Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 3/8)
Les événements politiques sont tellement enchaînés les uns aux autres pendant le cours du malheureux règne dont nous venons de tracer le tableau, qu'il n'a pas été possible d'y placer les événements moins importants qui se passèrent, à la même époque, dans Paris. Il n'y fut construit qu'un seul monument public, le pont Notre-Dame; et l'on n'y voit d'autre fondation que celle de trois colléges[104].
Sous ce règne l'Université se mêla moins des affaires de l'État qu'auparavant, parce que ceux qui gouvernoient parurent moins disposés à le souffrir; mais on la voit, soutenant toujours ses priviléges avec la même ardeur, fermer ses classes sur le moindre déni de justice, jeter ainsi l'alarme dans tous les esprits, et obtenir, par ce moyen immanquable, une prompte satisfaction de ses ennemis. Elle força Charles de Savoisi, dont les gens avoient insulté et maltraité ses suppôts, à une réparation flétrissante pour ce seigneur, qui étoit chambellan du roi, et jouissoit à la cour de la plus haute considération. Elle osa braver le conseil du roi même, qui portoit atteinte à ses droits, et le conseil fut obligé de céder. N'eût-il pas mieux valu ne pas l'offenser, puisqu'elle étoit si redoutable, que de compromettre ainsi l'autorité? ou plutôt ne doit-on pas s'étonner qu'une compagnie de gens de lettres ait eu alors une telle influence? Ceci prouve du moins que nos aïeux, que l'on nous présente sans cesse comme si ignorants et si grossiers, faisoient une grande estime, peut-être même une estime exagérée, de la science et des savants, qu'à tort ou à raison ils considéroient comme très-utiles au perfectionnement de la société; et que tous les efforts de ceux qui la gouvernoient tendoient à ce perfectionnement.
Au milieu de la confusion horrible des temps dont nous venons de présenter le tableau, et lorsque l'État sembloit prêt à se dissoudre, une institution remise à propos en vigueur contribua puissamment à le sauver. Ce fut le rétablissement, fait par Charles V, des lois et de l'ancienne discipline de la chevalerie, négligées depuis plusieurs siècles, et même tombées en désuétude. Il dut à ces nobles institutions les succès éclatants qui illustrèrent son règne et qui sauvèrent alors la France. Une sage politique l'avoit porté à les faire refleurir; elles se soutinrent sous son fils Charles VI, par la passion que ce prince eut toute sa vie pour les armes et pour les exercices militaires[105]. Pendant les troubles qui agitèrent son déplorable règne, la chevalerie dégénéra, parce que les chefs de parti, qui avoient besoin d'instruments de leurs fureurs, multiplièrent sans mesure le nombre des chevaliers, et firent entrer dans cet ordre une foule de gens indignes d'y prendre place, tant par la bassesse de leur origine que par leur inexpérience dans la guerre. Elle se releva de nouveau sous Charles VII, conquérant et pacificateur de la France.
Dès Philippe-le-Bel, le duel judiciaire avoit été défendu en matière civile, mais il fut encore autorisé long-temps dans les poursuites criminelles; et, sous le règne de Charles VI, on fit à Paris une triste épreuve de cette coutume barbare. La dame de Carrouge avoit accusé auprès de son mari un gentilhomme nommé Legris d'avoir attenté à son honneur: Legris nia le fait, et, sur la plainte de Carrouge, le parlement déclara qu'il échéoit gage, et ordonna le duel. Legris y fut tué, et, dans la suite, son innocence fut reconnue par le témoignage même de l'auteur du crime, qui le déclara en mourant.
Les fleurs de lis sans nombre dans l'écu de France, avant le règne de Charles V, furent réduites à trois par ce prince, en l'honneur de la Sainte-Trinité, comme cela est prouvé par un passage où Raoul de Presle parlant à Charles lui dit: Si portez les armes de trois fleurs de lis, en signe de la benoîte Trinité, etc.
ORIGINE DU QUARTIER MONTMARTRE.
Ce quartier est ainsi appelé, parce qu'une de ses rues principales conduit à une montagne située au nord de Paris, laquelle porte maintenant le nom de Montmartre, mais dont le nom primitif est incertain. Frédégaire, un de nos plus anciens chroniqueurs, l'appelle mons Mercomire, mons Mercori, mons Cori; Abbon, dans son poëme du siége de Paris, la nomme en différents endroits mons Martis, cacumina Martis. C'est d'après ces deux autorités que quelques-uns de nos historiens l'ont désigné indifféremment sous les noms de mont de Mercure et de mont de Mars; ils ont de même prétendu que les deux églises qu'on y a bâties remplaçoient deux temples consacrés sur cette montagne à ces fausses divinités. On ne peut en effet donner une autre interprétation que celle de mont de Mars aux expressions dont Abbon s'est servi; mais Jaillot remarque que ce même auteur a employé le mot Cori pour exprimer le vent de nord-ouest, et il en conclut qu'il ne seroit pas impossible que Frédégaire ne l'eût entendu qu'en ce sens, en désignant la montagne seulement par sa situation, et que ses copistes, qui ne comprenoient pas ce mot, ne l'eussent rendu par celui de mons Mercori ou mons Mercurii. Dans ce cas le nom primitif de mons Martis ou mont de Mars seroit le seul véritable.
Quoi qu'il en soit de cette difficulté si peu importante à éclaircir, Hilduin, abbé de Saint-Denis, qui écrivoit ses Aréopagitiques vers l'an 834, est le premier qui se soit servi du nom de mont des Martyrs, au lieu de celui de mont de Mercure, que ce lieu portoit alors suivant son témoignage. C'est sur la foi de cet historien que l'on a cru, d'après une tradition qui s'est conservée jusqu'à nous, que saint Denis et ses compagnons avoient été martyrisés sur cette montagne. Toutefois cette tradition a été combattue: on lui a opposé l'auteur de la vie de sainte Geneviève et celui des actes de saint Denis, qui fixent le lieu du martyre de ces saints confesseurs à six milles de Paris, in sexto à Parisiis milliario vitam finierunt. L'un d'eux appelle ce lieu vicus Catoliacencis, et l'on a cru y reconnoître la ville de Saint-Denis. Ceux qui prennent parti pour Hilduin, après avoir prouvé que son témoignage étoit préférable à celui des deux écrivains anonymes cités contre lui, le fortifient encore de celui de l'auteur des gestes de Dagobert, qui, sans désigner le lieu du martyre de saint Denis et de ses compagnons, dit qu'ils furent exécutés à la vue même de la ville, In prospectu ipsius civitatis interemptos. Ils ajoutent à cette circonstance un grand nombre d'autres raisons qui prouvent leur patience et leur sagacité, et rendent leur sentiment beaucoup plus probable que l'autre; cependant leurs preuves ne nous semblent point assez évidentes pour qu'il soit possible de prononcer définitivement sur une question qui d'ailleurs est d'une si petite importance, qu'on peut regretter que de savants hommes aient employé leurs veilles et perdu un temps précieux à faire des recherches aussi frivoles.
Si nous examinons maintenant le quartier qui doit son nom à cette montagne fameuse, nous trouvons que, bien que son extrémité méridionale fût renfermée dans l'enceinte élevée sous Charles V et Charles VI, cependant il n'a réellement commencé à se former que dans les premières années du dix-septième siècle, et lorsque cette enceinte eut été abattue. Jusque là un grand terrain couvert de cultures et de marais remplissoit l'espace qui séparoit les faubourgs Montmartre et Saint-Honoré, dont les grandes rues isolées se prolongeoient à travers la campagne.
À l'époque où Louis XIII fit construire la dernière muraille fortifiée dont Paris ait été entouré, la porte Montmartre, située[106] à peu près entre la rue Neuve-Saint-Eustache et celle dite des Fossés-Montmartre, fut reculée, comme nous l'avons déjà dit, à plus de deux cents toises de sa première position, à l'endroit où est maintenant le boulevart, et où commence la rue du faubourg qui porte le même nom. Dans ce nouvel espace, qui, dans sa largeur, s'étendoit jusqu'à la porte Saint-Honoré, on commença dès lors à percer des rues et à élever de nouveaux édifices.
Ces murailles furent, peu de temps après, démolies par ordre de Louis XIV, et sur la place qu'elles occupoient, on planta la double rangée d'arbres qui forment la promenade appelée aujourd'hui Boulevart. Ces nouveaux ouvrages avoient été poussés, en 1684, jusqu'à la porte Sainte-Anne, et là, la suite en fut interrompue par la rencontre des fossés de la ville, des buttes de terre qui avoient autrefois servi aux fortifications, et de quelques maisons bâties sur les contrescarpes. Cet obstacle, qui dura deux années, fut enfin levé par des lettres-patentes du mois de juillet 1686, lesquelles, confirmant deux arrêts précédents, permirent aux prévôts des marchands et échevins de faire aplanir les buttes, combler les fossés, et de se mettre en possession des maisons et terrains qui se trouvoient dans l'alignement du cours, après en avoir payé la valeur aux propriétaires. Tout l'emplacement des fortifications et les matériaux provenant des démolitions leur furent également accordés, sous la condition que le produit en seroit employé aux embellissements de la ville. L'espace entier qu'entouroit la nouvelle promenade fut bientôt couvert d'édifices.
Ce n'est qu'à la fin du siècle dernier qu'on a vu s'élever, sur la portion de ce quartier située au-delà du boulevart, et qu'on nomme Chaussée-d'Antin, ces belles constructions qui en font une des parties les plus régulières et les plus belles de Paris, et la demeure de ses plus riches habitants.
MONASTÈRE DES CAPUCINES.
Pour ne point mettre de confusion dans la description des monuments de ce quartier, nous sommes forcés de faire ici quelque changement à l'ordre que nous suivons ordinairement. Au lieu de commencer par les édifices qui sont situés dans sa partie orientale, nous transporterons d'abord le lecteur à l'extrémité de la rue Neuve-des-Petits-Champs, pour le ramener, en suivant cette rue, jusqu'à la place des Victoires, d'où nous pourrons ensuite nous avancer, par une marche assez régulière, jusqu'aux extrémités de l'espace que nous avons à parcourir.
C'étoit dans cette partie de la rue Neuve-des-Petits-Champs, et vis-à-vis de la place Vendôme, qu'étoient situés l'église et le monastère des religieuses Capucines, dont les jardins s'étendoient jusqu'aux boulevarts. Elles avoient occupé, dans le principe, un autre couvent à peu de distance de celui-ci; mais quoique nous ayons déjà indiqué[107] à quelle occasion elles le quittèrent pour venir s'établir dans cette nouvelle habitation, il convient cependant de donner ici avec plus de détails l'histoire de la fondation de cet ordre et de l'établissement de ces religieuses.
Elles reconnoissoient pour leur fondatrice Louise de Lorraine, veuve de Henri III. Après la mort funeste de ce prince, la reine s'étoit retirée à Moulins, où des œuvres de piété occupèrent entièrement les dernières années de sa vie: ce fut dans cette retraite qu'elle forma le projet de fonder un couvent de l'ordre des Capucines; mais la mort l'ayant surprise avant qu'elle eût pu l'exécuter, elle en chargea, par son testament[108], Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, son frère, auquel elle légua les sommes qu'elle crut nécessaires pour la fondation et la dotation de ce couvent. Le duc de Mercœur étant mort lui-même l'année d'après, Marie de Luxembourg sa veuve se fit un devoir d'exécuter les dernières volontés de la reine sa belle-sœur[109]; et son zèle la porta même à ajouter de ses propres deniers à la somme de 60,000 liv. léguée par cette princesse, somme qui ne se trouva point encore suffisante pour l'entière exécution de ce pieux dessein.
L'hôtel de Retz, appelé alors l'hôtel du Péron, situé sur une partie du terrain qu'occupe actuellement la place Vendôme, lui ayant paru convenable à la fondation qu'elle méditoit, madame de Mercœur en fit l'acquisition, et donna des ordres pour qu'on y construisît sur-le-champ une chapelle et les autres lieux réguliers qui constituent un monastère. Elle en posa elle-même la première pierre le 29 mai 1604; toutefois, pour que cet établissement auquel elle prenoit un vif intérêt n'éprouvât aucun retard, cette princesse, mettant à profit le temps que demandoient les constructions et les dispositions intérieures qu'elle faisoit faire dans cet hôtel, s'étoit retirée au faubourg Saint-Antoine, dans une grande maison composée de deux corps de logis[110], dont elle occupa l'un, et destina l'autre pour les filles qui voudroient embrasser la vie austère de l'ordre réformé de Saint-François. Douze filles prirent l'habit de cet ordre le 24 juillet 1604; et deux ans après les bâtiments de leur monastère étant achevés, le cardinal de Gondi, assisté de l'évêque de Paris, son neveu, y installa solennellement les douze nouvelles religieuses[111].
La règle de ce monastère étoit, celle des filles de Sainte-Claire exceptée, la plus austère de toutes les règles établies dans les communautés de filles. Vêtues de la bure la plus grossière, les Capucines ne vivoient que d'aumônes, marchant toujours nu-pieds, excepté dans la cuisine et dans le jardin, et ne faisant jamais usage de chair, même dans les maladies mortelles, etc. Cette rigoureuse austérité a fait croire que le couvent de Paris étoit le seul de cet institut de France; mais il est bien certain qu'il y en avoit trois, un à Tours, un autre à Marseille et celui de Paris.
Les religieuses Capucines demeurèrent dans la maison fondée par la duchesse de Mercœur jusqu'au 19 avril 1688, époque de leur translation au couvent que Louis XIV leur fit bâtir dans la rue Neuve-des-Petits-Champs, lorsque le projet eut été formé d'élever la place Vendôme. Ce prince leur accorda de nouvelles lettres-patentes le 25 mars 1689; et le 27 août suivant leur église fut dédiée sous le titre de Saint-Louis.
Le portail de cette église, construit seulement en 1722, étoit un des exemples les plus frappants de ce goût bizarre pire que la barbarie, dans lequel l'architecture étoit tombée au commencement du siècle dernier. Deux pilastres d'ordre dorique, quoique de proportion toscane, s'élevoient de chaque côté; ils étoient surmontés d'un entablement gigantesque, dont la frise et la corniche formoient un plein-cintre énorme qui couronnoit cette singulière composition; l'archivolte de la porte, hors de toute proportion avec une si vaste corniche, étoit surmontée d'un bas-relief remplissant tout l'espace qui séparoit ces deux portions de cercle, ce qui complétoit le ridicule de cette décoration; enfin elle étoit si mauvaise de tous points, qu'on n'a jamais su quel fut l'architecte qui en avoit donné le dessin, tous ceux à qui on crut devoir l'attribuer dans les ouvrages écrits à cette époque s'étant empressés de la désavouer.
L'auteur de la sculpture étoit Antoine Vassé. Cet ouvrage médiocre, mais cependant bien supérieur au portail, étoit composé d'un grand cartouche soutenu par trois anges, au milieu duquel on lisoit ces mots en lettres d'or: Pavete ad sanctuarium meum, ego Dominus. Au-dessus de la corniche s'élevoit une croix qu'accompagnoient deux anges en adoration.
L'intérieur de l'église étoit peu spacieux, mais proprement décoré, et remarquable surtout par des chapelles[112] et des mausolées d'une grande magnificence.
Les bâtiments du monastère, construits sur les dessins de d'Orbay, avoient coûté au roi près d'un million; toutes les cellules des religieuses étoient boisées, et les cloîtres vitrés; ce qui fut fait sans doute pour prévenir les accidents auxquels elles étoient exposées par l'excessive sévérité de leur institution[113].
CURIOSITÉS DU MONASTÈRE ET DE L'ÉGLISE DES CAPUCINES.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, une descente de croix, copie de Jouvenet, par Restout[114].
Dans la chapelle dite de Louvois, une résurrection, par Antoine Coypel.
Dans la première chapelle à droite en entrant, le martyre de saint Ovide, par Jouvenet.
Dans une autre chapelle, saint Jean, par François Boucher.
TOMBEAUX.
Au milieu du chœur des religieuses reposoit, sous une simple tombe de marbre noir, le corps de Louise de Lorraine, reine de France, et fondatrice de ce couvent. Elle avoit ordonné par son testament que son corps y fût inhumé. L'épitaphe, aussi modeste que le tombeau, étoit conçue en ces termes:
«Ci gist Louise de Lorraine, reine de France et de Pologne, qui décéda à Moulins en 1601, et laissa vingt mille écus pour la construction de ce couvent, que Marie de Luxembourg, duchesse de Mercœur, sa belle-sœur, a fait bâtir l'an 1605. Priez Dieu pour elle.»
Dans la chapelle de Saint-Ovide[115] étoit le tombeau de Charles, duc de Créqui, mort le 13 février 1687. Ce monument, exécuté par Pierre Mazeline, a été déposé depuis au musée des Petits-Augustins[116].
Armande de Lusignan, épouse du duc de Créqui, morte le 11 août 1707, fut inhumée dans le même tombeau.
Une autre chapelle servoit de sépulture à la famille de Letellier-Louvois. On y voyoit le tombeau du marquis de Louvois[117].
Dans ce même tombeau avoient été inhumés: Anne de Souvré de Courtanvaux, épouse du marquis de Louvois, morte en 1715;
Louis-François-Marie, marquis de Barbesieux, fils du marquis et de la marquise de Louvois, mort en 1691;
Camille Letellier, connu sous le nom de l'abbé de Louvois, frère du précédent, mort en 1718.
Les autres personnages remarquables qui avoient leur sépulture dans cette église étoient:
M. de Saint-Pouange, fils de Jean-Baptiste Colbert, cousin germain de M. de Louvois, mort en 1706;
Marie de Berthemet de Saint-Pouange son épouse, morte en 1732;
La marquise de Pompadour, morte en 1764;
Alexandrine Le Normand d'Étiole sa fille.
LES NOUVELLES-CATHOLIQUES.
Cette communauté de filles, instituée pour la propagation de la religion catholique, apostolique et romaine, étoit établie rue Sainte-Anne, entre les rues Neuve-Saint-Augustin et des Petits-Champs. En formant cet établissement, on avoit eu pour but d'offrir aux personnes du sexe, qui désiroient renoncer au judaïsme ou à l'hérésie, un asile où elles pussent trouver des secours temporels et l'instruction nécessaire pour assurer leur conversion. Le projet de cette institution, conçu par le père Hyacinthe, franciscain, fut approuvé en 1634 par François de Gondi, premier archevêque de Paris, et autorisé par une bulle d'Urbain VIII, du 3 juin de la même année. Le roi Louis XIII la confirma par ses lettres-patentes du mois d'octobre 1637, et Louis XIV, par de nouvelles lettres du mois d'octobre 1649.
Les premières supérieures de cette communauté furent la sœur Garnier, de l'hospice de la Providence, et mademoiselle Gaspi, deux saintes filles qui avoient eu connoissance, dès le principe, du projet du père Hyacinthe, et l'avoient favorisé de tout leur pouvoir. La nouvelle institution fut d'abord placée derrière Saint-Sulpice, dans la rue des Fossoyeurs; de là les Nouvelles-Catholiques furent transférées rue Pavée, au Marais. Elles y étoient encore en 1647; mais peu de temps après on leur procura une maison plus commode, située rue Sainte-Avoie. Il étoit à craindre cependant que cette communauté, qui n'avoit encore aucuns fonds permanents pour subsister, ne pût se soutenir long-temps. Mais il en arriva autrement; et c'est une chose remarquable que, dans ce royaume et principalement dans sa capitale, un établissement public conçu dans des vues utiles, et surtout avec l'intention d'instruire et d'édifier, n'a jamais manqué de trouver de puissants protecteurs et de nobles libéralités dans la première classe de ses habitants. Cette bienfaisance éclairée se propageoit de race en race, et l'on peut dire que de telles traditions d'honneur, de vertu et de bienséance n'étoient pas un des moindres soutiens de l'État. Les Nouvelles-Catholiques, à qui le roi faisoit une pension annuelle de 1,000 livres, virent bientôt leur existence assurée par les dons de plusieurs personnes pieuses, et notamment d'une des plus illustres maisons de France[118]; ce qui les mit en état, non-seulement de remplir sans inquiétude l'objet de leur institution, mais encore, au moyen d'une économie sévère établie dans leur administration, d'acheter, rue Sainte-Anne, un terrain sur lequel elles firent bâtir une maison et une chapelle[119].
