Traité de l'administration des bibliothèques publiques
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DU MÊME AUTEUR:
Traité théorique et pratique des Archives publiques
1883; in-8o. Prix: 7 fr. 50.
Paris. — Société d'imprimerie Paul Dupont (Cl.) 213.11.85.
TRAITÉ DE L'ADMINISTRATION
DES
BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES
RÉPERTOIRE DU DROIT ADMINISTRATIF
TRAITÉ DE L'ADMINISTRATION
DES
BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES
PAR
Gabriel RICHOU
Archiviste-paléographe
Conservateur de la Bibliothèque de la Cour de Cassation
HISTORIQUE — ORGANISATION — LÉGISLATION
PARIS
SOCIÉTÉ D'IMPRIMERIE ET LIBRAIRIE ADMINISTRATIVES ET CLASSIQUES
PAUL DUPONT, Éditeur
41, RUE JEAN-JACQUES-ROUSSEAU (HÔTEL DES FERMES)
1885
PRÉFACE
L'ouvrage que nous publions ici vient de paraître, en partie, dans le Répertoire du droit administratif de M. L. Béquet. Ce n'est pas cependant un simple tirage à part, c'est comme une seconde édition, refondue, augmentée plutôt de nombreux documents qui eussent fait longueur dans un recueil destiné à une publicité très large, et de renseignements pratiques que recherchent, au contraire, les bibliothécaires et les travailleurs auxquels ce livre est plus particulièrement adressé. Nous y avons ajouté les cadres de classement en usage dans les divers établissements, depuis celui de la Bibliothèque nationale et le système de Brunet appliqué dans la plupart des bibliothèques scientifiques et populaires, jusqu'à ceux des bibliothèques des préfectures, purement administratives, des bibliothèques militaires, maritimes, pénitentiaires, jusqu'à celui de la bibliothèque Carnavalet, exclusivement approprié à une collection sur l'histoire de Paris.
Nous avons essayé un travail d'ensemble où fussent groupés, dans un ordre rationnel, embrassant les genres si variés de bibliothèques publiques actuellement existants en France, des éléments jusqu'ici épars. Notre but n'a pas été de formuler en corps de doctrine les meilleurs modes d'aménagement et de direction d'une bibliothèque, mais d'exposer, avec autant de détails qu'il se pouvait, le fonctionnement et l'organisation de tous ces genres de bibliothèques. L'étude des dispositions adoptées nous offrait d'ailleurs maintes occasions de les comparer et d'apprécier la mesure de leur utilité. Nous nous sommes efforcé d'éviter les répétitions oiseuses, mais nous les avons préférées à l'inconvénient de renvois trop multipliés; un tel livre devant plutôt être consulté que lu, nous avons pensé qu'on aimerait à y trouver, le plus possible, sous chaque rubrique, tout ce qui concerne la spécialité dont elle traite. Toutefois, comme un certain nombre de dispositions générales sont également pratiquées ou seraient avantageusement applicables dans beaucoup de bibliothèques, ne pouvant les reproduire à l'article de chacune, nous les avons indiquées là où elles ont fait l'objet de recommandations particulières de la part de l'administration. C'est ainsi que nous avons rattaché aux bibliothèques universitaires les conseils relatifs au timbrage des volumes, à leur inscription sur les registres ou catalogues, à la confection des cartes, parce que nous les trouvions détaillés dans une instruction ministérielle adressée aux bibliothèques universitaires; de même, nous avons intercalé dans le chapitre des bibliothèques scientifiques et littéraires des villes les prescriptions concernant la numérotation et le foliotage des manuscrits, et la rédaction d'un catalogue de manuscrits, parce que c'est à leur occasion que l'autorité centrale a pris soin de les édicter.
En tête de notre travail, nous avons succinctement résumé l'historique de nos bibliothèques jusqu'en 1789, nous étendant seulement sur celui de la Bibliothèque du roi, suivant dans leurs grandes lignes les accroissements successifs qui ont fait d'elle un titre d'orgueil pour l'érudition française, nous bornant, pour les autres, à dégager l'ensemble des mesures privées qui en ont ouvert plusieurs au public. La période révolutionnaire et l'époque contemporaine nous ont arrêté plus longtemps. Là, en effet, nous assistions à la transformation des collections confisquées sur les maisons religieuses et les émigrés en dépôts littéraires nationaux, d'où sont sorties les bibliothèques actuelles des départements, et nous avons suivi jusqu'à nos jours, dans un rapide exposé de la législation, leurs vicissitudes et leurs progrès. Nous avons, en outre, fait précéder immédiatement l'étude de chaque catégorie de bibliothèques des quelques renseignements historiques qui lui sont propres.
Nous avons dépouillé, depuis l'origine, les collections des instructions et circulaires des ministres de l'instruction publique, de l'intérieur, de la guerre, de la marine, et tous les recueils de documents similaires. En coordonnant ou analysant les textes, nous avons emprunté le plus souvent la rédaction officielle, n'émettant aucune affirmation qui ne s'appuyât sur une référence autorisée. Nous avons d'ailleurs toujours cité nos sources. Quant aux renseignements statistiques, que nous donnons en nombre considérable, sur l'état du personnel, sur les traitements, sur le mouvement des livres et des lecteurs, nous les avons recueillis, soit dans les établissements eux-mêmes, soit dans les ministères dont ils dépendent et où l'on a bien voulu nous communiquer les rapports des commissions locales. Sous ce point de vue, nos recherches ont été facilitées par l'extrême obligeance que nous avons rencontrée chez les chefs de service. Dans l'impossibilité de nommer ici chacun d'eux, nous leur offrons à tous l'expression de nos plus sincères remerciements pour leur sympathique accueil et leur concours.
Nous avons, à la suite de l'ouvrage, dressé la liste des lois, ordonnances et décrets concernant les bibliothèques publiques, avec l'indication sommaire de leur objet, et la mention des articles, pour les textes législatifs où il n'est parlé qu'incidemment de bibliothèques. Nous n'avons pas cru devoir grossir, sans profit, le volume par la reproduction in extenso des lois en vigueur, parce qu'on en trouvera les dispositions intégralement rapportées et commentées dans le corps du travail, et qu'il suffira, pour y recourir, de consulter la table alphabétique. Enfin, dans l'index bibliographique qui termine, nous avons fait entrer, sauf oubli, tous les livres ou brochures relatifs à l'histoire, à l'organisation et à l'administration des bibliothèques publiques de France, n'éliminant que de rares opuscules dont tout l'intérêt a disparu avec les circonstances qui les avaient inspirés.
Novembre 1885.
TRAITÉ DE L'ADMINISTRATION
DES
BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES
SOMMAIRE:
TITRE PREMIER.
NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
CHAPITRE Ier. — Historique, 1 à 66.
CHAPITRE II. — Dispositions générales, 67 à 92.
CHAPITRE III. — Organisation centrale, 93 à 112.
Section Ire. — Ministère de l'instruction publique, 93 à 99.
Section II. — Dépôt légal, 100 à 112.
TITRE II.
BIBLIOTHÈQUES DE L'ÉTAT.
CHAPITRE Ier. — Bibliothèques publiques, 113 à 232.
Section Ire. — Bibliothèque nationale, 113 à 193.
§ 1. Organisation, 113, 114.
§ 2. Local, 115 à 117.
§ 3. Administration, 118 à 120.
§ 4. Personnel, 121 à 131.
§ 5. Accroissement des collections, 132 à 138.
§ 6. Reliure, 139, 140.
§ 7. Classement et catalogues, 141 à 158.
§ 8. Service public, 159 à 189.
§ 9. Mesures de sûreté, 190, 191.
§ 10. Comptabilité, 192, 193.
Section II. — Bibliothèque Mazarine, 194 à 213.
Section III. — Bibliothèque de l'Arsenal, 214 à 219.
Section IV. — Bibliothèque Sainte-Geneviève, 220 à 229.
Section V. — Bibliothèques des palais nationaux, 230 à 232.
CHAPITRE II. — Bibliothèques particulières, 233 à 423.
Section Ire. — Bibliothèques diverses, 233 à 238.
Section II. — Bibliothèques de l'enseignement supérieur, 239 à 297.
§ 1. Bibliothèques universitaires de Paris, 239 à 245.
§ 2. Bibliothèques universitaires des départements, 246 à 296.
§ 3. Bibliothèques circulantes, 297.
Section III. — Bibliothèques de l'enseignement secondaire, 298 à 311.
§ 1. Bibliothèques des lycées, 298 à 310.
§ 2. Bibliothèques des collèges communaux, 311.
Section IV. — Bibliothèques de l'enseignement primaire, 312 à 324.
§ 1. Musée pédagogique, 312 à 318.
§ 2. Bibliothèques des écoles normales primaires, 319, 320.
§ 3. Bibliothèques pédagogiques, 321 à 324.
Section V. — Bibliothèques scolaires, 325 à 348.
Section VI. — Bibliothèques administratives, 349 à 360.
Section VII. — Bibliothèques militaires, 361 à 389.
§ 1. Bibliothèque du Dépôt de la guerre, 362 à 365.
§ 2. Bibliothèques des écoles militaires, 366 à 368.
§ 3. Bibliothèques du service de santé, 369, 370.
§ 4. Bibliothèques régimentaires, 371.
§ 5. Bibliothèques de garnison, 372 à 381.
§ 6. Bibliothèques de caserne et cercles-bibliothèques, 382 à 389.
Section VIII. — -Bibliothèques de la marine et des colonies, 390 à 414.
§ 1. Bibliothèques centrales, 393, 394.
§ 2. Bibliothèques des ports et des hôpitaux maritimes, 395, 396.
§ 3. Bibliothèques du la justice maritime, 397, 398.
§ 4. Bibliothèques de bord, 399 à 401.
§ 5. Bibliothèques des divisions des équipages de la flotte, 402 à 409.
§ 6. Bibliothèques régimentaires de la marine, 410.
§ 7. Bibliothèques des prisons maritimes, 411, 412.
§ 8. Bibliothèques coloniales, 413, 414.
Section IX. — Bibliothèques pénitentiaires, 415 à 422.
Section X. — Bibliothèques des hôpitaux, 423.
TITRE III.
BIBLIOTHÈQUES COMMUNALES ET LIBRES.
CHAPITRE Ier. — Bibliothèques scientifiques et littéraires, 424 à 447.
Section Ire. — Bibliothèques des départements, 424 à 438.
Section II. — Bibliothèque de la Ville de Paris, 439 à 447.
CHAPITRE II. — Bibliothèques populaires, 448 à 472.
Section Ire. — Généralités, 448 à 455.
Section II. — Bibliothèques municipales de Paris et du département de la Seine, 456 à 466.
Section III. — Bibliothèques populaires libres, 467 à 472.
§ 1. Bibliothèques de Paris et du département de la Seine, 467 à 469.
§ 2. Bibliothèques cantonales et circulantes, 470 à 472.
LÉGISLATION, pages 389-400.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE, pages 401-410.
TABLE ALPHABÉTIQUE, pages 411-421.
TITRE PREMIER.
NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
CHAPITRE PREMIER.
HISTORIQUE.
1. Le nombre et l'importance des bibliothèques ont été, dans tous les temps et tous les pays, proportionnés au degré de culture intellectuelle des peuples. Les écrivains de l'antiquité nous ont transmis le souvenir de la bibliothèque de Thèbes, la plus ancienne de toutes, fondée, suivant la tradition, 1600 ans avant Jésus-Christ, par Osymandias, qui fit graver sur la porte l'inscription: «Trésor des remèdes de l'âme»; de celle du Temple de Jérusalem, où l'on conservait les livres de Moïse, des Rois et des Prophètes; de la première bibliothèque d'Athènes, formée par Pisistrate, c'est-à-dire au VIe siècle avant l'ère chrétienne; de la bibliothèque plus célèbre de Pergame, créée par Attale Ier, qui ne compta pas moins de 200,000 volumes; et surtout de l'admirable bibliothèque d'Alexandrie ou des Ptolémées, commencée par Ptolémée-Soter au Sérapéum, et portée par ses successeurs à un degré de richesse inouï; elle atteignit, dit-on, 700,000 volumes et fut anéantie par le feu, lors de la conquête de l'Égypte par César, comme, depuis, celle qui la remplaça fut détruite par les ordres d'Omar.
2. Rome posséda aussi, mais seulement aux derniers jours de la République, des bibliothèques publiques: la première, établie par Asinius Pollion dans l'Atrium de la Liberté, sur le mont Aventin; celle d'Auguste, la Palatine, près le temple d'Apollon sur le mont Palatin; la bibliothèque Octavienne, à l'extrémité du Portique d'Octavie; celle du Temple de la Paix, créée par Vespasien; celle de Trajan, bien connue sous le nom d'Elpienne, que Dioclétien annexa plus tard à ses Thermes. On ne comptait pas moins de vingt-neuf bibliothèques publiques à Rome, au milieu du IVe siècle. Plusieurs riches particuliers s'étaient aussi formé des collections considérables. On citait les bibliothèques de Cicéron, d'Atticus, de Lucullus; cette dernière ouverte au public, à ce que rapporte Plutarque. Les livres étaient en rouleaux et les cases qui les contenaient offraient un aspect analogue à celles de nos magasins de papiers peints; chaque volume était muni d'un pittaccium, sorte d'étiquette où l'on inscrivait son titre.
3. Dans les premiers siècles de notre ère, les chrétiens fondèrent plusieurs bibliothèques dont la plus célèbre fut celle de Césarée, où saint Jérôme trouva le texte hébraïque de l'Évangile de saint Mathieu. Chaque église fut même pourvue d'une bibliothèque, mais aucune ne survécut aux incendies allumés pendant la persécution de Dioclétien. La bibliothèque commencée à Constantinople par Constantin, et élevée à 100,000 volumes par Théodose, fut détruite ainsi au VIIIe siècle, sur l'ordre de Léon l'Isaurien, le protecteur des iconoclastes. Le même sort atteignit d'ailleurs presque toutes les bibliothèques, au temps des invasions des Barbares.
4. On sait qu'en Gaule, après la conquête franque, la culture des lettres fut absolument négligée; les débris des collections anciennes furent recueillis dans les monastères, seuls asiles où l'on s'adonnât encore à l'étude. Nous manquons de renseignements sur l'importance de ces bibliothèques vraisemblablement composées surtout d'ouvrages sacrés. On n'en connaît l'histoire avec quelque suite que depuis le XIIe ou le XIIIe siècle[1]. Il ne semble pas que les rois mérovingiens aient eu aucun goût pour les livres. Pépin le Bref, le premier de nos rois, en rassembla quelques-uns; du moins en reçut-il comme présent du pape Paul Ier. Mais Charlemagne fit former dans son palais d'Aix-la-Chapelle une véritable bibliothèque; il attacha à la cour impériale un atelier de copistes qui exécutèrent, pour son compte, d'admirables manuscrits dont quelques-uns nous sont parvenus. Il voulut qu'après sa mort sa bibliothèque fût vendue, pour le prix en être distribué aux pauvres. Ses successeurs, Louis le Débonnaire et Charles le Chauve, entretinrent également des copistes et l'on cite parmi les chefs-d'œuvre de la calligraphie du moyen âge deux Bibles, un livre de prières et l'évangéliaire de ce dernier. Charles ordonna à ses exécuteurs testamentaires de partager ses livres entre son fils, Louis II, et les églises de Saint-Denis et de Notre-Dame de Compiègne.
5. Il faut arriver à saint Louis pour trouver, dans le palais du roi, une bibliothèque digne de ce nom. S'il faut en croire son confesseur, Geoffroi de Beaulieu, Louis IX aurait entendu parler, en Palestine, d'un soudan sarrasin qui faisait soigneusement rechercher, transcrire et placer dans sa bibliothèque les livres de tout genre qui pouvaient servir aux savants de son pays, et il se serait promis d'imiter cet exemple en France. Quoi qu'il en soit de l'anecdote qui a donné lieu à contestation, il est certain que saint Louis fit copier tous les manuscrits des saintes Écritures et des Pères qu'on put trouver dans les abbayes, et, pour les multiplier, il refusait d'acheter les exemplaires existants; précaution d'une haute sagesse, si l'on songe à la rareté, au prix exorbitant des livres, dont la transcription exigeait un temps considérable[2]. Cette collection fut déposée près de la Sainte-Chapelle dans une salle contiguë au Trésor des Reliques. «Le roi y venait étudier quand il en avait le loisir, dit Geoffroi de Beaulieu, et il y admettait volontiers ceux qui demandaient l'autorisation d'y travailler.» Parmi eux, on doit citer Vincent de Beauvais qui recueillait de toutes parts les matériaux de son immense encyclopédie. Saint Louis pensa sans doute que ses précieux volumes seraient plus soigneusement conservés dans des abbayes que dans le palais royal: il les légua aux Jacobins de Paris et de Compiègne, aux Cordeliers de Paris et aux moines de Royaumont.
6. Ses successeurs se préoccupèrent peu des lettres; les rares livres qu'ils possédèrent furent dispersés après leur mort. Jean le Bon, au contraire, entretint des enlumineurs à gages, fit copier ou acheta de fort beaux manuscrits et les laissa, le premier, à son fils. Ce n'était toutefois, au moment de sa mort, qu'une bien minime collection; elle ne dépassait pas 12 volumes. Charles V l'accrut considérablement; il aimait l'étude, y consacrait les heures que lui laissaient les affaires publiques, encourageait les savants, et l'on doit à son instigation un certain nombre de traductions du grec et du latin en français. Après la restauration du château du Louvre, il y fit transférer, en 1367, sa «librairie» déjà fort belle, conservée jusque-là dans le palais de la Cité, et l'installa luxueusement dans les trois étages de la Tour; les murs de la salle du premier étage étaient entièrement lambrissés de bois d'Irlande sculpté, et les voûtes, recouvertes de bois de cyprès. Les volumes étaient enchaînés et posés à plat sur des lettrins ou pupitres disposés autour de la pièce. Trente chandeliers et une lampe d'argent restaient allumés pendant la nuit. Le roi chargea son valet de chambre, Gilles Malet, investi du titre de bibliothécaire, d'inventorier ses manuscrits. Nous possédons ce travail, où sont énumérés 973 volumes, la plupart décorés de magnifiques miniatures et de lettres ornées, richement reliés et garnis de fermoirs d'or ou d'argent[3].
7. La «librairie» royale ne demeura pas longtemps florissante. Gilles Malet, après la mort de Charles V, fut bien confirmé dans ses fonctions, mais de nombreux emprunts que ne suivait aucune restitution l'appauvrirent et l'eussent réduite à peu de chose, si de nouvelles acquisitions n'avaient comblé les lacunes[4]. Un inventaire de 1411 constate l'absence de 207 volumes et l'entrée d'un nombre à peu près égal; ces derniers, provenant en grande partie de confiscations sur les Juifs chassés de Paris en 1395, ne remplaçaient qu'imparfaitement les précieux volumes disparus. En 1423, on ne comptait plus que 843 volumes, prisés 2,323 livres 4 sols et qui «n'estoient mie de renc et en ordre». En 1429, le duc de Bedford, régent de France au nom de Henri VI, qui s'était déjà adjugé la collection à vil prix vers 1425, l'envoya, partie en Angleterre, partie au château de Rouen. Des 973 volumes rassemblés à grands frais par Charles V, 44 seulement sont aujourd'hui à la Bibliothèque nationale.
8. Louis XI reconstitua la «librairie du Louvre», à l'aide de quelques volumes épars restés dans les résidences royales, et bientôt il l'enrichit d'une partie de la belle collection d'imprimés rassemblée par son frère le duc de Guyenne dont il hérita, et des livres du cardinal La Balue qu'il confisqua[5]; mais il laissa échapper ceux du duc de Nemours et de Charles le Téméraire. La bibliothèque des ducs de Bourgogne, formée par Philippe le Hardi, avait été élevée par la magnificence de Philippe le Bon au rang des plus considérables qui fussent alors en Europe. Ce prince eut pour bibliothécaires Laurent Palmier et Robert Gaguin, pour enlumineur en titre un des premiers artistes du temps, Jehan Foucquet. Charles VIII rapporta de son expédition d'Italie une partie de la bibliothèque fondée à Naples par Robert d'Anjou et augmentée par les princes de la maison d'Aragon.
9. Louis XII, en arrivant au trône, possédait personnellement une bibliothèque aussi remarquable par le nombre que par la beauté des manuscrits. Le duc d'Orléans, frère de Charles VI, l'avait commencée à Blois. Charles d'Orléans l'avait continuée durant et après sa longue captivité, en même temps que son frère Jean, comte d'Angoulême, en constituait pour lui-même une non moins belle qui revint à la couronne sous son petit-fils, François Ier. Louis XII joignit à cette collection les ouvrages conservés à la Tour du Louvre et, pendant près d'un demi-siècle, la Bibliothèque du roi demeura au château de Blois. Il y réunit encore la bibliothèque de Pavie, formée par les Visconti et les Sforza, riche d'environ mille manuscrits, grecs, latins, italiens et français, confisquée pendant l'occupation du Milanais; après la victoire d'Agnadel, une portion de la belle collection dont Pétrarque avait fait don à la république de Venise; enfin, sans que l'on sache trop comment, le cabinet de Louis de Bruges, réputé, après celui des ducs de Bourgogne, le plus beau de toute la Flandre. L'ancien ambassadeur d'Alexandre VI, Bolognini, célébrait, en 1508, la bibliothèque de Blois comme l'une des «merveilles de la France[6]». A dater de cette époque, la Bibliothèque du roi «n'est plus le bien personnel du prince; elle devient insensiblement un dépôt public, ouvert aux savants de la France et des pays étrangers». La première cause de cette révolution fut le concours heureux de circonstances qui y avait réuni à la fois quatre grandes collections et l'avait placée fort au-dessus des plus riches librairies seigneuriales, dont plusieurs lui étaient encore supérieures à la fin du règne de Charles VIII.
10. François Ier, qui portait aux lettres comme aux arts un intérêt profond et éclairé, créa à Fontainebleau une nouvelle bibliothèque plus particulièrement affectée aux manuscrits grecs, et plaça à sa tête, avec le titre de «maître de la librairie du roi», le savant helléniste Guillaume Budé (1522). Le maître de la librairie avait sous ses ordres un ou plusieurs «gardes de la librairie» et un libraire; la reliure entrait dans les attributions de ce dernier. Les ambassadeurs français à Venise reçurent l'ordre d'acquérir tous les manuscrits grecs qu'ils pourraient trouver et de faire copier ceux qu'on refuserait de leur vendre. D'autres envoyés furent chargés de recueillir dans le Levant les manuscrits orientaux. La bibliothèque de Blois fut réunie à celle de Fontainebleau, en 1544[7]; elle contenait alors 1,890 volumes, 109 seulement imprimés. L'imprimerie n'était encore considérée que comme un moyen de vulgarisation et ses produits semblaient indignes de figurer à côté des manuscrits coûteux et rares dont ils tendaient en outre à déprécier la valeur littéraire, en les réduisant à l'état d'objets d'art.
