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Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 3/8)

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QUARTIER SAINT-DENIS.

Ce quartier est borné à l'orient par la rue Saint-Martin et par celle du faubourg du même nom exclusivement; au septentrion, par les faubourgs Saint-Denis et Saint-Lazare inclusivement et jusqu'aux barrières; à l'occident, par les rues du Faubourg-Poissonnière, Poissonnière et Montorgueil jusqu'au coin de la rue Mauconseil inclusivement; et au midi, par les rues aux Oues[407] et Mauconseil aussi inclusivement.

On y comptoit, en 1789, cinquante et une rues, onze culs-de-sacs, trois églises paroissiales, une église collégiale, une chapelle, une communauté d'hommes, un couvent et trois communautés de filles, un hôpital, etc.

Ce quartier, qui commence au centre de la ville, et qui finit à son extrémité septentrionale, a suivi, dans son accroissement, celui des diverses enceintes qui se sont succédé.

Avant Philippe-Auguste il n'existoit point encore, puisque la clôture qui environnoit Paris du temps de Louis-le-Jeune passoit à l'endroit où est aujourd'hui le cloître Saint-Merri. Les murailles que Philippe fit bâtir embrassèrent un vaste terrain qui, dans la partie dépendante de ce quartier, s'étendoit depuis dans la rue Montorgueil jusqu'à celle du Bourg-l'Abbé, renfermant dans son circuit une partie du bourg qui a donné son nom à cette dernière rue, l'hôpital Saint-Josse et le couvent de Saint-Magloire, avec les cultures qui en dépendoient[408].

Ces cultures furent bientôt couvertes de maisons; et la rue Saint-Denis, qu'on nomma depuis la grant rue, la grant chaussée de M. saint Denis, commença à se former. Un faubourg nouveau la prolongea bientôt hors de l'enceinte; et lorsque, sous Charles V, on jugea nécessaire de reculer les fortifications de la ville, le terrain qui fut renfermé dans le quartier dont nous parlons étoit déjà presque entièrement couvert de maisons. La porte Saint-Denis fut dès lors placée à l'endroit où elle étoit encore au commencement du règne de Louis XIV[409]: car, depuis Charles V jusqu'à cette époque, cette partie de l'enceinte de Paris ne reçut aucun nouvel accroissement. Mais à peine eut-elle été bâtie, qu'on vit une autre rue extérieure, faisant encore suite à la rue Saint-Denis, se prolonger dans la campagne avec le nom de rue du Faubourg Saint-Denis.

Cette dernière rue, qui conduisoit à la maison Saint-Lazare, resta, jusqu'au règne de Louis XIV, isolée au milieu des champs. Sous ce prince, on la voit enfin coupée par quelques rues transversales qui la lient aux autres faubourgs; mais le terrain que renfermoient ces rues ne contenoit encore que des jardins, des marais et autres terres labourables.

Ce n'est que dans le dix-huitième siècle qu'on a commencé à couvrir ces places vides, et que ce faubourg est devenu successivement un des plus populeux de la capitale.

SAINT-JACQUES-DE-L'HÔPITAL.

Cet hôpital et son église avoient été fondés pour y recevoir les pélerins qui iroient à Saint-Jacques de Compostelle et qui en reviendroient: mais par qui et à quelle époque? c'est sur quoi les historiens ne sont pas d'accord. On a pu déjà remarquer que, dans l'histoire des anciens monuments de Paris, ce sont presque toujours ces deux points qui sont enveloppés d'une plus profonde obscurité. Ce n'est qu'en discutant les différentes opinions, en comparant les dates, en vérifiant les actes, qu'on peut espérer d'y jeter quelques lumières, et de démêler la vérité à travers tant de traditions confuses et d'erreurs accréditées ou par l'ignorance ou par l'intérêt personnel. Par exemple, une ancienne tradition attribue la fondation de l'hôpital et de l'église de Saint-Jacques à Charlemagne; et quoique cette opinion soit destituée de tout fondement, elle a cependant été adoptée par une foule d'écrivains, tant anciens que modernes[410]. Les chanoines mêmes de cette église sembloient l'avoir autorisée par la forme de leur sceau, qui représentoit d'un côté saint Jacques, et de l'autre Charlemagne. Cependant il n'y a d'autre autorité, pour soutenir une origine aussi peu vraisemblable, que la Chronique du faux Turpin, où il est dit que ce monarque avoit fait bâtir, entre Paris et Montmartre, une église du titre de Saint-Jacques. Non-seulement on s'est trompé en croyant que cela devoit s'entendre de Saint-Jacques-de-l'Hôpital, mais il s'est trouvé qu'on commettoit une double erreur: car, quoique le fait ne soit pas plus vrai à l'égard de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, cependant ceux qui ont fabriqué l'histoire de Turpin n'ont pu avoir en vue que cette dernière église, puisqu'il existe des manuscrits de cette histoire fabuleuse écrits dès le treizième siècle, temps auquel l'église de Saint-Jacques-de-l'Hôpital n'étoit certainement pas bâtie. Les auteurs les plus exacts fixent l'époque de sa fondation en 1315; une ancienne inscription gravée sur une des portes la marquoit en 1317; l'abbé Lebeuf la place en 1322.

Il paroît constant que cet hôpital fut fondé, au commencement du quatorzième siècle, par des Parisiens qui, ayant fait le pélerinage de Saint-Jacques de Compostelle, lequel étoit célèbre dès le neuvième siècle, imaginèrent, pour perpétuer la mémoire de ce pieux voyage, de former entre eux une société ou confrérie. Quelques historiens prétendent que, dès 1298, elle tenoit ses assemblées dans l'église de Saint-Eustache; mais on ne voit point qu'elle ait été autorisée avant le règne de Louis X, qui, par ses lettres-patentes du 10 juillet 1315, approuva cette association, et lui permit de tenir ses assemblées aux Quinze-Vingts.

Charles de Valois, comte d'Anjou, et plusieurs notables bourgeois de Paris, s'y étant fait inscrire, en augmentèrent tellement les fonds par leurs libéralités, que, dès 1317, les confrères se crurent assez riches pour entreprendre la construction d'un hôpital et d'une chapelle. Ils achetèrent à cet effet le terrain qu'occupoient encore, dans ces derniers temps, l'église, le cloître et les maisons de leur dépendance; mais, s'étant bientôt aperçus qu'ils avoient commencé une entreprise au-dessus de leurs facultés, ils s'adressèrent à l'official de Paris, qui, en 1319, leur accorda des lettres par lesquelles les fidèles étoient exhortés à secourir de leurs aumônes les confrères pélerins de Saint-Jacques, et qui autorisoient ceux-ci à faire des quêtes dans les différents quartiers de la ville et au dehors, pour la construction de leur hôpital. Ces quêtes eurent un succès complet, et procurèrent des sommes plus que suffisantes pour continuer les bâtiments déjà commencés.

Cependant ils se virent forcés d'en suspendre quelque temps les travaux, par les oppositions que formèrent bientôt à leur établissement le chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois et le curé de Saint-Eustache. Une requête que les confrères adressèrent alors au pape Jean XXII, pour faire lever ces obstacles, nous apprend que leur intention étoit que la chapelle fût desservie par quatre chapelains, dont l'un, sous le nom de trésorier, auroit l'administration des biens destinés pour la célébration du service divin, et seroit comptable envers les administrateurs choisis par les confrères; que ce service seroit célébré par lesdits chapelains, lesquels seroient obligés de dire l'office canonial, et de résider; que le trésorier auroit 50 liv. de revenu, et les chapelains 40 liv.; que toutes les offrandes faites à l'hôpital, pour quelque cause que ce fût, seroient employées totalement, tant à la construction de l'hôpital qu'à la nourriture des pélerins, des pauvres et des malades; qu'enfin il y auroit, pour le service de la chapelle, une cloche de poids suffisant, et près de l'hôpital un cimetière destiné à la sépulture des pélerins, des pauvres et des serviteurs de la maison[411].

Jean XXII, par une bulle du 18 juillet 1322, donna son approbation au projet des confrères pélerins, toutefois après avoir fait vérifier par des commissaires délégués à cet effet si la confrérie avoit les moyens d'exécuter les promesses mentionnées dans la requête[412]. Ces mêmes commissaires réglèrent en même temps les indemnités qu'il étoit juste de payer aux chapitre et doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois, ainsi qu'au curé de Saint-Eustache, sur le territoire desquels cet hôpital devoit être bâti, et qui, comme nous venons de le dire, s'étoient d'abord opposés à son établissement. Les premiers abandonnèrent leurs prétentions moyennant la somme de 40 liv. parisis, et le curé de Saint-Eustache renonça aux siennes pour celle de 160 liv. Les commissaires décidèrent aussi que les confrères, étant garants du revenu de 170 liv. affecté aux quatre prêtres de cet hôpital, il étoit juste qu'ils présentassent aux bénéfices; qu'en conséquence la nomination du trésorier seroit faite par l'évêque d'après leur présentation, et celle des chapelains par le trésorier. Ce droit de patronage et de présentation fut ensuite confirmé en faveur des confrères pélerins par une bulle du même pape Jean XXII de l'année 1326, et par une autre du pape Clément VI en 1342.

Les choses restèrent dans cet état jusqu'au commencement du quinzième siècle, où il se fit, dans la chapelle de cet hôpital, appelée alors église, plusieurs autres fondations de chapelains de deux espèces différentes[413]: la première fut de quatorze chapelains, depuis réduits à douze, lesquels devoient dire un certain nombre de messes, avec le droit et l'obligation d'assister à l'office du chœur, de loger dans le cloître, et de recevoir certaines distributions. On créa dans la seconde neuf autres chapelains, distingués des premiers en ce qu'ils n'avoient ni séance au chœur ni logement dans le cloître; ces derniers furent supprimés en 1482, et l'on appliqua une partie des fonds de leurs chapellenies à l'entretien des enfants de chœur. Depuis cette époque on ne compta dans l'église de Saint-Jacques-de-l'Hôpital que vingt titulaires, dont huit étoient chargés de faire l'office du chœur à tour de semaine, et prenoient en conséquence la qualité de chanoines; les douze autres, qui n'étoient tenus que d'assister à l'office et de dire un certain nombre de messes, avoient conservé le nom de chapelains. On y ajouta depuis quatre vicaires, un sacristain et quatre enfants de chœur.

Les confrères pélerins continuèrent à jouir, sans aucune contestation, du plein exercice de leurs droits sur cet hôpital et sur cette église, jusqu'au mois de décembre 1672. Le roi ayant rendu à cette époque un édit par lequel il donnoit à l'ordre de Notre-Dame-du-Mont-Carmel et de Saint-Lazare-de-Jérusalem l'administration et la jouissance perpétuelle des maisons, droits, biens et revenus de plusieurs ordres hospitaliers, hospices, hôpitaux, etc., Saint-Jacques-de-l'Hôpital se trouva au nombre des maisons dont cet acte d'autorité changeoit la destination. Les confrères réclamèrent vivement contre une telle spoliation: après vingt ans de contestations et de plaidoiries, un nouvel édit, vérifié au grand conseil le 9 avril 1693, révoqua celui du mois de décembre 1672, et remit Saint-Jacques-de-l'Hôpital à ses premiers administrateurs. De nouvelles difficultés s'élevèrent bientôt au sujet de cette maison; mais comme il seroit aussi long que fastidieux d'en donner le détail, nous nous bornerons à dire qu'en 1722 elle fut réunie une seconde fois à l'ordre du Mont-Carmel et de Saint-Lazare, et qu'enfin elle en fut encore séparée en 1734. Les arrêts du conseil qui rétablirent l'ancienne administration furent confirmés par lettres-patentes du 15 avril de la même année, et enregistrés au parlement le 4 juin suivant. Les choses restèrent en cet état jusqu'au 1er juillet 1781, que de nouvelles lettres-patentes décidèrent irrévocablement du sort de cet hôpital, dont elles accordèrent les biens à celui des Enfants-Trouvés; celui-ci en a joui jusqu'au moment où on les a vendus comme biens nationaux.

À l'époque de 1789, il ne restoit plus de bénéficiers dans Saint-Jacques-de-l'Hôpital qu'un trésorier, quatre chapelains, un vicaire-sacristain et quatre enfants de chœur. Le trésorier exerçoit les fonctions curiales dans l'étendue du cloître seulement. Tous les ans, le premier lundi d'après la fête de saint Jacques-le-Majeur, les confrères s'assembloient dans l'église, et faisoient une procession solennelle, où ils assistoient, ayant un bourdon d'une main et un cierge de l'autre.

Cette église, qui n'avoit rien de remarquable, avoit été bâtie en 1322, et dédiée, en 1323, par Jean de Marigni, évêque de Beauvais[414]. Le trésor contenoit différens reliquaires fort riches, qu'il devoit aux libéralités de Philippe-le-Long, de Jeanne d'Évreux, troisième femme de Charles-le-Bel, et de quelques autres bienfaiteurs.

On lisoit au-dessus des portes de l'hôpital, du côté du cloître, les deux inscriptions suivantes, gravées en lettres d'or sur deux tables de marbre noir.

Nullos fundatores ostento, quia humiles, quia plures, quorum nomina tabella non caperet, cœlum recipit: vis illis inseri? Vestem præbe, panem frange pauperibus peregrinis.

Sur la seconde:

«Hôpital fondé, en l'an de grâce 1317, par les pélerins de Saint-Jacques, pour recevoir leurs confrères; réparé et augmenté en l'année 1652[415]

L'HÔPITAL DE LA TRINITÉ.

La plupart des historiens de Paris qui nous ont précédés nous offrent peu de secours lorsqu'il est question de fixer les dates et de démêler les origines; et il suffit qu'un monument ait quelque antiquité pour que l'on trouve à son sujet vingt opinions contradictoires. Par exemple, au sujet de l'hôpital de la Trinité, Corrozet et Sauval disent que «deux chevaliers, seigneurs de Galendes, donnèrent en 1202 leur maison pour y fonder un prieuré de l'ordre de Prémontré, lequel fut achevé en 1210.» Dubreul et le Maire ont écrit que «deux Allemands firent construire un hôpital pour les pélerins; qu'en 1210 ils obtinrent la permission d'y bâtir une chapelle, et qu'ils fondèrent trois religieux de Prémontré.» L'auteur des Tablettes parisiennes n'en place la fondation qu'en 1217, et La Caille en recule l'époque jusqu'en 1544. Sans entrer dans la discussion des raisons qui ont fait assigner des époques si différentes à l'origine de cet hôpital, nous tâcherons de la découvrir par l'examen des titres qui en font mention. Quoiqu'il n'en reste aucun qui soit antérieur à l'an 1202, il est hors de doute cependant que ces titres ne sont pas les premiers, puisqu'on trouve dans le cartulaire de Saint-Germain-l'Auxerrois[416] des lettres d'Eudes de Sully, évêque de Paris, dans lesquelles il déclare que de son consentement et de son autorité on avoit construit une chapelle dans la maison hospitalière de la Croix-de-la-Reine. Or, ces lettres, qui sont de la date de 1202, et qui furent données pour terminer une contestation élevée entre les frères de cet hôpital et le chapitre de Saint-Germain, prouvent évidemment que la fondation en avoit été faite avant cet incident. Ces mêmes lettres nous apprennent en outre, 1o que cet hôpital avoit été fondé par Guillaume Escuacol, à l'usage des pauvres de ce quartier, ad opus pauperum ejusdem loci; 2o qu'il s'appeloit l'hôpital de la Croix-de-la-Reine, à cause d'une croix ainsi nommée, placée au coin des rues Greneta et de Saint-Denis où cet hôpital avoit été construit; 3o enfin, que l'on convint qu'il seroit payé par les frères, à l'église de Saint-Germain, une rente de 10 sous, pour l'indemniser des droits qu'elle avoit sur ce terrain, et qu'il n'y auroit point de cloches à la chapelle. Toutefois ce dernier article ne fut pas long-temps observé, et les frères de l'hôpital prétendirent bientôt avoir des cloches. Le chapitre de Saint-Germain s'y opposa avec une grande vivacité. Choisi une seconde fois pour arbitre, Eudes de Sully décida, par sa sentence du mois d'août 1207[417], que les frères auroient ces cloches qu'on leur contestoit, en payant annuellement 10 autres sous au chapitre de Saint-Germain. On voit dans cet acte que cette maison prit dès lors le nom de la Sainte-Trinité, qui étoit apparemment le vocable de la chapelle.