La première pierre du maître-autel fut posée, au nom de la reine, par la duchesse de Verneuil, le 12 mai 1672; et la chapelle fut bénite le 27 du même mois, sous le titre de l'exaltation de la Sainte-Croix et de sainte Clotilde. Cette maison jouissoit de tous les priviléges accordés aux maisons de fondation royale; priviléges qui furent renouvelés et confirmés de nouveau par lettres-patentes du roi, en date du mois d'avril 1673, sous la condition expresse qu'elle ne pourroit être changée en maison de profession religieuse, et que les filles qui en feroient partie resteroient dans l'état séculier, et vivroient selon les règles et statuts donnés par l'archevêque de Paris.
Les principales charges de cette communauté étoient triennales, et les engagements entre le corps et ses membres, étant réciproquement libres, pouvoient se rompre de part et d'autre sans aucune difficulté[120].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES NOUVELLES-CATHOLIQUES.
Sur le maître-autel, un beau tableau de le Brun, représentant un Christ. On voyoit au pied de la croix sainte Clotilde, reine de France, y déposant sa couronne.
Au-dessus de la grille du chœur, un saint Sébastien, sans nom d'auteur. Vis-à-vis une descente de croix attribuée à Palme-le-Vieux.
Près de la chaire, saint Claude ressuscitant un enfant, par Pierre d'Ulin.
Cette communauté avoit pour sceau une croix avec ces paroles: Vincit mundum fides nostra[121].
BIBLIOTHÉQUE DU ROI.
La bibliothéque du Roi est placée rue de Richelieu, dans le vaste édifice qui s'étend depuis l'arcade Colbert jusqu'à la rue Neuve-des-Petits Champs.
De même que la ville de Paris, dont elle est un des plus beaux ornements, cette bibliothéque eut de très-foibles commencements; et son accroissement suivit pour ainsi dire celui de cette capitale.
Charlemagne fut le premier de nos souverains qui essaya de faire naître en France le goût des sciences et des lettres; mais ses efforts, et ceux des savants qu'il avoit attirés à sa cour, n'eurent pas le succès qu'il en avoit espéré. La France redevint barbare sous le règne de ses foibles successeurs; et, pendant près de quatre siècles de guerres intestines et de désordres de toute espèce, les ténèbres les plus épaisses couvrirent ce beau royaume, que la religion chrétienne put seule empêcher alors de redevenir une contrée tout-à-fait sauvage. Cependant tous les établissements utiles créés par ce grand monarque ne périrent pas avec lui: les écoles qu'il avoit instituées auprès des monastères et de chaque cathédrale subsistèrent et continuèrent à être fréquentées, même dans les temps de la plus profonde ignorance. Il est vrai que les leçons qu'on y donnoit se réduisoient à peu de chose: et si l'on en excepte la théologie, la première des sciences, et toujours la même dans tous les temps et dans tous les lieux où règne la religion catholique, quelques principes de grammaire, les subtilités de la dialectique d'alors, et la musique qui n'étoit autre chose que le plain-chant, telles étoient les connoissances qu'on y acquéroit, et ces connoissances ne sortoient pas des cloîtres. Les clercs et les moines étoient les seuls qui sussent lire en France, et qui possédassent le petit nombre des livres existants dans ce royaume, sans que personne fût tenté de leur envier une semblable possession. On voyoit parmi ces livres peu d'exemplaires des ouvrages grecs et latins, qui passoient alors pour aussi profanes que leurs auteurs, et qu'on ne lisoit point sans permission. Des copies de la Bible, quelques traités des Pères, des canons, des missels, des livres liturgiques et de plain-chant, formoient dans ces temps-là toutes les bibliothéques. Saint Louis, qui semble avoir eu quelque projet de créer un dépôt public de livres[122], n'y donna point de suite, puisqu'il légua sa bibliothéque aux Jacobins et aux Cordeliers de Paris, à l'abbaye de Royaumont et aux Jacobins de Compiègne. Avant et depuis ce prince jusqu'à Charles V, nos rois n'avoient d'autres livres que ceux qui étoient nécessaires à leur usage particulier; et quoique Sauval ait dit que ce dernier prince «tira du Palais-Royal tous les livres que lui et ses prédécesseurs avoient amassés avec non moins de dépenses que de curiosité,» on peut cependant avancer sans crainte de se tromper, que cette collection n'étoit pas nombreuse; et nous apprenons par le Mémoire historique sur la bibliothéque du roi, imprimé à la tête du catalogue des livres qui la composent, que le roi Jean n'avoit que six volumes de sciences et d'histoire, et trois ou quatre de dévotion.
Charles V doit donc être regardé comme le véritable fondateur de la bibliothéque royale. Ce prince aimoit les lettres et les savants. La protection qu'il leur accordoit en augmenta le nombre et multiplia les ouvrages; on s'empressoit de toutes parts à lui en offrir, et il faisoit copier tous ceux qu'il jugeoit les plus utiles. Cette collection, immense pour le temps, fut placée, comme nous l'avons déjà dit, dans une tour du Louvre qu'on nomma la tour de la librairie. Elle en occupoit les trois étages; l'inventaire que Gilles Mallet en fit en 1373 nous apprend que cette bibliothéque étoit alors composée de 910 volumes[123].
Elle fut entièrement dispersée sous le règne désastreux de l'infortuné Charles VI. Le duc de Bedford, qui prenoit alors le titre de régent du royaume, en acheta la plus grande partie pour la somme de 1200 livres, et la fit passer en Angleterre, avec les archives déposées également dans le palais du Louvre.
Charles VII, pendant les troubles continuels qui agitèrent son règne, ne put s'occuper du rétablissement de cette bibliothéque. Louis XI, plus tranquille, recueillit quelques livres épars dans différentes maisons royales, et l'imprimerie nouvellement inventée lui fournit des moyens plus faciles d'en augmenter le nombre. Charles VIII joignit à cette petite collection quelques livres qu'il avoit rapportés de Naples, seul fruit qu'il retira de la conquête de ce royaume. La garde de cette collection fut confiée à Laurent Palmier.
Elle s'accrut encore sous Louis XII, qui y réunit la bibliothéque formée à Blois par Louis d'Orléans, laquelle étoit composée de quelques volumes tirés originairement de la librairie du Louvre. Ce prince y ajouta encore les livres qui avoient appartenu au célèbre Pétrarque, et la bibliothéque des ducs de Milan. Le gardien qu'il y préposa se nommoit Jean de La Barre.
Cependant toute cette collection, déposée alors dans cette même ville de Blois, ne contenoit encore, en 1544, que 1,890 volumes, lorsque François Ier l'incorpora à celle qu'il avoit commencé de former à Fontainebleau, sous la garde de Mathieu La Bise. Ce prince, nommé à si juste titre le restaurateur des sciences et des lettres, sentant l'extrême importance d'un semblable dépôt, chargea ses ambassadeurs auprès des cours étrangères d'acheter et de recueillir tous les manuscrits grecs ou latins qu'ils pourroient se procurer. Plusieurs savants distingués voyagèrent aussi par ses ordres dans les contrées lointaines pour le même objet. Cette bibliothéque royale commença alors à devenir vraiment digne du titre qu'elle portoit. Pierre Duchâtel en étoit le gardien.
Cependant, quoique l'imprimerie eût déjà fait de rapides progrès, à l'exception de 200 volumes imprimés, il n'y avoit encore que des manuscrits dans la bibliothéque royale. Henri II contribua plus efficacement à son augmentation par son ordonnance de 1556[124], laquelle enjoignoit aux libraires qui faisoient imprimer, de fournir un exemplaire en vélin, et relié, de chaque livre dont on leur accordoit le privilége. Cette utile et sage précaution avoit été imaginée par un avocat nommé Raoul Spifame. Catherine de Médicis joignit à tant de livres déjà rassemblés la bibliothéque que le maréchal de Strozzi avoit achetée après la mort du cardinal Ridolfi, neveu du pape Léon X[125]. Pierre Duchâtel fut conservé par Henri II. Pierre de Montdoré lui succéda.
Cette bibliothéque resta languissante sous Henri III, et ne fut augmentée que des livres imprimés avec privilége. Après Montdoré le célèbre Jacques Amiot, nommé maître de la librairie, se fit un plaisir d'en procurer l'entrée aux savants. Il eut pour successeur un homme non moins célèbre, l'historien Jacques-Auguste de Thou.
Henri IV, dont le règne fut malheureusement si court et si agité, étendit néanmoins ses soins sur cet établissement. Par ses lettres du 14 juin 1594, il donna des ordres pour faire transporter à Paris la bibliothéque que François Ier avoit établie à Fontainebleau[126]; il y ajouta celle de Catherine de Médicis, malgré l'opposition et les vives réclamations des créanciers de cette reine; et la collection entière fut placée dans les salles du collége de Clermont, alors vacant, sous la garde du président de Thou, qui avoit succédé à son père. En 1604, cette bibliothéque fut transportée dans une grande salle du cloître des Cordeliers. Isaac Casaubon étoit alors maître de la librairie et conserva cette place jusqu'à la mort de Henri IV.
Sous Louis XIII, elle fut enrichie de manuscrits syriaques, turcs, arabes, persans, sans compter les livres imprimés avec privilége. Elle fut alors transférée du cloître des Cordeliers, dans une grande maison située rue de la Harpe, au-dessus de Saint-Côme. On y distribua les livres dans le rez-de-chaussée et dans le premier étage, ce qui la fit appeler la haute et la basse librairie[127]. Cependant, malgré les efforts réunis de tant de souverains, la bibliothéque royale ne contenoit pas encore 7,000 volumes à la mort de ce prince[128].
Louis XIV, dont le nom rappelle tant de genres de gloire, imprima à cet établissement le caractère de grandeur qui a signalé toutes les entreprises de son règne. Les acquisitions que fit ce prince, soit en manuscrits, soit en livres imprimés, furent si considérables et se succédèrent si rapidement, qu'en 1674 on y comptoit déjà plus de 30,000 volumes; et qu'à sa mort, arrivée en 1715, il en renfermoit environ 70,000[129].
Dès 1666, la maison de la rue de la Harpe ne suffisoit plus pour contenir la bibliothéque du roi, qui s'accroissoit de jour en jour. Louis XIV lui destinoit une place au Louvre, dont il avoit déjà fait reprendre les travaux. En attendant qu'on pût y placer ce précieux dépôt, M. de Colbert le fit transporter rue Vivienne, dans deux maisons qui lui appartenoient et qui touchoient son hôtel. Ce fut alors qu'on y joignit les autres curiosités qu'elle contient maintenant, et dont nous ne tarderons pas à parler. M. de Louvois, qui succéda à ce ministre, songeoit à la transporter dans les bâtiments de la place Vendôme, qu'on élevoit en 1687, lorsque sa mort fit évanouir ce projet.
La bibliothéque, augmentée encore par les soins du régent, resta donc dans les deux maisons de la rue Vivienne jusqu'en 1721, époque à laquelle il devint impossible de l'y laisser plus long-temps, à cause de la quantité toujours croissante des livres qu'elle contenoit. Alors, sur la proposition de M. l'abbé Bignon, qui, à cette époque, en étoit le gardien, le duc d'Orléans la fit placer dans les vastes bâtiments qu'elle occupe encore aujourd'hui[130].
Ces bâtiments s'étendent dans la rue de Richelieu depuis la rue Neuve-des-Petits-Champs jusqu'à celle de Colbert, et, dans cette immense façade, n'offrent qu'un mur presque entièrement nu et une porte cochère dépouillée de tout ornement. Cette porte donne entrée dans une cour assez vaste, mais dont la proportion est vicieuse, et les constructions correspondantes sans symétrie. On peut reconnoître au premier coup d'œil, et par ce manque de régularité, et par la mauvaise disposition de ces constructions, que non-seulement cet édifice n'a pas été bâti pour contenir une bibliothéque, mais encore que les corps-de-logis qui le composent ont été élevés à plusieurs reprises et pour divers usages: il ne faut donc point s'étonner de n'y pas trouver l'heureuse distribution et les communications commodes que l'on auroit le droit d'exiger dans un monument construit exprès pour une semblable collection.
Toutes les salles du rez-de-chaussée, qui entourent la cour dans une étendue de 115 toises, sont destinées à servir aux bureaux, magasins et ateliers dépendans de la bibliothéque, laquelle est divisée en cinq départements ou dépôts.
DÉPÔT DES LIVRES IMPRIMÉS.
Il est situé au premier étage, et l'on y arrive par un grand escalier, précédé d'un vestibule, lequel est à droite de l'entrée principale. Cet escalier[131], remarquable par la hardiesse de sa construction et la beauté de sa rampe de fer, conduit dans une première galerie de neuf croisées de face, de là dans un salon de quatre, et enfin dans une autre immense galerie, formant deux retours d'équerre, laquelle est éclairée par trente-trois croisées. Toutes ces ouvertures donnent sur la cour; et sur les murs opposés sont distribués des corps d'armoires dans toute la hauteur du plancher. Cette hauteur est divisée par un balcon en saillie, qui continue horizontalement dans toute la longueur de ces galeries. On y monte par plusieurs petits escaliers pratiqués dans la boiserie, de manière que tous les livres, rangés par étage depuis le parquet jusqu'au plafond, peuvent être atteints et communiqués au public avec la plus grande facilité.
Ce dépôt étoit composé, en 1789, d'environ 150,000 volumes[132], sans compter une quantité prodigieuse de pièces rares sur toutes les matières possibles, conservées avec soin dans des porte-feuilles. Les livres y sont divisés en cinq classes: théologie, jurisprudence, histoire, philosophie et belles-lettres.
CURIOSITÉS DU DÉPÔT DES LIVRES IMPRIMÉS.
Dans la partie de la grande galerie qui traverse d'une aile à l'autre sont:
1o. Les bustes en marbre de Jérôme Bignon et de l'abbé Bignon, tous les deux bibliothécaires;
2o. Le monument en bronze élevé à la gloire de Louis-le-Grand, de la France et des arts, par Titon du Tillet. Tous les grands écrivains dont la France s'honore, principalement ceux du dix-septième siècle, y sont représentés rangés sur le Mont-Parnasse: des médaillons sont consacrés aux auteurs d'un moindre mérite. Ce monument, dont les figures n'ont pas plus d'un pied de proportion, est mesquin et de mauvais goût;
3o. Dans une cinquième salle qui communique à la dernière aile de cette galerie, on voit la partie supérieure des deux fameux globes composés à Venise par Vincent Coronelli, frère mineur, et présentés à Louis XIV en 1683 par le cardinal d'Estrées, qui les avoit fait faire exprès pour ce monarque. Ils ont trente-quatre pieds six pouces et quelques lignes de circonférence, et sont entourés de deux grands cercles de bronze de treize pieds de diamètre, qui en forment les horizons et les méridiens[133]. La partie inférieure de ces deux sphères colossales est placée dans une pièce à rez-de-chaussée, dont le plafond, ouvert circulairement, laisse passer dans la salle du premier étage une portion de leurs hémisphères[134];
4o. Aux deux angles des retours en équerre de la même galerie sont placés deux petits globes gravés et réduits d'après les grands;
5o. On y conserve aussi plusieurs planches de l'imprimerie en bois, appelée imprimerie à planches fixes, laquelle a précédé la découverte de l'imprimerie à caractères mobiles.
DÉPÔT DES MANUSCRITS.
Sur le même palier à droite est la porte d'entrée qui conduit à ce précieux dépôt. Il est renfermé dans cinq petites pièces en retour, qui forment le premier étage du petit côté de la cour, au-dessus du vestibule et dans une grande galerie dite galerie Mazarine, dont le rez-de-chaussée dépend des bâtiments de la trésorerie.
Cette belle galerie est éclairée par huit croisées en voussures, ornées de coquilles dorées. En face sont des niches décorées de paysages[135], par Grimaldi Bolognèse, qui en a également couvert les embrasures des croisées; mais ce qui est surtout remarquable, c'est le plafond peint à fresque en 1651, par Romanelli. Ce peintre célèbre y a représenté plusieurs sujets de la fable; et il n'est aucun de ses ouvrages qui offre une plus belle couleur, un meilleur goût de dessin[136], une disposition plus gracieuse. Ces divers tableaux sont distribués dans des compartiments bien entendus, mêlés de médaillons en camaïeux, soutenus par des figures et ornements imitant le stuc. Toute cette décoration, faite dans le style du temps, n'a pas sans doute l'élégante simplicité qu'on exigeroit aujourd'hui, mais n'est point cependant dépourvue de noblesse et d'élégance.
Les cinq pièces qui précèdent cette galerie sont aussi décorées de peintures à fresque que le temps a dégradées.
Les manuscrits contenus dans ce dépôt sont divisés par fonds; et chaque fonds porte le nom de celui qui en a fait la collection, qui l'a légué ou vendu à la bibliothéque.
Cette collection, la plus riche et la plus intéressante qui existe en ce genre, s'élevoit, en 1789, à près de 50,000 volumes. Elle se composoit d'abord de manuscrits en langues anciennes et orientales, rangés dans l'ordre suivant: les manuscrits hébreux, les syriaques, les samaritains, les cophtes, les éthiopiens, les arméniens, les arabes, les persans, les turcs, les indiens, les siamois, les livres et manuscrits chinois, les grecs, les latins, etc.; ce qui formoit à peu près 25,000 volumes.
Les manuscrits italiens, allemands, anglois, espagnols, françois, etc., formoient une seconde division non moins nombreuse; parmi ces derniers, on distingue une suite très-précieuse de mémoires, titres et autres matériaux relatifs à l'histoire de France, et qui peuvent y répandre un grand jour, surtout depuis Louis XI[137].
Les principaux fonds qui composent cette immense collection sont d'abord l'ancien fonds du roi; ensuite ceux de Dupuy, de Béthune, de Brienne, de Gainières, de Dufourni, de Louvois, de La Mare, de Baluse, de de Mesme, de Colbert, de Cangé, de Lancelot, de du Cange, de Serilly, d'Huet, de Fontanieu, de Sautereau, etc.
CURIOSITÉS DU DÉPÔT DES MANUSCRITS.
Elles se composent principalement de missels, d'heures et d'évangiles du moyen âge, dont les couvertures sont chargées d'ornements et de sculptures en or, en argent, en ivoire, etc. Parmi ces manuscrits, qui sont en très-grande quantité, on distingue principalement:
1o. Le manuscrit fameux des épîtres de saint Paul, en grec et en latin, écrit à deux colonnes, en belles lettres majuscules. C'est un des plus anciens que l'on connoisse; il paroît être du sixième ou du septième siècle;
2o. La bible et les heures de Charles-le-Chauve. La couverture des heures est enrichie de pierres précieuses et de deux bas-reliefs d'ivoire d'un travail très-curieux.