La bibliothèque de Fontainebleau était somptueusement installée au dernier étage du château et faisait l'admiration des étrangers et des savants que le roi y admettait libéralement. Il les encourageait même à publier les textes nouveaux qu'ils y découvraient et subventionnait les imprimeurs qui se chargeaient de les éditer. Elle ne s'accrut guère sous Henri II, mais les élégantes reliures que fit exécuter ce prince marquent un progrès sensible dans l'histoire de cet art[8]. Une révolution complète s'était opérée dans les procédés de reliure. On avait depuis longtemps renoncé aux pierres précieuses, aux émaux, aux armatures d'argent ou de cuivre; on avait supprimé les fermoirs, remplacé l'ivoire ou les ais de bois par le carton, le velours et la soie par le maroquin ou le cuir. Autour des armes de France, des ornements d'un goût charmant, le monogramme royal, des attributs de chasse, des croissants succèdent sur les plats aux salamandres du règne de François Ier. La plupart des historiens de la Bibliothèque du roi ont répété que Henri II en avait assuré l'agrandissement futur en imposant aux libraires l'obligation de fournir pour la librairie de Fontainebleau un exemplaire sur «parchemin de vélin, relié et couvert», de tous les livres imprimés par privilège. Cette ordonnance, supposée et rédigée par Raoul Spifame, n'a jamais été rendue[9]. Le dépôt légal existait déjà, du moins en principe, mais l'honneur de cette disposition appartient à François Ier. En vertu de l'ordonnance du 8 décembre 1536, les libraires devaient remettre au garde de la librairie de Blois, Mellin de Saint-Gelais, un exemplaire de toutes leurs publications «en grand ou petit livre... à peine de confiscation». Il est vrai que cette ordonnance ne commença à recevoir une apparence d'exécution que dans le cours du siècle suivant, après une nouvelle déclaration royale et de nombreux arrêts du Conseil, dont nous parlerons plus loin.
11. La Bibliothèque du roi fut transférée à Paris sous Charles IX, par les soins du garde Gosselin; on ignore le lieu de sa première installation. On sait seulement qu'elle faillit être dispersée pendant la Ligue, comme le fut la collection particulière de Henri III, vendue à l'encan devant l'Hôtel de Ville. Le président de Nully en força les portes, vers septembre 1593, ou plutôt fit «rompre la muraille» et en fut, de fait, le possesseur jusqu'à l'entrée de Henri IV dans Paris en mars 1594. On constata alors la disparition d'un certain nombre de volumes. Les reproches faits, sur ce sujet, au président Brisson par M. Franklin, d'après Scaliger et l'abbé Tricaud, nous semblent dénués de fondement. Brisson était mort depuis deux ans quand de Nully fut contraint de faire «rompre la muraille afin d'ouvrir la porte, fermée par derrière avec une forte barre». Il avait pu emprunter des livres à la Bibliothèque, avant le départ de Gosselin, avec «le dessein de les remettre ensuite à leur rang», que lui prête d'ailleurs l'abbé Tricaud, et sans mériter l'incrimination de vol. Ce fut sa veuve qui les fit vendre pour un morceau de pain, frusto panis.
12. L'illustre traducteur de Plutarque, Jacques Amyot, maître de la librairie depuis 1567, fut remplacé, à sa mort (1593), par Jacques-Auguste de Thou: de tels noms suffisent à indiquer toute l'importance attachée par les rois à ces fonctions. En 1594, l'expulsion des Jésuites, après l'attentat de Jean Chastel, permit à Henri IV d'assigner à la Bibliothèque les bâtiments du collège de Clermont, aujourd'hui lycée Louis-le-Grand[10]. Il y réunit les manuscrits provenant de la succession de Catherine de Médicis, au nombre d'environ 800, la plupart fort précieux; annexion qui souleva de longues contestations et ne se fit qu'au détriment des créanciers de la reine-mère, dont ces volumes formaient à peu près le seul gage ayant quelque valeur[11]. Lors du rappel des Jésuites, en 1604, la Bibliothèque fut transférée de la rue Saint-Jacques au couvent des Cordeliers, sur l'emplacement occupé depuis par les cliniques de l'École de médecine, mais à titre provisoire. Henri IV voulait l'installer dans un collège royal qu'il projetait d'édifier au lieu des collèges de Tréguier et de Cambrai, dessein qui fut abandonné après sa mort. Cependant les Cordeliers désiraient rentrer dans la jouissance de leur cloître; ils louèrent au roi, pour sa Bibliothèque, une maison qui leur appartenait rue de La Harpe, tout près de l'église Saint-Côme (1622). Louis XIII venait d'acquérir de Philippe Hurault, moyennant 12,000 livres, les manuscrits de Chiverny, au nombre de 418, dont 150 en langue grecque[12]. Le maître de la librairie était alors François de Thou qui avait succédé en cette qualité à son père, dès l'âge de neuf ans, et le demeura jusqu'à 1642; on sait dans quelles circonstances il partagea le supplice de Cinq-Mars. Le savant Jérôme Bignon le remplaça; il eut pour gardes de la librairie les frères Dupuy[13]. La Bibliothèque s'accrut assez peu dans les premières années du XVIIe siècle. L'une des principales causes de ce ralentissement fut sans doute la création d'un «Cabinet du roi» au Louvre, pour l'usage du prince et de la cour. C'est là que furent déposés les manuscrits des rois aragonais de Naples et ceux du cardinal d'Amboise, tombés aux mains du cardinal de Bourbon, le Charles X de la Ligue, et apportés du château de Gaillon au Louvre sous Henri IV; ils ne devaient être incorporés qu'en 1726 dans le cabinet de la Bibliothèque du roi. Celle-ci ne comptait guère encore que 6,000 volumes quand le catalogue en fut dressé par Rigault, Saumaise, Hautin et Pierre Dupuy (1622). Ce fut probablement vers cette époque que l'on commença d'y estampiller les livres[14]. Jacques Dupuy, qui avait survécu à son frère, mourut en 1656, après avoir légué au roi leur collection particulière, riche de 9,000 volumes et de près de 300 manuscrits, l'un des plus précieux recueils de documents historiques qu'un particulier ait jamais formés[15].
13. La Bibliothèque du roi, grâce au legs de Dupuy, atteignait 16,746 volumes en 1661, quand Nicolas Colbert, garde de la librairie depuis 1656, fut promu à l'évêché de Luçon. Il ne résigna pas sa première charge mais en laissa toute l'administration à son frère Jean-Baptiste, alors surintendant des bâtiments du roi, qui s'en occupa avec passion et rencontra d'excellents auxiliaires dans deux savants bibliographes, Carcavy et Nicolas Clément. Cette direction ouvre comme une nouvelle ère pour la Bibliothèque. Dès lors les acquisitions et les dons se multiplient. En 1660, Gaston d'Orléans lègue au roi ses livres, manuscrits, médailles et estampes; en 1662, le comte de Béthune lui offre l'admirable bibliothèque rassemblée à frais énormes par son père; elle ne comprenait pas moins de 1,923 manuscrits modernes, dont la moitié se composait de lettres originales relatives à l'histoire de la France depuis Louis XI. Christine de Suède en avait, au dire de Loret, offert 100,000 écus au comte. Après la mort de Mazarin, Colbert fait reprendre dans sa bibliothèque et réintégrer dans celle du roi la collection d'Antoine de Loménie de Brienne, que Richelieu avait contraint le fils du vieux secrétaire d'État à vendre au roi pour 36,000 livres, mais qu'il avait placée dans sa bibliothèque personnelle[16] et que, depuis, Mazarin s'était indûment appropriée. Elle contenait un nombre immense de pièces originales ou très rares. Il achète encore, au nom du roi, la plus grande partie du cabinet de Trichet du Fresne, successivement bibliothécaire de Gaston d'Orléans et de Christine de Suède, qui avait parcouru l'Europe, à la recherche de livres curieux. En même temps, Colbert forme pour lui-même, avec le concours du savant Baluze, une bibliothèque qui bientôt pourra rivaliser avec celle du roi. Et comme, depuis les récents accroissements, cette dernière se trouvait à l'étroit dans le local de la rue de la Harpe, il la fait transporter rue Vivienne, dans une maison qui lui appartenait, entre son hôtel et l'hôtel de Torcy. Au nombre des acquisitions dues à Colbert, il y a lieu de signaler celles: de 2,300 volumes achetés à la vente de la bibliothèque de Fouquet; de la collection de Gilbert Gaumin, riche en manuscrits hébraïques, arabes, persans et grecs; de la collection particulière de Carcavy; de la bibliothèque entière du médecin Mentel «admirablement versé dans la connaissance de tous les beaux livres», soit 10,000 volumes et 100 manuscrits, payés ensemble 25,000 livres (1670).
Colbert ne reculait pas devant des procédés moins avouables. Il convoitait les manuscrits de la bibliothèque Mazarine et ceux de ses livres précieux que ne possédait pas la Bibliothèque du roi. Il imagina d'en imposer l'échange contre des doubles de cette dernière et, malgré les efforts de la Sorbonne à qui le cardinal avait confié la surveillance de sa collection, un arrêt du Conseil approuva la transaction[17]. Les manuscrits, au nombre de 2,156 furent estimés à 8 livres «l'un portant l'autre, attendu qu'il y en a de petits et de peu considérables», en tout 17,248 livres. Les imprimés furent prisés: 611 in-folios à 5 livres; 1,595 in-4os à 20 sols; 1,472 in-8os et in-12 à 8 sols; total 5,238 livres. Les doubles de la Bibliothèque du roi, 944 in-folios, 966 in-4os, 431 in-8os et in-12 prisés sur le même pied auraient valu 5,858 livres; mais on les estima beaucoup plus cher: les in-folios 8 livres, les in-4os 30 sols, les in-8os et in-12 12 sols, soit 9,259 livres 12 sols. Toutefois, le roi, «voulant donner l'avantage à la bibliothèque Mazarine», décida que l'échange aurait lieu comme si les deux estimations eussent fourni un total égal. L'échange, à vrai dire, ne portait que sur les imprimés; les manuscrits furent payés, suivant la prisée, 17,248 livres aux exécuteurs testamentaires du cardinal[18].
En même temps, Colbert chargeait les agents diplomatiques et consulaires, et particulièrement MM. de Monceaux et Laisné, qui voyageaient dans le Levant, d'acheter pour le roi les anciens manuscrits grecs et orientaux, sauf les hébraïques, dont la Bibliothèque était richement pourvue, des médailles, des pierres gravées et aussi des peaux de maroquin «quatre ou cinq cents vertes, mil ou douze cents incarnates». De 1671 à 1675, Wansleb et Lacroix parcoururent l'Égypte et les échelles du Levant avec des missions analogues et envoyèrent à Colbert, le premier, 30 manuscrits grecs et 630 orientaux, syriaques, coptes, arabes, persans et turcs; le second, deux caisses de manuscrits arabes. Cassini lui adressa d'Italie et Verjus, de Portugal, un nombre assez élevé de volumes imprimés, mais fort peu de manuscrits; on connaissait les préférences un peu trop exclusives du ministre pour ceux en langues orientales.
14. En 1676, à la mort de Nicolas Colbert, le contrôleur général fit pourvoir son fils Louis Colbert de la charge de garde de la librairie. La Bibliothèque continua d'ailleurs d'être administrée par Carcavy et Clément. Il convient d'ajouter que depuis plusieurs années la bibliothèque personnelle de Colbert avait acquis, grâce aux soins de Baluze, une importance considérable, et le ministre accaparait pour son propre compte les manuscrits précieux qu'il recherchait autrefois pour la collection royale. Celle-ci passa, après lui, dans les attributions de Louvois qui s'empressa d'acheter de la famille Colbert et de Jérôme Bignon les deux charges de maître de la librairie et de garde de la Bibliothèque, et, en avril 1684, il les fit conférer toutes les deux à son fils, Camille Le Tellier, connu sous le nom de l'abbé de Louvois[19]. Les principales acquisitions de cette période consistent en une cinquantaine de manuscrits envoyés d'Italie par Mabillon en 1686, en copies exécutées à Rome sous la direction de D. Estiennot, pour le compte du gouvernement français, en quelques manuscrits orientaux et grecs recueillis à Constantinople par Galland et par notre ambassadeur, Girardin. Louvois projetait d'installer la Bibliothèque place Vendôme et de l'ouvrir au public; les constructions commencées dans ce dessein furent démolies après sa mort.
15. On a vu que la charge de maître de la librairie était placée sous l'autorité du surintendant des bâtiments. Elle fut mise par un règlement du 25 juillet 1691 sous la dépendance immédiate du roi. L'archevêque de Reims, Maurice Le Tellier, qui l'administrait sous le nom de son neveu encore trop jeune, réalisa le désir de son frère et ouvrit la Bibliothèque, deux jours par semaine, à quiconque y voudrait travailler[20]. Il l'enrichit bientôt de son cabinet de manuscrits, qui en comptait plus de cinq cents «dont plus de la moitié de quelque mérite, écrivait Clément, et plusieurs d'un mérite singulier»; il légua, depuis, ses imprimés, plus de 16,000 volumes, à l'abbaye de Sainte-Geneviève. En 1697, un présent de l'empereur de Chine, apporté en France par le P. Bouvet, avait constitué un fonds de manuscrits chinois, promptement accru de volumes chinois et tartares par le P. de Fontenay.
Deux acquisitions de la plus haute importance signalent la direction de l'abbé de Louvois: ce sont celles des cabinets de Gaignières et de Charles d'Hozier. Roger de Gaignières, simple écuyer de Mlle de Guise, mais savant appréciateur de documents ou d'objets auxquels ses contemporains attachaient trop peu de prix, était parvenu avec de modestes ressources à former une collection inestimable. Comprenant, le premier, le secours que les monuments figurés pouvaient apporter à l'histoire, il avait rassemblé les portraits gravés ou autres des personnages célèbres, les estampes historiques et fait relever par un dessinateur qu'il s'était attaché le croquis des pierres tombales, des sceaux, des miniatures de manuscrits, des vitraux qu'il ne pouvait acquérir; il avait employé son valet de chambre, Rémy, secrétaire aussi instruit qu'intelligent, à prendre des copies ou des extraits des pièces qu'il rencontrait dans les chartriers des plus riches abbayes où on l'accueillait toujours avec honneur. Aux centaines de portefeuilles ainsi composés, il avait joint un recueil de 25,000 lettres originales. L'ensemble de son cabinet comptait 2,000 manuscrits, plus des livres, des tableaux, des estampes, des curiosités variées, en nombre considérable. Gaignières le céda au roi en 1710, moyennant le payement immédiat de 4,000 livres, la constitution d'une rente viagère de pareille somme et la promesse d'une somme de 20,000 livres, payable, après sa mort, à ses héritiers. Torcy fit établir immédiatement l'inventaire des collections de Gaignières, dont il confia la surveillance à Clairambault, par crainte de détournements; le gardien était lui-même peu scrupuleux et l'on n'évalue pas à moins de cent volumes les pièces écrites ou annotées de la main de Gaignières qu'il s'appropria sans droit. Gaignières mort, on vendit publiquement les articles jugés inutiles à la Bibliothèque du roi et le produit atteignit 16,761 livres[21]. La partie conservée forma le premier fonds du cabinet des titres et généalogies; on la fondit seulement en 1740, et avec peu de discernement, dans les différents départements de la Bibliothèque.
Le cabinet de Charles d'Hozier fut cédé au roi par le fameux généalogiste, en 1717, à des conditions analogues à celles stipulées par Gaignières. Sans être aucunement comparable au précédent, il contenait un grand nombre de titres intéressant l'histoire de la noblesse. Clairambault fut encore chargé de le classer.
16. Peu de temps après, l'abbé de Louvois mourut et légua tous ses manuscrits à la Bibliothèque; la plupart étaient modernes et provenaient du cabinet de son aïeul, Michel Le Tellier. L'abbé Bignon lui succéda, en qualité de «maître de la librairie du roi, intendant et garde de son cabinet des livres, manuscrits, médailles et raretés antiques et modernes, et garde de sa bibliothèque[22]». Il acquit en outre les charges de «garde de la librairie du cabinet du Louvre, cour et suite du roi» et de «garde de la bibliothèque de Fontainebleau», qui furent réunies dès lors à celle de bibliothécaire du roi. La seconde était d'ailleurs sans objet; Louis XIII avait songé, en 1627, à rétablir une bibliothèque à Fontainebleau, mais s'était borné à nommer un bibliothécaire, Abel de Sainte-Marthe que son fils, du même nom, avait remplacé en 1646; ce dernier était mort en 1706 et n'avait pas eu de successeur.
L'abbé Bignon eut l'excellente idée d'inaugurer son administration par un récolement général[23]. La constatation des richesses bibliographiques et autres démontra la nécessité de diviser les collections et on les répartit en quatre sections: 1o manuscrits; 2o livres imprimés; 3o titres et généalogies; 4o planches gravées et recueils d'estampes. Le personnel fut accru en conséquence. Boivin, l'abbé de Targny, Guiblet et Delahaye furent les premiers conservateurs des nouveaux départements.
La maison de la rue Vivienne était devenue insuffisante. La Bibliothèque, qui ne comprenait pas plus de 20,000 volumes quand Colbert l'y avait installée, possédait, en 1721, 80,000 imprimés et plus de 16,000 manuscrits. Bignon obtint alors de l'installer dans l'hôtel de Nevers, précédemment occupé par les bureaux de la banque de Law, et, quoique le transport eût été opéré sans délai, ce fut seulement en 1724 que la prise de possession fut ratifiée et l'hôtel de Nevers affecté à perpétuité à l'installation de la Bibliothèque. Par une série d'agrandissements successifs, elle est arrivée à occuper le vaste emplacement compris entre les rues des Petits-Champs et Colbert, Vivienne et Richelieu.
Sous la direction de l'abbé Bignon, la Bibliothèque s'enrichit, par acquisition: de 630 manuscrits du cabinet de Philibert de la Mare, conseiller au parlement de Bourgogne, parmi lesquels une notable partie des papiers du célèbre Saumaise; des manuscrits de Baluze, payés par le roi 30,000 livres à sa légataire, Mme Le Maire[24]; des manuscrits de la collégiale de Saint-Martial de Limoges, presque tous exécutés entre le IXe et le XIe siècle, et vendus par les chanoines pour 5,000 livres; en 1731, des manuscrits de la famille de Mesmes, dont la bibliothèque était en grande réputation près des savants, dès le commencement du XVIIe siècle: sur les 642 volumes que Louis XV acheta moyennant 12,000 livres, le premier commis aux affaires étrangères, Le Dran, en fit distraire, au profit de ce département, 229 contenant les papiers et dépêches relatifs aux négociations du comte d'Avaux. L'acquisition la plus coûteuse fut celle des manuscrits de Châtre de Changé, moins nombreux, mais du plus haut intérêt pour l'étude de l'ancienne littérature française; ils furent payés 40,000 livres. La Bibliothèque acheta encore une portion des manuscrits de l'abbé de Targny, mort en 1737, et, en 1740, un certain nombre de ceux du maréchal de Noailles, dont quelques-uns incomparables, notamment les Évangiles dits de Charles le Chauve et la Bible de Clément VII. — Les dons les plus considérables, pendant la même période, furent: la collection ecclésiastique, historique et juridique, formée d'environ 60,000 pièces, en vingt ans de recherches, et offerte au roi par Morel de Thoisy (1725); les meilleurs manuscrits du cabinet de l'ancien intendant Foucault, échangés par de Boze contre des doubles imprimés de la Bibliothèque (1728); 206 manuscrits et plus de 500 portefeuilles composés d'actes originaux, copies et documents imprimés recueillis dans les dépôts de Paris et des provinces par Antoine Lancelot, qui en fit simplement hommage. Il faut également citer deux annexions importantes: en 1726, les manuscrits du cabinet du Louvre, qui comprenaient les débris de la collection du cardinal d'Amboise, furent réunis à la Bibliothèque; en 1740, Lancelot y envoya onze ballots de titres du Trésor des chartes des ducs de Lorraine et de Bar, qu'il avait été chargé d'inventorier à Nancy, et avait trouvé «dans un estat pitoyable». Les fonds étrangers ne reçurent pas moins de développement. L'abbé Bignon avait fait don à la Bibliothèque de ses livres chinois, indiens et tartares; à son instigation, on sollicita le concours des agents de la Compagnie des Indes, et ils envoyèrent d'Asie, en 1723, sept caisses de volumes chinois qui donnèrent une réelle importance à la série commencée par le don de l'empereur de Chine. La Bibliothèque reçut aussi par l'entremise de la Compagnie ou des jésuites missionnaires plus de 300 manuscrits indiens, écrits en tamoul ou en sanscrit, recueil alors unique en Europe. En 1728, l'abbé Sevin fut envoyé à Constantinople avec mission de recueillir les épaves de la bibliothèque des anciens empereurs grecs détruite par les ordres d'Amurat IV; s'il ne retrouva aucun vestige de cette collection autrefois si célèbre, il fit du moins explorer les couvents de la Thessalie, se rendit à Jérusalem, puis en Arménie, et adressa en France plus de 600 manuscrits orientaux ou grecs; par malheur, depuis vingt ans, le prince de Valachie, Mavrocordato, qui «passoit pour un prodige de sçavoir», les faisait rechercher au prix de «sommes immenses», et l'on ne pouvait que glaner ce qui avait échappé à ses émissaires. Au surplus, tous les représentants français étaient invités à acquérir les ouvrages susceptibles d'enrichir la Bibliothèque qui pourraient leur être signalés. C'est ainsi que le comte de Plélo, notre ambassadeur en Danemarck, envoya, en 1733, 700 volumes achetés dans les États du Nord.