Il paroît que cet état de choses subsista jusqu'en 1210, et que jusqu'à cette époque cet hôpital, administré par un chapelain, fut véritablement un lieu d'asile pour les pauvres. Mais soit que les fondateurs eussent reconnu des vices dans cette forme d'administration, soit que leurs affaires particulières ne leur permissent pas d'y donner tous leurs soins, ils jugèrent plus convenable de n'y recevoir désormais que des pélerins, et d'en confier la conduite aux religieux de Prémontré. Des lettres de Pierre de Nemours, évêque de Paris, de cette dernière année[418], nous apprennent que Guillaume Escuacol et Jehan Paâlée, son frère utérin, offrirent à Thomas, abbé d'Hermières, la direction de cette maison, à condition qu'il y auroit au moins trois religieux de son ordre chargés d'y exercer l'hospitalité à l'égard des pélerins, mais seulement de ceux qui ne font que passer. Ministerium hospitalitatis peregrinorum tantummodò transeuntium; qu'ils célèbreroient la messe et l'office divin, etc. On lit dans les annales de l'ordre de Prémontré que l'abbé Thomas souscrivit à ces conditions, et y envoya un maître et quatre de ses chanoines[419].

Les religieux d'Hermières restèrent seuls maîtres de la maison de la Trinité jusqu'en 1545; mais long-temps avant cette époque l'hospitalité avoit cessé d'y être exercée; et ce qui pourra sembler aussi étonnant que bizarre à ceux qui n'entrent pas dans l'esprit de ces temps anciens, c'est que cette maison religieuse, où les offices divins ne cessèrent point d'être pratiqués, fut en même temps, et pendant plus d'un siècle, la seule salle de spectacle que possédât la ville de Paris. Nous nous réservons, lorsque nous traiterons de l'histoire du Théâtre Français, de dire à quelle occasion les représentations des mystères succédèrent aux bouffonneries obscènes des jongleurs qui existoient en France de temps immémorial; et comment, par un zèle indiscret qu'il est facile toutefois de comprendre et d'expliquer, on voulut faire un moyen d'édification des mêmes spectacles qui pendant si long-temps avoient été des écoles de scandale et de libertinage. Il ne sera question ici que de leur établissement à Paris.

Delamarre et dom Félibien prétendent que le premier essai s'en fit, en 1398, à l'abbaye de Saint-Maur-des-Fossés[420]. Les pieux histrions qui figuroient dans ces mystères étoient alors nommés pélerins, parce qu'ils n'avoient point encore de demeure fixe, et qu'ils promenoient de ville en ville le spectacle nouveau et bizarre qu'ils avoient inventé. Le succès qu'ils obtinrent leur fit naître l'idée de venir se fixer à Paris, où ils ne trouvèrent point de local plus commode pour leurs représentations qu'une salle de l'hospice de la Trinité, destinée originairement à loger les voyageurs, mais déjà vacante à cette époque. Ils louèrent cette salle, qui avoit vingt et une toises de long sur six de large, et débutèrent par le mystère de la Passion, qui leur attira une grande foule de spectateurs. Mais bien que le goût d'alors ne fût pas très-délicat, le mélange monstrueux qu'ils y firent de ce que la morale a de plus saint aux plaisanteries les plus grossières, fit une impression si désagréable sur les esprits éclairés, qu'une ordonnance du prévôt de Paris, du 3 juin de la même année, défendit de représenter aucun jeu de personnages, soit des vies des saints ou autrement, sans le congé du roi, à peine d'encourir son indignation, et de forfaire envers lui.

Cette défense détermina les pélerins à recourir à l'autorité du roi lui-même; et, pour se le rendre favorable, ils imaginèrent d'ériger leur société en confrérie de la Passion de Notre Seigneur. Leur entreprise, présentée sous un aspect nouveau qui flattoit un genre de dévotion alors répandu dans toutes les classes de la société, changea totalement de nature, même aux yeux les plus prévenus. Charles VI, qui aurait peut-être repoussé les histrions, accueillit les confrères avec bienveillance, assista à leur mystère, et leur permit, par ses lettres-patentes du mois de décembre 1402, de le représenter, ainsi que d'autres pièces semblables, tant à Paris que dans l'étendue de la prévôté, et vicomté. Ces mêmes lettres nous apprennent que cette confrérie étoit déjà fondée dans l'église de la Trinité sous le titre de maître et gouverneurs de la confrérie de la Passion et Résurrection de Notre Seigneur; que ces spectacles avoient déjà été représentés avant 1402; et, ce qui est plus curieux sans doute, que Charles VI s'étoit fait inscrire au nombre des confrères. Au reste, le succès de ces drames absurdes, regardés alors presque comme des cérémonies religieuses, fut si prodigieux, et l'invention en parut si favorable à la piété, que, pendant long-temps, les curés de Paris eurent la complaisance d'avancer l'heure des vêpres, les dimanches et fêtes, jours de ces représentations, afin de procurer à leurs paroissiens la liberté de jouir d'un spectacle si édifiant[421]. Il perdit depuis beaucoup de sa première vogue; mais ce n'est pas ici le lieu d'en parler.

Toutefois les choses restèrent en cet état jusque vers le milieu du seizième siècle. Dès le 14 janvier de l'an 1536, le parlement avoit ordonné «que les deux salles de la Trinité, dont la haute servoit pour la représentation des farces et jeux, seroient appliquées à l'hébergement de ceux qui étoient infectés de maladies vénériennes et contagieuses.» Mais il paroît que cet arrêt n'eut point son exécution: car on voit ces mêmes malades placés à l'hôpital Saint-Eustache, en vertu d'un autre arrêt du 3 mars de la même année. Enfin, en 1545, un troisième arrêt ayant ordonné »que les enfants mâles des pauvres, étant au-dessus de l'âge de sept ans, seroient ségrégés d'avec leurs pères et mères, et mis à un lieu à part, pour y être nourris, logés et enseignés en la religion chrétienne,» l'hôpital de la Trinité parut le lieu le plus convenable qu'il fût possible de choisir pour ce nouvel établissement; et les confrères de la Passion, malgré leurs vives réclamations, se virent forcés d'abandonner leur salle, dans laquelle on pratiqua des dortoirs pour ces pauvres enfants.

Les religieux de Prémontré, qui desservoient précédemment cet hôpital, continuèrent cependant, malgré ce changement, d'y faire leur demeure et d'y célébrer le service divin, ce qui dura jusqu'en 1562, qu'ils jugèrent convenable d'en laisser l'administration entière à ceux que le parlement en avoit chargés.

Ces administrateurs étoient le curé de la paroisse de Saint-Eustache et quatre bourgeois notables de la ville[422]. L'établissement avoit été fondé pour y recevoir cent garçons et trente-six filles orphelins de père ou de mère, mais valides. Les garçons donnoient, en entrant, 400 liv., et les filles 50, sommes qui leur étoient rendues en sortant. Le frère et la sœur ne pouvoient être reçus dans cette maison que successivement. On leur apprenoit à tous à lire et à écrire, et les métiers pour lesquels ils montroient le plus d'aptitude; et pour parvenir plus facilement à ce but de l'institution, on avoit obtenu que l'enclos de la maison seroit privilégié. Les artisans qui s'y établissoient gagnoient la maîtrise en instruisant dans leur art un de ces enfants, qui acquéroit en même temps la qualité de fils de maître[423].

Cet établissement, si utile à la classe indigente, si salutaire à la société en général, puisqu'il arrachoit aux désordres, qui sont la suite de la misère et de l'oisiveté, une foule de malheureux jetés dans son sein sans aucune ressource, avoit obtenu de nos rois une protection spéciale et paternelle qui en assuroit le succès, lorsque la révolution, opérée, disoit-on, pour rendre au foible et au pauvre ses droits imprescriptibles, est venue l'envelopper dans cette destruction générale qu'elle a faite de tous les établissements créés pour la foiblesse et l'indigence.

L'église de cette maison fut rebâtie et agrandie en 1598. Elle étoit sombre, peu commode, et n'avoit rien de remarquable que son portail, élevé dans le siècle suivant (en 1671), sur les dessins de François d'Orbay. Cette construction, qui subsiste encore, est composée d'une ordonnance corinthienne, surmontée d'un attique[424].

ÉGLISE PAROISSIALE DE SAINT-SAUVEUR.

Cette église n'étoit originairement qu'une chapelle, bâtie auprès d'une ancienne tour qui s'élevoit au coin de la rue Saint-Sauveur, et qu'on n'a démolie que dans l'année 1778. La chapelle en avoit reçu le nom de chapelle de la Tour, et dépendoit de Saint-Germain-l'Auxerrois, à qui appartenoit ce territoire. On ignore absolument par qui et dans quel temps elle fut construite; il ne se trouve aucun acte, aucun titre qui puisse indiquer l'époque de cette fondation. Sauval et ses copistes ont imaginé que cette chapelle avoit été bâtie, vers l'an 1250, par l'ordre de saint Louis, pour y faire ses prières, et se reposer lorsqu'il alloit à pied à Saint-Denis. Il est très-possible que ce monarque se soit arrêté plusieurs fois dans cette chapelle, dans cette dévote intention, mais il s'en faut tellement que l'on trouve dans cette circonstance la preuve qu'il l'avoit fait bâtir, que le contraire est évidemment prouvé par la simple comparaison des époques: tout le monde sait que saint Louis partit pour la Terre-Sainte le 12 juin 1248, et n'en revint qu'en 1254; et, quand même on n'auroit pas cet argument décisif à opposer, il seroit facile de produire des titres relatifs à ce monument, lesquels sont antérieurs à la naissance de ce saint roi. En effet, dès l'an 1216 il y eut une sentence arbitrale rendue au mois de décembre, qui confirma le doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois dans la perception des droits qu'il prétendoit avoir sur la chapelle de la Tour[425].

On n'est pas plus instruit sur le temps où elle fut érigée en église paroissiale sous le nom de Saint-Sauveur, et l'on a vainement cherché quelque titre qui fixât l'époque de son érection. Les pièces les plus anciennes où il soit fait mention de la paroisse de Saint-Sauveur sont deux actes que Jaillot dit avoir découverts dans les archives de l'archevêché et dans le cartulaire de Saint-Germain-l'Auxerrois: l'un est un amortissement de 1284, accordé par l'évêque de Paris au curé de Saint-Sauveur, de 10 sous parisis sur trois maisons situées près de la porte Montmartre; l'autre est un contrat du 10 août 1299, par lequel Mathilde donne au prêtre de Saint-Sauveur 12 deniers de cens à prendre sur sa maison sise dans la rue qui porte le même nom. La découverte de ces titres est d'autant plus importante que l'abbé Lebeuf, ordinairement assez exact dans ses recherches, se contente de dire qu'en 1303 le chapitre de Saint-Germain tiroit quelque revenu de cette église, laquelle portoit alors le nom de Saint-Sauveur; et qu'en 1335 Thomas de Ruel, qui en étoit curé, avoit prêté serment aux chanoines en cette qualité.

On voit, par ce que nous venons d'établir, que, dès le commencement du treizième siècle, cette chapelle étoit une succursale de Saint-Germain-l'Auxerrois, et qu'elle fut érigée en paroisse vers la fin de ce même siècle. Les faubourgs de Paris s'étant considérablement accrus et peuplés depuis l'enceinte de Philippe-Auguste, il est assez vraisemblable que l'éloignement de l'église de Saint-Germain occasionnant des difficultés pour l'administration des sacrements, le chapitre de cette église sentit la nécessité de faire ériger en paroisse la chapelle de la Tour qui étoit située au-delà de cette enceinte[426].

Cette église fut entièrement reconstruite sous le règne de François Ier, et sept chapelles y furent bénites en 1537; on l'agrandit en 1571 et en 1622; enfin, en 1713, elle fut réparée et embellie au moyen du bénéfice d'une loterie qui lui fut accordé par le roi. C'étoit un édifice d'un gothique assez élégant[427]. Une partie de ses constructions ayant été ébranlée par la démolition de la tour qui l'avoisinoit, et l'église entière menaçant ruine, on l'avoit abattue quelque temps avant la révolution; et sur l'emplacement qu'elle occupoit s'élevoit déjà une nouvelle et très-belle basilique, dont M. Poyet, architecte du duc d'Orléans, avoit donné le plan, lorsqu'arriva le règne de la philosophie et de la raison: l'église prit aussitôt la forme d'une salle de comédie, qui cependant n'a point été achevée[428].

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-SAUVEUR.

Il n'y avoit de remarquable dans l'ancienne église que la chapelle de la Vierge. Les dessins en avoient été donnés par Blondel, architecte du roi. Jean-Baptiste Lemoine fils avoit fait les sculptures, et Noël-Nicolas Coypel les peintures, qui consistoient en un tableau de l'Assomption placé au-dessus de l'autel, et un plafond représentant les cieux qui s'ouvroient pour recevoir la Sainte-Vierge.

SÉPULTURES.

Sauval assure que Turlupin, Gautier Garguille, Gros-Guillaume et Guillot-Gorju, les plus excellents acteurs[429] qu'il y ait jamais eu, ont été enterrés dans cette église; néanmoins on ne trouve que le nom de Gautier-Garguille sur les registres mortuaires de cette paroisse. Mais il faut observer qu'avant 1660 il n'y avoit point de registres réguliers dans les églises paroissiales, et que la négligence avec laquelle on constatoit les naissances et décès étoit telle, qu'il en est résulté des erreurs et des omissions sans nombre, qui ne permettent de regarder comme certains et authentiques que tous les actes de ce genre faits depuis cette dernière époque.

Dans l'église de Saint-Sauveur avoient été inhumés:

Guillaume Colletet, avocat au parlement, un des quarante de l'Académie françoise, plus connu par les satires de Boileau que par ses ouvrages, mort en 1659.

Raymond Poisson, comédien, mort en 1659.

Jacques Vergier, poète érotique, mort en 1720.

La cure de cette église étoit, dans l'origine, à la nomination du chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois; mais, depuis qu'il avoit été réuni au chapitre de Notre-Dame, le curé étoit nommé par l'archevêque de Paris.

Une particularité assez remarquable touchant l'église de Saint-Sauveur, c'est que, dans le commencement du quinzième siècle, Alexandre Nacart, qui en étoit curé, étoit en même temps procureur au parlement, et s'acquittoit à la fois de ce double ministère. Les historiens de Paris[430] rapportent fort au long les contestations de ce curé avec les doyens et chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois, qui prétendoient avoir droit aux offrandes et émoluments curiaux qui se percevoient dans cette église; ils se plaignoient en outre que Nacart ne résidoit point, et qu'il donnoit plus d'application à ses fonctions de procureur qu'à celles de curé. Nacart ayant été condamné par sentence de l'official du 16 mars de l'an 1407, se soumit à tout ce qu'on exigea de lui; et les parties demeurèrent d'accord, sans qu'il fût plus question de sa non-résidence, ni de ce qu'on lui avoit objecté touchant sa qualité de procureur.