DÉPÔT OU CABINET DES MÉDAILLES.
Le salon qui contient ce précieux dépôt est situé à l'extrémité de la première partie de la grande galerie des livres imprimés.
François Ier, Henri II et Charles IX paroissent avoir été les premiers de nos rois qui aient songé à faire des collections d'antiques et de médailles[138]. Mais les troubles qui agitèrent la France sur la fin du règne de ce dernier prince, et sous celui de son successeur, dispersèrent ce que ses prédécesseurs et lui avoient eu tant de peine à recueillir. Henri IV eut aussi le projet de former une collection semblable; sa mort précipitée l'empêcha de le réaliser.
Il étoit réservé à Louis XIV d'exécuter un semblable dessein, à peine commencé jusqu'à lui. «Gaston d'Orléans, dit M. l'abbé Barthélemy, avoit donné au roi une suite de médailles en or; et comme M. de Colbert s'aperçut que Sa Majesté se plaisoit à consulter ces restes de l'antiquité savante, il n'oublia rien pour satisfaire un goût si honorable aux lettres. Par ses ordres et sous ses auspices, M. Vaillant[139] parcourut plusieurs fois l'Italie et la Grèce, et en rapporta une infinité de médailles singulières. On réunit plusieurs cabinets à celui du roi: et des particuliers, par un sacrifice dont les curieux seuls peuvent apprécier l'étendue, consacrèrent volontairement dans ce dépôt ce qu'ils avoient de plus précieux en ce genre. Ces recherches ont été continuées dans la suite avec le même succès. Le cabinet du roi a reçu des accroissements successifs, et l'on pourroit dire qu'il est à présent au-dessus de tous ceux qu'on connoît en Europe, s'il ne jouissoit depuis long-temps d'une réputation si bien méritée.
»Cette immense collection est divisée en deux classes principales, l'antique et la moderne. La première comprend plusieurs suites particulières: celle des rois, celle des villes grecques, celle des familles romaines, celle des empereurs, et quelques-unes de ces suites se subdivisent en d'autres, relativement à la grandeur des médailles et au métal. C'est ainsi que des médailles des empereurs on a formé deux suites de médaillons et de médailles en or; deux autres de médaillons et de médailles en argent; une cinquième de médaillons en bronze; une sixième de médailles de grand bronze; une septième de celles de moyen bronze; une huitième enfin de médailles de petit bronze. La moderne est distribuée en trois classes: l'une contient les médailles frappées dans les différents États de l'Europe; l'autre, les monnoies qui ont cours dans presque tous les pays du monde; et la troisième, les jetons. Chacune de ces suites, soit dans le moderne, soit dans l'antique, est, par le nombre, la conservation et la rareté des pièces qu'elle contient, digne de la magnificence du roi et de la curiosité des amateurs[140].»
Ces médailles furent d'abord réunies au Louvre, ainsi que les antiquités éparses dans les maisons royales. M. de Louvois eut ordre ensuite de faire transférer ce cabinet à Versailles, où il fut placé auprès de l'appartement du roi, et confié à la garde de Rainsart, savant antiquaire. Ce n'est que vers la fin du siècle dernier qu'il fut rapporté à la bibliothéque et déposé dans la salle où on le voit aujourd'hui.
Dans cette même salle sont réunis la collection des pierres gravées et le cabinet des antiques. La première contient un grand nombre de chefs-d'œuvre des artistes grecs, gravés en creux et en relief, et les plus belles agates gravées par les modernes. On remarque principalement, parmi les monuments antiques, le tombeau de Chilpéric Ier, roi de France, découvert à Tournai en 1653; les deux grands boucliers votifs, en argent, trouvés dans le Rhône et en Dauphiné en 1656 et 1714; la fameuse agate de la Sainte-Chapelle; la sardoine onyx, dite vase de Ptolémée, etc., etc.
Il contient encore un très-grand nombre de figures, de bustes, de vases, d'instruments de sacrifices, de marbres chargés d'inscriptions, d'urnes funéraires, de meubles, de bijoux, etc., recueillis des antiquités grecques et romaines. Vers le milieu du dix-huitième siècle, M. le comte de Caylus ajouta à tant de richesses une quantité considérable d'antiquités égyptiennes, étrusques, etc., que cet illustre amateur avoit rassemblées, et qu'il a publiées en vingt-six planches, accompagnées de notes et de dissertations justement estimées.
DÉPÔT OU CABINET DES PLANCHES GRAVÉES ET ESTAMPES.
Ce cabinet occupe l'entresol au-dessous des cinq premières pièces du dépôt des manuscrits.
On doit encore à Louis XIV la création de cette collection à laquelle il en est peu en Europe qui soient comparables. Le goût dont ce prince étoit possédé pour tout ce qui avoit quelque rapport aux beaux-arts, le porta à faire l'acquisition de l'importante collection amassée à grands frais par l'abbé de Marolles, et composée des meilleures estampes depuis l'origine de la gravure jusqu'au moment où il vivoit. Elle est contenue en 264 volumes, format grand atlas, et fut le premier fonds de ce cabinet.
Quelques années auparavant, Gaston d'Orléans avoit légué au roi une suite d'histoire naturelle, qu'il avoit fait peindre en miniature par Nicolas Robert, d'après les plantes de son jardin botanique et les animaux de sa ménagerie de Blois. Cette suite fut jointe à celle de l'abbé de Marolles, et augmentée des productions de trois artistes, Jean Joubert, Nicolas Aubriet et mademoiselle Basseport, qui, sous la fin du règne de ce prince et sous Louis XV, continuèrent de peindre de la même manière des objets pris dans les trois règnes de la nature. Cette partie seule contenoit 60 volumes in-folio[141].
La collection léguée au roi, en 1712, par M. de Gaignières, vint encore augmenter la richesse de ce cabinet de plus de 30,000 portraits rangés par pays et par états, et pris dans toutes les conditions, depuis le sceptre jusqu'à la houlette.
Louis XV l'enrichit aussi par les acquisitions qu'il fit des collections[142] de M. de Beringhem, de M. l'Allemand de Betz, de M. de Fontette, de M. Begon, et enfin d'une partie du cabinet de M. Mariette.
Enfin ce précieux cabinet, augmenté considérablement depuis par les acquisitions successives faites dans le siècle dernier, contenoit en 1789 environ 5,000 volumes, lesquels sont divisés en douze classes.
La première comprend les sculpteurs, architectes, ingénieurs et graveurs, depuis l'origine de la gravure jusqu'à nos jours; cette classe est distribuée par école, et chaque école par œuvres de maîtres; les estampes gravées en bois et en clair-obscur, distinguées sous les noms de vieux-maîtres et de grands-maîtres, se trouvent aussi dans cette première classe.
La seconde est composée des livres d'estampes de piété, de morale, d'emblèmes et de devises sacrées.
La troisième renferme tout ce qui concerne la fable et les antiquités grecques et romaines.
Dans la quatrième sont les médailles, monnoies, généalogie, chronologie et blason.
La cinquième contient les fêtes publiques, cavalcades, tournois, etc.
La sixième est destinée à la géométrie, aux machines, aux mathématiques, à tout ce qui concerne la tactique, les arts et métiers.
On trouve dans la septième les estampes relatives aux romans, facéties, bouffonneries, etc.
La botanique, l'histoire naturelle dans tous ses règnes, composent la huitième.
La neuvième est consacrée à la géographie.
Dans la dixième sont les collections des plans, l'élévation des édifices anciens et modernes, sacrés et profanes, palais, châteaux, etc.
La onzième contient les portraits, au nombre de plus de cinquante mille.
La douzième et dernière est un recueil complet de modes, habillements, coiffures et costumes de tous les pays du monde; on trouve dans ce recueil les modes françoises depuis Clovis jusqu'à nos jours.
Ce cabinet possède en outre une collection de planches gravées au nombre de près de deux mille[143].
DÉPÔT DES TITRES ET GÉNÉALOGIES.
Ce département, placé au second étage sur la droite de la cour, étoit composé de neuf pièces, dont trois contenoient les titres originaux des maisons et familles nobles de la France et de l'Europe.
Deux autres renfermoient les généalogies; dans la sixième étoient les mémoires des maisons et familles qui faisoient leurs preuves pour être présentées à la cour, reçues dans les chapitres nobles, etc.
On avoit commencé en 1785 un supplément qui devoit occuper les trois dernières pièces[144].
PLACE DES VICTOIRES.
Il est peu de personnes qui ignorent que cette place fut construite dans le dix-septième siècle, par les ordres de François, vicomte d'Aubusson, duc de La Feuillade, pair et maréchal de France, colonel des gardes-françoises. Ce seigneur, comblé de bienfaits par son souverain, et poussant jusqu'à l'enthousiasme les sentiments d'admiration et d'amour qu'il ressentoit pour lui, voulut éterniser sa reconnoissance par un monument public élevé à la gloire de son auguste bienfaiteur. Sa première pensée fut de faire exécuter en marbre une statue de Louis XIV, et de la placer ensuite dans l'endroit de la ville le plus apparent et le plus convenable. Mais, la statue faite, il se dégoûta de ce premier dessein; et, ne trouvant pas qu'il répondît à la grandeur du monarque qu'il vouloit honorer, il conçut un plan plus vaste et plus magnifique: ce fut de chercher un emplacement sur lequel on pût construire une place publique, et d'y élever un monument plus imposant qu'une simple statue. L'hôtel de la Ferté-Senecterre, édifice vaste et isolé, situé entre les rues Neuve-des-Petits-Champs (aujourd'hui la Vrillière), du Petit-Reposoir et des Fossés-Montmartre, lui ayant paru propre à l'exécution de son projet, il l'acheta en 1684, et sur-le-champ en fit commencer la démolition. Mais comme cet emplacement ne suffisoit pas, le corps-de-ville, voulant partager avec le duc de La Feuillade la gloire de cette entreprise, acheta l'hôtel d'Émery et quelques maisons et jardins contigus, qui s'étendoient le long de la rue du Petit-Reposoir et de celle des Vieux-Augustins. On commença aussitôt la place: Jules Hardouin Mansard en donna le dessin; la ville traita, en 1685, avec le sieur Predot, architecte, pour la construction des bâtiments qui l'environnent, et le duc de La Feuillade se chargea seul des dépenses relatives à l'érection du monument.
Cette place est d'un diamètre peu considérable en comparaison de plusieurs autres places régulières de Paris, car elle n'a que quarante toises de diamètre. Mais la manière dont elle est située lui donne sur toutes un grand avantage: environnée de six rues qui viennent y aboutir et dont trois[145] ont une longueur considérable, elle offre, sous différents points de vue et à une très-grande distance, la perspective de ses riches constructions, plus remarquables encore lorsque s'élevoit au milieu d'elles le beau monument que nous allons bientôt décrire.
Une ligne droite de bâtiments symétriques termine d'un côté la place des Victoires; circulaire dans le reste de son étendue, elle y présente une ordonnance uniforme qui n'est pas dépourvue de beauté. Un grand ordre de pilastres ioniques qui embrasse deux rangs de croisées s'élève sur un soubassement décoré d'arcades à refends; chaque croisée du premier étage est séparée par un pilastre, et celles du second sont placées sous l'architrave, dont la saillie est soutenue par de petites consoles d'un très-mauvais goût. Mais le plus grand défaut qu'on reproche à tout cet ensemble, c'est le comble à la Mansarde qui le termine: cette ridicule invention de croisées isolées au milieu des toits défigure le plus grand nombre des somptueux édifices élevés dans le dix-septième siècle; et en effet, l'œil le moins exercé peut sentir la différence prodigieuse que produiroit, pour l'élégance et la majesté de la place que nous décrivons, une ligne continue de balustrades remplaçant ces niches mesquines et gothiques auxquelles Mansard a eu le malheur de donner son nom.
Du milieu de cette place s'élevoit, sur un piédestal en marbre blanc veiné, la statue pédestre de Louis XIV. Ce prince, revêtu des habits de son sacre, fouloit aux pieds un Cerbère dont les trois têtes désignoient la triple alliance; une figure ailée, représentant la Victoire, un pied posé sur un globe, et l'autre en l'air, d'une main lui mettoit sur la tête une couronne de laurier, et de l'autre tenoit un faisceau de palmes et de branches d'olivier; ce groupe fondu d'un seul jet étoit de plomb doré, ainsi que les ornements[146] qui l'accompagnoient. Au bas de la statue on lisoit cette inscription en lettres d'or: Viro immortali[147]. Aux quatre angles du piédestal étoient autant de figures en bronze de proportion, représentant des esclaves chargés de chaînes; on croyoit assez communément que ces figures désignoient les nations que Louis XIV avoit subjuguées; mais il est plus naturel de penser qu'on avoit voulu seulement exprimer, par une allégorie générale, la puissance de ce prince, et le bonheur de ses armes.
Les bas-reliefs qui couvroient les quatre faces du piédestal représentoient, le premier, la préséance de la France sur l'Espagne en 1662; le second, la conquête de la Franche-Comté en 1668; le troisième, le passage du Rhin en 1672; et le quatrième, la paix de Nimègue en 1678. Le monument entier, depuis la base jusqu'au sommet de la statue, avoit trente-cinq pieds d'élévation; le pourtour, jusqu'à neuf pieds de distance, étoit pavé de marbre et entouré d'une grille de fer de la hauteur de six pieds.
Enfin quatre grands fanaux ornés de sculpture éclairoient cette place pendant la nuit; ils étoient élevés chacun sur trois colonnes doriques, de marbre veiné, disposées en triangle, et dont les piédestaux étoient chargés de plusieurs inscriptions relatives aux actions les plus mémorables du roi. La dédicace de la statue se fit le 28 mars 1686[148] avec toute la pompe et toutes les cérémonies usitées en pareille circonstances[149]. Martin Vanden Bogaer, plus connu sous le nom de Desjardins, avoit conduit avec autant de talent que de succès tous ces ouvrages, dont il avoit fourni les dessins. C'étoit pour la première fois que la ville de Paris étoit ornée d'un monument en relief d'un volume aussi considérable, et l'on mettoit justement alors au nombre des chefs-d'œuvre de l'art une production à laquelle on ne pouvoit rien comparer dans les travaux de ce genre qui l'avoient précédée. Nous dirons plus: depuis on n'a rien fait, dans la sculpture monumentale, qui l'ait égalée, surtout sous le rapport de la composition. L'attitude du monarque étoit pleine de noblesse et de majesté, et le groupe entier pyramidoit avec une rare élégance. Quoique les esclaves placés au pied de la statue fussent d'une proportion colossale, cependant l'œil n'en étoit point blessé, parce qu'elles se trouvoient dans un rapport exact avec toutes les autres parties du monument: du reste, le faire savant et gracieux de ces figures ne le cédoit point à celui de la statue du héros; et elles étoient surtout estimées pour la beauté des expressions.
Afin de rendre ce monument aussi durable que les ouvrages des hommes peuvent l'être, le duc de La Feuillade céda et substitua perpétuellement de mâles en mâles, à ceux de sa maison, et après l'extinction de sa race, à la ville de Paris, le duché de La Feuillade, valant alors 22,000 livres de rente, à la charge par les possesseurs de pourvoir à toutes les réparations nécessaires, de faire redorer, tous les vingt-cinq ans, le groupe et les ornements qui l'accompagnoient, enfin d'entretenir dans les quatre fanaux des lumières suffisantes pour éclairer la place pendant la nuit dans toutes les saisons de l'année. Malgré tant de précautions prises pour assurer la durée de cette fondation, à peine le duc de La Feuillade fut-il mort qu'on y donna atteinte. Ce seigneur mourut au mois de septembre 1691, et dès le 20 avril 1699 le conseil d'état rendit un arrêt qui ordonnoit que dorénavant il ne seroit plus mis de lumière dans les quatre fanaux de la place des Victoires[150]; cet arrêt donna lieu à un autre, qui fut rendu deux ans après la mort de Louis-le-Grand, par lequel il fut permis au maréchal Louis de La Feuillade son fils de faire démolir ces fanaux, qui, n'étant plus allumés, étoient devenus entièrement inutiles[151].
»L'abbé de Choisy, dit Saint-Foix, raconte que le maréchal de La Feuillade avoit dessein d'acheter une cave dans l'église des Petits-Pères, et qu'il prétendoit la pousser sous terre, jusqu'au milieu de cette place, afin de se faire enterrer précisément sous la statue de Louis XIV. Je sais que le maréchal de La Feuillade n'avoit pas mérité, par des actions et des victoires signalées, d'avoir un tombeau à Saint-Denis, comme Duguesclin et Turenne; mais il n'étoit pas aussi de ces courtisans inutiles[152] à l'État, qu'on devoit enterrer au pied de la statue de leur maître, dans la place publique consacrée à l'idole qu'ils ont encensée et peu servie. La plaisanterie de l'abbé de Choisy est de ces traits qui tombent à faux, et qui ne font tort qu'à l'écrivain dont ils décèlent la malignité.»
Le témoignage de Saint-Foix est ici d'autant moins suspect, qu'il saisit assez volontiers l'occasion de lancer un sarcasme et de placer une épigramme, lorsqu'il s'agit des cours et de courtisans. Cependant on ne peut s'empêcher de reconnoître que le duc de La Feuillade, dans son amour pour Louis XIV, passa peut-être les bornes des affections qu'il est permis d'avoir pour un simple mortel; et, en rejetant l'histoire du caveau qui n'est point appuyée d'autorités suffisantes, du moins faut-il convenir qu'il avoit résolu de fonder des lampes qui auroient brûlé nuit et jour devant la statue; projet insensé dont l'exécution ne manqua que parce qu'on ne voulut pas lui permettre de l'exécuter.
LES AUGUSTINS RÉFORMÉS, DITS LES PETITS-PÈRES.
Nous avons déjà eu occasion de remarquer que, dans le quatorzième siècle, soit par le malheur des temps, soit par une suite naturelle de la foiblesse de l'homme qui tend sans cesse au relâchement, plusieurs ordres monastiques avoient beaucoup perdu de leur première ferveur. Quelques saints personnages, animés d'un zèle apostolique, entreprirent à différentes époques de faire revivre les observances établies par les fondateurs, et d'introduire la réforme dans les monastères qui s'étoient plus ou moins écartés de l'esprit de leur institution. Tel fut le père Thomas de Jésus, augustin portugais, d'une famille illustre par ses dignités et ses services, lequel conçut, en 1565, le projet de ramener les religieux de son ordre à une vie plus régulière. Quoiqu'il soit regardé par la plupart des historiens comme le principal auteur de la réforme des Augustins, cependant il est certain qu'il n'eut pas la satisfaction d'exécuter un si beau dessein: car on voit dans un abrégé de la vie de ce saint religieux, placé à la tête du livre des Souffrances de Jésus-Christ, dont il est l'auteur, «que son zèle pour la rigueur de l'observance lui fit entreprendre une réforme, mais qu'il trouva de si grands obstacles dans l'exécution, qu'il fut obligé d'abandonner son projet.» Il paroît en effet que tous ses efforts ne purent les surmonter, et qu'une longue captivité qu'il endura ensuite en Afrique le força à renoncer entièrement à une si louable et si grande entreprise.