17. Nous avons réservé, pour en parler avec quelque détail, l'acquisition, en 1732, des manuscrits de Colbert, la plus riche collection, sans contredit, qu'ait jamais reçue la Bibliothèque du roi. Elle avait été formée, sous la surveillance quotidienne du ministre, par Carcavy et Baluze, qui en eurent l'administration, le premier jusqu'en 1667, époque de son entrée à la Bibliothèque royale, le second jusqu'en 1700. Colbert y consacrait annuellement une somme de 4,000 livres pour frais de copies, d'achats et de reliures; les manuscrits ne coûtaient encore «qu'un écu la pièce, quand on en achetoit un nombre considérable, partie de grands, partie de petits». Carcavy avait d'abord mis en ordre les papiers légués par Mazarin à Colbert; il fit ensuite copier, dans tous les dépôts publics, dans les abbayes, et même dans des collections particulières, telles que les cabinets de Le Laboureur, de Thou, de Brienne, de Fontenay-Mareuil, les documents qui pouvaient intéresser l'histoire, le droit public ou l'administration, d'anciens cartulaires, des correspondances diplomatiques, des extraits des registres du Parlement, de la Chambre des comptes et du Trésor des chartes. «Il ne se peut rien de plus satisfaisant pour moy, écrivait Colbert, en 1666, que de voir ce prodigieux travail fait par M. de Carcavy.» Le même travail se poursuivait pour lui dans les provinces. Le président de Doat fut chargé, par une commission officielle, de l'exécuter dans les archives du Midi, et il y recueillit 258 volumes in-folio de copies de pièces généralement anciennes, recueil inappréciable pour l'histoire du Midi au moyen âge. D'autres correspondants relevèrent des extraits des registres des parlements d'Aix, de Toulouse et de Dijon. Denys Godefroy, chargé de visiter les Flandres, mit surtout à contribution les archives de la Chambre des comptes. Mais cette collection, dont le temps a augmenté la valeur, par suite de la perte de nombreux originaux que nous ne connaîtrions pas sans elle, n'était que la partie secondaire de la bibliothèque de Colbert, qui ramassait de toutes parts les manuscrits anciens et les pièces originales. Baluze surveillait les ventes dans Paris et correspondait assidûment avec les intendants des provinces, stimulés dans leurs recherches par le désir de se concilier la faveur d'un ministre tout-puissant. Morangis à Caen, Du Molinet et Delabarre en Touraine et en Bretagne, Foucault en Guyenne, d'Aguesseau et Boudon en Languedoc, se signalèrent par leur zèle. Il n'était pas d'intrigues que ces chercheurs ne missent en œuvre pour décider les abbayes ou les chapitres à se dessaisir de leurs manuscrits: on négociait des achats, on provoquait des dons, on poussa plusieurs fois l'absence de scrupules jusqu'au détournement, sous forme d'emprunt, de précieux volumes qu'on était décidé à ne pas rendre et qu'on expédiait aussitôt à Baluze. Quoique rien ne permette d'affirmer que Colbert ait jamais encouragé ni même connu ces manœuvres déloyales, il est pourtant un reproche de ce genre dont on ne saurait le disculper. Lors de la reddition de la citadelle de Gand, un article de la capitulation avait stipulé que Louis XIV respecterait les archives de la place. Colbert estima que la clause acceptée par le roi n'engageait pas le ministre, et écrivit à Godefroy «d'en faire sortir adroitement le plus grand nombre possible» de pièces. Il fut consciencieusement obéi: de 1671 à 1678, Godefroy lui adressa une foule d'actes importants, chartes et diplômes des rois de France et des empereurs d'Allemagne, des originaux de grands traités du XVIe siècle, une bulle d'or de Frédéric II, etc. Pour donner une idée des richesses accumulées dans son cabinet, il suffit d'énumérer les principaux fonds qui y entrèrent, par don ou achat, de 1666 à 1683: ce sont 93 manuscrits de Mathieu Molé; la bibliothèque de milord Hapton; 45 des anciens manuscrits de Du Chesne; les collections de l'académicien Ballesdens et d'Antoine de Mareste d'Alge; en tout ou en partie, les manuscrits des abbayes de Mortemer, de Moissac, de Savigny, des jacobins de Clermont, de Fontenay, de Bonport et de Foucarmont; ceux des églises de Saint-Just, de Narbonne et de Notre-Dame du Puy; ceux du collège de Foix, au nombre de 320, contenant les débris de la célèbre bibliothèque des papes d'Avignon et de Benoît XIII; 97 manuscrits du moyen âge, donnés par Guémadeuc; 215 autres offerts par la duchesse de Vivonne; et, en 1680, la collection entière des anciens manuscrits du président de Thou, «dont la célébrité était européenne,» que Baluze acheta pour son maître, en même temps que M. de Ménars acquérait, comme on a vu, la collection des imprimés. A cette liste il faut aussi joindre les nombreux manuscrits grecs, arabes, syriaques, hébreux et persans que, de 1673 à 1682, les consuls de France en Orient ne cessèrent d'envoyer à Colbert.
La bibliothèque Colbertine ne s'accrut pas sensiblement après la mort de son fondateur; elle ne recueillit guère que 450 manuscrits, parmi lesquels ceux des carmes de Clermont. Elle était d'ailleurs largement ouverte aux savants, et, sur le registre des prêts, on relève les noms de Mabillon, de Clairambault, de Du Cange, de Montfaucon, de Ruinart, de Gaignières, de Bonhier, de Ménestrier, de Rollin, de Baluze, de Félibien, de Calmet, en un mot de tous les érudits du temps. Le comte de Seignelay, dernier héritier des collections de son aïeul, fit, en 1728, une vente publique des imprimés. L'année précédente, il avait déjà vendu 600 manuscrits à Meigret de Sérilly[25]. La crainte de voir dispersé le cabinet de Colbert émut le monde savant; sous la pression de l'opinion publique, le gouvernement fit à Seignelay des ouvertures d'acquisition. Le comte les accueillit et l'on procéda à une expertise contradictoire. Il n'y avait pas moins de 6,645 manuscrits «anciens et de science» et 1,700 volumes de copies et de documents modernes. Les experts du comte estimèrent le tout 350,000 livres; les experts du roi ne l'évaluèrent qu'à 120,000. Un tel écart rendait une entente impossible. Seignelay eut alors l'heureuse idée d'offrir sa collection au roi, sans condition, laissant à sa générosité le soin de fixer l'indemnité que méritait un tel présent. Louis XV écrivit en marge du billet de Seignelay: «Bon pour 300,000 livres.» La collection fut apportée à la Bibliothèque du roi les 11 et 12 septembre 1732; on en retira aussitôt 462 volumes des papiers de Mazarin qui furent remis au dépôt des affaires étrangères.
18. L'abbé Bignon, presque octogénaire, résigna sa charge à son neveu, en 1741. L'un des derniers actes de sa féconde administration et l'un des plus utiles avait été la préparation d'un catalogue général. Ce travail considérable, entrepris sur l'ordre du comte de Maurepas, secrétaire d'État de la maison du roi, en 1735, produisit dix volumes in-folio, dont quatre consacrés aux manuscrits qui parurent de 1739 à 1744 et renferment la description de tous les manuscrits orientaux, grecs et latins. Les six volumes du catalogue des imprimés furent publiés de 1739 à 1753; les trois premiers traitaient de la théologie, les deux suivants des belles-lettres, le dernier d'une partie seulement de la jurisprudence. Les deux catalogues présentaient de nombreux défauts; néanmoins, celui des manuscrits rend encore aux érudits des services incontestés, et il est fort regrettable qu'il n'ait pu être complété par la description des manuscrits français.
19. Le successeur de l'abbé Bignon, M. Bignon de Blanzy, mourut, comme son oncle, au mois de mars 1743. Le roi ne voulut pas que la charge de bibliothécaire sortit de la famille des Bignon; il la conféra à un autre neveu de l'abbé, Armand-Jérôme Bignon, qui l'occupa durant trente ans, avec la même distinction. Dans cette revue si rapide des acquisitions importantes, nous devons signaler du moins celles: du recueil de l'abbé Legrand sur le règne de Louis XI, payé 15,000 livres (1743); de 600 manuscrits modernes de Meigret de Sérilly, provenant pour la plupart du cabinet de Colbert, au prix de 30,000 livres; de l'inventaire des titres de la chambre des comptes du Dauphiné, acheté d'un libraire; des papiers de Florimond concernant l'histoire de Paris, les beaux-arts et la marine (1751); et surtout celle des manuscrits de Jacques Dupuy, légués à de Thou, puis vendus à M. de Ménars en 1680 et, en 1720, à Joly de Fleury, qui les céda au roi pour 60,000 livres en 1754: collection incomparable de pièces juridiques, littéraires et historiques qui comprenait près de 809 volumes in-folio et de 40 in-4o. On peut, au point de vue de l'importance, en rapprocher le cabinet de Fontanieu, que ce grand collectionneur vendit au roi, en 1765, contre une rente viagère de 8,000 livres et le payement d'une somme de 90,000 livres à ses héritiers; outre les imprimés et les estampes, ce fonds renfermait 336 volumes in-4o de pièces fugitives imprimées ou manuscrites, 92 volumes des papiers des intendances de Fontanieu en Dauphiné et à l'armée d'Italie, plus de 266 volumes de manuscrits anciens ou modernes. A ces acquisitions dont les prix attestent l'intérêt du roi pour la Bibliothèque, s'étaient ajoutés des dons d'une valeur considérable: en 1749, les papiers de Dangeau; en 1752, une vingtaine de manuscrits à riches enluminures, provenant de l'ancienne et célèbre librairie du duc de Berry, envoyés par les chanoines de la Sainte-Chapelle de Bourges; la collection des manuscrits de Collot, chanoine de Notre-Dame de Paris; une partie des papiers de Bossuet donnés par l'abbé Delamotte (1753), accrue bientôt de ceux recueillis par Le Roy en vue de la publication d'une édition complète des œuvres du grand évêque; les papiers du savant Du Cange consistant surtout en notes et travaux relatifs à la Picardie; la collection des manuscrits de la bibliothèque de Notre-Dame de Paris, au nombre de 301, offerte par le chapitre (1756); les livres indiens, zends et persans d'Anquetil-Duperron (1762). La même année, mourut le médecin Camille Falconet, qui, vingt ans auparavant, avait fait don au roi de tous ceux de ses livres qui manqueraient à la Bibliothèque royale; Capperonnier, chargé d'en établir la liste, après la mort de Falconet, retint pour la Bibliothèque 11,072 volumes. L'expulsion des Jésuites entraîna la dispersion des livres amassés par eux dans tous leurs établissements. La collection du collège de Clermont jouissait d'une grande réputation. La Bibliothèque royale en retira quelques manuscrits cédés par le Hollandais Meerman, qui s'était rendu acquéreur du cabinet entier, et surtout la bibliothèque de l'ancien évêque d'Avranches, Daniel Huet, léguée jadis par l'illustre prélat aux Jésuites et conservée par ceux-ci dans son intégrité, suivant la volonté du testateur; c'étaient 8,271 volumes imprimés et 200 manuscrits grecs, latins, turcs et arabes.
20. Armand-Jérôme Bignon, décédé en 1772, fut remplacé par son fils Jean-Frédéric, auquel succédèrent, comme derniers bibliothécaires du roi, Lenoir en 1781 et, en 1790, Lefèvre d'Ormesson de Noyseau, destitué deux ans après par le ministre Roland et, plus tard, mort sur l'échafaud. Le seul don important reçu par la Bibliothèque pendant cette période fut le dépôt par le capitaine Le Gentil de 174 manuscrits sanscrits et persans (1778). Les principales acquisitions comprennent: la correspondance et les papiers d'Ismaël Boulliau (1780); 255 manuscrits achetés, en 1784, à la vente de la première partie de la bibliothèque du duc de La Vallière, le plus célèbre bibliophile du siècle, pour le prix de 41,000 livres; un lot de 600 quintaux de pièces de comptabilité mises au rebut par la chambre des comptes, que Beaumarchais s'était fait adjuger et qu'il revendit au roi 60,000 livres; les papiers de Delamare contenant les matériaux de son grand ouvrage sur la police (1788).
21. Nous n'avons traité que des imprimés et des manuscrits. La Bibliothèque du roi possédait encore un cabinet généalogique, un cabinet d'estampes et un cabinet de médailles. Le cabinet généalogique avait été constitué vers 1720, à l'aide des fonds Gaignières et d'Hozier. Dans le but d'en faire comme le dépôt central des documents relatifs à la noblesse de France, le Régent l'érigea en section indépendante, sous la surveillance d'un garde particulier. Guiblet et l'abbé de La Cour, qui occupèrent cette fonction, de 1720 à 1779, enrichirent l'un et l'autre le cabinet généalogique de leur collection personnelle; celle de l'abbé de La Cour contenait 129,600 pièces, qui furent estimées 31,000 livres (1763). Les titres et les notes rassemblés par Gevigney, Bertin du Rocheret, Pierre Roger, Du Buisson, Blondeau de Charnage et son neveu, Jault, entrèrent successivement à la Bibliothèque, par acquisitions et par dons. L'abbé de La Cour, sans modifier le classement des mémoires de d'Hozier et des généalogies de Gaignières qu'avait fait Clairambault, répartit en deux grandes divisions les documents généalogiques placés sous sa garde: d'une part, les notes et mémoires, c'est-à-dire les travaux des généalogistes; de l'autre, les titres authentiques pouvant servir à l'établissement des généalogies; les pièces des deux séries étant rangées dans l'ordre alphabétique des noms de famille. Cette classification a été conservée jusqu'à nos jours.
22. Les premières estampes qu'ait possédées la Bibliothèque du roi proviennent du legs de Jacques Dupuy; elles étaient trop peu nombreuses pour qu'on puisse les considérer comme le fonds originaire du département devenu si célèbre. Ce cabinet ne fut réellement fondé qu'en 1667, par l'acquisition de la collection de l'abbé de Marolles. C'était la première fois qu'un homme éclairé avait consacré sa vie et sa fortune à rassembler ces œuvres d'art, avec un tel éclectisme; les rares collectionneurs qui l'avaient précédé s'étaient bornés à rechercher les estampes d'un seul artiste. Plus de six mille maîtres, au contraire, étaient représentés dans la collection de Marolles: c'étaient «les plus précieuses singularités de l'art», 123,400 pièces «en 400 grands volumes, sans parler des petits au nombre de plus de six-vingts». L'abbé de Marolles les céda au roi moyennant 28,000 livres; il les classa lui-même et on les joignit aux imprimés. Trois ans plus tard, on déposa à la Bibliothèque les planches si curieuses et si belles du recueil entrepris par ordre de Colbert, sous le titre de Cabinet du Roi; c'est là qu'étaient tirées les épreuves destinées soit à des présents soit à la vente, service repris aujourd'hui dans quelque mesure par la chalcographie du Louvre. Cette collection de planches accrue d'environ 1,500 cuivres gravés, dans le cours du XVIIIe siècle, demeura au cabinet des estampes jusqu'en 1812, époque à laquelle l'administration des musées impériaux en réclama et obtint l'attribution.
Sans parler des estampes déposées à la Bibliothèque par les graveurs et imprimeurs, en vertu d'un arrêt du Conseil du 31 janvier 1689, le cabinet s'enrichit d'une collection de 18,000 portraits léguée par Nicolas Clément, en 1712, et, peu après, des estampes de Gaignières, conservées avec les manuscrits jusqu'en 1740[26]. Il était déjà assez important pour former l'une des quatre sections entre lesquelles l'abbé Bignon partagea le service, en 1720, et reçut le titre de cabinet des planches gravées et estampes. On venait d'y apporter, de Versailles, les dessins de botanique légués par Gaston d'Orléans à Louis XIV. En 1731, une acquisition considérable compléta heureusement les lacunes que présentait le cabinet; nous voulons parler des 80,000 pièces de la collection du marquis de Béringhen, consacrée surtout aux portraits des princes et seigneurs du XVIIe siècle, à des sujets de mœurs ou d'histoire, un grand nombre en superbes épreuves. Le cabinet des estampes offre alors un triple caractère: artistique par les fonds de Marolles, pour la gravure ancienne, et de Béringhen, pour la gravure moderne; historique par les copies de Gaignières, les portraits de Clément, les scènes d'histoire de Béringhen; scientifique par les dessins de Gaston d'Orléans. On eut, vers cette époque, à déplorer de scandaleux détournements: le coupable n'était autre que le garde de la section, Claude de Chancey, qui fut mis à la Bastille, en 1735, pour «avoir diverti quantité de planches et d'estampes» et les avoir vendues à vil prix en France et à l'étranger. On le transféra, l'année suivante, aux Petites-Maisons; la plupart des pièces soustraites furent saisies chez les recéleurs et réintégrées à la Bibliothèque.
Les principaux accroissements qui signalent la seconde moitié du XVIIIe siècle proviennent de donations; ce sont: la collection du fermier général Lallemant de Betz, formée de 14,406 estampes divisées en deux séries, l'une de portraits, l'autre de pièces géographiques ou topographiques (1753); le cabinet Fevret de Fontette, comprenant 12,000 pièces relatives à l'histoire de France, portraits ou représentations d'événements célèbres, politiques ou militaires; le cabinet de Bégon, intendant de la marine, composé de 24,746 pièces, parmi lesquelles une suite de dessins exécutés d'après les bas-reliefs du temple de Minerve par les soins de M. de Nointel, ambassadeur de France près la Porte, documents que la dévastation du Parthénon par Morosini et lord Elgin a rendus inestimables (1770). En 1775, les héritiers de Pierre-Jean Mariette, ce connaisseur si savant et si délicat, mirent en vente son cabinet, formé par trois générations de judicieux iconophiles. Le garde des estampes, Joly, écrivait: «L'assemblage de ces richesses est un prodige,» et à sa sollicitation, le ministre Malesherbes alla jusqu'à en offrir la somme de 300,000 livres. Malheureusement, les héritiers, grisés par le succès qu'avait obtenu la vente préalable des doubles, rejetèrent l'offre, et le cabinet de Mariette fut dispersé aux enchères. Turgot ouvrit un crédit de 50,000 livres à Joly pour y acquérir les pièces les plus précieuses; mais la vente durait déjà depuis huit jours; Joly put acheter cependant, pour 20,663 livres, 12,504 estampes, notamment de magnifiques épreuves des principales planches gravées d'après les tableaux de Rubens, retouchées par le peintre lui-même, des eaux-fortes en premier état de Van Dyck et de Claude Le Lorrain. Il acheta, depuis, 44 pièces florentines du XVe siècle, découvertes à Constantinople par Bourlat de Montredon (1781), l'œuvre de Rembrandt réunie par le peintre Péters (728 pièces, pour 24,000 livres) et quelques articles de la bibliothèque du duc de La Vallière (1784).
23. Le cabinet des médailles n'était pas moins prospère[27]. Le goût des médailles et des monnaies antiques avait pris naissance vers la fin du XVe siècle. Il se développa assez rapidement pour provoquer les railleries d'Érasme et mériter la défense de Scaliger. Hubert Goltzius qui, l'un des premiers, a compris l'importance du secours que la numismatique peut apporter à l'histoire, nous a laissé les noms des seigneurs et savants qui possédaient, au XVIe siècle, des cabinets de médailles. Il ne compte pas moins de 200 collections en France, et il en a consulté 28 à Paris. L'une des plus célèbres était celle du grand bibliophile Jean Grolier; elle comprenait un «nombre infini de pièces d'or, d'argent et de cuivre, petites et grandes, toutes entières sans estre gastées, dignes d'estre comparées à grands thrésors.» Charles IX l'acheta, en 1565, aux héritiers de Grolier; mais elle fut dispersée pendant les guerres civiles, ainsi que le médaillier de Catherine de Médicis. Vers 1608, on présenta à Henri IV un gentilhomme provençal, Rascas de Bagarris, qui s'était composé un riche cabinet et sut le faire apprécier du roi. Henri IV retint près de lui Bagarris, le nomma «maître du cabinet de médailles et antiques» dont ses collections formeraient le premier fonds et commença de faire frapper une suite de médailles d'or, d'argent et de bronze reproduisant l'histoire de sa vie, exemple suivi depuis par Louis XIV. Louis XIII n'était rien moins qu'artiste et numismate; il ne voulut donner aucune suite aux projets de cabinet formés par son père, et Bagarris fut réduit à quitter le Louvre d'où il emporta ses collections qui ne lui avaient pas été payées (1611). Sa place, vacante pendant 33 ans, fut confiée en 1644 à Jean de Chaumont, conseiller d'État. Gaston d'Orléans, au contraire de Louis XIII, aimait les arts presque autant que la botanique; durant sa longue retraite à Blois, il réunit des médailles et des pierres gravées et les légua à Louis XIV. Son bibliothécaire, l'abbé Bruneau, les apporta au Louvre, en 1660 et, quatre ans après, succéda à Chaumont. Dès lors, le cabinet est réellement fondé. Colbert, pour le mettre mieux à la disposition des savants, le transfère à la Bibliothèque et bientôt il s'accroît des collections particulières les plus estimées, telles que celles du chevalier Gualdi, du procureur général de Harlay, du lieutenant de police Tardieu, du conseiller d'État de Sère, d'Oursel, de Thomas Lecointe, de Trouenne, et celle de Lauthier, digne élève et rival de Peiresc; la dernière comprenait, outre les pierres gravées, les médailles de Bagarris à la veuve duquel Lauthier les avait rachetées. Au nombre des donateurs qui enrichirent dès lors la nouvelle section de la Bibliothèque, il faut citer le comte de Brionne, Le Pelletier de Souzy, Pontchartrain, Mlle de Scudéry, Bétoulaud: les dons consistaient en monnaies, en onyx, jaspes, cornalines, agates, améthystes, camées. Les églises, les abbayes offraient au roi les plus riches pièces de leurs trésors. C'est ainsi que l'abbaye de Saint-Èvre, de Toul, lui céda la magnifique sardonyx représentant l'apothéose de Germanicus, rapportée de Constantinople au XIe siècle par le cardinal Humbert et réputée l'un des joyaux les plus précieux du royaume; Louis XIV, en retour, gratifia le monastère d'un don de 7,000 écus. Un grand nombre d'églises possédaient en effet des camées ou des intailles provenant surtout de dons envoyés ou rapportés de l'Orient; c'est aux anciennes et fréquentes communications de la France avec le Levant qu'on doit la supériorité incontestée de nos collections en ce genre. Colbert et ses successeurs qui faisaient rechercher les manuscrits par nos agents diplomatiques et nos voyageurs, leur recommandaient aussi l'acquisition des monnaies antiques et des pierres gravées. Les voyages de Monceaux et Laisné en Orient, de Waillant en Sicile, en Grèce, en Égypte et en Perse, ceux de Vansleb, de Petit de La Croix, de Paul Lucas, de Fourmont, furent particulièrement fructueux. Notre ambassadeur, Nointel, qui se ruina en acquisitions d'antiquités, avait donné aux premiers d'excellentes instructions pour guider leurs recherches; on trouvait des pierres gravées à Constantinople, mais les principaux marchés de médailles et de monnaies antiques étaient à Athènes, à Smyrne et à Alep. Le cabinet, détaché de la Bibliothèque par Louvois en 1684, n'y fut réintégré qu'en 1741 et installé dans l'hôtel de la marquise de Lambert, contigu à l'hôtel de Nevers. Le garde était alors M. de Boze; il avait victorieusement lutté, en 1726, contre le duc de Bourbon qui voulait faire fondre les doubles des médailles d'or formant la suite historique de Louis XIV, pour les besoins du Trésor. Ce fut pendant son administration que le cabinet des médailles acquit la collection Mahardel dans laquelle étaient entrés successivement douze médailliers entiers parmi lesquels le cabinet de Foucault, riche en bronzes, en marbres et en statuettes qui constituèrent, à côté des pierres gravées et des médailles, une troisième série bientôt accrue par une donation considérable du comte de Caylus (1764). En 1754, le savant et aimable abbé Barthélemy avait remplacé de Boze; il fit acheter par le roi, en 1776, moyennant 300,000 francs, la précieuse collection de Joseph Pellerin, ancien intendant des armées navales, dont Catherine II avait offert inutilement 500,000 livres; elle ne comptait pas moins de 32,489 articles qui doublèrent l'importance numérique du cabinet des médailles. Celui-ci reçut encore, en 1787, la collection de Cousinery, agent de France à Salonique et celles de Michelet d'Ennery et de Tressan. L'inventaire qui en fut dressé le 10 juin 1791 mentionne 59,955 pièces antiques et modernes[28].
24. Tel était, à la fin de l'ancien régime, l'état des quatre sections de la Bibliothèque du roi. Si elle n'avait pu recueillir que par dons ou achats les manuscrits et les médailles, les collections d'imprimés et d'estampes avaient une source d'accroissement régulier et indéfini dans l'institution du dépôt légal. L'ordonnance inappliquée de 1536 avait été renouvelée par une déclaration royale du mois d'août 1617 et confirmée par un arrêt du Parlement portant défense «à tous libraires et imprimeurs d'exposer en vente aucuns livres par eux imprimés avec le privilège du roi qu'auparavant ils n'eussent fourni et mis à la Bibliothèque du roi deux exemplaires de chacun des livres», sous peine de saisie par le procureur général des ouvrages non déposés[29]. A la menace de saisie restée sans doute inefficace, le Conseil d'État ajouta bientôt celle d'une amende de mille livres «sans espérance d'aucune remise» et la contrainte par corps[30]. L'amende fut plus tard élevée à 1,500 livres[31].