La circonscription de cette paroisse formoit un carré à angles fort inégaux. En partant de la rue Saint-Denis, elle commençoit à la première maison qui se trouve après la rue Mauconseil, suivoit ce côté de la rue Saint-Denis, d'où elle entroit dans la rue de Bourbon, qu'elle comprenoit du même côté jusqu'à la rue du Petit-Carreau; suivant ensuite le côté gauche de cette dernière rue, elle embrassoit une partie de la rue Montorgueil du même côté, jusque vis-à-vis le cul-de-sac de la Bouteille. À cet endroit, la ligne qui séparoit les territoires des paroisses Saint-Sauveur et Saint-Eustache coupoit les deux côtés de la rue Françoise; et de là celle de Saint-Sauveur embrassoit les maisons qui se trouvoient derrière jusqu'au point de départ.

HÔTEL-DIEU DE JEAN CHENART.

Cet hospice avoit été fondé en 1425 dans la rue Saint-Sauveur par Jean Chenart, épicier, et garde de la Monnoie de Paris, pour huit pauvres femmes veuves de la paroisse dont dépendoit cette rue et dont nous venons de parler. Nous ignorons en quel temps a cessé cette fondation; mais le censier de l'évêché en fait encore mention en 1489.

HÔPITAL DE PIERRE GODIN.

C'est ainsi qu'est nommé cet hôpital dans les censiers de l'évêché de 1489; mais ils indiquent en 1372 qu'il avoit été fondé par Philippe de Marigny. Il en est fait mention, dans plusieurs titres, sous le nom de l'Hôtel-Dieu Saint-Eustache.

COMMUNAUTÉ DES FILLES-DIEU.

L'opinion la plus vraisemblable sur l'établissement des Filles-Dieu, est qu'il doit son origine à Guillaume d'Auvergne, depuis évêque de Paris. Prédicateur plein de zèle et de charité, il avoit déterminé, par la force et l'onction de ses sermons, plusieurs femmes de mauvaise vie à sortir du vice où elles étoient plongées, et à expier par la pénitence les désordres de leur vie passée. Touché de leur repentir, mais craignant les rechutes auxquelles leur misère ou leur foiblesse pouvoit les exposer, le pieux ecclésiastique forma le dessein de les réunir dans un asile où elles pussent vivre loin du monde, et au milieu des pratiques continuelles de la religion. Il leur fit bâtir à cet effet une maison sur une partie du terrain que Guillaume Barbette, bourgeois de Paris, lui avoit vendu; ce terrain, de deux arpents et demi, étoit situé hors de la ville, et près de Saint-Lazare[431].

Ce fut l'an 1226 que ces filles[432] entrèrent dans cette maison. Cette date, sur laquelle presque tous les historiens sont d'accord, suffit pour réfuter l'opinion du petit nombre de ceux qui regardent saint Louis comme le fondateur de cette communauté, puisque ce prince, alors âgé de douze ans, ne monta sur le trône qu'à la fin de cette même année; mais la bienveillance particulière dont il ne cessa d'honorer cet établissement, les bâtiments nouveaux qu'il fit élever dans son enceinte, les revenus qu'il fixa pour l'entretien des filles qui l'occupoient, et les priviléges qu'il leur accorda lui ont justement mérité ce titre de fondateur, et c'étoit sans doute pour ces motifs qu'il étoit désigné comme tel dans l'inscription placée sur la porte d'entrée de ce monastère.

L'an 1232 il y eut une cession faite aux Filles-Dieu par les frères et prieur de Saint-Lazare, de quatre arpents de terre avec la censive et la justice qu'ils y exerçoient, ainsi que le droit de dîmes; cession qui fut faite moyennant 12 liv. de rente[433]. On voit aussi, par les anciennes chartes, qu'en 1253 elles acquirent encore huit autres arpents de terre contigus aux précédents. Saint Louis leur accorda presque aussitôt l'amortissement des fonds qu'elles venoient d'acquérir, y ajouta la permission de tirer de l'eau de la fontaine de Saint-Lazare, et de la faire conduire dans leur couvent, et pour mettre le comble à ses bienfaits, les dota de 400 l. de rente assignées sur son trésor. Mais, en faisant cette dotation, il augmenta le nombre de ces religieuses, qui fut alors porté jusqu'à deux cents[434].

Vers l'an 1349, la peste horrible qui ravagea Paris, la famine, la misère qui en furent la suite, firent périr plus de la moitié de ces religieuses. Ce triste événement engagea l'évêque de Paris à réduire leur nombre à soixante. Sur une telle réduction faite par l'autorité du diocésain, et dont la communauté ne pouvoit être responsable, les trésoriers de France se persuadèrent qu'ils avoient le droit de réduire aussi de leur côté la rente de ces religieuses à 200 liv. Ils donnoient pour raison que saint Louis n'avoit constitué la rente de 400 l. qu'à condition qu'elles seroient au nombre de deux cents, et que l'évêque n'avoit pu, de son autorité privée, diminuer ce nombre sans le consentement du roi. Les Filles-Dieu réclamèrent vivement contre ce retranchement de leurs revenus, et leurs représentations furent favorablement écoutées par le roi Jean. Ce prince, par sa charte de l'an 1350, leur continua la rente entière que saint Louis leur avoit accordée, mais sous la condition qu'à l'avenir elles seroient au moins au nombre de cent.

Les Filles-Dieu demeurèrent dans ce monastère jusqu'après la malheureuse bataille de Poitiers, dans laquelle ce monarque fut fait prisonnier. Nous avons déjà dit[435] que les Parisiens épouvantés, croyant déjà voir l'ennemi au pied de leurs murailles, prirent la résolution d'en accroître les fortifications, brûlèrent les faubourgs peu considérables qui s'étendoient autour de l'enceinte méridionale, et renfermèrent dans les fossés et arrière-fossés les faubourgs beaucoup plus étendus qui s'étoient formés au nord de la ville. D'après le plan arrêté, les arrière-fossés devoient traverser la culture et l'enclos des Filles-Dieu: elles furent donc obligées d'abandonner leur maison, de la faire démolir, et de se retirer dans la ville. Jean de Meulant, alors évêque de Paris, les transféra dans un hôpital situé près la porte Saint-Denis, et fondé en 1316 par Imbert de Lyons ou de Lyon, bourgeois de Paris, en exécution des dernières volontés de deux de ses fils morts avant lui. Leur but, en fondant cet hôpital, avoit été de procurer l'hospitalité aux femmes mendiantes qui passeroient à Paris. Elles devoient y être logées une nuit, et congédiées le lendemain avec un pain et un denier. Il paroît, par les différents actes, que la chapelle de cette maison étoit sous le titre de Saint-Quentin.

L'évêque, en établissant les Filles-Dieu dans ce nouvel asile, y fonda une autre chapelle sous le nom de la Magdeleine; et, les soumettant aux mêmes pratiques de charité qui s'y exerçoient auparavant, il régla, dans les statuts qu'il leur donna, qu'il y auroit douze lits pour les pauvres femmes mendiantes. Ces religieuses firent construire alors les lieux réguliers nécessaires à leur communauté; et, pour n'être point troublées dans les exercices du cloître et dans la récitation des divins offices, elles commirent le soin de l'hospitalité à des sœurs converses[436].

Les désordres et l'esprit de licence qui marquèrent la fin de ce siècle introduisirent peu à peu le relâchement dans cette maison. L'ordre et l'esprit monastique se perdirent; on vit s'affoiblir par degrés la ferveur et la piété des premiers temps; et le relâchement en vint au point que les divins offices, d'abord négligés, y cessèrent enfin tout-à-fait. Aux religieuses, dont le nombre diminuoit de jour en jour, succédèrent des victimes infortunées du libertinage, qui, bien différentes de celles pour lesquelles cet asile avoit été fondé, cherchèrent moins à y cacher la honte de leurs désordres, qu'à se préserver de l'indigence, qui en est la suite ordinaire; et ce lieu, suivant l'expression d'une ordonnance de Charles VIII, fut appliqué à pécheresses qui, toute leur vie, avoient abusé de leurs corps, et à la fin étoient en mendicité. Résolu de faire cesser un tel scandale, ce monarque ordonna qu'on fît venir des religieuses réformées de Fontevrault pour occuper ce monastère; mais quoique les lettres-patentes données par lui à cet effet soient du 27 décembre 1483, cependant quelques discussions sur les droits que l'évêque exerçoit précédemment dans cet hôpital, droits qui sembloient contraires aux constitutions de l'ordre de Fontevrault[437], apportèrent du retard à l'exécution des ordres de Charles VIII. L'obstacle fut enfin levé par le sacrifice que le prélat fit de ses priviléges, en considération de l'avantage qui devoit résulter de ce changement; et, dans l'année 1494 ou 1495, huit religieuses de cet ordre célèbre[438] furent installées dans cette maison, où il ne restoit plus que trois ou quatre des anciennes religieuses, et à peu près autant de sœurs converses, qui négligeoient même de s'acquitter des devoirs de l'hospitalité qui leur étoit confiée.

Les nouvelles religieuses, quoique toujours soumises à la règle de Fontevrault, prirent le nom de Filles-Dieu, qu'elles ont conservé jusqu'à la destruction des ordres religieux, et continuèrent à exercer l'hospitalité prescrite par le fondateur de la maison jusque vers l'an 1620, où l'hôpital et la chapelle furent détruits. On ignore par quelle raison ce changement eut lieu, et si elles furent autorisées par les supérieurs ecclésiastiques; mais il est présumable que les lois de police, qui, à cette époque, commençoient à se perfectionner, avoient déjà considérablement diminué le nombre des femmes mendiantes auxquelles cet hôpital devoit servir d'asile, et rendu cette fondation à peu près inutile.

L'année même de leur établissement, les nouvelles Filles-Dieu commencèrent à faire construire l'église qu'on voyoit encore avant la révolution. Ce fut Charles VIII qui en posa la première pierre, sur laquelle étoient gravés le nom de ce roi et les armes de France. Cette église, achevée seulement en 1508, fut dédiée la même année. Elle n'avoit rien de remarquable dans son architecture ni dans son intérieur. Le maître-autel, décoré de quatre colonnes corinthiennes en marbre, fut élevé depuis sur les dessins de François Mansard. Contre un des piliers de la nef étoit une statue du Christ attachée à la colonne[439].

Avant la révolution on voyoit encore, au chevet extérieur de cette église, un crucifix devant lequel on conduisoit anciennement les criminels qu'on alloit exécuter à Montfaucon; ils le baisoient, recevoient de l'eau bénite, et les Filles-Dieu leur apportoient trois morceaux de pain et du vin: ce triste repas s'appeloit le dernier repas du patient. On ignore l'origine et les motifs de cet usage. Plusieurs ont pensé qu'il étoit imité des Juifs, qui donnoient du vin de myrrhe, et quelques autres drogues fortifiantes aux criminels, pour les rendre moins sensibles au supplice qu'ils alloient souffrir[440].

Dans un titre de 1581 on voit que Pierre de Gondi, évêque de Paris, unit à ce monastère la chapelle de Sainte-Magdeleine, que Jean de Meulant avoit fondée lorsqu'il transféra les Filles-Dieu dans la ville.

LES FILLES
DE L'UNION-CHRÉTIENNE,
OU DE SAINT-CHAUMONT.

Voici encore une de ces institutions créées par l'esprit de charité, et que nous voyons s'élever presque à chaque pas que nous faisons dans cette grande cité, pour le pauvre, pour le foible, pour celui qui souffre, pour toutes les misères humaines. Tels sont les prodiges d'une religion attaquée, calomniée par tant de mauvais esprits, devenus aveugles et presque stupides à force de perversité. Il n'est point ici besoin d'apologie: les murs de ces touchants asiles, leurs ruines, s'il en est encore que la cupidité n'ait pas fait disparoître, ont une éloquence qui l'emporte de beaucoup sur tout ce que pourroit dire l'historien. Plus nous avançons dans notre carrière, plus ils vont se multiplier à nos yeux; et nous ne doutons pas que le lecteur, frappé du simple récit des faits, n'admire cette harmonie merveilleuse de la religion et du pouvoir, liés ensemble sous la monarchie par d'indissolubles nœuds, et se prêtant de mutuels secours pour rendre les hommes meilleurs et plus heureux.

Près de la porte Saint-Denis, et sur le côté droit de la rue du même nom, étoit la communauté des Filles de l'Union-Chrétienne, autrement dites de Saint-Chaumont. Elle avoit été fondée en 1661 par demoiselle Anne de Croze, d'une famille noble et ancienne, pour l'instruction des nouvelles catholiques et des jeunes filles qui manquoient de secours temporels et de protecteurs qui pussent les leur procurer. L'association des Filles de la Providence, formée par madame de Pollalion, servit de modèle à la nouvelle institution: ce fut même dans la maison créée par cette sainte veuve que les premiers fondements en furent jetés. Toutefois c'est par erreur que plusieurs historiens lui en ont attribué l'origine; et ce ne fut que trois ans après sa mort, arrivée en 1657, que commença l'établissement dont nous parlons ici.

Mademoiselle de Croze fut aidée dans l'exécution de son dessein par un saint prêtre nommé Jean-Antoine Le Vachet, qui, depuis plusieurs années, travailloit à Paris avec beaucoup de succès à l'instruction des nouvelles catholiques. Trois dames, élèves de madame de Pollalion, s'étant offertes pour partager les travaux de la pieuse fondatrice, elle leur proposa de s'établir avec elle dans une maison qui lui appartenoit à Charonne; et c'est là que furent faits les premiers essais de ce nouvel institut. Ils furent si heureux que cette charitable demoiselle résolut d'y consacrer entièrement sa personne et ses biens, et fit sur-le-champ au séminaire qu'elle venoit de former une donation de la maison et des dépendances qui y étoient attachées. Non-seulement Louis XIV approuva ce contrat, mais il y ajouta la faveur de donner en 1673 des lettres-patentes qui autorisèrent l'établissement, et permit à ces filles de recevoir, acquérir et posséder tous dons, legs et héritages à titre de fondation. On doit bien penser que l'équité et la reconnoissance mirent la fondatrice à la tête de cette communauté, laquelle ne tarda pas à procurer à la religion des avantages supérieurs même aux espérances qu'on en avoit conçues. Pour les rendre encore plus efficaces, la sœur de Croze et ses associées jugèrent qu'il étoit nécessaire de transférer leur institution dans le sein même de la capitale; et M. de Harlai, archevêque de Paris, auprès de qui elles en sollicitèrent la permission, n'apporta aucun obstacle à ce projet. Il s'agissoit de choisir un local: ces dames n'en trouvèrent point qui fût plus convenable que l'hôtel de Saint-Chaumont, près la porte Saint-Denis. Ce lieu, qu'on nommoit, au commencement du dix-septième siècle, la Cour Bellot, avoit reçu son nouveau nom de Melchior Mitte, marquis de Saint-Chaumont, qui, en 1631, en avoit fait l'acquisition, et qui, s'étant également rendu propriétaire de dix maisons environnantes, avoit fait bâtir un hôtel sur ce vaste emplacement. Cette propriété, passée depuis en d'autres mains, étoit alors en vente, et les sœurs de l'Union-Chrétienne se trouvèrent en état de l'acheter pour la somme de 92,000 liv. Le contrat d'acquisition fut passé le 30 août 1683. Le roi autorisa encore cette translation par de nouvelles lettres-patentes données au mois d'avril 1687, et enregistrées le 18 novembre de la même année, lesquelles portent expressément que cette maison ne pourra être changée ni convertie en maison de profession religieuse; que les sœurs qui y sont actuellement et celles qui leur succéderont seront toujours en l'état de séculières, suivant leur institut. Cette formalité nécessaire pour rendre un établissement légal n'étoit cependant pas entièrement remplie, lorsque les Filles de l'Union-Chrétienne vinrent à Paris, car elles s'y rendirent au commencement de l'année 1685, dès que l'acte qui assuroit leur possession eut été ratifié; et, au mois de février suivant, leur chapelle fut bénite sous l'invocation de Saint-Joseph.

Les maisons de cet institut se multiplièrent: on en comptoit vingt distribuées dans différentes villes du royaume, et qui formoient une congrégation dont le séminaire de Saint-Chaumont étoit la maison principale, et la résidence de la supérieure générale.