Ce ne fut que cinq ou six ans après sa mort, arrivée en 1582, que le projet de la réforme fut renouvelé et accepté par le chapitre général, tenu à Tolède le 30 novembre 1588. Le père Louis de Léon, premier définiteur, en rédigea les constitutions, qui n'étoient que les anciennes observances, et elles furent approuvées par le pape Sixte-Quint. Cette réforme, reçue sous le nom d'Augustins déchaussés, fit des progrès rapides en Espagne et en Italie, où elle fut d'abord soumise à la juridiction du provincial de Castille. Mais comme les Augustins non réformés crurent pouvoir lui disputer cette autorité, le pape Clément VIII, par sa bulle du 11 février 1682, érigea les couvents réformés en province, avec faculté d'élire un provincial et des prieurs. Cette réforme étoit alors composée de dix congrégations, toutes hors de France, et gouvernées chacune par un vicaire général, sous la juridiction, visite et correction du général de l'ordre.
En 1594, Guillaume d'Avançon, archevêque d'Embrun et alors ambassadeur du roi auprès du souverain pontife, proposa d'établir dans le royaume des religieux de cette réforme, et offrit de les recevoir dans son prieuré de Villars-Benoît[153], ce qui fut agréé par un bref de Clément VIII, du 23 novembre 1595. Toutes les formalités nécessaires pour l'exécution de ce projet étant remplies, les pères François Amet et Mathieu de Sainte-Françoise, augustins françois, qui, quelque temps auparavant, s'étoient rendus à Rome pour y vivre au milieu des Augustins réformés, revinrent en France à la sollicitation de l'archevêque d'Embrun, et s'établirent à Villars-Benoît vers la fin de juillet 1596.
Les deux puissances temporelle et spirituelle concoururent à favoriser cette réforme. Le pape, par un bref du 21 décembre de l'an 1600, permit aux religieux de la nouvelle observance de s'étendre par toute la France, de recevoir des novices, des fondations, etc.; et Henri IV leur accorda, le 26 juin 1607, des lettres-patentes par lesquelles il approuve leur établissement à Villars-Benoît, et leur permet d'en former d'autres dans telle partie de son royaume qu'ils voudroient choisir. Mais ce fut à Marguerite de Valois, première femme de ce monarque, que les Augustins durent particulièrement leur établissement à Paris. Cette princesse étant revenue dans cette capitale en 1605, et voulant accomplir le vœu qu'elle avoit fait d'y fonder un monastère en action de grâces du danger imminent dont elle avoit été délivrée lorsqu'elle étoit renfermée dans le château d'Usson en Auvergne, résolut de bâtir un couvent et une église sous l'invocation de la Sainte-Trinité, avec une chapelle dite des Louanges, où quatorze religieux, se relevant tour à tour, deux par deux et d'heure en heure, devoient chanter les louanges de Dieu jour et nuit sans discontinuation. Pour l'exécution de ce dessein, elle jeta les yeux sur la communauté du père Amet son confesseur et son prédicateur ordinaire, le chargea de rassembler le nombre de sujets nécessaires pour composer cette nouvelle communauté, et céda ensuite à ces religieux, sous le nom d'Augustins réformés déchaux, un terrain suffisant pour la construction de l'église et du couvent[154], avec 6,000 livres de rente, aux charges et conditions portées par le contrat de fondation. Ce contrat, en date du 26 septembre 1609, fut approuvé par un bref du pape du 1er juillet 1610, et confirmé par les lettres-patentes du roi, données le 20 mars de la même année. Ces actes n'étoient que la confirmation solennelle des engagements que cette princesse avoit pris précédemment avec les Augustins: car, avant que leur demeure pût les recevoir, elles les avoit logés dans son palais; et, dès le 21 mars 1608, la première pierre de la chapelle dite des Louanges, qui a subsisté jusqu'à ces derniers temps, avoit été posée par ses ordres.
Les Augustins réformés prirent possession du monastère et des revenus que la reine Marguerite leur avoit donnés, et ils en jouissoient depuis trois ans, lorsque cette princesse, soit par inconstance, soit par quelque mécontentement particulier à l'égard du père Amet, révoqua la donation qu'elle avoit faite en faveur de ces religieux, et les obligea, le 29 décembre 1612, à sortir de leur couvent, et à le céder à d'autres Augustins réformés de la province de Bourges, qu'elle leur substitua par contrat du 12 avril 1613.
La reine Marguerite chercha à couvrir l'inconséquence et l'injustice de ce procédé, en alléguant que les Augustins déchaussés ne remplissoient pas et ne pouvoient pas remplir les clauses du contrat du 26 septembre 1609, dont une portoit textuellement que lesdits religieux s'obligeoient «de faire chanter en ladite Chapelle des Louanges, en l'intention de ladite dame royne, perpétuellement les hymnes, cantiques et psaumes d'action de grâce ci-dessus mentionnés, et selon les airs qui en seront baillez par ladite dame royne, etc.» Or, disoit Marguerite, la règle des Augustins déchaussés ne leur permet pas de chanter, mais seulement de psalmodier; de plus ils sont constitués ordre mendiant: donc ils ne peuvent posséder des rentes, etc. Ceux-ci répondoient en peu de mots que toutes ces difficultés, qui existoient au moment de la donation comme alors, avoient été levées par leur acquiescement au contrat de fondation, et par la sanction du pape et du roi. Une telle réponse n'admettoit aucune réplique; mais la puissance l'emporta sur la justice, et les Augustins déchaussés, malgré leurs réclamations et leurs protestations plusieurs fois réitérées, furent contraints d'abandonner leur couvent, et même de quitter Paris et de retourner à Avignon et à Villars-Benoît[155].
Les historiens ne sont pas d'accord sur l'époque du retour de ces religieux dans la capitale: cependant on peut conjecturer avec quelque fondement qu'ils y revinrent vers l'année 1619[156], puisque la permission de M. de Gondi, archevêque de Paris, pour l'établissement d'un couvent de cette réforme, est du 19 juin 1620. Ils se logèrent alors dans une maison qu'ils avoient louée, hors de la porte Montmartre, près de l'endroit où fut bâtie depuis l'église de Saint-Joseph.
Leur communauté s'étant fort augmentée, et le local qu'ils occupoient devenant trop resserré, les Augustins déchaussés achetèrent, en 1628, un terrain contenant environ huit arpents, lequel étoit situé près du Mail, entre le faubourg Saint-Honoré et le faubourg Montmartre, et prièrent le roi Louis XIII, alors régnant, de vouloir bien se déclarer le fondateur du nouveau couvent qu'ils avoient le projet de bâtir sur cet emplacement. Ce monarque, ayant consenti à leur accorder cette faveur, descendit, le 9 décembre 1629, dans les fondements, posa la première pierre de l'église; et en reconnoissance des victoires qu'il avoit remportées par l'intercession de la Sainte-Vierge, et spécialement de celle qui lui avoit soumis la Rochelle l'année précédente, il ordonna que l'église qu'on alloit bâtir fût dédiée sous l'invocation de Notre-Dame-des-Victoires.
Cette église étant devenue trop petite relativement au quartier, dont la population s'augmentoit tous les jours, on commença à en bâtir une nouvelle en 1656. Elle fut bénie le 20 décembre de l'année suivante; mais, faute de moyens pécuniaires, la construction en fut interrompue à différentes reprises, et ce n'est qu'en 1730 qu'elle fut totalement achevée. M. Leblanc, évêque de Joppé, qui avoit été religieux augustin, la consacra le 13 novembre de la même année.
Les religieux qui vivoient sous la règle de Saint-Augustin étoient fort multipliés au seizième siècle; mais les différentes congrégations de cet ordre n'étoient point uniformes dans leur habillement ni dans leur chant. Benoît XIII, par son bref du 27 janvier 1726, enregistré en parlement le 27 juillet de la même année, ordonna qu'ils se conformeroient au chant grégorien, qu'ils porteroient un capuce rond, et se feroient raser la barbe; un autre bref de Benoît XIV, du 1er février 1746, approuvé par lettres-patentes du roi, données le 7 avril suivant, permit aux Augustins déchaussés de porter la chaussure comme les autres religieux augustins. Ils furent soumis, à cette époque, et par ce même bref, à un vicaire-général élu par le chapitre de la congrégation.
Quant au nom de Petits-Pères qu'on donnoit vulgairement à ces religieux, nous n'avons rien trouvé de bien authentique sur son origine. Les uns croient qu'ils durent cette dénomination à la petitesse et à la pauvreté de leur premier établissement; d'autres racontent que Henri IV ayant aperçu dans son antichambre les pères Mathieu de Sainte-Françoise et François Amet, qui étoient fort petits, demanda qui étoient ces petits pères-là, et que dès-lors on commença à les appeler Petits-Pères.
L'église de cette congrégation, qui existe encore, mais qui a changé de destination[157], n'est ni d'une étendue considérable, ni d'une bonne distribution. Elle se compose d'une nef de trente-quatre pieds de largeur dans œuvre, sur vingt-deux toises, cinq pieds de longueur, y compris le sanctuaire, et de quarante-neuf pieds de hauteur sous clef. Cette nef, décorée d'une ordonnance ionique de vingt-six pieds d'élévation, est flanquée dans toute sa longueur de chapelles de quinze pieds de profondeur, dont les murs de refend étoient fermés de portes et de grilles de fer. Ces portes étoient dans l'alignement des petites portes collatérales du portail, de manière que les chapelles de cette église lui tenoient lieu alors de bas-côtés.
Au-dessus de l'ordre ionique s'élève la voûte, laquelle est sphérique, en plein cintre, et se prolonge sur toute la capacité du vaisseau. On y a pratiqué des croisées formant lunettes, et séparées par des archivoltes qui tombent à l'aplomb de chaque pilastre, le tout couvert de cassettes, tables chantournées, etc. Le maître-autel, qui séparoit le chœur de la nef, étoit isolé à la romaine, construit en marbre et enrichi de bronzes, dorures, etc. On estimoit la menuiserie du jeu d'orgues et celle du chœur; du reste cette église, décorée de tribunes en pierres, percée de cette quantité d'arcades formant chapelles, surchargée d'ornements bizarres et mesquins, est encore un de ces monuments du mauvais goût qui a régné si long-temps dans l'architecture françoise. Les fondations en furent commencées par Pierre-le-Muet; Libéral Bruant éleva l'église jusqu'à sept pieds au-dessus de terre; et elle fut enfin achevée par un troisième architecte, Gabriel Leduc. Toutefois l'ouvrage resta imparfait jusqu'en 1739, qu'on construisit le portail sur les dessins de Cartaud, architecte du roi.
Ce portail est encore une imitation de ces formes pyramidales imaginées par Mansard, et employées dans presque toutes les églises bâties à cette époque. Il est composé de deux ordres de pilastres, l'un ionique et l'autre corinthien. Les critiques d'alors blâmèrent ces pilastres, et auroient préféré des colonnes; mais, quelque parti qu'on eût pris, avec de semblables lignes et un ensemble aussi bizarre, il étoit bien impossible de produire un beau monument. La façade entière a soixante-trois pieds d'élévation non compris le fronton, et soixante-quinze pieds et demi de largeur[158].
Les bâtiments du couvent étoient situés à la gauche du chœur, et n'avoient rien de remarquable[159].
CURIOSITÉS DU MONASTÈRE ET DE L'ÉGLISE DES AUGUSTINS DÉCHAUSSÉS.
TABLEAUX.
Au-dessus de la corniche du pourtour de la croisée, les quatre Évangélistes, par Robin.
Dans la quatrième chapelle à gauche, un saint Jean dans le désert, par Bon Boullogne.
Dans la première chapelle à droite, un autre saint Jean dans le désert, par La Grenée jeune.
Dans la quatrième chapelle du même côté, saint Nicolas de Tolentin, par Galloche.
Le chœur étoit décoré de sept tableaux peints par Carle Vanloo.
- 1o. Le baptême de saint Augustin, et celui d'Alipe son ami.
- 2o. Saint Augustin prêchant devant Valère.
- 3o. Son sacre.
- 4o. Sa dispute contre les Donatistes.
- 5o. La mort de ce saint évêque.
- 6o. La translation de ses reliques.
- 7o. Louis XIII, accompagné du cardinal de Richelieu, promettant à la Vierge de lui bâtir une église.
Sur la porte de la sacristie, saint Grégoire délivrant les âmes du purgatoire, par Bon Boullogne.
Au fond de cette même sacristie, la translation que fit faire Luitprand, roi des Lombards, des reliques de saint Augustin, par Galloche.
Il y avoit un grand nombre de tableaux de différents maîtres dans le cloître, le réfectoire et la bibliothèque, et principalement dans un cabinet contenant des médailles, des antiquités et des objets d'histoire naturelle.—La collection qu'on y voyoit étoit composée, dit-on, de morceaux très-précieux des trois écoles.
SCULPTURES ET TOMBEAUX.
Dans la chapelle de la Vierge, sa statue, sous le nom de Notre-Dame de Savone. Cette chapelle avoit été revêtue de marbre en 1674, par ordre de Louis XIV, qui en avoit fait la promesse à la reine sa mère. La statue de la Vierge y fut alors placée.
C'étoit une figure de marbre blanc de Carrare, de six pieds de proportion, revêtue d'un manteau, et ayant sur la tête une couronne dorée, telle que l'aperçut, dans une vision, Antoine Botta, paysan des environs de Savone, qui institua cette dévotion. Sa figure, en petit et à genoux, se voyoit sur une console près de l'autel.
Dans la chapelle en face, la statue en marbre de Saint-Augustin, par Pigalle.
La sixième chapelle à droite contenoit le tombeau du marquis de l'Hôpital, mort en 1702, par Jean-Baptiste Poultier. Ce tombeau étoit de marbre noir. Au-dessus on voyoit une pleureuse assise, tenant d'une main un mouchoir, et de l'autre un médaillon, sur lequel étoient deux têtes, représentant le marquis et la marquise de l'Hôpital.
Dans la quatrième chapelle à gauche étoit le tombeau du musicien Lulli, mort en 1687. Ce monument, qui fut transporté au musée des Petits-Augustins, est composé d'un cénotaphe noir, auquel sont adossées deux femmes dans l'attitude de la plus profonde douleur. Deux génies, qu'on suppose représenter les deux genres de la musique, sont assis sur la pierre du tombeau: au-dessus est placé le buste en bronze de ce musicien célèbre. Toute cette composition, qui n'est pas dépourvue de mérite, quoiqu'un peu maniérée, surtout dans le jet des draperies, a été exécutée par un sculpteur nommé Cotton, élève du célèbre Anguier.
Dans le même tombeau avoit été aussi inhumé Michel Lambert, beau-père de Lulli, mort en 1696.
Dans une autre chapelle étoit la sépulture de Gédéon Dumetz, comte de Rosnay, président honoraire de la chambre des comptes, mort en 1709.
La bibliothèque de ces pères, l'une des plus belles des monastères de Paris, avoit cent trente-un pieds de long sur dix-neuf de large; elle contenoit près de 40,000 volumes, rangés dans un très-bel ordre. On y voyoit deux globes de Coronelly, et beaucoup de portraits de grands hommes et de savants, parmi lesquels on remarquoit celui d'un de leurs religieux, peint par Rigaud. Au milieu du plafond étoit une fresque remarquable en ce qu'elle avoit été exécutée en dix-huit heures par Mathey; elle représentoit la Religion s'unissant à la Vérité pour chasser l'Erreur.
L'ÉGLISE SAINT-JOSEPH.
Cette chapelle, qui dépendoit de la paroisse de Saint-Eustache, n'étoit pas précisément une succursale, comme quelques auteurs l'ont cru: car l'abbé Lebeuf observe qu'elle n'avoit ni saint ciboire ni fonts baptismaux. Voici ce que les historiens de Paris, qui ont parlé très-succinctement de cette petite église, nous apprennent de son origine: Le cimetière de la paroisse de Saint-Eustache étoit placé, en 1625, dans la rue du Bouloi, derrière l'hôtel du chancelier Séguier. Ce terrain, qui contenoit environ trois cents toises, se trouvant à la convenance de ce magistrat, il fit un traité avec les marguilliers de Saint-Eustache, par lequel ils lui cédèrent l'emplacement de leur cimetière, à la charge de leur en fournir un autre dans le faubourg Montmartre, et d'y faire construire une chapelle sous l'invocation de saint Joseph. Cette convention fut ratifiée, la même année, par l'archevêque de Paris[160]. Cependant il paroît qu'elle ne fut pas exécutée sur-le-champ; car des lettres du même archevêque, du 14 juillet 1640, nous apprennent que, ce même jour, la première pierre d'une chapelle qui devoit être dédiée sous le titre et l'invocation de saint Joseph, fut bénite par le curé de Saint-Eustache, et posée par M. le chancelier Séguier, qui s'étoit obligé de la faire construire à ses frais. Le cimetière de la rue du Bouloi fut en même temps transféré à côté de cette chapelle. Il existoit à Paris peu d'édifices de ce genre dont l'architecture fût plus simple et plus médiocre; mais ce lieu n'en est pas moins à jamais célèbre: c'étoit là que deux des plus beaux génies du grand siècle littéraire de la France, Molière et La Fontaine, avoient leur sépulture[161].
LES FILLES DE SAINT-THOMAS-D'AQUIN.
Les filles Saint-Thomas étoient des religieuses de l'ordre de Saint-Dominique, dont le couvent étoit situé rue Neuve-Saint-Augustin, en face de la rue Vivienne[162]. Ces filles devoient leur établissement à Paris à Anne de Caumont, femme de François d'Orléans de Longueville, comte de Longueville, comte de Saint-Pol et duc de Fronsac. Cette dame ayant obtenu du cardinal Barberin, légat du pape Urbain VIII[163], la permission de fonder à Paris un monastère de religieuses de l'ordre des frères prêcheurs réformés, sous l'invocation de sainte Catherine de Sienne, fit venir de Toulouse, avec le consentement de l'archevêque de cette ville, la mère Marguerite de Jésus et six autres religieuses du même ordre. Arrivées à Paris le 27 novembre 1626, elles furent installées, le 2 mars de l'année suivante, avec l'approbation de l'archevêque de Paris, dans une maison appelée l'hôtel du Bon Air, située au faubourg Saint-Marcel, rue Neuve-Sainte-Geneviève. Ces religieuses y demeurèrent jusqu'en 1632, qu'elles allèrent se loger vieille rue du Temple, au Marais; mais la maison qu'elles y occupoient n'étant pas encore d'une distribution assez commode pour une communauté, on construisit pour elles, dans la rue Neuve-Saint-Augustin, un couvent où elles vinrent s'établir le 7 mars 1642[164], et dans lequel elles sont demeurées jusqu'à leur suppression.
Ces religieuses, étant entrées dans leur nouveau domicile le jour que l'église célèbre la fête de saint Thomas, l'un des personnages les plus illustres de l'ordre de saint Dominique, jugèrent à propos de signaler une époque si solennelle pour leur communauté en prenant le nom de ce saint docteur: telle est l'origine de cette dénomination.
Le portail extérieur de leur monastère faisoit face à la rue Vivienne et n'avoit rien de remarquable. Le frontispice de l'église, qui ne fut totalement achevée qu'en 1715, ne l'étoit pas davantage[165]; cette église étoit décorée intérieurement de pilastres et d'arcades, et n'avoit d'autre ornement qu'un tableau peint par d'Ulin, représentant saint Jérôme au désert.
La comtesse de Saint-Pol, fondatrice des Filles Saint-Thomas, avoit été inhumée dans l'église de leur ancien couvent au Marais. Ses cendres furent transportées dans celle du nouveau monastère, lorsque ces religieuses y eurent été établies.
THÉÂTRE ITALIEN.
