, jusque là tristes et négligés; qui jetèrent surtout un grand éclat sur les maisons royales, en joignant à la magnificence des arts dont elles étoient décorées les beautés de la nature encore plus nobles et plus majestueuses.
Le jardin des Tuileries, qui passe pour le chef-d'œuvre de cet homme célèbre, étoit, dans son origine, mal distribué, dépourvu de tout agrément, et beaucoup moins étendu qu'il ne l'est aujourd'hui. Il ne tenoit pas même alors au château, dont il étoit séparé par une rue qui, régnant le long de la façade, aboutissoit presqu'à la porte d'entrée actuelle, près le pont Royal. À son autre extrémité s'étendoit une place vague depuis les murs de la ville[503] jusqu'à ceux du jardin. Ainsi resserré, cet espace contenoit cependant un étang, un bois, une volière, une orangerie, des allées, des parterres, un théâtre et un labyrinthe. La volière consistoit en plusieurs bâtiments, et étoit située vers le milieu du quai actuel des Tuileries[504]. On trouvoit l'Écho au bout de la grande allée, c'est-à-dire au bout du jardin. La muraille qui l'entouroit avoit deux toises de hauteur, et vingt-quatre pieds de diamètre. Sa forme étoit celle d'un demi-cercle, et elle étoit cachée par des palissades. À peu de distance de cet écho, du côté de la porte Saint-Honoré, on avoit placé l'orangerie; et auprès s'élevoit une espèce de ménagerie où étoient renfermées des bêtes féroces. Un grand terrain ménagé dans le bastion qui tenoit à la porte de la Conférence servoit de garenne, et à l'extrémité de ce terrain, entre la porte et la volière, étoit un chenil que le roi donna à Renard[505], par brevet du 20 avril 1630, sous plusieurs conditions, dont la principale étoit qu'il défricheroit ce terrain, et qu'il le rempliroit de plantes et de fleurs rares. Telle étoit la composition du jardin des Tuileries avant Le Nôtre. Il servoit déjà de promenade publique; mais quoique Sauval vante beaucoup l'heureuse disposition du labyrinthe, signalé, dit-il, par les prouesses des amants, et qu'il s'extasie sur les merveilles de l'écho où ils se rendoient pour donner des concerts à leurs belles, cette description que nous en ont laissée les historiens du temps ne présente rien à l'imagination qui ne soit incohérent et désagréable.
Les deux projets d'achever le palais des Tuileries et d'en embellir le jardin furent conçus et exécutés en même temps. Le mur et les édifices qui en faisoient la séparation furent abattus; on démolit également un hôtel qu'occupoit mademoiselle de Guise, la volière et toutes les maisons qui s'étendoient du côté de la rivière jusqu'à la porte de la Conférence. Le jardin de Renard fut enfermé dans le nouvel enclos; et sur ce terrain ainsi disposé, qui contenoit alors soixante-sept arpents, Le Nôtre commença l'exécution du plan magnifique dont il avoit déjà tracé le dessin.
Ce jardin, planté régulièrement, est entouré de terrasses qui en marquent les limites sur trois de ses côtés, mais dont la disposition est telle qu'elles laissent à l'extrémité occidentale une ouverture en fer à cheval, au moyen de laquelle la vue s'étend sur la grande allée des Champs-Élysées jusqu'à la barrière de Chaillot. Le terrain de ce jardin, considéré dans sa largeur, qui est de cent quarante-sept toises, a une pente de cinq pieds quatre pouces; une telle inégalité[506], qui sembloit offrir un obstacle insurmontable à la symétrie du plan, fut masquée avec un art admirable par un talus imperceptible, et au moyen de deux terrasses latérales, qui non-seulement, contribuèrent à détruire cette irrégularité, mais ajoutèrent encore à l'élégance de cette grande composition.
Considérant ensuite la vaste étendue de la façade des Tuileries, Le Nôtre sentit qu'une aussi longue ligne de bâtiments avoit besoin d'une esplanade qui lui fût proportionnée et qui en développât complètement toutes les parties. Il conçut donc l'heureuse idée de ne commencer le couvert de ce jardin qu'à quatre-vingt-deux toises de la façade; et cette distance semble dans une proportion si parfaite avec le palais, qu'on n'imagine, dans tout cet espace, aucun autre point où cette masse d'arbres ne fût placée moins favorablement. Tout le sol de la partie découverte fut enrichi de parterres à compartiments, entremêlés de massifs de gazon, et dont les dessins nobles et élégants ont été conservés jusqu'à nos jours.