Une partie de cette maison ainsi que la chapelle avoient été rebâties en 1781, sur les dessins de M. Convers, architecte de la princesse de Conti. Ce fut cette princesse, protectrice de la communauté de Saint-Chaumont, qui en posa la première pierre, et, l'année suivante, la bénédiction en fut faite par l'archevêque de Paris. Cette chapelle, dont la façade existe encore, offre une décoration composée de colonnes ioniennes, au-dessus desquelles règne une voûte ornée de caissons. On voyoit sur le maître-autel un tableau représentant une Nativité, par Ménageot[441].

C'est dans le jardin de cette maison, où logea autrefois le duc de La Feuillade, que fut jetée en fonte la statue de Louis XIV qui étoit sur la place des Victoires.

NOTRE-DAME
DE BONNE-NOUVELLE.

Cette église, située dans le quartier qu'on appeloit autrefois Ville-Neuve-sur-Gravois, entre la rue Beauregard et celle de la Lune, a succédé à une chapelle qui y avoit été construite en 1551, pour servir de succursale à la paroisse Saint-Laurent. Cette chapelle porta le nom de Saint-Louis et de Sainte-Barbe jusqu'en 1563, qu'elle fut dédiée par Jean-Baptiste Tiercelain, évêque de Luçon, sous l'invocation de la Sainte-Vierge[442]. Ce n'étoit au reste qu'un très-petit édifice, long de treize toises sur quatre de large.

Lors des guerres de la Ligue, en 1593, on avoit été obligé de raser les maisons de ce quartier, ainsi que cette chapelle, pour y construire des fortifications. La paix et la tranquillité ayant succédé aux désordres que ces divisions intestines avoient fait naître, ce lieu abandonné se repeupla assez promptement, au moyen des priviléges qui furent accordés aux ouvriers qui vinrent s'y établir. En 1624, la population en étoit déjà si nombreuse que ses habitants déclarèrent à l'archevêque de Paris que, se trouvant trop éloignés de la paroisse de Saint-Laurent, ils désiroient obtenir la permission de faire rebâtir la chapelle de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, dont il restoit encore quelques débris; permission qui leur fut accordée par ce prélat, toutefois après qu'il se fut assuré du consentement du curé de Saint-Laurent[443]. Il paroît que ce pasteur, qui le donna d'abord, jugea à propos par la suite de le retirer: car il survint des difficultés qui suspendirent l'entier achèvement de l'église; et, quoiqu'une inscription placée au frontispice marquât qu'elle avoit été achevée en 1626, ce n'est cependant qu'en 1652 qu'un arrêt du 21 mai permit aux habitants d'en reprendre les travaux. Cependant plusieurs actes antérieurs portent à croire qu'on y célébroit le service divin avant cette dernière époque. Elle ne fut érigée en cure ou vicairie perpétuelle que dans le mois de juillet 1673.

Les curés de cette église eurent depuis quelques contestations moins importantes avec les prieurs et religieux de Saint-Martin-des-Champs, curés primitifs de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, et qui réclamoient tous les ans certains priviléges et certaines redevances auxquels ces pasteurs cherchèrent vainement à se soustraire. Un arrêt du parlement, donné en 1676, les força à reconnoître le patronage de ce monastère, et à remplir les obligations contractées envers lui. On remarquera ici qu'il faut dire et écrire Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, et non pas de Bonnes-Nouvelles, comme plusieurs auteurs l'ont cru mal à propos: car le titre de cette église est relatif à l'Annonciation de la Vierge; et dans tous les actes latins passés par les curés de cette église, ils se qualifient pastor à Bono Nuntio.

La circonscription du territoire de cette paroisse étoit triangulaire. Elle commençoit au coin de la rue de Bourbon et de celle du Petit-Carreau; et toutes les maisons à droite qui terminoient cette dernière rue, ainsi que toutes celles du côté droit de la rue Poissonnière, étoient de cette paroisse. Au bout de cette rue, suivant le rempart aussi à droite, revenant au premier coin de la rue de Bourbon, et longeant ensuite cette dernière rue jusqu'à son bout qui donne dans la rue du Petit-Carreau, on se trouve avoir fait le tour du triangle. Ce triangle renfermoit ainsi, dans ces deux côtés, la moitié de la rue de Cléry, la rue Beauregard, et plusieurs autres petites rues adjacentes.

FILLES DE LA PETITE
UNION-CHRÉTIENNE,
OU LE PETIT SAINT-CHAUMONT.

Cet établissement faisoit partie de la congrégation de l'Union-Chrétienne, dont nous venons de parler; il avoit à peu près le même but et la même destination. Ce fut au vertueux ecclésiastique dont le zèle avoit si puissamment contribué à la fondation de la première communauté, que l'on dut encore cette nouvelle institution. Témoin des dangers et des embarras auxquels étoient exposées des personnes persécutées par leurs parents pour avoir embrassé la foi catholique, des extrémités auxquelles étoient réduites de jeunes filles qui, cherchant à se mettre en condition, manquoient de toutes les ressources de la vie, et même d'asile, il persuada à plusieurs personnes pieuses de partager l'intérêt que lui inspiroient ces êtres foibles et malheureux, et leur eut bientôt trouvé des protecteurs assez puissants[444] pour pouvoir penser à leur procurer une retraite et les secours nécessaires. Les membres de cette association charitable jetèrent les yeux sur une maison située rue de la Lune, que François Berthelot, secrétaire des commandements de Marie-Victoire de Bavière, dauphine de France, et Marie Regnault son épouse, avoient fait bâtir pour y recevoir et soigner cinquante soldats revenus de l'armée, malades ou blessés. La construction de l'hôtel royal des Invalides, que le roi avoit ordonnée vers ce temps-là, ayant rendu inutiles les vues bienfaisantes de ces deux époux, ils acceptèrent avec plaisir les propositions qui leur furent faites de céder cette maison aux Filles de l'Union-Chrétienne, que la sœur Anne de Croze envoya de Charonne pour administrer le nouvel établissement. Ceci se passa en 1682; des lettres-patentes du mois de février 1685, enregistrées au parlement du 5 février 1686, et à la chambre des comptes le 4 du même mois de l'année suivante, confirmèrent ensuite cette donation.

Sainte-Anne étoit la patronne titulaire de cette maison, qui a subsisté jusqu'au commencement de la révolution[445].

LA PORTE SAINT-DENIS.

Dans la première enceinte, élevée sous le règne de Philippe-Auguste, la porte Saint-Denis étoit située entre la rue Mauconseil et celle du Petit-Lion; sous Charles IX elle fut reculée et placée entre les rues Neuve-Saint-Denis et Sainte-Appoline. Une suite constante de victoires et de prospérités avoit déjà fait ériger deux arcs-de-triomphe à la gloire de Louis XIV: la rapidité de ses conquêtes en 1672, le passage du Rhin, quarante villes fortifiées, et trois provinces soumises dans l'espace de deux mois, engagèrent la ville de Paris à lui élever ce nouveau monument de son amour et de sa reconnoissance.

Les murailles de Paris avoient été abattues; les faubourgs touchoient à la ville, dont ils terminoient alors le vaste circuit. L'isolement du nouveau monument, sa forme, son caractère, ses attributs, ses inscriptions, tout concouroit à en donner une autre idée que celle que produit l'aspect d'une porte de ville. Cependant cette dénomination populaire a prévalu, tant pour cet arc-de-triomphe que pour celui qui l'avoisine[446]; et, quoiqu'elle manque entièrement de justesse, la tyrannie de l'usage ne nous permet pas d'en employer une autre.

François Blondel, le plus savant et peut-être le plus grand architecte du dix-septième siècle, fit élever sur ses dessins cette magnifique composition. Il lui donna une largeur de soixante-douze pieds sur une hauteur précisément égale; puis, partageant cette largeur en trois parties, chacune de vingt-quatre pieds, il assigna celle du milieu pour l'ouverture de l'arc, et réserva les deux autres pour ses piédroits, au milieu desquels il perça deux portes de cinq pieds d'ouverture sur le double de hauteur[447].

Sur le nu de ces piédroits sont placées de grandes pyramides en bas-relief, qui, de leurs piédestaux, s'élèvent jusqu'au-dessous de l'entablement, où elles se terminent par un globe que porte un petit amortissement. Ces piédestaux et ces pyramides, également répétés sur la façade qui regarde la ville, et sur celle qui est tournée vers le faubourg, sont chargés de trophées d'armes disposés avec un art admirable, et dont l'exécution rappelle jusqu'à un certain point celle des ornements de la colonne Trajane.

Au pied des pyramides qui sont en regard de la ville, à droite est représenté le Rhin saisi d'étonnement et d'épouvante; on voit à gauche la Hollande, sous la figure d'une femme éperdue, assise sur un lion demi-mort, qui, d'une de ses pates, tient une épée rompue, et de l'autre un faisceau de flèches brisées et en partie renversées[448]. Les pyramides de l'autre façade n'offrent point de figures: elles posent sur des lions couchés[449].

Deux bas-reliefs, placés au-dessous de l'arc, représentent, du côté de la ville, le passage du Rhin à Tholuys; de l'autre, la prise de Maëstricht; dans la frise de l'entablement qui règne immédiatement au-dessus, on lisoit en gros caractères cette inscription: Ludovico Magno. Une niche carrée, figurée au-dessous des bas-reliefs, reçoit la porte: elle a pour claveau la dépouille d'un lion dont la tête et les pates pendent sur le sommet de l'archivolte; et dans les tympans triangulaires de la niche sont sculptées des Renommées en bas-relief, tant à la face du faubourg qu'à celle de la ville.

Girardon avoit été chargé d'abord de l'exécution de tous ces ornements de sculpture; et déjà il avoit achevé les rosaces du grand archivolte, lorsqu'il se vit obligé d'abandonner cette entreprise pour aller à Versailles, où le roi l'appeloit à d'autres travaux. Anguier l'aîné, qui lui succéda, ne le fit point regretter; et l'on convient généralement qu'il n'a point été produit, dans le siècle de Louis XIV, de sculpture qui soit supérieure à celle de ce monument.

Sous le rapport de l'architecture, il est également considéré, tant pour l'harmonie et le grand caractère de ses proportions, que pour l'excellente exécution de toutes ses parties, comme un des plus beaux ouvrages de cette époque célèbre. »On peut même avancer, dit un habile architecte (M. Legrand), qu'il n'est peut-être point d'édifice en France qui porte un caractère plus viril et plus capable de mériter l'attention des hommes qui se destinent aux arts, et d'attirer l'admiration des connoisseurs.»

LA MAISON DE SAINT-LAZARE.

Il y a grande apparence que la maison de Saint-Lazare a été bâtie sur les ruines du monastère de Saint-Laurent, dont Grégoire de Tours fait mention[450], et dont nous ne tarderons pas à parler. Toutefois ce sont de simples conjectures; et il faut avouer qu'il est impossible de rien présenter de certain sur les commencements de cet ancien hospice. Il avoit été institué pour servir d'asile aux malades attaqués de la lèpre, et l'on a des preuves qu'il existoit dès le douzième siècle. Cependant, bien qu'on ne puisse fixer précisément la date de son établissement, on peut assurer qu'à cette époque il étoit encore nouveau, par la raison qu'il n'y avoit pas très-long-temps que la maladie affreuse et incurable qu'on y soignoit avoit pénétré en France. En effet, soit qu'avant les croisades le peu de communications que nous avions avec l'Orient, où elle existoit de temps immémorial, nous eût préservés de ce fléau, soit que les progrès en eussent été arrêtés par cette police sage et sévère qui interdisoit l'entrée des villes aux lépreux, nous ne voyons pas qu'on ait établi de léproseries dans ce royaume sous les deux premières races de nos rois.

Une des principales causes de l'obscurité qui règne sur l'origine de Saint-Lazare, c'est la perte presque totale des titres originaux de cette maison. Ils furent en grande partie dispersés ou détruits dès le commencement de ces temps malheureux où la ville de Paris étoit sous la domination des Anglois, ainsi que le roi Charles VI le reconnoît lui-même dans ses lettres du 1er mai 1404. De là l'incertitude et les contradictions des historiens, tant sur l'état primitif de cette espèce de communauté, que sur celui de la léproserie qui y étoit jointe.

Quelques-uns ont pensé que c'étoit un prieuré de Saint-Augustin, sans doute parce que, dans plusieurs actes, il est fait mention du prieur et du couvent de Saint-Lazare. L'abbé Lebeuf, qui penche pour cette opinion, ajoute qu'on ne connoît rien de certain sur cette maison avant l'an 1147, et que ce n'est qu'en 1191 qu'il y fut établi un clergé régulier, composé d'un prieur et de religieux de l'ordre que nous venons de nommer.

Lemaire a avancé une autre opinion[451]: il a prétendu que les religieux du monastère de Saint-Laurent, qui existoit anciennement en cet endroit, prirent le titre de Saint-Lazare, qui leur fut donné par Philippe-Auguste au mois de juin 1197. Les auteurs du Gallia Christiana disent au contraire[452] qu'en 1150 Louis-le-Jeune ayant ramené avec lui de la Terre-Sainte douze chevaliers de Saint-Lazare, il leur donna un palais qu'il avoit hors de la ville et la chapelle qui en dépendoit, laquelle depuis ce temps a pris le nom de Saint-Lazare.

Le commissaire Delamare, qui a adopté leur sentiment[453], donne à cet événement une époque antérieure: il dit que les Sarrasins ayant chassé les chrétiens de la Terre-Sainte, les chevaliers de Saint-Lazare se retirèrent en France l'an 1137, et se mirent sous la protection de Louis VII, qui leur donna la maison dont nous venons de parler. Mais ni ces anecdotes ni ces dates ne sont malheureusement soutenues de la moindre autorité. 1o. Lorsque Louis-le-Jeune revint de la Terre-Sainte, l'hôpital de Saint-Lazare existoit depuis plus de quarante ans; et, s'il fut donné par lui aux chevaliers hospitaliers, ce n'est pas d'eux qu'il a pris son nom, puisqu'il le portoit auparavant. 2o. On ne trouve aucune preuve de ce don; il n'existe pas la moindre trace que les chevaliers de Saint-Lazare aient joui de cette maison, qu'ils l'aient conservée, ni qu'ils l'aient cédée, soit volontairement, soit par autorité.

Nous n'essaierons pas d'ajouter des conjectures nouvelles à celles de ces écrivains; et, laissant pour incertain ce qui ne peut être suffisamment éclairci, nous nous bornerons à faire connoître ce que nous avons pu réunir de plus authentique sur cette institution, d'après les titres et les actes qui en font mention.

C'est, comme nous venons de le dire, lorsque nous parlerons de l'église Saint-Laurent, que nous donnerons les raisons qui nous portent à croire que cette basilique étoit située, dans le principe, à l'endroit où fut construite depuis la léproserie dont il est ici question; mais sans nous occuper ici de cette origine, si nous examinons uniquement ce dernier établissement, nous ne voyons pas qu'il en soit fait mention nulle part avant le règne de Louis-le-Gros. Le premier qui en ait parlé est un auteur contemporain de ce prince[454], lequel nous apprend qu'en allant à Saint-Denis y prendre l'oriflamme il s'arrêta long-temps dans la maison des lépreux, tandem foràs progrediens, leprosorum adiit officinas. On sait aussi qu'Adélaïde de Savoie sa femme en fut la principale bienfaitrice; que le même prince accorda à cette maison, en 1110, une foire, qui fut depuis rachetée par Philippe-Auguste, et transférée aux halles, comme nous l'avons remarqué en parlant du quartier où elles sont maintenant situées. Enfin les marques de bienveillance et de protection que leur donnèrent ces souverains et leurs premiers successeurs[455] furent telles, que la plupart des historiens en ont tiré la conséquence que cette maison étoit de fondation royale, et lui en ont donné la qualification.