Ce théâtre, uniquement occupé, depuis son érection, par la troupe de l'Opéra-Comique, doit le nom qu'il porte encore aux comédiens italiens, dont les acteurs chantants ne furent pendant long-temps que de simples associés. L'établissement en France de ces farceurs ultramontains remonte jusqu'au règne de Henri III, qui en fit demander une troupe à Venise pour jouer devant lui, pendant les états de Blois. Ils vinrent ensuite à Paris, où ils débutèrent le 15 juin 1577, à l'hôtel du Petit-Bourbon, sous le titre singulier de gli Gelosi[166]. «Il y avoit un tel concours, dit un auteur contemporain, que les quatre meilleurs prédicateurs de Paris n'en avoient pas tous ensemble autant quand ils prêchoient.» Le même auteur ajoute «que le 26 juin suivant, la cour assemblée aux Mercuriales fit défense aux Gelosi de plus jouer leurs comédies, parce qu'elles n'enseignoient que paillardises.»
Cette défense ne tarda pas à être levée: par ordre exprès du roi, les comédiens italiens rouvrirent leur théâtre après trois mois d'interruption, et continuèrent encore pendant quelque temps de représenter leurs farces grossières; mais les troubles du royaume les forcèrent bientôt de l'abandonner et de retourner en Italie.
En 1584 on vit paroître une autre troupe qui ne fit à Paris qu'un très-court séjour, et fut remplacée, en 1588, par une troisième dont l'apparition ne fut pas de plus longue durée. Henri IV en amena de Piémont une quatrième qui quitta encore la France au bout de deux années. Trois nouvelles troupes se succédèrent sans beaucoup de succès sous Louis XIII et sous le ministère du cardinal Mazarin. Enfin il en vint une qui, plus heureuse ou pourvue de meilleurs acteurs, obtint sous Louis XIV la permission de jouer d'abord à l'hôtel de Bourgogne[167] alternativement avec les comédiens françois; puis sur le théâtre du petit Bourbon avec la troupe de Molière; ensuite sur celui du Palais-Royal. Bientôt après, les deux troupes d'acteurs françois s'étant réunies dans les salles de la rue Guénégaud, les comédiens italiens se trouvèrent seuls possesseurs de l'hôtel de Bourgogne, où ils continuèrent leurs représentations.
La composition de leurs pièces, les personnages qu'ils y faisoient paroître, sembloient offrir quelque image imparfaite de l'ancienne comédie latine; mais du reste on y retrouvoit toute la licence et toute la barbarie d'un théâtre encore dans son enfance. Ces personnages dont les noms et les caractères étoient invariablement fixés, et qui reparoissoient sans cesse dans toutes leurs intrigues, étoient en Italie au nombre de douze[168], dont quatre seulement furent conservés en France sur leur théâtre devenu par degrés plus régulier. Quant aux pièces italiennes, c'étoient de simples canevas qu'on attachoit derrière les coulisses, et que chaque acteur consultoit avant d'entrer en scène, où il parloit ensuite d'inspiration. Il résultoit le plus souvent de cette comédie improvisée des conversations plates, diffuses et ennuyeuses, mais quelquefois aussi un dialogue très-naturel et très-plaisant, lorsque l'acteur avoit de l'esprit, et que le fond de la situation étoit réellement comique. Les deux Dominique, Thomassin y excellèrent; et, vers la fin du siècle dernier, on a vu le dernier et peut-être le plus parfait de ces arlequins, Carlin, aussi amusant par le naturel de son jeu que par la finesse naïve de ses saillies, attirer encore la foule et charmer la meilleure compagnie de Paris dans des scènes entières qu'il composoit, dit-on, sur-le-champ, et rendoit aussitôt avec une grâce inimitable.
Cependant ces pièces à canevas, débitées au milieu de la capitale, dans une langue étrangère, n'eurent jamais un succès général; et les comédiens italiens, qui sentoient l'impossibilité de se soutenir avec d'aussi foibles ressources, hasardèrent, dès le commencement de leur établissement à l'hôtel de Bourgogne, d'y mêler quelques pièces françoises. Les acteurs françois s'en plaignirent: Louis XIV ayant daigné se faire juge du différent, une saillie[169] de l'arlequin Dominique, qui portoit la parole au nom de sa troupe, décida le gain de sa cause; et le monarque, qu'il avoit fait rire, voulut que les Italiens continuassent à jouer en françois. Mais ils abusèrent de cette permission: les pièces qu'ils représentoient, composées par des auteurs médiocres, n'eurent de succès que par les indécences et les personnalités dont elles étoient remplies. Ils poussèrent même l'audace jusqu'à travestir sur leur scène les personnages les plus distingués[170]; et ce scandale devint si intolérable, que le roi donna ordre que leur théâtre fût fermé, avec défense expresse aux acteurs de jouer à Paris sur quelque autre théâtre que ce fût. Cet ordre fut exécuté le 4 mai 1697.
Dix-neuf ans après, le duc d'Orléans, régent, fit venir d'Italie une nouvelle troupe pour laquelle on rouvrit le théâtre de l'hôtel de Bourgogne, où elle débuta le 16 mai 1716, par une pièce intitulée l'Inganno Fortunato (l'Heureuse surprise). À leurs anciens canevas italiens, ces nouveaux acteurs joignirent aussi des pièces françoises, mais qui furent faites avec plus d'art et de talent; et c'est alors que Marivaux et Boissy enrichirent ce théâtre de leurs ouvrages. Cependant son succès fut si médiocre, qu'en 1721 ses acteurs imaginèrent de quitter l'hôtel de Bourgogne pour venir s'établir à la Foire. Ils y jouèrent trois années consécutives, pendant le temps de la foire seulement[171]. Mais la fortune ne les ayant pas traités plus favorablement dans ce nouvel établissement, ils se virent forcés de retourner à leur ancien domicile.
Dans cette même année 1721, où les comédiens italiens faisoient leur début à la foire Saint-Laurent, on y vit reparoître les acteurs de l'Opéra-Comique qui en avoient été long-temps exclus, et qui étoient alors, pour les premiers, des rivaux extrêmement redoutables. Ce spectacle, dont la destinée a été si brillante vers la fin du siècle dernier, avoit eu l'origine la plus obscure, ne jouissoit encore que d'une existence précaire, et éprouva de grandes vicissitudes avant d'obtenir quelque consistance. En 1678 une misérable troupe ambulante étoit venue s'établir aux foires Saint-Germain et Saint-Laurent; elle y représenta quelques intermèdes qui n'étoient qu'un composé bizarre de plaisanteries grossières, de danses, de machines et de sauts périlleux: tels furent les commencements de l'Opéra comique.
Toutefois ces comédiens forains ne prirent ce dernier titre que trente-sept ans après, au moyen d'un traité qu'ils firent avec les syndics et directeurs de l'Opéra. Les pièces qui composèrent leur premier répertoire n'étoient que de petites comédies en prose mêlées de vaudevilles, et accompagnées de danses et de ballets, auxquelles ils joignirent des parodies de toutes les pièces représentées à l'Opéra et à la Comédie Françoise. Plusieurs écrivains d'un véritable talent, entre autres le célèbre Le Sage, ne dédaignèrent point alors de travailler pour ce théâtre. On y vit bientôt paroître une foule de petits ouvrages pétillant d'esprit et de gaieté, qui y attirèrent un tel concours de spectateurs, que les grands théâtres furent entièrement abandonnés. Les comédiens françois, voyant leur salle déserte, se plaignirent de nouveau, et, faisant valoir leurs priviléges, obtinrent une ordonnance qui défendoit aux comédiens forains de jouer autre chose que des pantomimes. Réduits au rôle des personnages muets, ceux-ci imaginèrent plusieurs expédients qui piquèrent la curiosité et ajoutèrent encore à leurs succès. Le premier fut d'écrire sur des cartons, et en caractères assez gros pour qu'on pût les lire dans toute la salle, la prose ou les vers qu'il étoit interdit à l'acteur de débiter[172]. Le second, qui parut plus piquant, fut de faire jouer par leur orchestre des airs connus sur lesquels des gens payés par eux et répandus dans le parterre chantoient des couplets, tandis que l'acteur faisoit des gestes sur le théâtre. Il arrivoit souvent que les spectateurs s'unissoient à eux par un chorus général, ce qui répandoit une sorte d'ivresse dans la salle, et faisoit tourner toutes les têtes. Enfin l'engouement pour les acteurs de l'Opéra-Comique devint tel, que les comédiens françois ne virent d'autres moyens pour éviter leur ruine complète, que d'obtenir que ce théâtre seroit tout-à-fait fermé. Ce fut à la foire Saint-Laurent de 1718 que la défense de revenir aux foires suivantes leur fut signifiée.
Cette défense dura trois ans. En 1721 on les vit reparoître, comme nous venons de le dire, d'abord à la foire Saint-Germain, où ils ne jouèrent que des vaudevilles, et ensuite à celle de Saint-Laurent, où ils obtinrent la permission de représenter des opéras comiques. Depuis cette époque jusqu'en 1752, pendant un espace de trente ans, tour à tour supprimés ou rétablis, ils passèrent successivement sous l'administration de plusieurs directeurs toujours incertains de conserver leur entreprise, et faisant d'ailleurs d'assez mauvaises affaires à cause des obstacles de tout genre que leur suscitoient les grands théâtres. Enfin, en 1752, le privilége de l'Opéra-Comique ayant été accordé pour la seconde fois au sieur Monnet, il imagina de faire bâtir une salle élégante à la foire Saint-Laurent, rassembla un orchestre excellent, fit un choix de pièces agréables, ce qui ramena le public à ce spectacle, et lui fournit le moyen de faire une petite fortune après quatre ans d'administration. À sa retraite, la direction de ce théâtre passa entre les mains d'une compagnie à la tête de laquelle étoit le sieur Favart. Il en fit l'ouverture à la foire Saint-Germain, et l'enrichit d'un grand nombre de petits ouvrages dont l'agrément sembloit devoir assurer la prospérité de son entreprise. Mais la nouvelle société étoit à peine établie, que l'Académie royale de musique, toujours maîtresse souveraine des destinées de tous ces théâtres subalternes, jugea à propos de lui retirer son privilége et de l'affermer aux Italiens, qui ne l'avoient sollicité que dans l'espérance de se relever un peu, par cette réunion, du discrédit dans lequel ils étoient tombés. Les deux théâtres quittèrent alors pour toujours les foires Saint-Laurent et Saint-Germain, et se fixèrent à l'hôtel de Bourgogne. Ceci arriva en 1761.
Ce fut là l'époque brillante de l'Opéra-Comique. Alors parurent les jolies bagatelles qui formèrent le fond de son répertoire, et les compositeurs célèbres dont la musique expressive et gracieuse fait encore aujourd'hui le charme des amateurs. Cette troupe possédoit en même temps des acteurs excellents; son orchestre étoit un des meilleurs de Paris; enfin tout sembloit réuni pour faire de l'Opéra-Comique un spectacle nouveau, bien frivole sans doute, mais par cela même bien fait pour enchanter la société oisive et plus frivole encore à laquelle il étoit destiné. Il en résulta que les canevas italiens, déjà discrédités, parurent encore plus insipides après la réunion. Plusieurs acteurs qui se retirèrent ne furent point remplacés; et après la retraite de Carlin, qui seul soutint ce genre jusqu'en 1780, il n'y eut plus d'Italiens à ce théâtre. L'Opéra-Comique y tint alors la première place, et joua alternativement avec les comédiens françois de la troupe italienne, qui peu à peu ont aussi disparu, parce qu'ils étoient médiocrement goûtés.
En 1783, ces deux dernières troupes, encore réunies, quittèrent la rue Mauconseil pour s'établir dans la nouvelle salle qu'on venoit de construire pour eux, entre les rues de Grammont et de Richelieu, sur l'emplacement d'un hôtel appartenant à M. le duc de Choiseul. Cet édifice, qu'ils ont quitté encore depuis la révolution, est celui dont nous donnerons ici la description.
Il fut élevé en 1782 sur les dessins de Heurtier. Un péristyle de huit colonnes de l'ordre ionique antique en décore la façade. Six de ces colonnes sont placées sur le devant, et deux en retour sont engagées dans le massif du bâtiment. Les proportions de cette ordonnance ont un caractère mâle et peut-être trop sévère pour un édifice de ce genre. L'architecte s'est même abstenu d'y introduire aucun ornement de sculpture: un acrotère lisse couronne le dessus de l'entablement et les joints horizontaux de l'appareil sont la seule richesse qui relève le mur du fond, percé de baies, carrées au rez-de-chaussée, et cintrées en arcades au premier étage[173].
La place sur laquelle donne cette façade est régulièrement bâtie, et ce monument a l'avantage de présenter une masse parfaitement isolée entre quatre points de communication, la place, le boulevart et les deux rues latérales; ce qui donne à son ensemble un aspect assez imposant. Toutefois les connoisseurs éprouvent quelque regret de voir adossée à cet édifice une maison particulière dont le terrain, réuni à celui du théâtre, eût fourni à l'architecte les moyens d'étendre sa composition, en pratiquant, du côté du boulevart, un portique, de vastes foyers, une salle de répétition; enfin en mettant cette partie dans un rapport symétrique avec le reste du monument. C'est ainsi que, dans les grandes entreprises d'architecture faites à Paris, il arrive trop souvent que des vues d'intérêt personnel viennent en traverser l'exécution, et mécontentent à la fois et le public et l'architecte.
L'intérieur de la salle offroit dans le principe une forme ovale divisée en trois rangs de loges, couronnées par un entablement, derrière lequel s'élevoit une grande voussure en caissons. Peu de temps après on jugea à propos d'y faire des changements dont la direction fut confiée à M. de Wailly. Dans la hauteur de cet entablement et de la voussure, il pratiqua deux rangs de loges de plus sur les côtés, et, dans la partie qui fait face au théâtre, un paradis en forme d'amphithéâtre.
Le plafond, peint par Renou, représentoit Apollon et les Muses. Il a été détruit dans les dernières restaurations faites à cette salle[174].
LES CAPUCINS DE LA CHAUSSÉE-D'ANTIN.
Dans les vingt dernières années qui précédèrent la révolution, le quartier de la Chaussée-d'Antin avoit totalement changé de face; on y avoit percé de nouvelles rues et bâti un grand nombre de belles maisons qui se remplissoient d'habitants. Il en résulta bientôt que cette partie de la ville, devenant de jour en jour plus considérable, se trouva trop éloignée de la paroisse Saint-Eustache, dont elle dépendoit, pour en obtenir régulièrement les secours nécessaires à une si nombreuse population. Cette circonstance fit naître l'idée d'y établir un couvent de religieux; et le gouvernement ayant jeté les yeux sur les Capucins, qu'il jugea propres à remplir le but qu'il se proposoit, leur fit construire, au bout de la rue Thiroux, la maison dont nous parlons. Dès qu'elle fut achevée, les religieux de cet ordre qui habitoient le monastère de la rue Saint-Jacques y furent transférés solennellement, ce qui se fit le 15 septembre 1783. La bénédiction de l'église avoit été faite par l'archevêque le 20 novembre 1782.
Ce monument, qui existe encore[175], offre, du côté de la rue Thiroux, une surface de vingt-sept toises de largeur sur sept de hauteur, y compris le portail de l'église. La façade, d'une belle proportion, présente, dans son étendue, un corps de logis et deux pavillons en avant-corps[176]. Les pavillons sont composés d'un grand fronton et d'un petit attique, et sur la ligne entière de la façade sont pratiquées huit niches destinées à recevoir des figures; au-dessus étoient placés deux bas-reliefs de Clodion, qui ont été arrachés.
On entre dans cet édifice par trois portes percées dans le corps de logis et dans les deux pavillons. Celle du milieu conduit à une grande cour couverte en terrasse; elle est élevée de deux marches, et décorée d'un ordre toscan, qui présente en petit une imitation des monuments de Pestum[177]. Cette galerie servoit de point de communication entre les diverses parties de l'édifice: elle conduisoit à l'église, située dans le pavillon à gauche, et aux logements des religieux, qui occupoient celui de la droite. La façade contenoit un vestibule, les parloirs, les escaliers; et par les portes latérales extérieures on entroit dans l'église et dans les cellules.
Ce joli monument fait le plus grand honneur à son architecte, M. Brongniart. Les formes en sont gracieuses, les profils purs, l'ordonnance générale d'une noble simplicité. L'intérieur de l'église est également digne d'attention: il est décoré d'une ordonnance dorique; des joints d'appareil sont tracés sur toute la surface des murs et des voûtes; et cette décoration, élégante et simple, est exécutée avec autant d'intelligence que de goût.
Le porche d'entrée de l'église forme tribune; l'ancien autel en forme de sarcophage, étoit en bois; et au fond du chœur des religieux, pratiqué derrière cet hôtel, on voyoit pour toute peinture une grisaille imitant le bas-relief, laquelle représentoit la prédication de saint François.
Plusieurs personnes se sont étonnées et s'étonnent encore de ce que, dans une église si nouvellement bâtie, on ne voit de chapelles que d'un côté: c'étoit un usage anciennement établi dans les maisons de l'ordre de Saint-François, et l'architecte a été forcé de s'y conformer.
Cet ordre n'est pas le seul où cet usage singulier, et dont nous n'avons pu découvrir l'origine, soit constamment pratiqué. Plusieurs autres maisons d'ordre mendiants l'observent dans la construction de leurs églises; et nous citerons entre autres les Augustins, qui n'ont également qu'un rang de chapelles latérales.
Au-delà du cloître est un jardin d'une assez grande étendue, et une cour de service ayant entrée sur la rue.
La bibliothèque de ces religieux étoit composée de cinq à six mille volumes, parmi lesquels on distinguoit la première bible imprimée au Louvre. On y voyoit aussi cinq tableaux de Vignon, représentant différents traits de la vie de saint François.
LA CHAPELLE NOTRE-DAME-DE-LORETTE, OU DES PORCHERONS.
Cette chapelle étoit située[178] au bout du faubourg Montmartre, à l'extrémité de la rue Coquenart. On ignore et l'époque précise de son érection et le nom de son fondateur. Le premier acte authentique où il en soit fait mention est un titre du 13 juillet 1646, par lequel M. de Gondi, archevêque de Paris, permet aux habitants des Porcherons, des paroisses de Saint-Eustache et de Montmartre, d'y établir une confrérie sous le titre de Notre-Dame-de-Lorette, dont la fête devoit être célébrée le jour de la Nativité de la Sainte-Vierge. On y voit, par les lettres que ce prélat fit expédier à cette occasion, que c'étoient ces mêmes habitants qui avoient demandé et obtenu la permission de faire construire cette chapelle pour y recevoir, en cas de nécessité, les sacrements et autres consolations spirituelles. Comme elle fut bâtie sur le territoire de la paroisse de Montmartre, elle ne fut reconnue alors que pour une aide de cette paroisse, et non pour une succursale, comme le dit Jaillot, qui confond mal à propos ces deux dénominations. En effet, les lettres de l'archevêque de Paris dont nous venons de parler portent que les confrères n'y pourront faire chanter la messe à haute voix, excepté les jours de fêtes consacrés spécialement à la Vierge; qu'on n'y fera point d'eau bénite, et qu'il n'y sera offert de pain à bénir que pendant ces mêmes solennités. Ce n'est que vers la fin du dernier siècle que le service divin s'est fait dans cette chapelle d'une manière régulière, comme dans une église succursale. Nous n'avons pu découvrir si cet usage s'introduisit par le consentement formel du curé de Montmartre, ou simplement avec son approbation tacite.