En dehors des deux exemplaires destinés à la Bibliothèque, les libraires en devaient un au cabinet du Louvre. Un arrêt du Conseil, du 11 octobre 1720, réduisit de trois à deux le nombre des exemplaires d'imprimés ou d'estampes à déposer, mais exigea que l'un des deux fût en grand papier, sauf pour les ouvrages que le bibliothécaire du roi jugerait indignes de ce luxe. Dès 1723, on le portait à cinq, dont le syndic de la librairie ou ses adjoints devaient remettre deux à la Bibliothèque du roi, un au cabinet du Louvre, un au garde des sceaux et le dernier au commissaire désigné pour l'examen de la publication. Ces dispositions subsistèrent jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Une lettre de Jean-Frédéric Bignon aux syndics et adjoints de la librairie et de l'imprimerie de Paris, pour les rappeler à l'observation des ordonnances, prouve qu'en 1773 elles n'étaient encore que très imparfaitement appliquées[32]. Elles ne visaient d'ailleurs que les ouvrages et gravures publiés avec privilège, laissant échapper ainsi un grand nombre des productions de la librairie parisienne. D'autre part, il n'existait aucun contrôle pour surveiller la remise des livres imprimés en province. La centralisation administrative moderne peut seule assurer le fonctionnement du dépôt légal et nous constaterons plus loin combien elle-même y est insuffisante, dans l'état actuel de la législation. Mais, si mal exécutés qu'aient été les anciennes ordonnances et les arrêts du conseil, ils ont cependant fait entrer dans les collections de la Bibliothèque du roi un nombre considérable de volumes et d'estampes; et l'on ne peut trop savoir gré à l'ancien régime d'avoir posé et maintes fois affirmé le principe du dépôt légal auquel la Bibliothèque nationale a dû et doit toujours son prodigieux accroissement.
25. La Bibliothèque du roi n'était que tardivement devenue publique. Sans doute, de même que saint Louis admettait Vincent de Beauvais et les savants du XIIIe siècle à consulter ses livres de la Sainte-Chapelle, Charles V et ses successeurs ouvraient assez libéralement aux érudits de leur temps les portes des librairies du Louvre, de Blois et de Fontainebleau. La Bibliothèque, ramenée à Paris, ne fut pas moins accessible, mais l'entrée en resta subordonnée à des autorisations qui ne s'accordaient pas sans recommandations influentes. Les privilégiés obtenaient d'ailleurs le prêt des livres; nous avons vu que Brisson en avait emprunté un nombre assez considérable. Scaliger, en 1607, reçut communication, à Leyde, d'un manuscrit grec et, plus tard, Nicolas Heinsius, d'un Virgile commenté par Servius, qui ne revint en France qu'en 1797, après maintes réclamations. Au commencement du XVIIe siècle, on ne trouve que trois bibliothèques publiques en Europe: la bibliothèque Ambrosienne fondée, vers 1608, à Milan, par le cardinal Borromée; la bibliothèque Bodléienne ou de Bodley, ouverte à Oxford en 1612; et celle d'Angelo Rocca, dite bibliothèque Angélique, à Rome (1620). Les écrivains contemporains citaient ces fondations comme des exemples d'une magnificence et d'une générosité inouïes[33]. Les plus célèbres collections de France, celles des de Thou, de Richelieu, de Michel Le Masle, de Fouquet, de Colbert étaient mises à la disposition des savants; nous avons relevé les noms des plus illustres sur le registre de prêt de la Colbertine, mais ces communications gracieuses, comme celles faites à la Bibliothèque du roi, n'avaient pas le caractère de mesure générale qui constitue la vraie publicité. La première bibliothèque publique de France fut celle de Mazarin, qui, dès 1643, fut «commune à tous ceux qui y vouloient estudier», tous les jeudis, le matin de 8 à 11 heures et le soir, de 2 à 5 heures. C'était le temps où Grotius, dans une lettre souvent rappelée, s'engageait à employer son crédit à faire pénétrer Isaac Vossius dans la Bibliothèque du roi. La Mazarine fut dispersée pendant la Fronde; mais nous trouvons à la même époque l'ouverture d'une autre bibliothèque qui demeura publique jusqu'à la fin de la monarchie: celle de l'abbaye de Saint-Victor. Le conseiller au Parlement, Du Bouchet, légua, en 1652, sa riche collection à l'abbaye, sous la condition «que les gens d'estude eussent la liberté d'aller estudier en la bibliothèque de ladite abbaye trois jours de la semaine, trois heures le matin et quatre heures l'après-diné.» Et afin qu'elle fût entretenue et administrée dignement, le testateur affecta une rente de 370 livres à l'acquisition des publications nouvelles et une rente de 340 livres au traitement du religieux qui ferait fonction de bibliothécaire; il plaçait la donation sous la surveillance du Parlement qu'il priait de la faire visiter une fois l'an «et d'y porter aux religieux les plaintes que feroient les gens d'estude.» Chaque année, en effet, les membres du Parlement se rendirent à Saint-Victor et le bibliothécaire prononçait devant eux un discours latin sur l'utilité des bibliothèques publiques: cette bibliothèque s'accrut plus tard de la magnifique collection de cartes géographiques et d'estampes de Nicolas de Tralage et de la bibliothèque du président Cousin qui joignit à son legs le don d'une rente de 1,000 livres pour l'entretien, en renouvelant la condition de publicité imposée par Du Bouchet[34].
26. On espéra un moment, en 1692, que la Bibliothèque du roi suivrait cet exemple. L'abbé de Louvois avait résolu de l'ouvrir deux fois par semaine «à tous ceux qui voudroient y venir estudier.» Il fêta même l'inauguration en «régalant plusieurs sçavants d'un magnifique repas», mais diverses causes firent presque aussitôt fermer l'établissement et le repas offert aux savants fut le seul avantage que retirèrent alors les lettrés des bonnes intentions de l'abbé.
27. Deux autres bibliothèques de Paris devaient encore précéder celle du roi dans cette voie: celle de l'ordre des avocats au Parlement fondée par le legs de Gabriau de Riparfonds, l'un d'eux, installée dans une salle de l'archevêché, inaugurée en 1708, et celle de la congrégation de la Doctrine chrétienne. Le chancelier Voisin attribua à la première un exemplaire de tous les ouvrages imprimés avec privilège du roi, et les membres du parquet s'engagèrent à y faire remettre un exemplaire des mémoires et factums distribués à la cour. Le règlement de la bibliothèque des avocats, arrêté par une délibération du 18 janvier 1713, portait qu'elle serait publique tous les jours non fériés, depuis deux heures de l'après-midi[35]. Il semble impossible, à raison des nombreuses divergences sur ce point relevées par M. Franklin entre les écrivains du XVIIIe siècle[36], de démêler dans quelle mesure cette disposition fut appliquée. Ce qui est certain, c'est que les Pères de la Doctrine chrétienne ouvrirent, en 1718, leur bibliothèque, les mardis et vendredis; selon Germain Brice, ils auraient choisi ces jours «afin qu'il n'y en eût aucun dans la semaine qui manquât de bibliothèque»[37].
28. La Bibliothèque du roi ne pouvait rester plus longtemps en arrière. Un arrêt du Conseil, du 11 octobre 1720, prescrivit d'y admettre «tous les sçavants de toutes les nations, en tout temps, aux jours et heures qui seraient réglés par le bibliothécaire» et le public, une fois par semaine, de onze heures à une heure. Pour l'exécution de ce projet, on songeait alors à la transférer au Louvre; on a vu plus haut qu'elle fut peu après installée à l'hôtel de Nevers et les travaux d'aménagement retardèrent encore l'effet du récent arrêt. Ce fut seulement en 1735 que la Bibliothèque du roi devint publique; encore ne fût-elle ouverte que les mardis et vendredis matins, sauf pendant la période des vacances, du 8 septembre au 15 novembre et cette organisation, que l'Almanach royal mentionne pour la première fois en 1737, subsista jusqu'à la Révolution.
Plusieurs bibliothèques de Paris suivirent depuis ces exemples: ce sont, par ordre de dates, celles de l'église Sainte-Marguerite (1738), de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés (1745), de la Faculté de médecine (1746), de l'abbaye de Sainte-Geneviève (1759), de l'Hôtel de ville (1763) et de l'Université (1770). «Les gens du roi, dit l'Almanach royal, avaient inspection sur ces bibliothèques pour en faire observer les statuts et maintenir le bon ordre.»
29. Les principales villes des provinces n'étaient pas moins bien partagées que Paris en bibliothèques publiques. Les limites de notre cadre ne nous permettent pas de nous étendre sur leur histoire; il suffit de citer, comme exemples: la bibliothèque de Troyes, donnée, en 1651, par Jacques Hennequin, docteur de Sorbonne, au couvent des Frères mineurs, sous obligation de l'ouvrir, trois jours par semaine «à tous ceux qui désireraient y entrer, depuis midy jusques à soleil couchant», et qui, composée alors de 12,000 volumes imprimés, s'enrichit plus tard de la bibliothèque de Clairvaux, dans laquelle avait été incorporée la célèbre collection des Bouhier; la bibliothèque de Bonne-Nouvelle, fondée à Orléans, en 1714, par le professeur de droit Prousteau, également publique trois jours par semaine, et successivement accrue par les dons du trésorier de France Vaslin des Bréaux, du médecin Étienne Artérié, de l'illustre jurisconsulte Pothier[38]; la bibliothèque de Méjanes, à Aix, léguée à la Provence par le marquis de Méjanes, à la condition qu'elle serait installée à Aix et serait ouverte au public quatre fois au moins par semaine, mais qu'il n'en serait prêté aucun livre à qui que ce fût (1786). Elle contenait près de 100,000 volumes de tous genres.
30. Il serait aisé de multiplier les citations; elles suffisent à faire voir que la fondation de ces établissements était presque toujours due à des libéralités privées. Les bibliothèques publiques de France ne remontent pas au delà de la seconde moitié du XVIIe siècle, et la plupart datent du XVIIIe. Mais cet historique, quelque succinct qu'il soit, serait trop incomplet si nous ne rappelions les innombrables collections formées par les maisons religieuses, les municipalités et les particuliers. C'est avec leurs débris que la Révolution a constitué la majeure et la meilleure partie des dépôts publics modernes. De celles des municipalités on ne sait que fort peu de chose; M. L. Delisle, qui signale l'existence de quelques-unes à Poitiers, à Saint-Lô, à Rouen[39], estime, avec vraisemblance, que l'exploration des archives municipales en fera découvrir beaucoup d'autres. Quant aux cabinets des particuliers, nous les avons vus absorbés, soit par donations, legs ou ventes après décès, dans les bibliothèques du roi, de Mazarin, de Colbert, ou dans les bibliothèques des abbayes. Il faut parler de ces dernières: sans être accessibles à tous, elles furent, durant de longs siècles, généreusement mises à la disposition des travailleurs, auxquels elles tinrent lieu de bibliothèques publiques. On conçoit quelles vicissitudes, quelles alternatives de prospérité et de dénuement elles durent subir, à travers des périodes troublées par la guerre civile ou l'occupation étrangère, objets tantôt d'une sollicitude éclairée, tantôt d'une complète indifférence, selon l'érudition ou l'ignorance de leurs détenteurs. Dès le temps de Charlemagne, on en citait de remarquables: en 796, Alcuin quittait la cour impériale pour se retirer à l'abbaye de Saint-Martin de Tours et consacrer ses derniers jours à l'étude, au milieu d'une précieuse bibliothèque[40]. C'est surtout aux XIIe et XIIIe siècles, la grande époque de la vie religieuse et de la prospérité des ordres monastiques, que se fondent et se développent les collections des couvents et des collégiales. On y entretenait des copistes; parfois, comme à Saint-Martin-des-Champs, des fonds spéciaux étaient affectés à l'entretien de la bibliothèque. Les Chartreux de Grenoble, écrit Guibert de Nogent au XIIe siècle, «se soumettent à une étroite pauvreté et en même temps ils amassent une opulente bibliothèque.» Les collections les plus renommées ne comprenaient qu'un nombre assez restreint de volumes, l'exécution des manuscrits étant toujours longue et dispendieuse. D'après un catalogue méthodique de 1290, le plus ancien peut-être des documents de ce genre, le collège de Sorbonne possédait alors 1,017 volumes. Les livres de prix étaient posés sur des pupitres et attachés au mur par des chaînes assez longues pour qu'on pût les feuilleter sans les déplacer. Dès cette époque, cependant, on trouve l'usage du prêt fort répandu. «Je veux et je prescris, dit en son testament, du 28 octobre 1215, Étienne, archidiacre de Cantorbéry, que mes livres de théologie soient remis au chancelier de Notre-Dame de Paris, lequel, dans une intention pieuse, les prêtera aux écoliers pauvres étudiant la théologie à Paris, qui manqueraient des livres nécessaires à leurs travaux; je veux que le chancelier en exercice réclame ces livres à la fin de chaque année et, les ayant recouvrés, les prête de nouveau, pour l'année suivante, aux écoliers pauvres qui lui sembleront en avoir besoin.» A la fin du siècle, Pierre de Joigny lègue sa bibliothèque non plus à l'église, mais aux étudiants eux-mêmes, à charge pour le chancelier d'en être le dépositaire. Généralement, le prêt était subordonné à des garanties sérieuses. Un règlement du collège de Sorbonne, arrêté en 1321, l'autorise non seulement pour les socii du collège, mais pour les étrangers, sous serment de restitution; il exige toutefois un gage supérieur à la valeur du volume et d'une conservation facile, soit en or, soit en argent, soit même un autre livre. D'après un règlement postérieur, des amendes étaient infligées aux docteurs pour retards dans la restitution des livres. Ailleurs, les prêts étaient faits pour une durée illimitée et n'avaient d'autre terme que le décès de l'emprunteur. C'est ainsi que, par acte du 25 janvier 1411, l'évêque de Senlis, Pierre Plaru, emprunta dix-huit manuscrits à la bibliothèque du collège des Cholets, promettant sur l'honneur et sous la garantie de tous ses biens présents et futurs que ces ouvrages y seraient réintégrés, soit par lui, soit par ses exécuteurs testamentaires ou héritiers. Ils le furent effectivement après sa mort; quoiqu'il en manquât un, les délégués du collège donnèrent décharge aux héritiers et, sans indemnité, se «déclarèrent quittes et contents». Le rang n'était pas toujours le meilleur titre pour obtenir le prêt d'un livre. Louis XI ayant demandé communication des œuvres de Rhasès, dont la Faculté de médecine possédait le seul exemplaire complet connu alors, faillit essuyer un refus. Les docteurs craignaient qu'un volume tombé aux mains du roi ne fût d'un recouvrement difficile; après de longues hésitations, ils satisfirent au désir royal, mais exigèrent en caution douze marcs de vaisselle d'argent et un billet de 100 écus d'or, qu'un riche bourgeois consentit à souscrire pour Louis XI. Le président Jean de la Driesche, chargé de négocier l'emprunt, dut signer l'acte d'obligation dressé par notaires[41].
31. Dans un certain nombre de maisons, on ne pouvait consulter les livres que sur place. Un ancien règlement du collège des Bernardins nous en fournit la preuve: «Que personne, y est-il dit, quels que soient son état, son office et son grade, n'ose emporter un livre hors de la bibliothèque, ni pour lui ni pour autrui, ni dans le collège ni au dehors, sauf pour la cause unique de réparation, sous les peines les plus sévères. Nous interdisons le vin au proviseur et au sous-prieur aussi longtemps qu'un livre demeurera absent de la bibliothèque pour un autre motif[42].» Les étrangers étaient cependant admis dans cette bibliothèque, et, sous peine de se voir retirer la clef, celui qui les avait introduits y devait rester constamment avec eux. Parfois, la défense d'emporter les livres était garantie par une peine beaucoup plus rigoureuse que l'interdiction du vin, par l'excommunication. C'était le cas à la Sainte-Chapelle de Bourges, dont les manuscrits étaient célèbres. En 1508, le cardinal d'Amboise obtint cependant du chapitre le prêt d'un commentaire de Saint-Hilaire, qu'il fit copier, et, en restituant le volume, il usa de sa qualité de légat pour relever les chanoines des censures que son emprunt leur avait fait encourir. Ailleurs, chez les Carmes de la place Maubert, on rencontre un exemple de communication payée: en 1374, leur bedeau loua, moyennant 4 livres, une copie des commentaires de Henri Bohic sur les Décrétales.
32. M. Franklin, si autorisé en la matière, a cru pouvoir affirmer d'une façon générale qu'aux XIIIe et XIVe siècles toutes les bibliothèques étaient publiques, non dans notre acception contemporaine «avec cette facilité déplorable qui a transformé en cabinets de lecture ou en banals chauffoirs nos grandes collections bibliographiques, mais ouvertes à tous les travailleurs sérieux». Soit que les précautions exigées fussent insuffisantes ou les règlements mal observés, les abus étaient fréquents. Aussi, dans le XVIe siècle, les prêts deviennent-ils d'autant plus rares que les bibliothèques sont mieux administrées; l'invention et les progrès de l'imprimerie, en multipliant les instruments de travail, les rendaient d'ailleurs infiniment moins nécessaires. Vers cette époque, la plupart des bibliothèques ecclésiastiques étaient fort déchues de leur ancienne prospérité: elles se relevèrent durant les deux siècles suivants. On en comptait beaucoup et de considérables à la veille de la Révolution. Les deux plus considérables étaient celles de la Sorbonne et de Saint-Germain-des-Prés. La première datait presque de la fondation du collège, au XIIIe siècle; après un long procès intenté par la Sorbonne à la duchesse d'Aiguillon, en exécution du testament de Richelieu, elle obtint intégralement la magnifique bibliothèque du cardinal[43]. Les socii, seuls admis au prêt, avaient droit d'introduire des étrangers dans la bibliothèque pour quelque recherche, «ce qui doit avoir lieu rarement,» ajoutait le règlement de 1677. La Sorbonne possédait, en 1790, 28,000 volumes imprimés et 2,200 manuscrits; ceux-là furent dispersés, à la fin de 1795, et répartis entre les bibliothèques publiques, ceux-ci entrèrent presque tous à la Bibliothèque nationale. L'abbaye de Saint-Germain-des-Prés n'avait rien à envier à la Sorbonne. Sa bibliothèque passait pour la plus considérable de Paris après celle du roi. Réorganisée au XVIe siècle, après la réforme de Guillaume Briçonnet, elle avait reçu en don: de Jean d'Estrées, une précieuse collection relative à l'histoire de France; de Baudrand, un cabinet géographique sans rival; d'Eusèbe Renaudot, des manuscrits grecs, latins et orientaux; du duc de Coislin, les manuscrits de la bibliothèque des Séguier. En 1744, le cardinal de Gesvres lui légua tous ses livres, en imposant aux Bénédictins l'obligation de l'ouvrir au public un jour par semaine; enfin, l'ancien garde des sceaux Chauvelin lui fit présent des manuscrits de la famille de Harlay, l'une des collections les plus justement estimées. Elle avait eu le rare honneur d'être administrée par une série d'érudits illustres, d'Achery, Montfaucon, Denis de Sainte-Marthe, Bouquet, et conservait les matériaux accumulés par la congrégation de Saint-Maur pour la préparation des grands recueils qu'elle a consacrés, selon le plan de dom Maur Audren de Kerdrel, «à l'illustration et à la gloire de la France.» «Quoiqu'elle ne soit pas absolument à l'usage du public, écrivait Durey de Noinville en 1758, elle est aussi fréquentée qu'aucune autre par le libre accès que les gens de lettres y trouvent[44].» De fait, elle était ouverte tous les jours, de neuf à onze heures le matin, de deux à cinq heures dans l'après-midi; pendant les vacances même on y pouvait travailler le matin. Elle fut une des seules bibliothèques ecclésiastiques épargnées par la confiscation[45]: elle demeura même sous la garde de son savant bibliothécaire, dom Poirier, jusqu'au 19 août 1794, époque à laquelle elle fut détruite par un incendie; on avait eu l'imprudence d'établir au-dessous un magasin de salpêtre. Elle contenait alors 49,387 imprimés et 9,000 manuscrits; on ne sauva que ces derniers, qui furent déposés à la Bibliothèque nationale.
Les bibliothèques des Jésuites avaient été vendues aux enchères en 1763, peu après le bannissement des Pères. L'une, celle du collège Louis-le-Grand (ancien collège de Clermont), s'élevait à 50,000 volumes; elle en avait reçu 20,000, en 1717, du seul legs d'Achille IV de Harlay: la vente de ces ouvrages, dont une notable portion fut rachetée par l'Université, produisit 111,037 livres; celle des médailles et curiosités, 10,691 livres[46]. La seconde bibliothèque des Jésuites était établie dans leur maison professe de la rue Saint-Antoine; enrichie des legs de Ménage et de Daniel Huet, dont la collection n'était pas moins remarquable par le choix que par le nombre, elle dépassait 30,000 volumes et subit le sort de la précédente.
33. Il suffira, pour donner une idée des richesses bibliographiques accumulées dans les seules maisons religieuses de Paris, de citer, d'après les inventaires dressés de 1789 à 1791, celles dont les bibliothèques atteignaient au moins 10,000 volumes: les Théatins (10,000); les Carmes de la place Maubert (10,000); les Petits-Augustins (10,700); les Pénitents de Picpus (12,000); les Célestins (13,300); le noviciat des Jacobins (14,000); les Barnabites (15,300); les Feuillants (16,300); les Minimes (18,000); les Carmes déchaussés (18,200); les Grands-Augustins (18,600); le séminaire des Missions étrangères (20,000); les Pères de la Doctrine chrétienne (20,000); les Lazaristes (20,000); les Capucins (20,200); les Récollets (30,000); le séminaire de Saint-Sulpice (30,000); Saint-Victor (31,200); les Jacobins de la rue Saint-Honoré (32,000); l'Oratoire (38,000); les Petits-Pères (43,000)[47]. L'ensemble des petites collections des maisons moins importantes faisait plus que doubler le total de tous ces chiffres.
34. Les écrivains du XVIIIe siècle sont unanimes à constater que ces bibliothèques étaient encore publiques de fait; elles appartenaient néanmoins à autant d'établissements privés. Par son décret du 2 novembre 1789, qui mit les biens du clergé «à la disposition de la nation», l'Assemblée constituante les transforma en propriétés publiques. Leur administration ne fut pas moins profondément modifiée. Il fallait d'abord procéder à un inventaire succinct des richesses bibliographiques confisquées. Les monastères et chapitres reçurent l'ordre de déposer aux greffes des sièges royaux ou des municipalités les plus voisines des états et catalogues des livres de leurs bibliothèques, avec désignation spéciale des manuscrits; ils devaient, et la précaution n'était pas superflue, certifier ces états, se constituer gardiens des collections et affirmer qu'à leur connaissance il n'en avait rien été détourné[48]. C'était exiger beaucoup des détenteurs que l'on dépouillait; il ne faut pas s'étonner de ce qu'ils aient apporté peu d'empressement à fournir les renseignements demandés. On dut bientôt, pour suppléer à l'insuffisance de leurs déclarations, charger les officiers municipaux de dresser, sur papier libre et sans frais, en présence des religieux «un état et description sommaire» de tous les objets précieux, notamment des bibliothèques, livres, manuscrits et médailles[49]. L'opération fut ensuite confiée aux directoires de district ou à leurs préposés, sur l'ordre des directoires de département: là où il existait un catalogue antérieur, on se contentait d'un récolement; les livres et objets à conserver devaient être séparés de ceux «dans le cas d'être vendus»[50].