On ne peut douter que cette léproserie n'ait eu, dès ses commencements, une chapelle, et qu'on n'ait donné à l'une et à l'autre le nom de saint-Lazare, vulgairement Saint-Ladre: car la plus grande partie des établissements de ce genre sont sous son invocation[456]. Il est certain aussi que cette maison étoit gouvernée par un prêtre qui prenoit la qualité de prieur; mais nous pensons avec Jaillot, et contre le sentiment de l'abbé Lebeuf, que ce titre n'indique point ici le supérieur d'une communauté régulière. En effet, les termes de prieur et de couvent n'avoient pas toujours alors l'acception positive qu'on leur donne aujourd'hui: le mot religiosi ne signifioit pas toujours des religieux, mais une société de personnes pieuses engagées dans l'état ecclésiastique, ou vivant en communauté, quoique séculières. Telle étoit sans doute la communauté des frères et sœurs qui composoient la maison dont nous parlons; et l'on peut opposer aux actes où son chef est appelé prieur une foule de titres non moins authentiques, où il n'est question que du maître et des frères tant sains que malades de la maison de Saint-Lazare[457]. Mais il est une preuve plus forte, et même sans réplique, qu'on ne peut voir dans cette institution un ordre régulier: c'est que cette maison étoit dans la dépendance du chapitre de Notre-Dame[458], et que le maître, nommé par l'évêque, étoit amovible à sa volonté. L'évêque seul avoit le droit de visiter la léproserie, de faire des réglements, de les changer, de réformer les abus, de se faire rendre des comptes, etc.; et l'on sait que tous ces actes d'autorité étoient exercés, dans les communautés régulières, par le chapitre général et particulier. Enfin, dans les institutions de ce genre, on nomme souvent pour prieurs d'une maison des sujets qui lui sont étrangers; ici le prieur devoit être pris dans la maison même; l'abbé Lebeuf, qui cite les statuts que Foulques de Chanac, évêque de Paris, donna en 1348 à la maison de Saint-Lazare, statuts qui furent confirmés par Audouin, son successeur immédiat, détruit lui-même par cette citation l'opinion qu'il a avancée. Un des article porte «que le prieur seroit un frère Donné, et cependant prêtre; qu'il seroit curé des frères et des sœurs, et administrateur de leurs biens.» Or il ne pouvoit ignorer ce qu'étoient les Donnés[459]; et ce seul mot devoit suffire pour le convaincre qu'il n'y avoit point de religieux à Saint-Lazare.

Il y a une grande apparence que cette maison fut ainsi administrée jusqu'au commencement du seizième siècle: mais les visites que l'évêque y fit en 1513 l'ayant convaincu de la nécessité d'une réforme et de la difficulté d'y réussir sans changer entièrement l'administration, il usa du droit qu'il avoit, et y introduisit en 1515 des chanoines réguliers de Saint-Victor. Il paroît que même alors cette maison ne prit pas le titre de prieuré, ou du moins qu'il lui fut contesté: car le parlement, qui, dès 1560, avoit nommé des commissaires pour la visiter, donna enfin, sur le vu des lettres, titres et papiers concernant cette maison et prétendu prieuré de Saint-Lazare, un arrêt de réglement, le 9 février 1566, par lequel le tiers du revenu de ladite maison est destiné à la nourriture et entretenement des pauvres lépreux, auquel est affectée la léproserie dudit lieu, un autre tiers à la subsistance des religieux, et le tiers restant à payer les dettes dudit prétendu prieuré. Cet arrêt prouve au moins que le parlement ne regardoit pas cette maison comme un prieuré, et en outre qu'à cette époque il y avoit encore en France des lépreux. Par ce même arrêt, l'évêque est maintenu dans son droit de visite et de réforme, et le prieur est tenu de lui représenter tous les trois mois les registres de recette et de dépense, et une fois chaque année de lui rendre compte de son administration. Un tel acte suffit seul pour détruire absolument l'opinion de Lemaire et autres, qui supposent un prieuré affecté à Saint-Lazare, auquel on joignit depuis une léproserie.

Au commencement du siècle suivant, les guerres de religion et les malheurs de la Ligue furent des obstacles à l'entière exécution du réglement dont nous venons de parler. La lèpre ayant cessé en France, on ne voyoit plus de malades à Saint-Lazare; la mésintelligence régnoit entre le chef et les membres; la subordination n'existoit plus, et le temporel étoit mal administré. Adrien Lebon, alors prieur ou chef de cette maison, n'ayant pu, malgré sa sagesse et sa prudence, y rétablir l'ordre et la concorde, prit enfin le parti d'offrir la conduite de cet établissement au célèbre Vincent-de-Paul, instituteur et supérieur des Prêtres de la Mission, et de consentir à l'union qui en fut faite à cette congrégation par un concordat du 7 janvier 1632.

Les Prêtres de la Mission.

Ce ne fut pas tout-à-fait, comme le dit le père Hélyot, dans son Histoire des ordres religieux, à l'instar de la congrégation de l'Oratoire, ni dans la vue de former de jeunes ecclésiastiques à la piété et à la vertu, que le saint personnage que nous venons de nommer jeta les fondements de la congrégation de la Mission. Le nom seul de cette institution annonce l'objet que Vincent-de-Paul se proposoit: il avoit reconnu par lui-même le besoin d'instruction qu'on éprouvoit dans les campagnes, où trop souvent la négligence des pasteurs, quelquefois même leur peu de lumières et de discernement, laissoit les hommes simples et grossiers qui les habitent dans l'ignorance des premiers éléments de la religion. Ce fut donc pour dissiper cette ignorance, aussi préjudiciable aux individus qu'à la société, que cet homme apostolique se dévoua particulièrement à ces missions. Quelques prêtres vertueux et choisis par lui l'aidoient dans ces pieux travaux; et le fruit qu'ils produisirent dans les terres du comte de Joigny, auquel Vincent-de-Paul étoit attaché, fit naître à ce seigneur, ainsi qu'à la dame son épouse, le désir de former à Paris un établissement de ce genre, et sous sa direction. Toutefois ce projet, conçu dès 1617, n'eut son exécution que quelques années après. Ce fut en 1624 que M. de Gondi, archevêque de Paris, et frère de M. le comte de Joigny, voulant favoriser un projet si utile et si saint, donna à Vincent-de-Paul la place de principal et chapelain du collége des Bons-Enfants, près de Saint-Victor. Ce prélat destina dès lors ce collége pour la fondation de la nouvelle congrégation, à laquelle il l'unit et l'incorpora par son décret du 8 juillet 1627.

Cependant il restoit encore beaucoup à faire pour arriver au but que l'on s'étoit proposé: le collége et les maisons qui en dépendoient menaçoient ruine, et les revenus en étoient trop modiques pour subvenir aux besoins de l'établissement. M. et Mme de Joigny sentirent la nécessité d'achever l'œuvre qu'ils avoient si heureusement commencée, et donnèrent une somme de 40,000 liv., tant pour la reconstruction des édifices que pour l'entretien des membres de la communauté. Le contrat, qui est du 7 avril, annonce la piété des fondateurs et l'objet de l'institut, dont les «membres doivent s'occuper de l'instruction des pauvres de la campagne, ne prêcher ni administrer les sacrements dans les grandes villes, sinon en cas d'une notable nécessité, et assister spirituellement les pauvres forçats, afin qu'ils profitent de leurs peines corporelles.»

Les services que la congrégation des Missions rendit dès ses commencements furent si utiles à la religion, que le souverain pontife, par sa bulle du mois de janvier 1632, l'érigea en titre, sous le nom de Prêtres de la Mission; ce qui fut depuis confirmé par lettres-patentes du mois de mai 1642, enregistrées au mois de septembre suivant.

Ce fut à cette époque que M. Lebon, prieur ou chef de la maison de Saint-Lazare, en offrit l'administration à saint Vincent-de-Paul. Celui-ci, vaincu par des instances réitérées pendant plus d'une année, et déterminé par des conseils qu'il ne pouvoit ni ne devoit rejeter, consentit enfin à l'accepter. Le concordat fut passé, comme nous l'avons dit, le 7 janvier 1632, enregistré le 21 mars suivant, et approuvé par la bulle d'Innocent X, du 18 avril 1645. De nouvelles lettres-patentes du mois de mars 1660, enregistrées le 15 mai 1662, confirmèrent cette transaction.

En plaçant à Saint-Lazare les Prêtres de la Mission, le cardinal de Gondi exigea qu'il y eût au moins douze ecclésiastiques pour célébrer les saints offices, et acquitter les fondations; il les chargea de recevoir les lépreux de la ville et des faubourgs, de faire des missions chaque année dans quelques bourgs ou villages de son diocèse[460], de faire des catéchismes, de confesser, prêcher, et préparer les jeunes ecclésiastiques aux ordinations. Personne n'ignore que, jusqu'au moment de sa suppression, les membres de cette congrégation s'acquittèrent de tous ces devoirs avec autant de zèle que de succès[461].

Dès que saint Vincent-de-Paul et ses dignes associés furent entrés en possession de Saint-Lazare, tout commença à y prendre une face nouvelle. La maison, qui menaçoit ruine de tous côtés, fut réparée en attendant qu'on en eût bâti une plus grande et plus convenable à une communauté aussi nombreuse: elle devint bientôt le chef-lieu de la mission et la résidence du supérieur-général.

Ce fut Edme Joly, troisième général de la congrégation, qui fit élever la plupart des vastes et solides édifices qui composent cette maison, et qui existent encore aujourd'hui. Cependant le grand corps-de-logis qui donne du côté de la ville avoit été construit quelque temps avant lui. Quant aux anciens bâtiments de l'hôpital Saint-Lazare, ils avoient tous été détruits, à l'exception de l'église, qui étoit petite[462], et dont la construction gothique n'avoit rien de remarquable. L'enclos de cette communauté étoit le plus grand qu'il y eût à Paris et dans les faubourgs[463].

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE SAINT-LAZARE.

TABLEAUX.

Dans la nef, un tableau représentant l'apothéose de saint Vincent-de-Paul; par frère André.

Dans le chœur, huit autres tableaux, savoir:

1. Saint Vincent-de-Paule prêchant les pauvres de l'hôpital du Saint-Nom-de-Jésus; par le même.

2. Le même saint faisant une mission dans les campagnes; par de Troy.

3. Louis XIII au lit de la mort, assisté par ce saint prêtre, comme il l'avoit désiré; par le même.

4. Saint Vincent présidant une conférence ecclésiastique, par le même.

5. Le conseil de conscience établi par Anne d'Autriche, dans lequel siégeoit saint Vincent; par le même.

6. Saint Vincent prêchant les galériens; par Restout.

7. Le même saint présentant à Dieu les prêtres de sa congrégation; par Baptiste.

8. Le saint au milieu d'une assemblée de dames, qu'il exhorte à faire des charités aux enfants trouvés; par Galloche.

Au fond du réfectoire, où le général de la congrégation mangeoit toujours au milieu de deux pauvres, qui partageoient les mets qu'on lui servoit, étoit un grand tableau représentant le déluge universel. Ce réfectoire pouvoit contenir plus de deux cents personnes.

TOMBEAUX ET INSCRIPTIONS.

Au milieu du chœur, près de l'aigle, étoit autrefois une tombe plate, sur laquelle on lisoit:

HIC JACET

Venerabilis vir Vincentius à Paulo, præsbyter, fundator, seu institutor et primus superior generalis congregationis missionis, nec non puellarum charitatis. Obiit die 26 septembris anno 1660, ætatis verò suæ 84.

Vincent-de-Paul ayant été béatifié par le pape Innocent XIII, le 13 août 1729, le 29 septembre suivant son corps fut exhumé en présence de l'archevêque de Paris, et déposé dans une châsse d'argent, que l'on plaça sur l'autel de la chapelle de Saint-Lazare.

Sur le premier pilier de l'église, en entrant dans le chœur, à gauche, étoit une inscription latine où étoient gravées les principales conditions auxquelles l'hôpital Saint-Lazare avoit été donné à saint Vincent-de-Paul et à sa congrégation.

L'apothicairerie et la bibliothéque méritoient d'être vues, pour le bel ordre qui y régnoit.

Lorsque nos rois vouloient faire leur entrée solennelle dans Paris, ils se rendoient autrefois à Saint-Lazare, où ils recevoient le serment de fidélité et d'obéissance de tous les ordres de la ville. Cette cérémonie se faisoit dans un bâtiment nommé le Logis du Roi; puis la cavalcade partoit de là pour entrer ensuite dans la ville par la porte Saint-Denis[464]. L'usage étoit aussi de déposer dans cette maison les corps des rois et des reines de France, lorsqu'on les conduisoit à Saint-Denis pour être inhumés. L'archevêque de Paris et tous les prélats du royaume se trouvoient entre les deux portes du prieuré, pour recevoir le convoi, chantoient sur le cercueil le De profundis et les autres prières accoutumées, y donnoient l'eau bénite, et ensuite le corps étoit porté à Saint-Denis par les hannouars, ou vingt-quatre porteurs de sel jurés de la ville[465].

À l'extrémité de l'enclos de Saint-Lazare et sur la rue du faubourg étoit une grande maison appelée le Séminaire Saint-Charles; c'étoit une dépendance de celle des Prêtres de la Mission, destinée pour ses membres convalescents et pour les retraites de quelques ecclésiastiques[466].

LES FILLES DE LA CHARITÉ.

La maison principale des Filles de la Charité, également instituée par saint Vincent-de-Paul, étoit vis-à-vis celle de Saint-Lazare. Quoique cet établissement ne soit pas fort ancien, les historiens de Paris ne paroissent cependant pas d'accord sur l'époque de son institution. Cette discordance vient sans doute des différentes manières dont chacun d'eux a considéré cet établissement, comme projeté, naissant ou consolidé par l'autorité civile et ecclésiastique. En effet, dom Félibien et l'abbé Lebeuf placent l'institution des Filles de la Charité en 1642; Piganiol en 1633; La Caille et l'auteur des Tablettes parisiennes en 1653. On en pourroit faire remonter l'origine jusqu'à l'année 1617, dans laquelle ce saint prêtre institua en province l'Association de la Charité des Servantes des Pauvres.

Cette louable et pieuse institution avoit pour objet de rendre aux pauvres malades les soins qu'exigeoit leur état. Elle se répandit dans les provinces voisines, et fut même adoptée à Paris dans la paroisse de Saint-Sauveur; mais une telle association n'étoit alors que ce que nous appelons encore aujourd'hui Assemblées de Dames de Charité. Le zèle et la prévoyance ne suffisoient pas: il falloit des forces et une certaine activité qu'on ne peut guère trouver dans des personnes délicates et élevées dans toutes les habitudes de l'aisance et de la mollesse. Louise de Marillac, veuve de M. Legras, secrétaire des commandements de la reine Marie de Médicis, se distinguoit alors par son ardente charité envers les pauvres, au service desquels elle s'étoit particulièrement dévouée: l'exercice des vertus chrétiennes augmentant de jour en jour l'ardeur de son zèle, cette vertueuse dame désira de s'y consacrer encore d'une manière plus spéciale, c'est-à-dire par un vœu solennel. Vincent-de-Paul, sous la direction duquel elle s'étoit placée, l'ayant soumise aux épreuves réitérées que la prudence exigeoit, lui permit enfin d'entreprendre l'utile établissement qu'elle projetoit. Madame Legras commença, le 21 novembre 1633, à en faire l'essai dans la maison qu'elle occupoit près Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Le succès passa ses espérances, et le nombre de celles qui, entraînées par un si grand exemple, vinrent s'offrir pour partager ses charitables travaux, devint en peu de temps assez considérable pour l'engager à chercher une plus vaste demeure: en 1636 elle alla habiter une maison située à la Villette: dans ce nouvel asile la communauté continua à s'accroître; mais elle étoit également éloignée des secours de la maison de Saint-Lazare, sous l'administration et la direction de laquelle elle avoit été mise, et des pauvres auxquels ses services étoient consacrés. Ces inconvénients engagèrent, cinq ans après, madame Legras à se rapprocher de Saint-Lazare, et à s'établir vis-à-vis de cette maison. Ce fut dans ce dernier domicile que cette communauté, chef-lieu de toutes les maisons des Sœurs de la Charité, demeura fixée jusqu'au moment où la révolution, après avoir anéanti les premières classes de la société, exerça ses fureurs jusque sur les servantes des pauvres, qu'elle chassa de leur asile, qu'elle dispersa au nom de la philosophie et de l'humanité[467].