Le jour de la fête de la présentation, dite de la Chandeleur, tous les garçons des Porcherons et des environs avoient le privilége d'y rendre le pain bénit, et alloient à l'offrande un cierge à la main.
LA CHAPELLE SAINT-JEAN-PORTE-LATINE.
Cette chapelle, bâtie peu de temps avant la révolution, sur la droite de la grande rue du faubourg Montmartre, au-dessus de la rue de Buffaut, étoit desservie par deux prêtres, et servoit d'aide à la paroisse Saint-Eustache.
On y a depuis quelque temps transporté la dévotion de Notre-Dame-de-Lorette; et elle est devenue paroisse sous ce dernier nom.
HÔTELS.
ANCIENS HÔTELS DÉTRUITS.
Hôtel de Beautru.
Il étoit situé rue Neuve-des-Petits-Champs. On en fit depuis les écuries d'Orléans.
Il étoit situé rue de Richelieu, à l'endroit où est maintenant la rue Neuve-Saint-Marc. C'est sur l'emplacement de ses jardins qu'ont été bâtis le théâtre italien et les édifices qui l'environnent[179].
Hôtel de Cléry.
Cet hôtel existoit en 1540 dans la rue qui porte son nom, et aboutissoit alors aux fossés de la ville.
Hôtel de la Ferté-Senecterre.
Ce vaste édifice, isolé entre les rues Neuve-des-Petits-Champs et des Fossés-Montmartre, fut abattu lors de la construction de la place des Victoires[180].
Hôtel de Menars.
Cet hôtel, élevé dans la rue qui en a pris le nom, avoit succédé à celui de Grancey et au jardin Thevenin, dont Sauval fait une longue et pompeuse description.
Il étoit situé rue Neuve-Saint-Augustin. Cet hôtel fut démoli en 1766, et c'est sur son emplacement que fut ouverte la rue désignée sous le même nom, et qui aboutit au boulevart. C'étoit un édifice immense qu'accompagnoit un jardin magnifique. Les ducs de Grammont l'ont possédé pendant trois ou quatre générations.
Hôtel de Louvois.
Cet hôtel s'élevoit dans la rue de Richelieu, où il occupoit un terrain considérable en face de la rue de Colbert. Il avoit été mis en vente peu de temps avant la révolution, et étoit dès ce temps-là destiné à être abattu, pour ouvrir une communication avec la rue Sainte-Anne. Ce projet a été exécuté depuis, et un grand nombre de constructions nouvelles ont été élevées sur son vaste emplacement[181].
HÔTELS EXISTANTS EN 1789.
Hôtel de la duchesse de Bourbon (rue Neuve-des-Petits-Champs).
Tout l'intérieur en avoit été décoré par Rousset, architecte du roi. Il étoit enrichi de peintures des plus grands maîtres.
Hôtel de la compagnie des Indes.
Cet hôtel, dont la principale entrée est sur la rue Neuve-des-Petits-Champs, faisoit anciennement partie du palais Mazarin, le plus grand qu'il y eût alors à Paris, après les maisons royales. Il s'étendoit depuis la rue Vivienne jusqu'à celle de Richelieu, et se composoit, dans ce vaste espace, d'un très-grand nombre d'appartements magnifiquement décorés, où ce ministre, plus puissant et plus riche que bien des souverains, avoit rassemblé une quantité immense d'objets d'arts les plus précieux. On comptoit dans ce palais plus de quatre cents morceaux des plus belles sculptures antiques en marbre, en bronze, en porphyre, etc. Il étoit décoré de plus de quatre cents tableaux des plus grands peintres, parmi lesquels il s'en trouvoit sept de Raphaël, trois du Corrège, huit du Titien, deux d'André del Sarte, douze de Louis Carrache, cinq de Paul Véronèse, vingt-un du Guide, vingt-huit de Vandick, etc., etc.
La bibliothèque, placée dans une galerie qui règne le long de la rue de Richelieu, étoit composée des livres les plus rares; et si l'on en croit Gabriel Naudé, un des plus savants bibliothécaires de ces temps-là, on y comptoit plus de quarante mille volumes[182]. Tous ces livres furent dispersés pendant ces troubles de la fronde qui forcèrent le cardinal Mazarin à sortir du royaume.
Après la mort de ce ministre, son palais fut partagé en deux parties par ses héritiers. La plus considérable demeura au duc de Mazarin, et continua de porter le nom de palais Mazarin, jusqu'en 1719, que le roi en fit l'acquisition pour y placer les bureaux de la compagnie des Indes. C'est aussi dans l'enceinte de cet hôtel qu'en 1724 on établit la Bourse du commerce de Paris.
L'autre partie, qui étoit échue en partage au marquis de Mancini, duc de Nevers, prit le nom d'hôtel de Nevers qu'il porta jusqu'à l'époque où le régent en fit l'acquisition pour y établir la banque royale, dont le trop fameux Law fut le directeur. Nous avons déjà dit qu'après la suppression de cette banque, on y plaça la bibliothèque.
Ier hôtel de Choiseul (rue Grange-Batelière).
Il fut bâti par Carpentier, architecte du roi, pour feu M. Bouret. Il a appartenu successivement à M. de La Borde, à M. de La Reynière, et en dernier lieu à M. le duc de Choiseul dont il a pris le nom.
Hôtel de Colbert (rue Vivienne, en face de la rue de Colbert).
Cet hôtel fut appelé de Croisi, parce qu'il avoit appartenu à M. de Colbert, marquis de Croisi.
Hôtel du contrôleur-général (rue Neuve-des-Petits-Champs).
Louis Levau en fut l'architecte; et il l'avoit bâti pour Hugues de Lionne, secrétaire d'état. Louis Phelippeaux de Pont-Chartrain, chancelier de France, l'acheta en 1703. Cet hôtel fut ensuite destiné par le roi, d'abord au logement des ambassadeurs extraordinaires, ensuite à celui du ministre des finances. Lorsque M. de Calonne parvint à ce ministère, il y fit faire de grands embellissements, et l'orna d'un grand nombre d'objets d'arts extrêmement précieux, entre autres d'une collection de tableaux des trois écoles qui a joui d'une grande réputation[183].
Hôtel de Gesvres (rue Neuve-Saint-Augustin).
Il fut élevé par l'architecte Le Pautre, pour M. de Boisfranc, chancelier du duc d'Orléans. Par le mariage de la fille de ce personnage avec le duc de Tresme, cet hôtel passa dans cette maison; il fut connu depuis sous le nom d'hôtel de Tresme.
Hôtel des Menus-Plaisirs (rue Bergère).
Cet hôtel, qui a sa principale entrée sur cette rue, occupe une vaste étendue de terrain. Il servoit d'entrepôt aux machines employées dans les divertissements destinés à la cour, et l'on y avoit bâti une jolie salle de spectacle, dans laquelle on faisoit les répétitions des opéras et des ballets qui devoient se donner à Versailles[184].
L'école royale de chant et de déclamation étoit placée dans un bâtiment construit exprès au coin des rues Poissonnière et Bergère, et qui fait partie de l'hôtel des Menus-Plaisirs. L'ouverture de cette école, établie sous la monarchie par les soins de M. le baron de Breteuil, se fit le 1er avril de l'année 1784[185].
Grand hôtel de Montmorency (rue Saint-Marc).
Ce grand et magnifique hôtel, bâti en 1704 sur les dessins de Lassurance, de l'académie royale d'architecture, dans une situation avantageuse, avec un superbe jardin[186], appartenoit, au moment de la révolution, à M. le duc de Montmorency, qui y avoit fait faire des embellissements considérables. La façade sur la cour est décorée d'un ordre d'architecture ionique, élevé sur les dessins de Perin.
Petit hôtel de Montmorency (rue Basse-du-Rempart).
Il a vue sur le boulevard; ses deux faces équilatérales sont décorées de colonnes, à l'aplomb desquelles on a placé des figures. Ce joli édifice a été élevé sur les dessins de Le Doux, architecte du roi.
Hôtel de Richelieu.
Cet hôtel, situé rue Neuve-Saint-Augustin, avoit été bâti en 1707 avec plus de dépense que de goût et de régularité, sur les dessins d'un architecte nommé Pierre Levé. Son premier propriétaire fut un riche financier; il passa ensuite au comte de Toulouse, puis au duc d'Antin, directeur-général des bâtiments; enfin le maréchal de Richelieu, qui l'acheta en 1757, en fit sa demeure habituelle, et l'embellit de tout ce que les arts purent lui fournir alors de plus riche et de plus élégant.
Ces décorations, qui passeroient aujourd'hui pour être de mauvais goût, ont été entièrement changées; mais ce qui étoit digne, dans cette maison, de fixer en tout temps l'attention des connoisseurs, c'étoient trois statues placées dans ses jardins, dont une étoit antique, et les deux autres passoient pour être de la main de Michel-Ange[187].
Hôtel Thélusson (rue de Provence, en face de la rue d'Artois).
Il avoit été bâti pour madame Thélusson, par l'architecte Le Doux. Peu de temps avant la révolution il étoit occupé par M. de Pons-Saint-Maurice.
Cette maison, construite dans un goût tout-à-fait moderne, est remarquable par une très large voussure décorée de caissons, qui en forme l'entrée. Elle est composée d'un avant-corps circulaire qui domine sur les deux ailes, ce qui donne à ce petit édifice de la grâce et de la légèreté. C'est une des plus jolies habitations particulières de Paris.
Hôtel d'Uzès (rue Montmartre).
Ce bâtiment a encore été construit sur les dessins de Le Doux. Il est remarquable par l'arc de triomphe qui lui sert d'entrée, et par la décoration imposante de la façade qui règne sur la cour[188].
Hôtel de la Vallière (rue Neuve-Saint-Augustin.)
Il appartenoit, dans le principe, au duc de Lorges, qui le vendit à la princesse, première douairière de Conti. À sa mort, arrivée en 1739, le duc de La Vallière, étant devenu propriétaire de cet hôtel, lui donna son nom, qu'il a toujours porté depuis.
AUTRES HÔTELS
LES PLUS REMARQUABLES DE CE QUARTIER.
- Hôtel d'Aubeterre, rue d'Artois.
- —— d'Aumont, rue Caumartin.
- —— de Balincourt, rue de la Chaussée-d'Antin.
- —— de Bertin, au coin de la rue Neuve-des-Capucines et du boulevart[189].
- —— de Bérulle, rue de Richelieu.
- —— de Boufflers, rue de Choiseul, au coin du boulevart.
- —— de Boulainvilliers, rue Bergère.
- —— de Brancas, au coin de la rue Taitbout et du boulevart.
- —— de Caumont, même rue.
- —— (deuxième) de Choiseul, rue d'Artois.
- —— du Dreneuc, rue de Provence.
- —— d'Egmont, rue de Louis-le-Grand.
- —— de Gouy, rue de Provence.
- —— de Grammont, rue Grange-Batelière.
- —— d'Inécourt, rue Boudreau.
- —— le Pelletier-d'Aunay, rue Neuve-des-Mathurins.
- —— de Lubert, rue de Cléry.
- —— de Marsan, rue Neuve-St-Augustin
- —— de Massiac, place des Victoires.
- —— de Mathan, rue Neuve-des-Capucines.
- —— de Miromesnil, rue de Richelieu.
- —— de Montfermeil, rue de la Chaussée-d'Antin.
- —— de Montesson, rue de Provence.
- —— de Montholon, boulevart Montmartre.
- —— de Moy, rue de Richelieu.
- —— de Noé, rue Neuve-des-Mathurins.
- —— de Pons, rue Neuve-Saint-Augustin.
- —— de St-Chamant; rue Chantereine.
- —— de Talaru, rue Vivienne.
- —— de Thun, rue de Provence.
- —— de Tourdonnet, rue de Richelieu.
- —— de Valentinois, rue Saint-Lazare.
BARRIÈRES.
Les limites du quartier Montmartre terminent la ville de Paris du côté du septentrion, dans un espace qui s'étend depuis la barrière de Mouceaux jusqu'à celle de Sainte-Anne, et comprend dans cette partie des nouvelles murailles cinq barrières placées dans l'ordre suivant:
- 1. Barrière de Clichy.
- 2. ——— de la Croix-Blanche.
- 3. ——— des Martyrs.
- 4. ——— Rochechouart.
- 5. ——— Poissonnière.
FONTAINES.
Fontaine des Petits-Pères.
Cette fontaine adossée au mur du couvent de ces religieux, au coin des rues Vide-Gousset et Notre-Dame-des-Victoires, n'a rien de remarquable que l'inscription suivante composée par Santeuil.
Quæ dat aquas, saxo latet hospita nympha sub imo:
Sic tu cum dederis dona, latere velis.
Fontaine de Colbert.
Cette fontaine, qui donne de l'eau de la Seine, est située dans la rue Colbert dont elle a pris le nom.
Fontaine de la rue Montmartre.
Elle a été construite dans la rue qui porte ce nom, vis-à-vis celle de Saint-Marc, donne également de l'eau de la Seine, et n'offre rien, dans sa construction, qui mérite d'être remarqué.
RUES ET PLACES DU QUARTIER MONTMARTRE.
Rue d'Amboise. Cette rue, qui donne, d'un côté dans la rue de Richelieu, de l'autre dans celle de Favart, fut percée vers le temps où l'on bâtit le Théâtre Italien, c'est-à-dire, de 1783 à 1784.
Rue Sainte-Anne. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence à la rue Neuve-des-Petits-Champs et finit à la rue Neuve-Saint-Augustin. Dans tous les plans publiés au commencement du siècle dernier, elle est désignée sous le nom de Lionne, qu'elle devoit à l'hôtel de M. de Lionne, secrétaire d'état. Nous ignorons à quelle époque elle prit celui de Sainte-Anne, que portoit déjà l'autre partie, et que la rue entière a gardé jusqu'au commencement de la révolution[190].
Rue d'Antin. Elle donne d'un bout dans la rue Neuve-Saint-Augustin, de l'autre dans la rue Neuve-des-Petits-Champs, vis-à-vis l'hôtel d'Antin, depuis de Richelieu, d'où elle a pris son nom. Dès le 14 mai 1713, il avoit été ordonné qu'il seroit percé une rue en face de cet hôtel; mais cet arrêt n'ayant pas été exécuté alors, il en fut rendu un second confirmatif du premier, avec lettres-patentes du premier décembre 1715, enregistrées le 8 février suivant.
Le marché aux chevaux se tenoit anciennement dans l'espace occupé par la rue et l'hôtel d'Antin.
Rue d'Artois[191]. Elle fut ouverte en 1769 sur le boulevart, et vis-à-vis la rue de Grammont. On la perça à travers des jardins qui appartenoient à M. de La Borde. Alors la rue de Provence n'existoit point encore, et la nouvelle rue aboutissoit à un égout situé sur une partie du terrain que l'autre occupe aujourd'hui.
Rue Neuve-Saint-Augustin. Elle aboutit d'un côté à la rue de Richelieu, et de l'autre à celle de Louis-le-Grand. Cette rue, qui fut percée vers le milieu du dix-septième siècle, s'appela rue Saint-Augustin depuis la rue Notre-Dame-des-Victoires jusqu'à celle de Richelieu, et l'on donna ensuite indifféremment le même nom et celui de rue Neuve-Saint-Augustin, à la continuation qu'on en fit jusqu'à la rue de Gaillon. Dans un censier de l'archevêché de 1663, on la trouve indiquée sous le nom de rue Neuve-de-Saint-Augustin, jadis dite de Saint-Victor; mais il n'est point dit dans quelle partie elle a pu porter ce dernier nom. Elle finissoit à la rue de Lorges, nom que portoit alors la partie septentrionale de la rue de Gaillon. Ce ne fut qu'en mars 1701 que le roi ordonna qu'elle seroit prolongée, et qu'elle formeroit jusqu'à la rue Neuve-des-Petits-Champs un retour d'équerre qui seroit appelé rue de Louis-le-Grand. Cet arrêt fut confirmé par un autre du 3 juillet 1703, par lequel il paroît que depuis la rue de Gaillon jusqu'à celle de Louis-le-Grand, la continuation de la rue Neuve-Saint-Augustin devoit être appelée rue de Lorges. Soit qu'il se fût élevé des difficultés sur l'acquisition des terrains nécessaires, soit que les religieux de Saint-Denis-de-la-Chartre, qui avoient des droits sur cet emplacement, eussent fait naître alors des obstacles à l'exécution de ces arrêts pour la conservation de leur censive, ou pour en être indemnisés, on voit par un troisième arrêt, du premier décembre 1715, que ce projet avoit été suspendu, au moins en partie. Il n'a été absolument exécuté qu'en 1718.
La rue Saint-Augustin étoit ainsi nommée, parce qu'elle régnoit le long d'un mur de clôture des religieux augustins, vulgairement appelés Petits-Pères.
Rue de la Tour-d'Auvergne. Elle va transversalement de la rue de Rochechouart à celle des Martyrs. Cette rue ne se trouve indiquée sur aucun plan avant 1762; c'étoit la continuation du chemin qui conduisoit de la Nouvelle-France à Montmartre.
Rue Basse ou chemin du Rempart. Elle règne le long du boulevart. Par arrêt du conseil, du 7 août 1714, il avoit été défendu de bâtir le long du rempart à plus de trente toises de distance. L'objet de cette défense étoit de conserver ce chemin pour les voitures, et de ménager à ce moyen le sol du boulevart. Les mêmes défenses furent renouvelées en 1720, mais avec une exception qui permettoit à la ville de supprimer ce chemin depuis la Ville-l'Évêque jusqu'à la chaussée de Gaillon. Il le fut en effet, mais on ne tarda pas à sentir combien il étoit nécessaire, et l'on décida qu'il seroit rétabli. Ce fut alors qu'on commença à construire dans sa longueur les jolies maisons qui lui ont fait donner le nom de rue Basse, parce que le terrain en est beaucoup plus bas que celui du rempart.
Rue Baudin. C'est une petite ruelle qui, commençant d'un côté à la rue Blanche, aboutit de l'autre à la rue Saint-George, dans les marais des Porcherons; elle tenoit ce nom d'un jardinier qui avoit présidé à l'établissement d'une grande partie des jardins dont sont accompagnées les maisons qui forment cette rue[192].
Ruelle Beauregard.—Voyez rue des Martyrs.
Rue Bellefond. Elle traverse de la rue Poissonnière dans celle de Rochechouart. On croit qu'elle doit son nom à madame de Bellefond, abbesse de Montmartre. Dans quelques plans on la trouve mal à propos indiquée sous le nom de rue Jollivet.
Rue Bergère. Elle aboutit à la rue Poissonnière et à celle du Faubourg-Montmartre. Ce n'étoit dans son origine qu'un chemin dont la direction a souvent varié du côté du faubourg Montmartre. La communication en fut ensuite interrompue, et il ne forma plus qu'un cul-de-sac dans lequel il y en avoit un autre plus petit qui subsistoit encore en 1738. Tous deux aboutissoient à des jardins potagers. Enfin ce chemin fut ouvert et continué en ligne droite, et l'on commença à y bâtir des maisons. Comme cette rue coupe en partie le terrain qu'on appeloit anciennement Clos aux Halliers, elle ne fut long-temps connue que sous cette dénomination générale donnée à tout le territoire. Cependant d'anciens titres de l'archevêché prouvent que le nom de rue Bergère qu'on lui donna ensuite, étoit un vieux nom sous lequel elle étoit désignée dès 1652. On la trouve aussi indiquée dans quelques plans sous celui de rue du Berger.
Rue Blanche.—Voyez rue de la Croix-Blanche.