35. Le 16 octobre 1790, la Constituante désigna trois membres du comité ecclésiastique et trois membres du comité d'aliénation des biens nationaux pour délibérer, sous le nom de comités-réunis, sur toutes les questions relatives au mobilier ecclésiastique, plus particulièrement aux «bibliothèques et monuments des arts». Les comités-réunis siégeaient deux fois par semaine. Conformément à un vœu de l'Assemblée qui recommandait à la municipalité parisienne de s'adjoindre pour la surveillance des dépôts de livres des membres choisis dans les diverses académies[51], ils proposèrent la formation d'une commission de savants composée d'abord de 13, puis de 18 membres, qui se réunirent au palais des Quatre-Nations, dont elle reçut le nom. Le comité des Quatre-Nations inaugura ses séances le 3 novembre suivant; il rédigea le plus souvent les instructions ou inspira les résolutions des comités-réunis. On avait dès lors en vue de fonder à Paris et sur tous les points du territoire, à l'aide des livres confisqués, de grandes bibliothèques destinées à l'instruction populaire. Mais, avant de procéder à une répartition, on rêvait de dresser une bibliographie générale embrassant tous les dépôts, et les comités poursuivirent ce but avec une activité digne d'un meilleur succès. L'Assemblée avait décrété la confection des catalogues: les comités-réunis envoyèrent aux administrations de district une série d'instructions détaillées et fort bien conçues, sur les précautions à prendre pour la conservation des volumes, sur la manière de les inventorier, de rédiger les cartes indicatives et les catalogues, tant pour les manuscrits que pour les imprimés[52]. Les cartes devaient être envoyées à Paris, au siège des comités, «dans des boîtes bien garnies de toile cirée en dedans et en dehors;» elles permettraient aux comités d'apprécier la valeur des livres et d'arrêter les bases d'une répartition équitable entre les départements. En dépit de ces dispositions, la plupart des municipalités et des directoires de district s'abstinrent d'envoyer aucuns catalogues; beaucoup même de ceux que l'on reçut étaient mal dressés ou incomplets.
36. Le comité des Quatre-Nations avait bien mérité les remerciements que lui vota la Constituante avant de se séparer; il n'était pas en son pouvoir d'assurer l'exécution de ses conseils. Sous l'Assemblée législative, il fut absorbé dans la «commission des monuments». On enjoignit encore aux administrateurs de district de faire continuer sans interruption les travaux ordonnés pour l'établissement des catalogues et cartes indicatives des bibliothèques provenant des maisons religieuses et autres corps supprimés; les directoires de département furent autorisés à leur «allouer économiquement les états des frais et à délivrer des ordonnances du montant sur les receveurs de district»[53]. En même temps, la mise «sous la main de la nation» des biens des émigrés ajoutait d'immenses et de fort belles collections de livres aux bibliothèques ecclésiastiques[54]; c'étaient celles des plus grandes familles de France, des Noailles, des La Rochefoucault, des Broglie, des Grammont, des Vergennes, des La Trémoille, des Rohan, des Breteuil, etc. Ordre fut donné de les inventorier pareillement, puis de les mettre en vente au profit de la nation, confiscations et ventes que l'article 375 de la Constitution de l'an III et l'article 93 de la Constitution de l'an VIII rendirent depuis irrévocables[55]; cependant, sur d'intelligentes réclamations, émanées de la commission des monuments, il fut interdit aux municipalités de vendre leurs livres au poids[56].
37. La Convention elle-même ne put faire réaliser la grande œuvre bibliographique projetée par la Constituante[57]. La multiplicité des décrets témoigne plus de l'activité que de l'esprit d'organisation des assemblées révolutionnaires. Au lieu d'exiger l'exécution des mesures inutilement réitérées, on voulut ouvrir de suite des bibliothèques publiques. Le décret du 8 pluviôse an II (27 janvier 1794) prescrivit aux administrations de district de nommer des commissaires pris hors de leur sein, qui, dans un délai de quatre mois, achèveraient le récolement des inventaires des livres, manuscrits, estampes, cartes, qu'elles avaient dû faire dresser; d'en envoyer une copie au département, une autre au comité d'instruction publique; de proposer, parmi les édifices nationaux situés dans leur arrondissement, un emplacement convenable pour y établir une bibliothèque, avec devis estimatif de la dépense nécessaire. Il n'était rien innové aux bibliothèques des grandes communes, déjà publiques; elles devaient seulement fournir l'inventaire de leurs collections. Le comité de l'instruction était invité à présenter à la Convention un projet de décret sur la formation d'une commission temporaire à laquelle serait confiée la révision du travail effectué dans les districts; elle prononcerait définitivement sur l'opportunité de la conservation des livres dans leur dépôt actuel, de leur translation dans un autre, de leur aliénation ou suppression, toute vente de «monuments instructifs» provenant des émigrés étant suspendue[58]. Aussitôt après que la composition de chaque bibliothèque aurait été déterminée, il en serait formé un catalogue «exponible aux yeux du public», dont copie serait déposée au district et au comité d'instruction. Enfin, l'entretien des bâtiments serait mis à la charge du Trésor, l'administration et la police réglementaire étant attribuées aux municipalités, sous la surveillance des administrations de district.
38. La «commission temporaire des arts», composée de 51 membres, s'appliqua vainement à mettre ces dispositions en vigueur. Comprenant que le succès restait subordonné au concours des autorités locales, elle établit entre le comité de l'instruction et les directoires une correspondance active pour stimuler le zèle des employés des districts, elle envoya dans tous les départements des instructions sur la manière de classer et d'inventorier, renouvelées de celles des années précédentes, avec d'utiles additions relatives aux livres et manuscrits en patois et en langues orientales[59]. Ses efforts demeurèrent stériles; le décret du 8 pluviôse ne fut nulle part appliqué.
Par contre, on avait exécuté avec une désolante rigueur les ordres de destruction des titres généalogiques et des «signes extérieurs de la féodalité»[60]. On ne se bornait pas à faire disparaître les vestiges d'un régime odieux; des soustractions considérables, des dégradations furent commises. La Convention, sur la proposition de Romme, président du comité d'instruction, dut interdire la destruction ou l'altération, sous ce prétexte, des imprimés, manuscrits, gravures, médailles, etc., intéressant l'histoire, les arts et l'instruction[61]; elle crut faire plus encore en recommandant les bibliothèques «à la surveillance de tous les bons citoyens», qu'elle invitait à dénoncer les coupables; elle déclara ceux-ci passibles de la peine de deux ans de détention[62]; mais, trop souvent, les coupables n'étaient autres que les «bons citoyens» ou ceux réputés tels. L'un d'eux n'avait-il pas proposé, à la tribune de la Convention, de brûler la Bibliothèque nationale «parce qu'elle avait été souillée du nom de Bibliothèque du roi»! Sans s'arrêter à cette motion radicale, sur le rapport de l'abbé Grégoire, la Convention décida de rendre les agents nationaux et les administrateurs de district individuellement et collectivement responsables des destructions commises dans leurs arrondissements respectifs, quand ils ne pourraient justifier de leur impossibilité réelle à les empêcher[63]. On a vu que la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés fut presque anéantie par le feu, le 19 août 1794, l'incendie étant dû à la dangereuse proximité d'un magasin de salpêtre. Pour éviter le retour d'un semblable malheur, la Convention interdit d'installer aucun atelier d'armes, de salpêtre, aucun magasin de fourrages et autres matières combustibles dans les bâtiments occupés par des bibliothèques, muséums ou cabinets d'histoire naturelle, dût-on, au besoin, déplacer celui des établissements dont la translation serait la moins dispendieuse[64].
39. A Paris, où le personnel compétent ne faisait pas défaut, les travaux de bibliographie s'étaient accomplis avec quelque régularité. La municipalité pour la ville, le département pour son territoire, avaient confié au bibliothécaire de l'Hôtel de ville, Ameilhon, le soin de centraliser et de classer les collections provenant des maisons ecclésiastiques. Ameilhon y apporta un remarquable esprit d'ordre. Il obtint d'abord la création de trois grands dépôts: aux Capucins de la rue Saint-Honoré, à Saint-Louis-la-Culture, l'ancienne église de la maison professe des Jésuites, et aux Petits-Augustins, ce dernier transféré plus tard à la Pitié. Il y réunit une partie des bibliothèques confisquées, dont il entreprit et avança rapidement le catalogue. Le rapport présenté à la Constituante par les comités-réunis, dans la séance du 30 septembre 1791, accuse les chiffres suivants: 162 maisons religieuses établies à Paris possédaient ensemble, d'après leurs déclarations mêmes, 808,000 volumes; le travail des cartes était achevé pour les 25 bibliothèques principales, soit sur 439,348 volumes; il en restait encore 490,000 et l'on espérait en avoir terminé l'inventaire pour le 31 décembre[65]. Mais cette activité se ralentit beaucoup après la dissolution des comités-réunis. D'autre part, la saisie des bibliothèques des émigrés et condamnés doubla le nombre des ouvrages à classer. Les anciens locaux étaient absolument insuffisants. L'un des premiers actes de la commission temporaire des arts, instituée en l'an II, fut de provoquer l'ouverture à Paris de huit grands «dépôts littéraires». Ils furent placés: 1o à Saint-Louis-la-Culture, rue Saint-Antoine; 2o à la maison des Capucins, rue Saint-Honoré (emplacement actuel de la rue Castiglione et de l'Hôtel continental); 3o aux élèves de la Patrie ou la Pitié, aujourd'hui l'hôpital de ce nom; 4o au couvent des Cordeliers, rue de l'École-de-Médecine; 5o à l'hôtel de Juigné, rue de Thorigny, depuis l'École centrale; 6o rue de Lille; 7o rue Saint-Marc, à l'hôtel de Montmorency-Luxembourg (emplacement actuel du passage des Panoramas); 8o à la Franciade, abbaye de Saint-Denis, pour les livres confisqués dans les districts situés hors Paris[66]. L'année suivante, au mois de frimaire, on y adjoignit un neuvième dépôt, à l'Arsenal. Il faut encore ajouter à cette nomenclature la maison Anisson, rue des Orties, spécialement réservée aux manuscrits, et le dépôt de Versailles, formé par la commission des arts de Seine-et-Oise, qui finit par se confondre avec ceux de Paris; il contenait les bibliothèques du roi et de la famille royale à Versailles, Trianon et Meudon. Tous ces dépôts furent mis sous la surveillance immédiate de la commission temporaire des arts, et, depuis la Convention jusqu'à l'an IX, sous le contrôle du «conseil de conservation des arts» établi près le ministère de l'intérieur[67]. Chacun d'eux fut administré par un conservateur spécial, choisi par le comité d'instruction publique[68]. Le plus considérable, celui de Louis-la-Culture, fut attribué à Ameilhon; il renfermait 600,000 volumes.
40. Ainsi se trouvèrent centralisés 1,800,000 volumes pris dans 1,100 bibliothèques ecclésiastiques ou laïques. Le personnel des dépôts fut très variable, selon les besoins, mais généralement nombreux. Le traitement des conservateurs, fixé par un arrêté du comité d'instruction à 4,800 livres[69], fut successivement porté à 6,000 livres, puis au double[70]. La dépréciation du papier-monnaie rendait ces chiffres assez illusoires; en fait, la situation des fonctionnaires était précaire, au point que le ministre de l'intérieur dut attribuer à ceux qui ne recevaient pas la ration militaire une compensation de première nécessité, c'est-à-dire une livre de pain par jour pour eux-mêmes et une demi-livre pour leur femme et chacun de leurs enfants[71].
41. Les dépôts littéraires n'en furent pas administrés avec moins de zèle. Les bibliothèques confisquées y restaient séparées les unes des autres, les livres étaient étiquetés au nom de leurs anciens propriétaires[72]. On eût dit que les organisateurs, peu confiants dans la durée de leur œuvre, prévoyaient l'éventualité de restitutions ultérieures. Effectivement, la Convention ne tarda pas à reconnaître l'abus des lois révolutionnaires, en même temps que l'impossibilité de distinguer par des révisions les innocents des coupables; tout en maintenant le principe de la confiscation des biens, à l'égard des Bourbons, des conspirateurs, des émigrés, des fabricateurs d'assignats, elle décréta la restitution aux ayants droit des biens des condamnés révolutionnairement depuis le 10 mars 1793, et de ceux qui obtiendraient la radiation de leurs noms sur la liste des émigrés[73]. En ce qui concernait les bibliothèques, cette opération devait soulever de sérieuses difficultés. L'une des principales consistait dans l'appréciation des réclamations qui n'étaient pas toujours fondées, et elle s'accrut avec les années, les bibliothèques publiques ayant été admises à puiser dans les dépôts le complément de leurs collections. Le ministre de l'intérieur, François de Neufchâteau, décida que les «réclamants choisiraient un équivalent» dans les dépôts, parmi les livres inutiles aux écoles, lorsqu'on n'y trouverait plus ceux revendiqués par les familles. Chaptal défendit ensuite de restituer aucun volume qui ne portât le nom ou les armes de son ancien propriétaire. Plus tard enfin, sous la Restauration, longtemps après la suppression des dépôts littéraires, les réclamations se reproduisirent en grand nombre; il eût fallu, pour y satisfaire, se livrer à des recherches presque impossibles dans les établissements publics, dont plusieurs en eussent été désorganisés: aussi résolut-on, sur le conseil de Barbier, le savant conservateur des bibliothèques de la couronne, de donner en dédommagement aux intéressés les grands ouvrages publiés par les soins du gouvernement.
42. Les restitutions ne portèrent que sur une fraction relativement restreinte des dépôts littéraires. Dès l'origine des confiscations, on s'était promis de procéder à une répartition générale des livres saisis entre les bibliothèques. Les employés chargés des inventaires avaient reçu mission de faire un triage préliminaire, en trois classes: 1o à conserver; 2o à vendre ou échanger; 3o à vendre à l'encan ou au poids, ou à livrer au service de l'artillerie[74]. Ces classes furent réduites à deux, en l'an IX: 1o les livres utiles; 2o les livres inutiles à l'instruction publique[75]; et, en l'an XIII, une commission spéciale fut chargée de faire quatre parts des ouvrages restants: une pour la Bibliothèque nationale; une pour les évêchés et séminaires; une pour le ministère de l'intérieur; une pour la vente publique[76].
On n'avait pas attendu la fin de ces classements pour disposer de l'immense majorité des volumes. En reconstituant par un décret organique[77] le Muséum d'histoire naturelle, la Convention lui attribua les doubles des ouvrages d'histoire naturelle possédés par la Bibliothèque nationale; elle autorisa aussi deux professeurs, Jussieu et Desfontaines, assistés de deux commissaires du comité d'instruction, Grégoire et Arbogast, à recueillir dans les bibliothèques des couvents les livres d'anatomie, de chimie, d'histoire naturelle et de voyages, ce qui se fit en présence d'Ameilhon, «commissaire du département aux bibliothèques nationales.» L'année suivante, Van Praët et Capperonnier, gardes du département des imprimés de la Bibliothèque nationale, furent admis à explorer les dépôts littéraires, avec faculté d'en retirer pour cet établissement tout ce qui pourrait enrichir ses collections[78]. L'article 12 de la loi du 7 messidor an II, organique des Archives, lui assura la possession exclusive des manuscrits retirés des dépôts de titres ou des cabinets des émigrés[79]. La Bibliothèque reçut aussi le privilège de pouvoir acquérir de particuliers des manuscrits, en les payant par voie d'échange avec des livres tirés des dépôts. On n'évalue pas à moins de 300,000 le nombre des volumes que Van Praët y puisa, mais la qualité des choix ne répondit pas à ce qu'on pouvait attendre de sa compétence. Cependant, tant que subsistèrent les dépôts littéraires, la Bibliothèque nationale eut dans les répartitions un droit de préférence: il fut même interdit de délivrer des ouvrages aux établissements spéciaux sans que l'administrateur de la Bibliothèque eût certifié à la suite du catalogue de leurs demandes qu'elle possédait tous ceux y mentionnés[80].
43. La faculté accordée à la Bibliothèque nationale fut bientôt étendue à toutes les bibliothèques publiques. Le décret du 8 pluviôse an II, portant création de bibliothèques de district, était resté lettre morte; celui du 7 pluviôse an III, attribuant une bibliothèque à chaque «école centrale» ou lycée, n'avait reçu, sous ce rapport, qu'un commencement d'exécution. Dans la séance du 23 frimaire an IV, Grégoire s'en plaignait au Conseil des Cinq-Cents: «Six millions de volumes en province, dit-il, seize cent mille à Paris se détériorent. Il s'agit de distribuer ces richesses. On a proposé une bibliothèque dans chaque chef-lieu de district: c'eût été beaucoup; il y a des districts où elles fussent restées désertes. On a demandé une bibliothèque pour chaque école centrale. C'est peut-être trop peu. Mais il faut prendre un parti.» On prit celui de s'en remettre à l'Institut[81]. Une commission de neuf membres fut saisie de la question et déposa son rapport le 5 floréal. Elle concluait à tout garder dans les départements et à ne laisser vendre à Paris que les livres dont les bibliothèques nationales étaient suffisamment pourvues; elle conseillait d'admettre les administrateurs des grandes bibliothèques à prendre dans les dépôts un exemplaire des ouvrages qui leur manquaient, un seul, même dans le cas où les éditions successives différaient. La loi du 26 fructidor an V (27 septembre 1797) mit en application les principales propositions de l'Institut; toutefois, elle autorisa la vente ou l'échange dans les départements des livres du genre de ceux qu'il était d'avis de vendre à Paris, c'est-à-dire des livres de théologie, et permit d'accorder aux bibliothèques des départements plusieurs éditions d'un même ouvrage, lorsqu'elles seraient assez différentes pour ne pouvoir suppléer l'une à l'autre. Des catalogues sommaires de ces ouvrages seraient publiés pour le département de la Seine et envoyés aux administrations centrales auxquelles elles serviraient à dresser des états analogues; le Directoire déterminerait le mode de la vente ou de l'échange: ajoutons que le catalogue-type ne fut jamais établi.
44. Les dépôts des départements furent versés dans les bibliothèques publiques déjà existantes ou dans celles des écoles centrales. Ceux de Paris furent ouverts d'abord aux administrateurs des grandes bibliothèques. Le Blond y puisa 50,000 volumes pour la Mazarine; Ameilhon, devenu conservateur de l'Arsenal depuis que la bibliothèque de la Ville avait été attribuée à l'Institut, près de 30,000, d'autant mieux choisis qu'il connaissait à merveille les dépôts longtemps confiés à sa garde[82]; un arrêté spécial fit remettre à l'Arsenal les papiers de la Bastille[83]. Puis on autorisa les administrations et établissements publics, susceptibles d'avoir une bibliothèque, à la composer à l'aide des dépôts, sous la réserve qu'il ne leur serait donné aucun livre qui ne traitât des matières relatives à leur objet[84]. Tous les corps et écoles de l'État se servirent copieusement sans tenir grand compte de cette restriction. Ce furent: les bibliothèques politiques du Directoire, du Corps législatif, du Sénat, des Consuls, du Tribunal, du Conseil d'État; les bibliothèques administratives des ministères, du Tribunal de cassation, de la Cour des comptes, des Légations, du Dépôt des cartes; les bibliothèques scientifiques ou littéraires de l'Institut[85], du Muséum, du Conservatoire des arts et métiers, des écoles polytechnique, des ponts et chaussées, de médecine; les bibliothèques militaires du Dépôt de la guerre, du Dépôt central de l'artillerie, des écoles du génie, de Saint-Cyr, de Fontainebleau, de Châlons, des Pages, des Invalides et des hospices militaires. Les bibliothèques des écoles centrales, déjà formées à l'aide des dépôts des départements, reçurent de ceux de Paris des envois considérables, auxquels plus de cinquante départements participèrent. Les directeurs adressaient au ministère de l'intérieur le catalogue de leurs demandes sur lequel le conseil de conservation des arts était appelé à statuer[86]. Après la restauration du culte catholique, l'archevêché de Paris et quelques évêchés obtinrent pour eux ou leurs séminaires d'assez importantes concessions de livres; de même, la faculté de théologie protestante de Montauban, en 1810. Malheureusement, la plupart des répartitions furent trop hâtives. Les continuels déplacements de livres avaient introduit dans les dépôts un désordre inexprimable. On n'avait ni le temps, ni le souci de pourvoir aux besoins réels, aux intérêts des localités ou des administrations concessionnaires. Les confusions, les erreurs, les doubles emplois furent fréquents et la composition des bibliothèques ainsi dotées fut généralement défectueuse.
45. En dehors de ces attributions à des établissements publics, il faut signaler de nombreuses libéralités faites aux savants pour leurs travaux ou quelquefois dans les conditions les plus bizarres, comme le don d'un Buffon en trente-trois volumes, remis le 19 nivôse an VI «au citoyen Cosme, en échange des pistolets gagnés par lui dans la course à pied de la fête de la fondation de la République.» Plus souvent, le gouvernement souscrivait à un certain nombre d'exemplaires d'un ouvrage ou achetait à un libraire des livres qu'il payait par échange avec ceux des dépôts littéraires, et ces derniers étaient prisés au poids. C'est ainsi que le conservateur de Louis-la-Culture aliéna, en l'an V, à raison de 7 ou 8 francs le quintal, 162,650 livres pesant de volumes; une autre fois, un libraire en reçut, pour payement de 100 exemplaires de la Phytologie universelle, au prix de 70 francs l'un, 83,160 livres pesant. De tels chiffres donnent une idée de l'étendue des pertes occasionnées par ces sortes de marchés qui n'étaient pas rares. Encore est-il permis de dire que la plupart des volumes vendus à si vil prix entraient dans la circulation publique et n'étaient pas perdus pour l'étude. Mais cette compensation n'existait pas pour les collections qui furent sacrifiées aux besoins du temps. En l'an VII, les dépôts fournirent au Conservatoire des arts et métiers des livres qu'on affecta à la fabrication de cylindres de papier[87]; les 5 frimaire et 4 nivôse an VII, on enleva de Louis-la-Culture 6,234 volumes in-folio «de dévotion, pour le service de l'artillerie»; la confection des cartouches, à cette époque, n'absorba pas moins de 15,000 volumes in-folio. On pense bien que le triage des volumes était des plus sommaires, et il n'est pas douteux que parmi ces ouvrages «de dévotion» s'en glissaient beaucoup d'autres de jurisprudence et d'histoire ecclésiastique ou civile.