La communauté des Sœurs de la Charité avoit été érigée en confrérie par M. de Gondi, coadjuteur de l'archevêque de Paris, le 20 novembre 1646: ce prélat, plus connu sous le nom du cardinal de Retz, ayant succédé à M. de Gondi son oncle, approuva, le 18 janvier 1655, les réglements que Vincent-de-Paul avoit faits pour cette communauté. L'autorité royale ne tarda pas à confirmer cet établissement par des lettres-patentes, qui furent expédiées au mois de novembre 1658 et enregistrées le 16 décembre suivant.

Par les règles et constitutions données aux Filles ou Sœurs de la Charité, elles étoient mises sous la direction perpétuelle du général de la Mission, et l'on renouveloit tous les trois ans l'élection de leur supérieure. Il n'y eut que madame Legras, fondatrice de la communauté, qui, à la prière de saint-Vincent-de-Paul, conserva cette dignité suprême pendant le reste de sa vie. Elle mourut le 15 mars 1660, âgée de soixante-huit ans.

Les Sœurs de la Charité n'étoient, dans le commencement de leur institution, que des filles de la campagne ou d'une naissance commune, propres par leurs habitudes et leur éducation à des travaux pénibles et grossiers; mais la charité chrétienne qui rapproche tous les états, et la piété qui consulte moins les forces que le courage, montrèrent bientôt dans leurs rangs des filles de bonne famille et d'une naissance distinguée, qui, suivant à la lettre les maximes de l'Évangile, quittoient le monde pour Dieu, préféroient le vêtement le plus humble et les occupations les plus dures, les plus rebutantes, au luxe et à la vanité du siècle, souffroient avec patience et douceur les rebuts et les vivacités de ceux qu'elles servoient, et, par cette vertu plus qu'humaine, prouvoient qu'il est de ces âmes privilégiées qui réunissent tous les caractères que saint Paul donne à la charité, et qui en remplissent tous les devoirs. On les appeloit vulgairement Sœurs Grises, de la couleur de leur habillement. Après cinq ans d'épreuves, elles faisoient des vœux simples qu'elles renouveloient le 25 mars de chaque année. Leur emploi étoit de prendre soin des pauvres et des malades dans les paroisses, les hôpitaux, et d'instruire les jeunes filles auxquelles elles apprenoient à lire et à écrire. L'utilité de ces établissements en avoit si heureusement multiplié le nombre, qu'on en comptoit environ quatre cents dans le royaume. Il y avoit quarante de ces filles aux Invalides, vingt aux Incurables, et plus de quatre-vingts dans les principales paroisses de Paris[468].

LA FOIRE SAINT-LAURENT.

Nous avons déjà eu plus d'une fois l'occasion de rappeler que Louis-le-Gros avoit accordé une foire aux lépreux de Saint-Lazare, et que cette concession, confirmée par Louis-le-Jeune, avoit été rachetée, en 1181, par Philippe-Auguste, lorsqu'il fit établir les halles de Champeaux. Cette acquisition avoit été faite moyennant la somme de 300 liv., que ce même prince échangea ensuite avec la maison de Saint-Lazare, en lui accordant la foire Saint-Laurent, laquelle n'étoit, dans l'origine, qu'un rendez-vous momentané de marchands, tel qu'on en voit encore dans toutes les parties de la France, à certains jours de fêtes patronales. Cette foire, qui commençoit alors le matin de la Saint-Laurent, et finissoit le soir de la même journée, fut successivement prolongée jusqu'à quinze jours. Elle éprouva ensuite quelque interruption; et ce n'est que lorsque les Prêtres de la Mission eurent été établis à Saint-Lazare, qu'il fut question de faire revivre cet ancien privilége. Cependant, quoiqu'ils eussent été substitués à tous les droits de cette maison, et que cette foire leur eût même été spécialement accordée, ils furent obligés, dans cette circonstance, de recourir à l'autorité du roi, qui, par ses lettres-patentes du mois d'octobre 1661, enregistrées le 30 janvier 1665, «approuva, ratifia et confirma le don qui avoit été fait précédemment de la foire aux Prêtres de la Mission, avec tous les droits et priviléges qui y étoient attachés.»

Cette foire s'étoit tenue jusque là dans le faubourg, sur une place découverte que l'on appeloit le Champ de Saint-Laurent. Par ces mêmes lettres, il fut permis aux Prêtres de la mission de la transférer dans un lieu quelconque de leur domaine. Ils destinèrent à cet effet un champ de cinq à six arpents, entouré de murs, dans lequel ils firent percer des rues bordées d'arbres, et construire des boutiques qu'occupèrent des traiteurs, des limonadiers et des marchands de toute espèce. La foire de Saint-Laurent, qui n'a cessé d'être fréquentée qu'à la fin du dix-huitième siècle, duroit alors trois mois, étant ouverte le 1er juillet et finissant le 1er septembre. Ce lieu, jusque-là désert, s'animoit alors, devenoit le rendez-vous de toutes les classes de la société, et offroit ce mélange amusant et varié que présentent toutes les réunions publiques des grandes villes, réunions que la gaieté françoise rendoit encore plus piquantes et plus remarquables à Paris que partout ailleurs. Il s'y établit des spectacles qui pendant long-temps firent les délices de la société oisive et frivole de cette grande ville; et cette foire partagea avec celle de Saint-Germain la gloire d'avoir été le berceau de l'opéra-comique[469].

CHAPELLE SAINTE-ANNE.

Ce petit monument, qui n'existe plus depuis long-temps, avoit été élevé, sous l'invocation de cette sainte, dans la rue qu'on nomme aujourd'hui rue du Faubourg-Poissonnière, pour la commodité de quelques habitants trop éloignés de l'église de Montmartre. Sur la permission qu'il en obtint de l'abbesse de ce monastère, Roland de Buce, confiseur, destina à cet établissement une maison dont il étoit propriétaire dans ce faubourg. Il fit construire la chapelle et la maison du chapelain, puis céda le tout à l'abbaye de Montmartre, par contrat du 23 octobre 1656. Toutefois cette cession fut loin d'être désintéressée: car il ne la fit qu'à condition d'être remboursé de la valeur de la terre et des frais de la construction.

Cette chapelle, qui étoit située un peu au-dessus de la rue de Paradis et du côté opposé, fut bénite le 27 juillet 1657; et, le 11 août suivant, l'archevêque de Paris permit d'y célébrer le service divin, toutefois sous la condition expresse de reconnoître le curé de Montmartre comme pasteur.

HÔTELS.

Hôtel de Bourgogne (détruit).

Cet hôtel avoit été originairement bâti pour les comtes d'Artois: il paroît qu'il étoit situé dans la rue Pavée, non loin des murs de l'enceinte de Philippe-Auguste, lesquels bornoient l'espace où il étoit renfermé. Cette enceinte ayant été reculée de ce côté, l'hôtel d'Artois s'étendit dans la rue Mauconseil jusque vis-à-vis Saint-Jacques-de-l'Hôpital. Marguerite, comtesse d'Artois et de Flandre, qui dès lors en étoit propriétaire, le porta en dot à Philippe-le-Hardi, fils du roi Jean, lequel fut la tige de la nouvelle branche de Bourgogne. Il devint ensuite l'habitation favorite de Jean-sans-Peur son fils, qui le préféra à l'hôtel de Flandre, dont ce prince lui avoit laissé le choix[470]. Les ducs de Bourgogne qui lui succédèrent en firent également leur demeure, sans qu'il perdît totalement pour cela son premier nom d'hôtel d'Artois, qu'on retrouve encore dans plusieurs actes; cependant dès lors et depuis on l'appela plus communément l'hôtel de Bourgogne.

Cet hôtel, ainsi que les autres biens de la maison de Bourgogne, ayant été réuni à la couronne après la mort de Charles-le-Téméraire, tué au siége de Nanci en 1477, fut successivement occupé par différents particuliers, auxquels nos rois avoient accordé des logements dans les habitations royales, ce qui dura jusqu'au temps de François Ier. Alors cet antique édifice, apparemment mal entretenu, tomboit si fort en ruine qu'il devint presque inhabitable, ce qui détermina ce monarque à ordonner, par son édit du 20 septembre 1543, qu'il seroit démoli, et son emplacement divisé par portions, que l'on vendroit à l'enchère. Peu de temps après, les confrères de la Passion, qu'on venoit d'expulser de l'hôpital de la Trinité, achetèrent de Jean Rouvet, acquéreur principal, une partie de ce terrain, moyennant 16 livres de cens, et 225 livres de rente rachetable de 4500 livres, à la charge d'y faire construire une salle pour les représentations de leur spectacle, et des loges dont une appartiendroit audit Rouvet et aux siens leur vie durant. Le contrat d'acquisition est du 30 août 1548. Un arrêt du 17 novembre de la même année nous apprend que la salle étoit déjà construite, puisqu'il permet d'y jouer des sujets profanes et licites, et qu'il défend aux confrères d'y représenter le mystère de la Passion, ni quelque autre mystère sacré que ce soit. Des lettres d'amortissement pour cette acquisition furent expédiées par le roi Charles IX au mois de janvier 1566, et enregistrées en la chambre des comptes le 25 février 1567. Dès que les confrères eurent fait construire leur salle, on ne donna plus d'autre nom à cet édifice que celui d'hôtel de Bourgogne.

D'après la défense qui venoit de leur être faite, les confrères, ne croyant pas qu'il fût de leur honneur de monter sur le théâtre pour y représenter des pièces profanes, prirent le parti de louer leur hôtel[471] et leur privilége à une troupe de comédiens qui venoit de se former, se réservant toutefois deux loges pour eux et leurs amis, lesquelles furent appelées loges des maîtres.

Les confrères de la Passion demeurèrent propriétaires de l'hôtel de Bourgogne jusqu'au mois de décembre 1676, époque à laquelle cette association fut supprimée, et ses revenus furent attribués à l'hôpital général, pour la nourriture et l'entretien des enfants trouvés. On voit alors le théâtre de cet hôtel occupé par les comédiens italiens qui s'étoient introduits en France sous le règne de Henri III. Un ordre du roi ayant fait fermer ce théâtre en 1617, il servit ensuite de salle pour le tirage des loteries jusqu'au 18 de mai de l'an 1716, que le duc d'Orléans, régent, y rétablit les comédiens italiens.

Nous avons déjà raconté les révolutions, les alternatives de bonne et de mauvaise fortune qu'éprouva cette troupe étrangère jusqu'au moment où, réunie aux acteurs de l'Opéra-Comique, elle abandonna l'hôtel de Bourgogne pour venir s'établir dans le nouveau théâtre qu'on lui avoit construit sur l'emplacement de l'hôtel de Choiseul, événement qui n'arriva qu'en 1783[472].

La salle fut ensuite abattue, et sur l'espace vide qu'elle occupoit on transféra, en 1784, le marché aux Cuirs, situé auparavant dans le quartier des Halles.

HÔTELS EXISTANTS EN 1789.

Parmi un assez grand nombre de maisons nouvellement construites à l'extrémité du quartier Saint-Denis, et principalement dans le faubourg Poissonnière, on remarque:

  • L'hôtel d'Espinchal, au coin de la rue des Petites-Écuries du roi.
  • —— de Jarnac, même rue.
  • —— de Tabari, même rue[473].

FONTAINES.

Fontaine des Filles-Dieu.

Elle étoit située dans la rue Saint-Denis, à côté de la porte d'entrée de ce couvent; établie d'abord en 1265, détruite dans les siècles suivants, elle fut reconstruite au même endroit en 1605. Cette fontaine, qui n'a rien de remarquable dans sa construction, existe encore et reçoit l'eau de l'aquéduc des Prés-Saint-Gervais.

Fontaine de la Croix de la Reine ou de la Trinité.

Cette ancienne fontaine subsiste encore au coin de la rue Greneta, et présente dans sa forme actuelle une portion de cercle adossée à l'angle de la rue. Son premier nom est le même que celui qu'avoit porté, dans l'origine, l'hôpital de la Trinité, et dont nous avons fait connoître l'étymologie[474].

Fontaine du Ponceau.

Cette fontaine, réparée en 1605, donnoit alors de l'eau de l'aquéduc des Prés-Saint-Gervais; elle est alimentée aujourd'hui par le canal de l'Ourcq[475].

Fontaine Saint-Lazare.

Elle fut construite dans le treizième siècle, vis-à-vis de cette maison, et réparée dans le dix-septième. L'eau qu'elle donne vient de l'aquéduc des Prés-Saint-Gervais.

MARCHÉ AUX CUIRS.

Voyez ci-dessus, p. 564.

BARRIÈRES.

Les limites de ce quartier terminent la ville du côté du septentrion, et renferment trois barrières, savoir:

  • 1. Barrière Sainte-Anne[476].
  • 2. —— Saint-Denis.
  • 3. —— des Vertus[477].

RUES ET PLACES DU QUARTIER SAINT-DENIS.

Rue Sainte-Apolline. Elle traverse de la rue Saint-Denis dans la rue Saint-Martin. C'est par erreur que sur les plans de Jouvin et de Bullet elle est désignée sous le nom de rue Neuve-d'Orléans, la rue qui porte ce nom en étant très-éloignée et séparée par le boulevart.

Rue Sainte-Barbe. Elle commence à la rue Beauregard, et se termine au boulevart; cette rue étoit connue sous ce nom dès 1540, et le devoit à la chapelle érigée sous l'invocation de saint Louis et de sainte Barbe, dont nous avons parlé à l'article de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle.

Rue Beauregard. Elle aboutit aux rues de Cléry et Poissonnière; on la connoissoit, dès le seizième siècle, sous ce nom, dont nous ignorons d'ailleurs l'étymologie.

Rue Beaurepaire. Elle donne d'un bout dans la rue Montorgueil, et de l'autre dans celle des Deux-Portes. Cette rue, qui existoit dès 1255, se trouve indiquée dans les cartulaires de l'évêché de cette année[478], sous le nom de Bellus locus; on la trouve encore dans un acte de 1258 sous celui de Vicus qui dicitur Bellus Reditus[479]. Dès l'an 1313 cette rue et le terrain sur lequel elle étoit située avoient changé leur nom latin en celui de Beaurepaire. En 1478 on y voyoit une plâtrière qui portoit le même nom.

Rue de Bourbon[480]. Cette rue, qui aboutit d'un côté aux rues des Petits-Carreaux et Montorgueil, et de l'autre vient finir à la porte Saint-Denis, doit son nom à dame Jeanne de Bourbon, abbesse de Fontevrault, à qui les dames de la communauté des Filles-Dieu, sorties de cet ordre, voulurent faire honneur; en effet ce furent elles qui changèrent son ancienne dénomination, laquelle étoit rue Saint-Côme et rue du Milieu des Fossés, noms qu'elle portoit conjointement avec celles qui couvroient le fossé qu'on avoit creusé en cet endroit. On la trouve indiquée, dès 1639, sous le nom de rue de Bourbon.