Rue Bleue.—Voyez rue d'Enfer.
Rue Boudreau. Cette rue, percée depuis 1780, donne d'un côté dans la rue Caumartin, de l'autre dans celle de Trudon.
Rue de Buffaut. Cette rue, percée également depuis 1780, aboutit d'un côté à la rue du Faubourg-Montmartre, de l'autre à la rue Coquenart.
Rue Cadet. Elle commence au faubourg Montmartre presque vis-à-vis la rue de Provence, et aboutit à la rue de Rochechouart, au coin des rues d'Enfer et Coquenart. Sur presque tous les plans on la trouve indiquée sous le nom de Voirie, parce qu'en effet il en a existé une pendant long-temps dans cet endroit. On a depuis donné le nom de Cadet, tant à cette rue qu'à une croix élevée à l'une de ses extrémités. Ce nom vient du clos Cadet lequel étoit situé au-dessous à droite.
Rue Neuve-des-Capucins. Cette rue fut ouverte dans la chaussée d'Antin à l'époque où l'on bâtit le nouveau couvent de ces religieux; elle donne d'un côté dans la rue Thiroux, et de l'autre dans celle de la chaussée d'Antin[193].
Rue des Capucines. Elle fait la continuation de la rue Neuve-des-Petits-Champs, depuis la rue Louis-le-Grand et la place Vendôme jusqu'au boulevart. Elle doit son nom au couvent des religieuses capucines qui y étoit situé. Quelques historiens ne la distinguent pas de la rue Neuve-des-Petits-Champs.
Rue Caumartin. C'est une de ces rues nouvelles percées depuis 1780 dans les marais de la chaussée d'Antin. Elle est ouverte d'un côté sur le boulevart, et aboutit de l'autre à la rue Neuve-des-Mathurins.
Rue de Chabanais. Cette rue, ouverte en 1777, commence dans la rue Neuve-des-Petits-Champs, entre les rues Sainte-Anne, et de Richelieu, et, par un retour d'équerre, se termine à la rue Sainte-Anne.
Rue Neuve-des-Petits-Champs. Elle aboutit à la rue de la Feuillade et à celle des Capucines. Son nom vient du lieu où elle est située, lequel étoit couvert de marais et de jardins potagers. Elle commençoit autrefois à la rue des Petits-Champs (depuis rue de la Vrillière), et ne fut prolongée que successivement. Il paroît que, de là jusqu'à la rue Vivienne, elle fut appelée ensuite rue Beautru, du nom d'un hôtel qui y étoit situé.
Rue Chantereine. C'étoit autrefois une petite rue qui faisoit la continuation de la rue des Postes, et aboutissoit à celle du Faubourg-Montmartre; elle se nommoit alors Chantrelle. Jaillot avoit déjà pensé que ce nom étoit un mot altéré qui venoit de Chante-Reine, lequel avoit été le véritable nom de cette rue. Ce n'étoit autrefois, ainsi que la rue des Postes, qui en fait la continuation, qu'une ruelle qui traversoit des jardins, et toutes les deux ne sont désignées dans les plans du siècle dernier, que sous le nom de ruellette au marais des Porcherons. Aujourd'hui la rue Chantereine, qui se prolonge jusqu'à la rue de la Chaussée-d'Antin, est couverte de beaux édifices, et a pris place parmi les plus belles rues de Paris.
Rue Chauchat. Cette rue nouvelle, percée depuis 1780, donne d'un bout dans celle de Provence, de l'autre dans la rue Chantereine.
Rue de la Chaussée-d'Antin[194]. Elle va du boulevart à la rue Saint-Lazare. Ce n'étoit, dans le dix-septième siècle, qu'un chemin tortueux qui conduisoit aux Porcherons[195]. Il commençoit à la porte de Gaillon, et tout le long régnoit un égout découvert. De là lui sont venus les différents noms de Chemin des Porcherons, de rue de l'Égout de Gaillon et de Chaussée de Gaillon. On l'a aussi appelée, dès ce temps-là, la Chaussée d'Antin, à cause de l'hôtel d'Antin, depuis de Richelieu, en face duquel ce chemin étoit ouvert. Il prit ensuite le nom de chemin de la Grande Pinte, de l'enseigne d'un cabaret situé à son extrémité. Enfin on le désigna sous celui de rue de l'Hôtel-Dieu, à cause d'une ferme appartenant à cet hospice, située rue Saint-Lazare, et d'un pont placé sur l'égout, appelé le pont de l'Hôtel-Dieu.
Le quartier de Gaillon s'étant considérablement augmenté au commencement du dix-huitième siècle, surtout après la mort de Louis XIV, le roi ordonna, par son arrêt du conseil, du 31 juillet 1720, que le chemin de Gaillon, qui, comme nous l'avons dit, alloit en serpentant, seroit redressé jusqu'à la barrière des Porcherons, dans la largeur de dix toises, et planté d'un rang d'arbres de chaque côté; mais, la ville ayant représenté qu'il seroit plus convenable et plus utile de faire construire une rue droite de huit toises de large, et de redresser l'égout jusqu'à la barrière de la Grande Pinte, une ordonnance du 4 décembre de la même année lui en accorda la permission. L'égout fut revêtu de murs et voûté, et la rue percée et alignée d'après le plan présenté.
Telle est l'origine de la rue de la Chaussée d'Antin, maintenant l'une des plus belles de Paris; les rues qui l'environnent se formèrent successivement, et un nouveau quartier, le plus riche aujourd'hui et le plus brillant de tous, fut ajouté à la ville.
Rue du Gros-Chenet. Elle aboutit d'un côté dans la rue de Cléry, de l'autre dans celle du Sentier, et doit son nom à l'enseigne que portoit autrefois une maison située au coin de la rue Saint-Roch. Valleyre la désigne, sur son plan, sous le nom de Gros-Chêne. Il paroît que c'est une erreur, et rien n'indique qu'elle ait jamais porté ce nom.
Rue de Choiseul. Elle a été ouverte depuis 1780, à travers les hôtels qui bordoient la partie septentrionale de la rue Neuve-Saint-Augustin, et de là elle s'étend jusqu'au boulevart.
Rue de Cléry. La partie de cette rue qui est de ce quartier, va de la rue Montmartre à celle des Petits-Carreaux. Son nom vient de l'hôtel de Cléry qui y étoit situé. Valleyre dit que cette partie de la rue s'appeloit aussi Mouffetard. C'est une erreur; ce nom n'a été donné autrefois qu'à la partie qui va des Petits-Carreaux à la porte Saint-Denis.
Rue de Clichy. Cette rue, qui commence dans celle de Saint-Lazare, et aboutit à une des barrières de Paris, a porté jusqu'en 1780 le nom de rue du Coq. Elle le devoit à une grande maison située vis-à-vis de son ouverture, et qu'on appeloit le Château-Cocq ou du Cocq, du nom d'une ancienne famille dont on voyoit encore, vers la fin du siècle dernier, les armes sculptées sur une vieille porte murée, avec la date de 1320. Au-dessus étoit une chapelle où l'on disoit la messe les dimanches et jours de fêtes. L'hôtel Cocq étoit aussi connu sous le nom de Château des Porcherons.
La rue du Coq n'est désignée sur les anciens plans que sous le nom de Chemin de Clichy, parce qu'effectivement elle conduit à ce village.
Rue de Colbert. Elle traverse de la rue Vivienne dans celle de Richelieu, et doit son nom à l'hôtel de Colbert, en face duquel elle a été ouverte vers le milieu du dix-septième siècle, sur une partie de l'emplacement du palais Mazarin.
Rue Coquenart. Elle donne d'un bout dans la rue du Faubourg-Montmartre, de l'autre elle joint l'extrémité de la rue Cadet. Elle est ainsi appelée du lieu où elle a été percée, lequel est désigné dans de vieux titres sous ceux de Coquemart et Coquenart. L'abbé Lebeuf l'appelle rue Goguenard. À la fin du dix-septième siècle elle reçut de la chapelle qui y est située, le nom de rue de Notre-Dame-de-Lorette.
Rue du Croissant. Elle va de la rue Montmartre à celle du Gros-Chenet, et doit à une enseigne ce nom sous lequel elle étoit connue dès 1612.
Rue Sainte-Croix. C'est une rue nouvelle percée depuis 1780, laquelle fait la continuation de la rue Thiroux, et aboutit à la rue Saint-Lazare.
Rue de la Croix-Blanche. Elle commence à la rue Saint-Lazare ou des Porcherons, et aboutit à la barrière. On l'appeloit aussi simplement rue Blanche.
Rue de la Tour des Dames. Cette rue est parallèle à la rue de la Croix-Blanche, et fut ainsi nommée d'un moulin qui s'y trouvoit, lequel appartenoit aux dames de Montmartre. On l'appelle maintenant rue de la Rochefoucauld.
Rue de l'Égout. Elle fait suite à la rue de Provence, prenant son origine à la rue de la Chaussée d'Antin, et finissant à celle de la Pologne, où se termine le quartier. Cette rue, qui fut ouverte à peu près en même temps que celle dont elle est la continuation, doit son nom à l'égout découvert qui se prolongeoit autrefois sur ce terrain et dans cette direction. On la nomme aujourd'hui rue Saint-Nicolas.
Rue d'Enfer. Elle aboutit d'un côté dans la rue Cadet, de l'autre dans la rue Poissonnière où finit le quartier. On ignore l'origine de ce nom qu'elle a changé, pendant la révolution, contre celui de rue Bleue.
Rue Neuve-Saint-Eustache. Elle donne d'un bout dans la rue Montmartre, et de l'autre dans celle des Petits-Carreaux. Cette rue, qui fut formée sur l'emplacement du fossé de l'enceinte de Charles VI, s'appeloit anciennement rue Saint-Côme ou du Milieu-du-Fossé[196]. Dès l'an 1641 on la trouve désignée sous le nom de rue Neuve-Saint-Eustache.
Rue Favart. Elle commence à l'extrémité du Pâté des Italiens, forme à droite un des côtés de la place de la Comédie italienne, et va se terminer au boulevart. Elle fut construite en même temps que le monument.
Rue de la Feuillade. Elle fait la continuation de la rue Neuve-des-Petits-Champs, et aboutit à la place des Victoires. On lui a donné ce nom en l'honneur de M. de La Feuillade, qui avoit fait bâtir la place des Victoires et élever le monument qui la décoroit. Avant cette époque cette rue étoit connue sous le nom de rue des Jardins[197].
Rue Feydeau. Cette rue donne d'un bout dans la rue Montmartre, de l'autre dans celle de Richelieu; elle a été ainsi appelée du nom d'une famille qui, sous la monarchie, avoit rempli les plus hautes places de la magistrature. On la désignoit en 1675 sous le titre de rue des Fossés-Montmartre auquel on ajouta l'épithète de Neuve, pour la distinguer de celle des Fossés-Montmartre, qu'on nommoit alors simplement rue des Fossés. La rue Feydeau ne portoit ce nom qu'à son extrémité, du côté de la porte Gaillon; mais elle s'étendoit sous celui des Fossés jusqu'à la porte Montmartre. Toute cette partie ayant été couverte des maisons et jardins qui formèrent la rue Neuve-Saint-Augustin, on donna à celle qui fut conservée le nom de Feydeau, qu'elle avoit déjà porté vers la fin du dix-septième siècle.
Rue Saint-Fiacre. Elle va de la rue des Jeûneurs aux boulevarts, et, à la fin du dernier siècle, elle se fermoit encore à ses deux extrémités. Cette rue doit son nom à l'ancien fief de Saint-Fiacre sur lequel elle est située. Sauval l'a confondue avec le cul-de-sac du même nom, situé rue Saint-Martin, qu'il appelle rue du Figuier. Elle conserve aujourd'hui le premier de ces noms qu'elle portoit originairement, comme on le voit dans les plans de de Chuyes, et même dans un acte de 1630[198].
Rue des Trois Frères. Elle a été percée pour ouvrir une communication entre la rue de Provence et la rue Chantereine. Nous ignorons l'étymologie de son nom, de même que celui de Houssaie que porte aujourd'hui sa partie méridionale.
Rue de Gaillon. Cette rue qui s'étendoit autrefois d'un côté jusqu'à la rue Saint-Honoré, se prolongeoit de l'autre entre les emplacements de l'hôtel de Richelieu et de celui de la Vallière jusqu'à une des portes de la ville, qui avoit reçu d'elle le nom de porte Gaillon. Louis XIV ayant ordonné en 1645 que toutes les places vides entre les portes Saint-Denis et Saint-Honoré fussent vendues et couvertes d'édifices, la partie de celle-ci qui dépassoit la rue Neuve-Saint-Augustin fut supprimée, et la porte abattue en 1700. Nous avons déjà fait connoître, en parlant de la rue Saint-Roch, l'étymologie du nom de celle de Gaillon.
Rue Saint-Georges. Ce n'étoit dans le principe qu'une ruelle qui donnoit dans la rue Baudin et dans celle de Saint-Lazare; c'est maintenant une rue superbe, couverte de riches hôtels, qui traverse cette dernière, et se prolonge jusqu'à la rue de Provence.
Rue de Grammont. Elle fait la continuation de la rue Sainte Anne et aboutit au boulevart. Cette rue a été percée, en 1767, sur l'emplacement de l'hôtel de Grammont rue Neuve-Saint-Augustin, lequel fut démoli à cette époque.
Rue Grange-Batelière. Elle commence au boulevart, et conduisoit à une maison appelée encore dans le siècle dernier la Grange-Batelière, laquelle lui a donné son nom. Cette maison, qui avoit appartenu, dans le principe, à l'évêque, fut donnée par la suite avec son territoire au chapitre de Sainte-Opportune, et le prélat en conserva seulement la suzeraineté; elle passa depuis en plusieurs mains. À la fin du quatorzième siècle, on voit que ce fief étoit possédé par Gui, comte de Laval; et un acte de 1424 contient la donation que fait Jean de Malestroit, évêque de Nantes et chancelier de Bretagne, de l'hôtel, cour, grange, colombier, jardins, etc., de la Grange-Batelière, au monastère de Saint-Guillaume des Blancs-Manteaux. On apprend par le même acte que cet hôtel relevoit de l'évêque de Paris, et que les terres qui en dépendoient contenoient 120 arpents. En 1473 il appartenoit à Jean de Bourbon, comte de Vendôme, qui sans doute l'avoit acheté de ces religieux.
Lorsqu'on traça le boulevart, il y avoit devant cette maison une place vague où les eaux et les boues de la rue de Richelieu venoient se perdre dans une fosse profonde qu'on y avoit creusée; ce qui répandoit une infection dangereuse pour les quartiers environnants. Cette circonstance détermina à former de cette place une rue de même largeur et dans la même direction que la rue de Richelieu. On en perça une autre en retour d'équerre jusqu'à la rencontre du chemin des marais; on y pratiqua un égout découvert qui alloit se perdre dans le grand, et cette nouvelle rue fut appelée rue des Marais. Telle est l'origine du cul-de-sac de la Grange-Batelière. Le retour d'équerre que fait la rue du même nom dans celle du Faubourg-Montmartre fut alors appelé rue Neuve-Grange-Batelière, quoiqu'il eût été tracé avant l'autre partie. Il y passoit aussi un égout.
Les noms de la Grange-Batelière varient beaucoup dans les anciens titres. Elle est indiquée en 1243 sous celui de Granchia Batilliaca; en 1252 et 1254, elle est appelée Granchia Bataillie; en 1290, Granchia-Bail-Taillée, et en 1308, la Grange au Gastelier, etc.
Rue de Grétry. Elle forme derrière le pâté des Italiens un retour d'équerre avec la rue de Favart, et aboutit de l'autre côté à la rue de Grammont. Elle a été construite, comme toutes les rues environnantes, en même temps que le théâtre italien.
Rue de Hanovre. Voyez rue Projetée.
Rue de la Houssaie. Voyez rue des Trois Frères.
Rue des Jeûneurs. Elle va de la rue Montmartre à celle du Gros-Chenet. Le véritable nom de cette rue est celui de Jeux-Neufs, lequel vient de deux jeux de boules dont elle occupe la place; et ce n'est que par corruption qu'on la nomme rue des Jeûneurs. Cependant cette dernière dénomination a prévalu. Elle portoit ce nom de Jeux-Neufs en 1643[199].
Rue Joquelet. C'est une petite rue qui traverse de la rue Montmartre dans celle de Notre-Dame-des-Victoires. Elle a pris ce nom d'un bourgeois qui y avoit une maison. Elle le portoit dès 1622.
Rue Saint-Joseph. Cette rue, qui aboutit à la rue Montmartre et à celle du Gros-Chenet, est désignée sur tous les plans publiés dans le dix-septième siècle sous le nom de rue du Temps-Perdu. Cependant elle étoit connue sous celui de Saint-Joseph dès 1646; et c'est ainsi qu'elle est appelée dans un contrat ensaisiné à l'archevêché le 13 juillet de cette année. De Chuyes l'indique aussi sous ces deux noms dans son Guide des chemins de 1647. Celui de Saint-Joseph lui vient de la chapelle qui y étoit située.
Rue Joubert. Voyez rue Neuve-des-Capucins.
Rue Saint-Lazare. Elle va de la Pologne à la rue du Faubourg-Montmartre. Elle est aussi connue sous le nom de rue des Porcherons. Plusieurs plans du dernier siècle la nomment rue des Porcherons ou d'Argenteuil, parce qu'elle conduit à ce bourg.
Rue de Louis-le-Grand. Elle commence à la rue Neuve-des-Petits-Champs, et finit au boulevart. D'après les plans manuscrits et gravés du siècle dernier, il paroît qu'il y avoit, le long du monastère des Capucines, un chemin qui fut depuis couvert par les maisons de la rue Louis-le-Grand. Un arrêt du conseil, du 20 mars 1701, ordonna l'ouverture de cette rue. Elle ne devoit s'étendre que depuis la rue Neuve-Saint-Augustin jusqu'à celle des Petits-Champs; mais on la prolongea jusqu'au boulevart, en vertu d'un arrêt du 3 juillet 1703. Elle avoit reçu, dans la révolution, le nom de rue des Piques. On l'appelle maintenant rue de la Place Vendôme.
Rue du Mail. Cette rue aboutit dans celle des Petits Pères et dans la rue Montmartre; elle doit son nom à un mail ou palemail sur lequel elle fut ouverte, et qui régnoit depuis la porte Montmartre jusqu'à celle de Saint-Honoré. Elle portoit ce nom dès 1636. Un traité fait sous Louis XIII, pour la continuation des fortifications commencées par ordre de Charles IX, adopté par le conseil le 23 novembre 1633, et enregistré au parlement le 5 juillet de l'année suivante, portoit entre autres clauses l'ouverture et la construction des rues du Mail, Cléry, Neuve-Saint-Eustache, Neuve-Saint-Augustin, Notre-Dame-des-Victoires, Neuve-des-Petits-Champs, Richelieu, Sainte-Anne, Neuve-Saint-Honoré, etc.
Rue Saint-Marc. Elle traverse de la rue de Richelieu dans la rue Montmartre. C'étoit un chemin de communication entre les faubourgs Montmartre et Saint-Honoré. Elle a été ouverte vers le milieu du dix-septième siècle, et doit vraisemblablement son nom à quelque enseigne.
Rue Neuve-Saint-Marc. Elle fait la continuation de la précédente, et donne d'un bout dans la rue de Richelieu, de l'autre sur la place de la comédie italienne. Cette rue a été ouverte sur une partie de l'hôtel de Choiseul.