Ces parterres sont disposés de manière qu'on a pu y placer trois bassins circulaires, qui présentent une agréable variété. Au pied du palais est pratiquée une quatrième terrasse servant d'empatement[507] à l'édifice, et qui, avec les trois autres, paroît contenir le jardin entier dans une espèce de boulingrin.
En face des parterres, et dans l'alignement du milieu du grand avant-corps, est plantée une grande allée de marronniers, de cent-quarante toises de longueur, qui dans le principe n'avoit que quarante-huit pieds de largeur. Les contre-allées en avoient chacune trente-trois. Aux deux côtés de ces dernières étoient distribuées différentes pièces de verdure, telles que des boulingrins entourés d'arbres de haute tige, des bois plantés et disposés régulièrement, des bosquets, etc. Ces dispositions intérieures ont depuis éprouvé divers changements, et ne ressemblent plus à celles qui furent exécutées par Le Nôtre[508]; mais la masse entière du couvert est restée toujours la même, et conserve l'aspect majestueux, les belles proportions que lui a donnés ce grand décorateur. Admirable du côté des Tuileries, ce bois offre peut-être un coup d'œil encore plus ravissant dans la partie opposée. Le jardin s'y termine également par une grande partie découverte, au milieu de laquelle est placé un bassin de trente toises de diamètre, dont la forme octogone se trouvoit en un rapport symétrique avec les charmilles[509] et les parterres qui l'environnoient. En considérant du haut du fer à cheval l'ensemble de toutes ces parties, il règne une telle variété dans le dessin, dans la disposition des plans et des niveaux, dans l'architecture des terrasses, des palissades, etc.; le palais des Tuileries d'un côté, et la verdure des Champs-Élysées, de l'autre, y présentent des perspectives si agréables, qu'il est difficile que l'art et la nature réunis puissent jamais produire des effets plus riches et plus imposants[510].
La terrasse qui règne du côté de la rue Saint-Honoré étant beaucoup plus basse que celle du bord de l'eau, on avoit imaginé de former dans l'espace qui est au-dessous, et qui la sépare du couvert, de grands tapis de verdure entourés de plates-bandes de fleurs. Cette agréable variété ne nuisoit en rien à la symétrie, parce que la largeur du jardin est si considérable, que les petites parties dissemblables n'y peuvent être embrassées du même coup d'œil. Ces plates-bandes furent détruites en 1793, et la convention nationale décréta gravement qu'on y sèmeroit des pommes de terre pour la nourriture du peuple. Depuis elles n'ont point été rétablies.
Au milieu de tant de beautés, la critique la plus sévère ne trouvoit qu'un seul défaut extrêmement léger. La grande allée paroissoit trop étroite: on auroit désiré que les deux contre-allées y eussent été réunies, et qu'au lieu d'en faire une allée couverte, on l'eût taillée en palissade. Ouverte de cette manière, elle devoit offrir une percée plus étendue, et mettre le palais dans un rapport plus intime avec tous les monuments dont il est environné[511].
Au milieu du fer à cheval qui termine ce jardin, du côté des Champs-Élysées, on construisit en 1716 un pont tournant[512] d'un dessin très-ingénieux, et qui établissoit une communication directe des Tuileries avec la nouvelle place Louis XV. Ce pont étoit de l'invention de frère Nicolas Bourgeois, augustin, mécanicien habile, connu par plusieurs ouvrages remarquables, et principalement par le pont de bateaux de Rouen.
On entroit dans ce jardin par six portes que l'on a conservées au milieu des changements considérables qui se sont faits dans le terrain environnant[513]. Entre la rue Saint-Honoré et la terrasse du nord, dite des Feuillants, étoient deux manéges qui furent construits lorsque Louis XV, encore enfant, vint habiter le château des Tuileries[514].
Le bas peuple n'entroit autrefois dans ce jardin que le jour de la Saint-Louis.