Rue du Bourg-l'Abbé. Elle aboutit d'un côté dans la rue aux Oues (ou aux Ours), et de l'autre dans la rue Greneta. Il y a plusieurs opinions sur l'étymologie du nom de cette rue. Sauval[481] prétend qu'elle le doit à un particulier nommé Simon du Bourg-l'Abbé ou du Bourlabbé; Jaillot présume qu'elle le doit à un ancien bourg qui existoit sous les rois de la seconde race. Ce bourg s'étant accru, on y construisit la chapelle de Saint-Georges, dont nous avons déjà parlé, laquelle prit depuis le nom de Saint-Magloire; et comme elle dépendoit de l'abbé de ce monastère, il lui paroît vraisemblable que le bourg voisin, qui s'augmentait tous les jours, en prit le nom de Bourg-l'Abbé.

Le commissaire Delamare a cru que ce nom venoit de l'abbé de Saint-Martin-des-Champs[482], sur la censive duquel ce bourg étoit, dit-il, en partie situé; mais il a confondu le Beaubourg, qui étoit véritablement dans la censive de Saint-Martin-des-Champs, avec le Bourg-l'Abbé, qui a été jusqu'aux derniers temps dans celle de Saint-Magloire.

Rue du Petit-Carreau ou des Petits-Carreaux. Elle commence à la rue Saint-Sauveur, et va jusqu'à celle de Cléri, en faisant la continuation de la rue Montorgueil. La plupart des anciens plans ne la distinguent point de cette dernière rue; mais ils indiquent en cet endroit les Petits-Carreaux, qui étoient l'enseigne d'une maison, laquelle subsistoit encore à la fin du siècle dernier, et devoit ce nom au lieu où elle étoit située. En 1628 le registre des ensaisinements désigne aussi la rue sous le nom des Petits-Carreaux; Sauval lui donne le même nom. Ce n'est que dans les plans et nomenclatures modernes qu'elle est nommée du Petit-Carreau. La partie de cette rue qui tient à la rue Poissonnière contenoit plusieurs étaux de bouchers, et s'appeloit, en 1637, rue des Boucheries[483].

Rue Saint-Claude. Cette rue, qui aboutit d'un côté dans la rue Sainte-Foi, et de l'autre dans la rue de Cléri, n'est ouverte que depuis 1652. On lui donna d'abord le nom de Sainte-Anne; celui qu'elle porte aujourd'hui lui vient d'une maison faisant l'un des coins de la rue de Bourbon, laquelle avoit pour enseigne l'image de Saint-Claude[484].

Rue de Cléri. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence à la rue des Petits-Carreaux, et se termine à celle de Saint-Denis. On a déjà remarqué qu'elle devoit son nom à l'hôtel de Cléri, et qu'elle le portoit, dès 1540, dans toute son étendue. Il y a quelques actes du dix-septième siècle dans lesquels la partie de cette rue qui s'étend du côté de la porte Saint-Denis est nommée rue Mouffetard.

Il y a dans cette rue une ruelle, autrefois sans nom, qui va dans la rue Beauregard; on la nomme aujourd'hui rue des Degrés.

Rue Saint-Denis. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence aux rues aux Oues et Mauconseil, et aboutit à la porte Saint-Denis. Nous avons déjà remarqué qu'on l'appeloit anciennement la chaussée et la grant rue Saint-Denys.

Il y a dans la rue Saint-Denis quatre culs-de-sac.

Le premier se nomme cul-de-sac des Peintres; il est situé près de l'endroit où étoit l'ancienne porte de l'enceinte de Philippe-Auguste, laquelle fut démolie en 1535. C'étoit anciennement une ruelle appelée de l'Arbalète, de l'enseigne d'une maison dans laquelle étoient deux jeux de paume pratiqués le long des anciens murs. On la nomma ensuite ruelle sans chef, dite des Étuves, puis ruelle de l'Asne-Rayé, de l'enseigne d'une hôtellerie qui lui étoit contiguë; enfin on croit que ce cul-de-sac a pris le nom qu'il porte aujourd'hui d'un peintre nommé Guyon Le Doux, qui fit bâtir une maison avec une tournelle en saillie au coin de cette ruelle: d'autres pensent que cette dénomination lui vient d'une famille qui y demeuroit au treizième siècle; car en 1303 la maison de l'Arbalète appartenoit aux enfants de Gilles le Peintre, ce qui est prouvé par un acte authentique de cette même année.

Le second, situé du même côté, près la Trinité, a le nom de cul-de-sac de Bas-Four; il a porté successivement ceux de rue sans-chef, ruelle sans-chef, aboutissant à la Trinité; ruelle sans-chef appelée Bas-Four. On ignore l'étymologie de ce dernier nom, qui a prévalu.

Le troisième, appelé cul-de-sac de l'Empereur[485], est situé de l'autre côté de la rue. Il doit ce nom à l'enseigne d'une maison, et le portoit dès 1391; cependant il paroît que cette ruelle, ainsi que la rue Thévenot, portoient aussi les noms de rue des Cordiers et de la Corderie, parce qu'elles renfermoient plusieurs ateliers de ce genre. On la trouve indiquée sous ce dernier nom, et en même temps sous celui de l'Empereur dans un titre de 1591.

Le quatrième cul-de-sac, appelé cour Sainte Catherine, doit son nom à une maison et à un jardin anciennement appelés le Pressoir, lesquels appartenoient aux religieuses de Sainte-Catherine; elles avoient acquis cette propriété pour venir y prendre de temps en temps quelque repos, et y avoient fait construire une chapelle en 1641.

Rue des Degrés.—Voyez rue de Cléri.

Rue du Faubourg-Saint-Denis. Elle commence à la porte Saint-Denis, et finit à la maison de Saint-Lazare et au coin de la rue Saint-Laurent.

Rue Neuve-Saint-Denis. Elle traverse de la rue Saint-Denis dans celle de Saint-Martin. On l'appela d'abord rue des Deux-Portes, parce qu'elle aboutissoit aux portes Saint-Denis et Saint-Martin. On la trouve indiquée, dès 1655, sous le nom de rue Neuve Saint-Denis[486].

Rue Basse-Saint-Denis. Cette rue règne le long du boulevart, et continuoit autrefois jusqu'à la rue du Faubourg-Poissonnière; mais vers 1770 elle fut coupée presque à la moitié de son ancienne étendue. On l'appeloit autrefois rue des Fossés-Saint-Denis, Basse-Villeneuve, Neuve-des-Filles-Dieu.

Il y a dans cette rue trois culs-de-sac.

1o. Le cul-de-sac Saint-Laurent, qui doit sans doute son nom au territoire où il est situé, lequel dépendoit de la paroisse Saint-Laurent.

2o. Le cul-de-sac des Filles-Dieu, parce qu'il se trouve sur le terrain de leur ancien enclos. Ce cul-de-sac s'appeloit anciennement ruelle Couvreuse.

3o. Le cul-de-sac des Babillards. On ignore l'étymologie de cette dénomination; à l'extrémité de cette rue, du côté du faubourg Poissonnière, étoit le cimetière de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle[487].

Rue de l'Échiquier. Cette rue, construite depuis 1780, traverse de la rue du Faubourg-Poissonnière dans celle de Saint-Denis. Elle a pris ce nom d'une maison dite de l'Échiquier, située sur une partie du terrain au travers duquel elle a été percée.

Rue des Petites-Écuries. Elle donne aussi d'un bout dans la rue du Faubourg-Saint-Denis, et de l'autre dans celle du Faubourg-Poissonnière, et doit son nom aux petites-écuries du roi, situées autrefois dans la première de ces deux rues.

Rue d'Enghien[488]. Cette rue, parallèle à celle de l'Échiquier, et plus avancée dans le faubourg, traverse également de la rue du Faubourg-Poissonnière à celle du Faubourg-Saint-Denis. Elle a été ouverte quelques années avant la rue de l'Échiquier.

Rue Saint-Étienne ou rue Neuve-Saint-Étienne-à-la-Villeneuve. Un de ses bouts donne dans la rue Beauregard, l'autre sur le boulevart. Elle étoit connue sous ce nom en 1540, et on le lui a redonné, environ cent ans après, lorsqu'on a rebâti les maisons de la Villeneuve.

Rue des Filles-Dieu. Elle va de la rue Saint-Denis dans celle de Bourbon. Le censier de l'archevêché de 1530 la nomme rue Neuve de l'Ursine alias des Filles-Dieu. Dans celui de 1643 on indique une rue Saint-Guillaume entre les rues Neuve-des-Fossés et de Cléri, et une maison sise rues Saint-Guillaume et Sainte-Foi. Ainsi l'on doit en conclure que la rue Saint-Guillaume est représentée par le retour d'équerre que fait aujourd'hui la rue des Filles-Dieu dans celle de Bourbon.

Rue Sainte-Foi. Elle commence à la rue Saint-Denis, et se termine à celle des Filles-Dieu. On l'appela rue du Rempart, ensuite des Corderies, enfin rue Sainte-Foi. Elle portoit ce dernier nom dès 1644.

Rue Françoise. Elle traverse de la rue Mauconseil dans la rue Pavée. Le premier nom qu'elle ait porté étoit simplement rue Neuve. On la trouve ainsi indiquée dans plusieurs actes concernant la vente et l'adjudication de l'hôtel de Bourgogne. On la voit désignée sous celui de rue Neuve-Saint-François dans Sauval; et un autre auteur ajoute à ce nom l'épithète de Percée. Corrozet ne l'indique que sous le nom général de rue qui traverse par dedans l'hôtel de Bourgogne. Elle fut ouverte, en 1543, par ordre de François Ier, sous le règne duquel il se fit de grands changements dans ce quartier par la démolition de l'hôtel de Bourgogne.

C'est dans cette rue qu'étoit la principale porte de la salle des confrères de la Passion, au-dessus de laquelle on voyoit encore, peu de temps avant la révolution, une croix et quelques autres instruments de la Passion.

Rue Greneta. Elle va de la rue Saint-Denis dans celle de Saint-Martin. Tous les titres du treizième siècle nous apprennent que cette rue se nommoit alors Darnetal ou d'Arnetal. On la trouve cependant désignée, dans un acte de 1236, sous le nom de la Trinité. Le nom d'Arnetal, qu'elle portoit en 1262, 1265, etc., s'altéra insensiblement dans les siècles suivants, et se changea en ceux de Guernetat, Garnetat, et Grenetat, enfin, en supprimant la lettre finale, Greneta. Dans cette rue étoit placée la principale entrée de l'hôpital de la Trinité[489].

Rue Guérin-Boisseau. Elle traverse de la rue Saint-Denis dans celle de Saint-Martin, et doit son nom à un particulier. Cette rue étoit connue dès le milieu du treizième siècle, et les actes de ce temps en font mention sous le nom vicus Guerini Bucelli[490]; au commencement du siècle suivant on disoit rue Guerin-Boucel, et dès 1345 rue Guérin-Boisseau.

Rue Hauteville. Cette rue, qui fut ouverte dans le siècle dernier, donne d'un bout dans la rue Basse-Saint-Denis, et, se prolongeant dans le faubourg, va aboutir dans celle de Paradis. Nous ignorons l'étymologie de ce nouveau nom. Dans l'origine elle portoit celui de la Michodière.

Rue du Grand-Hurleur. Elle aboutit d'un côté dans la rue Bourg-l'Abbé, et de l'autre dans celle de Saint-Martin. Elle est nommée de Heuleu et Huleu dans un bail à cens du mois de février 1253[491]; et ce nom se retrouve dans un nombre infini de titres[492], ainsi que sur les anciens plans. Jaillot dit avoir vu des manuscrits où elle est indiquée sous le nom de rue du Pet; et en effet elle est ainsi désignée sur les plans de Gomboust et de Bullet. Dans des actes de 1627 et 1643, on la nomme rue des Innocents, autrement dite du Grand-Heuleu; elle porte le même nom des Innocents dans le procès-verbal du 24 avril 1636.

Rue du Petit-Hurleur. Elle commence rue Bourg-l'Abbé, et aboutit dans celle de Saint-Denis. On l'appeloit, suivant Corrozet et Boisseau, du Petit-Heuleu, de même que la précédente avoit le nom du Grand-Heuleu; et du Petit-Leu, suivant Gomboust et Bullet. Elle est nommée sur quelques plans rue Palée; ce nom venoit apparemment de Jean Palée, l'un des fondateurs de l'hôpital de la Trinité, ou de quelqu'un de sa famille, car dans une transaction du mois d'octobre 1265, elle est nommée vicus Johannis Palée[493]; elle le portoit encore en 1540.

Piganiol remarque, d'après Adrien Le Valois, que le nom de ces rues est altéré; qu'il faut dire Hue-le. Selon ces auteurs, l'étymologie de ce mot vient de ce que, ces rues étant autrefois habitées par des filles publiques, dès que le peuple y voyoit entrer un homme, il excitoit les enfants à se moquer de lui, en disant hüe-le (raille-le, crie après lui). Jaillot combat cette étymologie, qui ne soutient pas l'examen d'une saine critique. En effet, nous venons de voir qu'il n'y avoit que la rue du Grand-Hurleur qui fut appelée de Heuleu tout court; ainsi l'étymologie de M. Le Valois n'auroit aucune application à la petite; en outre, dans le nombre des rues désignées, par les ordres de saint Louis et de ses successeurs, pour servir de retraite aux femmes publiques, qu'ils se virent forcés de tolérer, on ne trouve point celle de Heuleu. Elle ne devoit donc pas son nom aux huées que méritent les courtisanes et ceux qui les fréquentent. Il y a plus, l'ordonnance de saint Louis n'est que de 1254; et, comme nous l'avons observé plus haut, la rue se nommoit de Heuleu dès 1253 et même auparavant. Jaillot pense qu'il est plus vraisemblable de croire que cette rue doit son nom à un particulier. Il est certain, ajoute-t-il, qu'anciennement on disoit Heu pour Hugues et Leu pour Loup. On trouve un amortissement fait par un chevalier nommé Hugo Lupus, d'un don fait à l'église de Saint-Magloire au mois de mars 1231[494]; et enfin, dans les archives de l'abbaye d'Hières, il y avoit un acte de concession d'un moulin faite à cette abbaye vers l'an 1150, par lequel on voit que Clémence, abbesse d'Hières, étoit sœur de Heu-Leu, Hugonis Lupi. Il conclut de tout ceci que l'ancienne orthographe usitée du temps de saint Louis, où l'on écrivoit hüe leu, est la véritable. L'abbé Lebeuf avoit avant lui adopté cette opinion[495].

Rue Saint-Laurent. Elle traverse du faubourg Saint-Lazare dans celui de Saint-Laurent, et doit son nom à l'église Saint-Laurent, qui se trouve auprès. On l'a quelquefois appelée rue Neuve-Saint-Laurent, pour la distinguer de celle du faubourg, qu'on appeloit aussi rue Saint-Laurent.

Rue du Faubourg-Saint-Lazare. Ce n'est que la continuation du faubourg Saint-Denis, à laquelle on a donné ce nom, et même celui de rue Saint-Lazare, parce que l'église y étoit située[496].

Rue du Petit-Lion. Elle fait la continuation de la rue Pavée, et aboutit à celle de Saint-Denis. En 1360 elle s'appeloit rue du Lion d'or outre la porte Saint-Denis[497]. Dans ce même siècle et dans le suivant, on la nommoit simplement rue au Lion ou du Lion; mais dans les quinzième et seizième siècles on l'appeloit rue du Grand-Lion, de l'enseigne d'une maison qui y étoit située; elle prit peu de temps après le nom du Petit-Lion, qu'elle a toujours gardé depuis. Sauval[498] et quelques autres ont dit que cette rue s'est quelquefois appelée rue de l'Arbalète ou des Arbalétriers, qui, dit-il, y ont eu long-temps un lieu très-vaste destiné à leurs exercices: toutefois elle n'est ainsi nommée dans aucun titre; mais comme en 1421 les maisons de la rue au Lion aboutissoient, par-derrière, au jardin du maître des arbalétriers[499], on peut croire qu'elle en avoit reçu la dénomination populaire de rue de l'Arbalète.