Par suite des concessions, échanges et ventes, les dépôts littéraires perdirent promptement de leur importance; la raison d'économie s'y ajoutant, on les avait réduits à deux, ceux de Louis-la-Culture et des Cordeliers[88]; puis, en 1801, à un seul, celui des Cordeliers[89]; le déménagement du premier, qui contenait 400,000 volumes, demanda beaucoup de temps, car les clefs de l'église Saint-Louis rendue au culte ne furent remises à l'archevêque de Paris que le 7 janvier 1803. Le dépôt des Cordeliers fut lui-même réuni bientôt au ministère de l'intérieur et installé au premier étage de l'hôtel Chabrillant qui en dépendait[90]. C'est là que se continuèrent les recherches et les prélèvements des établissements publics. Enfin, le 8 mai 1811, M. de Montalivet, ministre de l'intérieur, transféra à la bibliothèque de l'Arsenal le résidu du dépôt Chabrillant, avec ses archives, ses catalogues et son personnel. Les dépôts littéraires, sous des formes diverses, avaient duré plus de vingt ans. Les travaux bibliographiques, exécutés sous les ordres d'Ameilhon, les cartes indicatives envoyées des départements n'avaient rendu aucun service; ils encombrent encore les greniers de l'Arsenal et l'on n'en pourrait guère tirer que des collections d'anciennes cartes à jouer[91].
46. Revenons à la Bibliothèque nationale dont nous avons interrompu l'histoire pour exposer avec quelque suite l'influence de la Révolution sur la fondation des bibliothèques publiques modernes. Cette période avait été fructueuse pour elle, quoique l'assemblée constituante eût réduit de 169,000 à 110,000 livres le budget de ses dépenses[92]. Il est vrai que, dès l'année suivante, elle mettait à la disposition du ministre de l'intérieur une somme de 100,000 livres pour acquisitions d'ouvrages imprimés et de manuscrits destinés à la Bibliothèque[93]. Mais ce n'est pas par voie d'achat que la Bibliothèque s'accrut surtout alors. Un décret du 14 août 1790 lui attribua la Bibliothèque de législation, administration, histoire et droit public, sur laquelle quelques détails sont nécessaires. En 1759, Louis XV avait ordonné la formation d'un «dépôt de législation» où seraient centralisées toutes les lois relatives aux diverses branches de l'administration publique: installé primitivement à Versailles, transféré en 1760 au contrôle général, duquel il relevait, il avait été réuni en 1764 à la Bibliothèque du roi. Deux ans auparavant, le ministre Berlin avait complété cette institution par la création d'un cabinet des chartes «dépôt central des inventaires détaillés des archives qui appartenaient au roi et des copies de toutes les pièces importantes que renfermaient les archives particulières»[94]. Il fut placé sous la direction du savant historiographe Moreau. Pour l'aider à réaliser cette œuvre, d'illustres érudits, Secousse, Sainte-Palaye, Bréquigny travaillèrent à dresser des tables chronologiques de toutes les chartes imprimées relatives à la France, publication interrompue par la Révolution et qui, depuis, a été reprise par l'Académie des inscriptions. Ce catalogue dispensait les collaborateurs de Moreau dans les provinces, le plus souvent des bénédictins de Saint-Maur ou de Saint-Vanne, de transcrire dans les dépôts qu'ils exploraient les chartes dont on signalait une édition satisfaisante: de 1764 à 1789, ils envoyèrent à Moreau près de 40,000 copies, classées aujourd'hui par ordre chronologique[95]. Bréquigny, La Porte du Theil, d'Esnans furent chargés de recueillir en Angleterre, à Rome, dans les Pays-Bas, les copies des pièces qui rentraient dans le cadre du cabinet des chartes. Moreau fit aussi dépouiller les principaux cartulaires de la Bibliothèque du roi et commencer la transcription intégrale des plus anciens registres du Parlement. Le cabinet des chartes s'enrichit aussi, en 1772, des manuscrits de Courchetet d'Esnans relatifs à la Franche-Comté et aux Pays-Bas, environ 112 volumes in-4o cédés par l'abbé d'Esnans, son fils; en 1781, des papiers de Sainte-Palaye, dont une partie fut malheureusement livrée au marquis de Paulmy et se trouve encore à l'Arsenal, division fort préjudiciable aux recherches. A l'instigation d'un «comité des chartes» institué en 1780 pour faciliter la préparation d'un recueil analogue aux Fœdera de Rymer, mais sur des bases beaucoup plus larges, le dépôt de législation qui, depuis 1764, était à la Bibliothèque du roi, fut réuni au cabinet des chartes qu'on avait installé, en 1769, dans une maison située au coin de la place Vendôme[96] et les deux collections furent attachées à la chancellerie par un nouvel arrêt du Conseil, du 10 octobre 1788, sous le nom de «bibliothèque de législation, administration, histoire et droit public.» Elles s'accrurent, en 1789, d'un recueil de pièces concernant l'administration des finances, formé par Genée de Brochot, et des archives du contrôle général.
Cette première acquisition fut suivie de près par une autre non moins considérable. Le 9 mai 1792, la Bibliothèque recevait le Cabinet des ordres, œuvre de Clairambault, cédée par son neveu en 1755 à l'Ordre du Saint-Esprit, mais presque en même temps l'Assemblée législative condamnait au feu comme «féodal» ce précieux dépôt généalogique[97]. Sur les 3,500 volumes qui le composaient, 2,000 au moins furent solennellement brûlés à la place Vendôme. Le Cabinet des titres de la Bibliothèque fut préservé du même sort par la précaution qu'avaient prise les conservateurs de le fermer et d'en dissimuler la porte derrière un amoncellement de volumes et de cartons.
47. Le personnel était trop suspect de modérantisme pour n'être pas en butte aux dénonciations et aux haines. La Bibliothèque du roi était devenue la Bibliothèque nationale[98]. Le 19 août 1792, Roland, président du conseil exécutif provisoire, destitua Lefèvre d'Ormesson, qui mourut sur l'échafaud pendant la Terreur, et créa deux places de bibliothécaire qui furent données à Chamfort «pour reconnaître ses talents littéraires et son civisme éprouvé» et au conventionnel Carra. Le «civisme éprouvé» des créatures de Roland ne suffisait plus l'année suivante; Carra et Chamfort subirent la triste fortune des Girondins. Lefèvre de Villebrune leur succéda. Sur les délations d'un employé subalterne, Tobiesen Duby, les gardes des imprimés et des médailles, Van Praët, l'abbé Barthélemy et son neveu, de Courçay, furent emprisonnés aux Madelonnettes; le garde des estampes, Joly, et son fils furent révoqués par un arrêté du 16 août 1793, le comité de sûreté générale invita le ministre de l'intérieur à nommer «des citoyens dont les sentiments fussent conformes à la révolution du 31 mai et à ne laisser en place que le citoyen Tobiesen Duby»[99].
Van Praët et ses collègues ne tardèrent pas à être réintégrés dans les fonctions dont ils s'étaient si dignement acquittés. Indépendamment des 300,000 volumes mentionnés plus haut qu'ils puisèrent dans les dépôts littéraires, divers arrêtés attribuèrent à la Bibliothèque les manuscrits de Saint-Germain-des-Prés sauvés de l'incendie de 1794, au nombre de 9,000, ceux de Saint-Victor (1265), de la Sorbonne (près de 2,000), et généralement ceux de la plupart des dépôts[100]. Elle en recueillit ainsi 112 provenant du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, 112 du collège de Navarre, etc.[101]. Déjà des décrets avaient ordonné d'y déposer l'inventaire des archives des ci-devant pays d'états[102] et la collection complète des travaux de toutes les assemblées nationales[103]; d'autre part, les comités avaient été admis à y prendre tous les livres dont ils auraient besoin[104]. Sur l'avis du Bureau du triage des titres, le ministre des finances y fit remettre les dossiers des preuves de noblesse fournies par les élèves de l'École militaire[105]. Les dépôts provisoires de province fournirent aussi un contingent précieux: les directoires de département n'attachaient que peu d'importance à leurs manuscrits et saisissaient souvent avec empressement l'occasion de s'en défaire que leur offrait la commission des arts en les demandant pour la Bibliothèque. On songea même à centraliser à Paris tous les cartulaires épars dans les dépôts des départements: mais quoique le ministre de l'intérieur en eût prescrit l'envoi à la Bibliothèque nationale[106], elle ne reçut de ce chef que 120 volumes, fournis par onze départements. On estimait légitime d'appauvrir les autres établissements au profit de la Bibliothèque. Chardon de la Rochette fut chargé, le 2 août 1801, par le conseil de conservation des arts de faire pour elle, dans les départements, un choix de manuscrits, d'incunables et de volumes précieux. Il visita Troyes d'où il retira 180 manuscrits provenant de la collection des Bouhier, Dijon, Nîmes, Carpentras (1804-1805). Par malheur, cette mission fut une occasion de détournements et d'infidélités dont plusieurs sont imputables à Chardon de la Rochette lui-même. Si Prunelle qui lui fut adjoint montra plus de délicatesse personnelle, il abusa toutefois de son autorité au profit de l'école de médecine de Montpellier, dont il était bibliothécaire; il y envoya de nombreux volumes prélevés dans la bibliothèque de Dijon sans aucun motif plausible et son choix mal avisé porta de préférence sur des livres de littérature, d'histoire et de géographie.
48. On traitait en même temps les bibliothèques et les archives des pays conquis comme de simples «dépôts littéraires». D'énormes envois de liasses vinrent de la Belgique, de l'Italie, de l'Autriche s'entasser au palais Soubise. Le nombre des volumes imprimés ou manuscrits qui parvint des mêmes sources à la Bibliothèque nationale était moins considérable, mais les commissaires du gouvernement chargés de choisir ces trophées avaient mis la main sur les monuments les plus rares. C'étaient environ 4,000 manuscrits et autant d'imprimés, triés dans les plus riches bibliothèques de Belgique, de Hollande, d'Italie, de Prusse et d'Autriche. Le traité de Tolentino avait stipulé la cession de 500 manuscrits au choix des commissaires français. Cet abus de la victoire se prolongea sous le Consulat et l'Empire. Plus tard, à l'heure des revers, les alliés imposèrent la restitution des volumes et des archives, et peu s'en fallut qu'on n'exigeât de la Bibliothèque nationale des sacrifices analogues, en compensation de livres ou d'objets d'art égarés lors du transport en France[107].
49. Le cabinet des estampes s'était accru seulement, en 1795, de 52 volumes de pièces chinoises et japonaises ayant appartenu au ministre Berlin, et de la collection mythologique et topographique, comprenant 33,000 pièces, jadis léguée par le conseiller Nicolas de Tralage à l'abbaye de Saint-Victor. A cette époque se rattache cependant «une découverte aussi importante pour l'histoire de l'art lui-même que pour l'honneur du cabinet des estampes.» En 1797, le savant abbé Zani, garde du cabinet de Parme, reconnut parmi quelques vieilles estampes italiennes une épreuve sur papier d'une paix représentant le Couronnement de la Vierge, gravée et niellée par Maso Finiguerra pour le baptistère de Florence, en 1452. C'était le plus ancien monument de la gravure et la longue querelle ouverte entre l'Allemagne et l'Italie qui prétendaient l'une et l'autre avoir donné naissance à l'inventeur de cet art était résolue au profit de la dernière. De là date la formation de la série des nielles, confondus précédemment avec les premiers ouvrages exécutés en taille douce, «la plus belle et la plus variée que l'on ait encore réunie»[108]; elle compte aujourd'hui 136 pièces.
50. Le cabinet des médailles avait largement bénéficié de la saisie des biens ecclésiastiques. On y avait envoyé les médailles et les pierres gravées conservées dans les trésors des églises, notamment dans ceux de l'abbaye de Saint-Denis, de la Sainte-Chapelle, de la cathédrale de Chartres, parmi lesquelles se trouvaient les deux camées bien célèbres de l'Apothéose d'Auguste et de Jupiter debout (1791-1793). On y transporta aussi, le 15 mai 1793, à la suite d'une tentative de vol, le médaillier de Sainte-Geneviève, composé d'environ 17,600 pièces, médailles, monnaies et jetons; puis, en 1797, les objets d'art et de curiosité du Muséum, de la Monnaie, du Garde-meuble et du dépôt de l'hôtel de Nesle spécialement affecté aux collections d'objets d'art et de médailles confisquées sur les émigrés. Un instant, l'existence même du cabinet de la Bibliothèque avait été gravement menacée; la Convention projetait de faire fondre toutes les monnaies d'or et l'eut certainement décrété sans l'intervention de Barthélemy dont le plaidoyer fut transmis à l'assemblée et victorieusement appuyé par Gilbert Romme[109].
51. Durant la période révolutionnaire, la Bibliothèque nationale avait donc triomphé de la haine des fanatiques qu'exaspérait la seule vue d'armoiries sur le plat d'une reliure ou le souvenir de son ancien nom de Bibliothèque du roi. Par ses prélèvements dans les dépôts elle s'était considérablement développée. D'importantes modifications avaient été apportées à son organisation intérieure. Par le décret du 25 vendémiaire an IV (17 octobre 1795), la Convention avait supprimé la place de bibliothécaire, «le régime républicain ne souffrant point de charges aristocratiques.» Elle le remplaçait par un «conservatoire» de huit membres, deux pour les imprimés, trois pour les manuscrits, deux pour les antiques, médailles et pierres gravées[110], un pour les estampes, ayant tous mêmes droits et même traitement de 6,000 livres. Les huit conservateurs choisissaient parmi eux un directeur temporaire, nommé pour un an, rééligible pour une seconde année seulement, chargé de surveiller l'application des règlements, de présider le conservatoire et de correspondre avec le pouvoir exécutif pour les affaires générales intéressant la Bibliothèque. Sauf la première nomination qui fut faite par la Convention, le conservatoire nommait lui-même ses membres et les autres employés. Le même décret assignait à la Bibliothèque un budget annuel de 192,000 francs dont la répartition était confiée à l'un des conservateurs nommé par ses collègues. Ces dispositions furent complétées par un règlement qui ouvrit la Bibliothèque au public, tous les jours, de dix heures à deux heures[111].
Cette organisation administrative dura peu. Le Consulat centralisa l'autorité et les responsabilités entre les mains d'un seul «administrateur» sous la présidence duquel le conservatoire ne fut plus qu'un conseil purement consultatif[112]. Les mêmes principes ont servi de base au décret organique de 1858, qui a régi la Bibliothèque jusqu'à nos jours; un dernier décret, du 17 juin 1885, a étendu les attributions du comité consultatif et amélioré la situation du personnel.
52. Il fut alors très sérieusement question de déplacer la Bibliothèque. Les nouveaux accroissements avaient rendu les locaux d'autant plus insuffisants que la partie orientale du palais Mazarin était occupée par le service de la trésorerie qui y demeura jusqu'en 1833. Ce voisinage avait même paru dangereux au Directoire qui avait prescrit des mesures pour isoler la Bibliothèque de la trésorerie «par les démolitions nécessaires et au besoin la construction d'un mur de séparation en maçonnerie»[113]. On songea à la transférer dans l'église de la Madeleine dont les constructions étaient à peine commencées, puis au Louvre où «la plus riche bibliothèque du monde» se fût ainsi trouvée réunie à «la plus belle collection de peinture et de sculpture.» Sur le rapport de Chaptal, ministre de l'intérieur, un arrêté consulaire ordonna effectivement cette translation; les bâtiments occupés devaient être vendus et le produit employé aux frais considérables qu'entraînerait l'installation[114]. Les immenses préparatifs du camp de Boulogne absorbèrent bientôt toute l'attention du premier consul et l'arrêté de 1801 fut oublié.
53. Cependant, un ancien bénédictin, dom Maugerard, avait reçu du ministre de l'intérieur la mission de rechercher dans les provinces rhénanes les manuscrits, les anciennes éditions, les ouvrages rares qui nous manquaient. De Trèves, de Coblentz, de Cologne, de Bonn il envoya au conservatoire de nombreuses caisses de livres, presque tous précieux, notamment le célèbre exemplaire de la Bible de Pfister, imprimée vers 1461, en deux volumes in-folio (1801-1806). Le département des imprimés qui bénéficia le plus de cette mission acquit aussi, au prix de 9,000 francs, la collection des lois imprimées et manuscrites de 1200 à 1789, formée par le libraire Rondonneau, et les livres du Tribunal, lors de sa suppression. Napoléon, en 1803, attribua à la Bibliothèque un crédit extraordinaire de 130,000 francs, premier à-compte sur un million qu'il se proposait d'affecter exclusivement à «l'achat des bons ouvrages publiés en France depuis 1785.» Une note dictée par lui à M. de Champagny, ministre de l'intérieur, le 10 février 1805, résume ses vues sur le développement de la Bibliothèque: «Beaucoup d'ouvrages anciens et modernes y manquent, tandis qu'ils se trouvent dans les autres bibliothèques de Paris ou des départements. Il faudrait en faire dresser l'état et les faire prendre dans ces établissements, auxquels on donnerait en échange des ouvrages qu'ils n'ont pas et dont la Bibliothèque a des doubles. Il doit résulter de cette opération que, lorsqu'on ne trouvera pas un livre à la Bibliothèque impériale, il sera certain que cet ouvrage n'existe pas en France.» Quelque séduisant que ce vaste projet puisse paraître, il était irréalisable. Il suppose en effet l'exécution préalable de la bibliographie générale qu'avaient rêvée les comités-réunis et dont le développement énorme de toutes les bibliothèques augmentait chaque jour les difficultés; il suppose l'impression du catalogue des imprimés de la Bibliothèque nationale, entreprise aussi dispendieuse que longue, qui nécessitait un personnel et des frais considérables; il suppose, en outre, le concours de toutes les municipalités, car l'Empereur oubliait l'arrêté consulaire par lequel il avait, le 28 janvier 1803, mis les bibliothèques des écoles centrales à la disposition des communes, chargées de leur entretien et, sans doute, les administrations locales ne se prêteraient qu'avec répugnance à l'amoindrissement de leurs collections. Au surplus, ces déplacements et échanges étaient ajournés à l'installation définitive de la Bibliothèque au Louvre et l'abandon de ce projet entraîna l'inexécution de l'autre.
54. La période de l'Empire fut signalée, pour le département des manuscrits à la tête duquel Dacier avait remplacé Legrand d'Aussy, en 1800, par l'acquisition des manuscrits orientaux d'Anquetil Duperron (1805); des papiers de Mouchet, ex-auxiliaire de Sainte-Palaye (1807); de 61 cartons formant la série de l'Ordre du Saint-Esprit au Cabinet des titres (1809); de 170 volumes et portefeuilles de documents sur la Bourgogne, la Touraine, et riches en pièces généalogiques (1811). Le département des estampes, administré depuis 1795 par Joly fils, avait reçu d'un collectionneur havrais, M. Lamotte, 2,600 pièces se rattachant à diverses écoles, et acheté dans les ventes publiques l'œuvre complète des deux Beham (vente de Saint-Yves, 1805), 2,831 estampes du cabinet Silvestre, dont 970 de la fin du XVe et du commencement du XVIe siècle (1811), et 2,750 dessins, projets et plans provenant de l'architecte Robert de Cotte. Quant au département des imprimés, il avait trouvé dans le dépôt légal, organisé par le décret du 19 juillet 1793 et, sur des bases plus larges, par le décret du 5 février 1810, les ordonnances des 21 et 24 octobre 1814, une source constante et régulière d'accroissement; l'étude de cette législation sera plus loin l'objet d'un paragraphe spécial.
55. La Bibliothèque qui, en 1789, possédait seulement 152,000 volumes, en contenait à peu près 860,000 et 84,000 manuscrits, en 1818[115]. Au nombre des meilleures acquisitions de la période contemporaine il faut citer: 227 manuscrits cédés par le duc de Mortemart, concernant les négociations diplomatiques et l'administration du royaume aux XVIIe et XVIIIe siècles (1819); plusieurs milliers de chartes, pièces et registres du plus haut intérêt achetés au libraire Royer, à l'épicier Henry, à Danquin, de 1823 à 1825, à bas prix ou par voie d'échange avec des parchemins de rebut triés dans le fonds Beaumarchais[116]; les manuscrits pâlis et singalais, rassemblés à Ceylan par Tolfrey (1827); 200 manuscrits environ du cabinet de Monteil; la collection de l'abbé Lespine sur l'histoire du Périgord; les papiers de Champollion le jeune, si précieux pour l'étude des antiquités égyptiennes, dont une loi spéciale prescrivit l'acquisition[117]; la collection de Cherville, c'est-à-dire 1,500 manuscrits arabes, persans, turcs, coptes, etc. (1833); les papiers de Joly de Fleury, relatifs surtout à l'histoire du XVIIIe siècle (1836); les livres chinois de M. Stanislas Julien qui demeura chargé de leur conservation à la Bibliothèque jusqu'à sa mort (1838-1873); 100 volumes in-folio, formant presque toute la partie manuscrite de la bibliothèque de M. de Soleinne (1844); le cabinet du président d'Hozier, comprenant 136 volumes, 165 cartons de preuves généalogiques et 200 paquets d'extraits de titres connus sous le nom de Carrés de d'Hozier, très récemment mis en ordre (1851); 170 volumes ou portefeuilles du cabinet de M. Léchaudé d'Anisy, sur l'histoire de la Normandie, contenant des copies d'autant plus précieuses qu'un grand nombre des originaux tombés aux mains de M. Libri ont été vendus par lui à lord Ashburnham (1859); 80 manuscrits grecs provenant de la succession de Minoïde Minas (1864); 30 volumes in-folio de documents sur l'histoire militaire de la France recueillis ou rédigés par le marquis de Langeron (1866); 209 manuscrits pâlis envoyés ou cédés par M. Grimblot, ancien agent français à Colombo, par Mgr Bigaudet, évêque de Rangoun et par le directeur du séminaire des missions étrangères (1866-68); 350 volumes et rouleaux chinois venant de la Corée, donnés par le ministre de la marine (1867), etc.[118].
56. Au département des estampes, nous signalerons: l'œuvre de Van Ostade et de nombreuses pièces des écoles flamande et hollandaise (vente Rigal, 1818); 1,418 dessins d'après des monuments antiques ou de l'époque byzantine, recueillis en Italie par Millin (1819); 7,470 estampes topographiques, provenant du cabinet de l'abbé de Tersan (ancienne collection Fouquet) et de la collection Morel de Vindé (1820); 1,574 pièces de l'œuvre de Callot (vente Denon, 1827); 31 pièces de la plus grande rareté, achetées à la vente Révil, pour la somme de 5,243 francs (1833); 175 gravures des principaux maîtres, payées 17,055 francs à la vente Debois (1844); 34,800 pièces sur la Révolution française et l'Empire, acquises de M. Laterrade, en 1845 et 1863; 48 gravures, dues à des maîtres du XIVe et du XVe siècles, données par le docteur Jecker (1851); la collection Debure, 65,000 portraits, au prix de 38,000 francs (1854); la collection Achille Devéria, 113,000 pièces gravées, lithographiées ou dessinées, moyennant 30,000 francs (1858); la collection Hennin, 16,230 pièces sur l'histoire de France, toutes contemporaines des événements ou des personnages représentés, léguée à la Bibliothèque en 1863[119]; le legs de M. Husson dit Fleury, 16,000 pièces, gravures ou dessins composant un album départemental de l'Aisne (1883), etc.
57. Le département des imprimés a recueilli également dans les ventes publiques des bibliothèques Mac-Carthy[120], Solar, Yéméniz, Pichon, etc., les ouvrages les plus rares, et c'est l'honneur de tous les gouvernements qui se sont succédé d'avoir suppléé à l'insuffisance du budget normal de la Bibliothèque par des allocations extraordinaires, chaque fois que le besoin s'en est présenté[121]. Les acquisitions les plus considérables consistent, pour ce département, dans la collection de livres sur l'Inde, réunie par le savant Eugène Burnouf (1854), dans la collection Labédoyère, qui comptait près de 100,000 volumes sur la Révolution française (1863); dans celles consacrées à Voltaire par Beuchot, à Montaigne par le docteur Payen (1870).