Rue de Marivaux. Cette rue parallèle à celle de Favart, et qui a reçu, comme elle, le nom d'un des auteurs les plus renommés du théâtre italien, a été construite en même temps et sur le même plan.
Rue des Martyrs[200]. Cette rue, qui est la continuation de celle du Faubourg-Montmartre jusqu'à la barrière, doit son nom à une chapelle érigée à l'endroit où l'on croit que Saint-Denis et ses compagnons ont été décapités. Elle étoit connue anciennement sous le nom de rue des Porcherons. Sur plusieurs plans on la trouve confondue avec la rue du Faubourg-Montmartre.
Rue Neuve-des-Mathurins. Cette rue, percée en 1778, aboutit d'un côté à la rue de la Chaussée d'Antin, de l'autre à celle de l'Arcade, où finit le quartier. Elle doit son nom à son emplacement sur lequel les Mathurins avaient plusieurs possessions.
Rue de la Ferme des Mathurins. Elle fut percée à la même époque dans la rue précédente, d'où elle va aboutir dans la rue Saint-Nicolas, ci-devant de l'Égout.—Il y a vis-à-vis un cul-de-sac qui porte le même nom.
Rue de Menars. Elle aboutit d'un côté dans la rue de Richelieu, de l'autre dans celle de Grammont. Le nom qu'elle porte lui vient d'un hôtel situé en cet endroit, lequel appartenoit au président de Menars. C'étoit autrefois un cul-de-sac qui avoit été percé en 1767 sur le terrain de l'hôtel de Grammont.
Rue de la Michodière[201]. Cette rue, qui fait suite à celle de Gaillon, et vient aboutir au boulevart, a été percée depuis 1780 sur une partie du terrain et des jardins de l'hôtel de Richelieu et des maisons adjacentes. Elle doit son nom à M. de La Michodière, conseiller d'état.
Rue Monthalon. Cette rue, qui fait suite à la rue Coquenart, et vient aboutir à celle du Faubourg-Poissonnière, a été percée sur des jardins depuis 1780.
Rue Montmartre. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier ne commence qu'à la rue Neuve-Saint-Eustache, et aboutit au boulevart. Dans cette rue se trouve le cul-de-sac de Saint-Pierre, qui doit ce nom à la rue Saint-Pierre dont il est voisin. En 1622 il portoit le nom des Mazures. Il prit ensuite celui de cul-de-sac de la rue Neuve-Montmartre; puis des Marmouzets. La Caille et Piganiol le nomment Gourtin et Saint Pierre Gourtin.
Il y avoit encore autrefois dans cette rue un autre cul-de-sac nommé cul-de-sac des Commissaires. C'étoit anciennement une rue nommée de l'Arche, parce qu'elle étoit ouverte sur le fief de l'Arche, autrefois Saint-Mandé. Lorsqu'on eut coupé cette rue, la partie qui subsista fut nommée cul-de-sac de l'Épée Royale, comme on peut le voir dans de Chuyes; c'étoit le nom d'une enseigne. En 1647, il le quitta pour prendre celui d'un particulier appelé Ragouleau. Ce cul-de-sac est désigné sous ce nom dans un censier de l'archevêché de 1663. Enfin on lui avoit donné celui des Commissaires, nous ignorons à quelle occasion.
Rue du Faubourg-Montmartre. Elle va du boulevart à l'abbaye de Montmartre, en comprenant sous ce nom la rue des Martyrs dont nous venons de parler[202].
Rue des Fossés-Montmartre. Elle traverse de la rue Montmartre à la place des Victoires. Avant la construction de cette place, elle s'étendoit jusqu'à la rue des Petits-Champs, en face de l'hôtel de la Vrillière, aujourd'hui de Toulouse. Cette rue doit son nom au fossé qui se prolongeoit jusqu'à la porte Montmartre, et c'est sur son emplacement qu'elle a été bâtie. Elle fut d'abord nommée rue du Fossé, des Fossés. Cependant dès 1647 elle portoit le même nom qu'aujourd'hui.
Rue Saint-Nicolas. Voyez rue de l'Égout.
Rue Papillon. C'est une petite rue de traverse ouverte depuis 1780 qui donne d'un côté dans la rue Monthalon, et de l'autre dans celle d'Enfer.
Rue le Pelletier. C'est une rue nouvelle percée peu de temps avant la révolution, et qui donne sur le boulevart et dans la rue de Provence.
Rue des Petits-Pères. Elle aboutit d'un côté aux rues de la Vrillière et de la Feuillade, de l'autre au coin de la rue Vide-Gousset. C'est une continuation de l'ancien mail et de la rue qui en porte le nom. Elle doit le sien au couvent des religieux augustins réformés, vulgairement appelés Petits-Pères.
Rue Pétrelle. Voyez rue de la Rochefoucault.
Rue Saint-Pierre. Elle aboutit d'un côté dans la rue Montmartre, de l'autre, dans celle de Notre-Dame-des-Victoires. Elle doit son nom à une maison qui avoit pour enseigne l'image de Saint-Pierre. Elle prit en 1603 celui de Pénécher, d'un particulier qui y demeuroit. On en fit ensuite par corruption la rue Péniche; puis en 1666 rue Péniche, dite de Saint-Pierre. Il paroît qu'elle avoit été ouverte sur un terrain que les titres du seizième siècle appellent le clos Gautier, autrement des Mazures, et le petit chemin herbu.
Rue Pigalle. Voyez rue Royale.
Rue des Postes. C'étoit ainsi qu'on nommoit autrefois la partie de la rue Saint-Georges qui va de la rue Chantereine à celle de Saint-Lazare. Des postes de commis, établis en cet endroit par les fermiers-généraux pour empêcher la contrebande, lui avoient fait donner ce nom. Nous avons déjà fait connoître, à l'article de la rue Chantereine, celui sous lequel elle étoit désignée avant cette dernière dénomination.
Rue Projetée. C'est une rue nouvelle, ouverte sur la rue de Choiseul, et qui lui sert de communication avec la rue de la Michodière et celle de Louis-le-Grand: on la nomme aujourd'hui rue de Hanovre.
Rue de Provence. Le projet de cette rue fut conçu en 1771, lorsque l'on eut résolu de couvrir l'égout qui traversoit ce terrain dans toute sa longueur. Elle est devenue depuis une des plus belles rues de Paris, et n'est presque composée que d'hôtels somptueux et de maisons élégantes.
Rue Ribouté. Cette petite rue, ouverte depuis 1780, communique de la rue d'Enfer à celle de Monthalon.
Rue de Richelieu. La partie de cette rue située dans ce quartier commence à la rue Neuve-des-Petits-Champs et finit au boulevart. Dans le principe elle se nommoit rue Royale, et venoit aboutir à une porte du même nom, située près de la rue Feydeau. La porte fut démolie en 1701; et en 1704, un arrêt du conseil ordonna que la rue seroit continuée jusqu'au boulevart.
Rue de la Rochefoucault. Voyez rue de la Tour-des-Dames.
Rue Saint-Roch. Elle fait la continuation de la rue des Jeûneurs, ou Jeux-Neufs, et va de la rue du Gros-Chenet à la rue Poissonnière. Elle est indiquée sans nom dans le plan de de Chuyes.
Rue de Rochechouart. Elle fait la continuation de la rue Cadet, et aboutit au chemin de Clignancourt. Elle doit sans doute son nom à Marguerite de Rochechouart de Mont-Pipeau, abbesse de Montmartre, morte en 1727. Le chemin sans nom qui est au bout de cette rue est nommé maintenant rue Pétrelle.
Rue Richer. Cette rue, qui communique de la rue du Faubourg-Montmartre à celle du Faubourg-Poissonnière, étoit un passage sans nom avant 1772. Depuis il avoit reçu celui de Passage de la grille. La rue Richer n'a été couverte de maisons que depuis la révolution.
Rue Royale. Ce n'étoit autrefois qu'un chemin qui, de la rue de la Croix-Blanche conduisoit à Montmartre. C'est maintenant une très-belle rue garnie de maisons élégantes, et qui se termine à la barrière nommée aujourd'hui de Montmartre[203].
Rue du Sentier. Cette rue fait la continuation de celle du Gros-Chenet, et aboutit au boulevart. Elle doit son nom au sentier sur lequel on l'a bâtie. On la trouve désignée mal à propos dans quelques plans sous les noms de Centière, Centier et Chantier.
Rue Taitbout. Cette rue, percée depuis 1780 sur le boulevart, entre la rue d'Artois et celle de la Chaussée-d'Antin, va aboutir à la rue de Provence.
Rue Thiroux. Cette rue a été ouverte, depuis 1780, dans la rue Neuve-des-Mathurins, vis-à-vis la rue Caumartin. Elle donne dans celle de Sainte-Croix, qui en fait la continuation.
Rue des Filles-Saint-Thomas. Elle commence à la rue Notre-Dame-des-Victoires, et finit à celle de Richelieu, vis-à-vis la rue Neuve-Saint-Augustin. Cette rue doit son nom au couvent des Filles-Saint-Thomas qui y étoit situé; elle a été ouverte en partie sur le terrain des Augustins, partie sur celui de ces religieuses.
Rue de la place Vendôme. Voyez rue Louis-le-Grand.
Rue Notre-Dame-des-Victoires. Elle fait la continuation de la rue des Petits-Pères, et va, par un retour d'équerre, aboutir dans la rue Montmartre. Son nom lui vient de l'église des Augustins, qui étoit sous l'invocation de Notre-Dame-des-Victoires. On l'a nommée anciennement le chemin Herbu, rue des Victoires; et en 1647, rue des Augustins déchaussés, autrement, de Notre-Dame-des-Victoires.
Rue Vivienne. Elle traverse de la rue des Petits-Champs dans celle des Filles-Saint-Thomas, et se prolongeoit autrefois jusqu'à la rue Feydeau; mais dans cette dernière partie elle s'appeloit rue Saint-Jérôme[204]. Elle doit le premier nom à une famille très-connue qui portoit celui de Vivien. On la trouve indiquée sous ce nom de Vivien, sur les plans de Gomboust et de Bullet.
Rue Vide-Gousset. Elle commence au bout des rues des Petits-Pères et de Notre-Dame-des-Victoires, et se termine à la place des Victoires. Avant la construction de cette place elle faisoit partie de la rue du Petit-Reposoir, qui se trouve de l'autre côté. Son nom lui vient probablement de quelque vol qui aura été commis dans cet endroit. Avant la construction de la place, elle faisoit partie de la rue qui existe encore de l'autre côté, et qui porte le nom du Petit Reposoir.
PLACES.
Place des Victoires. Voyez p. 205.
Place de la Comédie Italienne. Elle est peu spacieuse et formée par les rues de Favart et de Marivaux, par la façade du monument, et par un bâtiment isolé nommé le Pâté des Italiens.
PASSAGES.
Passage Cendrier. Il aboutit d'un côté à la rue Neuve-des-Mathurins, de l'autre à la rue Basse-du-Rempart.
Passage des Petits-Pères. Il aboutit d'un côté à la rue des Petits-Pères, maintenant rue Neuve-des-Petits-Pères et de l'autre à l'église.
Passage Saulnier. Il communique de la rue Bleue à la rue Richer.
RUES NOUVELLES.
Rue Neuve-Saint-Augustin. C'est une continuation de cette rue ouverte sur l'ancien terrain des Capucines. Elle traverse la rue de la Paix et vient aboutir au boulevart.
Rue du Helder. Elle a été ouverte depuis la révolution sur l'emplacement d'une caserne des gardes françoises, et aboutit d'un côté au boulevart, de l'autre à la rue de Provence.
Rue de Laval. Cette rue nouvelle, percée depuis la révolution, commence à la rue Pigalle et vient aboutir à la barrière.
Rue de Louvois. Elle a été ouverte sur le terrain de l'ancien hôtel Louvois, et donne d'un bout dans la rue de Richelieu, de l'autre dans la rue Sainte-Anne.
Rue de Lully. Cette rue ouverte sur le même terrain communique de la rue de Louvois à la rue Rameau.
Rue Pinon. C'est l'ancien cul-de-sac Grange-Batelière que l'on a ouvert sur la rue d'Artois. Le nom de Pinon est celui d'un président à mortier du parlement de Paris, propriétaire du fief de Grange-Batelière.
Rue du Port-Mahon. Elle commence au carrefour Gaillon, et donne, de l'autre bout, dans la rue de Hanovre.
Rue Rameau. Cette rue, ouverte sur le terrain de l'hôtel Louvois et parallèle à celle qui porte ce dernier nom, communique de même de la rue de Richelieu à la rue Sainte-Anne.
Rue de la Paix. Cette rue nouvelle ouverte sur l'ancien terrain des Capucines, commence à la rue Neuve-des-Petits-Champs, vis-à-vis la place Vendôme, et vient aboutir au boulevart: c'est une des plus belles rues de Paris.
PASSAGES NOUVEAUX.
Passage Feydeau. Ce passage ouvert sur l'ancien terrain du couvent des Filles-Saint-Thomas, communique d'un côté à la rue des Filles-Saint-Thomas, de l'autre à la rue Feydeau.
Passage du Panorama. Il a été ouvert dans la rue Saint-Marc, et communique de cette rue au boulevart.
CULS-DE-SACS NOUVEAUX.
Cul-de-sac de Briare. Il est situé dans la rue de Rochechouart, entre les rues de la Tour-d'Auvergne et Coquenart.
Cul-de-sac Coquenart. On le trouve dans la rue du même nom, presque vis-à-vis la rue de Buffaut.
Il y a dans la rue Richer un cul-de-sac sans nom.
ANTIQUITÉS ROMAINES
DÉCOUVERTES DANS LE QUARTIER MONTMARTRE.
Sculptures en bas-relief; monuments sépulcraux. Ces restes d'antiquités furent découverts en 1751 dans une fouille que l'on faisoit rue Vivienne, pour établir les fondements d'une écurie. On y trouva:
1o. Huit fragments de marbre, ornés de bas-reliefs qui représentent, entre autres sujets, un homme à demi couché sur un lit et un esclave portant un plat; Bacchus et Ariane; une prêtresse rendant des oracles, et un homme qui les écrit dans un livre; un repas de trois convives couchés sur des lits, et encore un esclave portant un plat, etc. M. de Caylus, qui a publié la gravure, et donné la description de ces fragments,[205] ne doutent point qu'ils n'appartiennent à des tombeaux; et, en effet, il n'eut point de sujets plus souvent répétés sur les cippes et les sarcophages qui nous sont restés de l'antiquité, que l'histoire symbolique de Bacchus, et ces repas funèbres que l'on faisoit en l'honneur des morts.
2o. Un cippe cinéraire en marbre, dont la face principale est ornée d'une guirlande de fleurs et de fruits, que soutiennent deux têtes de bélier. L'inscription placée au-dessous de ce feston nous apprend que Pithusa a fait exécuter ce monument pour sa fille Ampudia Amanda, morte à l'âge de dix-sept ans.
3o. Un couvercle de marbre, richement orné de sculptures, qui a dû appartenir à un autre cippe d'une plus grande dimension que le précédent.
Autre monument sépulcral. C'est un cippe cinéraire semblable à celui que nous venons de décrire. Il fut découvert dans la même rue en 1806, et dans une fouille que l'on faisoit également pour quelques réparations ou constructions, dans la maison de cette rue qui porte le numéro 8. À chaque angle de cette urne, des têtes de béliers soutiennent des festons de fleurs et de fruits, dont les quatre côtés du cippe sont décorés. Quatre aigles éployées occupent la partie inférieure des quatre angles, et sur le feston de la face principale où est gravée l'inscription, est sculptée une biche dont un autre aigle déchire le dos. Nous apprenons par cette inscription que Chrestus, affranchi, a fait ériger ce monument à son patron Nonius Junius Epigonus. Les autres faces offrent, au-dessous de chaque feston, une plante, un patère et une aiguière ou præfericulum.
Dans une autre maison de cette même rue, on trouva sous terre une épée de bronze que Montfaucon a fait graver dans ses antiquités.
On déterra encore à peu de distance de là, depuis la révolution, et en creusant la terre pour établir les fondations de la nouvelle Bourse, plusieurs fragments de poterie romaine, et deux poids antiques de verre[206].
Nous apprenons de Frodoart[207] que sur le penchant de ce monticule, et vers le nord, il existoit un vieil édifice qui fut renversé en 944, par un ouragan très-violent. On présumoit que c'étoient les restes d'un temple consacré à quelque divinité du paganisme, et probablement au dieu Mars, dont ce lieu avoit reçu le nom.
Des fouilles ayant été ordonnées dans cet endroit en 1737 et 1738, et d'après l'indication laissée par cet ancien historien, on y découvrit les restes d'un bâtiment dont le plan offroit un parallélogramme divisé en cellules, dont quelques-unes contenoient des fourneaux. On y reconnut les vestiges de deux chambres cimentées intérieurement et extérieurement; du côté du midi, un canal qui descendoit de la fontaine du Buc, apportoit l'eau dans cet édifice; et cette eau y pénétroit par une ouverture voisine des fourneaux. L'abbé Lebeuf, qui avoit suivi les travaux de ces fouilles, a cru y voir une maison de bains particuliers. M. de Caylus, qui recueillit depuis avec le plus grand soin toutes les notions relatives à ces recherches, pensa que ce pouvoit être un bâtiment destiné à des fonderies. Tous les deux s'accordent à n'y point reconnoître un temple payen. Dans les ruines de ce même édifice, furent trouvés un vase de terre d'un travail grossier, et une tête de bronze grande comme nature[207].
Au bas de cette même montagne, et dans la partie opposée, on découvrit encore, en creusant un puits, deux fragments de bas-reliefs en marbre blanc, offrant des enfants ailés qui montent sur un char; un bras de bronze qui a dû appartenir à une statue d'environ huit pieds de proportion, un petit buste et quelques fragments de poterie romaine.
MONUMENTS NOUVEAUX
ET RÉPARATIONS FAITES AUX ANCIENS MONUMENTS DEPUIS 1789.
Place des Victoires. La statue colossale du général Desaix, tué à la bataille de Marengo, y a occupé quelques années la place où s'élevoit auparavant le monument de Louis XIV; et c'étoit là une de ces idées heureuses qui ne pouvoient entrer que dans une tête comme celle de Buonaparte. Cette statue étoit en bronze, et représentoit ce général entièrement nu, (ce qui étoit encore dans les convenances de ce temps-là), tenant une épée de la main droite, et affublé d'un petit manteau jeté sur l'épaule gauche. Même avant la fin du règne de l'usurpateur, on fut obligé de détruire ce monument monstrueux et ridicule tout à la fois; et rien jusqu'à la restauration ne l'avoit remplacé.
La statue de Louis XIV va reprendre la place qui lui appartient. Le grand monarque y sera représenté à cheval, et M. Bosio est chargé de l'exécution de ce monument.
Église des Petits-Pères. Cette église, qui a été rendue au culte, possède deux nouveaux tableaux dont la ville de Paris lui a fait présent, et que l'on a placés dans le chœur. L'un représente la Conversion de saint Augustin, l'autre, la Vision de sainte Monique. Tous les deux ont été exécutés par M. Gailliot, et forment le complément de l'Histoire de Saint-Augustin, dont les principaux événements ont été retracés dans les six tableaux de Carle Vanloo, déjà mentionnés.
À l'entrée de l'église, à gauche et au-dessus du bénitier, on a gravé sur une table de marbre, avec sa traduction latine, ce vers grec rétrograde qui est très-connu,