Rue de la Longue-Allée. Ce n'est qu'un passage qui conduit de la rue Saint-Denis dans celles du Ponceau, des Égouts et Neuve-Saint-Denis; elle s'est appelée aussi rue de la Houssaie. On la nomme aujourd'hui passage Lemoine.

Rue de la Lune. Elle va d'un bout dans la rue Poissonnière, et de l'autre au boulevart, près la porte Saint-Denis. Elle étoit bâtie dès 1648, et l'on croit que son nom lui vient de quelque enseigne.

Rue Martel. Cette rue, percée depuis 1780, donne d'un bout dans celle des Petites-Écuries, de l'autre dans la rue de Paradis.

Rue Mauconseil. Elle traverse de la rue Saint-Denis dans celle de Montorgueil; il ne paroît pas que cette rue ait jamais porté d'autre nom; dès 1250 elle est appelée vicus Mali Consilii; en 1269, 1300, etc., rue Mauconseil. Sauval[500] pense que le nom de Mauconseil vient du seigneur du château de Mauconseil, situé en Picardie: cette étymologie paroît assez vraisemblable.

Rue Montorgueil. Elle fait la continuation de la rue Comtesse-d'Artois, et aboutit à celle des Petits-Carreaux. On ignore l'étymologie du nom de cette rue, qu'on désignoit, dès le treizième siècle, sous celui de vicus Montis Superbi.

Il y a dans cette rue un cul-de-sac appelé cul-de-sac de la Bouteille, qui règne le long des anciens murs de l'enceinte de Philippe-Auguste. Ce cul-de-sac se nommoit, dans le dix-septième siècle, cul-de-sac de la Cueiller[501], et devoit ce nom à une maison qui y étoit située en 1603. Il fut nommé ensuite rue Commune, et prit enfin, d'une enseigne, le nom de cul-de-sac de la Bouteille, qu'il porte aujourd'hui.

Vis-à-vis de ce cul-de-sac, et au milieu de la rue Montorgueil, on voyoit encore, à la fin du quinzième siècle, une tour de l'ancienne enceinte; mais comme elle gênoit le passage pour arriver aux halles, sur la requête des habitants de cette rue et de Nicolas Janvier, marchand de poisson, la ville en ordonna la démolition le 17 décembre 1498.

Rue Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. Elle traverse de la rue Beauregard au boulevart. Il paroît qu'elle a remplacé une ancienne rue qui étoit en cet endroit avant la démolition de la Villeneuve, et qui s'appeloit rue Neuve-Saint-Louis et Sainte-Barbe. Elle doit son nom à l'église de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle.

Rue Notre-Dame-de-Recouvrance. Elle va également de la rue Beauregard au boulevart; en 1540 elle portoit déjà ce nom. Quand on la rebâtit, au commencement du dix-septième siècle, on l'appela Petite rue Poissonnière, probablement parce qu'elle est parallèle à la rue Poissonnière; depuis elle a repris le nom qu'on lui avoit donné dans son origine.

Rue Neuve d'Orléans. Elle traverse, le long du boulevart, du faubourg Saint-Denis à celui de Saint-Martin, et n'offre qu'un rang de maisons qui donnent sur cette promenade. Quelques-uns ont cru que la rue Sainte-Apolline avoit anciennement ce nom. Si véritablement elle l'a porté, on a voulu le conserver en le donnant à celle-ci, qui n'étoit dans l'origine qu'un simple chemin, lequel ne fut couvert de maisons que long-temps après l'autre. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle étoit désignée ainsi il y a plus de cent cinquante ans, ce qui est prouvé par des plans qui remontent à cette époque.

Rue aux Ours (ou aux Oues). Elle donne d'un bout dans la rue Saint-Denis, de l'autre dans celle de Saint-Martin. Nous avons déjà dit que c'étoit par corruption que cette rue étoit appelée aux Ours, et désignée ainsi sur les inscriptions qui sont à ses extrémités. Nos ancêtres écrivoient et prononçoient ou Ouë pour Oie; et comme il y avoit, dès le treizième siècle, des rôtisseurs établis dans cette rue, la grande quantité d'oies qu'ils faisoient cuire en avoit fait donner le nom à la rue, vicus ubi coquuntur anseres[502], la rue où l'on cuit les oies; vicus Anserum, la rue as Oues, via ad Aucas, vicus ad Ocas[503].

Rue de Paradis. Elle aboutit d'un côté à la rue du Faubourg-Saint-Denis, de l'autre à la rue Poissonnière. Ce n'étoit autrefois qu'une ruelle indiquée sous ce nom dès 1643; auparavant elle se nommoit rue Saint-Lazare, parce qu'elle faisoit la continuation de la grande rue de ce nom, ainsi que la rue d'Enfer.

Rue Pavée. Elle commence à la rue Montorgueil, et se termine à celle du Petit-Lion, au coin de la rue des Deux-Portes; elle est très-ancienne, et énoncée sous ce nom dans le rôle de taxe de 1313, et dans plusieurs actes postérieurs.

Rue Saint-Philippe. Elle va de la rue de Bourbon dans celle de Cléri, et fut ouverte, en 1719, sur un terrain vide qui étoit entre ces deux rues. On ignore pourquoi elle porte le nom de Saint-Philippe.

Rue Poissonnière. Elle fait la continuation de la rue des Petits-Carreaux, et se termine au boulevart. Avant que la clôture de Charles VI eût été reculée sous Louis XIII, ce n'étoit qu'un chemin appelé du val Larroneux; il est ainsi nommé dans un acte de l'an 1290, cheminus qui dicitur vallis Latronum[504]. Il devoit ce nom au terrain auquel il est contigu: on le nomma aussi chemin et rue des Poissonniers et des Poissonnières, parce que c'étoit par cet endroit qu'arrivoient les marchands de marée. On le trouve aussi sous les noms de la Poissonnerie et de rue de Montorgueil, dite de la Poissonnerie. Une partie des bâtiments qui forment cette rue fut faite en 1633; le terrain sur lequel elle est située s'appeloit, en 1391, le clos aux Halliers[505], autrement dit les masures de Saint-Magloire; depuis on l'a nommé le champ aux Femmes.

Rue du Faubourg-Poissonnière. Elle fait la continuation de la rue Poissonnière par-delà le boulevart, et traverse jusqu'à la barrière cette portion de Paris connue sous le nom de la Nouvelle-France[506]. Cet endroit, dont la population étoit considérable dès le milieu du dix-septième siècle, fut érigé en faubourg en 1648, et prit, ainsi que la rue, le nom de Sainte-Anne, de la chapelle qui y fut bâtie à peu près dans ce temps sous l'invocation de cette sainte. Telle est l'opinion de quelques historiens de Paris; cependant comme la chapelle ne fut érigée qu'en 1655, il est plus probable que le nom de rue Sainte-Anne lui venoit d'une porte construite à l'entrée du faubourg en 1645, et qui avoit été ainsi nommée pour faire honneur à la reine Anne d'Autriche. Auparavant cette rue n'étoit connue que sous le nom de chaussée de la Nouvelle-France.

Rue du Ponceau ou des Égouts. Elle va de la rue Saint-Denis à celle de Saint-Martin. Les plans de Paris et les tables des rues diffèrent presque tous en cet endroit; les uns ne présentent qu'une seule rue des Égouts, d'autres distinguent cette rue de celle du Ponceau; il y en a qui placent la rue du Ponceau, du côté de la rue Saint-Martin, jusqu'au coude qui s'y trouve; d'autres, au contraire, lui donnent ce nom depuis ce coude jusqu'à la rue Saint-Denis; et c'est l'opinion qui paroît la mieux fondée[507].

Ces deux noms viennent d'un égout qui passe encore aujourd'hui dans cette rue, et d'un petit pont qu'on avoit construit au-dessus pour la facilité du passage. On trouve dans les archives de Saint-Martin-des-Champs une foule de titres qui font mention, dès le quatorzième siècle, du Poncelet des maisons bâties sur le Poncel, à l'opposite de la chapelle Ymbert, et près le Ponceau et la rue Guérin-Boisseau. Les registres capitulaires de Notre-Dame indiquent en 1413 le Ponceau Saint-Denis emprès les Nonains (les Filles-Dieu.)

Cet égout fut couvert en 1605, et l'on y fit une rue par l'ordre et aux dépens de M. Miron, alors prévôt des marchands. Ce magistrat fit en même temps réparer la fontaine voisine, qui porte le même nom.

Rue des Deux-Portes. Elle va de la rue Pavée dans la rue Thévenot. Ce nom lui vient de deux portes qui la fermoient autrefois à ses extrémités; en 1427 elle finissoit à la rue Saint-Sauveur, et se nommoit alors rue des Deux-Petites-Portes.

Rue du Renard. Elle aboutit d'un côté dans la rue Saint-Denis, de l'autre dans celle des Deux-Portes. Sauval n'a point parlé de cette rue, quoiqu'elle soit fort ancienne; il en est fait mention dans le rôle des taxes de 1313, sous le nom de rue Perciée, et depuis rue Percée. Il y a toute apparence qu'elle doit son nom à un particulier: car on trouve dans le censier de l'évêché, de 1372, que Robert Renard avoit sa maison au coin de cette rue, devant la Trinité; et dans celui de 1399, que cette maison avoit pour enseigne le Renard: la rue en avoit pris le nom dès la fin du quatorzième siècle.

Rue Saint-Sauveur. Elle va de la rue Saint-Denis à l'endroit où se joignent les rues Montorgueil et des Petits-Carreaux: ce nom lui vient de l'église Saint-Sauveur. On voit par plusieurs actes que cette rue existoit dès l'an 1285.

Rue Neuve-Saint-Sauveur. Elle aboutit dans les rues de Bourbon et des Petits-Carreaux, et fut ainsi nommée parce qu'on avoit projeté d'ouvrir une rue qui devoit traverser de la rue de Bourbon dans celle de Saint-Sauveur. Ce projet n'ayant pas été exécuté, on a donné à celle-ci le nom qu'on avoit destiné à l'autre. Anciennement elle s'appeloit rue de la Corderie, ensuite rue Boyer, du nom d'un particulier. On la trouve sous ces deux noms dans les censiers de l'archevêché: celui de 1603 la nomme rue des Corderies, alias cour des Miracles, et celui de 1622, rue Neuve-Saint-Sauveur, anciennement dite Boyer[508].

Rue Saint-Spire. Elle a été bâtie sur un emplacement de figure triangulaire qui se trouvoit entre les rues de Bourbon, de Sainte-Foi et des Filles-Dieu; elle traverse de l'une à l'autre de ces deux dernières.

Le cimetière de Saint-Sauveur étoit dans cette rue.

On y voit aussi un cul-de-sac appelé de la Grosse-Tête. On présume que ce nom lui vient de celui d'un particulier qui, en 1341, avoit sa maison dans cet endroit, ou peut-être d'une enseigne: car le censier de l'évêché, de 1372, énonce la maison de la Grosse-Tête.

Rue de Marie-Stuart.—Voyez rue Tireboudin.

Rue Thévenot. Elle traverse de la rue des Petits-Carreaux à celle de Saint-Denis. Ce n'étoit, dans son origine, qu'un cul-de-sac dans la rue des Petits-Carreaux, qu'on appeloit, en 1372, des Cordiers, ensuite de la Cordière et de la Corderie. Elle portoit encore cette dernière dénomination, lorsqu'à la fin du dix-septième siècle on la prolongea jusqu'à la rue Saint-Denis. Le sieur André Thévenot, ancien contrôleur des rentes de l'hôtel-de-ville, y ayant fait bâtir plusieurs maisons, elle prit aussitôt son nom.

La partie du cul-de-sac qui subsistoit encore hors de l'alignement de la rue a été conservée, et forme le cul-de-sac de l'Étoile, lequel doit son nom à une enseigne.

Rue Tireboudin. Cette rue, qui aboutit d'un côté dans la rue des Deux-Portes, et de l'autre dans celle de Montorgueil, portoit anciennement un nom très-indécent, et qui se ressentoit de la simplicité, ou, pour mieux dire, de la grossièreté des mœurs de nos ancêtres. Sur le changement de nom qu'elle a éprouvé, Saint-Foix raconte, sans examen, l'anecdote suivante: «Marie Stuart, femme de François II, passant dans cette rue, en demanda le nom: il n'étoit pas honnête à prononcer; on en changea la dernière syllabe, et ce changement a subsisté.» Celui qui a fourni ce petit conte à cet écrivain a manqué d'exactitude: car Marie Stuart, reine d'Écosse, fut mariée à François II en 1558; et dès 1419 le censier de l'évêché indique cette rue sous le nom de Tireboudin: elle porte le même nom dans le compte des confiscations pour les Anglois, en 1420 et 1421[509].

Rue de Tracy. Cette rue, percée en 1781, lorsqu'on construisit le nouveau portail de Saint-Chaumont, donne d'un côté dans la rue du Ponceau, et de l'autre dans celle de Saint-Denis. Elle portoit, dans l'origine, le nom de rue des Dames de Saint-Chaumont.

MONUMENTS NOUVEAUX ET RÉPARATIONS FAITES AUX ANCIENS MONUMENTS DEPUIS 1789.

FONTAINES.

Fontaines de la rue Saint-Denis. Elles sont établies des deux côtés de cette rue, en forme de piliers carrés, et fournissent abondamment à ses nombreux habitants des eaux qui viennent du canal de l'Ourcq.

On a aussi construit sous cette rue un vaste égout qui s'étend dans toute sa longueur, et qui a procuré à cette partie populeuse de Paris une propreté et une salubrité que l'on avoit jusqu'alors essayé vainement de lui donner.

Fontaine du Ponceau. Cette fontaine, située à l'angle que forme le retour de cette rue dans celle de Saint-Denis, a reçu des eaux plus abondantes qui lui viennent du canal de l'Ourcq, et une forme nouvelle plus élégante. Elle se compose maintenant d'un demi-bassin circulaire, au-dessus duquel s'élève un jet d'eau; et de ce bassin l'eau tombe en nappe dans un autre bassin de plus grande dimension, qui s'élève seulement à deux pieds de terre, et sert d'abreuvoir aux chevaux.

RUES NOUVELLES.

Rue du Caire. Cette rue, percée sur le terrain des Filles-Dieu, aboutit, d'un côté, dans la rue de Bourbon, de l'autre dans la rue Saint-Denis.

Rue de la Chapelle. Elle aboutit d'un côté à l'enceinte de Paris entre les barrières des Vertus et de Saint-Denis, de l'autre dans celle de Château-Landon.

Rue de la Charité. Elle commence en face du portail de Saint-Laurent, et donne dans la rue qui porte le nom de cette église.

Rue de Château-Landon. Elle donne d'un bout dans la rue du Faubourg-Saint-Martin, et de l'autre vient finir à la barrière des Vertus.

Rue du Chaudron. Elle prend son origine dans la rue précédente, et vient finir vers la conduite d'eau du canal de l'Ourcq.

Rue de la Fidélité. Elle commence dans la rue du Faubourg-Saint-Denis en face de la rue du Paradis, et aboutit dans celle du Faubourg-Saint-Martin.

Rue des Forges. Elle a été ouverte sur l'ancienne cour des Miracles, et donne, de l'autre bout, dans la rue du Caire.

Rue des Fossés-Saint-Martin. Elle donne d'un bout dans la rue du Faubourg Saint-Lazare, de l'autre dans celle du Faubourg-Saint-Martin.

Rue des Messageries. Elle traverse la rue de Paradis, et vient par un retour d'équerre aboutir à celle du Faubourg-Poissonnière.

Chemins sans nom. Il y en a deux qui communiquent de la rue du Faubourg-Saint-Denis dans celle de la Chapelle.

PASSAGES.

Passage du Caire. Il a été ouvert dans le bâtiment des Filles-Dieu, et aboutit d'un côté à la rue de Bourbon, de l'autre à la rue Saint-Denis. Ce passage est occupé par des marchands de tout genre.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE DU DEUXIÈME VOLUME.

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