58. Sous la Restauration, le cabinet des médailles s'enrichit des collections celtibérienne de Florès, égyptienne de Cuilliaud, grecque et levantine de Cousinery et Caldavène; il acquit en 1848, au prix de 103,000 francs, la collection de médailles françaises de M. Jean Rousseau, et reçut, sous le second Empire, les magnifiques donations de M. le duc de Luynes et de M. le vicomte de Janzé (1862 et 1865). La première consistait en un cabinet exclusivement composé de «monuments de choix, exceptionnels par leur beauté et par leur intérêt scientifique». Les suites monétaires de la Grande-Grèce, la Sicile, la Macédoine, la Thrace, la Syrie, l'Égypte, étaient réputées sans rivales. L'ensemble de la collection comptait 6,893 médailles, 373 camées, pierres gravées et cylindres, 188 bijoux en or, 39 statuettes de bronze, 43 armures et armes antiques, 85 vases grecs et étrusques, etc. On l'évaluait à 2 millions de francs. Le legs de M. de Janzé, sans être comparable au précédent, était d'un grand prix: il comprenait 88 statuettes de bronze et 82 figurines de terre cuite. Napoléon III fit aussi remettre à la Bibliothèque 1,574 monnaies arabes, près de 1,000 médailles grecques et romaines que lui avait offertes le vice-roi, Saïd-Pacha, et le trésor de Tarse, où se trouvaient trois disques d'or, dont deux reproduisant «dans des proportions inconnues à la numismatique» le portrait d'Alexandre (1862-1869). Deux ans avant ce dernier don, le département s'était enrichi d'une pièce d'or d'Eucratide, roi de Bactriane, du poids de 170 grammes, médaillon incomparable et sans analogue, acheté au prix de 30,000 francs. Fidèle à ces traditions, l'Assemblée nationale ouvrit, en 1872[122], au ministre de l'instruction publique un crédit extraordinaire de 200,000 francs pour l'achat de la collection des monnaies gauloises réunies au nombre de 7,138 pièces par le savant numismate M. de Saulcy. Depuis, le département des médailles a recueilli le cabinet du commandant Oppermann (316 bronzes, 242 terres cuites, 173 vases peints et objets en marbre), une collection de 1,200 pièces sur la Révolution, dont 800 nouvelles, donnée par M. le marquis Turgot, et la collection de 17,000 monnaies romaines léguée par M. le baron d'Ailly (1874, 1876, 1877).
59. Les divers départements de la Bibliothèque avaient aussi obtenu d'utiles accroissements par voie d'échanges. On avait repris l'ancien plan de Napoléon Ier en le restreignant aux grandes bibliothèques de Paris. Sur la proposition du ministre de l'instruction publique[123], une commission de quatorze membres fut instituée, le 31 mai 1860, sous la présidence de M. Mérimée, pour se prononcer sur le principe même et sur les moyens d'exécution. Le 10 juillet, elle présentait un rapport favorable: personne, disait-elle, ne pouvant contester le droit d'échange entre ces bibliothèques, également entretenues par l'État, et toutes leurs collections étant, au même titre, des propriétés publiques, leur déplacement ne portait aucun préjudice à l'État. L'arrêté ministériel du 15 novembre 1860 satisfit à presque tous les vœux de la commission. Il décida la réunion à la Bibliothèque nationale des médailles, dessins, manuscrits orientaux et livres chinois de la Mazarine, de l'Arsenal, de Sainte-Geneviève et de la Sorbonne; leur conservation demandait un personnel spécial que la première seule pouvait offrir. Il attribua à la Bibliothèque toutes les estampes et gravures, tous les états d'estampes et gravures que ne possédait pas le département des estampes: avec les exemplaires restants et des doubles fournis par la Bibliothèque, on constituerait un cabinet d'estampes à l'Arsenal et à Sainte-Geneviève. Quant aux autres imprimés et aux autres manuscrits, on procéderait à des échanges par séries d'ouvrages, au fur et à mesure de l'achèvement des catalogues ou inventaires de la Bibliothèque pour chaque série, en tenant compte de la spécialité de chacun des établissements. Des délégués choisis par le ministre seraient chargés de rechercher dans les quatre bibliothèques sus-désignées les estampes, dessins, imprimés et manuscrits susceptibles d'être réclamés par la Bibliothèque nationale, comme aussi de reconnaître les lacunes existant dans leur spécialité qu'il serait nécessaire de combler et l'absence d'ouvrages journellement demandés dans toutes les bibliothèques. Une commission nouvelle devait être instituée à l'effet d'examiner les propositions d'échange et les contestations auxquelles elles donneraient lieu, toute décision étant subordonnée à l'appréciation du ministre.
La première commission avait, en outre, demandé dans son rapport l'adjonction du cabinet des médailles de l'hôtel de la Monnaie à la Bibliothèque nationale et la réorganisation de la bibliothèque de l'École de droit afin que celle de Sainte-Geneviève, moins fréquentée dès lors par les étudiants, pût redevenir un centre pour les études de haute théologie comme elle était autrefois. Ce double vœu n'a reçu qu'une demi-exécution. Le ministre fit transférer de la Monnaie à la Bibliothèque 2,705 pièces françaises et étrangères en 1863; d'autre part, si la bibliothèque de l'École de droit, récemment aménagée dans un local que son accroissement rapide rend déjà fort insuffisant, est fréquentée par autant et plus d'élèves qu'elle n'en peut contenir, la bibliothèque Sainte-Geneviève, plus vaste, reste le rendez-vous du personnel des écoles.
60. L'arrêté de 1860 souleva des protestations assez vives de la part des établissements amoindris, mais le public savant, plus impartial, ne s'associa pas à ces revendications intéressées. Un autre débat s'éleva bientôt entre la Bibliothèque et la direction générale des Archives; celle-ci réclamait, comme pièces d'archives, les chartes et diplômes et le cabinet généalogique (soit 800 cartons et 31,000 volumes). Quelque fondée que pût être sa prétention, elle fut rejetée, contrairement aux conclusions de M. Ravaisson, rapporteur de la commission chargée de l'examiner. Il eût fallu, pour y satisfaire, démembrer les collections de la Bibliothèque. Le ministre d'État trancha le conflit par une transaction[124]. En compensation de certains recueils de chartes, des papiers du clergé de France et du contrôle général des finances cédés par la Bibliothèque, celle-ci reçut des Archives les cahiers ou volumes en langue hébraïque, saisis sous Philippe le Bel; les missels et livres d'heures, les chroniques, les manuscrits purement littéraires, d'importants fragments de la collection Joly de Fleury, la collection des procès-verbaux imprimés des canonisations; 220 volumes de copies et extraits des registres du Trésor des chartes; elle fut, en outre, autorisée à prendre dans le cabinet géographique des Archives les cartes imprimées ou gravées qui pourraient manquer à ses collections.
61. Avant l'organisation actuelle, qui, pour les dispositions principales, remonte au décret du 14 juillet 1858, l'administration de la Bibliothèque fut plusieurs fois remaniée. Le nombre des départements fut porté à cinq par la création d'un département des cartes géographiques et plans[125], ramené à quatre, ce dernier étant réuni aux estampes[126], et, en 1839, relevé à six, le service public étant érigé en département[127]. Les départements étaient divisés en sections, et chacun dirigé par un conservateur, assisté d'un conservateur-adjoint pour la surveillance de chaque section. Le conservatoire dans lequel siégèrent les conservateurs seuls, puis les conservateurs-adjoints, d'abord avec voix consultative et ensuite avec voix délibérative, recouvra, en 1828, le droit de nommer son président et tous les employés secondaires ou inférieurs, sauf l'approbation du ministre; le président, dès 1832, fut remplacé par un directeur choisi sur une liste de trois membres du conservatoire, dressée par ce conseil, élu pour cinq ans et rééligible. Le directeur reçut, en 1839, le titre d'administrateur général et bientôt de directeur-président du conservatoire, sans limitation de durée; sa nomination, ainsi que celles des conservateurs titulaires ou adjoints, fut réservée au chef de l'État. Les cinq classes de l'Institut devaient être représentées dans le conservatoire. Les autres fonctionnaires prirent alors le nom de bibliothécaires et sous-bibliothécaires, les premiers étant attachés à une spécialité; au-dessous d'eux venaient des employés, des surnuméraires et des auxiliaires. L'administrateur, un secrétaire-trésorier et, autant que possible, les conservateurs devaient avoir un logement à la Bibliothèque, disposition rapportée depuis[128].
62. L'ordonnance du 22 février 1839, abrogée en ce qui concerne la Bibliothèque nationale, réglait aussi l'administration des bibliothèques Mazarine, Sainte-Geneviève et de l'Arsenal, ainsi que des bibliothèques des facultés et des villes, autant que le droit de surveillance de l'État sur celles-ci pouvait se concilier avec les droits des municipalités. A l'égard de tous ces établissements, elle n'a pas cessé d'être en vigueur. Elle était précédée d'un remarquable rapport de M. de Salvandy[129], dans lequel était exposé le misérable état des bibliothèques de Paris, attendant depuis près de cinquante ans une «constitution souvent promise», régies par un personnel trop nombreux, sans garanties de capacité dépourvues de catalogues exacts ou complets. Dès 1831, une commission avait été chargée, sous la présidence de Cuvier, d'élaborer le projet de leur réorganisation, mais ses travaux n'avaient laissé aucune trace.
De 1830 à 1850, le monde lettré se préoccupa beaucoup d'améliorer l'état de nos bibliothèques et notamment de la Bibliothèque nationale; les pouvoirs publics, suivant l'impulsion de l'opinion, avaient voté en 1838 un crédit extraordinaire de 1,264,000 francs à répartir par annuités pour l'établissement du catalogue des imprimés de la Bibliothèque, le complément de ses collections et les reliures[130]. Ces deux derniers objets absorbèrent la presque totalité de la somme; quant aux catalogues, des tâtonnements, des divergences de méthode neutralisèrent la bonne volonté des conservateurs. Cependant de nombreuses brochures, au premier rang desquelles il faut citer celles de MM. Paul Lacroix et de Laborde, signalaient les réformes urgentes, en insistant sur la nécessité des catalogues. Une commission fut instituée pour arrêter le plan du travail et de la publication[131]. La Révolution de 1848 interrompit presque aussitôt ses séances, mais elle fut reconstituée deux ans plus tard[132], sur la demande de l'administrateur général lui-même. Elle estima à 60 ou 70 le nombre de volumes qu'exigerait l'impression du catalogue des imprimés. A son rapport, et en vue de faire peser sur un chef unique la responsabilité trop divisée d'une aussi vaste entreprise, le ministre de l'instruction publique provoqua la création d'un emploi d'administrateur-adjoint, spécialement attaché à ce service[133]. De ce moment, l'œuvre fut conduite avec l'activité et l'esprit de suite indispensables: nous en exposerons plus loin le plan et l'état actuel.
63. Les catalogues ne sont pas seulement nécessaires pour l'étude; ils permettent d'apprécier la richesse des collections, ils servent, en cas de soustraction, à attester la propriété de l'établissement. Au XVIIIe siècle, l'insuffisance des inventaires avait retardé durant de longues années la réintégration du Virgile envoyé en Hollande, à titre de prêt, à Nicolas Heinsius; le refus de restitution était basé sur ce que les catalogues n'en mentionnaient pas l'existence[134]. Grâce à la difficulté de contrôle qui en résultait, de nombreux détournements avaient été commis et l'on n'en pouvait qu'à peine constater l'étendue. L'histoire de ces vols serait longue: nous en signalerons quelques-uns que leur importance a rendus trop fameux. Ce sont ceux de Jean Aymon, en 1706, de Clairambault, de Gevigney, de Barrois et de Libri, au détriment du cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale et de plusieurs bibliothèques de province[135]; de Chancey, au cabinet des estampes. Le département des médailles ne fut pas moins éprouvé. Dans la nuit du 5 novembre 1831, un forçat s'y introduisit et fit main basse sur les monnaies d'or: la plus grande partie des médailles antiques fut convertie en lingots, le reste se retrouva dans la Seine, derrière une pile du pont de la Tournelle, où le coupable l'avait caché[136]. Les bibliothèques de province ont plus ou moins subi le même sort. Celles de Troyes, de Grenoble, de Montpellier, de Carpentras, de Lyon, d'Aix et d'Auxerre ont été visitées, c'est-à-dire dévalisées par Libri[137]. Très récemment, la bibliothèque municipale de Tours a été fermée à la suite d'une enquête qui avait révélé la disparition de nombreux livres et manuscrits; M. L. Delisle a constaté notamment la soustraction d'environ 400 manuscrits provenant de Marmoutiers, de Saint-Martin et de Saint-Gatien; 1,911 médailles et monnaies anciennes ont été dérobées au cabinet numismatique de Grenoble. Si quelques bibliothécaires ont poussé l'incurie jusqu'à encourir l'imputation de complicité, certains d'entre eux n'ont pas craint d'abuser de leurs fonctions pour détourner et vendre les livres les plus précieux de leur dépôt. C'est ainsi que la bibliothèque de Troyes a été pillée et dévastée par son propre bibliothécaire[138]. Il serait malheureusement facile de multiplier les exemples. Outre les manuscrits soustraits, beaucoup plus ont été mutilés; des miniatures, des estampes, des cahiers, des lettres et fragments de toute sorte ont été arrachés aux volumes et souvent les dégradations n'ont été constatées que longtemps après. Sans nous étendre sur ce triste sujet, nous donnerons une idée de l'importance des vols commis, pour les seuls autographes, en disant que l'énumération de ceux découverts a fait l'objet d'un Dictionnaire particulier, dressé par MM. Lalanne et Bordier[139], grâce auquel plusieurs bibliothèques ont pu reconnaître et faire retirer de ventes publiques des documents qui leur avaient été soustraits. — Quant à la liste des imprimés disparus de toutes les bibliothèques, elle demanderait plusieurs volumes. «On prétend qu'à la seule bibliothèque de Méjanes à Aix, disait Grégoire à la tribune de la Convention[140], il manque dix mille volumes, et l'on sait que les fripons ne manquent pas de choisir.» Les nombreux catalogues publiés depuis une trentaine d'années rendront sans doute les détournements de plus en plus difficiles ou dangereux pour leurs auteurs. De grands progrès ont été accomplis dans cette voie, quoique le rêve d'une «bibliographie générale de la France», formé par les comités-réunis et plusieurs fois repris, de nos jours, soit encore loin d'être réalisable.
64. L'histoire de nos bibliothèques publiques a été marquée par d'irréparables désastres, en l'année 1871, fatale pour la France à tant de titres. Déjà l'invasion avait détruit la belle bibliothèque de Strasbourg, celle du palais de Saint-Cloud et en partie celle de Saint-Cyr. Mais ces pertes ont été presque oubliées en présence des ruines amoncelées par la Commune. Au premier rang des bibliothèques anéanties était la bibliothèque du Louvre formée pour les souverains «à grands frais et avec un goût exquis»[141], «assemblage rare de pièces curieuses, de manuscrits importants, d'imprimés d'une exécution incomparable, d'épreuves de choix, d'ouvrages à planches qui égalaient au moins, pour la beauté et le prix, ce que les autres bibliothèques possèdent de plus accompli»[142]. Elle contenait les manuscrits de Colletet, l'œuvre de Perrault, le Musée de Florence, de Wicar, les pièces historiques de Jacques Bourdin, les papiers de Noailles, de Voyer d'Argenson, la collection Saint-Genis, 1,500 volumes d'édits et d'arrêts du Conseil ou des cours souveraines, qu'avait acquise Louis XVIII, la bibliothèque pétrarquesque (862 volumes), un recueil de 800 volumes ou cartons sur la Révolution française, la bibliothèque Motteley, à la fois célèbre comme collection d'Elzeviers et comme réunion de reliures-types comprenant les plus beaux spécimens de cet art depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours; la Bible des ducs de Guise, manuscrit du XVe siècle orné d'un grand nombre de miniatures de toute beauté, le manuscrit autographe de saint Agobard, du IXe siècle, quatre manuscrits in-folio des Campagnes de Louis XIV, avec des peintures de Vandermeulen, etc. Cette admirable bibliothèque a péri tout entière «sans laisser de traces, pas même celles qui survivraient dans un catalogue». Les catalogues, dressés en 60 volumes, n'avaient été ni imprimés, ni autographiés; ils ont été brûlés avec le reste.
Les incendies de mai 1871 ont également anéanti les bibliothèques de l'Hôtel-de-Ville (environ 120,000 volumes); du Conseil d'État, qui possédait les travaux manuscrits et la correspondance de Bigot de Préameneu, l'un des rédacteurs du Code civil[143]; de la Cour des comptes; du ministère des finances; de la Légion d'honneur; de la préfecture de police, celle-ci importante en documents sur la Révolution et comprenant une collection sans rivale de journaux modernes; une partie de la bibliothèque de la Cour de cassation (près de 30,000 volumes parmi lesquels les manuscrits de Merlin de Douai et de Dupin aîné), et de celle de l'Ordre des avocats[144].
65. Du moins, la Bibliothèque nationale fut épargnée: à la suite de la courageuse protestation signée le 12 mai par vingt-six fonctionnaires ou employés des divers départements, pour refuser «l'adhésion» qu'exigeait d'eux le gouvernement de la Commune, elle était restée fermée pendant douze jours.
Depuis cette sinistre époque, elle a continué de se développer et les pouvoirs publics ont voté l'isolement et l'agrandissement de ses locaux par voie d'expropriation des bâtiments qui l'avoisinaient, rue Colbert[145]. Des quatre départements qui la composent, il n'en est pas un qui ne soit, dans sa spécialité et sans contestation possible, le plus riche et le plus complet du monde entier. Les imprimés atteignent le chiffre approximatif de 2,200,000 volumes, avec une Réserve de 54,000 volumes de choix, sur lesquels plus de 20,000 incunables, c'est presque le double des imprimés du British Muséum, la plus belle collection après la nôtre[146]. Il est vrai que nous pouvons envier l'administration de la bibliothèque britannique, qui est comme le modèle du genre, grâce à l'importance des crédits dont elle dispose tant pour le traitement d'un personnel nombreux que pour les acquisitions. Les manuscrits dépassent 92,000, les médailles et monnaies 165,000. On estime les collections d'estampes à plus de 2,400,000 pièces, conservées dans 15,000 volumes et 4,500 portefeuilles.
66. Le cadre de ce travail ne nous permet pas de sortir des généralités en ce qui touche l'histoire des autres bibliothèques publiques: pour beaucoup d'entre elles, d'ailleurs, cette histoire a été publiée[147]. Il est impossible d'évaluer, même approximativement, le nombre total des volumes qu'elles renferment[148]. Au surplus, la qualité des ouvrages en fait le prix, leur chiffre importe assez peu. Ce que nous pouvons dire, c'est que la négligence des autorités locales avait laissé tomber les règlements en désuétude et que, depuis une dizaine d'années, le gouvernement s'est appliqué à réorganiser partout les comités d'inspection et d'achat des livres, ce en quoi seulement il a droit d'intervenir pour l'administration des bibliothèques municipales. Depuis 1860, il n'a pas cessé d'apporter la même activité à développer et multiplier les bibliothèques scolaires, populaires, pédagogiques. Quoiqu'il reste beaucoup à faire, il n'est aujourd'hui guère de villes qui ne soient pourvues d'une bibliothèque scientifique pour les lettrés et d'une bibliothèque populaire à l'usage des classes laborieuses, celle-ci aussi largement ouverte pour le prêt que pour la lecture sur place. Le succès des bibliothèques populaires croît en raison des progrès de l'instruction primaire: il s'affirme de plus en plus. La plupart des communes en sont déjà dotées. Ces collections sont le meilleur complément des bibliothèques scientifiques et littéraires; elles concourent, comme elles, à servir la cause de l'instruction publique, elles sont aussi un moyen puissant de moralisation. A ce double titre, elles justifient les efforts réitérés du gouvernement pour les propager sur toute la surface du territoire et jusque dans les colonies.
[1] Les Anciennes bibliothèques de Paris, par Alf. Franklin, 1867-1873, vol. in-fol.
[2] Aussi les bibliothèques, même réputées riches, ne possédaient-elles qu'un nombre fort restreint de volumes. Les Historiens des Gaules qualifient ainsi celles de Saint-Benoît-sur-Loire et de Saint-Riquier, qui ne comptaient pas chacune plus de 36 volumes.
[3] Charles V possédait encore d'autres livres dans ses principales résidences, les châteaux de Melun, de Vincennes, de Saint-Germain-en-Laye et de Beauté-sur-Marne. — Voir, sur la composition de la librairie de Charles V, le classement systématique établi par M. L. Delisle dans Le Cabinet des miss. de la Biblioth. nat., t. 1, p. 27.
[4] Charles VI lui-même négligeait toujours de renvoyer à sa librairie les volumes qu'il avait fait demander au garde et dont il se faisait suivre dans ses voyages.
[5] M. L. Delisle suppose que les livres du cardinal, saisis en 1469, lui furent restitués en 1480, à sa sortie de prison, ou à la mort de Louis XI; ils ne figurent pas sur les anciens inventaires de la Bibliothèque royale. Quant à ceux de Jacques d'Armagnac, ils eussent dû revenir au roi, auquel l'arrêt de condamnation du duc, prononcé le 10 juillet 1477, adjugeait expressément les biens du coupable. (Ibid.)
[6] Franklin, Précis de l'hist. de la Biblioth. du roi, ch. II et III.
[7] Celle-ci s'était déjà accrue de la belle librairie des ducs de Bourbon, transférée de Moulins à Fontainebleau, en 1523, après la défection et la confiscation des biens du connétable. — La réunion des librairies de Blois et de Fontainebleau fut ordonnée par lettres patentes du 22 mai 1544.
[8] On estime à près de 800 le nombre des reliures exécutées pour Henri II (L. Delisle, loc. cit., I, p. 188).
[9] Dicæarchiæ Henrici regis progymnasmata. — Voir Dupin, Biblioth. de droit, p. 209.
[10] Lettres patentes du 14 mai 1594. L'aménagement n'eut lieu qu'en mai 1595.
[11] Lettres patentes du 14 juin 1594; arr. du Parlem. du 25 janvier 1599; transport au collège de Clermont, le 30 avril.
[12] Arrêt du Conseil, du 8 mars 1622.
[13] Les frères Dupuy avaient traité de cette charge, en 1645, avec le titulaire, Nicolas Rigault, nommé conseiller au parlement de Metz. Le prédécesseur de Rigault avait été le savant Isaac Casaubon.
[14] Franklin, Précis de l'hist. de la Biblioth., p. 132.
[15] Pierre Dupuy avait légué tous ses manuscrits au fils du président de Thou; les originaux des pièces historiques en faisaient partie. Achetés, en 1680, par M. de Ménars, avec la bibliothèque des de Thou, ils parvinrent plus tard aux mains du procureur général Joly de Fleury qui, en 1754, les céda au roi avec sa collection personnelle (Leprince, Ess. histor. sur la Bibl. du roi, p. 157).
[16] Richelieu s'était emparé de même des manuscrits orientaux rapportés de Constantinople par M. de Brèves et les avait fait relier à ses armes: ils ne sont entrés dans la Bibliothèque royale, pour laquelle ils avaient été acquis en 1632, qu'à la fin du XVIIIe siècle.
[17] Arrêt du 12 janvier 1668.
[18] Arrêt du 25 juin 1668. — Franklin, Préc. de l'hist. de la Bibl., p. 164.
[19] Trois maîtres de la librairie s'étaient succédé sous le même nom de Jérôme Bignon: le premier, de 1642 à 1651; le second, de 1651 à 1672; le troisième, de 1672 à 1681. Carcavy qui, jusqu'à la mort de Colbert, avait exercé les fonctions de garde de la librairie et que Louvois remplaça, dès 1683, par Jean Gallois, n'en porta jamais le titre, et Nicolas Clément ne le reçut qu'en 1692. Voir L. Delisle, loc. cit., t. I, p. 264.
[20] On verra plus loin que, cependant, la Bibliothèque ne fut vraiment publique qu'à partir de 1735.
[21] Arrêt du conseil, du 6 mars 1717. — L. Delisle, loc. cit., t. I, p. 833-856.
[22] Lettres de provision, du 15 septembre 1719.
[23] Arrêt du Conseil, du 20 septembre 1719. Le récolement, commencé le 18 octobre 1719, sous la présidence du comte de Maurepas, secrétaire d'État et des commandements du roi, fut terminé le 31 décembre 1720.
[24] La belle collection d'imprimés rassemblée par Baluze fut vendue en détail, conformément à ses dernières volontés, afin que «tous les curieux pussent en avoir leur part».
[25] On verra plus loin que ces manuscrits furent rachetés plus tard par la Bibliothèque.
[26] Seize volumes du cabinet Gaignières, contenant 3,000 copies d'après les monuments funéraires du moyen âge, restèrent au cabinet généalogique où ils furent volés pendant la direction et par la négligence de Gevigney (1784). Ils passèrent en Angleterre et sont encore à Oxford, dans la bibliothèque Bodléienne.
[27] Marion-Dumersan, Hist. du cabinet des médailles, et Henri Lavoix, Journ. off. des 8, 9 et 11 juillet 1873.
[28] Ce chiffre a lieu d'étonner, si on le rapproche de celui de 30,000 pièces accusé par un inventaire de 1693; sans parler des envois d'Orient et du cabinet Mahardel, la seule collection Pellerin eût dû l'élever à 62,500.
[29] Arrêt du Parlement, du 30 mars 1623.
[30] Arrêts du Conseil, du 19 mars 1642 et du 29 mai 1675.
[31] Arrêt du Conseil, du 31 janvier 1689.
[32] Lettre du 5 mars 1773, citée par Leprince, Essai hist. sur la Biblioth. du roi, p. 119.
[33] Franklin, Préc., p. 241. — On voit dans le testament de Richelieu que ce ministre avait conçu le dessein de doter la France d'un établissement semblable.
[34] Franklin, Les Anc. biblioth. de Paris.
[35] Gaudry, Hist. du barreau de Paris, t. II, p. 71.
[36] Les Anc. biblioth, de Paris, t. III, p. 172.
[37] Nouv. descript. de Paris, t. II, p. 409. — Franklin, loc. cit., t. II, p. 397. Elle provenait en grande partie d'un legs de Jean Miron, docteur en théologie, subordonné à la double condition de dresser un catalogue et d'ouvrir la bibliothèque aux gens de lettres (1705).
[38] Orléans possédait encore deux autres bibliothèques publiques, à Saint-Euverte (1754) et à l'Oratoire (1763).
[39] Celle de Rouen a fait l'objet d'une étude de M. Charles Richard, conservateur des archives municipales: Notice sur l'ancienne bibliothèque des échevins de la ville de Rouen.
[40] J. Bale, centurie II, chap. XV. — Une ancienne chronique manuscrite rapporte que, sous Droctovée, deuxième abbé de Saint-Germain-des-Prés, c'est-à-dire au VIe siècle, un incendie allumé par les Normands dévora un grand nombre des livres de la bibliothèque avec les titres des archives.
[41] Les anc. biblioth. de Paris, t. II, p. 22.
[42] D. Félibien, Hist. de Paris, t. III, p. 177.
[43] Arrêt du Parlement, du 14 février 1660. Le petit-neveu de Richelieu, Armand de Vignerot, fut condamné par le même arrêt à payer à la Sorbonne une somme de 30,000 livres pour les dépenses d'appropriation, et une rente de 600 livres pour le traitement du bibliothécaire.
[44] Dissertation sur les bibliothèques, p. 49.
[45] De même que la bibliothèque Sainte-Geneviève, dont nous ne parlons pas dans cet historique, et à laquelle nous avons consacré un article spécial, comme aux bibliothèques Mazarine et de l'Arsenal, à raison de leur existence actuelle.
[46] Franklin, Anc. bibl. de Paris, t. II, p. 245-265 et 269-279.
[47] Franklin, loc. cit., passim. — Labiche, Notice sur les dépôts littéraires.
[48] Déc. du 14 novembre 1789.
[49] Déc. du 20 mars 1790 (art. 5), du 20 avril et du 18 juin 1790 (art. 8).
[50] Déc. des 13 et 28 octobre 1790 et 9 janvier 1791.
[51] Déc. du 13 octobre 1790.
[52] Instruct. du 15 décembre 1790, des 24 mars, 15 mai et 8 juillet 1791.
[53] Déc. du 2 janvier 1792, complété par celui du 8 février suivant, pour le département de Paris.
[54] Déc. du 9 février 1792.
[55] Déc. des 30 mars, 27 juillet et 2 septembre 1792.
[56] Déc. du 10 octobre 1792.
[57] On évaluait à près de 10 millions le nombre total des volumes à inventorier; en avril 1794, on n'avait encore reçu que 1,100,000 cartes, et le travail était abandonné dans la plupart des départements.
[58] La commission temporaire devait remplacer la commission des monuments, que sa modération relative avait mise en butte à de violentes dénonciations et que la Convention avait supprimée une première fois par décret du 10 juin 1793, rétablie le 27 août suivant et définitivement supprimée le 18 décembre 1793.
[59] Déc. de 22 germinal an II (11 avril 1794). — Le texte des instructions envoyées aux districts se trouve dans le Recueil de lois, etc., concernant les bibliothèques publiques, de M. Ulysse Robert, inspecteur général, p. 9, 11, 26, 30.
[60] Déc. des 19 juin et 18 juillet 1792.
[61] Déc. du 13 vendémiaire an II (3 octobre 1793) et du 4 brumaire an II (25 octobre 1793).
[62] Déc. du 14 fructidor an II (31 août 1794).
[63] Déc. du 8 brumaire an III (29 octobre 1794).
[64] Déc. du 9 frimaire an III (29 décembre 1794).
[65] Le rapport parle d'un total de 840,738 volumes. Un autre travail d'Ameilhon porte à 990,738 le nombre des volumes confisqués à Paris. M. Labiche, conservateur à la bibliothèque de l'Arsenal, a publié, en 1880, d'après les Archives des dépôts littéraires que possède cet établissement, une intéressante Notice à laquelle nous empruntons ces chiffres et une partie des détails qui suivent.
[66] Les trois premiers ayant recueilli les bibliothèques ecclésiastiques, les autres reçurent les livres provenant de la liste civile, des émigrés ou condamnés.
[67] Ce Conseil fut supprimé le 1er vendémiaire an IX (23 septembre 1800), par un arrêté ministériel de Lucien Bonaparte.
[68] Déc. du 4 brumaire an III (25 octobre 1794).
[69] Arr. du 7 messidor an III (25 juin 1795).
[70] Arr. des 24 et 28 fructidor an III (10 et 14 septembre 1795).
[71] Lettre min. du 24 pluviôse an IV (11 février 1796).
[72] Les catalogues dressés alors sont encore à la bibliothèque de l'Arsenal, où fut porté, en 1811, le résidu des dépôts.
[73] Déc. du 14 floréal an III (3 mai 1795) et du 21 prairial an III (9 juin 1795).
[74] Déc. du 28 octobre 1790, t. III, art. 2, et arr. du 12 nivôse an VI (1er janvier 1798).
[75] Arr. du 24 nivôse an IX (14 janvier 1801).
[76] Arr. du 7 thermidor an XIII (25 juillet 1805).
[77] Déc. du 10 juin 1793.
[78] Arr. du comité d'instr. publ., des 18 floréal (7 mai), 10 thermidor (28 juillet) et 30 fructidor an III (16 septembre 1795).
[79] Cependant un arrêté du 10 ventôse an VII (28 février 1799) autorisa le conservateur de l'Arsenal à retirer de Louis-la-Culture une liste importante de manuscrits.
[80] Ce droit fut consacré de nouveau par une note dictée en Conseil d'État, le 27 août 1807.
[81] L. du 1er jour complémentaire an IV (17 septembre 1796). — Cf. séance du 26 frimaire an IV.
[82] Arr. du 3 fructidor an V (20 août 1797).
[83] Arr. du 9 ventôse an VI (27 mars 1798).
[84] Arr. cons. du 1er thermidor an IX (20 juillet 1801).
[85] Le Directoire avait mis la bibliothèque de l'Arsenal à la disposition de l'Institut par un arrêté du 1er messidor an IV (19 juin 1796) qui souleva de vives réclamations et fut rapporté le 5 pluviôse suivant. La bibliothèque de l'arsenal fut déclarée publique par un arrêté du 9 floréal an V (28 avril 1797). Quelques mois auparavant, celle «de la Commune», ou de la Ville de Paris, avait été attribuée, par le Directoire, à l'Institut [Arr. du 27 ventôse an V (17 mars 1797)].
[86] Labiche, Notice sur les dépôts litt., p. 84-112.
[87] Lettres min. du 28 prairial an VI et du 29 vendémiaire an VII (Ibid.)
[88] Arr. du 23 pluviôse an VII (11 février 1799). — Cf. arr. des 18 germinal et 9 fructidor an V et du 6 nivôse an VI.
[89] Arr. cons. du 1er vendémiaire an IX (23 septembre 1800).
[90] Déc. du 12 prairial an XIII (1er juin 1805). — Cf. arr. min. du 7 thermidor an XIII (26 juillet 1805).
[91] Labiche, loc. cit.
[92] Déc. du 3 septembre 1790. — Dans son rapport présenté en 1789, le comité des finances avait même proposé de l'abaisser à 80,952 livres, dont 4,000 pour les reliures et 20,000 pour les acquisitions; ce dernier chapitre figurait à l'ancien budget pour 63,000 livres.
[93] Déc. du 27 septembre 1791.
[94] L. Delisle, Le Cabinet des mss., t. I, p. 557 et suiv.
[95] Ibid. — M. Delisle donne les noms de ces divers correspondants et des nombreux dépôts qu'ils visitèrent.
[96] Arr. du Conseil, du 3 mars 1781. — Le dépôt de législation ne fut transféré de la Bibliothèque dans cet hôtel qu'en 1786: en édits, ordonnances, arrêts et règlements, il ne contenait pas moins de 300,000 pièces.
[97] Déc. du 12 mai 1792.
[98] Depuis cette époque, suivant les régimes politiques qui se sont succédé, la Bibliothèque a porté les noms d'impériale, royale et nationale.
[99] Mortreuil, La Bibliothèque nationale, son orig., ses accroiss., p. 135.
[100] Arr. des 23 avril 1795, 31 janvier, 25 mars, 31 juillet et 26 août 1796.
[101] L. Delisle, loc. cit., t. II, pass.
[102] Déc. du 21 septembre 1791.
[103] Déc. du 22 juin 1793.
[104] Déc. du 6 février 1792.
[105] Arr. du 3 floréal an III (22 avril 1795).
[106] Circ. min. int., du 21 frimaire an VII (11 décembre 1798). — Cf. L. Delisle, t. II, p. 29-33.
[107] Mortreuil, La Biblioth. nation., p. 131, 149 et suiv.
[108] Delaborde, Le Cabinet des estampes, p. 110-120. — Le département des estampes avait recueilli en outre 10 ou 12,000 gravures provenant des émigrés et plus de 40,000 autres puisées dans les couvents, mais «le tout n'arriva guère qu'à encombrer de doubles ou d'ouvrages sans valeur l'établissement qu'on prétendait enrichir.» (Ibid., p. 100).
[109] Romme fit voter un décret, aux termes duquel le comité d'instruction et la commission des monnaies nommeraient chacun un délégué pour examiner les médailles des rois de France à la Bibliothèque nationale; on conserverait celles intéressant l'histoire et les arts; les autres seraient livrées au creuset (Déc. du 13 vendémiaire an II, 3 octobre 1793).
[110] Le département des antiques et médailles avait été ouvert au public par un décret spécial du 20 prairial an III (8 juin 1795) et placé sous la double direction d'un «conservateur bibliothécaire chargé des détails bibliographiques» et d'un «conservateur professeur, chargé de disposer la collection d'une manière méthodique et d'enseigner dans des cours publics ce qui a rapport aux inscriptions, aux médailles et aux pierres gravées, l'histoire et les progrès de l'art chez les anciens, celle des mœurs, des costumes et des usages de l'antiquité.» Ce cours d'archéologie existe toujours; on sait avec quelle distinction il a été successivement professé par MM. Raoul Rochette, Beule et François Lenormant.
En outre, la Convention, par décret du 10 germinal an III (30 mars 1795), avait établi «dans l'enceinte de la Bibliothèque nationale une école publique destinée à l'enseignement des langues orientales vivantes, d'une utilité reconnue pour la politique et le commerce.» Cette école, réorganisée par l'ordonnance du 22 mai 1838 et par le décret du 8 novembre 1869, a seulement alors été détachée de la Bibliothèque et installée au collège de France. Elle est aujourd'hui rue de Lille, no 2. — Même au temps de son séjour à la Bibliothèque nationale, le cours d'archéologie n'en faisait pas partie; conformément au décret du 20 prairial an III et à l'article 21 de l'ordonnance du 22 mai 1838, il continua d'être annexé au cabinet des médailles.
[111] Règl. du 25 fructidor an IV (11 septembre 1796).
[112] Arr. de Lucien Bonaparte, ministre de l'intérieur, du 28 vendémiaire an IX (20 octobre 1800). — Mortreuil, loc. cit., p. 148.
[113] Arr. du 13 germinal an VII (2 avril 1799).
[114] Franklin, Précis, p. 268. — L. de Laborde, Revue des projets présentés pour le déplacement de la Bibliothèque royale, 1845, in-8o.
[115] Petit-Radel, Recherches sur les biblioth. anc. et mod., 1819, p. 345.
[116] Par arrêté du 20 janvier 1823, le ministre de l'intérieur avait autorisé l'aliénation des parchemins inutiles de la collection vendue par Beaumarchais en 1784. Par suite de l'insouciance des familles et de l'ignorance des administrateurs, le commerce des parchemins et vieux papiers s'organisa alors à Paris sur une très vaste échelle. Malheureusement, la concurrence anglaise s'abattit bientôt sur les occasions avantageuses qui devinrent de plus en plus rares.
[117] L. du 24 avril 1833.
[118] Pour le détail des acquisitions postérieures à 1873, date à laquelle s'est arrêté M. L. Delisle dans son ouvrage sur Le Cabinet des manuscrits, on peut consulter les rapports adressés par le même auteur au ministre de l'instruction publique et insérés au Bulletin en 1876 et 1877.
[119] Delaborde, loc. cit., p. 184-186.
[120] C'est à cette vente que fut acheté le Psautier de Mayence, de 1457, le premier livre imprimé avec date.
[121] Ces crédits supplémentaires atteignirent, durant la Restauration, un total de 295,000 francs. A la demande du gouvernement, en 1838, la Chambre des députés alloua à la Bibliothèque un crédit extraordinaire de 1,264,000 francs par suite duquel son budget annuel d'acquisitions et reliures fut porté à 174,000 francs. Cette somme fut réduite à 102,000 francs sous le second Empire, puis portée à 114,350 et accrue de crédits extraordinaires dont l'ensemble s'éleva à 301,000 francs.
[122] Journ. off. du 10 décembre 1873.
[123] Rapport à l'Empereur, du 31 mars 1860.
[124] Arr. min. du 19 avril 1862.
[125] Ord. du 2 novembre 1828.
[126] Ord. du 14 novembre 1832.
[127] Ord. du 22 février 1839. — Cf. Ord. du 2 juillet suivant.
[128] Déc. du 15 décembre 1856 et du 17 août 1857.
[129] Ul. Robert, Rec. de lois, etc., p. 50-56.
[130] Ce crédit avait été refusé, l'année précédente, par la Chambre, après une vive discussion. Voir, au Moniteur, la séance du 8 juin 1837.
[131] Arr. min. du 28 décembre 1847.
[132] Arr. min. du 30 mai 1850.
[133] Déc. du 24 janvier 1852.
[134] L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, t. I, p. 290; t. III, p. 368.
[135] L'enquête qui donna lieu en 1850 à la fameuse affaire Libri révéla une série considérable de soustractions de volumes ou de pièces détachées, opérées à la Bibliothèque nationale, à la Mazarine, à l'Institut, dont le voleur était membre, et dans les bibliothèques de Troyes, de Grenoble, etc. Libri, sans fortune personnelle, avait réuni une collection estimée alors 600,000 francs. On sait qu'il trouva d'ardents défenseurs, tels que MM. Paul Lacroix, Gustave Brunet, Jubinal et Mérimée, auxquels répliquèrent avec une grande autorité les experts, MM. Lalanne, Bordier, Bourquelot, et le rapport de M. Bonjean au Sénat, en 1861, sur une pétition en faveur du condamné. Si un dernier doute pouvait subsister dans quelque esprit sur sa culpabilité, la communication faite par M. L. Delisle à l'Académie des inscriptions, le 22 février 1883, l'aura dissipé. Cette note établit jusqu'à l'évidence, avec une sagacité et une sûreté de critique qui font le plus grand honneur à son auteur, la provenance frauduleuse des plus anciens manuscrits du fonds Libri dans la célèbre collection d'Ashburnham-Place. Le fonds Barrois, d'origine aussi suspecte, est l'un des plus importants de la même bibliothèque. M. L. Delisle, dans un mémoire publié en 1866, a démontré qu'une soixantaine au moins des manuscrits cédés par Barrois, en 1849, à lord Ashburnham étaient le fruit de vols audacieusement commis à la Bibliothèque nationale entre 1840 et 1848. — Cf. du même, Notice sur plus. mss. de la biblioth. d'Orléans, 1883, in-4o, et Les larcins de M. Libri à la bibliothèque d'Orléans, par M. Loiseleur. Dans un récent rapport à la commission de la Bibliothèque de Lyon, M. Vingtrinier signale quelques détournements et surtout de nombreuses mutilations dont le principal auteur est l'ancien bibliothécaire. (Bull. des bibl. et arch., 1884, p. 260-264.)
[136] Indépendamment de leur valeur artistique perdue, les médailles fondues et recouvrées représentèrent, sous forme de lingots, une valeur de 120,000 francs, qui fut remise à la Monnaie. La loi de finances du 23 avril 1833 ouvrit au ministre de l'instruction publique un crédit de pareille somme pour le remplacement des pièces volées. Ce n'était qu'une restitution, le Trésor n'ayant pu être que le dépositaire des fonds, ainsi que le reconnut le préambule de l'ordonnance du 19 juin 1834.
[137] La Gazette des Tribunaux du 3 août 1850 reproduit in extenso l'acte d'accusation dans lequel sont énumérées toutes les déprédations imputées à Libri.
[138] Affaire Harmand. Voir la Gazette des Tribunaux des 8, 9 et 10 février 1873.
[139] Dictionnaire de pièces autographes volées aux Bibliothèques de la France, 1851-1853, publié en quatre livraisons.
[140] Séance du 22 germinal an III (12 avril 1794).
[141] L. Delisle, t. II, p. 317.
[142] Rapport de M. Baudrillart, inspecteur général. (Bull. du min. de l'instr. publ., 1871, p. 361.)
[143] Regnault, Hist. du Cons. d'État, p. 694; L. Aucoc, Le Conseil d'État avant et depuis 1789, p. 413.
[144] L'ancienne bibliothèque de l'Ordre fondée en 1704 par un legs de Gabriau de Riparfonds et publique, comme on a vu plus haut, avait été confisquée en 1791 lors de la suppression de l'Ordre, et attribuée par un décret du 12 juillet 1793 au comité de législation, qui n'en prit qu'une faible partie. Versée au dépôt de Saint-Louis-la-Culture, elle fut transférée le 29 brumaire an VI au Tribunal de cassation, en exécution d'un arrêté directorial du 12 pluviôse an V. La seconde bibliothèque de l'Ordre fut reformée par un legs de l'avocat Nicolas Férey, en 1810, et le barreau obtint, le 7 septembre 1811, l'autorisation de la compléter en puisant dans le dépôt Chabrillant, qui venait d'être attribué à l'Arsenal. L'Ordre revendit presque immédiatement à un libraire la majeure portion des livres qu'il y avait fait choisir. La bibliothèque actuelle n'est pas publique, comme l'ancienne; elle est réservée aux seuls membres du barreau. — Gaudry, Hist. du barreau de Paris, t. II, p. 504; A. Franklin, Les anc. biblioth., t. III, p. 169-180. Le catalogue vient d'être publié en deux volumes in-8o.
[145] L. du 28 décembre 1880. Voir plus loin, no 116.
[146] Pour les détails du dénombrement, voir infrà, no 141, note 241.
[147] Nous citons les principaux ouvrages de ce genre dans l'Index bibliographique.
[148] Voici du moins, par ordre d'importance, la liste des principales bibliothèques départementales, empruntée à une statistique de 1878:
Bordeaux, 160,000 vol.; Lyon, 150 000; Besançon, Grenoble et Aix, 120,000; Rouen, 112,000; Montpellier, 100,000; Avignon, 96,000; Marseille, 80,000; Nîmes, 72,000; Amiens et Dijon 70,000; Rennes, 65,000; Toulouse, 61,000; Chartres, 56,850; Orléans, 51,000; Tours, 46,000; Clermont, 41,500; Angers, 40,500; Le Mans, 40,000; Blois, 36,000; Brest, 32,000; Poitiers, 30,000; Moulins et Carpentras, 27,000; Pau, 25,000, etc.
Par opposition avec les vols considérables dont la plupart de nos bibliothèques publiques ont plus ou moins souffert, nous devons signaler les importantes donations que beaucoup d'entre elles ont reçues. Dans l'impossibilité d'en offrir ici une énumération qui, même incomplète, serait fort longue, nous mentionnerons quelques-unes des plus considérables faites dans ces dernières années: legs de M. Victor Servais, à Bar-le-Duc (10,000 vol. et mss. sur l'histoire du Barrois et de la Lorraine); de Mme Ve Garinet, à Châlons-sur-Marne (33,000 vol.); de M. le baron Guerrier de Dumast, à Nancy (2,500 vol. et 2,000 broch.); de M. Guillermin, à Saint-Quentin (24,000 fr. pour la création d'une bibliothèque publique); de M. de Vallat, à Montpellier (20,000 vol., comprenant une très belle collection d'ouvrages en dialectes patois); de M. Barotte, à Chaumont (900 volumes de sciences et spécialement de géologie); de M. Canel, à Pont-Audemer (sa bibliothèque normande, composée de 6,000 vol., plus sa maison pour la recevoir et loger le bibliothécaire); etc., etc.